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La sagesse s’oppose-t-elle à la croyance ?

 

Un Génie apparut à un doyen d’une fac de Philosophie, qui venait de frotter une vieille lampe, pleine de poussière, trouvée derrière des livres de la bibliothèque. Le Génie lui donna à choisir, pour le remercier de l’avoir libéré, entre la Sagesse, le Pouvoir ou Cent millions d’Euros.

Le professeur, bien entendu, choisit la Sagesse, considérant qu’il s’agissait du but de sa vocation de philosophe, et instantanément un faisceau de lumière illumina la salle. Lorsque le halo de lumière s’éteignit, le professeur resta muet, perdu dans ses pensées. Alors ses étudiants lui demandèrent : « dites-nous maintenant que vous êtes un sage, à quoi pensez-vous ? Il répondit : « J’aurais dû prendre l’Argent ! »

 

La croyance est omniprésente dans cette histoire, même si vous ne l’avez pas cru. Le professeur croyait que la sagesse était préférable à tout, au pouvoir, à la richesse, du fait de son savoir. Mais au moment du choix, il ne doutait pas que la sagesse était un idéal que l’on pouvait atteindre. Puis, une fois « sage », le doute, qui me semble faire partie de la sagesse, il a peut-être compris qu’on ne peut pas enfermer « la sagesse », dans une définition immuable et qu’il y aura autant de conceptions de la sagesse que d’individus, de sociétés et de moments de l’histoire. Cette diversité est mise en évidence par Luc Ferry qui a publié en 2012, « les Sagesses d’hier et d’aujourd’hui », neuf cents pages, en CD et livrets. Tous les philosophes qu’il cite y sont désignés en tant que « piliers de sagesse », des Grecs aux Lumières, des grands Allemands à certains contemporains, incluant parmi les Sages Jésus et Bouddha. Des « piliers de sagesse » et non des sages ?

Il n’y a pas qu’une seule sorte de croyance et qu’une seule sorte de sagesse.

Sagesse et croyance sont des concepts. Le terme concept est utilisé, en philosophie, pour désigner une idée, un mot, une notion abstraite ou concrète, dont la pensée, se préoccupe, en rassemblant ses différentes formes, ses différents sens, en recherchant ce qu’ils ont comme différences ou comme caractères communs.

Alors, opposer un concept à un autre, la sagesse à la croyance, dépend des différentes définitions que l'on donne à chacun de ces termes.

 

Le concept de sagesse, est utilisé pour qualifier ce qui caractérise un individu et son comportement. Le sage est celui qui est vu comme ayant une connaissance profonde acquise par l'expérience et la réflexion, qui lui permet une compréhension complexe et nuancée des choses, ainsi qu'une capacité à porter un jugement éclairé, conforme à une éthique, qui allie conscience de soi et des autres, calme et modération, perspicacité et prudence, sincérité, bienveillance et justice, discernement et raison. C’est beaucoup pour un seul hêtre, c’est pourquoi les philosophes, ne se prétendent qu’amis ou « amoureux de la sagesse », un idéal de vie théorique (sophia), qui recherche et indique la morale qui doit guider l'action, soit un idéal de vie pratique (phronèsis), qui dirige toute action de façon éthique. La sagesse parfaite étant la conjonction des deux. (1)

 

Le concept de croyance désigne le fait de croire, c’est-à-dire d’attacher une valeur de vérité à un fait ou un énoncé, au point d’être persuadé et convaincu, même en l'absence de preuves et sans qu’aucun doute ne s’installe, de leur véracité, de leur réalité et de leur existence. La croyance peut reposer sur l’assentiment, sans réflexion profonde et sans examen approfondi, donné à des autorités, religieuses, philosophiques, politiques, voire scientifiques ou sur l'expérience personnelle. Au point que le croyant peut même penser avoir le droit de l'imposer aux autres.

 

Alors que la sagesse est souvent estimée s’accompagner de réflexion et de raison, et que la croyance est supposée correspondre à une acceptation, sans réflexion profonde et sans examen approfondi, il nous semble pouvoir les opposer. Or ce n’est pas aussi simple : toutes les croyances ne sont pas forcément irrationnelles, tandis que la sagesse n’est pas forcement raisonnable. La sagesse peut très bien se pencher sur une croyance dans l’intention de la comprendre et de l’évaluer de manière réfléchie ? Et une croyance, pour s’affirmer, peut également utiliser la raison : s’il n’y a aucune preuve rationnelle de l’existence de Dieu, il n’y en a pas, non plus, de son inexistence. Nous croyons que la démocratie est le pire des régimes«à l’exclusion de tous les autres », (Churchill), alors que nous expérimentons qu’elle n’est que «la croyance pathétique en la sagesse collective de l'ignorance individuelle ». (H. L. Mencken, journaliste, linguiste, satiriste, critique social et libre penseur américain, surnommé « le sage de Baltimore » ou encore « le Nietzsche américain », souvent considéré comme l'un des écrivains américains les plus influents du XXᵉ siècle).

 

La croyance (du latin credo, « je crois », et du vieux-français créance repose sur la confiance: c’est avoir foi en une idée, une autorité, une parole, en quelqu'un, se fier à ce que l’on considère comme une sagesse, parce que cela correspond à accorder du crédit à des pensées qui n’ont de vérité que la conformité à ses désirs, , ses besoins, ses habitudes culturelles, ses biais cognitifs et non à la réalité objective et à une pensée logique.

 

Mais en est-il autrement pour la sagesse ? La sagesse est couramment associée à la pertinence du jugement, au bon sens, au savoir et le sage, est considéré posséder la connaissance parfaite, qui lui permet une conduite vertueuse, moralement idéale, en accordant ses actes et ses paroles.

Mais l’acquisition de tout savoir ne se fait-il pas exactement de la même manière que l’acquiescement à une croyance ? La sagesse désigne bien un comportement conforme à un savoir issu de l’expérience et de connaissance, conforme à une morale, qui dépend de l’époque et de l’environnement culturel de leur acquisition !…… D’ailleurs le sage est souvent décrit comme s'égarant dans les nuées, déconnecté du réel.

 

N’est souvent considéré « sage » que celui qui n’est qu’un prescripteur qui transmet la parole d’une société, d’une idéologie, d’un penser correct, d’une norme, se pliant avec ses pensées et ses désirs aux diktats de la conformité.

Dès la naissance, on ne cesse de nous dire ce qu'il faut faire et ne pas faire, ce qu'il faut croire et ne pas croire, pour être sage ». Selon Tomi Ungerer, « pour les adultes, un enfant est sage quand il est obéissant, tranquille, sans turbulences et sans encombre. Donc, pratiquement inexistant, aussi plat et placide qu’une image sans visage. C’est : « Ferme-la et dis oui ! » Pourtant [ ] ce sont ses écarts de conduite, ce qu’il croit pouvoir faire, qui définissent sa personnalité.

La sagesse, pas plus que la croyance, ne doit donc pas être considérée comme un modèle à suivre aveuglément. On a longtemps été bassiné par l’image du sage qui pratique l’art du retrait : du monde, de l’histoire, du corps, de la parole. Nous sommes des êtres désirants, en mouvement, et cette sagesse considérée comme dégagée de toute passion, de toute expression, est proprement « inhumaine ». Comment penser pouvoir échapper à l’action, à la prise de décision, comment renoncer à la colère ou à l’enthousiasme et à l’expression de tout ressenti.

Si la croyance, n’était qu’une certitude enracinée, figée, faisant toujours fi de la réalité, par une vision délirante du monde, allant de la crédulité à l’adhésion, jusqu’à la superstition ou même la conviction délirante, comment expliquer qu’elle accepte de se confronter au monde ? Il faut croire que quelque chose est possible, sinon on n’essaie rien, il n’y a plus d’évolution !

 

Il est courant d’opposer la croyance au caractère universel de la raison. Mais si toute croyance se confronte, tôt ou tard, à l’épreuve de la réalité, la sagesse aussi ! Toutes deux manifestent le souci de parvenir à cette idée de la Vérité, conçue comme une adéquation entre notre pensée et la réalité.

 

Qu’en est-il de l’originalité de nos désirs, de nos envies, de nos besoins, qu’il n’est pas forcément possible de faire entrer dans un cadre formaté par des cultures, des conventions, des usages, et ainsi des comportements, que d’autres, sages ou croyants, ont considérés comme étant « ce qui doit être ».

Mais on peut très bien les croire. Croire qu’il existe une solution à tous les problèmes, que la solution se trouve dans la religion, ou dans une idéologie politique, dans la science toute puissante ou les usages ancestraux. Croire qu’il existe un accès à une morale universelle, menant à des comportements acceptés par tous !

 N’importe laquelle de ces attitudes/croyances peut nous aider à vivre pleinement, à condition de s’y soumettre et ainsi à nous sentir en adéquation sans réserve avec un monde qui nous est imposé.

C’est une évidence. Mais c’est aussi un leurre, parce que, dans ce qui est plein, surtout une vie pleine, il n’y a de place pour rien d’autre ! Ces croyances qui se sont développées  au travers des mythes, des religions, puis des idéologies, sont devenues fondatrices de groupes humains (sociétés, communautés, etc…), pour justifier de la nécessité de se regrouper pour survivre, et donc d’aider à vivre le plus pleinement possible, par la coopération entre individus et des valeurs communes.

Du point de vue des religions, au début, les gens ne croyaient pas en Jésus : Ils ne s'y fiaient pas.

Après, ceux qui l'ont cru s'y fiaient ! Il s’agissait de croyances utiles, performatives.

La sagesse, ne consiste pas non plus à se conformer à une définition de la sagesse pré-écrite ou pré-pensée donnée par autrui, une autorité quelconque, (ou en suivant des stages aux intentions discutables de sagesse, payants, comme des stages taoïstes, de purification des chakras ou de « dialogue avec la Déesse de la Créativité » etc… ), ou même de s’inféoder à une pensée sensée émaner d’un « sage », mais c’est accepter d’essayer de comprendre les faits qui nous touchent, sans se reporter aveuglément à un savoir de référence, pour pouvoir trancher entre les connaissances, mais aussi les croyances, afin d’accepter d’être ce que l’on est, d’avoir le courage d’être le héros de sa propre vie, en surmontant la banalité du quotidien.

Car il y a des sagesses qui, comme les croyances, limitent les libertés.

La sagesse n’est pas un « poteau indicateur arborant une longue barbe blanche. Elle ne consiste pas non plus à s’isoler du monde par la pensée ou à se construire une bulle de tranquillité, pour éviter soigneusement toute relation, telle cette citation de Boileau: « La sagesse est une égalité d’âme que rien ne peut troubler, que rien n’enflamme ». La sagesse nécessite l’acceptation du doute et de l’angoisse plutôt que du confort et des certitudes », par la remise en cause des supposés savoirs : mais alors, elle se nomme la philosophie, parce qu’elle introduit la notion de doute avant tout jugement définitif (enfin, elle devrait !).

Le philosophe n’est pas un sage et même, il en est probablement le contraire. Ce peut être un objectif, jamais un statut. Le philosophe ne sait pas, il s'efforce de savoir, interroge, questionne, doute de son savoir, enquête, doute, en cherchant à comprendre la condition humaine. Le philosophe peut connaitre la sagesse, mais il sait ne pas être sage.

Notre esprit ne doit pas rester enfermé, conditionné, façonné pour se conformer aux schémas d'une société d’une croyance ou d’une sagesse particulière, qui s’ancre en nous, parce que, alors, notre liberté restera toujours limitée par le passé, ou soumise à la dictature d’autrui ou de l’instant. 

 

La sagesse autant que la croyance, ne consistent pas à s’approprier une vision idéale de ce qui est, élaborée par un autre, qui ne doit être considérée que comme un modèle parmi d’autres.

Dans certaines situations, il est tout à fait logique et justifié de croire. Quand je vais voir un médecin, je crois en ce qu’il me dit puisqu’il est supposé compétent dans son domaine. Je n’ai pas les moyens d’être certain que son diagnostic soit le bon (quelle est ma compétence ?) mais je dois bien le croire, au risque que ma santé se dégrade encore plus à cause du temps perdu, ou au risque de me tromper. Mais cela ne fait pas d’une croyance, un savoir, mais il est sage de s’y plier.

 

Sagesse et croyance sont tout autant un facteur de discorde, lorsqu’elles deviennent des certitudes et se ferment à tout apport, à toute modification et évolution possible.

Sous des oripeaux de rationalité elles promettent de récompenser certains et d’en punir d’autres en niant ce que l’existence humaine a de tragique et d’incompréhensible. Vivre, c’est souffrir, écrivait Malraux. La vie consiste à rencontrer des obstacles, que des croyances permettent de ne pas voir, que des sagesses promettent de surmonter, mais n’éliminent pas.

 

Et puis, quelles que soient ses croyances, un croyant est-il que cela ? Un sage n’est-il que cela ? L’identité de chacun est insaisissable, évolutive et ouverte malgré les limites qu’elle s’impose. Je est un autre aussi.

Pourquoi penser que le réel peut leur échapper, qu’ils cessent d’interroger leur désir, leurs besoins ou leurs envies, pour se contenter de vernis de surface ou de poudre aux yeux ? Cessent-ils de se demander ce qu’ils veulent vraiment ou ce qu’est le monde ?

Tout obstacle, par la difficulté qu’il instaure, oblige à réfléchir, à prendre du recul, à ruser avec la situation en toute conscience. C’est un choc où l’on découvre ses limites, ce qui fait de l’obstacle une composante essentielle du mouvement de la vie. Rien n’empêche de l’interroger.

L’absolutisme, qu’il soit rationaliste, idéologique ou religieux, inocule son poison normatif, rigide et intolérant ; tandis que la réflexion rationnelle, qui reconnait un pluralisme de références à toutes les croyances, à toutes les sagesses, leur permet d’être souples et tolérantes

La romancière Raphaëlle Giordano raconte une histoire applicable aussi à la croyance :un homme va trouver un sage pour apprendre auprès de lui. Il lui demande ; « Grand Sage, qu’y-a-t-il dans votre esprit ? »

« Dans mon esprit, il y a deux chiens, un noir et un blanc. Le noir est le chien de la haine, de la colère et du pessimisme. Le blanc est celui de l’amour, de la générosité et de l’optimisme. Ils se battent tout le temps ».

Seulement deux chiens qui se battent ? Et lequel gagne ? » - « Celui que je nourris le plus ».

Alors on peut opposer la croyance, conçue comme reposant sur la confiance et l’adhésion sans réflexion à la sagesse, basée sur la raison et l'analyse, l’une permettant toute remise en question et l’autre refusant d’examiner de manière critique. Mais il est aussi possible qu’elles coexistent et se complètent, sans contradiction inhérente entre les deux, la sagesse permettant d'évaluer nos croyances auxquelles on ne peut échapper, mais qui nous donnent la motivation et l'inspiration nécessaires pour agir dans le monde.

 

Certaines croyances, sont fondées sur des preuves et d'autres non, mais certaines sagesses aussi, car théoriques et impossibles à mettre en pratique. L’incertitude et l’ignorance font partie de l’existence.

Chacun doit garder l’esprit ouvert, et trouver son propre équilibre entre ces deux concepts

N.Hanar

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NOTES

1-La morale est, selon la définition du Larousse un « ensemble de règles de conduite considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d'une certaine conception de la vie », et l'éthique est une réflexion argumentée sur les valeurs morales.

2- En fait, le sage, porteur de la sagesse, occupe, dans une société et dans l’histoire de la pensée, une fonction comparable, mais absolument inverse à celle du bouc émissaire. Comme ce dernier, le sage est un individu, un groupe, une organisation, une pensée, etc., choisie pour endosser des motivations multiples (comment accéder à une vie bonne, dans le cas du sage). Il sera sélectionné comme sage, d’après la sympathie qu'il suscite ou le degré de pouvoir social qu'il possède. Le sage, alors, se charge de tous les espoirs et de tous les possibles, afin de combattre un problème existentiel, des conflits moraux ou sociaux.

Girard note à propos du bouc émissaire, ce qui est applicable aussi au sage « Fixer son attention admirative sur un modèle, c'est déjà lui reconnaître ou lui accorder un prestige que l'on ne possède pas, ce qui revient à constater sa propre insuffisance d'être ».

Le phénomène du bouc émissaire, collectif, est la réponse inconsciente, pour René Girard, d’une communauté à la violence endémique que ses propres membres ont provoquée. De même, si le phénomène du bouc émissaire est une conséquence du « tous contre un », celui de la sagesse est celui du « tous pour un ». Il a également pour fonction d’exclure temporairement la violence interne à la société vers l’extérieur de cette société, jusqu’à ce que l’on ait recours à un nouveau sage, une nouvelle sagesse. Le groupe, en s’unissant uniformément avec lui, va retrouver, comme lorsqu’il s’unit contre le bouc émissaire, une paix éphémère.

C’est pour paraphraser le freudisme, une projection, un transfert, qui constitue un mécanisme inconscient d'attribution erronée de ses propres états (sentiments, intentions) à autrui, un déni quant au fait que les états en question lui appartiennent, mais qui lui permettent de maintenir un sentiment de moralité intact.

Ainsi un groupe choisit collectivement une cible pour porter la responsabilité d'un événement positif, d’un autre possible, afin de répondre à la motivation individuelle du besoin de conserver un sentiment de moralité, de contrôle, en atténuant tout sentiment d’anxiété.

Le sage devient la cible qui analyse les raisons d’actions indésirables, afin d'appréhender différemment les prochaines crises, un moyen de conserver l'unité familiale ou sociale, lorsque les tensions sont très fortes, ou lorsque les méthodes utilisées pour gérer cette tension ne sont pas très efficaces, tout en protégeant l’image de soi.

La sagesse devient alors ce qui inaugure un autre rapport à soi, au monde, à l’autre. Générosité, discipline, patience, effort, méditation, sont autant de leviers, de remèdes. Mais se contenter d’imiter en faisant appel à des initiations, plus ou moins pertinentes, voire orientées dans des buts d’obtenir la soumission de ceux qui s’y jettent corps et âme, constitue un danger permanent.

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sagesse et croyance
humiliation

En quoi l’humiliation est-elle insoutenable?

 

L’humiliation, est le sentiment éprouvé par quelqu'un qui se sent atteint dans sa fierté, sa dignité, blessé dans son amour propre, et qui souffre d’en être rabaissé et dévalorisé. Elle est la conséquence d’une violence ou d’une vexation, d’un affront, de toute attitude qui abaisse, écrase, accable ceux qui la subissent.

Et c’est insoutenable, pour ceux qui la subissent, parce que l’insoutenable, c’est ce qu'on ne peut ni supporter, ni endurer, surtout lorsque cela remet en cause l’image de ce que chacun est ou pense être.

 

C’est ce que nous demande d’expliquer la question qui nous est posée: «en quoi l’humiliation est-elle insoutenable?», mais aussi, puisque soutenir signifie également ce que l’on peut défendre, et justifier (on soutient une thèse): en quoi pourrait-on soutenir la justification d’une humiliation que l’on ferait subir à autrui ? Comment, ceux qui l’ont mise en œuvre, l’ont imposée à quelqu’un, peuvent-ils justifier de leur action et soutenir la nécessité de conduire des humains à avoir honte et à souffrir de ce qu’ils sont !

 

Il faut d’abord comprendre que l'humiliation est constituée par une relation entre individus, qui se traduit par une agression, une intimidation, des maltraitances physiques ou mentales, lorsque le comportement d'un autre, ses origines, ses idées, voire son existence même, etc…, sont perçues comme contraires et non admissibles, à des normes sociales, des politiques, des idéologies, des opinions ou des pensées dominantes qui se veulent légales, et surtout « vraies ».

L’autre, et ce peut être n’importe lequel d’entre nous, se fait alors dénigrer, critiquer, pour n’importe quoi: son physique, sa sexualité, sa couleur, son origine, son caractère, son opinion ou son savoir, son action...

Celui qui agit ainsi peut aussi être n’importe lequel d’entre nous !

 

Qu’elle soit subie ou provoquée, l’humiliation est ressentie comme une atteinte à la dignité, comme du mépris, une dévalorisation, comme parfois un effacement de la qualité même d’être humain, ceci sans aucune justification autre que celle de la non-appartenance de l’autre à un système de références qui se veut possesseur d’une Vérité universelle. Comme l’humiliation est ressentie comme imméritée, due à l’arbitraire d’une autorité écrasante, la réponse à l’humiliation, à la mise en cause de la valeur d’un humain, elle engendre du ressentiment, de la haine ou de la violence, des conséquences qui rendent l’humiliation encore plus insoutenable à ceux qui espèrent en un monde de paix et d’harmonie.

 

Il y a eu, il y a encore et il y aura probablement toujours de véritables humiliations qui seront subies ou imposées à des gens : ce sont celles qui n’accordent même pas une quelconque valeur à une personne jusqu’à celles qui l’excluent du champ de l’appartenance à l’humanité.

 

Marx avait fondé son raisonnement sur la condition aliénante de l’ouvrier d’usine, l’humiliation qui résultait de l’exploitation éhontée de sa seule « valeur de travail » qui se substituait à sa valeur d’humain.

 

Max Weber avait relevé que, si la volonté d’appartenance à une communauté suppose et développe un sentiment spécifique d’attrait, de sécurité, elle implique dans le même temps le rejet, la stigmatisation, l’exclusion de l’autre, de celui qui est alors défini comme étranger, provoquant le sentiment d’humiliation de celui qui en est rejeté : l’individu autre serait ainsi perçu comme une différence menaçante, qu’il faut éloigner. On retrouve cela dans la pensée raciale, dans les rapports entre colonisateurs et colonisés, exploiteurs et exploités, qui ne saisissent pas l’individu dans sa réalité propre, mais l’appréhendent dans une masse, (les ceci ou les cela), le réduisant et l’enfermant au statut d’objet. Peu importe si cela l’humilie !

 

Alors, « Que possède-t-on lorsqu’on n’a rien que soi-même ? », s’interrogeait Hannah Arendt, si ce n’est un ressenti d’humiliation. Elle distingue différentes raisons, différents niveaux dans l’humiliation : celle des colonisateurs, des hommes humiliés car considérés comme des « hommes superflus… ce qui ouvre à la pensée raciale : une humiliation née de l’appréhension, de l’inquiétude, presque de la phobie, de l’altérité radicale, due « à l’existence de ces êtres qu’aucun homme appartenant à l’Europe ou au monde civilisé ne pouvait comprendre et dont la nature apparaissait si terrifiante et si humiliante aux yeux des immigrants, qu’ils ne pouvaient imaginer plus longtemps appartenir au même genre humain ». Ce qui justifiait « d’exploiter ces sauvages comme s’ils avaient représenté tout simplement – non pas la vie humaine –, mais une autre forme de la vie animale. »

D’où l’arrogance des colonisateurs envers le colonisé «qu’il faut donc maitriser, qu’il faut surveiller pour, en premier lieu, s’en protéger et ensuite le protéger de lui-même : le tenir à distance, le domestiquer, aller jusqu’à le combattre et l’exterminer s’il devient dangereux ou menaçant, avec détachement. S’arroger la propriété de l’autre renforce le sentiment de propriété de soi, un mode de domination qui va inéluctablement conduire à l’humiliation, plus redoutable que certaines formes de tyrannie explicite.

Cette humiliation infligée au colonisé, signale que le colonisateur est lui aussi menacé, guetté par le sentiment d’humiliation, qu’il doit construire un système de défense, de compensation pour être craint, respecté et, donc, ne pas être humilié lui-même : « le colonialiste a besoin de l’existence du colonisé et de l’annulation de l’autre […], il lui faut nier le colonisé et en même temps l’existence de sa victime lui est indispensable pour continuer à être » (Albert Memmi)

 

Récemment, les hutus au Rwanda, le Hamas en Israël, les Russes en Ukraine, ne se sont pas contentés de tuer des femmes : ils les ont d’abord violées. Cette humiliation leur paraissait nécessaire pour les dégrader, les effacer dans leur qualité même d’être humain et leur permettait de mettre en cause leur droit à être, à vivre, sans justification nécessaire de la mise à mort.

 

Qu’elle vise un groupe ou un individu, l’humiliation touche toujours fondamentalement à l’individu en atteignant sa valeur.

Or, aujourd’hui, le terme d’humiliation, à l’intérieur de nos sociétés occidentales, est galvaudé, n’est plus clairement défini, utilisé à tout bout de champ, et même à contre sens, parce qu’il traduit une nouvelle figure de la condition humaine dans nos sociétés, celle de victime.

Les situations et les formes d’humiliation y concernent surtout le fait que l’individu bénéficie de moins en moins de protections préservant les valeurs démocratiques, ces besoins, ces sentiments et ces droits moraux que constituent la dignité, le respect, la considération de la personne humaine.

 

Le sentiment d’humiliation est accentué, mais, dans le même temps, étendu, dilué et, parfois, indiscernable dans sa spécificité, du fait de l’émergence d’un renvoi continu à soi conduisant à un enfermement paradoxal dans le soi. La condition de l’homme contemporain diffuse l’injonction à la visibilité de soi, à l’obligation de se montrer pour exister. Arendt, visionnaire, avait observé « qu’être contraint de représenter sans cesse et tout seul un quelque chose de particulier, rien que pour justifier le fait brut de son existence, c’est une fatigue qui va jusqu’à user toutes vos forces ». Cette justification continue du droit à exister provoque des sentiments de dévalorisation et d’humiliation. L’être et l’avoir tendant à être indistincts, « montrer ce que l’on a », c’est donc montrer « ce que l’on est », montrer le soi, et mettre ainsi à mal les enveloppes, les mécanismes de protection et de défense du moi. Ce sont des formes de narcissisme qui tendent à gouverner les individus de l’intérieur, à les pousser à s’exprimer sans tenir compte de l’autre et du monde, les incitants à une arrogance et à une indifférence décuplées.

 

Il a existé comme un consensus, à propos d’un certain nombre de valeurs humanistes (nées au moment de la Renaissance) qui étaient censées construire les individus à partir de notions à caractère universelles comme le respect, l'acceptation, la considération, l'ouverture, l'accueil, la bienveillance, l'empathie, l'affection, l'amour et la fraternité.

Parce que, si chacun devait pouvoir mener sa vie comme il l’entend, il fallait d’abord forger un monde qui ne se réfère pas à une puissance extérieure, religieuse, surnaturelle ou politique. Ces valeurs se sont exprimées au travers de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, (qui naissent libres et égaux en droits), par les luttes contre l’esclavagisme, contre l’inégalité hommes/femmes, contre les rejets de ceux qui ont d’autres origines sociales, ou soi-disant raciales, soit une autre sexualité.

Ainsi, plus personne n’aurait pu être humilié.

 

La démocratie était considérée comme le meilleur moyen de parvenir à ce monde. Logiquement, puisqu’elle permet à toutes les idées de s’exprimer, même celles qui vont à l’encontre de l’humanisme qui avait paru le meilleur moyen de vivre ensemble, harmonieusement et en paix. Le fait de rencontrer une opposition permet de remettre en cause notre propre importance, notre propre pertinence, et de ne pas rester figés dans des certitudes inamovibles. La démocratie est agent d’humilité, en mettant en question l’importance de nos certitudes humanistes, un exercice salutaire pour le développement de nos sociétés et de nous-même.

Nous pouvons en ressortir blessés, mais pourquoi serait-ce de l’humiliation, sauf incapacité à mettre notre ego de côté? L’humilité est le moteur démocratique de l’Histoire, l’agent de transformation effective des valeurs, c’est-à-dire de création, le véritable agent de changement des choses.

 

Dans toute humiliation il y a une révélation pour soi et pour autrui, celle du décalage entre ce que nous prétendons être et ce que nous sommes vraiment. On comprend avoir été mis à nu, ce qui peut être juste et bénéficiaire pour soi, si l’on comprend avoir dépassé les bornes, en osant s'élever au-dessus des autres en prétendant leur être supérieur tel Icare approchant du Soleil et se brûlant les ailes. L'humilié passe des airs au sol, il retombe au niveau de la terre, de l'humus, et retrouve son humilité.

 

Mais il semble que nous n’en voulons pas et préférons n’y voir que de l’humiliation.

Comme l’écrit Pascal Bruckner: « la moindre contrariété peut s’assimiler à une violation de l’intégrité personnelle ».

Nos sociétés, qui se pensent à l’abri de tous risques intérieurs, malgré ce qui se passe « à l’extérieur », ne considèrent plus l’humiliation que comme une blessure émotionnelle qui fait référence à une altération de la confiance en soi et du sentiment de pouvoir être aimé : celle de se sentir imparfait, alors que l’humain se définit justement par ses « imperfections ».

 

Aujourd’hui, se sont mis en mouvement d’irresponsables machines à broyer les savoirs, des falsifications et des mensonges, des argumentations critiques des situations sociales et des normes éthiques ou déontologiques, qui, vissées, fixées sur le système de références inamovible que ces mouvements ont subjectivement créés, empêchent la possibilité d’une analyse la plus objective possible, des faits.

La progression de l’individualisme, les mouvements identitaires, sont à l’origine de ces nouvelles formes d’humiliations et de dévalorisations, qui posent question, éprouvées par soi, infligées à l’autre, diffuses, insidieuses, imperceptibles, sans auteurs repérables, mais causant des souffrances, en tendant à effacer le sujet dans sa qualité même d’individu.

 

Nous vivons « en direct », la mise en place de nouveaux référentiels qui divisent au lieu de réunir, produits par groupes identitaires, des communautés, qui se veulent détenteur de la vision vraie de l’histoire et de la réalité contemporaine. Leur vérité est LA seule vérité, et ils en sont les champions exclusifs!

 

Ils veulent obliger l’individu à s’adapter aux exigences d’un système de références, permettant, à la fois, d’accentuer les possibilités d’humilier et les sentiments d’humiliations. Chaque individu y est plus aisément isolé, privé de repères, de contacts et, ainsi perdu, impuissant, profondément désorienté, et dans l’incapacité psychique de s’associer à d’autres.

Blessés profondément dans leur personnalité, ils ressentent alors la peur de ne pas être parfait, ou la peur de faire honte à leur entourage. Blessure qui les fait vivre indéfiniment dans la « culpabilité », la victimisation, et les empêche de vivre l’instant présent et de l’apprécier totalement.

Ce qui les oblige aussi, à montrer en public un décalage entre ce qu’ils sont vraiment et ce qu’ils doivent paraitre. Une auto-humiliation, en quelque sorte !

 

Le "wokisme", qui décrit « l’éveil » d’une conscience militante des injustices en tout genre, est imprégnée par cette idée que chacun de nous appartient à un groupe défini par son genre, sa race, son origine ou son ethnicité, que nos opinions alors peuvent être prédites selon le groupe auquel on est rattaché, ce qui laisse peu de place à la liberté de penser et de s’exprimer. Ce qui constitue une société, ce sont des groupes plutôt que les individus eux-mêmes.

Ce qui va à l'encontre de cet idéal, que, dans une société juste, vous êtes jugés pour ce que vous êtes en tant que personne, et non en fonction de votre couleur de peau, ou de votre sexualité. C'est un mouvement qui ne repose pas sur des faits, mais sur leur interprétation par rapport à leur propre système de références, sans en interroger la valeur et la pertinence générale.

Au lieu d'améliorer réellement la vie de minorités humiliées, on préfère détruire des statues et exclure, par la « cancel culture » des personnes dont on n'apprécie pas les opinions. Les idéaux d'égalité, de droits humains universels destinés à réduire les discriminations en essayant de comprendre et de corriger les causes des discriminations, sont écartés.

 

Ainsi, de plus en plus d’individus se sentent plus ou moins de manière justifiée, victimes d’humiliations, du fait même de leur appartenance à l’un de ces groupes, de plus en plus nombreux, dont l’investissement dans leurs référentiels devient alors encore beaucoup plus fort, et plus virulent.

 

Mais pourquoi donc, toutes ces situations sont-elles alors qualifiées et ressenties comme de l’humiliation?

La réaction pourrait en être la colère, la stupéfaction ou même l’amusement, le refus de l’injustice provenant de cette humiliation en contestant les critères qui en sont à l’origine, en contestant les références qui en sont à l’origine, en confrontant ces nouvelles formes de domination à leur servilité à leur forme de pensée.

Ce qui pourrait donner leur chance à des idées plus nobles, plus humaines, au nom de la raison qui nous habite, au lieu d’en créer d’autres aussi stupides. Et de placer tout ce fatras d’émotions dans la catégorie de l’humiliation, qui enferme, mais donne consistance à une catégorie inutile, l’humiliation, qui enferme dans le ressentiment et le conflit.

N.Hanar

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Pourquoi prendre des risques ?

 

Notre environnement présente de multiples difficultés de survie pour l’humain, ce singe nu. Il ne les surmonte que par sa capacité à contrôler son milieu et à se contrôler, parce qu’il n’accepte pas que sa vie soit: on nait, on survit plus ou moins longtemps et plus ou moins bien aux dangers extérieurs et à ceux que peuvent présenter autrui, et on meurt. Il n’a fait que travailler à vaincre ou à transformer la nature, ses besoins, ses instincts, tout ce qui le contraint. Il n’a fait que rechercher, pour sa sécurité, à laisser peu de place à l'imprévu, à l’incertitude, à l’aléa, au hasard et donc à maîtriser, par son intelligence, tout ce qui pouvait présenter un risque, qui se défini comme la probabilité que survienne un événement indésirable, une difficulté imprévisible, ou même un péril mettant l’existence en danger, éventualité associée à la conséquence supposée de l'exposition à ce danger. C’est pourquoi le terme « risque », s’accompagne encore d’une connotation négative qui l’associe à péril, menace, inconvénient, et dangers.

Or, si l’exposition à un risque ouvre bien à la possibilité de se mettre en danger, et que, pour vivre dans un milieu qui se révèle parfois hostile, on n’échappe pas à s’y exposer, il ne faut pas oublier que le résultat de la prise de risque peut tout autant déboucher sur une amélioration des conditions de vie ou sur un bienfait.

C’est pourquoi, bien qu’étant conscients que dans toute situation, dans toute activité, dans tous les aspects de la vie, dans la sphère privée, comme dans le domaine public, un éventuel danger, plus ou moins prévisible, plus ou moins grand, peut se présenter, nous n’hésitons pas à en prendre.

 

Nous recherchons toujours notre sécurité en nous protégeant, mais nous portons en nous une contre-tendance qui nous fait grimper au sommet des montagnes et descendre au fond des grottes, et tenter régulièrement le saut dans l’inconnu, d’autant que certains risques nous paraissent faibles, maitrisables, voire quasi nuls. L’humain est animé par un sentiment de curiosité qui l’ouvre à la connaissance.

 

Mais entre le risque que prend un joueur pour s’enrichir et la prise de risque que constitue l’acceptation des risques technologiques, il n’y a pas grand-chose de commun, à part le fait qu’ils sont d'origine anthropique: nous sommes à l’origine de ces prises de risque, qu’il s’agisse du risque nucléaire, du risque industriel ou agricole: il nous faut de l’électricité et des centrales nucléaires (et même les barrages peuvent se rompre), pour fabriquer ce dont nous pensons avoir besoin, construire pour nous protéger des éléments, cultiver pour nourrir le plus d’individus au risque de nous empoisonner, etc…..

Bien entendu, nos décisions peuvent être faussées par nos « savoirs sociaux », et probablement des « biais cognitifs »n qui font paraitre nécessaires ces prises de risques. Le « biais de disponibilité », par exemple, fait que les événements les plus récents sont plus disponibles dans notre mémoire, comme un accident d’avion ou un attentat, et vont prendre le pas sur les risques d’un accident domestique ou de la circulation, statistiquement bien plus élevés. C’est pourquoi nous les prenons, alors que nous sommes conscients que prendre des risques peut dépendre ou ne pas dépendre de notre propre volonté, et provoquer des pertes, des dommages, des blessures (de l’âme ou du corps) ou même la mort.

 

Le sociologue allemand Ulrich Beck [1944-2015] (dans un ouvrage paru en 1986, La société du risque), l’a bien montré: le risque [le plus fréquent] n’est plus l’aléa imprévisible, l’effet de causes externes, mais le produit de notre activité et de nos calculs. Le risque est devenu, selon son expression, le « passager clandestin » de la science. Beck a observé une « rupture à l’intérieur de la modernité»: la « religion du progrès », considérée comme créatrice de richesses est remise en cause et désormais vue, aussi, comme génératrice de menaces, de dangers, d’atteintes à la santé et à la sécurité. Alors s’est ouverte la rassurante question de la « gestion du risque », censée nous permettre d’en prendre, avec confiance dans la capacité de la science et de la technique, à les maîtriser. Bien que, dans le même temps, la connotation négative du risque s’est accrue, le rendant susceptible de porter atteinte à des enjeux humains, environnementaux, économiques ou culturels.

Un exemple typique de risque vis-à-vis de la société civile est celui du nucléaire, et de la réaction qu'eurent certaines autorités, en France notamment, par rapport à l'accident de Tchernobyl ou lors de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse. Les erreurs de communication furent évidentes, et entraînèrent une suspicion, qui s’est étendue au domaine de la santé, à celui de l'utilisation de produits dangereux ou polluants. La mise en avant d’un « principe de précaution » n’y a rien changé.

 

Chacun pense toujours qu’en décidant de prendre des risques, ses actions sont fondées sur des critères rationnels: alors il vote pour la stratégie politique qu’il pense être la meilleure, s’engage en  amour, choisi un métier, défend une croyance, etc…. Ainsi, il s’aventure sur un chemin, en pensant avoir pris en compte les risques qui pourraient en résulter, malgré l’obligation d’adopter une conduite, avec les contraintes, librement acceptées, qui y sont associées, mais qui ne dépendent pas de lui et dont la complexité ne permet pas une vision précise des conséquences sur sa vie.

Mais il faut bien agir, parce que « si nous attendions toujours d’avoir les arguments justifiant que nous sommes en train d’effectuer le bon choix, nous n’agirions jamais. [écrit Charles Pépin].

 

Nous savons bien qu’en nous lançant, les conséquences de nos actes ne correspondent pas toujours à nos souhaits et à nos intentions, aussi bonnes soient-elles. On dit souvent que l’on s’engage « tête baissée », certains de prendre la bonne décision, dans une action qui, pourtant, inclut l’incertitude de son résultat. Tout engagement relève donc d’une logique du risque: toutes les conséquences de nos actions ne sont pas prévisibles, et on ne peut être certains d’être capable de les mener à bien : l’avenir ne peut être prévu.

Descartes prend l’exemple ces voyageurs égarés en forêt, qui, au croisement de deux chemins dont ils ignorent l’issue, n’ont rien de mieux à faire que de « s’engager » sur l’un des deux, sans hésiter « car au moins ils arriveront à la fin quelque part, où vraisemblablement, ils seront mieux que dans le milieu d’une forêt ». Ils étaient libres de choisir un chemin différent.

Mais c’est un pari sur l’avenir, une prise de risque, parce que choisir un chemin, c’est prendre le risque de s’y perdre. C’est bien un pari que l’on pense gagnant, mais un pari quand même, qui va structurer des comportements personnels, destinés à « gagner le pari ».

C’est même un  pari « Pascalien »: s’engager dans une voie, parmi toutes les perspectives possibles, le conduira vers ce qu’il espère de l’existence si cela fonctionne, et, en cas c’échec, il ne perdra rien, parce qu’il ne restera pas enfermé dans une voie, une vie, qu’il n’aura pas librement choisie.

 

La sensation de prendre un risque est un phénomène très subjectif, voire irrationnel, lié à la façon qu'a un individu de percevoir une situation dans son environnement, ce qui dépend pour une bonne part du capital culturel de l'individu et de ses intérêts, et ces perceptions diffèrent nécessairement d'un individu à un autre.

De plus la prise de risque s’accompagne d’une stimulation face au danger ou face au profit espéré qui en sera retiré, qui s’accompagne d’une montée de dopamine (l'hormone du plaisir immédiat).

« Qui ne risque rien n'a rien », terrasse “Qui ne risque rien... ne risque rien !”.

Nous prenons des risques parce que le risque est inhérent à l’humain et que, de toute façon, toute entreprise humaine comporte des risques. Même si nous souhaitons maîtriser rationnellement notre l’existence, [selon Max Weber], celui d’entre nous qui monte dans un tramway ou dans un avion, ou qui utilise un téléphone portable, n’a aucune notion du mécanisme qui permet à ces techniques de fonctionner. La croyance dans le prévisible n’anéanti pas l’imprévisible et l’irrationnel

 

La semaine dernière, nous avons évoqué la résilience qui constitue une des occurrence de l’acceptation de la prise de risques. Nous connaissons tous pléthore d’exemples d’individus, de sociétés, de systèmes, de communautés, ayant été exposées à des risques, en ayant été blessées, traumatisées, qui ont su les absorber, en restaurant leurs structures fondamentales et essentielles, mentales ou morales, bien qu’elles ne soient plus les mêmes après ce qu’elles ont subi. La résilience n’est pas une digue qui résiste aux chocs, qui élimine tous les risques de l’existence, ni ce qui en limite les effets. Elle est une capacité d'adaptation, qui n’est pas un retour à un état initial, mais une capacité de récupération ou de régénération d'un organisme, d’un individu ou d'une population, comme l'aptitude d'un écosystème à se reconstituer à la suite d'une perturbation (la reconstitution d'une forêt après un incendie, par exemple).

La définition proposée par des psychologues dont Cyrulnik: « Capacité d'une personne ou d'un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l'avenir en dépit d'« événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes sévères ».

Alors penser que l’on peut rebondir de tout et de n’importe quoi, est une idée qui nous fait plaisir et qui suscite de l’espoir. Alors, pourquoi ne pas prendre de risques ? Or (selon le psychanalyste Serge Tisseron), « le risque avec la notion de résilience, « c’est de finir par croire qu’il y a toujours une possibilité de se dégager d’un traumatisme, que tout est possible ». Alors que « lorsque quelqu’un a souffert très tôt dans son enfance, personne ne peut lui enlever cette épine et se dégager de sa souffrance.

 

C’est pourquoi nous prenons des risques même si nous pouvons en souffrir encore et toujours, mais nous les prenons parce que les tendances contraires coexistent et que le déséquilibre est nécessaire à la recherche d’un équilibre, qui reste mobile. Sans ce déséquilibre, l’humain n’invente plus. La création, même celle d’un avenir souhaité, est un processus qui se nourrit d’invention et d’imprévisible.

Considérer le monde à travers le verre réducteur de nos propres croyances, de nos savoirs, s’accompagne d’un sentiment séduisant de familiarité avec le monde. Mais accepter son caractère incertain, et même accepter volontiers notre échec à le connaître entièrement, est fondamentalement déstabilisant. Il faut du courage pour dire : « Je sais que je ne sais pas! », un courage à montrer face à la prise de risques!

Penser que tout n’est pas déterminé est la condition sine qua non de l’action, c’est le fruit de la liberté et des risques à prendre. D’où, à la fois une forme d’anxiété, mais inversement la conscience de l’immensité des opportunités offertes aux individus, pour se fixer un cap dans une vie qui peut prendre toutes sortes de directions. «Nous vivions dans l’incertitude, maintenant nous vivrons dans l’espoir», disait Tristan Bernard.

 

Le risque est donc une notion difficile à cerner, mais, s’il s’accompagne d’une contingence indésirable, que l’on peut croire relativement anodine et peu probable, il est excessif de l’assimiler toujours à un danger.

Vivre c'est (s') affronter (à) de multiples risques, naturels et technologiques, sanitaires ou écologiques, économiques ou sociaux. Mais vraiment vivre, oblige les Humains « à arbitrer entre eux et agir pour échapper en priorité à ceux qu'ils craignent le plus, quitte à s'exposer à d’autres » et à questionner, par exemple, l'arbitrage nécessaire entre le principe de précaution et le développement des sciences et techniques ou encore entre les mécanismes étatiques de protection des citoyens et les libertés individuelles.

 

Le risque est la coexistence d'un aléa imprévisible et d'un enjeu espéré. Lorsqu'une personne prend un risque, elle entreprend une action avec un espoir de gain et/ou une possibilité de perte, qu’il s’agisse de jeu, de climat, ou de finance. Toute situation, toute activité peut produire un événement profitable ou dommageable. On prendra donc un risque ou pas, en fonction de l'évaluation que l'on fait de la situation, sachant que la perception du risque peut être entravée ou amplifiée par des facteurs subjectifs, propres à chaque être humain, et même par des facteurs culturels ou conjoncturels propres à des communautés humaines.

 

En fait, nous cherchons à évaluer les risques sous l’angle quantitatif, parce qu’on ne peut mesurer que des quantités: quel est le coefficient d’échec ou de réussite possible ? L’effet qualitatif, lui, relève d’une intentionnalité, donc de quelque chose de diffus, d’un ressenti qui ne peut être objectivé, et qui ne pourra être appréhendé qu’après ce qui est advenu et certainement pas à partir de ces algorithmes qui ne font qu’entretenir nos certitudes.

 

[Selon Martin Legros dans Philomag]- En 1885, Paul Gauguin a 33 ans. Cet ancien lieutenant de la marine reconverti dans le monde des affaires s’est découvert une passion pour la peinture, mais il ne parvient pas à en vivre et encore moins à subvenir à l’entretien de sa nombreuse progéniture. Il décide d’abandonner sa femme et leurs cinq enfants pour se consacrer à son art et s’imposeracomme l’un des plus grands peintres de la modernité. Certains, y voient un cas typique de l’irresponsabilité de l’artiste, prêt à tout sacrifier pour sa réussite. D’autres admirent la force de caractère de celui qui se prive de ce qu’il a de plus cher pour répondre à l’appel de l’œuvre. Or, au moment où il fait son choix, Gauguin ne sait pas s’il deviendra ou non un grand artiste. Il ne met pas en balance sa famille et son œuvre, puisque l’une n’existe pas (encore) au moment où il abandonne l’autre. Si Gauguin n’était pas devenu Gauguin, il serait resté pour la postérité un artiste raté doublé d’un père indigne. La valeur de son choix n’est que rétroactive, et ne dépend pas seulement de ses intentions, mais également de la réussite ou de l’échec de ses entreprises? Gauguin aurait pu ne pas devenir ce qu’il est devenu, mais il l’est devenu. Et cela change tout. Sa prise de risque n’est justifiée par son succès ! L’avenir rétroagit sur le jugement que l’on porte sur son action. Mais, dès lors que le jugement change en fonction de ce qui survient après l’acte, ne survient-il pas toujours trop tard ? C’est ce qui explique pourquoi nous prenons des risques : nous parions sur le fait que l’avenir nous sera favorable ou sur le fait que la sanction sera repoussée : « la morale est soumise au hasard d’une façon étroite et gênante ».

 

“Risquer sa vie” est l’une des plus belles expressions de notre langue », écrit Anne Dufourmantelle. C’est une manière salvatrice d’être au monde. Refuser le risque, c’est refuser de vivre. La consommation d’anxiolytiques, l’acceptation de chemins tracés par avance nous ensevelissent vivants dans la torpeur. Garder le hasard, les accidents, la peur, l’inconnu dans sa ligne d’horizon, permet de faire advenir un événement. Quelque chose d’inespéré, la promesse d’être métamorphosé. « Plus vivant qu’avant ».

 

Alors qu’aujourd’hui, selon Étienne Klein, notre rapport au risque s’est complètement inversé : il n’est plus perçu comme le prix à payer pour faire advenir le mieux, mais plutôt comme le symptôme d’un dérèglement général à corriger, voire comme l’annonce tangible des apocalypses futures. Il faut dire que l’avenir se dit désormais dans les mots les plus sombres, au point que d’aucuns se prennent à rêver que nous avancions vers l’arrière. [Décroissance] Le risque n’est plus considéré comme acceptable, car lié au développement du progrès, mais s’est peu à peu coloré négativement au point de qualifier une exposition désormais illégitime.

Ce n’est plus inventer un autre monde, ce qui serait un objectif exaltant, mais pour empêcher le délitement de l’actuel, ce qui est nettement moins grisant ». [ ] « Notre société en est ainsi venue à viser une sécurité maximale : elle tente de réduire autant que faire se peut les risques qui y sont encourus. Mais cette recherche d’un accroissement permanent de la sécurité implique des innovations qui elles-mêmes induisent de nouveaux risques, engendrant ainsi une dynamique sans fin.

 

C’est bien pourquoi, selon David Le Breton: il nous faut “Risquer pour vivre plus” - Pour le sociologue : «Le risque, que nos institutions combattent dans de multiples domaines, procure, s’il est librement choisi, une opportunité de vivre à contre-courant, de se ressourcer, d'échapper à l’ennui en intensifiant le rapport à l'instant grâce à une activité enivrante. Il est un chemin de traverse pour reprendre en main une existence livrée au doute, au chaos ou à la monotonie. S’il est contrôlé, il est une manière délibérée de mettre en valeur le meilleur de soi [ ] une sorte de réserve où puiser du sens, rehausser un goût de vivre défaillant ou parfois même le retrouver après l'avoir perdu. Il touche des individus socialement bien intégrés mais qui s’efforcent de fuir la routine, la sécurité d’une existence trop bien réglée. Mais d’autres aussi en porte à faux avec le monde, par désarroi intérieur ou déroute économique et qui n’ont rien à perdre. [Contre l’idée “Qui n'a rien, ne risque rien.”] La prise de risque alimente une intensité d’être qui fait défaut d’ordinaire. Elle est une manière de briser les routines d’existence, une tentative d’évasion, « ouvrant ainsi à l'homme l'ensemble des dimensions de son rapport potentiel au monde ».

La prise de risque ne se fait pas en réelle « connaissance de cause », mais en connaissance assumée, d’une volonté d’existence pleine et entière, et c’est pourquoi nous en prenons. Comme le disait Jean Pierre Elkabbach : « Osons ! »

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NOTE

  

Une étymologie en débat - Le mot « risque » vient du mot italien « risco ». Son étymologie est objet de controverses : latine (risicum), byzantine (rizikon), romane (rixicare) ou arabe (rizq)... les spécialistes s’interrogent. Les théories les plus communément admises font dériver ce terme italien du latin médiéval resecare qui signifie « couper » ou de l’arabe rizq, « don de la providence divine ».

OU une origine méditerranéenne

Le mot « risco » ou « rischio », utilisé depuis le XIIIe siècle par les notaires et marchands italiens, avait un sens précis en rapport avec l’assurance des biens dans le cadre d’expéditions commerciales. Il désignait « le risque encouru par une marchandise transportée par voie maritime ». C’est avec cette signification que le mot « risque » entre en usage en France à partir du milieu du XVIe siècle, d’abord au féminin. Le sens donné à ce terme dès la première moitié du XVIIe siècle, « péril dans lequel entre l’idée de hasard » (Littré), associe la notion de « danger » et de « probabilité » qui fonde la conception moderne du risque.

N.Hanar

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risque
pardonner

Pardonner, est-ce oublier?

 

J’avais une bonne définition de l’oubli…….mais je l’ai oubliée…..Cette définition est quelque part, perdue dans des limbes de ma conscience et ne me revient pas à l’esprit. Cette défaillance, de ma mémoire, comme celle de mes souvenirs, montre bien ce qu’est l’oubli le plus fréquent, l’oubli involontaire.

Or, la question qui nous est posée, « Pardonner, est-ce oublier? »,  concerne une forme d’oubli volontaire. Il peut s’agir de l’oubli imposé par la volonté politique d’une société, ou d’une communauté, qui souhaite éliminer de la mémoire collective, ce qui pourrait contrarier une idéologie dominante, ou, plus simplement, veut effacer certains événements de l’histoire collective, afin de conforter une unité nationale.

L’oubli peut aussi résulter de la volonté individuelle d’empêcher des événements subis dans le passé, de nous priver de vivre pleinement le présent. L’oubli alors n’est pas ni défaillance de la mémoire, ni une décision politique, mais une force de notre propre volonté, qui veut savourer la vie, et nous permettre d’être heureux. (C’est la position de Nietzsche, dans sa Seconde Considération intempestive, en 1874).

Dans tous les cas, la fonction de l’oubli est de mettre en œuvre une situation de rupture avec une histoire collective ou individuelle, avec un chemin de vie, social ou personnel. N’empêche que, comme pour l’oubli involontaire, des traces, coriaces, n’en subsisteront pas moins.

 

Quant au pardon, il est ce qui est accordé à celui ou à ceux qui nous ont offensés, blessé, meurtris, abimés ou mutilés, et que l’on renonce à punir, alors qu'on les juge punissables, en parvenant à vaincre tout ressentiment. Le pardon a en commun avec l’oubli, une rupture avec les faits et avec leurs conséquences, rupture qui permet l’ouverture d’un autre chemin

 

Quelles que soient les diverses «étymologies» du mot pardon, trouvées un peu partout (1), disons plus simplement, que « perdonare » latin, désigne ce que l’on accorde « à travers » (par) un don. C’est là un don sans contrepartie, sans échange, sans contre-don, ce Potlatch que décrivait Marcel Mauss (« Essai sur le Don »): si, un don, nécessite un don en échange, cela provoque une spirale du don, ce qui ne répond pas à la fonction originelle pacificatrice du don, mais à de la surenchère, allant autrefois jusqu’à la destruction des objets échangés. Ce qui ne correspond pas à la pacification relationnelle recherchée pas le pardon.

Dans les Misérables Monseigneur Myriel déclare aux gendarmes qu’il a lui -même offert les chandeliers à Jean Valjean. Il espère ainsi réveiller la noblesse d’âme dans le cœur du forçat. Ce pardon est un véritable don que ni Mgr Myriel, ni Valjean n’oublieront jamais, mais qui offre de plus à Valjean, les conditions d’un nouveau départ. Comme l’écrit Comte Sponville : « pardonner, ce n'est ni oublier ni effacer; c'est renoncer, selon les cas, à punir ou à haïr, (à tirer vengeance) et même, parfois, à juger.

 

Selon Hannah Arendt,  toute action est irréversible: « on ne peut défaire ce qui a été fait ». Le pardon suppose l’antériorité d’un acte qui a brisé un engagement moral, manifesté une réelle indifférence à l’égard de l’autre, quand ce n’est pas une volonté délibérée de nuire.

Mais, « par le pardon, est ouverte la possibilité de ne pas rester prisonnier du passé. Il casse un enfermement pour les affaires humaines et pour soi. Il brise la loi de l’historicité irréversible des événements de la vie ». Le pardon est créateur d’histoire, donc créateur de vie contre les enfermements dans le passé qui ruinent les relations humaines et la relation à soi.

Il est même bon de se pardonner à soi, afin de rechercher une quiétude spirituelle, une forme de bonheur, qui, lui, dépend aussi en grande partie de la qualité des relations que l’on entretient avec l’environnement proche. Se pardonner à soi ne peut se faire sans pardonner aux autres, en oubliant les griefs, les offenses et les meurtrissures qu’ils nous ont fait subir. Mais il n’est nulle part, question d’effacement, d’oubli !

Bien au contraire la présence, la conscience de ce qui fut blessant est nécessaire pour que le pardon soit.

 

Cette présence n’a pas à être permanente, obsessionnelle pour que la vie puisse se dérouler paisiblement.

Il y aurait un « quelque part », qui ne les laisse pas apparaitre en permanence à la conscience, selon la pensée de Sigmund Freud, (Malaise dans la culture en 1929): « Rien dans la vie de l’âme ne peut disparaître de ce qui s’y est une fois formé. » Ce qui est oublié n’est que refoulé, si bien que pour éviter les retours douloureux du passé, il est nécessaire de l’investir et de le reconstruire afin qu’il n’entrave pas nos projets.

Parce que, si rien n’est oublié, on peut se retrouver dans ce que Jorge Luis Borges décrit : le cas d’un homme qui n’oublie rien, une hypermnésie qui « l’empêche d’agir et le plonge dans une incurable mélancolie ». (Funès ou la Mémoire en 1942).

  • *          *          *          *          *

Peut-être que pardonner, après avoir subi une épreuve, n'entre pas dans les capacités de chaque être humain, certains étant plus attirés par la vengeance que par le pardon, avec l’impression que l’oubli de l’offense ne pourra intervenir qu’après une réaction le mettant en égalité avec l’autre (œil pour œil).

 

C’est pourquoi nos sociétés, qui encadrent la vie collective estiment que le pardon n'intervient qu'après l'exercice de la justice. Comme la faute ne peut pas être oubliée, rendre justice doit être une priorité pour l'édification d'une société viable et heureuse. La justice sanctionne et puni, mais le « pardon » qu’elle accorde ne contribue pas à l’oubli de la faute mais participe à briser la dette en renonçant à celle-ci (et notamment la vengeance). Ce pardon de la justice, n’efface pas les traces des actes de la mémoire, mais les préserve tout en les délivrant de leur caractère pervers et obsédant. Il n’est pas question d’oubli.

 

Le pardon n’est alors pas l’absolution qui efface la faute, ni l’oubli qui serait une infidélité à la réalité.

D-ailleurs, nos lois morales, notre Code civil, découlent de cette volonté de permettre et de structurer un « vivre ensemble juste, et cela depuis au moins, les 10 commandements, qui se retrouvent, sous une forme ou une autre, dans la « déclaration des droits de l'homme et du citoyen».

 

En fait, ce qui est à pardonner a eu lieu et se situe donc dans le passé. Comme ce qui nous a modelés: l’éducation reçue, les habitudes contractées, ce qui nous a été favorable et ce qui nous a été hostile.

Pourrait-on vraiment oublier tout ce qui nous a été hostile, pour nous construire avec ce qui nous a été favorable ? L’humain se définit autant par ses manques, ses échecs et ses souffrances.

Ces enseignements du passé pourraient nous manquer, car l’amnésie volontaire (est-elle possible ?) incite à commettre les mêmes erreurs, à répéter les tragédies de l’Histoire.

Pourrait-on vraiment choisir de ne garder que ce qui nous semble utile et repousser ce que nous pensons pouvoir nous empêcher d’être libres et créatifs, alors que nous n’avons aucune connaissance de l’avenir !

 

Pour Paul Ricœur, (dans « La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli ») pense que s’il y a un devoir de mémoire, il y a aussi un droit à l’oubli. Le passé doit être l’objet d’une « mémoire heureuse », c’est-à-dire « apaisée » : celle d’un homme ou d’un peuple capable de pardonner les souffrances vécues. Ce qui doit passer par le pardon, qui est ainsi ce qui permet de préserver la connaissance nécessaire du passé, parce que, s’il ouvre le droit à l’oubli, ce n’est pas celui des actes qui ont eu lieu, mais de leurs conséquences.

L’avenir est ainsi possible parce que le passé subsiste en lui, le futur ne pouvant se fonder sur rien, s’il est pur de toute trace du passé. (2)

Pour Arendt (1906-1975), le pardon est même la condition de la liberté : en se déliant mutuellement il permet de : « supprimer les actes du passé » et de libérer « des conséquences de l’acte à la fois celui qui pardonne et celui qui est pardonné ». (« Libérer », pas oublier !)

 

En 1967 Wladimir Jankélévitch publie Le Pardon.

Une de ses phrases est essentielle pour notre sujet: "Pardonner est un effort sans cesse à recommencer et personne ne s'étonnera si nous disons que l'épreuve est dans certains cas, à la limite de nos forces."

Lorsqu’il dit « sans cesse à recommencer », il écarte l’idée même de l’oubli.

Même si la blessure de l’Holocauste ne se rouvre que de temps en temps, il écrit, à propos des cérémonies qui demandent pardon, que « le pardon est mort dans les camps de la mort ». Parce qu’alors, nous parlons à la place des morts qui ont été privés à jamais de toute parole et les ferions taire ainsi définitivement, les plongeant, cette fois, dans l’oubli

.

Peut-on pardonner à Pol Pot, à Eichmann, ou à Staline, alors que la justice humaine, (peut-elle briser la dette ?), autant que la morale humaine est prise de court, incapable d’être à la hauteur par ses sanctions des abominations commises.

Parce qu’il s’agit de négations de l'égalité ontologique de tous les humains, ces « crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, impardonnables et ne peuvent être purgés »: l'alibi du temps n’a pas d’influence sur eux, parce qu’ils se dirigent contre l’humanité même.

 (Vladimir Jankélévitch est aussi l'auteur d'un petit volume posthume intitulé : "L'Imprescriptible" (éd.du Seuil, 1986) et deux fois sous-titré : "Pardonner ? Dans l'honneur et la dignité »).

)

Et pourtant, l'offensive révisionniste en France, le retour politique du racisme, à peine caché, dans notre pays, et bien entendu les tragédies bosniaque et rwandaise, la répression des Ouïghours par le régime chinois, celle à l’encontre des Rohingyas en Birmanie, et bien d’autres, comme l’actualité de ses dernières heures, montrent que nous n'en avons pas fini avec le "crime insondable".

Nous sommes toujours et encore en présence de crimes qui visent à supprimer "l'existence de l'Autre", non pas "en tant que tel ou tel" mais en tant qu'humains, des crimes contre l'humanité.

C’est ainsi que contre les populismes, les crimes politiques, il s’agit de rappeler l’horreur des crimes commis dans l’Histoire, mais aussi les dégâts de l’esclavagisme et des colonisations, ceux de l'État islamique qui procède à la destruction organisée du patrimoine culturel des territoires qu'il contrôle en Irak, en Syrie et en Libye. Ne pas les oublier, dans cette masse d’informations et de désinformations, afin de ne pas créer les conditions de leur répétition et de permettre un avenir démocratique durable.

Comme le veut Jorge Semprun : « Oublier, non! Il faut se souvenir de tout pour pouvoir pardonner. Il faut que la mémoire soit très forte, très précise, si on veut pardonner vraiment »

 

Nietzsche pourtant, en appelait à l’oubli, « qui rend plus fort et plus vivant ». (La “Seconde Considération intempestive”). Il y a, pour lui, la nécessité pour l’homme de se libérer de son passé, invisible fardeau qui le pousse au malheur et à l’inaction. L’oubli serait une vertu essentielle à notre vie: ne peut s’ouvrir un avenir heureux que celui qui parvient à se vider la tête !

Peu importe que le contenu de la connaissance historique soit vrai ou non, nous devons nous demander ce que ce savoir fait à la vie. Parce que : « quand l’histoire prend une prédominance trop grande, la vie s’émiette et dégénère ». D’ailleurs, les Grecs l’avaient compris: l’absence à cette époque d’une histoire constituée comme discipline scientifique expliquerait la réussite de leur civilisation.

Mieux vaut, de l’histoire ne pas chercher à en savoir trop et n’en retenir que des modèles de grandeur et de réussite, qui peuvent nous renforcer et nous conduire à nous dépasser, tout en rejetant [oubliant]tant de « choses grossières, absurdes, violentes » qui affaiblissent toute envie de vivre et de se dépasser.

 

La position de Nietzsche, est circonstanciée. Pour des raisons philosophiques, Nietzsche combattait la finalité de tous les idéaux, qu'ils soient religieux, philosophiques ou politiques, qui ont pour but d'inventer un au-delà meilleur que l'ici-bas, d'imaginer des valeurs qui ne correspondent pas au réel, mais à de fausses réalités, empêchant de vivre une vraie vie. C’est envers elles qu’il appelle à l’oubli. Parce que ce n’est pas la réalité. Et ce qui n’est pas vrai, peut être jeté dans l’oubli !

 

C’est différent de ce qu’on fait les Français après la Seconde Guerre mondiale, ayant choisi d’oublier, pour un temps, la réalité de la collaboration, de la pardonner à certains seulement, afin de se relever des horreurs de la guerre, tout en ne retenant que la grandeur de la « Résistance ». Un choix de pardon et d’oubli historique et collectif, mais une attitude créatrice d’une histoire, qui a peut-être permis à la France de rejoindre le concert des vainqueurs.

 

Derrida pense que le pardon ne peut pardonner que l’impardonnable. Sinon, il ne s’agit seulement que d’une stratégie politique, une économie psychothérapeutique », qui n’a plus du pardon que le nom. Elles ne le nécessitent même pas, parce que ce n’est qu’une manière de ne pas s’accrocher, de laisser passer… Mais il ne s’agit pas de laisser faire l’effacement, de laisser faire l’usure du temps, sur tous les événements.

Les mises en garde de Derrida préviennent une banalisation de la référence au pardon qui finit par en épuiser le sens et en anéantir la portée. Une amnistie éventuellement justifiée dans un contexte donné, ne relève en aucune façon du pardon, quand elle n’est pas un défi à la justice. Car il importe de rappeler que la sphère politique est d’abord structurée par l’exigence de la justice qui permet de désigner le mal, de nommer le coupable, de sanctionner les délits, donc d’opérer des gestes indispensables pour les victimes et nécessaires en prélude à une réconciliation des parties en cause.

“On confond souvent, parfois de façon calculée, le pardon avec des thèmes voisins : l’excuse, le regret, l’amnistie, la prescription, etc., autant de significations dont certaines relèvent du droit, d’un droit pénal auquel le pardon devrait rester en principe hétérogène et irréductible”

 

Le pardon rompt avec le silence. Il demande une levée de la mémoire, une levée de la parole qui va dire, qui va protester, se plaindre, revenir sur ce qui s’est passé. Qu’il s’agisse du pardon qu’on demande ou du pardon que l’on donne…Le pardon permet une réinterprétation du passé, qui s’appuie sur un oubli fondamental, qui fait partie de notre corps, rempli de choses oubliées, mais qui sont là, en réserve.

 

N.Hanar

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Notes

 

1-Exemple : « Par son étymologie, (pardon vient du latin "per" et "donare": donc "tenir (complètement) quitte d'une dette (morale)", l’annuler, c'est à dire, effectivement, "pardonner" ».

 

2-L’oubli est donc un droit qu’il faut exercer avec intelligence, sans multiplier exagérément les cérémonies du souvenir, qui tendent à masquer les problèmes du présent. A trop vouloir sacraliser le passé, on le rend stérile. Le pardon participe de cette foi en l’avenir sans laquelle il n’y a pas de « mémoire apaisée ».

N.Hanar

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convaincre

Pourquoi avons-nous besoin de convaincre ?

 

Il nous est demandé pourquoi, pour quelle raison, ou plutôt pour quel motif, la raison étant souvent absente d’un motif, nous aurions besoin de convaincre! Parce qu’un besoin, c’est une exigence, qui répond à un manque, ou à un sentiment de manque, que l'être humain considère comme nécessaire à l'existence. Qu’il provienne de la nature (manger, dormir, respirer), ou de la vie sociale, (sécurité, santé, emploi, amour, éducation, reconnaissance..), satisfaire ce genre de besoin est considéré comme nécessaire à la vie.

 

En plus d’avoir des besoins, nous sommes des êtres désirants. Le désir caractérise la différence entre l’humain et les autres objets de la nature, pour en faire un être dénaturé, qui maîtrise mieux son destin. Cette machine désirante qui fonctionne en nous, est sans objet particulier. Elle est pour Spinoza, qui reprend Aristote, l’unique force motrice qui est en nous. C’est cette force motrice désirante que nous sommes, dont nous résultons, qui nous traverse, qui nous constitue, et qui nous anime. Cette force se traduira par la « volonté » (de puissance) » chez Nietzsche et Schopenhauer, pour nous pousser à rechercher notre satisfaction et à produire des constructions révolutionnaires, qui s'insèrent dans le champ social et sont capables de transformer le monde.

 

Aurions-nous alors besoin de convaincre ceux qui ne ressentent pas les mêmes besoins que nous de la nécessité de ceux que nous ressentons, parce que nous ne pouvons vivre qu’avec les autres, et qu’il nous serait impossible de leur permettre de persister dans ce que nous considérons comme erroné?

 

Convaincre, c’est amener quelqu'un, ou un ensemble d’individus, à admettre par des preuves, des démonstrations, ou par un raisonnement objectif irréfutable, qu’un fait ou une idée sont vrais et/ou nécessaires. Pour ce faire, nous empruntons souvent le chemin de la logique et de l’argumentation, afin de vaincre la résistance de l’autre. Mais il ne suffit pas de le persuader, ce qui maintient en lui ses idées propres, mais d’obtenir une adhésion, pleine et entière de sa raison, à notre thèse.

Les parents persuadent leur enfant que le père noël existe alors qu’ils ont la conviction qu’il n’existe pas.

Le besoin de la démarche de convaincre, qu’elle réussisse ou non, nécessite que l’on soi, soi-même, convaincu, c’est-à-dire sincèrement persuadé de la justesse de ce que l'on pense, de notre opinion, ou de la validité de notre sentiment de connaitre la vérité d'un fait, d’un savoir ou d’une science. Alors, nous éprouverions le besoin de manifester cette certitude, afin d’éviter aux autres de se tromper de chemin.

 

Mais, nous pouvons avoir d’autres motifs de convaincre, qui correspondent à d’autres types de besoins, que nous pouvons trouver tout autant nécessaires, qui s’expriment à travers la séduction, le désir de pouvoir politique par conviction ou par opportunisme, ou la volonté de faire fortune quitte à exploiter les faiblesses de certains au niveau du travail ou du consumérisme, etc…

Ces deux démarches utilisent toutes deux l’éloquence,  cet art de convaincre et de séduire par les mots, par des démonstrations plus ou moins orientées, un savoir-dire qui provoquera la curiosité et l’adhésion, une efficacité pédagogique, qui associera le savoir, le savoir-dire et le savoir-faire. C’est conforme à la formule de Spinoza, "nous ne désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne, mais au contraire nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous la désirons."

 

L’essentiel, du besoin de convaincre, est donc moins dans ce que l’on sait, que dans ce que l’on veut faire savoir, lorsqu’on instruit ou informe quelqu'un.

Or, lorsque l’on est convaincu de la pleine connaissance de quelque chose, d’un savoir ou d’une évidence, et que l’on ressent le besoin d’en convaincre les autres, il est essentiel de commencer par s’opposer à ses propres certitudes, ses croyances ou à sa foi, jusqu’à «une pensée ou un fait qui rende le doute impossible, sur une question donnée, sauf à douter de tout » (Comte Sponville). C’est cela philosopher!

 

-Le besoin de convaincre peut alors s’effacer par la mise en réflexion du préjugé, qui est une croyance non raisonnée, une opinion préconçue, un parti pris, une idée reçue. Il est imposé à l’esprit par le milieu, l'époque, l'éducation, la tradition, et se croit indubitable parce qu'universellement imposé. Le préjugé compense l'absence de repères, permet de s'agripper à des "certitudes" établies, mais enferme le savoir, le nôtre et celui des autres, dans une image du monde dont nous ne sommes que convaincus.

-Le besoin de convaincre peut aussi s’effacer par la mise en question de la preuve, qui n’est que ce qui fait apparaître un fait ou une pensée, qui suffira à attester la vérité d'un autre fait ou d'une autre pensée, au moyen d’indices, d’éléments matériels, expérimentaux, ou d'arguments.

Or certaines preuves peuvent aussi se fonder sur des raisonnements aussi absurdes que logiques :

Pourquoi disposes-tu des passoires dans ton salon. ? - Pour chasser les éléphants

Mais il n’y a pas d’éléphants en Alsace ! – La preuve, ça marche.

D’autres preuves peuvent être statistiques : 35 % des accidents sont provoqués par des conducteurs ivres.

Donc 65 % sont provoqués par des conducteurs n’ayant pas bu.

La plupart des gens meurent dans leur lit, alors je dors sur le canapé.

 

Préjugés, présupposés, certitudes enferment le savoir, éliminent artificiellement les incertitudes, qu’elles soient économiques, politiques ou géopolitiques, familiales, sentimentales, sociales, scientifiques, etc…. Si nous cédons au besoin de convaincre sans les avoir mises en question, nous ferons partie de ces sachants auto-proclamés, de ces « experts » au service de lobbys, tous énormément médiatisés, qui s’ingénient à discréditer des savoirs ou même la science, ce qui ajoute à la confusion et au doute de tout. Parce que certains utilisent ce qui se présente comme également des preuves, mais sont des simulacres d’informations, voire des désinformations orientées, mensongères, tout autant funestes au système démocratique, à la santé, à l’économie  ou au vivre ensemble, parce qu’elles s’arrangeant avec la réalité selon le besoin de convaincre et leur propre intérêt. D’où suspicion, et contestation des effets cancérigènes du tabac, des méfaits des pesticides, et du changement climatique.

Les effets du besoin de convaincre ne sont pas neutres !

 « Le Brexit et la campagne présidentielle américaine, avec la diffusion de fausses nouvelles à foison, ont mis en évidence un véritable écosystème de la post-vérité, démultiplié par internet et les réseaux sociaux, qui constitue « un danger majeur pour la démocratie ». Hannah Arendt avait déjà écrit, dans « Le Système totalitaire »: « le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques, que ce soit dans la lutte concurrentielle pour l’obtention du pouvoir ou son exercice ».

 « Le contraire de la vérité, ce n’est pas le mensonge, c’est la conviction », dira Nietzsche: devant le réel immense, ouvert à d’infinies interprétations, la conviction ne peut être qu’une crispation, un effort ridicule et vain pour figer le mouvement de la vie. Ma conviction est-elle vraiment la mienne ? N’est-elle pas d’abord celle de mon milieu social, de mon époque, de ceux qui m’ont appris à voir le monde ainsi ? (Ch. Pépin)

 

Nous avons besoin de convaincre par ce que nous sommes les premiers sujets de la conviction. Les convictions participent à la construction de l'identité individuelle et sociale, bien qu’elles le fassent en limitant le champ de la vision et de la compréhension que l’individu peut se faire du monde.

Tout au long de sa vie, un individu est confronté, de manière quasi quotidienne, surtout depuis le développement accéléré des moyens de communications et des médias, à des opinions, des idées, selon ses origines, son éducation, sa religion, sa classe sociale, ses fréquentations, et son expérience personnelle.

Mais il a la capacité les faire sienne ou de les rejeter

Cependant celles qui resteront ancrées en lui, seront inamovibles, lui seront le plus chères, et constitueront ses convictions, qu’elles soient vraies ou au moins pertinentes, ou erronées et mystificatrices. Elles changeront sa manière de percevoir les événements. Ces convictions sont tellement ancrées, tellement présentes dans la vie de chaque individu qu’elles formeront « sa vérité », ses certitudes ou ses croyances, que rien ne pourra contredire, sauf à les interroger en changeant de « point de vue », en laissant place au doute. Sinon, en « adhérant dogmatiquement à une thèse ou une idée, indépendamment des éléments de réalité la confirmant ou l’infirmant », sans faire preuve d’esprit critique, et en voulant  imposer sa vision à l’autre, nous subirons en retour une réaction de "défense". C’est pourquoi on peut voir les convictions comme des vecteurs de violence lorsqu’elles sont incompatibles entre elles.

L’affaire des caricatures de Mahomet montre bien la limite ténue entre la conviction que la liberté d'expression fait partie de la notion de liberté, ce que la loi civile institue, et ceux  dont les convictions font qu’ils les considèrent comme de la provocation, une insulte et une offense envers leurs croyances, et leurs propres convictions.

 

Etre convaincu est un lien personnel et réfléchi avec une vérité qui ne s’établit ni sur la connaissance ou le savoir, mais aussi sur le désir, qui permet de se sentir satisfait de l’environnement politique, social, économique, culturel, et historique dans lequel on vit.

Pourtant nous avons besoin d’être convaincus et de convaincre, parce que la vie humaine, avec ses alternances de prospérité et d’adversité, engendre la crainte de l’avenir et la recherche des signes qui permettent d’interpréter les événements, à l’aide de ce qui fait sens pour chaque individu, même lorsqu’il s’agit d’un socle de croyances communes, sans lesquelles aucune société ne peut vivre et s’épanouir» (J.Luc)

Comme la religion qui, relie les croyants entre eux, en les reliant tous à Dieu et qui fait sens, puisqu'il existe autre chose que ce monde, dans lequel le croyant devra  établir et respecter des lois morales, des règles de vivre ensemble dont Dieu est garant. ». (D’après Jean Luc Graff)

 

Sans convictions, plus de loi, plus de vérité, plus de morale, plus de vie commune. Mais les convictions sont leurs propres limites. « Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges. », selon Nietzsche. Elles sont comme un  pharmakon, à la fois remède et poison, mais de toutes façons nécessaires tant que l’on prend conscience de leurs limites, tant que les maitrise, parce que la pensée est échange permanent avec l’environnement et autrui. Elle n’est pas qu’en moi. La pensée ne pense pas le monde, elle pense la pensée.

 

Philosopher, c’est ne pas se conformer à ce que tout le monde dit, pense ou fait, mais faire preuve de lucidité, raisonner contre soi, sachant qu’aucune preuve n’est absolue, aucun préjugé n’est raisonné, aucune conviction n’est un absolu dont il faut convaincre les autres, parce qu’elle est constituée d'éléments discontinus,  d’affirmations isolées les unes des autres, certaines étant par exemples vraies, et les autres douteuses ou même fausses". (D’après Gabriel Marcel, Essai de philosophie concrète)

Il y a forcément des failles, des choses vraies que l’on ne peut prouver, mais, que la preuve soit démonstrative ou expérimentale, il semble très important pour les humains, de convaincre.

Comme écrivait Oscar Wilde : « La valeur d'une idée n'a rien à voir avec la conviction de celui qui l'exprime ».

 

De plus, nous vivons dans des sociétés régies par le monde de la communication, souvent au détriment du respect d’autrui, qui nous enjoint : "Soyez convaincants ».

Comme si notre machine désirante, nous imposerait de chercher à faire prévaloir son propre point de vue, un besoin de convaincre, comme une sorte de mécanique, plus ou moins réflexe, remontant à une sorte de vestige de l'évolution, exigeant cette démarche au nom de la survie.

Depuis ceux qui veulent nous convaincre, sincèrement, pour notre bien, jusqu’à ceux qui tentent de nous manipuler pour se faire valoir ou pour nous extorquer quelques avantages, les intentions du besoin de convaincre sont très diverses : le manipulateur (soit qui se protège, soit qui cherche un profit, même au détriment d’autrui) ou le sauveur (soit qui est protectionniste, soit qui est marchand de vérité), faisant valoir ses arguments jusqu’au point où son interlocuteur est "convaincu".

 

Le besoin de convaincre peut se manifester dans une démarche commerciale où le client est astucieusement manipulé, par des mensonges séducteurs et malhonnêtes pour remporter une élection, ou obtenir des faveurs sexuelles, qui, par un habile énoncé, génèreront chez l’autre un sentiment d’obligation sous peine de se sentir coupable. Ce peut être aussi la volonté de celui qui ne cherchera qu’à se rendre utile en tentant de protéger l’autre des erreurs supposées de ses connaissances  ou de ses savoirs, le résultat peut aussi mener à le persuader de la valeur d’une quelconque idéologie, dont les sectes sont la triste caricature.

 

La permanence de ce besoin de convaincre se confond souvent, dans les deux cas, avec l’espoir d’avoir un ascendant sur autrui, synonyme de réussite, d’efficacité, d’assurance, de sécurité, et de se rassurer afin qu’il y ait plusieurs personnes partageant le même point de vue que soi.

C’est quand même une tendance dévastatrice qui peut mener à une pensée unique, alors qu’il est préférable d'accepter que nous soyons tous différents… de cesser de vouloir que nous ne fassions qu’un.

Mieux vaudrait ramener autrui à ce qui fonde sa propre pensée, et non à ce qui fonde la nôtre au détriment de la sienne, en évitant de vouloir le convaincre, ce qui correspond toujours à une relation manipulatrice.

N.Hanar

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religions

Les religions nous manquent-elles ?

 

Avertissement - Les statuts virtuels de notre café philo, lisibles sur le site: www.philousophe.com, sous « organisation du café philo», disent que « les thèmes politiques, religieux ou personnels ne peuvent être retenus, puisque fondés sur une conviction, une foi, ils ne se prêtent pas à une discussion ouverte.

Il ne s’agira donc pas de traiter vraiment des religions, de la valeur qui leur est accordée, de ses excès, de ses errements éventuels ; mais de leur trace, de leur rôle dans nos sociétés laïques, sachant que la question «Les religions nous manquent-elles?» ne se pose qu’ici, chez nous » et non dans les sociétés théocratiques.

 

La question «Les religions nous manquent-elles?», suppose que certains en ressentent le manque, qui ne peut correspondre à une absence, puisqu’elles sont bien présentes dans nos sociétés laïques et qu’elles sont facilement accessibles à ceux qui le souhaitent. Peut-être ont-ils le sentiment de l’insuffisance de leur influence, ou peut-être sont-ils insatisfaits de la manière dont elles paraissent ou de leur statut : une présence insuffisante et une incompréhension quant à leur objectif..

Une religion est un système de croyances, de pratiques et d’explications créationnistes ainsi qu’une structure d’unification culturelle d’une population donnée, qui a Dieu, ou des dieux, pour objet.

Que l’étymologie du mot, le fasse dériver de religare (relier), ou de relegere (relire ou méditer), donc du lien entre les humains ou de leur réflexion, ces deux hypothèses étymologiques, se complètent. Elles impliquent un travail sur soi pour permettre l’échange. Les rites aident à structurer la vie affective, les disciplines à conduire la réflexion, une communauté, un système identitaire d’appartenance et d’échange, une mise en relation qui évite la solitude. Souvent, la liturgie, le rituel, l’emportent sur le contenu de la foi.

Il s’agirait donc de quelque chose d’utile, à condition qu’elles respectent la liberté de chacun, et n’imposent pas des carcans. Sinon, lorsqu’elles oublient de n’être que des moyens utiles au service des personnes, et qu’elles veulent mettre les personnes à leur service, elles deviennent nuisibles.

 

Utile aussi pour Comte Sponville: « Toute religion débouche sur une morale dogmatique ou en procède : le bien érigé en vérité, le devoir en Loi, la vertu en soumission. [Or], Mieux vaut une vertu soumise que pas de vertu du tout. Mieux vaut aimer Dieu que n'aimer rien ou que n'aimer que soi. La religion n'est haïssable que lorsqu'elle débouche sur la haine ou la violence: ce n'est plus religion mais fanatisme. »

 

Or, peut-on réduire les religions à leur utilité ? Ne nous manqueraient elles que parce que les lois, les usages, les rites laïques, nous seraient de moindre utilité ? Les avancées de la science, qui ruinent la plupart des dogmes religieux, nous seraient-elles insuffisantes ?

 

Et puis, quel est ce «nous » à qui les religions pourraient manquer ? Quel est ce nous auquel je pourrais être associé, alors que, Dieu merci, je suis athée ?

Pour Kant (encore l’utilité), le peuple, (ce nous dont je fais aussi partie) abandonné à lui-même, s’égarerait. Il lui faut donc s’en remette aux « autorités », sans chercher à juger par lui-même, autrement dit sans « se servir de son propre entendement ». Il y aurait donc nécessité d’une autorité extérieure ou supérieure. Ainsi en religion, écrit Kant, le prêtre dit aux gens : « ne raisonnez pas, mais croyez ».

Alors Kant estime, qu’avec l’avènement des Lumières, l’être humain commencera à s’affranchir de sa dépendance, et comprendra qu’il lui appartient de se comporter, de penser et de croire en adulte responsable de lui-même. Ce qui rendrait inutiles les services que rendait auparavant la religion.

Les penseurs des Lumières avaient parié sur la fin des religions et le triomphe progressif de la raison…

 

Alors, le « manque » de notre sujet, laisse-t-il entendre que le besoin d’une religion, demeure malgré tout ?

L‘être humain éprouve quantité de besoins notamment un besoin de socialisation et un besoin intellectuel: de savoir et de comprendre. L’énigmatique l’agace, l’inconnu l’inquiète, voire l’angoisse. Le recours au transcendant, au magique ou au surnaturel supplée aux limites et aux incertitudes de nos connaissances.

La vie humaine, avec ses alternances de prospérité et d’adversité, engendre la crainte de l’avenir et la recherche effrénée des signes qui pourraient permettre de l’interpréter.

Jean Luc Graff : « L’esprit humain aime à s’émanciper du réel et de ses contraintes et trouver refuge dans les idées, dont l’illustration la plus immédiate est l’abstraction, la croyance en quelque chose,[qui est] ce qui dans les événements du monde fait sens pour l’individu ». Et, dans un autre texte : « sans un socle de croyances communes, aucune société ne peut vivre et s’épanouir. »

Ce serait alors une tentative de fuir le réel, en s’ingéniant à démontrer qu’il existe quelque chose au-delà de la réalité que nous expérimentons quotidiennement : les idées, l’esprit, Dieu. Bien entendu, la rationalisation extrême de nos sociétés laïques, en déduit qu’il s’agit d’un ensemble d’interprétations contraires à la raison voire irrationnelles.

Ainsi des croyants, que rien n’oblige à renoncer à leur foi, peuvent-ils se sentir en décalage avec le monde se prétendant rationnel qui les entoure, et ressentir un manque du fait du recul, dans nos sociétés, de l’influence du religieux, du recul du sens dans nos sociétés matérialistes.

D’autant que l’on constate que la superstition, le fait de croire que certains actes, certains signes, entraînent automatiquement de manière occulte, magique, irrationnelle, des conséquences bonnes ou mauvaises, persiste. La superstition, a pour fonction d’arracher l’intelligence à la simple expérience des faits. (Horoscope, astrologie, divination, marabouts sont très présents.

Et lorsqu’un joueur fait un signe de croix en entrant sur un terrain de foot, simple exemple de la superstition envahissant la religion, la fonction de l’éventuelle utilité morale de la religions, se dissout, et le sens n’a plus les pieds sur terre.

 « La superstition consiste toujours à expliquer des effets véritables par des causes surnaturelles »(Alain).

Toute superstition soumet le réel au sens, en donnant du sens à ce qui n'en a pas: elle explique ce qui est (du sel renversé, un chat noir, un trèfle à quatre feuilles) par ce que cela veut dire (par exemple un malheur à venir). A noter que la superstition du chat noir daterait de Jésus qui craignait d’être descendu parmi nous.

Mais, la confusion qui s’établi avec le fait religieux, en interposant entre « nous »et le monde des « puissances » mystérieuses dont tout dépendrait, peut expliquer le ressenti de ce manque de religion qui structure différemment les réponses.

 

Or, ce besoin d’explications, par la religion, voire par la science, ne se laisse-t-il pas influencer par une mentalité pragmatique qui évalue les choses et les gens seulement en fonction de leur utilité ?

 

Les relations entre amis, entre parents, entre époux ne se réduisent pas à un échange utile de services ; elles s’enracinent dans une dimension qui n’est pas qu’utilitaire. La religion (comme l’art) n’est-elle pas aussi de l’ordre de ce qui est d’autant plus précieux qu’il ne sert à rien ? La recherche du sens de la vie porte-t-elle sur l’origine ou la cause, sur le pourquoi et le comment, ou sur l’orientation à donner à sa vie, sur la manière de la sentir et de la mener. La religion, qui manquerait, serait-elle l’une des quêtes existentielles et spirituelle possible ?

 

Dans ses « Deux sources de la morale et de la religion », Bergson s’est demandé d’où provenait que les religions se soient imposées. Pour lui, notre souvenir le plus ancien est l’obligation d’obéir à nos parents ou à nos maîtres, ainsi que les interdictions, qui remontent au souvenir mythique du fruit défendu. Ces obligations ne s’imposent pas de l’extérieur à l’individu, car c’est la société qui les a intégrées, par l’habitude.

Déjà La Boétie écrivait que « C’est d’abord l’habitude qu’a le peuple de la servitude qui explique que la domination du maître perdure» en faisant participer les dominés à leur domination. Ce sont là les structures éternelles du pouvoir: l’usage massif d’un levier de propagande adéquat, et l’instauration d’une formule (magique) de transcendance (religion, patrie, liberté, égalité…).

 

Ce serait donc l’habitude, plus que la raison,  qui serait à l’origine de l’acceptation du fait religieux, et de la difficulté de s’en extraire. Celle qui fait que « nous » ne pouvons pas vivre sans ce moi social qui s’oppose au moi intime, celui qui représente ce que l’individu a d’unique et de singulier.

Or, la société étant pour Bergson, un lieu clos, impersonnel, à cette morale close s’entremêle la sensibilité, l’émotion, la passion, l’amour, des sentiments humains, individuels. Ce qui correspond à une morale ouverte qui ne se contente pas des obligations et des interdits. Dans l'amour, la musique, nous faisons l'expérience d'un rapport avec quelque chose qui nous dépasse. D’où un manque qui pourrait provenir de ce que l’humain est porté à ne plus tant céder à une pression, qu’à un attrait !

 

Comme l’écrit Marcel Gauchet. « Les religions comblent un vide du discours social ».

« La religion, ce ne sont pas d’abord des idées ou des convictions, mais un mode d’être des communautés humaines, une structuration de l’espace humain social en sa totalité. »

Toute religion est communautaire. Tandis que l’athée ou le spiritualiste demeurent, au moins pour l’instant, isolés, le croyant profite de tout un dispositif qui structure son existence et la relie à celle des autres : offices, fêtes, célébrations diverses, synchronisation des modes de vie, tissant un lien social dense. Pour le meilleur ou le pire. Les religions offrent ce cadre de rituels collectifs et d'interdits indispensables à toute civilisation, qui se manifeste autour d’une narration. Bref, les religions structurent le rapport au transcendant, même si nous mettons entre parenthèses leur contenu théologique.

 

 [Or, écrit Gauchet] la modernité, change leur place dans l’existence collective. La religion devient une conviction personnelle qui n’a plus vocation à fournir une norme englobante de la cité.

C’est pourquoi, d’ailleurs, on assiste à la réaction fondamentaliste militante comme réponse à la sortie de la religion, qui se place aux antipodes de l’univers religieux auquel ils voudraient revenir.

Ou à un évangélisme multiforme, vecteur d’une modernisation spirituelle centrée sur l’individualisation de la croyance. Les « grandes dénominations » perdent leurs fidèles au profit de ces religiosités peu exigeantes théologiquement, mais qui mettent l’accent sur l’intensité vécue de la conversion et le contact direct avec le divin.  On va aujourd’hui chercher dans les religions une réponse existentielle à la difficulté de vivre qui est propre aux individus contemporains [ ] La nostalgie renaît ».

Notre époque met en avant une individualisation du croire : chacun se bricole une croyance. Ce n'est plus tant de la religion par héritage, que de la religion par choix.

 

De plus, « dès lors qu’elle ne représente plus une menace [pour la laïcité], sa réintégration dans l’espace public devient envisageable, au titre de proposition significative sur les questions à débattre.

« Quand les gens passent en moyenne trois heures par jour devant leur poste de télévision, que font-ils, sinon se nourrir de fiction ? Ils vivent ailleurs que dans le monde où ils sont. Ils se projettent dans des fictions

Dans notre monde très matérialiste, les gens vivent dans l’imaginaire. Ils en ont un besoin intense ».

« L’acteur social [ ] cherche autre chose ». Le sens reste indéterminé, mais il est présent et oriente la vie des individus. Certains vont le chercher en puisant dans les spiritualités constituées. Est-ce ainsi que survient le manque ?

 

La religion utilise le langage du symbole par opposition au langage conceptuel, ce qui permet l’interprétation individuelle. Même s’il ne s’agit que d’une poésie onirique, ce langage s’oppose au discours rationnel, afin de rendre l’environnement praticable, l’existence supportable, la coexistence viable.

Si les religions traitent des questions qui se sont toujours posées dans les sociétés, elles forment une structure permanente qui se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur du groupe».

Elles décrivent métaphoriquement le passage du désordre à l’ordre.

Or l’ordre social ne peut être sacralisé, car il contient du désordre et des éléments négatifs. Nous avons alors besoin d’un ordre illusoire qui participe de la perfection et qui sera consolateur, par un transfert qui s’entretiendra par l’intermédiaire du mystère et de son interprétation.

 

Nos sociétés, d’ailleurs, conscientes de ce manque, remplacent le prêtre par des équipes de psy pour le « travail de deuil ». Elles font l’objet d’une parcellisation de communautés, celles dénommées « Wok »e, dont la justification, plus ou moins raisonnée, constitue néanmoins un regroupement autour d’une action supposée avoir du sens !

Dans toute nation, dans le mouvement de son histoire « nous » avons besoin de repères.

 

La modernité s’est ainsi identifiée à ce que le sociologue Max Weber appelle le « désenchantement du monde ». Pour Weber, cela consiste en « l’abandon de la magie comme technique de salut » au profit d’une nouvelle croyance dans la rationalité du monde. Ainsi nous croyons que les événements du monde sont rationnellement explicables, ce qui ne comble pas la quête de sens que recherche l’humanité.

 

Malraux se défendait d'avoir prononcé la phrase « Le 21ème siècle sera religieux ou ne sera pas... ». Il disait qu'elle résulte d'une interprétation de sa mise en garde contre un siècle qui ne serait que scientifique et technique, sans spiritualité. La spiritualité, entendue comme ce qui est dégagé de toute matérialité, c’est en cela que les religions pourraient nous manquer.

N.Hanar

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L’intolérance

“S’il fallait tolérer aux autres ce qu’on se tolère à soi-même, la vie ne serait plus tenable.”COURTELINE

 

En médecine et en biologie, l'intolérance désigne l'inaptitude du corps à accepter tel ou tel aliment, tel ou tel remède. Lorsqu’il s’agit de l’esprit, de la pensée, l’intolérance se définit comme la «répugnance ou l’impossibilité à supporter certaines choses, certaines personnes, d’où une attitude consistant à refuser aux autres la liberté d'exprimer des opinions que l'on juge fausses et à  leur refuser de vivre conformément à ces opinions. C’est la base d’un réflexe d’auto-immunité qui dit à l’aliment, au remède ou à l’autre «ne me touche pas, ne me contamine pas!»

 

L’intolérance est donc présentée comme le contraire de la tolérance avec, en accompagnement, un jugement de valeur: la tolérance, c’est bien, l’intolérance, ce n’est pas bien.

La tolérance, c’est bien parce qu’être tolérant, c’est accepter que l’autre ait des certitudes, même et surtout si elles ne correspondent pas aux nôtres,  et accepter de « laisser faire ce qu'on pourrait (essayer d’) empêcher, sans l'interdire». Ce comportement que je tolère (le sectarisme, la superstition, la bêtise...), je m'interdis de l'interdire :je ne le combats que par les idées, point par la loi ou la force.

L’intolérance, c’est mal parce que c’est un manque de respect envers les croyances, les opinions que l'on réprouve ou que l'on juge fausses. Ce qui mène à un comportement de répression par la force des idées que l’on ne partage pas et peut entrainer le fanatisme. Un puissant générateur de violence est ainsi formé, qui autoalimente le fanatisme et autres fatwa.

Ainsi, dans nos sociétés, nous présentons tout naturellement la tolérance comme ce qui devrait constituer la norme face à une intolérance qui serait à bannir. Pourquoi ?

 

D’une part, nos convictions participent à la construction de notre identité individuelle et de l’identité sociale, mais d’autre part elles limitent le champ de la vision et de la compréhension que l’individu peut se faire du monde. Tout au long de sa vie, un individu est confronté à des opinions, des idées, qui ne sont pas les siennes, et ce, de manière quasi quotidienne, surtout depuis le développement accéléré des moyens de communications et des médias. Heureusement, il a la capacité les accepter ou de les refuser. C’est l’expression et la capacité de sa liberté, d’une liberté difficile à exercer.

Parce que les convictions qui resteront ancrées en lui, qu’elles soient vraies ou au moins pertinentes, ou au contraire erronées et mystificatrices, influencées, forgées, par l’origine de la personne, son éducation, sa religion, sa classe sociale, ses fréquentations, et son expérience personnelle, changent la manière générale de percevoir certains événements.

Notre conception moderne de l’ouverture à l’autre nous demande d’accepter n’importe quelle conviction dans la mesure où tous les êtres humains sont égaux et dignes d’être écoutés et compris, lorsqu’ils expriment leurs certitudes et leurs croyances. Ce qui induit « un rapport confus à la vérité et nous en sommes venus à considérer ce concept de vérité comme inaccessible », ou pour le moins relatif.

Le relativisme est ainsi devenu l'expression de l'intolérance contemporaine : affirmer que la vérité n'est nulle part, c'est affirmer que rien ne peut faire autorité, rien ne peut offrir un socle stable à son existence.

Relatif aussi parce que les convictions changent selon la mémoire, l’histoire et l’oubli (titre de Ricœur), les faits, les expériences, les possibilités d’action, l’intérêt général et l’intérêt particulier.

 

Etre tolérant alors, c’est accepter les certitudes d’autrui, même et surtout si elles ne correspondent pas à nos convictions.

Alors, lorsque chacun veut imposer sa vision à l’autre, toute réfutation à l'égard d'une conviction sera perçue comme une agression,  une violence qui appelle donc en retour une réaction de "défense". C’est intolérable.

 

Et pourtant doit-on tout tolérer ? Bien sûr que non, puisqu'il faudrait pour cela tolérer l'intolérance, y compris quand elle menace la liberté, et laisser les plus faibles sans défense : ce serait abandonner le terrain aux fanatiques et aux assassins !

L'approbation à tout ne peut qu'être insensée. Tolérer, ce serait admettre que l'autre puisse avoir raison, sans  pour autant adhérer au bien-fondé supposé de ses dires. « On peut être tolérant mais interdire ce qui menace ce qui doit être protégé (la liberté de conscience et d'expression, le libre affrontement des arguments et des idées...).Le tolérer, ce serait s'en rendre complice » (d’après Comte Sponville).

On repousse le problème comme la poussière sous le tapis.

Parce qu’il y aurait un seuil de tolérance, ce qui fait de la tolérance une pseudo-valeur qui, poussée à l’extrême s’autodétruit. « S’il faut tout tolérer, alors il faut aussi tolérer l’intolérance et non se battre contre elle. Si l’intolérance vous heurte et vous donne le désir de la combattre, c’est que vous n’êtes pas tolérant. Être tolérant, c’est supporter sans broncher ce qui nous dérange ; fermer les yeux sur ce que nous n’aimons pas, mais que nous acceptons de ne pas combattre, avec lequel nous nous résignons à cohabiter.

Qu’elle dépende d’un seuil quantitatif prouve que la tolérance n’est pas une valeur en soi.  Si l’intolérance est intolérable, la tolérance n’est que tolérable». Charles Pépin.

 

La distance, la limite, entre ce que l’on pense et ce que pense l’autre est la limite entre tolérance et intolérance. Je supporte un certain poids, un certain effort, une certaine dose d’alcool ou de pollution, mais il y a un seuil après lequel je romps ou je m’empoisonne. Cette limite incertaine et mouvante, peut me perdre, me tuer. Mais c’est aussi ce qui fait progresser l’humanité.

L’espèce humaine est la seule espèce non-darwinienne !

L’homme n’attend pas que la nature le laisse évoluer au cours de son histoire afin qu’il s’adapte à elle.

 L’homme est la seule espèce qui invente et crée, à ce point, les outils qui accélèrent son adaptation au réel violent et dangereux  Contre la tempête, le froid, froid, il devient maître du feu, du fer et construit ses abris qui permettent sa survie et accélèrent son évolution.

C’est l’intolérance à la violence du réel qui lui permet de progresser.

 

L’homme a cru qu’il devait se regrouper en sociétés pour mieux se protéger. Ce qui implique la tolérance.

Dans l’histoire de la pensée il a paru évident que lorsque l’intérêt de tous et de chacun concorde, le lien social se constitue en fonction de cet intérêt, du projet ou des idées communes. Qu’il s’agisse de la volonté de survie constitutive des sociétés (Rousseau, Hume, Locke), de leur développement ou de leur gestion (philosophies morales), tous et chacun sont guidés par la même volonté….

Cette idée suppose que des individus, guidés par des projets et des intérêts différents, pourraient, chacun de leur côté, et en suivant des voies différentes, arriver ensemble au même résultat par la tolérance !

 

Ce qui fait que la frontière poreuse et indéfinie du savoir et du croire, fait naître des générations en qui l’esprit critique aura été remplacé par une adhésion vague à la tolérance. La tolérance n’est pas l’ouverture du pouvoir à l’autre, le laissant « de côté », sans remise en cause des valeurs fondatrice du pouvoir. C’est la limitation du savoir par le pouvoir, d’un savoir par un pouvoir. La tolérance permet au pouvoir de survivre, sans se remettre en cause, en tolérant ce qui n’est pas lui, et en le contrôlant. Ainsi le pouvoir limite l’accès au savoir, à sa propre critique, ce qui rend la tolérance intolérable en tant que bonne conscience qui torpille le jugement, qui fait des différences, un droit acquis.

Dans cette optique, seule l’intolérance est gage de liberté.

J’ai tendance à penser que la tolérance est justement ce qui s’oppose au « lien social ».

La notion suppose en elle-même l’acceptation de l’existence d’une différence que je ne pourrai jamais faire mienne : le lien social sera alors concessions, mais non empathie. Et toute concession est temporaire et de circonstance.

Il existe des liens sociaux, non un lien social, des micros sociétés, dans des sociétés différentes entre elles et démembrées à l’intérieur de chacune. Que nous devions tous vivre ensemble, justifie socialement la tolérance. Le pouvoir a besoin de cette nécessaire et impossible justification.

 

En ce sens, Marx,( théorie normalisatrice de l’économie) Freud, ( théorie normalisatrice de l’homme), peuvent n’être perçus que comme des instruments de normalisation au service d’une société conformiste, ce qui laisse les choses en l’état.

“Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.” - Déclaration des droits de l’homme.

 

Alors les hommes tolérants doivent s’abstenir d’intervenir, ne pas empêcher ce qu’ils désapprouvent. Ce qui en fait d’admirables martyrs qui supportent au mieux ce qui ne leur plaît guère.

Ceux qui, par exemple, voyant leur pays occupé, ne font rien pour en chasser l’envahisseur, ou laissent les lynchages s'accomplir. Seules les intolérants n’ont pas assez de qualité d’âme pour laisser l’occupant perpétrer des massacres et résistent.

Peut-on accepter que chacun fasse ce qu'il veut, on n'a pas le droit de juger" : excision, homophobie, intégrismes, dictatures, viols... Ce ne sont là finalement que des gens qui ont leurs points de vue... et le font subir à leurs victimes... qui peut-être y sont pour quelque chose vu qu'on les présente comme en désaccord avec leurs bourreaux!

 

Peut-on vraiment laisser libres les uns comme les autres d’affirmer leurs “vérités” et d’agir au nom des valeurs qu’ils défendent ?  N’avons-nous pas, comme le veut Locke, «mission d’avertir notre prochain que nous le croyons dans l’erreur, et de l’amener à la connaissance de la vérité par de bonnes preuves.” (Lettre sur la tolérance) alors qu’ils «n’admettent la liberté d’expression que de ceux qui partagent leur point de vue» (Noam CHOMSKY).

 

Ou devons-nous admettre que seule l’intolérance est l’expression de ma liberté de penser et d’être ?

Parce que, si l’intolérance mène au fanatisme, la tolérance est ce qui le permet.

 

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Qu’est-ce qu’un barbare ?

 

16 décembre 2015

 

Lévi-Strauss était-il un barbare ?

 

            Dans « Race et Histoire » (1952), Lévi-Strauss affirme que « le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ». Il montre que le « conquistador » espagnol qui prend l’indien d’Amérique pour un barbare, se comporte de la même façon que ce dernier, qui au même moment se demande si l’envahisseur est bien un homme. Il dénonce ainsi, de façon saisissante, l’ethnocentrisme régnant en Occident, qui prétend que la culture occidentale, dans ses différentes expressions, est supérieure à toutes les autres, dites « indigènes » ou primitives. Déjà Montaigne avait souligné que le plus « sauvage », du cannibale et du massacreur occidental, n’est pas celui qu’on pense. Cette perspective plaide pour un relativisme contextuel des diverses cultures humaines, toutes de même valeur.

            Raymond Aron s’indigne alors, et traite Lévi-Strauss de « barbare » d’oser ainsi mettre sur le même plan les cultures de l’excision, de la loi de la jungle et de l’animisme, par exemple, et la Civilisation de Pasteur, du Droit et du Christianisme. Il met en avant l’auto-contradiction qui consiste à affirmer absolument la relativité de toutes les cultures, qui pose dès lors Lévi-Strauss lui-même comme le seul civilisé absolu, face à tous les barbares… L’anthropologue relativiste admettra d’ailleurs volontiers que certaines valeurs occidentales, comme la Science et la Démocratie, sont universelles.

            Il reste que cette controverse met en évidence le paradoxe de la culture, qui peut être source d’humanité civilisée aussi bien que de barbarie inhumaine (nazisme, stalinisme). Pour autant, le problème n’est pas résolu en disant que « le civilisé est celui qui croit à la civilisation », car, oui, certes, mais laquelle ?

 

« Le barbare est celui qui parle mal l’humain »

 

            Dans sa monumentale « Généalogie des Barbares » (2007), Roger-Pol Droit montre que le barbare n’est pas tant celui qui parle mal tel ou tel langage, le grec, le latin, la religion, la science, l’économie ou la politique, que « celui qui parle mal l’humain ». C’est d’ailleurs pourquoi le barbare, c’est toujours l’autre, puisqu’on ne se conçoit pas soi-même comme parlant mal l’humain, pas plus que parlant mal sa propre langue maternelle.

            On peut mal parler l’humain de deux grandes façons, la relativiste et l’absolutiste.

            Le relativisme, où tout se vaut, ne hiérarchise rien, ni la connaissance et l’ignorance, ni la bonté et la cruauté, ni la liberté et l’esclavage. Véritable insurrection individualiste, le relativisme culturel relève d’un sophisme bestial.

            Mais l’absolutisme parle l’humain au moins aussi mal. Il hiérarchise absolument ce qui vaut, par exemple le Droit, la Religion ou l’Homme universel, en donnant bonne conscience. Véritable insurrection totémiste ou nationaliste, l’absolutisme culturel relève d’un rationalisme angélique.

Et l’Histoire est constellée de massacres absolutistes, depuis les guerres intra-helléniques (Droit), jusqu’aux intra-européennes du siècle dernier (Idéologie), en passant par les intra-chrétiennes (Religion). Les conflits d’absolus, civils ou religieux, sont en effet inexpiables, comme entre Individu et Nation, lors de l’Affaire Dreyfus.

 

Bien parler l’humain ?

 

             Alors, comment bien parler l’humain ? Comment bien s’exprimer dans le langage, non pas d’une illusoire « nature humaine », unitaire et fixe, mais des différentes dimensions humaines, multiples et évolutives ? Dans la perspective ouverte par Roger-Pol Droit, on peut penser que bien parler l’humain consiste à le parler de façon « relativement absolue », grâce au débat démocratique permanent illustré par Claude Lefort. En pratique, ce débat dynamique peut utiliser par exemple le « recoupement consensuel » de John Rawls ou « l’éthique de discussion » de Jürgen Habermas. Alors, ses décisions souveraines sont bien capables de faire vivre une culture absolument valable pour le groupe humain concerné, et en même temps valable relativement à lui-même, ici et maintenant ; comme par exemple une culture qui valorise l’Individu, sans pour autant dévaloriser la Nation. Une telle culture parlant bien en général l’humain particulier, ou en particulier l’humain général, est non pas supérieure mais différenciée, non pas universelle de droit mais universalisable de fait, si les contacts et les échanges entraînent une convergence.

            Ainsi, le civilisé n’est pas celui qui croit à la civilisation ; Nazis et Hutus interdisent toute naïve crédulité. Mais le civilisé pourrait bien être celui qui croit à la concorde démocratique adaptative, reposant sur une culture « normativo-gracieuse », c’est-à-dire faite de règles communes et de « bonne vie » partagée. Sans doute, les différents groupes humains ne parlent-ils pas mieux l’humain les uns que les autres, mais ensemble, si, peut-être. Ce qui pourrait concilier Aron et Lévi-Strauss.

 

Patrice

 

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La poésie devance-t-elle  la philosophie ?

 6 janvier 2016

 

De rivalité en alliance

           

Au cours de l’Histoire de la pensée occidentale, poésie et philosophie ont fluctué entre rivalité et alliance.

Dans l’Antiquité (Platon, Aristote), la hiérarchie est plutôt en faveur de la philosophie, qui seule est tendue vers la vérité rationnelle universelle, alors que poésie, art et artisanat restent collés, dans leurs créations, à l’apparent sensible subjectif. Cette conception d’une poésie séparée et inférieure, qui selon Badiou, montre sans démontrer, se prolonge jusqu’à la Modernité avec Hume, Kant (« un poète ne peut pas être philosophe ») et Hegel (stade primitif du développement de l’Esprit). Par contre, avec la Modernité, la hiérarchie rivale a plutôt tendance à s’inverser : Le subjectivisme romantique (Fichte, Schelling, Novalis) voit dans la poésie, et l’art en général, l’expression suprême de la vérité du sujet créateur, surplombant le rationalisme superficiel de la philosophie ; pour Nietzsche, la vie se réalise pleinement à travers un « gai savoir » artiste ; Bergson voit dans l’art l’essence même de la réalité créatrice ; et Heidegger pense avec Hölderlin que « la poésie est la fondation de l’être par la parole ».

Par ailleurs, considérées comme ayant la vérité pour objet commun, poésie et philosophie peuvent former aussi une alliance complémentaire. Ainsi, le positivisme logique (Carnap) confine la philosophie dans la pure analyse du langage, tout en reconnaissant à la poésie et à l’art en général, une certaine contribution à la connaissance, aux côtés de la science. Dans les années 90, est mieux mise en évidence la réalité de « l’intelligence émotionnelle », aptitude contribuant à la réussite sociale, tandis que se voit réhabilitée l’émotion, qui tend à favoriser le raisonnement (A. Damasio). Enfin, au sein de la complexité de « homo sapiens demens », raison et sentiment formeraient un couple dialogique (Edgar Morin, Le paradigme perdu), mais sans que soit précisé comment est assurée l’unité de ce couple, s’il relève d’un mariage de raison, ou bien d’amour. On reste donc avec cette antique dualité de l’affectif et du rationnel, qui écartèle traditionnellement l’être humain occidental.

 

Vers l’unification ?

 

Une certaine unification peut cependant être envisagée, par trois voies différentes :

Poésie et philosophie ont une commune dimension, le langage imaginatif. Et par analogie avec le marketing, on peut considérer que ce langage effectue la « communication » humaine sur la vie et le monde, à côté de la science et des autres arts : La conceptualisation philosophique en est la publicité logique, qui décrit leurs propriétés, et la stylisation poétique en est la promotion métaphorique hédoniste, qui dévoile leurs « suppléments », et les pousse vers nous, en nous touchant. Ces « techniques de com » facilitent pour l’être humain « l’achat » de la vie et du monde.

Si penser et sentir ne s’opposent pas, Chamfort a bien vu que plus on juge, moins on aime. Et justement, Claudine Tiercelin (Collège de France, mai 2013), dans son effort de reconstruction de la raison, souligne l’importance de réussir à « juger tout en aimant », en intégrant à la rationalité morale les apports des sciences humaines et des arts, et en éduquant la sensibilité à la vérité.

L’anthropologie évolutive offre une troisième voie d’unification : Au cours de l’Évolution, l’arsenal affectif animal s’est, chez l’être humain, spécifiquement enrichi de la raison ; et la sensibilité pleinement humaine est une sensibilité rationnelle, qui régit au mieux le comportement dans un environnement complexe : Le plaisir rationnel, ou raison hédoniste, est ainsi bien capable de réussir la vie, de « l’acheter », c’est-à-dire finalement de l’aimer.

 

Patrice

 

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Le scepticisme est-il un antidote au fanatisme?


Bien que le fanatisme soit devenu un thème d'actualité, on ne peut toutefois philosophiquement s'y étendre trop, son objet étant l'évacuation de toute reflexion et la négation de toute pensée, sa finalité étant d'installer un pouvoir totalitaire. Le fanatisme se fonde exclusivement sur l'action. Il a été théorisé, en tant que tel, pour la 1ere fois par le fascisme italien: "Notre doctrine, c'est le fait" en fut l'une de ses devises. "Ce n'est plus la doctrine qui guide un mouvement, c'est le mouvement qui produit la doctrine", a écrit l'un de ses activistes. Dès lors, parler, comme le fait le dernier édito de Charlie-hebdo (n°1224), de "fanatiques abrutis par le Coran", semble erroné. Le fanatique est d'abord abruti par son interprétation dénuée de sens d'un texte et sa vision délirante de son application, peu importe par ailleurs son contenu. Le fanatique est celui qui prend son ego, sa subjectivité hypertrophiée comme seule référence. La subjectivité ne peut s'analyser rationnellement, mais étant ce qui incite à connaître la réalité, elle est ou devrait être ce qui invite à l'analyser rationnellement pour en extraire un savoir à partager; est donc fanatique celui qui a perdu le contact avec la réalité pour lui substituer l'univers de son moi propre devenu insensé. Le fanatisme apparaît comme un refuge mais qu'un feu consumme. La sortie en est soit le suicide (la violence contre soi), soit l'agressivité (la violence contre autrui). Dans ce dernier cas, nul besoin d'être explicatif, il suffit de désigner et d'éliminer un bouc émissaire: le mécréant, le sous-homme, l'ennemi de classe, pour prendre des exemples récents. Face à celui qui, ce faisant, ne cherche que le rapport de force, l'argumentation est évidemment inutile et fait voler en éclat l'idée même de tolérance qui ne signifierait que démission et finalement indifférence (c'est le fameux "esprit munichois").
Pourtant, si l'on est croyant, on se réfère nécessairement à un être transcendant affirmé comme étant une autorité, laquelle, en tant que source de la Création, est ce qui a permis à la pensée de s'éclore. Cela légitime l'usage de la raison, part essentielle de la pensée humaine. Reconnaître cela, c'est admettre qu'on ne peut en nulle circonstance se défier de la raison pour s'enliser dans le marais de la certitude élevée au rang d'absolu, car cela revient à rabaisser la certitude au rang de préjugé. S'écarter de la raison revient toujours à s'égarer dans l'illusion, et "celui qui s'égare le fait toujours à son détriment" est-il écrit dans le Coran. Les dogmatismes naissent du refus de raisonner et le fanatisme découle de dogmatismes poussés à l'extrême. C'est cela qui constitue le véritable égarement. A une certaine époque, illustrée par le Perse Avicenne(980-1037)et l'Andalou Averroes(1126-1198), la philosophie était affirmée comme étant de même nature que la foi. L'une permettant d'accéder à la vérité par l'analyse et le concept fondé sur la démonstration, l'autre par la conviction indémontrable mais ressentie comme vraie. Les règles de la raison étant donné par l'intellect divin, appelé "intellect en acte"(terme inspiré de l'aristotélisme), il appartient à l'homme de se rendre digne du divin qui l'a créé en s'appuyant sur la raison et en devenant un "intellect agent". Ainsi, c'est l'intellect et non pas l'ego qui est privilégié: "Se réjouir de la parure de sa propre essence en tant qu’elle appartient à l'âme, bien que cette parure soit réelle, est une orgueilleuse erreur. Mais se diriger par l’universalité vers le vrai, c’est le salut". "La parure de sa propre essence", représente le moi qu'il faut éviter d'ilolâtrer; c'est l'âme ce qui nous relie à "l'intellect en acte", et qu'est-ce que l'âme, si ce n'est la découverte de l'universalité qui est le chemin menant à une image accessible par la raison de l'"intellect en acte", à une représentation de la vérité, donc. Cela est la voie vers le salut.
On le voit, il s'était agi là d'une tentative audacieuse de concilier le besoin de certitudes inhérent à chaque homme et la nécessité de se servir au mieux du meilleur outil dont nous disposons: la raison. S'en remettre à des certitudes abusivement considérées comme des axiomes, c'est se bercer de chimèriques utopies. C'est ce qu'illustre le chaotique chemin emprunté par l'humanité décrit par l'Histoire, laquelle nous dépeint presque toujours celle-ci comme ne s'étant pas servi de la raison pour analyser ses croyances, mais au contraire pour les justifier et chercher à les imposer. Est-ce à dire que l'attrait de la raison soit insuffisant? Ou que son usage demande trop d'effort ? Ou que ce qu'elle promet est plus de l'ordre du mirage que de l'oasis? Pour ne pas être happé par un engrenage fatal susceptible de conduire au mal absolu qu'est le fanatisme, et nous savons depuis Arendt que tout homme peut y sombrer, on s'interrogera sur la pertinence du scepticisme, qui peut être vue comme une raison au rabais.
Le mot sceptisicisme provient du grec "skepsis", qui a pour signification: examen. L'école sceptique fut l'école dite pyrrhonienne. L'un de ses membres dit cette chose évidente:" le feu, qui par essence brûle, procure à chacun la sensation d'être brûlant". Donc on se fonde exclusivement sur le phénomène et sur l'expérience qu'on en fait pour vivre, et non sur des spéculations reposant sur l'intellect. Le scepticisme est une école de réalisme, ce qui permettra aux pyrrhoniens d'affirmer: "le phénomène l'emporte sur tout". 
Mais le phénomène est par nature changeant. Le sceptique Hume a réveillé Kant de son "sommeil dogmatique", ce qui a permis son rêve éveillé des 3 critiques. Une ligne de partage a été effectuée entre ce qui est accessible à la raison, la science, et ce qui relève de la croyance.Toutefois, plus de 2 siècles après les réflexions kantiennes, on peut affirmer que, concernant la croyance, le choix n'a pas être entre le relativisme et le dogmatisme, il est entre une pluralité d'opinions jamais figées et un dogme qui ne sera jamais rien de plus qu'une grimace de la vérité. Rien n'est vrai en soi, il n'y a que ce qui est cru par les uns et les autres, mais même si on adhère sincèrement à une croyance, en admettant donc la possibilité d'être dans l'erreur, celle-ci n'exprime jamais une vérité. Seul ce qui peut être prouvé scientifiquement est vrai, car on n'a plus besoin de croire à ce qui est prouvé. C'est, et puis c'est tout. On a, par exemple, longtemps cru à l'heliocentrisme jusqu'où jour où a été démontré que cette théorie était fausse. Depuis, plus personne n'y croit. 
Dans le domaine de la croyance, ce qui est considéré par une personne comme vrai, se fonde sur son adhésion à une autorité qu'elle seule reconnaît comme légitime; dès lors cette adhésion ne vaut que si elle admet la critique ou la moquerie de celui qui n'y croit pas. La seule question que l'on peut poser est: cette moquerie peut-elle aller jusqu'à la provocation? Ne risque-t-on pas alors de figer le débat? Mais la provocation, même si elle se pare de nihilisme, n'est qu'une forme de vanité; elle évite d'avoir à argumenter. On lui donnera droit de cité, car la vanité, le désir de paraître, est ancrée en chaque homme.
Il peut sembler paradoxal que la réflexion, dont ce qui la stimule est la recherche de la vérité, doive se contenter d'errer indéfiniment dans un mouvement dialectique. Mais si le vrai pouvait être atteint, le mal éradiqué, le doute définitement éliminé, les problèmes existentiels et métaphysiques résolus,il n'y aurait plus de place pour la réflexion. La pensée ou ce qui en tiendrait lieu ne serait qu'une répétition infinie du même.Les dogmatistes seraient enfin comblés; cela illustre que le dogmatisme manifeste toujours une paresse de l'esprit dont le fruit vermoulu est le fanatisme. Or l'esprit peut au moins être sûr d'une chose, c'est, comme l'a établi Descartes, de sa possibilité de penser, il faut en conséquence qu'il y ait toujours matière à penser, sinon, ce n'est pas Dieu qui est mort, mais l'Homme. 
Je laisserai le dernier mot à B. Pascal: "Nous avons une impuissance à prouver, invincible à tout le dogmatisme. Nous avons une idée de la vérité, invincible à tout le scepticisme".
Ce qui peut s'analyser de la manière suivante: on a beau affirmer son scepticisme et ne croire en rien, l'idée de vérité ne quitte pas notre esprit. Dans l'édito de Charlie, on lit" Rien à foutre de plaire..., de séduire... et de charmer...Rien à foutre de rien". Pourtant la conclusion du même édito est:" L'année 2015 fut la plus terrible...elle fit subir le pire des supplices...mettre à l'épreuve nos convictions...Les convictions des athées et des laïcs peuvent déplacer encore plus de montagnes que la foi des croyants". Même si on n'en a rien à foutre de rien, on ne peut vivre sans convictions, celles-ci, indémontrables même si elles paraissent évidentes, résistent néanmoins à tout dogmatisme. Elles reposent donc bien sur l'acte de foi qui est le fondement même de la pensée rationnelle, acte qui s'énonce ainsi : la conviction argumentée est ce qui fait l'homme, est ce qui lui permet d'acquérir son humanité. Mais elle éclaire également la suffisance de celui qui s'en sert pour camoufler l'insuffisance de sa pensée, en ce sens c'est bien le scepticisme et non le fanatisme qui donnent à la pensée ses lettres de noblesse.

 

Jean Luc

 

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fanatisme

Peut-on philosopher sans références philosophiques?

 

Philosopher, a eu différentes définitions au cours de l’histoire.

Alors, il convient de se demander ce que signifie aujourd’hui philosopher et ce que désigne une référence philosophique

Si tout être pourvu de raison pense, peut-être que philosopher ne serait rien de plus qu’« une activité psychique qui a pour objet la connaissance », mais une connaissance active qui permettrait de juger et d’agir dans le but de connaitre mieux et d’améliorer le monde en général et l’humain en particulier, qui permettrait de résoudre des problèmes en produisant des idées, des opinions, des convictions, les plus générales et universelles possibles.

 

Alors, pour ce faire, est-il nécessaire ou non de posséder des références philosophiques ?

 

Peut-on seulement « penser par soi-même », c’est à dire penser sans influences extérieures, sans préjugés, sans doxa ?

En effet, si philosopher c'est penser par soi-même, on pourrait être conduit à imaginer qu'il est inutile de lire les philosophes ou tout autre penseur qui poursuit le même but, et qu'il faut avant tout bien conduire, seul,  sa raison.

Si  tout le monde pense finalement par soi-même, (comment imaginer que la pensée viendrait d’ailleurs que de soi ?), il y a peut-être un degré de complexité qu’il faille intégrer et qui distingue la pensée permise par l’éducation, les cultures, qui mettent en place des références culturelles, sociales, religieuses, selon le lieu et le moment où l’on se situe, par rapport à une pensée libre, ou différente, ou transgressive.

 

Comment, sans références autres que celles du cadre de sa propre histoire, intégrer à sa pensée l’altérité, l’histoire, comment accroitre le savoir, les connaissances à notre disposition pour penser hors de la pensée forcément aliénante d’une pensée dominante.

 

D’ailleurs la philosophie, vue ainsi comme ouverture, fait peur à cette pensée dominante qui a fait du mot philosopher quelque chose comme accepter les choses comme elles sont, c’est-à-dire, avec philosophie, plutôt que quelque chose qui cherche à savoir pourquoi elles sont là, plutôt que rien, qui permet une attitude de désaccord à propos de tout avec les autres, afin de ne pas épuiser le plaisir de discuter, auquel on donne le nom de dialectique ou de problématique.

 

Parce que penser l’événement c’est lui ôter sa réalité. C’est tout le problème de la conceptualisation et de la certitude, le problème de pouvoir se décentrer de soi-même. Comment créer un lien entre la réalité et la pensée pour leur faire produire ce que nous ne pourrons jamais expérimenter ?

Alors il faut utiliser une technique, une méthode, prendre une posture, une attitude, et c’est quelque chose qui s’apprend. Ce n’est pas naturel. Philosopher n’est pas naturel contrairement à penser. Tout le monde pense.

Lorsqu’un événement survient, nous percevons qu’il se passe quelque chose. A cette réalité objective perçue se substitue une réalité subjective du fait de l’interprétation qui résulte de notre perception.

Comment faire pour que notre capacité de réflexion ne soit pas limitée à nos propres connaissances, à notre propre subjectivité. Sans connaître la réflexion des autres ? Sans ainsi pouvoir se justifier à soi-même, comme être de savoir imparfait, sans accepter l’incertitude et la polysémie. ?

 

Apprendre à philosopher, c'est confronter sa raison à ses propres opinions et à d’autres  opinions dans une "communauté de recherche". Les références philosophiques sont multiples et permettent de ne pas convoquer explicitement un seul philosophe à sa réflexion personnelle. Nous ne sommes pas dans l’obligation de comprendre les différents discours sur "l'amour" dans le Banquet de Platon pour oser penser un jour par soi-même ce concept. S’il s'agit "d'apprendre la philosophie" (Hegel) pour apprendre à philosopher : « Mieux vaut être éclairé par des hommes de raison que conduit par des sophistes ou des prêtres » dit Elisabeth Badinter.

La fréquentation des autres réflexions philosophiques ne doit pas être un guide pour la pensée

 

Je pourrais même dire que philosopher ce n’est pas penser par soi-même, mais contre soi-même.

Par exemple, penser notre temps, être au cœur de son présent et de sa modernité, implique aujourd'hui non pas de rester dans l'actualité mais bien plutôt l'inactualité, de prendre du recul, de prendre son temps et de s’opposer à l’immédiateté, en multipliant les grilles de lecture.

Comme le faisait Michel Foucault en traquant les règles de production du discours.

 

Faire appel à d’autres pensées permet d’avoir des outils pour interpréter le monde au-delà des rumeurs ou de l’immédiateté des informations que l’on peut ainsi maîtriser.

Aucun divertissement ne peut suppléer à la profondeur des idées ni à la construction collective ou individuelle de la pensée. Pasolini : « la culture est une résistance contre la distraction ». Beaucoup de choses voudraient nous distraire de l’essentiel dans l’actuelle société du spectacle, remplacer la création par la variété, et in fine, éviter la pensée. Comment se protéger des idéologies managériales, des tentatives de récupération, marchandisation et instrumentalisation, (Ramirez), sans s’ouvrir à la pensée de ceux qui se sont déjà confrontés à ces obstacles en ^prenant de la distance par rapport aux mots et aux choses.

 

Et pourtant, il est vrai que les références philosophiques peuvent être considérées comme dangereuses par ce que déstabilisantes: elles bousculent préjugés et idées reçues, elles désintègrent le petit confort intellectuel mis en place par les habitudes et les traditions. Être ouvert à l'étonnement oblige à affronter ses limites, tout en restant attentifs à la puissance de la séduction des arguments d’autorité, à tout ce qui aliène la pensée humaine pour la soumettre à un pouvoir (entité supérieure, dieu, parti, race) à tout ce qui enferme dans des systèmes, nuisent à l’étonnement et au sens critique, mais qu’il faut connaitre pour les affronter,.

Marx avait dénoncé les utopies (de Fourrier), mais a obtenu le même résultat.

 

Se contenter d’être un soi figé dans ses certitudes, parce qu’on se contente confortablement d’être sa propre référence, crée une philosophie qui, elle aussi, se contente d’être au lieu de devenir. Je préfère devenir con qu’être con. Dire des bêtises plutôt que ne rien dire. Devenir con, c'est être sur un autre chemin. Etre con, c'est rester sur la même autoroute, en cherchant une vérité absolue, unique et universelle impossible en renonçant à juger de la valeur toujours relative des idées, donc à philosopher, à soumettre notre pensée à un examen critique. Aucun présupposé métaphysique n’est démontrable, aucun argument d'autorité n’est absolu. Il ne faut les considérer que comme des hypothèses discutables, mais nécessaires à connaitre. La pensée philosophique se doit d’être souple et ludique contre toute pratique rigoriste, dénonciatrice, prophétique ou messianique. Une pratique pour nous apprendre à danser la vie dans notre tête et notre corps et non pour nous mettre au pas ou dans les cases immobiles de la vérité-illusion.

On ne peut prétendre se créer une pensée propre à soi, à partir de rien.

 

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La politique du bonheur

 

-Notion polysémique, la politique recouvre à la fois, le fonctionnement d'une société organisée, son équilibre, son développement et ses rapports internes ou externes à d'autres ensembles, mais aussi la pratique du pouvoir, qui s’assigne des buts, des fins, afin de protéger les droits et la dignité de chaque homme.

Le bonheur peut-il être l’une des normes du politique ? – Remarquons :

-Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique, 4 juillet 1776 : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits….»

-Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789- : ---«  afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous. »

-Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1793 - Article 1er - Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles. »

Mais est-ce bien au politique de mettre en œuvre les moyens d’atteindre à ce bonheur qui serait un état de plénitude, de satisfaction ou de sérénité, un état agréable et équilibré de l'esprit et du corps, d'où la souffrance, le stress, l'inquiétude et le trouble seraient absents?

 

D’abord, existe-t-il une norme universelle du bonheur ?

Pour Hobbes, la fonction de l'Etat consiste avant tout  à garantir la liberté de chacun par des lois, à limiter les libertés individuelles dans ce qu'elles peuvent avoir de gênant pour l'exercice de la liberté des autres.

L’Etat à une fonction régulatrice et régalienne, le bonheur est affaire individuelle. Il a à voir avec la vision du monde de chacun, il est personnel. Chacun met le bonheur où il veut ; il est donc différent selon chacun. Il ne peut donc y avoir unanimité quant à ce qu'on doit considérer comme objet du sentiment de plaisir et de peine. Il peut même arriver qu'au cours de la vie d'un individu, le bonheur consiste dans des choses différentes.

La loi pourra être en accord aujourd'hui avec nos désirs, et ne plus l'être demain. Ainsi, dès qu'une loi sera contraire à nos désirs, on s'y opposera. Le droit, c'est la garantie, pour chacun, de sa sûreté. C'est le seul principe sûr de la politique, dont le législateur peut s'occuper.

 

Un Etat qui chercherait à régenter tous les domaines de la vie, qui s'immiscerait dans la vie privée des gens, déterminerait le nombre d'enfants par foyer, définirait les activités " épanouissantes ", le nombre d'heures à y passer, etc., serait qualifié d’Etat totalitaire. Peut-on être heureux malgré soi ?

On soupçonne immédiatement qu’il s’agirait en réalité d’une dictature intéressée et d’un bonheur contrefait par lequel : -Les marchands cherchent à augmenter la consommation et le confort, en communiquant sur le plaisir, les psychothérapeutes prescrivent diverses « pilules du bonheur », afin d’améliorer humeurs et performances, les relations, les amis, imposent les critères de beauté, jeunesse et santé, pour faire respecter les normes du social souriant, les religieux cherchent à détourner de cette vallée de larmes et de péchés, en imposant une espérance joyeuse en un ailleurs plus tard.

Ce qui fait que devant l’avalanche des contrefaçons du bonheur, nous mettons en doute sa réalité même.

Bref : le bonheur ne peut être rendu obligatoire et obtenu par la contrainte et vu ainsi, n'est donc pas affaire de politique.

Ce que peut et doit nous apporter la politique, ce sont les conditions du bonheur. »Qu'elle se borne à être juste. Nous nous chargerons d'être heureux ". (B.Constant)

 

Parce que le bonheur est l’image que chacun peut bidouiller de ce qui serait un état de satisfaction complète, stable, équilibrée et durable. Sa définition dépend de chaque individu. Nous connaissons des composantes du bonheur, comme l’amour, l’amitié, le plaisir mais ce sont des éléments subjectifs et relatifs.

Comte Sponville par exemple, définit le bonheur par ce qu’il n’est pas- « Le bonheur n'est ni la satiété (la satisfaction de tous nos penchants), ni la félicité (une joie permanente), ni la béatitude (une joie éternelle).... Être heureux, ce n'est pas être toujours joyeux (qui peut l'être ?), ni ne l'être jamais : c'est pouvoir l'être, sans qu'on ait besoin pour cela que rien de décisif n'advienne ou ne change. État subjectif, bien sûr, relatif évidemment, dont on peut pour cela contester jusqu'à l'existence.…

On peut appeler bonheur, c'est en tout cas la définition que je propose, tout laps de temps où la joie est perçue, fût-ce après coup, comme immédiatement possible. »

 

Mais comme les constitutions se posent en politiques du bonheur, à force d'avoir fait du bonheur un idéal, nous risquons d’être condamnés à être malheureux. L'«obligation d'être heureux» est paradoxalement devenue une source d'angoisse et de misère morale.  

La société de consommation; la publicité insinue ce qui est susceptible de nous apporter le bonheur, tout en ne nous commandant rien explicitement mais en nous influençant.

Pire. Prenons l’exemple des produits cosmétiques : ils ne se contentent plus d’hydrater, nourrir, rajeunir, donner de l’éclat à la peau. Aujourd’hui les nouvelles crèmes nous rendent heureux puisqu’elles contiennent des « béta-endorphines », c’est à dire des substances à base de morphine sensées équilibrer les émotions.

Dans notre société contemporaine occidentale le bonheur est devenu un impératif catégorique, « une sorte de Xle Commandement ». Soyez bien dans votre peau, dans votre tête et dans votre lit, sinon vous serez coupables de ne pas l'être.

 

Alors ceux qui n'affichent pas en public tous les signes extérieurs du contentement - les moches, les pâles, les bedonnants, les vieux, les timides, les déprimés - sont frappés de «mort sociale», sauf à se lancer dans un entrainement épuisant, apte à décourager un champion du marathon : crèmes, gym, alimentation spéciale, pharmacologie douce ou moins douce, lectures, séminaires et stages variés.  Il suffirait de regarder la liste des bestsellers qui nous donnent des modes d’emploi pour atteindre à  coup sûr le bonheur.

Ainsi une petite-fille de Freud a publié un livre dont le titre  est : « Comment perdre du poids en restant heureux ». Cela veut bien dire que notre société moderne ne se limite pas à imposer à des adultes intelligents d’être en sous poids, donc de crever la faim, en jeûnant avec un grand sourire de bonheur.

Vivre et se soigner, cela finit par se confondre :

-On ne mange plus : on pèse les calories qu'on ingère en s'inquiétant de son transit intestinal.

-On ne fait plus l'amour : on surveille et on entretient son tonus sexuel.

-On ne croit plus en Dieu : on cherche une spiritualité qui nous garantirait un supplément de bien-être en calmant nos angoisses.

Mais lorsque nous aurons suivi toutes les instructions et aurons tout fait pour atteindre le modèle de bonheur social proposé, nous serons doublement frustrés et malheureux si le résultat attendu n’interviendra pas.

A force de vouloir être heureux à tout prix, et de vouloir reproduire un modèle imposé (par la politique ?) nous perdons notre esprit d’ouverture et d’analyse, nous devenons intransigeants et sectaires.

Cette dictature du bonheur limite la conscience de tout ce qui nous entoure mais duquel nous faisons partie. Et cet isolement est destructeur. L’actuelle recherche de bonheur, dont la vision est  collective, est liberticide parce qu’elle est vécue à niveau individuel.

Ce qui compte vraiment, c'est le chemin de la vie : le travail, l'action, le plaisir, l'amour – le monde.

Le bonheur viendra par surcroît, s'il vient, et  manquera moins, s'il ne vient pas.

Le bonheur c'était le résultat des actions entreprises pendant le chemin lorsqu'elles réussissaient, que ce résultat soit la félicité, la béatitude, la satiété ou le bien être, la richesse, la considération,

C'était un état ou la conscience est pleinement satisfaite,

Pour les Grecs et leur innombrable descendance, le bonheur dépendait de la façon dont on vit. Le critère en était la conformité à sa propre nature, à son bien, donc la réalisation de son potentiel, l’exercice de ses capacités.

 

Maintenant le bonheur nous est donné à percevoir, imposé à percevoir, par une pensée politique dominante qui nous envahit avec un réel culte du bonheur, peut-être parce que pour la pensée judéo-chrétienne le critère en est la conformité à la volonté de Dieu.

 

Pour le psychologisme moderne, le bonheur dépend de l’aptitude innée à l’épanouissement personnel. Le critère en est l’intensité de l’amour de soi. Le bonheur est ainsi une question d’égolâtrie euphorique, d’autosuggestion convaincue, de dopage incantatoire. C'est une idéologie qui pousse à tout évaluer sous l'angle du plaisir et du désagrément, qui rejette dans l'opprobre ou le malaise et la thérapie ceux qui ne souscrivent pas à la politique du bonheur.

 

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politique bonheur
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Politique du Bonheur

3 février 2016

 

Bonheur, affaire publique

 

            Dans les sociétés où le groupe, la communauté ou la nation prédomine sur l’individu, le bonheur est une affaire publique, car le bonheur collectif, assimilé à la paix sociale, est le but de la politique.

Deux modalités de ce communautarisme s’opposent : D’une part, les « biens et valeurs » communs, comme richesse, plaisir et séduction, bonnes choses « sensibles » de la vie, à partager entre tous, que l’on trouve par exemple dans la culture « gracieuse » de la Grèce antique, ou dans certaines cultures andines précolombiennes. D’autre part, les « normes » rationnelles, comme le vrai, le bien et le beau, absolus universels de la vie personnelle et politique, partagés par tous, que l’on trouve par exemple dans la culture philosophique de la Grèce antique (Platon, Aristote).

Ce communautarisme ou socialisme dérivera souvent dans l’Histoire sous forme de totalitarismes religieux (République islamique, Monarchie catholique) ou idéologiques (Fascisme, Communisme), tout en se heurtant constamment à l’individualisme intéressé et non-conformiste, comme par exemple celui des sophistes grecs.

 

Bonheur, affaire privée

 

            Dans les sociétés où l’individu représente une valeur prééminente, le bonheur est une affaire privée, et le but de la politique est d’établir les conditions (lois, justice) du bonheur individuel, en assurant la liberté pour chacun de le rechercher, ce qui constitue la paix sociale (Déclaration d’indépendance américaine).

Deux modalités de cet individualisme s’opposent : D’une part, l’individu libre, différencié d’autrui (G. Palante), considéré dans la Démocratie libérale (Locke, Kant), avec un État limité au rôle de gendarme, et même dans l’Anarchie libertaire, sans État du tout. D’autre part, l’individu socialisé, égal d’autrui (É. Durkheim), considéré dans la Démocratie socio-libérale, avec un État-providence en charge de la solidarité (L. Bourgeois).

Tocqueville a prévu la dérive privée de cet individualisme démocratique, sous forme de « tyrannie douce » exercée par une oligarchie paternaliste, berger imposant au « peuple-troupeau » sa conception du bonheur. Pourtant, constamment, l’individualisme politique rencontre son opposition dans le socialisme collectif et conformiste.

 

Bhoutan, fausse conciliation

 

            Devenu depuis une Monarchie constitutionnelle bouddhiste, le Bhoutan a lancé dans les années 70 sa politique de « Bonheur National Brut », mesuré par un indice composé de critères relevant de quatre grands domaines, culture, environnement, développement durable et gouvernance responsable. Il s’agit de la promotion d’un bonheur individuel engendré par l’État, ce qui pourrait paraître comme une conciliation entre les aspects privé et public du bonheur. Mais il n’en est rien.

            En réalité, la politique de ce petit royaume himalayen, coincé entre ses deux géants de voisins, la Chine et l’Inde, est une habile tentative d’indépendance nationale, fondée sur l’identité culturelle (langue, religion, traditions) et l’épuration ethnique (Népalais déchus et expulsés), résumée par son slogan « une nation, un peuple »… On peut la qualifier de totalitarisme bouddhiste, avec une adhésion de la population aux normes imposées par le pouvoir, et en particulier aux valeurs bouddhistes (méditation, satisfaction de son sort). Au cours de ces dernières années, l’imposture de ce « renoncement résigné » apparaît clairement, avec un grandissant décalage entre la promesse des élites et la réalité populaire (pauvreté, chômage, drogue).

 

Illusion libérale

 

            Le rêve libéral d’un bonheur privé dans un cadre public est une illusion.

            Non seulement les sphères publique et privée sont intimement liées et influent l’une sur l’autre (maltraitance conjugale, religion, entreprise, etc…), mais leur délimitation et leurs contenus, très variables, dépendent de la politique. Et on ne sait toujours pas où mettre le curseur optimal entre les règles publiques et les libertés privées.

            Par ailleurs, la politique ne saurait se réduire à l’administration, tout au moins dans la culture européenne. En effet, il revient aussi à la politique d’assurer la cohésion sociale, en entraînant la population dans un projet collectif. C’est en ce sens qu’Alain Badiou déplore que la politique actuelle soit cantonnée à une pure lutte contre le malheur (ignorance, pauvreté), à travers la satisfaction matérielle des besoins, sans projet concret favorisant le bonheur relationnel joyeux de la population (Métaphysique du bonheur réel, 2015).

            Alors, comment concevoir la politique d’un bonheur qui serait une affaire à la fois privée et publique ? C’est-à-dire la politique qui favoriserait le « jeu » des individus sociaux, au centre des « quatre coins », biens désirables, normes rationnelles, libertés et égalités, chaque « coin » ayant les deux dimensions, privée et publique. Libertés et égalités trouvent théoriquement leur conciliation dans la justice sociale et fraternelle d’Amartya Sen, mais hélas, cette voie qui se voudrait pratique apparaît comme impraticable, en raison de la subjectivité non mesurable. Par ailleurs, un « plaisir rationnel » pourrait concilier biens et normes dans une vie « bien aimée », mais hélas, on ne sait pas comment elle se réalise pour tous et chacun. La conciliation d’une vie juste et bien aimée apparaît ainsi comme doublement hors de portée pratique de la volonté politique, tout comme d’ailleurs, de la volonté individuelle.

            .

Patrice

 

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utopie et realite

Utopie et réalité

 

Partons de loin. Dès notre naissance nous découvrons le bien, ce qui est bon pour nous, ce qui nous satisfait et le mal, qui est synonyme de souffrances et de privations. Que ce soit par le fait de recevoir à manger ou des caresses ou d’en être privés. Le réel, que nous ne connaissons pas encore, est immédiatement perçu dans les catégories du bien et du mal. Le bien et le mal « purs », n’existent pas, pas plus qu’un réel « pur » (ou »en soi »). Ensuite, notre éducation, la culture qui correspond à la société dans laquelle nous vivons, va nous apprendre à rendre rationnel notre rapport à ce réel ainsi qu’à mettre en place la forme des relations que nous entretiendront avec lui, pour aboutir à la morale.

Or, le monde tel qu’il est, impose à toute conception de la morale de choisir entre les instincts, la volonté d’exister, les autres, des plaisirs, et la réalité telle qu’elle a été construite autour de nous.

 

La perception s’effectue au moyen des sens qui ne peuvent connaître du réel que ce qui leur apparait. Et les sens sont au nombre de cinq.
Si vous en avez plus, six, sept ou huit, remontez dans votre soucoupe à moins que vous ne soyez neurophysiologiste. Les cinq sens sont la vision (à condition d'en avoir, même sans fumer la moquette), le goût qui peut être du jour ou même douteux, l’odorat, qui aime se faire chatouiller, l'audition, et j'en ai passé plusieurs, pas toujours en qualité de témoin et le toucher, mais laissons la prostate à sa place.
Ces sens sont donnés à presque tout le monde à la naissance, et la sensation, au début, parait immédiate et claire: je vois cette boule rouge, je sens le froid (surtout quand je m’approche de mon ex-femme), j’entends les voix des anges qui m’ordonnent de bouter le roi hors de l'Elysée….mauvais exemple.
Une seule théorie, le perceptionnisme, prétendait que l’esprit à une connaissance immédiate de la réalité extérieure. (Schopenhauer, Bergson)
Or rouge, froid, sont les propriétés de ce qui se présente à mes sens. La perception est une faculté vide de sens. Le sens est dans ce qui se présente à moi et dans les relations que j’établis entre les phénomènes, les sensations et mes connaissances, mon savoir.

 

Et ce sens, lorsqu’il nous fait concevoir le réel comme déplaisant, et c’est presque toujours le cas lorsque la morale et les relations humaines s’en mêlent, l’homme essaie de l’éviter, de réfléchir à la manière de le changer.

 

C’est ainsi que se sont créées les conditions d'émergence de l'utopie comme représentation, ainsi que Thomas More pouvait, devait, rédiger L’Utopie, en 1516, cette Utopia, « lieu de nulle part », marqué par l’abolition de la propriété privée, le mépris de l’or, la disparition de l’oisiveté et de l’envie, du fait des conditions sociales de son époque. L’individu n’y possède rien et travaille pour enrichir la collectivité. Alors l’absence de toute concurrence assure la paix sociale.

Plus tard, dans sa Théorie des quatre mouvements, parue en 1808, Charles Fourier s’en prend à l’ordre sexuel. Il réhabilite les plaisirs de la chair, propose de libérer les mœurs, d’instaurer une pratique libre et communautaire de la sexualité, afin d’unir les individus et d’obtenir l’harmonie. Ce projet s’accompagne d’un retour à la terre : les phalanstères sont des associations non closes et reproductibles à l’infini, fondées sur la copropriété et la cogestion. Une source d’inspiration pour les hippies dans les années 1960.

 

Pourtant, ce qui n'existe nulle part (en aucun lieu: u-topos), est devenu dans l'usage courant, un but ou un programme qu'on juge irréalisable. (Les congés payés, la sécurité sociale, la télévision, Internet, qu'on aurait jugé utopiques il y a quelques siècles... mais .c'est confondre utopie et science-fiction). Les grandes utopies du passé (depuis la République de Platon jusqu'aux socialismes utopistes du XIXe siècle), nous semblent aussi irréalisables aujourd'hui qu'hier, et plus dangereuses.

 

L’utopie est « une représentation imaginaire d'une société qui contient des suggestions de solutions, désirables ou indésirables selon le cas, à un problème ». Pragmatique et rationalisée, quoique imaginaire, la représentation utopique se révèle comme un dispositif « précurseur, proto-scientifique, des sciences sociales. »

Inversement, les dystopies les plus pessimistes, les « utopies de cauchemars », « utopies noires », qui l'ont emporté au XXe siècle, continuent paradoxalement, en tant que représentations, d'apaiser nos craintes, nos craintes bien réelles « de ce que les humains pourraient s'infliger les uns aux autres, ou de ce dont ils pourraient avoir à souffrir à la suite de nouveaux progrès scientifiques ». (Norbert Elias- L’utopie).

Ainsi, la finalité de l'utopie est essentiellement d'élaborer un modèle critique qui serve de norme à la société réelle, telle qu'elle est.
 

Clément Rosset, lui, dénonce les « doubles » par lesquels l’homme tente de fuir le réel, notamment par les utopies politiques.

La plupart des philosophes, de Platon à Heidegger, se sont ingéniés à démontrer qu’il existe quelque chose au-delà de la réalité dont nous faisons l’expérience quotidienne – que ce soient les idées, Dieu ou l’esprit.

 

Pour Clément Rosset, le réel est un ensemble que nous ne sommes pas capables de dénombrer, dont nous ne pouvons pas dire s’il est fini ou infini – pour cette raison, je précise qu’il n’est pas « clos » – fait d’objets indescriptibles. Il n’y a rien en-dehors de lui, pas d’arrière-monde et pas non plus de miroir dans lequel regarder notre monde.

 

Je cite : « Les gens préfèrent vivre dans l’illusion, se complaire dans un faux présent. Une grande partie de mon travail philosophique depuis trente ans a consisté à démasquer les efforts, les extraordinaires gymnastiques intellectuelles auxquels s’adonnent la majorité des gens, et les philosophes en premier lieu, pour ne pas être en contact avec la réalité. En philosophie, cela a commencé très tôt, dès Platon dont la doctrine veut que les objets sensibles soient des réalités d’un ordre inférieur par rapport aux idées. L’un des philosophes les plus délirants en la matière est Emmanuel Kant, qui a eu l’aplomb d’affirmer que le temps et l’espace n’existaient pas en-dehors de notre cerveau, que la réalité elle-même n’était que le fruit de nos représentations… Le kantisme n’est rien moins qu’une folie, qui a contaminé l’université française depuis la fin du XIXe siècle.

Les religions proviennent également de cette propension des hommes à refuser la réalité. Les monothéismes tirent l’essentiel de leur force de conviction de leur capacité à nous offrir un double merveilleux de la vie sur terre : ils nous promettent un paradis, ce n’est pas rien. Quel double plus séduisant que le paradis d’Allah ?

Pourquoi en avons-nous besoin ? Chaque vie va finir et l’on ne peut se soustraire à cette règle. Nous voici maintenant face au réel le plus indésirable. Je pense que la finitude de la condition humaine, la perspective intolérable du vieillissement et du trépas, expliquent l’obstination des hommes à se détourner de la réalité.

 

Le meilleur des mondes n’est pas un monde où l’on obtient ce que l’on désire, mais un monde où l’on désire quelque chose. C’est pourquoi le réel ne fait pas obstacle au désir. Le désir est plutôt l’attitude par rapport au réel la plus saine qui soit.

Dès qu’un homme, comme Karl Marx ou Lénine, se met en tête qu’il va améliorer le sort de ses semblables, vous pouvez être sûr que ça va barder ! Les gens frappés par le virus du bien sont les plus dangereux pour autrui. Les utopies provoquent en général des désastres plutôt que les améliorations espérées. Le cas actuel le plus remarquable est celui des altermondialistes. Ce terme est d’ailleurs en lui-même révélateur. « Un autre monde est possible », clament les altermondialistes. Mais qu’ont-ils en tête, sinon une duplication illusoire de ce monde ci ? Le dessein de remplacer notre mauvais monde par un monde meilleur est absurde. » (Marxisme)

 

Nous voyons ainsi que l’utopie est nécessaire à la compréhension, à la possibilité de supporter ou de modifier le réel.

Paul Ricœur : « L’effet que produit la lecture d’une utopie est la remise en question de ce qui existe au présent : elle fait que le monde actuel paraît étrange. Nous sommes ordinairement tentés d’affirmer que nous ne pouvons pas mener une autre vie que celle que nous menons actuellement. Mais l’utopie introduit un sens du doute qui fait voler l’évidence en éclats... L’ordre qui était tenu pour allant de soi apparaît soudain étrange et contingent. Telle est la valeur essentielle des utopies. A une époque où tout est bloqué par des systèmes qui ont échoué mais qui ne peuvent être vaincus... l’utopie est notre ressource. Elle peut être une échappatoire, mais elle est aussi l’arme de la critique. »

 

L’utopie est le meilleur des mondes impossibles ; pour disparaître, il lui suffit de voir le jour. Le seul utopisme conséquent est celui qui met en garde contre la tentation de faire advenir ce qu’il décrit. Pour sa survie, l’utopie ne doit pas exister, comme l’enseignent Platon dont la République ne se trouve « en aucun lieu de la terre », Rousseau qui précise qu’« un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». - Enthoven

 

Le réel n’est pas une utopie comme les autres.

 

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Théologie et Philosophie

2 mars 2016

 

La métaphysique est le domicile du couple

 

            Le logement que la théologie et la philosophie ont en partage est la métaphysique : Discours rationnel sur l’existence de Dieu et de l’âme (Théodicée), ou sur l’être, ses causes et ses principes (Ontologie), la métaphysique s’occupe de l’absolu, c’est-à-dire de l’existant en soi, inconditionné et parfait. Cette raison « absolutiste » prétend à la vérité absolue, « identité entre la pensée et l’être », selon Hegel. Là, le couple théologie-philosophie s’entend bien, fait bon ménage (Thomas d’Aquin, Leibniz) ; mais il s’agit d’un couple inégalitaire, où « la philosophie est la servante de la théologie ».

            De plus, ce discours métaphysique n’est pas universel ; il est daté et situé, il a un territoire et une histoire. Pendant une vingtaine de siècles, lié à l’idéalisme, d’abord objectif puis subjectif, il a représenté le cœur de la pensée occidentale, en particulier autour des monothéismes juif et gréco-chrétien. En revanche, il est pratiquement absent ailleurs, comme par exemple dans la pensée chinoise classique (C. Lamy, F. Jullien).

 

La raison « absolutiste » n’est pas rationnelle

 

            Il y a une discontinuité irréductible, un fossé essentiel, entre la raison et l’absolu : Non, la raison ne débouche pas dans l’absolu comme un fleuve dans la mer.

            En effet, un absolu causal serait inintelligible. L’enchaînement causal est une chaîne d’effets, causés par des effets antécédents : Poser une « cause première » dépourvue d’antécédent représente une rupture rationnelle, un saut magique, et la concevoir, même pour pallier un inconfort logique, n’est pas la prouver (Kant) ; c’est en fait nier la possibilité même d’explication, ou y renoncer.

            Par ailleurs, un absolu logique serait contradictoire. D’après le théorème de K. Gödel, tout système logique est incomplet, comporte une part d’indécidable. La connaissance absolue, à l’intérieur d’un système, n’est donc pas rationnelle, et en particulier la raison ne peut se connaître elle-même absolument.

            Enfin, un absolu moral serait incohérent. L’excès de mal, l’exagération des désordres et des horreurs sont incompatibles avec un monde absolument rationnel, surtout s’il est « le meilleur possible ».

            L’absolu n’est donc pas une exigence de la raison, contrairement à ce que voudraient faire croire « les théologiens déguisés en philosophes » (D. Hume), mais bien plutôt un « idéal de l’imagination », ou alors un pur sentiment de foi, comme le pense Kierkegaard : « La foi est un saut dans l’irrationnel ». En somme, raison et absolu formeraient un couple contre-nature.

 

Rationalité relativement absolue

 

            Le savoir moderne tend nettement à se développer sous le règne de la relativité, mais non pas du pur relativisme. Car la réalité, multidimensionnelle et évolutive, apparaît de plus en plus clairement comme relevant d’une rationalité relativement absolue. La connaissance est certes absolue, mais toujours relativement au référentiel (théorie, système, religion) dans lequel on parle : Tout mouvement est absolument décrit relativement au référentiel considéré ; le boson de Higgs est absolument connu par rapport au Modèle Standard des Particules et au dispositif du LHC.

Si la relativité règne sur le savoir scientifique, avec les théories de la Relativité Générale, de la Mécanique Quantique et des Systèmes dynamiques, par exemple, il tend à en être de même pour le savoir philosophique. Parallèlement au démontage de la métaphysique « absolutiste », entrepris par Nietzsche et poursuivi entre autres, par Foucault, Deleuze et Derrida, aussi bien la Philosophie analytique (W. Quine) et le Pragmatisme américain (R. Rorty) que la Phénoménologie perceptive (Merleau-Ponty) ou cognitive (F. Varela) s’inscrivent dans la perspective du « pluralisme rationnel » (K. Popper) en connaissance, ou de la « morisprudence » en morale.

On peut penser que le courant actuel du « réalisme spéculatif » (Q. Meillassoux) tente d’en être une nouvelle illustration : Le réel en soi, impensé, serait contingent, c’est le penser qui le rendrait nécessaire ; le réel ne serait donc pas absolu, mais absolument connu relativement à la pensée.

           

Patrice

 

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magie

La magie du rite.

 

Les gestes que nous faisons au quotidien ont en général un but précis; ils ont une raison d'être et tendent vers quelque chose d'explicable rationnellement. Cependant l'ensemble des activités humaines est loin d'être rationnelle. Comme l'a constaté S. Freud, dans Malaise dans la civilisation, "Une hostilité primaire dresse les hommes les uns contre les autres. La société est donc constamment menacée de ruine. L'intérêt du travail solidaire ne suffirait pas à la maintenir. Les passions instinctives sont plus fortes que les

 intérêts rationnels. La civilisation doit tout mettre en œuvre pour limiter l'agressivité humaine à l'aide de réactions psychiques d'ordre éthique". A côté des actes rationnels, que nous faisons parce que nous visons un but clairement défini, apparait ainsi la nécessité d'en accomplir d'autres qui n'ont de valeur que par la signification qui leur est donnée. Signification qui, davantage que les intérêts rationnels, seraient de nature à contenir les "passions instinctives" génératrices de conflictualité , créatrices de ce qu'il faut bien appeler l'inhumanité de l'Homme. Toutefois lorsqu'on contemple l'histoire des civilisations, celles-ci n'ont pas été avares de "réactions psychiques d'ordre éthique", dont les rites sont une composante, mais finalement pour un bien piètre résultat. Ce n'est donc pas pour leur efficacité que les humains s'attachent à leurs rites, mais pour leur fonction, qui n'est évidemment que purement symbolique. On pourrait dire la même chose des coutumes ou des traditions, mais un rite revêt toujours une signification; celle-ci est donnée par une autorité, en général religieuse. En ce sens le rite s'apparente à la magie. Ainsi, dans l'eucharistie chrétienne, le croyant accepte l'idée que le vin et le pain sont transformés, font l'objet d'une transsubstantiation, en sang et corps du Christ. Tout le monde, et le prêtre en premier, savent bien qu'en réalité rien de tel ne se passe, mais, grâce à un cérémonial, on fait comme si. De sorte que pour le croyant, c'est la fiction qui devient la réalité. Naturellement, il ne peut en être ainsi que si une autorité religieuse a donné au rite son caractère sacré. Celle-ci, se fondant sur un récit dont elle affirme détenir les codes permettant son interprétation, en donne la signification surnaturelle et donc, en quelque sorte, magique. C'est cela qui distingue le rite de la coutume ou de la tradition, mais aussi d'un simple rituel qui se fait en-dehors de toute sacralité. Ce faisant, le rite est créateur de sens, et il semble pertinent de dire que la recherche du sens de la vie, recherche heureusement jamais aboutie, car que rechercherait-on alors, est l'essence de la conscience humaine.

Les rites, qui tout comme les coutumes et les traditions, sont les soubassements de chaque culture; en ce sens ils participent à la constitution de l'identité de chaque groupe humain, qu'il faut voir d'abord comme une communauté qui peut éventuellement former à une plus large échelle, des collectivités. Ce qui définit une collectivité est le contrat librement conclu entre ses membres ou ses représentants, ce qui fonde une communauté, c'est son héritage lequel s'est décanté en une culture. C'est lorsque celle-ci est pleinement acceptée comme facteur d'épanouissement en non d'enfermement ou de cloisonnement que l'on peut créer avec des tiers des relations de confiance par l'intermédiaire du lien plus rationnel qu'est le contrat. L'identité n'est donc en rien une crispation, comme on l'entend trop souvent dire de nos jours, mais est ce qui permet de rester soi-même au travers des changements et évolutions que l'on est amené à connaître tout au long à la fois de notre existence et de celle de notre communauté.
Un sociologue des religions, Robert Hertz, a affirmé qu'à travers ses rites, une société prend sans doute "conscience d'elle-même" mais "d'une manière indirecte, après s'être en quelque sorte réfléchie dans le monde immatériel". Ce serait donc en apercevant de manière indirecte par exemple le monde des Idées platoniciennes, qu'un essai de codification par le rite permettrait d'entrevoir ce qui pourra nous faire accéder à la béatitude céleste et éternelle. Si l'on est moins ambitieux, ou moins crédule, on considérera le rite, comme ce qui serait, d'une manière accessible à tous, la possibilité d'avoir accès à un au-delà de soi. Par la répétition des mêmes actes qu'il implique, il serait de nature à générer une manière d'être qui reposerait sur la maîtrise de soi. Cela serait d'une part un moyen de développer une pensée fluide débarrassée de l'encombrement des affects se succédant souvent à un rythme rapide, et d'autre part un rappel que la connaissance ne pourra jamais appréhender la totalité du réel. Cependant, sera ainsi légitimée la connaissance purement intuitive de ce qui relève de la sphère métaphysique, de la transcendance et donc du sacré, choses qui ne pourront plus être vues comme étant ce qui s'oppose à la raison. Cf la "Métaphysique" d'Aristote.

Après s'être interrogé sur le savoir, il postule, dans cet écrit, que le contingent et le périssable, ce à quoi s'intéresse le savoir, ne peut avoir été engendré que par du non-contingent et du non-périssable, car rien de logique donc de permanent ne peut trouver sa source dans ce qui n'est que de passage. De celui-ci, on ne peut que s'essayer à son déchiffrement. Quant au non-périssable source de toute chose, il ne peut faire l'objet que de spéculations.

En tout état de cause, et pour faire un clin d'œil à l'actualité la plus immédiate, c'est donc n'avoir rien saisi de la nature transcendante du sacré que de se servir de simples préceptes religieux pour affirmer de manière violente, voire terroriste, la primauté indiscutable des principes qui seraient véhiculés par cette religion. Certes, la raison ne crée pas de lien social, et aussi avancée que soit la science, elle ne réduira jamais le besoin de croire. La religion, étymologiquement ce qui relie, donc ce qui relie les membres d'une même communauté, ne cherche pas le savoir mais déclare qu'il est légitime pour le croyant de croire en ce qu'il veut bien croire, car ce qu'elle enseigne est validé par ce qu'elle reconnait comme une autorité. Et par la répétition de rites officialisant le caractère non pas véridique mais sacré de cette croyance, il y a là matière à créer une société unie et donc plus forte. La démence apparaît lorsque se manifeste la confusion entre la véracité et la sacralité. Or, ce qui est déclaré comme universellement vrai ne mène à rien d'autre qu'à la boursouflure dogmatique. Aucune croyance n'est universalisable, donc aucune croyance n'est vraie, toutefois il y a bien une universalité du sacré. Chaque rite en est une représentation particulière, en est en quelque sorte une théâtralisation. Mais, tout comme le raisonnement rationnel, il ne peut en rien définir, ce qui dans le domaine de la métaphysique serait l'expression de la vérité. Il faut avoir la modestie d'admettre qu'en certaines choses, on ne peut au-delà de la conjecture.

Puisque, quelles que soient les prétentions de la conscience humaine, la frontière est floue entre le sacré et le dogmatisme figé, contentons-nous de faire comme si nous savions ce qu'est la vérité, faisons comme les chrétiens avec la transsubstantiation. Cela donnerait une idée de ce que serait le monde immatériel dont sont nostalgiques tant d'êtres humains, et réenchanterait le monde puisqu'ils sont si avides de croyances. Et puisque l'essence de la conscience est la recherche du sens au moins autant que la soif de connaissance, sachons cultiver ce qui en fin de compte, ferme la porte au cynisme et à l'indifférence. De sorte que pour ceux pour qui l'observation de rites est fondamentale, cela ne mène pas à un enfermement de la conscience. Au contraire, cela donnera un cadre à la réflexion, ce qui aura au moins le mérite de ne pas substituer à celle-ci la simple communication souvent si manipulatrice, travers si outrancièrement présent chez ceux qui ne sont obsédés que par leur image, comme par exemple les personnages publics.

 

Jean Luc

 

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genie

Génie et inconscience

 

Est qualifié de génie, celui qui s’affranchit des règles, des habitudes, de ce qui est attendu comme possible et qui fournit ainsi une piste, un moyen, de continuer à penser, à agir, en élargissant les limites fixées à la pensée, à l’action, par l’époque, les cultures et les interdits.

Le génie est celui qui pose une vision du monde, de tout en fait, que personne d'autre n'aurais pu avoir.

D’abord, le génie a été défini comme extérieur à l’homme, un dieu, un souffle, métaphysique, qui venait lui montrer le chemin à suivre.

Puis ce génie a été éclipsé par l’arrivée du dieu monothéiste, seul à pouvoir guider les actions de l’homme et par là-même toute pensée ainsi que toute création. (2)

On le retrouve là où il s’éteint et s’achève, dans la pensée Cartésienne, par laquelle le malin génie devient l’hypothèse de départ du cogito cartésien, car, aussi rusé soit-il, il ne peut, malgré sa toute puissance, nous faire douter que nous pensons et que nous existons.

Ce qui permet de faire du génie une aptitude naturelle de l’esprit de quelqu’un, de concevoir, de créer  avec inventivité.

Kant y voit un don naturel, « une disposition innée de l'esprit, par laquelle la nature donne à l'art ses règles ». Un don par lequel ceux qui en sont gratifiés parviennent à créer des œuvres qui sont à la fois originales, c'est-à-dire qui ne sont pas des imitations, mais d'une perfection, d'une excellence qui les rend dignes d'être des exemples, c'est-à-dire dignes d'être imitées». Le génie se caractérise alors par :  l'originalité : « le génie est le talent de produire ce dont on ne saurait donner de règle déterminée 2) l'exemplarité : « ses productions doivent en même temps être des modèles » et pouvoir « être proposées à l'imitation des autres », et l'incapacité à « indiquer scientifiquement comment il réalise son œuvre ».Donc l'auteur d'une œuvre qu'il doit à son génie ne sait pas lui-même d'où lui viennent les idées et il ne dépend pas de lui d'en concevoir à volonté ou d'après un plan, ni de les communiquer à d'autres dans des prescriptions qui les mettraient à même de produire de semblables ouvrages ».(3)

 

On se retrouve donc avec des différences mystérieuses, un don naturel, donc d'un génie qui produirait des œuvres sans précédents, en suivant des règles inconnues qu'il n'apercevrait pas clairement puisque c'est un don naturel qui présiderait à la création et qui serait donc le véritable auteur des œuvres (d'art).

Comment, alors repérer, expliquer le génie, alors que celui-ci est par définition quelque chose d’hors- norme, d’incommensurable aux capacités humaines. Mais, bon sang, d’où vient cette capacité ?

 

Freud règle le problème: l’artiste est un névrosé qui sublime ses pulsions dans la création esthétique.

Tout doit être classifiable et normalisable et ce qui ne l’est pas va l’être néanmoins dans des catégories de pensées déviantes dans une nouvelle norme qui relève de la nécessité de soins.

Or le génie étant par définition celui qui est en dehors du modèle consensuel ; celui qui pense et agit autrement, au-delà et en dehors des limites de la représentation commune, normale, cela l’expose forcément à des conduites non-conformes aux normes.

Freud ne se demande pas si cette conduite, qu’il appelle névrose serait-plutôt la conséquence du génie, que sa cause. Il se pose ainsi, peut-être » à l’insu de son plein gré », en défenseur de la norme.

 

Afin de défendre la norme qui les caractérisent, les sociétés, quelles qu’elles soient, ont usé d’un autre moyen pour se défendre de » l’extension du domaine de la lutte », comme le définit Michel Houellebecq. (1)

Et surtout en faisant du terme de génie, un terme aujourd'hui bien galvaudé : il ne désigne le plus souvent qu'une personne particulièrement intelligente ou étonnamment brillante ou commercialement efficace. En fait remarquable au sein même de la norme admise.
 

Et puis il y a Foucault. En refaisant l’histoire des idées pour montrer que les savoirs sont avant tout des instruments de pouvoir, il démontre que les idées dominantes d’une époque ne sont pas l’œuvre du génie individuel, mais se constituent de manière anonyme et aléatoire (obéissant au hasard), à partir des structures profondes de pensée, qu’il appelle « épistémè ».

Ce structuralisme, inauguré par Lévi-Strauss dans «l’anthropologie structurale» dit que toute production humaine, toute activité est permise par des systèmes, des structures sous-jacentes. Exit le génie.

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Notes

 

(1)-Ville de banlieue, chambre anonyme, petit travail, salaire correct, peu d'intérêt, pas d'amis, de vagues relations. Aucune envie, plus de désir, quelques habitudes. C'est tout un monde de désespoir et de non-sens qui s'ouvre en même temps que commence ce roman des perdants et des abandonnés, ceux qui ont érigé la routine en mode de vie, le renoncement en principe, le défaitisme en valeur. Peinture clinique, crue, désenchantée, d’un antihéros.

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(2)- Deleuze. - L'introduction de Dieu dans la pensée philosophique a été libératrice. Elle a rendu possible de penser au-delà des limites de la représentation habituelle ouvrant des champs à l'investigation lui permettant d'aller là où elle n'aurait jamais pu aller autrement. En peinture « grâce à Dieu » le Greco a pu représenter l’irreprésentable. Dieu aurait été le combustible de l'invention conceptuelle.

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(3)- Invoquer le génie, c'est déposséder l'artiste de son œuvre et la mettre au crédit de la nature

Si les créations s'expliquent finalement par une origine qui est extérieure à l'humanité, à l'histoire et au vécu des créateurs, à savoir la nature, on peut en effet soutenir sans peine que les créateurs, s'ils doivent leurs œuvres à la nature plus qu'à eux-mêmes, au moins ne doivent-ils rien à personne. En outre, cette thèse permet de rendre compte des ruptures qu'on peut observer dans l'histoire de l'art, ruptures qui s'apparentent à des révolutions esthétiques : subitement, des œuvres apparaissent qui sont absolument irréductibles à ce qui a été et qui semblent reposer sur de nouveaux principes esthétiques.
Lorsqu'on observe une œuvre d’art, on peut mettre sa réussite sur le seul compte de son auteur, donc de son talent ou de son génie propre, mais on peut aussi remarquer que cette œuvre n'aurait pas vu le jour ou aurait sans doute été différente si son auteur n'avait pas vécu à la même époque ou s'il avait eu d'autres maîtres. Qu'il ne doive rien à personne ne signifie pas qu'il ne doive sa création qu'à lui seul puisque sans le génie, le talent, le don de la nature qu'il possède, il n'aurait pas pu créer.

 

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definir laicite

Faut-il redéfinir la laïcité ?

 

Il s'agit là d'une notion qui a fait son apparition relativement tardivement, mais qui reste une caractéristique de l'identité française. Le mot, en tant que substantif, n'a été employé de manière officielle que vers la fin du XIXe siècle, par exemple dans le Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire, qui l'a défini comme étant un synonyme de neutralité. Auparavant, le laïc était celui que l'on distinguait du clerc, lesquels formaient le clergé.
Toutefois, la séparation entre la société civile et la société religieuse est bien plus ancienne puisqu'elle remonte au Christ lui-même, qui distinguait le royaume de Dieu de celui de César. Plus tard, au temps de la monarchie, le roi était certes "très chrétien", mais l'Eglise ne gouvernait pas l'Etat, de même que l'Etat ne gouvernait pas l'Eglise, et ce malgré l'alliance du Trone et de l'Autel. L'invocation religieuse n'a pas disparu avec la Révolution de 1789, puisqu'ont été proclamés les Droits de l'Homme et du Citoyen "en présence et sous les auspices de l'Etre suprême". Cette Déclaration des droits...établira toutefois que "nul ne pourra être inquiété pour ses opinions même religieuses", ce qui n'était pas le cas dans le système monarchique antérieur. Pour le 1ere fois en France, est donc établie la liberté publique de conscience et d'opinion, condition sine qua non pour rendre la pratique nouvelle du suffrage universel vraiment représentative de l'opinion. Ce qui sous-entend que la liberté de la critique d'une opinion ne peut entraîner de condamnation du seul fait qu'une opinion soit émise, étant entendu qu'alors même le dogme religieux est ravalé au rang d'opinion. Condorcet fera la liaison entre "l'amour de la République et le respect de la souveraineté de la raison". De fait, désormais, seul l'ordre républicain est à même de garantir à chacun le libre exercice de la raison et le libre choix des raisons au sein desquelles il trouve sa motivation pour agir. Seul l'ordre républicain sera en mesure de garantir à l'avenir que la pluralité des convictions remplacera définitivement l'unité de la foi, laquelle antérieurement était supposée assurer l'unité du royaume, suivant l'adage "cujus regio, ejus religio".

On voit donc que la laïcité a partie liée avec la liberté; comme la liberté en tant que telle, elle n'émet aucun jugement mais établit les conditions qui permettent l'autonomie du jugement de

chacun par rapport à des autorités affirmant tenir leur légitimité de certitudes d'ordre métaphysique (religion) ou transcendantal (roi). Certes, de cette autonomie de jugement a découlé le renoncement à l'unité de la foi telle qu'elle avait été conçue par l'Ancien Régime, mais n'a pas entraîné de lutte contre la religion comme l'ont pratiquée par exemple les bolcheviks, ni même une quelconque primauté accordée à l'anticléricalisme. "Nous ne sommes pas les ennemis de la religion, d'aucune religion. Nous sommes au contraire, les serviteurs de la liberté de conscience, respectueux de toutes les options philosophiques et religieuses", dira Gambetta. Dès lors, il s'est agi tout simplement d'établir que tout ce qui relève de l'organisation de la Cité (au sens antique du terme) peut être fait sans référence à une source mystique, à une autorité religieuse. Ceci sera repris par la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, qui précise:" La République assure la liberté de conscience, elle garantit le libre exercice des cultes". Comme l'exercice du culte est public, les édifices religieux relèveront dorénavant du domaine public. Mais, comme la liberté de conscience est reconnue, cette loi, qui fut si décriée à l'époque, accorde aux Eglises de toutes obédiences, comme aux Israélites, la présence et la visibilité au sein de l'espace public afin d'y exercer les activités que les religieux tiennent à voir se développer; que ce soit dans la presse ou l'édition, l'enseignement, les associations, les syndicats et même partis politiques. La laïcité a donc permis ce "polythéisme des valeurs" (Max Weber), rendant possible une cohabitation non conflictuelle de personnes professant des croyances diverses ou des incroyances. La neutralisation politique de la religion n'ayant ainsi nullement abouti à sa neutralisation sociale, culturelle ou éducative, le rôle de l'Etat est de veiller au respect de la "common decency" au sein de l'espace public.

La laïcité n'est pas le fossoyeur des croyances, mais elle enseigne d'accepter de les mettre sous l'autorité de la raison sans pour autant que cela signifie que la raison ait réponse à tout. Mettre en doute des croyances ne signifie pas qu'elles soient fausses, cela signifie l'acceptation de la part du croyant de l'examen critique de ce à quoi il adhère. Kant, dans : Qu’est-ce que les Lumières ?

"La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. L'état de minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières". Néanmoins, c'est le très rationaliste Kant qui écrira aussi dans la critique de la Raison pure: "j'ai donc dû supprimer le savoir pour lui substituer la croyance". En effet, s'en remettre à la raison, c'est d'abord avoir conscience des limites de celle-ci. Dès lors, la raison ne s'oppose pas à la croyance, mais celle-ci donne à la raison un sens, autant une direction qu'une finalité.

Tout ceci semblait acquis et pourtant l'évolution contemporaine pose à nouveau la question de la laïcité. Certes, il ne s'agit pas ici de se lancer dans des considérations sur le développement récent d'un théo-fascisme dont le traitement relève exclusivement  des autorités policières, judiciaires et au besoin militaires, mais il faut reconnaître la tentation de certains mouvements religieux d'empiéter sur le domaine public davantage que cela avait été le cas jusqu'à présent. Que des firmes de prêt-à-porter se plient à une supposée esthétique islamique pour augmenter leur chiffre d'affaires peut faire sourire mais la loi Travail, heureusement combattue, n'avait-elle pas proposée d'introduire des pratiques religieuses au sein de l'entreprise, ce qui est autrement plus grave? Car en effet, comme cela a été souligné par la loi de 1905, l'acceptation du religieux dans le débat public légitime la croyance en lui donnant un statut égal à la raison. Toutefois, la croyance ne peut se discuter rationnellement puisqu'elle suppose l'adhésion à un ordre transcendant des choses, ordre par conséquent situé hors du champ de l'argumentation. Donc l'exercice des pratiques qui y sont rattachées doit rester dans la sphère du privé pour s'y épanouir pleinement. Non que ce qui relève du privé soit inférieur à ce qui relève de l'organisation de la sphère publique, mais très précisément cette dernière ne peut se laisser entraîner dans ce qui serait vu par certains comme abusivement contraignant, du fait que ces dispositions se soumettraient à des prescriptions d'ordre divin. Le politique doit prendre en compte et considérer comme légitime la diversité des points de vue, les uns privilégiant la persuasion par l'argumentation, les autres, la recherche de la finalité en empruntant des voies relevant de la transcendance. Mais aucune forme d'unité ne peut être réalisée si on ne reconnaît pas une stricte séparation entre ce qui relève du privé et ce qui a pour fonction de s'investir dans l'espace public. On conviendra aisément que la recherche du salut de l'âme est une recherche plus personnelle que l'organisation des ambitions individuelles dont finalement le but est toujours donner de l'agrément à l'enveloppe charnelle, dont tout le monde ne conçoit pas que celle-ci ne soit rien de plus que le support matériel de l'âme. Cette distinction entre sphère privée et publique est nécessaire à l'ordre public et à l'exercice de la démocratie. Les théocraties n'ont pas besoin de démocratie car elles n'ont que faire des pluralités d'opinion.

Ainsi la laïcité est le ciment de la république et non un ornement; il faut bien comprendre que démocratie et laïcité sont intimement liées, on ne peut défendre l'un et négliger l'autre. 

Actuellement, le politiquement correct aime se gargariser avec des formules vide de sens, comme par exemple le vivre-ensemble; dans toute communauté, les gens vivent les uns avec les autres, mais acceptent une loi commune dont le but est de régler pacifiquement les inévitables conflits. Si certains arborent des signes d'appartenance dont ce qu'ils véhiculent est l'affirmation que le spirituel prime le temporel, le législateur peut tolérer ce qui relève de l'apparence, mais non ce qui remettrait en cause les lois civiles. Chaque groupe humain se définit par son identité, ce qui le distingue d'autres ensembles. Rappeler ce que l'on est et demander à de nouveaux arrivants dans notre pays de se conformer à ce que l'on est ne saurait s'apparenter à un "repli identitaire". Il est légitime de demander au minimum l'intégration, l'assimilation pouvant être considérée comme superflue, mais nul ne peut s'intégrer au néant, il faut donc que ce qui définit l'identité du pays d'accueil soit clairement établi et le demeure. Demander un effort au migrant n'est pas l'exclure, mais au contraire c'est lui reconnaître sa qualité d'homme par sa volonté de devenir un citoyen. N'oublions jamais que la déclaration de 1789 était celle de l'homme ET du citoyen. Renoncer à cette exigence, c'est ouvrir la voie au choc des croyances. La question à poser n'est donc pas : qui est français, mais qu'est-ce qu'être français ?

La liberté de critique vis-à-vis des religions n'est en rien une guerre aux religions. Elle traduit simplement l'hétérogénéité de la société, laquelle doit se retrouver sur un socle commun qui est celui des principes régissant la vie de la communauté nationale. Certes le politiquement correct essaie de nous vendre le mythe d'une grande communauté humaine débarrassée de conflits où l'ordre marchand supplanterait l'ordre politique générateur de ces conflits. Ceci est une rêverie, digne du "doux commerce" cher à Montesquieu, destiné à assurer la concorde universelle.  Les principes qui régissent une société ne peuvent être que d'ordre politique car il faut un Etat et non un marché pour garantir le respect de ces principes. La question politique d'organisation de la société pose de fait la question de la souveraineté et de la manière dont celle-ci doit s'exercer.

Il semblerait qu'actuellement, il y ait quelques tensions avec l'islam, car, nous explique-t-on, cette religion représente une civilisation dont la doctrine est autant politique que religieuse, laquelle ne peut se cantonner à une simple option spirituelle pouvant s'épanouir dans la sphère privée. Mais le catholicisme, dans l'Ancien Régime, affirmait lui aussi avoir pour mission de guider les âmes des simples manants, comme celles des souverains. En vertu de quelle loi d'exception ne pourrait-on imposer à l'islam ce qui a été imposé au catholicisme, lequel a finalement pu constater que ce à quoi il a dû s'adapter ne le gênait en rien dans l'organisation de ses cultes? C'est que des lubies nouvelles sont apparues, la diversité, le multiculturalisme, la lutte contre des phobies diverses et variées dont l'islamophobie; les procureurs auto-proclamés affirment que puisque l’Etat-nation s'est constitué par le colonialisme et l'impérialisme, il faut achever la décolonisation par le démembrement de l'Etat-nation, source de "crispation identitaire", fut-il par ailleurs parfaitement démocratique. On voit tout de suite que cela remet en selle la vieille dichotomie entre communauté et société (Gemeinschaft-Gesellschaft). Une communauté est perçue comme une forme traditionnelle d'ordre social, où l'existence de chacun est régie par un ensemble de croyances et de normes héritées des ancêtres. La religion y est un principe globalisant. Une société, au contraire, est une libre association d'individus maîtres de leurs valeurs et qui construisent un ordre politique non contraignant. L'attachement culturel peut rester vivace mais ne peut rester englué dans des traditions qui deviendraient vite aliénantes. L'Occident ne privilégie la cohésion nationale qu'en privilégiant ce qui fait société, l'islam privilégie la communauté (oumma) et considère la liberté comme quelque chose d'accessoire. Pourtant, c'est le communautarisme qui est stérile en ce qu'il est un frein pour la modernité; l'échec des "printemps arabes" l'a amplement démontré.

Evidemment, on pourra arguer que c'est au nom de la raison qu'a été justifié le colonialisme, "les races supérieures ont le devoir d'éduquer les races inférieures", avait établi en toute bonne foi, Jules Ferry. Mais l'aventure coloniale terminée, les dites "races supérieures" en sont venues à considérer que leur modèle de société n'en était qu'un parmi d'autres. 

Il semblerait que si conflit des civilisations il y a, ce conflit existe en un Occident qui serait une société, organisée pour la garantie des droits individuels, et un monde musulman qui serait resté un univers fondé sur la tradition, sur le respect de coutumes ancestrales fournissant la base de la vie bonne. Le politologue Pierre Manent estime que l'Occident va perdre la bataille car à force de se focaliser sur des droits individuels de plus en plus abstraits, "la société défait ses liens, alors qu'avant le règne de l'individualisme forcené, chaque nation s'efforçait au rassemblement et à l'indépendance", écrit-il, dans Situation de la France
Evidemment, le mythe dit de "la construction européenne" n'arrange rien. "L'Europe, note-t-il, n'est et ne veut être que la pure universalité humaine; elle ne saurait donc être quelque chose de distinct. En un sens bien réel, elle veut être un rien. Une absence ouverte à toute présence de l'autre, être soi-même un rien, pour que l'autre, n'importe quel autre, puisse être tout ce qu'il est".
Un telle candeur pourrait faire rire si le retour de manivelle n'avait pas été particulièrement brutal. Il y a bien un avant et un après 2015, année des attentats. La bien-pensance voulait nous faire croire que les choix de l'Autre étaient toujours bons et que la seule vertu que nous devions afficher était, sous couvert de diversité, l'ouverture à l'Autre et l'acceptation immédiate de ses préférences, fussent-elles rétrogrades.

 

La béance du vide ainsi créé n'a toutefois pas créé la béatitude que devait engendrer la création d'un monde de bisounours. Il est temps maintenant de revenir aux fondamentaux d'un ordre politique qui ne soit plus obnubilé par l'ouverture à l'Autre obsessionnellement vécue comme une panacée. 

De sorte qu'il n'y a finalement aucune nécessité de redéfinir la laïcité. Les dogmatismes qui lui font face sont à combattre au nom du respect de la démocratie. Celui des libéraux-libertaires européistes idolâtres du marché autant que celui des islamistes. Dire, comme Junker qu'"il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens» n'est rien de plus qu'une réponse aux propos provocateurs de son "partenaire" Erdogan, affirmant que "la démocratie est un moyen mais non une fin : c’est comme un tramway, on en descend quand on est arrivé à destination». Il faut remettre sur le devant de la scène des notions aussi simples que celles énoncées par l'observatoire de la laïcité: la liberté de conscience et la liberté de culte, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l’égalité de tous devant la loi quelles que soient les croyances et les convictions. N'oublions jamais l'analyse d'Annah Arendt: le mal ne nait pas d'une intention maligne, il nait de la passivité, de la paresse, de l'acceptation de ce qui est car la réflexion  serait un exercice trop ardu. Pour conclure, on citera cette exhortation de Jaurès: "Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques".

 

Jean Luc

 

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Laïcité

13 avril 2016

 

Solution française à la relation entre Religion et Politique

 

            Traditionnellement, la question du rapport entre pouvoir religieux et pouvoir politique était résolue par la fusion des deux dans une même personne : Le souverain était à la fois chef politique et chef religieux, en tant que dieu lui-même ou représentant de dieu sur terre (Inca, Pharaon, Empereur, Roi). À partir de la Renaissance en Europe, et particulièrement en France, l’adhésion des populations à cette fusion s’affaiblit et recule, grâce à la montée de l’incroyance, à la rupture de la Réforme protestante, aux guerres de religion et aux épurations religieuses (Révocation de l’Édit de Nantes). Ce recul est allé en France jusqu’à la cassure révolutionnaire, avant de parvenir ensuite de façon mouvementée à l’équilibre laïc républicain.

Cette laïcité républicaine comporte deux aspects joints : D’une part dans la sphère publique, la séparation réciproque des Églises et de l’État, c’est-à-dire la double disposition, anticléricale et antigallicane, qui met l’État et l’Église catholique à l’abri de toute emprise de l’un sur l’autre ; d’autre part dans la sphère privée, la liberté religieuse, de conscience et d’exercice. Cette prudente solution apparaît comme la mieux adaptée à la situation religieuse spécifique de la France, dont la population est l’enjeu d’un radical conflit entre deux croyances principales très dogmatiques, le Catholicisme et l’Athéisme. Ailleurs, d’autres situations religieuses ont entraîné d’autres solutions : Aux USA, la multitude de « dénominations » religieuses, peu dogmatiques, trouve facilement un consensus moral, et autorise une certaine religiosité de l’État, même séparé de la religion. Au Danemark, la prédominance du seul Luthéranisme en fait la « religion nationale », avec un clergé fonctionnaire.

 

 

Solution fragile, déstabilisée par l’Islam

 

            Avec le temps, s’est développé en France un « modus vivendi » pragmatique des religions dans la République laïque : En quelque sorte, la République « une et indivisible » s’accommode d’un « communautarisme » religieux, portant sur l’enseignement, les lieux de culte, les médias, les dérogations publiques… Mais cet accommodement est toujours fragile, et les différentes croyances religieuses restent inconciliables : La lutte est permanente, en particulier, sur le terrain qu’ont en commun la Morale privée, à portée collective, et le Droit public, à portée individuelle (avortement, contraception, mariage…). Car, Catholicisme et Athéisme sont des croyances prosélytes, à visée politique.

            Or, l’irruption récente en masse de la religion musulmane vient bousculer ce fragile équilibre. Le défi est doublement difficile : Trouver un « modus vivendi » de l’Islam dans la République laïque, et en même temps, construire sa coexistence avec le Catholicisme et l’Athéisme. Aux difficultés socio-culturelles et spatio-temporelles, s’ajoute le fait que l’Islam est lui aussi une religion prosélyte et à visée politique.

            La laïcité républicaine doit certes être réaffirmée, pour éviter le spectre d’une guerre de religions, mais aussi réaménagée pour établir un « accommodement » républicain de l’Islam, et favoriser sa coexistence avec les autres religions.

 

Patrice

 

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Sens de l’humour

27 avril 2016

 

Humour indéfinissable

 

            L’humour en soi, son essence, reste une énigme. Les innombrables définitions tentées sont toutes circulaires, du genre « pensée drôle » ou « vision amusée » des choses ; et le sens de l’humour serait l’aptitude mentale correspondante, inégalement partagée. L’humour est relatif, au savoir, aux différentes cultures, aux groupes sociaux, et à la limite aux individus, même s’il peut apparaître un certain consensus, en raison d’une communauté d’éducation ou de condition humaine. Finalement, est humoristique ce qui provoque l’humour, chez ceux qui en ont le sens…

            Le sens de l’humour est la manière drôle de penser, de connaître, et cette cognition humoristique relève du « primat de la perception » (Merleau-Ponty) : L’humour n’est ni dans le monde extérieur, les objets perçus, ni dans la pensée du sujet percevant, mais dans le « chiasme » humoristique, l’entrelacement drôle du sujet et de l’objet.

 

Humour multidimensionnel

 

            Très nombreuses sont les théories classiques de l’humour, chacune mettant l’accent sur l’un de ses multiples aspects. Pourquoi rit-on ? Les principales explications tentées dans l’Histoire sont les suivantes : On rit par supériorité, en marquant le défaut ou le ridicule d’autrui (Hobbes) ; par incongruité, devant quelque chose d’absurde ou de décalé (Kant, Schopenhauer) ; par transgression, quand, sans réelle menace, sont mises à mal les règles, normes et autres convenances ; par inadaptation, en présence d’un comportement rigide, mécanique (Bergson) ; par détente, quand le « mot d’esprit » soulage une tension agressive ou sexuelle (Freud).

            Deux psychologues W. Hurley et R. Adams, et un philosophe D. Dennett ont proposé une explication globale de l’humour, à travers une théorie évolutionniste (« Inside jokes », 2011) : La cognition humaine est essentiellement anticipatrice ; et l’humour a été sélectionné au cours de l’Évolution, car avantageux pour la réussite de ces prévisions cognitives. Le plaisir éprouvé dans l’humour pousse en effet à vérifier les anticipations, et à corriger les éventuelles erreurs. L’humour apparaît ainsi comme une corde de plus à l’arc de l’intelligence humaine, pour mieux réussir l’existence. D’abord très concret, le sens de l’humour s’est élargi au cours du temps à l’ensemble de la pensée : Rire est devenu une « friandise » de l’esprit.

            L’humour peut alors retrouver toute sa place épistémologique. Pour Platon, on rit du laid. Comme le laid, c’est le faux, on rit de ce qui n’est pas vrai ; seul le sérieux convient donc à la vérité, cette connaissance de la « belle » réalité unitaire. Or, l’humour justement rompt avec ce rationalisme binaire, et sortant la pensée hors du simplisme absolutiste, contribue à saisir la diversité complexe de la réalité.

 

Humour phénoménologique

 

            Le plaisir rieur contribue au bien ou mieux vivre, et ce de plusieurs façons :

            D’abord, en soulageant l’excès de pression, qu’elle soit morale (puritanisme anglais) ou religieuse (offense à Dieu, « Nom de la Rose »), politique (persécution juive, dictature) ou sociale (anxiété, Woody Allen).

            Ensuite, en contrebalançant « l’esprit de sérieux » dans tous les domaines, dont le sens du tragique de l’existence (humour absent dans l’œuvre de Heidegger !).

            Enfin, en constituant un avantage dans la vie sociale (échanges de pensée, séduction).

            Mais des excès du sens de l’humour sont toujours possibles, qui se traduisent par la posture artificielle, « mondaine » du blagueur sempiternel, du plaisantin universel, ou bien par l’agressivité ironique ou moqueuse, comme par exemple dans cette blague grinçante :

            Un mendiant tendant la main à un passant : « Je n’ai pas mangé depuis trois jours ».

            « Vraiment ? Mais voyons, il faut vous forcer, mon vieux ! ».

 

Patrice

 

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LE  DOUTE

 

Quelle confiance peut-on accorder à une personne décrite comme "un homme de conviction"? On saura surtout qu'à la moindre contrariété, son esprit ne sera saisi d'aucune forme de doute. Au contraire, il se murera dans une posture qu'il prendra pour de la fermeté, il se drapera dans ce qu'il considérera comme étant le manteau de sa dignité, confondant celle-ci avec une stérile obstination.


Celui qui ne doute pas est celui qui n'interroge pas et donc, en fait, est celui qui ne réfléchit pas. Que lui reste-t-il alors? Le plus fréquemment, l'échappatoire. Cette attitude a été décrite par de nombreux auteurs, par exemple Proust :" Il ne put approfondir cette idée, car un accès de paresse d’esprit qui était chez lui congénitale, intermittente et providentielle, vint à ce moment éteindre toute lumière dans son intelligence, aussi brusquement que, plus tard, quand on eut installé partout l’éclairage électrique, on put couper l’électricité dans une maison. Sa pensée tâtonna un instant dans l’obscurité, il retira ses lunettes, en essuya les verres, se passa les mains sur les yeux, et ne revit la lumière que quand il se retrouva en présence d’une idée toute différente".


Le réel est complexe, ardu à aborder, et pour la grande majorité des humains en effet, la "paresse d'esprit congénitale, intermittente et providentielle" est sur quoi se fonde le jugement. De simples préjugés, en réalité des béquilles mentales destinées à satisfaire la vanité de chacun, tiennent le plus souvent lieu de pensée. Autant le réel est ce qu'il est, autant la réalité que nous forgeons dans notre esprit à partir non d'une analyse mais d'une interprétation de ce réel, s'apparente à une pure illusion. Car lorsque le réel indispose plus qu'il ne rassure, nous cherchons à le voir uniquement au travers du prisme de nos représentations et de notre culture de référence. Comme l'a écrit Péguy: "il faut toujours dire ce que l'on voit. Surtout, et c'est plus difficile, voir ce que l'on voit". En effet, vouloir ne pas voir ce qu'on voit, entraîne paradoxalement une attitude de passivité, de résignation.

Pourtant, à force, par cécité volontaire, de différer la décision qui s'avèrerait nécessaire, on ne résoud rien. L'illusion qui sert de refuge est avant tout quelque chose de fondamentalement inutile et de vain; elle entraîne au mieux l'indécision, sinon l'apathie et au pire la fuite dans les paradis artificiels.


Alors, on conviendra qu'il faut à épisode régulier, décrasser l'esprit comme on décrasse un moteur, sinon la raison devient cette putain dénoncée en son temps par Luther. Ce qu'elle est lorsqu' elle suit et légitime l'illusion. Toutefois, rejeter l'illusion et accepter la clairvoyance ne suffit pas; il faut encadrer la raison par une éthique, cela évite que l'idée se fige en idéologie, la pensée en dogme, le sens du sacré en fanatisme ou au contraire, que la conviction s'étiole en relativisme. L'idéologie, le dogme, le fanatisme ont ceci en commun qu'ils ne s'intéressent pas au réel mais uniquement à leurs propres élucubrations ou à l'absence de celles-ci dans le cas du relativisme. Le résultat, on le connait: on juge, voire on condamne, sans comprendre, alors que la démarche de l'"honnête homme" serait de chercher à comprendre avant de juger.

 

Cette constatation a dû certainement être faite par Descartes, le grand expérimentateur du doute, qui note: "Une fois dans sa vie, il faut tenter de se défaire de toutes les opinions reçues jusque-là. Comment faire? Il n'est pas nécessaire d'examiner chaque opinion en particulier. Il suffit de s'attaquer aux principes sur lesquelles elles s'appuient. Quand les vérités viennent des sens, il faut s'en méfier, car ils sont trompeurs. Je peux douter de tout ce qu'ils proposent, y compris que mes mains et mon corps soient à moi. Qu'est-ce qui me prouve que je ne suis pas fou? Que je ne suis pas en train de rêver?". Et plus loin:" Je n'ai qu'une seule certitude, c'est que c'est moi qui pense cela. C'est une connaissance plus certaine et plus évidente que toutes les autres. Je peux douter de mon corps, de mes sensations, mais je ne peux pas douter du fait que je pense, tant que je pense. C'est moi qui doute, qui entend, qui désire, c'est moi qui affirme, qui nie, qui veut. Je n'ai besoin de rien pour l'expliquer, même pas de mon imagination."

 

Comme l'a découvert Descartes, le doute a pour fonction de trouver une méthode. Et grâce à cette méthode, d'arriver à un jugement sûr et certain, car par le doute défini maintenant comme méthodique, c'est évidemment l'incertitude qu'il s'agit d'évacuer. On dira la certitude dangereuse mais elle ne l'est que lorsqu'elle se fige en dogme, le dogme étant, comme on l'a dit, ce qui se fonde sur le déni du réel. Or un jugement sûr et certain, rationnellement établi, permet de s'accommoder du réel tout en n'évacuant pas ce qui ressort du domaine de la croyance, croyance que l'on considère en général comme le terreau sur lequel s'épanouit le dogmatisme. La connaissance du réel est naturellement nécessaire, mais elle reste vide de sens, car savoir n'est pas réfléchir (mieux vaut une tête bien faite que bien pleine). L'art de la démonstration relève d'une saine hygiène mentale, car ce qui est démontré n'a plus besoin d'être cru, toutefois cela ne veut pas dire qu'on pourra un jour intégrer la totalité du réel dans des circonvolutions démonstratives. Tout ce qui est du domaine de la morale reste lié à un désir jamais assouvi d’équité.

Une des croyances qui a le plus agité l'esprit des humains, est la croyance en Dieu. Ayant été personnellement initialement porté vers l'athéisme, je trouvais cependant peu satisfaisant que l'on doive, par ce "a" privatif, se définir par rapport à un être dont on nie par ailleurs l'existence. Doutant alors du bien-fondé de l'athéisme, j'interrogeai l'intuition cartésienne de l'être infini et parfait (Dieu) qui assurait à l'homme (être fini, imparfait mais perfectible) d'avoir l'idée d'une pensée juste. Il est vrai que la pensée étant immatérielle et intemporelle, on pouvait estimer que celui qui affirmait qu'elle n'était pas à l'image d'un être immatériel et intemporel le faisait péremptoirement.

 

Le doute est un inconfort, mais en sortir par le dogmatisme dans un sens ou dans l'autre relève du crétinisme. Si l'on admet que l'existence précède l'essence, on en déduit que l'homme est nécessairement libre de son choix, la conscience et la pensée qui en émerge s'épanouissant en dehors de tout déterminisme. Chacun peut donc tout aussi bien douter qu'affirmer ceci ou cela. Mais naturellement, cela ne nous renseigne en rien sur l'origine de l'essence et de l'existence. Soit elles sont par soi, soit elles sont en fonction d'autre chose, qui ne peut de toute façon être appréhendé par la faculté de connaître. Pourtant, il faut bien sortir du doute, car sinon on tomberait dans le pyrrhonisme, qui a été une absolutisation du doute mué en un scepticisme radical.  On ne peut le faire qu'en réhabilitant l'énoncé d'une affirmation, d'un postulat qui admet bien évidemment qu'on puisse douter de ce qu'il énonce. Cet énoncé, dès lors, ne sera plus perçu comme un argument d'autorité, mais comme un essai de réflexion.

Aristote, dans sa "Métaphysique" considérait que les séries causales (les lois de causalité) qui donnent sa cohérence au monde ont une origine, un 1er moteur dont, dira Spinoza, "le concept n'a pas besoin du concept d'autre chose, d'où il faille le former". Ce 1er moteur, meut sans être mû; et Aristote affirme: "Il n'y a qu'une substance éternelle qui puisse être immobile...si toutes les substances étaient périssables, tout serait périssable comme elles". Mais, constate le philosophe, le mouvement (dont  est issu le principe de causalité) et le temps, en tant qu'ils ne sont rien de périssable, sont des attributs de Dieu (Etre en acte -achevé- et non en puissance -qui n'est que pas son action-). Et ainsi, Dieu, n'étant pas en devenir, ne peut donc ne pas ne pas faire ce qu'il doit faire, et la création est donc nécessaire. " Il se peut fort bien que ce qui a la capacité d'agir n'agisse pas. Il serait bien inutile de supposer un tel moteur...s'il ne devait y avoir un principe qui fût en état de produire le changement. Mais ce principe lui-même, non plus que toute autre substance... ne suffit pas, car si cette substance n'agit point, le mouvement sera impossible. Et même elle agirait que ce n'est encore rien, si sa substance n'est qu'en puissance; car alors le mouvement ne sera pas éternel, puisque ce qui n'est qu'en puissance peut aussi n'être pas... il doit donc exister un principe dont l'essence soit d'être en acte. De plus, il faut que de telles substances soient sans matière, car elles doivent éternelles...ce n'est pas la matière qui se donne à elle-même le mouvement...pour qu'il y ait production et destruction des choses, il faut qu'il existe un principe qui agisse éternellement."


C'est donc d'un être totalement déterminé (par quoi? là est le mystère) que dépendent l'existence des êtres contingents dont les humains. De sorte, qu'effectivement, notre contingence étant notre réel, par nécessité, l'existence précède l'essence que nous définissons ensuite par nos pensées et nos actes. Et Dieu n'a pu se divertir (au sens pascalien) de sa totale détermination qu'en créant des êtres en puissance, des êtres pour cela soumis à la temporalité pour les obliger à agir.


Tout ceci ne constitue que des pures spéculations, mais on voit bien que c'est en refusant les vérités toutes faites que l'on peut aiguiser sa pensée. Pratiquer le doute méthodique permet de sortir de l'hésitation, du relativisme, mais aussi du dogmatisme, toutes choses stérilisant l'esprit. Le doute se fonde sur la réflexion et aboutit à une autre formulation du réel. N

 

on pas un en-dehors du réel, mais un complément de celui-ci, dont nous prenons plaisir à décrire de quoi il s'agit, car effectivement, c'est la satisfaction de pouvoir penser qui nous fait expérimenter le plaisir d'être, le fameux cogito cartésien. 

 

Jean Luc

 

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Pourquoi le doute existe-t-il ?

11 mai 2016

 

            On peut voir trois raisons à l’existence du doute, entre savoir et ignorance : une mauvaise et deux bonnes.

            La mauvaise raison est celle du doute « philosophique ». Depuis 25 siècles, la pensée occidentale questionne, raisonne, questionne, mais sans jamais donner de réponse certaine. Pourquoi ? Ce « doute indépassable » provient directement de la fausse croyance initiale au savoir absolu, et à la prétention continue de l’atteindre. La quête d’une Vérité idéaliste, d’abord objective (Platon, Aristote, Thomas d’Aquin), puis subjective (Descartes, Kant, Hegel, Fichte), a traversé toute l’Histoire de la philosophie occidentale. Deleuze a bien cerné cette constante illusion, lui qui concevait les systèmes philosophiques comme autant de « plans d’immanence », formant indéfiniment des « coupes » dans la réalité indifférenciée.

            L’une des bonnes raisons est celle du doute logique. Le savoir en effet est toujours peu ou prou tautologique. Pourquoi ? Comme le montre bien la Phénoménologie perceptive (Merleau-Ponty) et cognitive (Varela), le savoir est un « couplage » identitaire entre l’objet et le sujet, à la fois objectif et subjectif : « Je pense comme c’est, et c’est comme je pense », forme la tautologie « je pense comme je pense ». La science elle-même, et pas seulement la logique et les mathématiques (École de Vienne), représente un savoir en quelque sorte tautologique : Les propriétés du triangle sont déjà dans les axiomes et postulats géométriques, le boson de Higgs est déjà dans la théorie du Modèle Standard des Particules. Dans tout savoir, il y a ainsi une part de doute, doute rassuré couramment par la confiance : C’est toujours la confiance qui justifie le savoir.

            L’autre bonne raison est celle du doute réaliste. Le savoir en effet n’est ni clos ni figé, mais toujours ouvert et dynamique, « différant » dit Derrida, « rhizomique » dit Deleuze. Pourquoi ? La réalité est multidimensionnelle et évolutive : C’est du même différent dans le temps et l’espace (réalité fractale), avec les « écarts » des éventuels possibles (F. Jullien). La réalité pensée n’est ainsi ni pure continuité fluide, relative, comme le croit Deleuze, ni pure discontinuité solide, absolue, comme l’affirme son disciple critique Badiou, mais bien relativement absolue : Vraie à l’intérieur des dimensions référentielles dans lesquelles on parle, fausse en dehors. Tout savoir laisse donc une place au doute méfiant, qui délimite son champ de validité. Doute et savoir, loin de s’opposer, se nourrissent ainsi l’un l’autre, dans le couplage de la pensée avec la réalité. 

Patrice

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Y a-t-il un totalitarisme de l'Histoire ?
 

On pourrait trouver cette question de prime abord absurde. L'Histoire n'a-t-elle pas été inventée dans la Grèce antique, par un certain Hérodote, qui ne voulait pas que le souvenir d'actes glorieux soit effacé par le temps? Et c'est bien dans cette même Grèce antique qu'est apparue l'idée, certes imparfaite, de démocratie, démocratie qui ne peut s'analyser que comme étant la négation du totalitarisme. 
Le concept de totalitarisme a mauvaise presse car il renvoie à l'idée de terreur. Il a été théorisé la 1ere fois par Mussolini qui affirma:" Tout dans l'Etat, rien en-dehors de l'Etat". Cette prétention a tout placer sous le contrôle de l'Etat fut condamnée par le Vatican qui parla alors de "statolâtrie", autrement dit d'idolâtrie de l'Etat. Parler d'un totalitarisme de l'Histoire revient à dire que les sociétés humaines dans leur ensemble seraient soumises à des lois qu'elles ne pourraient maitriser et qui rendraient illusoire toute idée de "fin de l'Histoire".

 

Les sociétés animales, les fourmis, les loups, les chevreuils, n'ont pas d'histoire car elles ne se projettent dans aucun avenir; chaque génération se contente, sans même s'en rendre compte, de reproduire le même comportement que la génération précédente. 
Il n'en est pas tout-à-fait de même pour les sociétés humaines: "Eadem, sed aliter", résume Schopenhauer, commentant le cycle de l'Histoire: la même chose, mais autrement. " Rien de ce qui est ne cesse d'être ce qui fut, rien de ce qui fut ne peut disparaître complètement", complète R. Debray. Dans le monde physique et le monde animal, tout semble simple, un phénomène, quel qu'il soit, découle d'une cause dont il est la nécessaire conséquence. Dans les civilisations humaines, ce qui s'y produit est constitutif non d'un phénomène, simple apparition d'un fait explicable, mais d'un événement, qui est le fruit d'une décision et qui est ensuite analysée, disséquée, en quelque sorte objectivée comme s'il s'agissait d'un fait naturel qui contient en lui-même sa propre explication. L'homme est un être de raison qui doit être capable de comprendre ce qui lui arrive, se disent les sociologues, psychologues, anthropologues, ethnologues, politologues, neuropsychologues, neurosociologues, criminologues, philologues, graphologues, phonologues, phénoménologues, polémologues, médiologues et autres byzantinologues. Le plus simple ne serait-il pas de créer des comités d'éthique composé d'œnologues, puisque, comme l'avaient établi les Romains, "in vino, veritas".

 

L'homme est certes un être de raison, mais aussi, comme l'avait déjà constaté Aristote, un animal politique. Il aime vivre en société et aime débattre de la manière dont cette société doit être gouvernée. En même temps, comme il n'est jamais satisfait des conditions dans lesquelles il vit, il se projette dans le futur pour imaginer ce qui serait idéal, ce qui rendrait possible cette si chimérique "fin de l'Histoire". 
Alors, pourquoi "les faits sont-ils têtus", comme avait constaté un révolutionnaire du siècle dernier qui naïvement avait pensé en venir à bout? Naïvement, car les faits, autrement dit les évènements historiques qu'on peut opposer, comme dit précédemment, aux phénomènes naturels, contiennent tous une part d'irrationnel, d'arbitraire, d'imprévisibilité, de despotique, caractéristiques qui sont la marque même d'un pouvoir totalitaire. Dès lors, il est logique qu'un pouvoir totalitaire n'a jamais pu arrêter le cours de l'Histoire, car l'irrationalité ne peut stopper l'irrationalité. S'imaginer qu'il est possible de créer une société auto-fondée, ne devant rien à personne, n'est qu'une sottise, un infantilisme.

 

Ce qui d'ores et déjà peut nous inciter à déduire que la tentative en cours d'arrêt de l'Histoire, celle opérée par le prétendu "Etat islamique" est vouée à l'échec. Ce qui se concevant bien s'énonçant bien, on évitera de tomber dans le piège des droitdel'hommistes, ces idiots utiles du califat, en évacuant l'analyse pseudo-scientifique liée à de supposées phobies. On distinguera:
-l'islam, une religion qui, en tant que telle, n'a d'intérêt que pour ceux qui y croient et reste indifférente aux autres. 
-l'islamisme, une posture idéologique; il faut accepter d'en débattre avec ses thuriféraires en usant d'arguments raisonnés.
-le djihadisme est une imposture qui conduit au terrorisme: il faut le combattre par des moyens policiers et judiciaires et si ça ne suffit pas, l'abattre par des moyens militaires. 

 

Le besoin d'avenir qui caractérise les sociétés humaines, et qui les différencie des sociétés animales, elles-mêmes très proche du monde naturel dans son ensemble, doit s'appuyer sur la raison. L'avenir est ce qui advient, est ce qui trouve sa source dans le passé et s'enracine dans le présent alors que le futur, plus vague, ne répond à aucune nécessité; il reste dans les cieux éthérés de l'imaginaire. Quand on dit, à l'avenir, cet avenir commence le jour même; quand on dit, dans le futur, c'est peut-être jamais. Le besoin d'avenir est plus qu'un désir, il répond à une nécessité. Le désir, certes essence de l'homme, selon Spinoza, ne peut s'épanouir que s'il prend conscience de ce par quoi il est contraint, selon le même Spinoza, précédant ainsi Freud. Disons qu'un désir est un besoin élégamment revêtu d'un vernis culturel; pour s'épanouir, il peut trouver ses outils dans ceux que lui fournit la raison. Le besoin s'impose, le désir se cultive. Le besoin trouve son aboutissement dans le désir lorsque celui-ci permet l'émancipation de l'individu.

 

Seul l'homme a conscience de sa temporalité et de sa finitude; il aimerait pouvoir  échapper à cela et se créer un avenir serein. Mais pour que plus rien de déplaisant n'advienne, la tentation de faire du passé table rase est maléfique; se débarrasser des scories forcément nauséabondes du passé n'aura pas pour conséquence que l'humanité n'ânonne plus des catéchismes infantilisants, ne bafouille plus quand il s'agira de définir son progrès économique, ne bégaie plus dans la recherche d'une culture "populaire" accessible à tous. Brave Lénine, les idoles sont tombées les unes après les autres, même et surtout en Occident où le peuple "libéré" suit docilement les "people", la nouvelle élite. 
C'est que, comme toujours, l'Histoire est revenue au galop. Un futur sorti de nulle part mène au nihilisme et certainement pas à l'émancipation. L'icône, oh combien rassurante en son temps, du petit père des peuples a laissé la place au coach pour people, suivi d'épigones aussi nombreux qu'insignifiants.
 
Une civilisation n'a pas une histoire comme elle a par exemple un corpus législatif (les différents codes, civil, pénal, du travail, du commerce, administratif, etc) qui ont pour fonction de rendre légal ce qui a priori n'a aucune légitimité. Mais elle est cette histoire, elle l'incarne, elle représente non seulement un vivre-ensemble, mais un penser-ensemble qui cherche à établir quelque chose qui la dépasse. C'est ce dépassement, cet indéfinissable au-delà de soi, véritable antidote de ce qui a pu être décrit comme l'insoutenable légèreté de l'être, qui permet d'oublier sa finitude et l'ennui qui en résulte. Cela peut paraître exigeant, mais est nécessaire surtout pour notre société postchrétienne à qui il est lancé le défi de l'innovation. S'abstiendra-t-elle de cet effort et elle retrouvera bien vite le goût de la couronne d'épine qu'elle avait crue pouvoir jeter aux orties. Le terne "idéal de désidéalisation" (Finkelkraut) qui s'est installé au nom du "politiquement correct" risque d'avoir bien vite un goût aussi amer que l'ancienne icône déchue de l'"univers radieux des prolétaires".

 

En quoi l'histoire serait-elle totalitaire? Quand on demande à R. Debray ce qui caractérise nos sociétés, il répond par l'impuissance à croire. Les esprits progressistes ont longtemps considéré que croire était aliénant, ne rendait pas heureux, n'étant que l'opium du peuple. Et constate sans enthousiasme Debray, l'épanouissement individuel est ce qui de nos jours est prioritairement cultivé, et non l'accomplissement collectif. Voilà ce qui serait la clé du bonheur ! Le bonheur, cette idée pour les imbéciles, avait un jour lâché de Gaulle. Le tout-à-l'ego mène au nombrilisme, mais le nombrilisme ne fait pas sens. "Une société sans credo n'apporte rien, c'est la porte ouverte au fanatisme", Debray. La question n'est donc pas que faire, mais que croire. L'homme est défini par sa croyance, c'est elle qui  donne sens à sa vie. Les marxistes avaient simplement substitué une croyance à une autre, inventant, comme on peut encore le voir en Corée du nord, un mysticisme sans transcendance. Le besoin de croire répond à un déterminisme qu'en toute modestie, il faut savoir accepter. En ce sens Spinoza avait raison contre Sartre, qui préconisait la liberté illimitée alors que Spinoza considérait que la liberté supposait l'acceptation de ses déterminismes.

 

D'ailleurs, qu'est-ce que la liberté si elle n'est pas encadrée. Nietzsche: "On veut la liberté aussi longtemps qu'on n'a pas la puissance. Si on a la puissance, on veut la suprématie. Si on ne réussit pas parce qu'on est trop faible, on veut la justice". Alors, par quoi faut-il encadrer cette idée de liberté pour qu'elle ne dérive pas non pas en volonté de domination, mais en cette volonté de puissance chère à Nietzsche? L'homme est avide de connaissances, mais pas seulement. Il a tout autant besoin de constamment interpréter son existence. Il a besoin d'interroger l'être en soi, l'essence, la téléologie ou étude des finalités, l'eschatologie ou l'étude d'une finalité liée aux divinités, bref toutes choses lui donnant au moins un sens à sa vie si ce n'est, pour les plus enthousiastes, un sentiment d'éternité. De tout cela, il se forge des croyances, lesquelles, s'il l'on se fie à Debray, refouleraient, au sens freudien, le fanatisme en deçà de la conscience. Le goût pour l'interprétation concerne tout autant le présent que le passé, car le présent est ce qu'il est par référence à un passé et par volonté d'agir par rapport à ce passé. Mais l'action, qui ne peut concerner que le présent, doit se préoccuper des conséquences dans le futur. Avoir oublié le passé, rend toute action dans le présent et l'anticipation des conséquences dans le futur bien incertaine; l'homme sans passé est un homme mutilé, incapable d'agir car la volonté seule s'égare rapidement si la mémoire est défaillante. Sans croyance, la liberté n'est que caprice, mais la croyance débarrassée du fanatisme est le philtre qui donne à la liberté sa consistance.

 

Qu'est-ce qui donne du sens au présent? Le passé. Le présent s'articule avec le passé, lui permettant de faire émerger et rendre concrètes des potentialités conçues naguère. Sans cette articulation règne la prétention de la table rase, et le bateau ivre ainsi conçu finit toujours par sombrer. Qu'est-ce que la table rase, si ce n'est le refus de tout ancrage existentiel, le refus de toute identité qui structure une société et donc la porte ouverte à toutes les dérives?
Il n'y a finalement pas de totalitarisme de l'Histoire, mais c'est la négation de l'héritage historique est la porte ouverte soit au chaos, soit au totalitarisme.

 

Jean Luc

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comprendre approuver

Comprendre est le commencement d’approuver (Spinoza)

 

Approuver, c’est donner son agrément, son accord entier et sans réserves, à quelque chose, une idée, une attitude, un comportement, un système, un simple texte (Lu et approuvé), parce qu'on les trouve justes, bons, louables, logiques, qu’on «leur donne raison » comme l’indique l’étymologie latine approbare.

 

Comprendre, est composé du latin « cum » et « prehendere », c’est-à-dire, « saisir avec ». Ce que l’on saisit, c’est ce qu’on a « en mains ». « Je saisis » signifie que je suis en train de « prendre possession », d’inclure dans mon esprit, dans ce que je suis, la représentation nette d'une chose, d’une idée ou d’un système de pensée, dont je me représente nettement la signification, dans une opération de synthèse qui en dévoile le sens.

Comprendre, c’est embrasser par la pensée, brasser par la pensée.

Bien entendu, on pense dès l’abord que pour approuver, donner son agrément, son accord entier et sans réserves, il faudrait d’abord comprendre. Donc commencer par comprendre pour approuver. Comprendre serait le chemin qui mène à l’approbation. Dans cette optique on pourrait dire : « Comprendre n’est que le commencement d’approuver.

 

Or c’est une étape que sautent les croyances. La croyance prend en même temps possession, embrasse une idée, un système de pensée et y donne son agrément, l’approuve, sans passer par la case de l’usage de la raison.

 

Parce que notre pensée n’est pas neutre, elle dépend de la manière dont elle s’est constituée : la culture familiale, celle de son époque, les croyances qui font autorité. Pour comprendre un objet de la pensée ne faut-il pas comprendre la vision du monde à laquelle nous nous référons et celle à laquelle il appartient ? Ainsi nous ne comprenons-pas d'une façon uniforme.

 

On peut comprendre les mécanismes d’un meurtre, comprendre pourquoi Jacqueline Sauvage a tué son mari. Certains ont approuvé son geste, qualifié  de légitime défense, d’autres le condamnent parce que, personne ne peut être autorisé dans une société légaliste à se faire justice soi-même.

Lorsque la raison s’invite, comprendre est une chose, l’approuver en est une autre. Là, comprendre est la condition nécessaire pour pouvoir porter un jugement, positif ou négatif, pour approuver ou non.

 

Or le Traité Théologico-Politique est une reprise intégrale de la lecture de la Bible, par laquelle Spinoza propose que le texte ne soit expliqué que par le texte lui-même, sans lui substituer des interprétations plus ou moins "libres»." Puisque celles-ci peuvent être multiples, ce chemin s’opposerait à la raison et qu’il n’y a qu’une seule raison.

Ainsi la loi, qu’elle soit religieuse ou démocratique ne peut pas faire l’objet d’interprétations. (1)

C'est-à-dire que, en cas d'incompréhension ou d'obscurité de la loi ou de la Bible, ou de contradiction de celui-ci, il faut aller chercher dans le reste du texte, de la loi, d'autres passages susceptibles d'éclairer celui qu'on cherche à comprendre. La réponse est dans le texte, et ne doit pas être cherchée dans l'imagination ou l’interprétation des textes. Toute interprétation est interdite. Il s'agit d'apprendre à lire le texte, en le respectant, puisqu’il contient forcément la réponse cherchée." (2)

 

On peut considérer qu’il s’agit d’une attaque voilée des écrits des apôtres et des interprétations de la bible par les églises, comme la contradiction à ceux qui réfutent la valeur des démocraties naissantes, telles que nous les connaissons, une critique de l'usage du « mythe », que la totalité des hommes politiques, depuis la nuit des temps utilisent pour se maintenir au pouvoir.  Le mythe est destiné à faire « comprendre », au « peuple », quelque chose qu'aucune constatation concrète ne permettrait autrement de décrire ou d'expliquer, et donc de prouver.

Spinoza a compris l’usage qui est fait de la Bible et des critiques des nouvelles constitutions, et ne les approuve pas !

Spinoza, était absolument CONTRE les pensées qui interprètent les textes, religieux ou politiques, par rapport à des visions particulières du monde, des intentions louables ou non, mais qui, pour lui, remplacent la raison par l’imagination. Il ne se serait pas permis de faire d’une citation, un argument d’autorité, ce que jamais son esprit n’osa.

Cette citation qui, sur de nombreux sites, est attribuée à Spinoza, ne se trouve pas dans son Traité, ni ailleurs dans son œuvre. Cette "citation" n'en est pas une mais un amalgame d'idée plus ou moins inspirées du livre. (2) Utiliser ce genre de citation, tronquée, ou interprétative détourne de la véritable intention de l’auteur à qui elle est attribuée, justement parce qu’elle interprète sa pensée et que toute interprétation est subjective.(3)

 

Un texte n'est pas simple et vouloir le réduire à une citation, fausse qui plus est, ajoute une barrière supplémentaire à sa compréhension.

Remplacer un discours révolutionnaire pour l’époque, qui remet en cause les interprétations de la Bible par des humains et les critiques de la démocratie par les tenants des pouvoirs en le résumant à une affirmation, alors qu’il s’agit d’un questionnement sur la capacité humaine à comprendre ce qu’il approuve par la « seule force de l'esprit pur, sans paroles et sans images », soit sans interprétation ou intervention d’un commentaire extérieur, détourne le sens du texte à laquelle la citation se réfère.

N.Hanar

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NOTES

1)-« Dans un État démocratique, des ordres absurdes ne sont guère à craindre, car il est presque impossible que la majorité d’une grande assemblée se mette d’accord sur une seule et même absurdité. Cela est peu à craindre, également, à raison du fondement et de la fin de la démocratie, qui n’est autre que de soustraire les hommes à la domination absurde de l’appétit et à les maintenir, autant qu’il est possible, dans les limites de la raison, pour qu’ils vivent dans la concorde et dans la paix. Ôté ce fondement, tout l’édifice s’écroule aisément. Au seul souverain, donc, il appartient d’y pourvoir; aux sujets, il appartient d’exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit.

Peut-être pensera-t-on que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son caprice. Cela cependant n’est pas absolument vrai ; car en réalité, celui qui est captif de son plaisir, incapable de voir et de faire ce qui lui est utile, est le plus grand des esclaves, et seul est libre celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison. » SPINOZA, Traité théologico-politique (1670)

Au XVIIe siècle,  siècle la monarchie absolue se voit concurrencée par l’apparition de la monarchie parlementaire, Spinoza est considéré comme un penseur majeur de la liberté. L’objet de l’extrait est de montrer que ce régime est le plus conforme à la raison et qu’il est donc le meilleur. Il montre que le peuple peut surmonter ses désirs pour prendre des décisions politiques viables et que cette capacité dépend du souverain (l’instance qui, dans une société, détient en droit le pouvoir politique, et qui donc ne se réduit pas nécessairement à la figure du roi). Se soumettre à sa volonté, ce n’est pas rentrer en esclavage.

Contrairement à Platon, (dans la République) qui veut que le peuple n’a aucune compétence politique et que lui donner le pouvoir, c’est opter pour des décisions absurdes qui seraient fatales pour l’avenir de la cité. Ce sont les commandements du souverain qui seuls décident du droit. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a qu’une seule raison. Est esclave non pas celui qui est soumis à un autre mais celui qui est « captif de son plaisir ». Conséquemment, sera libre celui qui vit « sous la seule conduite de raison ». Or vivre sous le règne de la raison, c’est accepter la loi dès lors qu’elle a été choisie en assemblée, à la suite d’un débat démocratique. L’idée de puissance n’est donc pas à abolir en politique : pour qu’un Etat fonctionne, il faut bien que le peuple accepte la loi. Il n’y a pas de politique là où règne l’anarchie du désir, l’obéissance est nécessaire. Mais qu’il n’y a pas davantage d’avenir commun là où la raison fait défaut. La démocratie sera donc le régime des hommes libres et éduqués à la raison.

2)-« Après l'examen de la Bible, il lut et relut le Talmud avec la même exactitude et comme il n'y avait personne qui l'égalât dans l'intelligence de l'hébreu, il n'y trouvait rien de difficile, ni rien aussi qui le satisfit mais il était si judicieux qu'il voulut laisser mûrir ses pensées avant que de les approuver.[ ] Car comprendre une chose, c'est la concevoir par la seule force de l'esprit pur, sans paroles et sans images.[ ] On y voit,( dans la bible), en effet, qu'aussitôt que Moïse reconnut que le peuple était convenablement disposé pour faire alliance avec Dieu, il s'empressa d'écrire les lois que Dieu lui avait inspirées et dès le commencement du jour, après avoir accompli quelques cérémonies, il lut les conditions du pacte sacré devant tout le peuple réuni, qui dut sans doute les comprendre, puisqu'il donna son plein consentement. »

3) Les mots du 17e siècle n'ont pas le même sens que les mêmes mots d'aujourd'hui.

Le mot "Science" ne désignait pas comme aujourd'hui le produit d'une méthode basée sur des observations objectives vérifiables et des raisonnements rigoureux, mais simplement la connaissance au sens large, incluant les "sciences naturelles", mais aussi les croyances et théologies partagées de l'époque.

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Liberté et méditation

 

Nos sociétés se sont constituées dans le cadre d'un contrat social, dont le but même est de restreindre les libertés individuelles, pensées comme une capacité absolue et infinie d'action, voire comme le pouvoir faire tout ce qui nous passe par la tête, afin de permettre des libertés collectives destinées à maintenir paix et sécurité pour chacun.

Le «citoyen a donc abandonné son indépendance naturelle pour se soumettre volontairement à des lois qui sont, au moins idéalement, les mêmes pour tous (Hobbes, Locke, Rousseau). C'est à cette condition que, selon cette théorie, les hommes peuvent être libres ensemble, même si elles peuvent être souvent ressenties comme une aliénation de leur liberté par les individus. De plus, l’arrivée de quelqu’un comme Le Pen au pouvoir, empêcherait encore plus de restreindre les libertés en  dépassant les borgnes.
Kant, dans Les fondements de la métaphysique des mœurs: «Je ne suis véritablement libre que libéré de moi-même, c'est-à-dire de la nature que je porte en moi. Pour cela, je dois me soumettre à des lois, juridiques mais aussi et surtout morales, c'est-à-dire suivre la raison que je porte et qui constitue ma nature.

 

Dans la mesure où nos sociétés mettent en place un ensemble de règles, de conditionnements supplémentaires, qui touchent aux habitudes relationnelles, sexuelles, aux désirs de superflu par la consommation, les conditions de travail, la liberté de chacun consiste, dans le cadre social, en la capacité de se libérer du réseau des conditionnements, de répondre non à ces diverses contraintes.

 

L’individu se détermine et se structure par l’incorporation des normes collectives et individuelles de sa société d’appartenance qui le rendent incapable de se déterminer par lui-même à l’intérieur du cadre reçu.

 

Nous avons vu récemment, qu’en plus des lois et règlements qui prévoient des « punitions » en cas de non-respect, il existe la « honte », utilisée comme un outil de régulation, (ce qui permet de contrôler, maintenir et conserver la maîtrise de l'évolution d'un phénomène), « d’autopunition » par tous les systèmes permettant de plus ou moins bien vivre ensemble,

 

Dans la société japonaise, chacun est à sa place, l’ordre et la hiérarchie sont respectés. Le comportement de chacun est précisément fixé, pris dans un réseau de dettes mutuelles dès la naissance. Le caractère de ces obligations est absolu et l’individu ne pèse d’aucun poids face à elle. Tout ce qui fait perdre la face ou affecte l’honneur est un affront qui plonge celui qui le subit dans une honte qui exige effacement et réparation. Si l’affront n’est pas lavé, ou la dette payée, il n’y aura pas d’autre solution que le suicide.

Pour nous, cela parait illégitime, inapproprié. Tout comme cet exemple donné par Max Scheler qui nous parle d’un indigène qui a honte de porter le short « ridicule » que le missionnaire lui propose pour cacher « ses parties honteuses », alors que, pour lui, se promener tranquillement le sexe au soleil n’est pas du tout objet de honte

 

Aujourd’hui, nous continuons à nous référer à un collectif qui nous précède, à tout un ensemble de traditions, de normes et d’idéaux, mais avons conscience de notre liberté de choix, de notre responsabilité, et donc subissons le conflit inévitable entre une tradition et une autorité socialement instituées qui continuent de déterminer les vérités les normes et les idéaux auxquels il convient de se référer, et notre individualité dont la capacité de discernement rationnel et de libre engagement est désormais reconnue.

L’homme sait qu’il appartient à une société, mais ce n’est plus cette inscription sociale qui le détermine en tant que sujet. Il aurait en propre, dit Gaucher, d’être le premier individu à pouvoir se permettre d’ignorer qu’il vit en société, tout en  sachant que, sans contrôle de soi, ce serait notre humanité elle-même qui serait menacée.

 

Comme Matthieu Ricard  l’écrit à propos de la liberté intérieure : « Être libre, c'est être maître de soi-même. Une conception répandue en Occident consiste à penser qu'être libre revient à pouvoir faire tout ce qui nous passe par la tête et traduire en actes le moindre de nos caprices. Étrange conception, puisque nous devenons ainsi le jouet des pensées qui agitent notre esprit, comme les vents courbent dans toutes les directions les herbes au sommet d'un col. Si nous lâchons dans notre esprit la meute du désir, de la jalousie, de l'orgueil ou du ressentiment, elle aura tôt fait de s'approprier les lieux et de nous imposer un univers carcéral en expansion continue. Les prisons s'additionnent et se juxtaposent, oblitérant toute joie de vivre. En revanche, un seul espace de liberté intérieure suffit pour embrasser la dimension tout entière de l'esprit.

La liberté intérieure, c'est d'abord l'affranchissement de la dictature du « moi » et du « mien », de l'« être » asservi et de l'« avoir » envahissant, de cet ego qui entre en conflit avec ce qui lui déplaît et tente désespérément de s'approprier ce qu'il convoite. Savoir trouver l'essentiel et ne plus s'inquiéter de l'accessoire entraîne un profond sentiment de contentement sur lequel les fantaisies du moi n'ont aucune prise. « Celui qui éprouve un tel contentement, dit le proverbe tibétain, tient un trésor au creux de sa main. »

 

Être libre revient donc à s'émanciper de la contrainte des afflictions qui dominent l'esprit et l'obscurcissent. C'est prendre sa vie en main, au lieu de l'abandonner aux tendances forgées par l'habitude et à la confusion mentale. Ce n'est pas lâcher la barre, laisser les voiles flotter au vent et le bateau partir à la dérive, mais barrer en mettant le cap vers la destination choisie.

« Notre liberté intérieure ne connaît pas d'autres limites que celles que nous nous imposons ou celles dont nous acceptons qu'elles nous soient imposées. Et cette liberté aussi procure un grand pouvoir : elle peut transformer l'individu, lui permettre d'épanouir toutes ses capacités et de vivre dans une plénitude absolue chaque instant de son existence. Quand les individus se transforment, en faisant accéder leur conscience à maturité, le monde change aussi, parce que le monde est constitué d'individus. » Luca et Francesco Cavalli-Sforza

 

Alors, « La liberté extérieure que nous atteindrons dépend du degré de liberté intérieure que nous aurons acquis. Si telle est la juste compréhension de la liberté, notre effort principal doit être consacré à accomplir un changement en nous-même. » Mahatma Gandhi

 

Ainsi la méditation permet à des individus de modifier leur perception de situations pénibles et « d'éviter de devenir deux fois esclave : esclave des autres et esclave de son propre esprit », « afin de changer les circonstances extérieures, chaque fois que c'est possible ». «  Quelle que soit la nature des circonstances extérieures, c'est l'esprit qui traduit ces circonstances en bonheur ou malheur »

La méditation consiste à se familiariser avec une nouvelle manière d’être, de gérer ses pensées et de percevoir "le" monde, qui n'est pas "notre" monde ! Le monde entier n'est que la conscience que nous en avons

 

Or, si l’on considère la liberté comme la gestion d’un conflit permanent entre la nécessité d’une vie en commun et ses propres aspirations, la méditation n’est-elle alors qu’un autre système de régulation de ce conflit ?

 

Peut-on ignorer le réel ?

Bergson différencie un individu clos, celui qui suit l’obligation qui nait des habitudes, bases des sociétés qui conditionnent l’existence de chacun, habitudes qui ont la force que l’instinct à un individu « ouvert » à la sensibilité, à l’émotion, à l’amour, capable de dépasser les limites du système social clos et de le faire évoluer.

 

Pour Bergson, non seulement l’homme est un animal social, mais de plus, les codes de la société dans laquelle il vit, par l’éducation, la culture, la morale, ce sont intégrés au moi profond de l’individu et le structurent. Il en résulte un moi social différent du moi intime qui corresponds à ce que l’individu a d’unique et de singulier. Ce moi social est incontournable car il est impossible de s’isoler entièrement de la société.

Dans les Deux sources de la morale et de la religion, Bergson prend l’exemple de Robinson Crusoé, qui reste en contact avec la société par les objets qu’il a sauvé du naufrage, pour démontrer que les habitudes, les référentiels appris, correspondent à l’instinct des animaux.

 

Ainsi, il oppose une société, une morale, voire une pensée « close » qui a pour but l’intérêt collectif, la cohésion sociale, nécessaire à la vie en commun, à la sécurité, à la paix, (la nation), à une société, une morale « ouverte », sans pression des codes collectifs, qui, par l’attrait de la sensibilité, de l’émotion, de l’amour, ouvrirait au progrès, à des avancées par extension des morales closes des sociétés.

 

Par exemple, Bergson expose que la justice, a, dès le début, fait référence à la géométrie : équité, règle, règlement, rectitude pour intervenir dans les échanges, afin de garantir l’équivalence des biens échangés: la justice a des origines mercantiles. Puis elle s’est étendue aux relations de personnes, en leur appliquant ces mêmes règles. Or nous sentons que cette justice d’un système clos est plus que cela, et répond à un besoin plus profond.

 

La morale sociale, recherche le bonheur du plus grand nombre, quitte à sacrifier celui de chacun. Ce que fait Kant pour qui une action est morale lorsque la maxime de celle-ci ne peut être niée universellement. Or les faits s’opposent à cette vision de la raison. Faut-il vraiment dénoncer celui qui cherche refuge chez soi lorsqu’il est poursuivi par les sbires d’une autorité violente comme le furent les nazis ?

 

Je pense que c’est du conflit intérieur que naissent les avancées de l’humain et que toute les tentatives de l’éviter, culpabilité, honte, méditation, ne seraient que des régulateurs permettant la continuité d’un système clos, qu’il soit social par les usages, les rites sociaux, ou qu’il soit religieux ou politique, même si toutes ces structures se présentent comme lutte contre les conflits ou, mieux encore, utilisateurs des conflits intérieurs pour le bien de l’humain.

 

 N.Hanar

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En complément voir le texte sur "la honte" ICI.

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meditation
passion

La passion

 

Genèse 3,6- La femme jugea que l'arbre était bon comme nourriture, qu'il était attrayant à la vue et précieux pour l'intelligence; elle cueillit de son fruit et en mangea; puis en donna à son époux, et il mangea.

3,7- Leurs yeux à tous deux se dessillèrent, et ils connurent qu'ils étaient nus; ils cousirent ensemble des feuilles de figuier, et s'en firent des pagnes.

3,13- L'Éternel-Dieu dit à la femme: "Pourquoi as-tu fait cela?" La femme répondit: "Le serpent m'a entraînée, et j'ai mangé."

3,16- A la femme il dit: "J'aggraverai tes labeurs et ta grossesse; tu enfanteras avec douleur; la passion t'attirera vers ton époux, et lui te dominera."

Ah ce péché originel. S’ils « connurent qu’ils étaient nus », si l’ouverture à la connaissance vient de se produire, la passion, capable de domination viendra compenser la liberté acquise. Connotation qui ne quittera pas la notion de passion.

Et c’est ainsi que la pensée philosophique (1) fera de la passion ce qui s’oppose principalement à la raison.

 

Donc, la passion est de l’ordre de la subjectivité, qui relève de l’immédiateté de ce qui nous touche, envie de pomme, évènement ou pensée, qui relève d’un ressenti influencé par notre façon de penser, par nos intérêts particuliers, notre culture, notre vécu, et nos désirs. Tandis que la raison est ce qui nous permet de prendre un point de vue distant, quasi objectif, nous permettant une analyse, une interprétation de ce qui survient en incorporant à la réflexion, d’autres cultures, d’autres points de vue, d’autres expériences. Ce qui permet de modifier le sens donné à l’action à entreprendre.

 

L’origine, latine ou grecque du mot (patior, pati, pathos) renvoie à la souffrance, la passivité, ce qui est subi, qu’il s’agisse de tourment, d’épreuves mais aussi, à la marge, au contraire, de joie ou de plaisir. Ce qui conduit la passion à une inclination exclusive vers un objet, un état affectif durable et violent dans lequel l'objet de la passion occupe excessivement l'esprit.

Ce qui fait que Kant, rationaliste, considère la passion comme une “maladie de l’âme”, que pour Platon ou Descartes, elle brouille le jugement alors que pour les romantiques (Hegel, Schelling, Nietzsche), la passion intensifie la vie, et libère l’homme de tout ce que la raison, déterminée par la culture environnante, l’empêche de réaliser.

Selon Hegel, la passion est la puissance qui pousse un individu ou un peuple à unifier toutes ses énergies pour créer une œuvre artistique, technique ou politique unique, originale et déterminante dans le cours de l'histoire : «Nous disons donc que rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont collaboré. Cet intérêt, nous l'appelons passion lorsque, refoulant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins.» La Raison dans l'histoire, chapitre 2, § 2.

 

Or notre morale s’est fondée sur la raison. Ce ne doit plus être la crainte passive et donc l’obéissance soumise à des dieux, un Dieu, un maître, un prince qui doit nous faire agir moralement, mais, afin qu’elle puisse être universelle, elle doit se fonder en raison. « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle » demandait Kant.

Le corollaire de cette affirmation, est évident : si la morale doit être fondée en raison, c’est que la passion n’est pas morale. La passion est pour Kant dépendance, et c’est à la raison de nous en libérer, de nous rendre capables de vouloir le bien librement. Ce qui fait de nos élans amoureux, par exemple, la marque d’une dépendance à l’égard d’une nature que notre culture doit terrasser, comme si je ne pouvais pas vouloir le bien de l’objet de ma passion, et le mien, par la même occasion. Comme si l’intensité, l'intérêt exclusif et impérieux porté à un seul objet entraînerait forcement la diminution ou la perte du sens moral.

 

Ces deux visions de la passion font écrire à Comte Sponville : « PASSION Ce qu'on subit, mais en soi, sans pouvoir l'empêcher ni tout à fait le surmonter. C'est le contraire ou le symétrique de l'action: l'âme se soumet au corps, diraient les classiques, c'est-à-dire à la partie de soi qui ne pense pas, ou qui pense mal». [ ] La passion c'est ce qui, en moi, est plus fort que moi. Une passion libre ou volontaire, tout passionné le pressent, n'en serait plus une. On ne décide pas d'aimer à la folie 

Descartes jugeait au contraire qu'elles sont « toutes bonnes de leur nature, et que nous n'avons rien à éviter que leur mauvais usage ou leurs excès », [ ] les contrôler, autant que faire se peut ou se doit, les maitriser, quand il le faut, les utiliser, quand c'est possible, et c'est à quoi se reconnait l'homme d'action ».

 

Peut-on, au nom de la raison, effacer ce lien intime et personnel que nous avons tous avec l’intérêt passionné  que nous pouvons trouver à notre vie de tous les jours, à notre travail, avec les autres, avec ceux qui nous entourent ou ceux qui sont lointains, avec nos valeurs propres, lien qui relève de notre besoin d'être utiles, reconnus, et de conforter l'estime que nous avons de nous. La rupture de ce lien au nom de la raison n'est-elle pas plus dangereuse et déstabilisante ?

Faut-il toujours désigner la passion comme aveugle, déchaînée, dévorante, effrénée, égoïste, exclusive, fébrile, furieuse, généreuse, impétueuse, véhémente, violente, folle, asservissante, entrainant conflit, fièvre, fureur, ravage, tumulte, qu’il convient de contenir, dominer, faire taire, maîtriser, modérer, réfréner, réprimer, afin de ne pas être l'esclave de ses passions, confondue alors avec l’obsession et l’empêchant ainsi de servir de moteur une action qui permet la réalisation de grandes entreprises ? (2)

 

Le langage courant en rajoute. On se résigne à ses passions, on culpabilise car on y cède. Pourtant,y consentir, c'est s'ouvrir à la puissance de l'action. Cette force de la passion qui semble résister à la possibilité de raisonner, est telle que la résistance de la pierre au ciseau du sculpteur qui parviendra néanmoins à l'utiliser pour créer une œuvre, une nouveauté, une différence. C’est l’imperfection qui est créatrice.

 

Notre rapport au monde n’est pas exclusivement passionnel ou rationnel.

Cette erreur dichotomique de la vision du monde se révèle clairement dans nos sociétés.

Persuadées que seuls la raison et l’intérêt guident les individus et les peuples, elles ont oublié de prendre en compte les passions qui remontent violemment à la surface. L’homme n’est pas uniquement dirigé par la tête et le ventre. Il a soif de liberté, de perspectives différentes pour son quotidien et remet en cause les raisons de souscrire aux lois, aux usages et à la « légitimité » des grandes structures qui quadrillent la société.

Les affects, qui fondent les passions, deviennent ainsi de véritables garde-fous à l’abus de pouvoir. S’ils sont le liant des structures d’autorité, ils constituent aussi la seule force à même de renverser ces dernières quand les rapports de force deviennent intolérables.

Vivre sa passion, ce n’est pas forcement vivre celle du Christ.

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NOTES- 1-Wikipédia - Définitions particulières de philosophes :

– Cicéron : “Zénon donne cette définition de la passion : la passion est un ébranlement de l’âme opposé à la droite raison et contre la nature” (citation de Cicéron)

– Descartes : “On peut généralement nommer passions toutes les pensées qui sont excitées en l’âme sans le secours de la volonté, et par conséquent, sans aucune action qui vienne d’elle, par les seules impressions qui sont dans le cerveau, car tout ce qui n’est point action est passion” (Traité des Passions)

– Spinoza : “J’entends par Affections du Corps par lesquelles la puissance d’agir de ce Corps est accrue ou diminuée, secondée ou réduite, et en même temps, les idées de ces Affections. Quand nous pouvons être la cause adéquate de quelqu’une de ces affections, j’entends donc par affection une action; dans les autres cas une passion” (Ethique)

– Hume : “La passion est une émotion violente et sensible de l’esprit à l’apparition d’un bien ou d’un mal, ou d’un objet qui, par suite de la constitution primitive de nos facultés, est propre à exciter un appétit” (Traité de la nature humaine)

– Kant : “L’inclination que la raison du sujet ne peut pas maîtriser ou n’y parvient qu’avec peine est passion” (Anthropologie du point de vue pragmatique)

– Kant : “La passion se donne le temps et, aussi puissante qu’elle soit, elle réfléchit pour atteindre son but. La passion est comme un poison avalé ou une infirmité contractée ; elle a besoin d’un médecin qui soigne l’âme de l’intérieur ou de l’extérieur, qui sache pourtant prescrire le plus souvent des médicaments palliatifs” (Critique de la raison pratique)

– Kierkegaard : “On a plus perdu, quand on a perdu sa passion que quand on s’est perdu dans sa passion” (Journal du Séducteur)

– Hegel : “Rien de grand ne s’est accompli de grand dans le monde sans passion” (La raison dans l’histoire)

-Benjamin Franklin -« Il y a deux passions qui ont toujours marqué les actions humaines : l'amour du pouvoir et l'amour de l'argent1. »

-"Attaquer les passions à la racine, c'est attaquer la vie à la racine" Nietzsche

2-Obsession : Idée répétitive et menaçante, s'imposant de façon incoercible à la conscience du sujet, bien que celui-ci en reconnaisse le caractère irrationnel.

N.Hanar

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Qu’est-ce que la séduction ?

 

D’emblée, lorsqu’on se pose la question de la séduction, les figures mythiques ou littéraires des séducteurs, Don Juan de Molière ou Don Giovanni de Mozart, sont convoquées.

Alors il est question de manipulation délibérée, de narcissiques égocentriques qui cherchent à manifester leur pouvoir, afin d’obtenir un avantage de la part de la personne séduite, comme des rapports sexuels, des cadeaux ou de l'argent, il est question de ruse, de mensonge, de stratégie relationnelle, de « détournement du droit chemin » !

Et puis, on en vient, en réfléchissant, à trouver au séducteur un but peut être plus complexe et détourné : recherche de reconnaissance, d’estime de soi, en utilisant la séduction comme un procédé visant à susciter délibérément une admiration, de l’attirance, voire de l’amour.

 

Mais ce raisonnement revient à une vision négative de la séduction qui n’est plus saisie que comme le désir d’un prédateur d’obtenir quelque chose de quelqu’un, quelque chose qui serait contraire à des codes sociaux ou moraux incontournables, une tentative de détournement d’un chemin qui serait le seul qu’il soit admis de suivre.

 

C’est le moment de distinguer le séducteur de la séduction. Même si les dictionnaires en font des synonymes, être conquis, éblouis, fascinés, attirés, par un séducteur, relève de la manipulation, qui n’est qu’une composante d’un certain type de tentative de séduction, et non de ce qu’est la séduction.

 

D’abord, la séduction est un événement, ce qui survient et modifie le cours des choses. Mais surtout, la séduction ne se définit pas comme une action de l’un « contre » l’autre, mais, nécessite une complicité, un accord plus ou moins avoué, parce que la séduction s’adresse à cette attente que chacun d’entre nous, en son for intérieur, développe et attise dans l’espérance d’autre chose, monde, vie, espérance. La séduction est un phénomène où se mêlent la contrainte et la libre acceptation, dans un jeu de symboles et de signes.

 

On est séduit par un paysage, une belle musique, un tableau, tous ces arts qui ne font pas que charmer les sens, mais attisent la curiosité, la réflexion, l’identification ou encore l’admiration.

La séduction alors nous révèle et nous permet de montrer ce que l’on a de meilleur…

 

Parce que quelque chose en nous est ainsi interpellé, par une correspondance qui nous élève. Pouvoir être séduit, c’est donc être fait d’une attente à laquelle la séduction s’adresse.

Ce qui séduit les uns ne séduit pas les autres, mais le principe est toujours le même: on se retrouve détournés de la voie que l’on suit, en étant mis face à d’autres possibles de visions du monde.

 

Derrière la peur de la séduction c’est la peur de sa propre liberté et celle des autres. La séduction  pour peu qu’elle soit libre de toute visée de pouvoir ouvre sur un espace de jeu qui arrache pour un temps ses rapports à la mécanique de la production et de la reproduction.  Dans le jeu de la séduction  ce qui se joue c’est ce qui est impalpable, insaisissable par le pouvoir. Lorsque celui-ci se mêle de la condamner au nom de la morale, c’est en général pour le récupérer à son profit. 

 

La séduction, c’est l’événement par lequel on se retrouve quelque part, ou l’on ne pensait pas aboutir.

La séduction ce n’est pas chercher à se mettre en scène, à sortir de l'anonymat, à apparaître en pleine lumière, c’est accepter le risque de changer, accepter la tension, l’inconnu, accepter de ne plus rester à une image d’un soi figé.
 

Ce qu'il y a de proprement fascinant dans la séduction et son cortège de rituels et de cérémonies, c'est son aspect magique à la limite du fantastique. Un extra, hors du quotidien ordinaire, qui développe un attrait irrationnel. La séduction de la séduction c'est tout son rapport à la mise en représentation des fantasmes qui se projettent et se répandent de part et d'autre. Car il y a dans cette emprise une véritable plongée dans l'imaginaire. Entrer de plein pied dans la séduction, c'est mettre en acte ses propres fantasmes. A ce point de la réflexion, il ne s'agit plus de penser en termes de possédant-possédé, mais de saisir la soumission hypnotique à la force du fantasme véhiculé, qui fait changer tous les participants.

Au-delà du côté stéréotypé des rencontres codées, émerge une complexité nouvelle qui confère à chaque rencontre chargé de séduction un caractère unique et inédit.

Ce sont deux univers de fantasmes qui se croisent et s'entrecroisent. La rencontre est le théâtre où ceux-ci se donnent en représentation.

Dans ce jeu, ce qui se joue,  c’est la dangereuse découverte de soi, le risque d’être victime d’un abus, l’acceptation que se dévoile… on ne sait trop quoi.

N.Hanar

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Séduction

23 août 2017

 

 

À qui profite la séduisante beauté ?

 

            La séduction, cette plaisante attirance de la beauté, qu’elle soit physique, morale ou intellectuelle, pose d’emblée la question de son rapport à l’éthique : À qui profite-t-elle ? La Grèce antique en a donné trois grandes réponses.

            D’abord, la séduction « gracieuse » d’Aglaé : L’une des trois Grâces, Aglaé représente la beauté sensible, une des valeurs de l’existence, une des « bonnes choses » de la vie, partagée avec les autres membres de la Cité. L’esthétique est en pratique liée à l’éthique.

            Ensuite, la séduction individualiste de Calliclès, l’esthète : Sortant de l’ambiguïté du rapport « gracieux », le sophiste préfère retirer pour lui-même le meilleur profit, honneurs et richesses, de toute sa beauté personnelle, en particulier à travers la joute rhétorique. L’esthétique est alors déliée de l’éthique.

            Enfin, la séduction universaliste de Socrate-Platon : À la recherche de valeurs communes pouvant profiter à tous, le rationaliste définit une beauté universelle qui coïncide avec le bien et le vrai. L’identité théorique entre esthétique et éthique est ainsi affirmée. Mais par la suite, cet universalisme sera constamment contesté.

 

Ambiguïté morale de la séduction

 

            Au fil des époques, la valeur de la séduction a évolué d’un bout à l’autre du spectre moral, depuis un mal radical jusqu’à un possible bien :

            Pour Augustin d’Hippone et la doctrine chrétienne, la séduction est un mal : Elle représente chez l’être humain, un dévoiement vers l’amour de soi, c’est-à-dire vers la jouissance, en détournant de l’amour de Dieu ; car la séduction en général, et en particulier la féminine, est une ruse du Diable pour tenter la concupiscence des sens, du pouvoir et du savoir.

            Mais avec la Renaissance, cette conception platonico-manichéenne s’affaiblit, et la considération d’une séduction pouvant être un bien ou un mal fait son chemin : Le vice et la vertu sont séduisants, comme cela est abondamment illustré dans la Littérature. Choderlos de Laclos met en scène le vice séduit par la vertu, elle-même séduite par le vice (Les Liaisons dangereuses), et Dostoïevski montre une séduisante beauté, dissociée entre le corps et l’âme (L’Idiot). Et finit par émerger la croyance que la séduction serait plutôt un bien, qui donnerait en effet envie de vivre et de connaître, comme l’exprime Flaubert (Tentation de saint Antoine).

 

Séduction esthétique amorale

 

            Dans le contexte exalté de la sensibilité romantique, Kierkegaard (Journal du Séducteur, 1843) décrit une séduction amorale, pure expérience vécue d’une « existence esthétique », à la fois sensation et création. Cette séduction est pouvoir de jouissance artiste, « en pleine conscience », qui cueille l’instant, hors du champ du bien et du mal. Dans une telle esthétique de l’apparence, la Femme aussi est un jeu de plaisir, que le séducteur manipule et forme sans engagement (Démiurge, Pygmalion). Kierkegaard alors, du point de vue d’une « existence éthique », montre l’insuffisance de ce dandysme narcissique, qui suscite l’ironie par son « intérêt » pour les apparences-« ombres » de Platon, et fait sombrer finalement dans le désespoir par sa réelle vacuité.

            Cette conception de la séduction amorale, comme jeu « féminin » d’apparences, est reprise par Baudrillard (De la Séduction, 1979), en l’opposant à la « jouissance » réaliste de la production. Et pour lui, la Société de Consommation séduit par les apparences du marketing et de la publicité, pour faire acheter les produits.

 

            On peut penser que la plaisante attirance de la beauté accompagne le désir vital : La séduction est un « life-appeal », qui motive et pousse à vivre. Troubles à part, elle est toujours une relation à autrui, une interaction « dansante » ; en quelque sorte, la séduction, c’est le « tango » de la vie, et non seulement des corps, mais aussi des regards, des sourires, des paroles, des gestes…

 

Patrice

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Qu’est-ce que la séduction ?

 

Séduire est-ce mentir ? Oui

Séduire, c'est détourner du droit chemin, c'est user d'artifices pour susciter le désir des autres et exercer un pouvoir sur eux. Le séducteur n'est pas honnête, il ment, il joue un rôle pour dominer ses victimes.

 

Séduire est-ce mentir ? Non

La séduction est l'effet naturel qu'exerce un bel objet sur notre sensibilité. C'est parce que l'on est séduit que l'on désir. La séduction. La séduction n'est pas une aliénation, elle est (ce qui se passe) quand quelque chose nous plait.

 

Introduction

On peut se servir de la séduction pour mentir, pour détourner quelqu'un de ses voies. Chacun a à l'esprit la référence du grand séducteur de la bible, qui séduit Adam et Eve par de belles paroles. Ce qui fait problème dans le sujet c'est l'équivalence posée entre séduire et mentir. Remarquons déjà que le mensonge est délibéré alors que l'on peut séduire naturellement et sans intention de séduire, et ni d'en user pour mentir. La séduction ne peut réussir que si l'objet y consent alors qu'il est rare que la victime d'un mensonge souhaite être abusée.

 

On n'est séduit que malgré soi (la séduction est un événement) ; en même temps on ne l'est qu'avec son accord plus ou moins avoué (la séduction est une complicité). Quelque chose de nous est ainsi interpellé, à quoi le propre de certains êtres ou de certaines réalités est d'avoir soudain correspondu. Pouvoir être séduit, c'est donc être fait d'une attente singulière et secrète. Séduire, c'et s'adresser à cette attente. Laquelle ?

Pas celle du bonheur, qui est commune et dont tout le monde a conscience, car elle vaut pour ce qui nous plaît c'est-à-dire nous confirme, et non pas pour ce qui nous séduit c'est-à-dire nous détourne. Ce n'est donc pas de la vie bonne que nous étions secrètement en attente, mais de la vraie vie dont la séduction nous fait éprouver la distinction habituellement méconnue. Les réalités séduisantes nous ont laissé imaginer qu'elle était possible - et c'est aussi le talent des séducteurs de le bien dire et d'en faire miroiter l'imminence. La vraie vie, ce serait par exemples de vivre avec et pour cette personne dont on vient de croiser le regard dans la rue, de partir en vacances dans cette voiture dont on vient de voir la publicité sur un panneau, d'habiter à la campagne comme cette agence immobilière en vante la facilité... Ce qui séduit les uns ne séduit pas les autres, mais le principe est toujours le même : qu'on soit détourné de la voie qu'on était naturellement destiné à suivre, et qui pouvait être très enviable, en étant mis au bord de l'éventualité que la vie soit enfin vraie. Il y a un réel de la séduction, qui est ce bord.

Dès lors apparaît-elle comme une modalité paradoxale de la question de la vérité, telle qu'elle se pose et insiste en chacun de nous le plus souvent sans qu'il le sache. La joie de séduire et le bonheur d'être séduit témoignent ainsi de notre humanité ignorée. Elucider ce témoignage, c'est penser indistinctement la séduction et la question que chacun est secrètement pour soi-même.

L'art de la séduction en politique : que peut-on en apprendre ?

Comment nos représentants nous séduisent-ils ? Même s'il nous arrive d'être en désaccord avec tel homme politique, nous voulons bien lui reconnaitre un certain charme, une certaine prestance, un certain phrasé, un certain charisme.

La réponse est oui. D'autant plus que le but politique n'est b pas de séduite une personne mais un plus grand nombre. Et leur conquête vise la majorité, qui comporte aussi bien des femmes que des hommes. Ils ont donc l'obligation de se rendre irrésistible.

C'est une sorte de joute amoureuse.de la même façon que nous nous apprêtons pour séduire une conquête potentielle, les hommes politiques cherchent à se présenter sous leur meilleur pour devant de potentiels sympathisants ou électeurs. Quelles leçons de séduction nos politiciens peuvent-ils nous donner ? Car la politique est avant tout une histoire amoureuse...

Et comme l'explique Thierry Saussez, (une élection est comme une histoire d'amour, comme si c'était toujours la première fois. Si vous ne donnez pas le sentiment de partir à la conquête, déjouer votre avenir, de tout donner, il y a peu de chance que vous receviez quelque chose).

Dominique Tigre

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artiste B

Tout le monde est-il artiste ?

 

Est-ce que tout le monde, c'est-à-dire absolument n’importe quel être humain, sans aucune distinction ou particularité de quelque sorte que ce soit, a la capacité de se livrer à cette activité créatrice que l’on nomme « art », qui à travers toutes formes d’œuvres, dit quelque chose de plus que ce qu’elle montre, exprime quelque chose comme, entre autres, la sensibilité ou la pensée d’une époque.

Est-ce que tout le monde peut y parvenir, simplement s’il le désire et s’il fait suffisamment d'efforts pour le mériter. En paraphrasant le mot de Simone de Beauvoir à propos des femmes, pourrait-on dire « On ne naît  pas artiste, on le devient ?». Ou alors « tout le monde est-il artiste » de manière innée, sans travail et sans effort, sachant que seuls certains en viennent à mettre à jour cette possibilité humainement universelle ?

 

La question est importante parce que d'habitude on pense que les artistes sont précisément des individus qui ne sont pas comme tout le monde, mais sont des êtres à part auxquels on attribue du « talent « ou du « génie », c'est-à-dire une qualité singulière et quasiment indéfinissable, qui les distingue des autres.

En résumé, cette capacité d’être artiste est-elle innée chez tous, ou peut-elle s'acquérir par tous, ou, au contraire seuls certains sont-ils des élus à ce statut?

 

D’abord et essentiellement, il convient de se mettre d’accord sur le terme d’artiste, «  celui qui produit de l’art », qu’il s’agisse de ce que l’on appelle « les beaux-arts, qu’il s’agisse de ce qui se réfère à une quelconque définition du « beau », qu’il s’agisse de ce qui révèle la sensibilité, la pensée de son temps, voire un idéal moral ou métaphysique, ou au contraire ce qui les dénonce! L’art est aussi, transgressif.

Si toute production improbable qui s'expose (viandes, excréments, cadavres, peintures, foules nues, etc.), peut être considérée comme « art », simplement pour remettre en question, une fois encore, le concept d'esthétisme, c’est-à-dire sans être transgressive (cela a déjà été fait), sans, donc, apporter une nouvelle vision de ce que peut-être « ‘l’art », alors tout un chacun peut bien « être artiste ».

 

Pour moi l'artiste est celui qui rend la rencontre improbable et mystérieuse de sons, de couleur, de mots ou d'images absolument évidente et porteuse de sens, en interpellant volontairement la spiritualité ou l'abstraction, ou la sensibilité.

 

Tout le monde peut-il le faire ?

 

Aujourd’hui, les médias veulent nous faire croire que nous sommes tous potentiellement des artistes. Cuisiniers, chanteurs, starlettes ou maçons, décorateurs ou sportifs, chiens de cirque ou strip-teaseuses : tous artistes et possédons tous « un incroyable talent » !

Une décoratrice télévisuelle (Valérie Damidot), par exemple, n’hésite pas à se prendre pour Pollock (dripping aléatoire sur toile tendue sur un mur, « nous allons faire de l’art moderne » selon le mythe Pollockien de la facilité). «On dirait vraiment un Pollock ! On pourrait le vendre combien ?

Comme ces imitateurs de Karaoke, adoubé par des « stars » qui, d’ailleurs,  ont suivi le même chemin, et qui; rendront vraie la prophétie d’Andy Warhol: «A l’ avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale ».(1)

 

Donc tout individu aurait-il une possibilité d'être artiste à sa manière? Ou bien faut-il qu’il ait quelque chose à dire et les moyens de l'exprimer en créant des œuvres où l'idée prime sur la réalisation, des œuvres d’une grande force évocatrice, où l’esthétique croit encore en la poésie, des œuvres qui racontent quelque chose, tant elles interrogent notre rapport au monde, qui peut même être féerique ?

 

Ou bien l’artiste, serait-il seulement celui qui possède un don particulier (« talent » ou « génie »), auquel il associerait, un travail, difficile et exigeant, par la maîtrise de moyens techniques ?

Certains, comme André Comte Sponville, voient entre le génie et le talent une différence de degré : le génie serait » comme un talent extrême, le talent comme un génie limité ». Il y aurait de plus une « différence plus mystérieuse ». (2)

 

Il s'agit alors de se demander si l'artiste a simplement un « don », s’il possède une sorte de spontanéité créatrice qui serait sans loi et donc impossible à conceptualiser (ce qu'on appelle l'inspiration, le génie etc.), qui le dispenserait d’obéir à des règles, ou s’il doit-il s’y soumettre.

Ou n’aurait-il qu'un intérêt à ce qu'on croie à des intuitions soudaines, de prétendues inspirations ; comme si l'idée de l'œuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie, tombait du ciel afin de construire un « mythe de l'artiste » en effaçant toute référence au travail préparatoire. Parce que se limiter à l’explication de « l'inspiration », ne serait-ce pas faire de l'artiste un mage ou un possédé? Et possédé par quoi? De ce qui ne lui apparaît pas?

 

Or, on se rend compte aujourd'hui d'après les carnets de Beethoven, qu'il a composé peu à peu ses plus magnifiques mélodies et les a en quelque sorte triées d'ébauches multiples. Tous les grands hommes sont de grands travailleurs. (Victor Hugo, Picasso, Michel-Ange ont laissé plus de traces de leur travail que d’œuvres)

"Aucun art n'est aussi peu spontané que le mien. Ce que je fais est le résultat de la réflexion et de l'étude des grands maîtres", disait Edgar Degas (3)

 

En fait, suivre des règles ne suffit pas pour être artiste, comme on apprend des savoir-faire pour devenir artisan ou technicien. La création artistique est d'une autre nature.

Technique, spontanéité créatrice, inspiration se libèrent dans la création. La liberté de création peut se faire avec ou sans des règles.

L'art a longtemps été codifié. La tragédie était régie par la règle des trois unités: de temps, de lieu et d'action (4), dans les arts plastiques (peinture, sculpture, architecture) la Renaissance imposera le nombre d'or, pareil pour la danse classique (les cinq positions de Beauchamp), la poésie qui codifia la forme des différents poèmes et la succession des rimes. En musique une symphonie ne répond pas aux mêmes règles qu'un concerto qui comporte obligatoirement trois mouvements. Et bien entendu l'architecture : comment un édifice tiendrait-il debout si on construisait sans règle ?

Certes tout ceci peut sembler une limite à la liberté créatrice de l'artiste mais une telle affirmation serait imaginer que la liberté est sans contrainte et nous savons que ce n'est pas le cas. L'artiste et justement celui qui est capable de s'épanouir à l'intérieur des règles. Être artiste, ce n'est pas faire n'importe quoi n'importe comment sinon il ne serait guère difficile d'être artiste et nous le serions tous.

En fait, ce qui s'apprend c'est de la technique, mais il ne suffit pas de la mettre en œuvre pour être un artiste.

L'art commence là où justement s'achève la technique et il est remarquable que les grands créateurs soient justement souvent ceux qui ont su s'affranchir des règles

"Le jour où il y aura un diplôme de peinture, il y aura des peintres mais plus d'artistes." - Jipe Vieren (peintre-sculpteur .)

 

Pour Kant la première caractéristique du génie est l'originalité, un don naturel, « une disposition innée de l'esprit, par laquelle la nature donne à l'art ses règles », un don par lequel ceux qui en sont gratifiés parviennent à créer des œuvres qui sont à la fois originales, c'est-à-dire qui ne sont pas des imitations, mais d'une perfection, d'une excellence qui les rend dignes d'être des exemples, dignes d'être imitées soit "le talent de produire ce dont on ne saurait donner de règle déterminée".

L’artiste est ainsi incapable »d’indiquer scientifiquement comment il réalise son œuvre ».Il ne sait pas lui-même d'où lui viennent les idées et il ne dépend pas de lui d'en concevoir à volonté ou d'après un plan, ni de les communiquer à d'autres dans des prescriptions qui les mettraient à même de produire de semblables ouvrages ». Ce qu’il ; produit est hors-normes. Van Gogh ou Gauguin ignoraient tous des techniques de leur art et n'avaient pas fréquenté les écoles de peinture, Alors l'art est-il vraiment sans règle ?

 

Ne pas obéir à des règles, ce n'est pas être sans règle. L'artiste est en fait celui qui crée de nouvelles règles. Il n'est d'aucune école mais il fait école. Le génie est celui qui produit au fur et à mesure de sa création les règles que d'autres imiteront.

La musique contemporaine ne suit pas les canons de l'harmonie classique mais elle suit d'autres règles : utilisation des dissonances, l'art du contretemps etc. L'architecture la plus futuriste doit bien suivre les règles de la nature et le chorégraphe le plus audacieux doit respecter les règles de la pesanteur

Car il faut noter que l'inspiration en art ne suffit jamais et que, pour reprendre un mot célèbre, il faut aussi surtout beaucoup de transpiration. L'œuvre achevée ne paraît facile et spontanée que parce qu'on n'a pas vu le processus de sa création.

 

L’artiste crée au-delà des limites de la représentation habituelle ouvrant des champs à l'investigation lui permettant d'aller là où elle n'aurait jamais pu aller autrement.
Il pense et agit autrement, au-delà et en dehors des limites de la représentation commune, normale. Il pose une vision du monde, de tout en fait, que personne d'autre n'aurais pu avoir.(5)

Mais il lui faut des repères, des bribes de repères, en plus de sa puissance créatrice, pour que sa démarche soit reconnue. Sinon il reste méconnu. Peut-être aussi marque-t-il la fin de ce que l’on nomme le destin, en faisant admettre les aléas, le hasard, comme s'il devait toujours arriver lors d’une rencontre avec le fortuit, l’improbable, et non avec le nécessaire.
 

La caractéristique de l’artiste est ainsi non de refléter une vision du réel, comme celle de tout le monde, mais de transfigurer ce qui est représenté, de l'arracher au monde de la vie pour le métamorphoser. C'est un signe de liberté sur la vie : « l'art est un anti destin » écrivait Malraux.

N.Hanar

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Notes

 

1-Même ceux qui s’adonnent aujourd’hui à une activité artistique en amateur, expriment, par l’art, une part d’eux-mêmes qui n’a pas droit de cité ailleurs… Ils  recherchent un langage propre, arraché aux conventions.

L’art, même pratiqué en amateur, n’est donc pas un simple passe-temps. C’est la théorie de la sublimation de Freud : nous sommes habités par des pulsions que nous refoulons habituellement. L’émotion esthétique comme la pratique artistique permettent de satisfaire ces pulsions refoulées… mais de manière civilisée, valorisée socialement. On remarque là le point commun entre regards kantien et freudien : l’expérience esthétique est pensée comme fin du conflit intérieur. (Inspiré par un texte de Charles Pépin)

 

On se retrouve ainsi avec des différences mystérieuses, un don naturel, donc d'un génie qui produirait des œuvres sans précédents, en suivant des règles inconnues qu'il n'apercevrait pas clairement puisque c'est un don naturel, qui présiderait à la création et qui serait donc le véritable auteur des œuvres (d'art).

 

L’artiste nous dit, à travers elle, quelle est sa vision intime du monde, de manière à ce que nous puissions la ressentir, sans pour autant l’approuver ou la condamner , dans la mesure où nous acceptons d’ouvrir, à notre tour, notre « intime, notre vérité » à l’œuvre et à nous mettre, ainsi, en danger.

 

2- « On sait que le mot vient d'une métaphore. Dans la fameuse parabole des talents, Jésus compare implicitement les capacités que chacun a reçues à des pièces de monnaie (des « talents »), qu'il doit faire fructifier. L'important, c'est moins le talent qu'on a que ce qu'on en fait».CS

 

3-Pourtant, toute œuvre d'art est l'œuvre d'un homme qui a une histoire personnelle, qui appartient à une société donnée, à une classe sociale et à un milieu. Comme tout le monde, comme tous ceux dont l’expression n’est pas artistique! Toute œuvre d’art a un auteur, l’artiste, considéré comme possédant des dons techniques et un « talent » lui permettant de donner forme à ses inspirations. Sa maîtrise technique ne constitue pas le seul aspect de sa relation à l’œuvre, sinon l’artiste ne se distinguerait pas réellement de l’artisan.

 

Même si, lorsqu’il crée, l’artiste se laisse aller, ne sait pas toujours où il va, et oublie la technique qu’il se doit de posséder, pour évoquer les images ou les sentiments qu’il porte en lui pour laisser surgir en lui de nouvelles images, qui appellent d’autres images, dont il devient presque le spectateur, et qui le possèdent. Il s’est rendu disponible, quitte à abandonner en cours de route son projet initial.

 

Expliquer une création c'est ramener le nouveau à l'ancien, nier son originalité, lui refuser son caractère créateur, surtout si nous estimons que l'œuvre est faite d'intuition, d'inspiration, de génie, de nombreux impondérables, au-delà du discours de la raison, que nous serions incapables d'analyser.

 

La création artistique est toujours, dans une certaine mesure, la mise en forme de matériaux préexistants, empruntés aux formes d'art précédente. (Picasso, inspiré par l’art nègre, avouera avoir compris, par cet art, le sens de la peinture, et les trouvailles des artistes africains l'accompagneront pendant toute sa vie)

 

L’être humain « baigne » dans le monde, et de ce bain émerge un sens. Au sein de la réalité l’humain ne reste pas comme une poule devant une machine à écrire. Il a conscience de ce sens et dispose de la capacité d’exprimer son désir « d’augmenter sa puissance d’agir », comme le veut Spinoza, en créant de nouvelles connexions avec le monde.

 

Ainsi il est bien un reflet de la société dans laquelle il vit, sinon il ne serait pas compréhensible

L’œuvre de Duchamp, un urinoir qui demeure muet, est incompréhensible, ne peut rien signifier pour celui qui le regarde et ne possède pas le code donnant les clés de sa compréhension. A défaut d’en connaître les clés, n’importe quel objet d’art pourrait devenir un objet quelconque.

L’évolution se faisant en transgression ou dépassement des limites, certains individus ont toujours assumé ce rôle social de transgresseur (le prêtre ou le sorcier, l’artiste, le comédien, le fou….), qui permet à chacun de s’y retrouver, hors des limites de compréhension normalisées.

 

 «L’art est chose de l’âme» disait Rimbaud. C’est rendre visible de l’invisible, c’est faire exister et transmettre quelque chose qui excède le sensible.

 

4-Boileau : « Nous voulons qu'avec art l'action se ménage; Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli, Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli. "

 

5-Dubuffet : «L’art doit naître du matériau et de l’outil et doit garder la trace de la lutte de l’outil avec le matériau. L’homme doit parler mais l’outil aussi et le matériau aussi.»

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Peut-on accorder de la mémoire à ce qui est éphémère ?

 

"Avec le temps, va, tout s’en va", chante Léo Ferré, pour souligner que tout présent, qui s’évanouit dans le passé, est éphémère. Bien entendu, à l’échelle de l’histoire de notre planète, tout peut être dit « éphémère », toute trace du passé disparaitra un jour, même les pyramides.

A l’échelle humaine, pour chacun d’entre nous et pour chaque groupe humain, des traces du passé, qui n’ont pas le caractère de valeurs universelles ou d’indestructibilité, de permanence, persistent en nos mémoires, en tant que souvenir de ce qui n’existe plus.

 

En fait, l’étymologie d'éphémère, du grec ephếmerios (« qui ne dure qu’un jour »), qualifie, par extension, tout événement, toute chose, toute vie, tout ce qui n’a qu’une très courte durée de présence, qui est fugace, momentané, passager, provisoire, temporaire, transitoire, donc qui ne fait que passer.

Et c’est ce dont il est question dans ce sujet.

 

Le problème, c’est que la mémoire ne retient pas tout, du passé. D’abord, les souvenirs eux-mêmes, qui constituent la plus grande partie du contenu de la mémoire, deviennent vagues, confus et imprécis avec le temps et, bien entendu, ne changent pas le passé, qu’il s’agisse de la nostalgie d’un passé heureux ou des regrets ou remords d’un passé malheureux.

Nous verrons que la mémoire est également constituée de récits, de mythes, d'interprétation de l'histoire que d'autres décident suffisamment importants pour qu’ils fassent partie de notre mémoire individuelle.

 

La mémoire est d’abord une faculté, une fonction psychique par laquelle les souvenirs, proches ou lointains, sont enregistrés, conservés et restitués, et le mot désigne aussi le contenu de cette faculté,comme par exemple « la mémoire de l'humanité ».

Cette fonction, Proust y différencie une mémoire volontaire, celle donc que l’on peut volontairement « accorder » à quelque chose, d’une mémoire involontaire, celle qui qui fait qu'une odeur, une saveur, réveillent en nous, malgré nous, une circonstance du passé.(1)

Seule la mémoire volontaire, nous intéresse aujourd’hui. Lorsque nous avons conscience de la survenance de quelque chose, qui, éphémère, disparait de notre vue rapidement, nous pouvons, volontairement, lui « accorder » l’accès à notre mémoire. C’est alors une conscience présente de ce qui ne l'est plus, reconnue comme tel par le sujet.

 

Toute conscience est conscience de quelque chose, écrivait Husserl.

J’ai toujours trouvé étonnant l'importance qui a été donnée à cet « découverte », qui est en fait une belle et évidente lapalissade.

Notre conscience n'est rien avant un contact visuel ou intellectuel, avec quelque chose. Comme toute faculté, qu'il s'agisse de la vue, de l’ouïe, de l'intelligence etc.

Et c’est pareil pour la mémoire : les événements durables ou éphémères sont perçus de la même façon.

Ce n’est pas le fait qu’ils soient éphémères ou non qui importe, mais le fait que certains s’arriment à ce qui, pour nous, fait sens, et que d’autres ne nous « disent rien », nous apparaissent contingentes, elles sont là sans justification. Nous en construisons chacun le sens.

 

Clément Rosset, dans son Traité de l’idiotie (2004), définissait le réel comme intrinsèquement idiot.

(Idiot, en grec idiotês, ne signifie pas crétin, imbécile, mais évoque le sens de particulier, singulier. Le sens du mot est resté dans la langue moderne quand on parle d’un idiome, d’une langue particulière). En réalité, il n’y a pas deux choses pareilles, chacune est singulière. Même deux brins d’herbe ne sont jamais pareils.

Au sein du réel, il n’y a pas de chemin rationnel. Le réel est une jungle inextricable, un chaos d’objets singuliers qu’aucune structure ne relie entre eux. Nous en construisons chacun le sens, en retenons ce qui nous semble digne qu’on lui « accorde de la mémoire ».

 

La mémoire ne nous engonce pas dans le passé. Cette mémoire qui subsiste, est ce qui nous permet de grandir, de mûrir, de nous perfectionner, d’acquérir des connaissances, de l’expérience et de la sagesse ?

Quelle que soit la réalité ou l’exactitude des souvenirs, ils constituent notre expérience, nous constituent et  ce qui a un caractère éphémère nous permet de naître à ce que nous sommes devenus et de nous développer, de mieux agir dans le futur.

Le savoir-faire de l’artisan, du musicien, de l’étudiant, provient de ce qui à quoi il a été accordé de la mémoire, qu’il s’agisse de choses éphémères, rapidement passées  devant eux ou longuement répétées.

 

Nous faisons grand cas de l'expérience: comme la dinde, persuadée que le paysan, qui lui apporte à manger tous les matins, lui veut beaucoup de bien….. jusqu'au jour de Noël !

À quelques exceptions près, nous ne sommes pas des dindes. Nous raisonnons. Et c'est bien à notre capacité de raisonner à partir de tous les événements qui nous atteignent, qu’ils soient aussi éphémères et fugaces, que nous pouvons estimer prévoir le futur, ou du moins agir en vue de ce que nous voudrions qu’il soit, bien qu’il reste néanmoins contingent.

 

Chaque société hérite d’une tradition, d’une histoire, de valeurs, non pas simplement pour les conserver et se tourner vers le passé, mais pour les transmettre et se tourner vers le futur.

L’éphémère ne disparaît pas purement et simplement avec le temps. Et, au contraire, si le caractère éphémère de la beauté a tant d’attrait, c’est parce qu’elle ne dure pas.

C’est aussi le caractère fini et éphémère de la vie qui lui donne son sens en la définissant comme projet et en faisant naître en l’homme l’inquiétude et la réflexion qui lui permettront de se déterminer dans l’existence, de choisir ce qu’il voudra en faire.

 

Et puis il y a la mémoire de ce qui ne nous a pas individuellement touchés, une mémoire dont le contenu est sélectionné, choisi, selon le projet propre à chaque société, et qui néanmoins devient la nôtre propre. (2)

 

Nous sommes censés « tirer les leçons de l’histoire ». Le souvenir, le devoir de mémoire doit nous éviter de commettre les mêmes erreurs du fait que la mémoire mettrait en place des modèles de sociétés, d’hommes et d’actions qu’il conviendrait de suivre.
Or non seulement l’histoire ne se répète pas et vouloir refaire ce qui a été fait contrarie l’action adéquate qui aurait dû être entreprise parce que les circonstances, les hommes, ont changé et qu’il faut se demander quelle est l’exactitude de cette « histoire des vainqueurs ».
Les faits tronqués qu’elle décrit et les «non-dits» dont elle pullule, surtout du fait de tous ces événements qu’elle juge « éphémères », uniquement  pour pouvoir les ignorer, sont pourtant tout aussi importants.

 

Il en résulte, par des désirs standardisés dans notre société de consommation, par des pensées désingularisées par les médias, une mémoire historique, canalisée, dans le but d’obtenir la cohérence de nos types de sociétés, dominées par les marchés. Une mémoire qui alimente l’histoire, mais qui en reste distincte. Notamment, parce que, plutôt qu’une « mémoire collective », il y a une mémoire des classes sociales, des groupes, des familles. (3)

 

C'est l'homme qui fait l'histoire et c’est ensuite l'histoire qui fait l'homme. Le récit des événements qui y sont relatés nous indique des références individuelles et des références sociales, des mythes et des légendes constitutives des hommes et des sociétés. C'est un passé qui n'arrête pas de changer, dont nous aurions besoin pour nous construire.
Nous aurions alors un « devoir de mémoire » envers un passé qui est censé nous permettre de construire l'avenir, une obligation morale de nous souvenir d'un événement historique tragique et de ses victimes, afin de faire en sorte qu'un événement de ce type ne se reproduise pas, que ne s’installe pas une amnésie collective qui permettrait des dérives idéologiques comme celles qui ont conduit à des persécutions(4)

Mais c’est aussi ainsi, que nous pavons notre chemin de certitudes et, qu’en conséquence, nous pavons notre chemin de servitude

 

Le calcul des probabilités, les statistiques, et autres anticipations ou projections futurologiques nous rappellent, lorsque le futur arrive, le caractère contingent des événements à venir non seulement singuliers, non seulement précaires mais de surcroît éphémères. Les hommes, ces créatures d'un jour >, écrit Eschyle.

La précarité est donc la modalité fondamentale de l'existence. Elle est le " réel ". Tout le réel.

Même si, aujourd’hui, toute une partie du monde refuse que la vie soit éphémère, comme le transhumanisme, qui entretient la promesse prométhéenne d’autoréparation, sinon d’immortalité, qui balaierait une insatisfaction liée à nos limites corporelles ». Ce corps amélioré, deviendrait par « incorporation de la technologie », un devenir-machine du corps éphémère..

Mais cela suppose la croyance en une indestructibilité (rêvée) du métal, de la matière non vivante, qui ne seraient pas éphémères, contrairement à l’acceptation stoïcienne de nos imperfections, « de ce qui ne dépend pas de nous ! », a l’opposé du surhomme Nietzschéen, qui n'est pas un mutant en transformé par la chimie et la technique, mais un homme qui n'a pas besoin d'aide pour devenir grand.

 

Accordons de la mémoire, surtout à tout ce qui est éphémère, pour ne pas oublier toutes les possibilités de devenir de l’homme, parce que la mémoire, grâce a ce qu’on lui accorde, est la plus belle conquête de l’humain.

Elle permet la dignité humaine, celle d’une humanité non pas abstraite mais incarnée dans chaque « personne humaine », reconnaissable partout où elle se trouve, par toutes les petites et grandes choses qui font que chaque humain résume à lui seul l’humanité toute entière.

C’est l’importance de l’éphémère qui fait que notre humanité ne réside pas dans l’aptitude à se replier autour d’une terre, autour des valeurs ancestrales d’un terroir ou d’une nation, dans un accord soumis aux idées générales et aux référentiels importés, mais que notre humanité réside dans la capacité, pour chacun d’accorder de la mémoire à sa propre réflexion, afin de ne pas oublier ses devoirs libres et volontaires, à l’égard des vivants.

N.Hanar

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NOTES

1-Dans une « ,Lettre à Antoine Bibesco », Proust précise que cette mémoire involontaire nous fait sentir combien ce passé était différent de ce que nous croyions nous en rappeler et que « notre mémoire volontaire peignait, comme les mauvais peintres, avec des couleurs sans vérité ».

2- Michel Foucault nous dit que les fondements culturels d’une société ne sont pas l’addition linéaire de connaissances, de récits, de manières de penser d’événements qui obéiraient à la même mécanique et aux mêmes buts. L'histoire n'est pas continuité, mais discontinuité,
Foucault, en pratiquant « l’archéologie du savoir » qui n’interprète plus les discours, mais décrit les conditions de leur émergence, met en lumière les « non événements » que sont les modes de vie, les mentalités et les rituels sociaux afin d’en dégager des moments singuliers et uniques.

Par exemple la folie, au Moyen Age, qui provoque exclusion et enfermement de tous les déraisonnables (mendiants, vagabonds, débauchés, homosexuels….) par des critères économico-politiques, qui font qu’on commence à les faire travailler pour les rendre « utiles  et dociles » (ateliers, casernes, prisons, hôpitaux).
Les savoirs sont donc « relatifs » à  une histoire non descriptive.
Savoir à qui cela est utile n’accrédite pas la thèse d’un complot, d’une volonté unique et cachée d’arriver à un certain résultat. En effet le pouvoir n’est pas qu’entre les mains des états, mais aussi des institutions, (prison, école, famille, sciences….), de toutes organisations (religions, rituels laïques, syndicats, associations….). Il y  a plus des micro-pouvoirs qu’un pouvoir unique dominant. Les césures ne résultent pas d’une volonté unique mais d’une convergence d’actions et d’intérêts, ne poursuivant pas les mêmes buts et n’utilisant pas les mêmes moyens, ce que Foucault nomme « le hasard de la lutte ».

L’histoire est constituée de configurations provisoires dans lesquelles s’organisent des objets de connaissance et des manifestations du pouvoir.

3- Voltaire a écrit dans "Le Poème sur le désastre de Lisbonne" : " L’homme étranger à soi, de l'homme est ignoré.

Et Voltaire ajoute dans une note à ce poème de 1756 : « Il est clair que l’homme ne peut, par lui-même,  être instruit de tout cela. L’esprit humain n’acquiert aucune notion que par l’expérience ; nulle expérience ne peut nous apprendre ni ce qui était avant notre existence, ni ce qui est après, ni ce qui anime notre existence présente. Comment avons-nous reçu la vie ? Quel ressort la soutient ? Comment notre cerveau a-t-il des idées et de la mémoire ? Comment nos membres obéissent-ils incontinent à notre volonté ? Etc. [ ] Les plus grands philosophes n’en savent pas plus sur ces matières que les plus ignorants des hommes.

Que suis-je, où suis-je, où vais-je, et d'où suis-je tiré ?"

-Ce qui a fait dire à Pierre Dac : "A l'éternelle question : qui sommes-nous, d'où venons-nous, et où allons-nous ? Je réponds : je suis moi, je viens de chez moi, j'y retourne. »

4- Cette notion est apparue dans les années 1990 à propos de la Seconde Guerre mondiale, en particulier de la Shoah, elle s'est élargie depuis à d'autres épisodes tragiques de l'Histoire.

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memoire ephemere
éternité Jean Luc

La revendication d'éternité.

Une video pour se mettre dans l'ambiance:

https://www.youtube.com/watch?v=k4mUV6FzIEU

 

A quelle nécessité correspond ce qui est? Pourquoi le monde, depuis l'infiniment grand jusqu'à l'infiniment petit n'est-il pas un chaos et comment a-t-il réussi à ne pas l'être? Par quoi et de quelle manière ont été, par exemple, déterminées la vitesse du son et celle de la lumière? D'où vient et de quoi se compose l'énergie qui a fait que la matière ne soit pas restée inerte, mais a donné la vie puis la conscience? En quoi celle-ci aurait-elle une quelconque légitimité pour prétendre à l'éternité? La conscience, se croyant toute-puissante du fait de son accès à la pensée et à son fruit le plus délicat, la raison, aime à considérer qu'elle pourrait se rattacher à un réel purement imaginaire, distinct de la réalité matérielle que nous pouvons appréhender par nos sens et circonscrire par notre capacité de raisonnement. Cet autre monde, si cher aux mystiques, serait appelé à échapper au temps, ou du moins, à être comme le temps, c'est-à-dire une éternité sans passé, ni futur, rien qu'un éternel présent.

En effet, jamais le temps ne passe, ce sont les êtres qui passent. Et les humains vivent pour la plupart dans l'espoir qu'après leur mort, ils seront comme le temps, un être sans essence ni substance se tenant dans le pur plaisir d'exister.


Autant d'interrogations et de suppositions qui ne peuvent que faire l'objet de spéculations métaphysiques, de théories reposant sur des certitudes imaginaires et qui ne peuvent en aucune manière constituer la base d'un savoir. D'ailleurs que savons-nous? Nous savons simplement que ce qui existe n'est que partiellement accessible à la connaissance, voire même à la conscience.
De sorte que l'humain, s'étant si souvent senti seul et démuni face à l'immensité de l'univers (cf B. Pascal), cherche à fuir cet état d'inconfort mental. Il aimerait se raccrocher à l'idée que ce qui a généré en lui la pensée est de nature divine et par là serait la part de lui-même qui est impérissable. Mais n'est-ce pas là un caprice d'enfant gâté? Ne dispose-t-il pas de la pensée pour définir une finalité à sa finitude qu'il serait vain de vouloir nier? Pourtant ne faudrait-il s'en tenir qu'à cela? Car qu'en est-il de l'origine de la pensée? Etait-elle déjà incluse dans la matière de laquelle la vie a émergé ou errait-elle dans un infini avant que la matière ne soit pour permettre à celle-ci de s'organiser suivant des lois spécifiques? Lesquelles lois seraient la manifestation de cette pensée apparue ex nihilo et qui se serait imposée en fonction de sa nécessité propre, laquelle s'énonce: être pour rendre le devenir possible. Dans l'un ou l'autre cas, elle n'est pas d'origine humaine puisqu'elle lui pré-existait. En effet, l'enchaînement des phénomènes se produisant selon un principe de causalité existait avant que l'humain ne soit. De sorte que les lois physiques et biologiques sont l'émanation d'une logique, l'expression d'une cohérence et de fait, elles échappent au devenir liés aux phénomènes. Ceci, car elles sont à la fois la base et la condition ayant précisément permis au devenir d'émerger. Donc, la logique, inhérente au monde physique et à la nature, n'étant pas ce qui dépérit, est ce qui autoriserait l'humain à rêver d'éternité. Toutefois, il a beau décrypter et décoder le langage du monde existant, cela ne saurait lui donner une quelconque assurance quant à la réalisation de cette rêverie.
Pour les religions qui se moquent bien de ce que la science peut découvrir, l'éternité est un droit. Pour en bénéficier, il suffit de pratiquer la vertu de la manière dont elles la codifient et le fidèle pourra faire valoir ses droits au paradis comme un syndicaliste réclamerait son dû ou comme on ferait valoir ses droits à la retraite. Mais ceci, en ayant toutefois la modestie d'assumer son passif, l'humain n'étant pas un ange. 

 

S'il convient de dire que ce n'est pas le temps qui passe, mais que ce sont les êtres qui passent, si l'on accepte l'idée que la pensée enrobée de logique n'est pas d'origine humaine et qu'en conséquence la conscience humaine n'est pas la totalité de la conscience, il est pertinent de considérer que les intuitions aristotélitiennes concernant les questions d'ordre métaphysiques sont dignes d'intérêt. Ainsi, cet auteur établit que ce n'est pas la matière, par elle-même inerte, qui s'est donnée à elle-même le mouvement. Et puisque, de manière presque certaine, le temps et le mouvement représentent ce qui est sans origine, car l'un est éternel et l'autre est perpétuel, ce n'est pas du périssable ou de l'inerte que peut être issu ce qui est éternel et perpétuel. Le temps est éternel car comment concevoir un avant ou un après du temps et le mouvement est perpétuel, du moins dans sa forme parfaite qu'est le mouvement circulaire. Que ce soit au sein de l'atome ou d'une galaxie, une fois que ça tourne, ça tourne! On remarquera que le cercle est une figure dont la circonférence et la superficie se calculent avec un nombre particulier, le nombre pi. Or, il s'agit là d'un nombre infini; on a pour l'heure calculé les 5000 milliards de chiffres après la virgule de sorte que c'est d'un nombre infini qu'est né le mouvement infini. 


L'intelligence (la faculté de comprendre) est mise en mouvement par l'intelligible (ce qui rend la compréhension possible). Le premier découle du second, lequel échappe nécessairement à tout devenir puisqu'il est ce qui rend le devenir possible. Il ne peut donc dépendre de quoi que ce soit ni, a fortiori, être dirigé par quoi que ce soit. Il est, et en ce sens, ne devient pas puisqu'il ne fait que poser les conditions de la possibilité d'un devenir. Mais quelle est la nature de ce qu'Aristote, parlant de la divinité, affirme ne pas pouvoir être mis en mouvement? C'est impossible à savoir puisque nos sens ne peuvent percevoir que les phénomènes et notre raison ne peut que donner une explication de ces mêmes phénomènes.


Comme Aristote, constatons simplement que si la divinité motrice était elle-même mûe par un autre être, lequel serait lui-même mû et ainsi de suite jusqu'à l'infini, on arriverait à un système qui ressemble au système des causes matérielles dans le monde que nous connaissons et l'on se poserait à nouveau la question de l'origine des lois de l'univers et notamment de l'origine du principe de causalité. Par nécessité logique, il y a donc un premier moteur ne dépendant de rien, qui en conséquence ne peut être corruptible (au sens de périssable et de putrescible) puisque la corruption ne fait que découler des lois de la nature qui émanent de ce premier moteur.
On peut alors poser le syllogisme suivant: ce qui constitue le siège de la pensée, de la pensée en tant qu'elle est, est la manifestation de la part absolument non corruptible de ce qui est; or l'humain est capable de pensée, cet acte présente dès lors ce qui émane de la part de lui-même qui serait non corruptible et par conséquent ce qui a rendu possible cet acte de pensée individuel est de nature divine. La divinité représentant simplement ce qui ne peut pas ne pas être car sinon tout ne serait que chaos. La divinité est comme le temps, un être sans essence et sans substance, puisqu'elle ne tend vers rien, elle rend possible ce qui est, c'est tout. Il n'y a donc plus à se poser la question de savoir pourquoi il y aurait un être sans substance (le monde intelligible), cette question est maintenant absurde puisqu'il est par nécessité, comme il n'y a pas à se poser la question de savoir pourquoi ce qui est (le monde sensible) le serait sans principe déterminant, sans détermination à être ce qu'il est, car c'est sans un principe d'ordre qu'il serait absurde. 
Toutefois, cette détermination n'est pas absolue, elle est simplement comme une armature, elle ne fige rien. La pensée peut orienter ce qu'elle conçoit dans différentes directions d'autant que le déterminisme qui enveloppe les phénomènes est tempéré par la survenance d'évènements contingents. L'animal par contre, est entièrement déterminé par son instinct, il n'a aucune liberté de choix et, génération après génération, est donc soumis aux mêmes conditions d'existence. 

 

Evidemment, de telles théories ne pouvaient convenir aux partisans des religions abrahamiques qui, pour justifier leurs revendications à l'éternité, eurent besoin de sources irrationnelles, comme par exemple, la révélation. Celle-ci étant alors décrétée comme vraie, mais de manière totalement arbitraire. Voyons comment a procédé l'un d'eux:
L'un des théologiens les plus affirmatifs concernant la réfutation des thèmes développés par la philosophie de l'Antiquité grecque fut un auteur syrien de la fin du 13e siècle, Ibn Taymiyya, notamment dans "La lettre palmyrienne". Il considère qu'une des thèses platoniciennes, celle relative à l'idée pure, est erronée: il énonce qu'il ne peut y avoir d'idées ayant précédé le monde, ou qui lui soient extérieures, car tout ce qui peut être pensé est nécessairement extrait d'une réalité. L'idée, étant le reflet de la réalité, en dépend donc entièrement et ne peut en rien en être l'antécédent: "Les philosophes prétendent qu'il existe en dehors des consciences des concepts absolus. Ils contredisent ainsi l'expérience sensorielle, la raison et les enseignements révélés car ils considèrent que les concepts nés de notre esprit ont une existence propre dans la réalité". Or "celles-ci (les idées pures) n'ont pas d'existence en-dehors de nos consciences". Il ne peut y avoir, insiste-t-il, de "monde intelligible, où l'idée du Bien est souveraine et dispense la vérité et l'intelligence" (Platon, dans "la République"), car cela reste un pur produit de notre conscience. Or, dit cet auteur, "on ne peut connaître réellement une chose qu'après avoir appréhendé cette chose par l'expérience". Seul le réel, et non l'idée, peut être source de connaissance car comment l'idée ne reposant sur rien de concret pourrait-elle être créatrice de réalité connaissable? Et puisque les paroles ne sont légitimes qu'en ce qu'elles représentent le réel, elles ne sauraient créer ce réel ni agir sur lui. Il en déduit que ce qui relève de l'essence et des attributs divins échappant à l'expérience humaine, "il faut s'en remettre au savoir révélé". Certes, mais Ibn Taymiyya ne nous dit pas, contrairement à Aristote ou Platon, par quel biais il considère l'existence divine comme faisant partie des réalités. Il en reste donc au stade des certitudes proclamées et non des démonstrations affinées.


Ces thèses, en réalité, ne contredisent pas vraiment l'approche inductive de Platon, où c'est par le particulier (le monde sensible dont on a l'expérience) que l'on accède à l'universel (l'intelligible) ni celle plus déductive d'Aristote, où c'est l'universel (l'intelligible) qui a mis en mouvement le monde des phénomènes tout en leur conférant une logique. Et c'est en étudiant les phénomènes et leurs causes que l'on peut atteindre et comprendre l'universel. Ibn Taymiyya considère que Dieu est à la fois une universalité mais sans être une totale abstraction sinon le discours révélé aurait été incompréhensible. Comment alors être certain que la révélation est d'origine divine, puisque, nous dit-il, la raison ne peut opérer qu'à partir de choses connues? "La connaissance intrinsèque d'un qualifiant (homme), implique une connaissance intrinsèque de son qualifié (Dieu). Car le qualifiant dépend et découle de son qualifié". Il ne s'agit de rien de plus que d'une nouvelle mouture de l'aristotélisme. Par ailleurs, en citant la sourate 14-8 «Seriez-vous infidèles, vous et tous ceux qui vivent sur la Terre, sachez que Dieu se suffit à Lui-même", il admet que la croyance ou l'incroyance ne changent rien à la réalité de l'existence divine et qu'en conséquence d'autres cultes ou absence de culte ne sauraient perturber les adeptes de la vision coranique du monde; de sorte qu'une religion n'a de pertinence que si elle n'est pas dogmatique. Dès lors que Dieu se suffit à lui-même, ce n'est pas par des dévotions, des vénérations et des adulations que l'on peut influer sur sa décision concernant le salut éternel de l'âme, mais bien plutôt par la recherche du souverain Bien tel que l'avait proposé Platon. On serait certes bien en peine de le définir, mais se fonder sur des textes dits révélés pour justifier des actes ou paroles antisémites, sont en tout état de cause, d'une totale hérésie.

On conclura de manière humoristique, en réécrivant la Fable de la Fontaine, le Renard et le Corbeau:


Maître Corbeau (le divin), sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard (l'humain), par l'odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
Et bonjour, Monsieur du Corbeau,
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes des cieux.
À ces mots le Corbeau en a les larmes aux yeux, 
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, mais ne laisse pas tomber sa proie.
Le Renard qui voulut s'en saisir, repartit tout penaud, et se dit:
Je viens d'apprendre que tout flatteur
Vit aux dépens de sa propre vanité de hâbleur.
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.
Le renard, honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

 

Jean Luc

 

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subir injustice

Vaut-il mieux commettre une injustice que la subir?»

 

C’est la thèse opposée à celle de Platon, celle qui nous parait immédiatement plus évidente. Pourquoi ?

 

Les idées Socrato-platoniciennes présupposent que la réalité apparente est illusoire. (Allégorie de la caverne). Tout ce que l'on croit savoir de la réalité, toutes les opinions qu'on en a se valent, par ce qu'elles sont trompeuses. Il y a, pour Platon, des idées, qui ne dépendent pas de la perception que l'on a, par nos sens, du monde. Elles sont là de tous temps, immuables et universelles et forment les modèles (archétypes) des choses et formes que nous percevons avec nos organes sensoriels.

Le beau ne disparaît pas du monde, si la belle femme devient laide en vieillissant. Comme le juste si l'un ou l'autre est victime d'une injustice. Ni le bon, si les circonstances le permettent pas de ressentir le bonheur.

De plus toutes ces idées sont liées.

Celui qui commet l'injustice parce qu’il se croit tout permis, sans avoir de compte à ne rendre à personne, n'a pas le pouvoir de satisfaire tous ses désirs, par ce que ces passions renaissent sans cesse, comme le tyran qui, prétend concentrer tous les pouvoirs entre ses mains et faire régner l'ordre par la force, la violence ou l'intimidation, mais surtout craint de ne pouvoir le "garder", ne peut ressentir le bonheur..

Socrate défend l’idée de l'identité du beau et du bien: c'est en considération du plaisir qu'elles procurent ou de leur utilité que les belles choses sont réputées telles; alors que les laides sont tenues pour telles vu les qualités contraires qui leur sont attachées.

 

Ainsi, (affirmation de Socrate que l'on trouve dans plusieurs textes de Platon): il vaut mieux subir l'injustice que de la commettre, il est préférable du point de vue du devoir moral ou même de notre bonheur d'être victime que bourreau, l'homme ne doit pas agir par intérêt mais par devoir car être heureux est une question de vertu morale et non de puissance toujours relative.

 

Or quelles sont les oppositions de Polos et Calliclès, dans le Gorgias, à cette thèse ?

 

« Polos : Qu'est-ce que tu racontes ? Si un homme est pris alors qu'il complote injustement contre son tyran ; et si, fait prisonnier, on lui tord les membres, on mutile son corps, on lui brûle les yeux, on lui fait subir toutes sortes d'atroces souffrances, et puis, si on lui fait voir sa femme et ses enfants subir les mêmes tortures, et après cela, pour finir, si on le crucifie et on le fait brûler vif, tout enduit de poix, ( et si, en plus, on le prive de dessert !) est-ce que cet homme sera plus heureux comme cela que s'il avait pu s'échapper, s'il était devenu tyran et s'il avait passé sa vie à commander dans la cité, en faisant ce qui lui plaît, en homme envié et aimé par les citoyens comme par les étrangers ! »

 

Pour Calliclès Socrate confond l’ordre de la loi – pour lequel commettre l’injustice est toujours un mal – et celui de la nature, suivant lequel commettre l’injustice est tout à fait naturel, pour les prédateurs et les vainqueurs. Effrayés par cette évidence, les faibles ont, selon Calliclès, inventé la morale et les lois afin de faire croire que le plus fort est mauvais et injuste, pour le condamner et le punir.

Socrate : il est peut-être agréable, mais mauvais, de commettre l’injustice: le bien existe indépendamment de l’utile et de l’agréable. Et c’est lui, lorsque nous le suivons, qui justifie notre humanité.

 

Aujourd’hui comment concevons-nous ce qui est juste ou injuste ?

 

Est injuste ce qui présente un défaut de justice, «c’est-à-dire une entorse à ce que l'on attend de l’action, la manifestation d’une déception relativement à des attentes normatives.

« Est juste «ce qui respecte l'égalité et la légalité, les droits (des individus) et le droit (de la Cité). Cela suppose que la loi soit la même pour tous, que le droit respecte les droits, enfin que la justice (au sens juridique) soit juste (au sens moral) »

[Or] Le droit protège la propriété privée et par là l'inégalité des biens. Pascal : Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fut, qui est le souverain bien» (Pensées).

Une décision est juste quand elle pourrait être approuvée, en droit, par tous (par tout un peuple, dit Kant) et par chacun (s'il fait abstraction de ses intérêts égoïstes ou contingents : c'est ce que Rawls appelle la « position originelle » ou le « voile d'ignorance »).

Cela donne à peu près la règle, telle qu'Alain la formule, et qui ne vaut pour tous que parce qu'elle vaut d'abord pour chacun : « Dans tout contrat et dans tout échange, mets-toi à la place de l'autre, mais avec tout ce que tu sais, et, te supposant aussi libre des nécessités qu'un homme peut l'être, vois si, à sa place, tu approuverais cet échange ou ce contrat » (81 chapitres..., VI, 4, « De la justice »).

« Est juste, écrivait Kant, toute action ou toute maxime qui permet à la libre volonté de chacun de coexister avec la liberté de tout autre suivant une loi universelle » (Doctrine du droit, Introd., § C). (Comte Sponville.

 

Qu'est-ce qui est préférable, entre subir l'injustice (être victime d'une injustice) et commettre l'injustice (être l'auteur/acteur d'une injustice, être bourreau) ? Comment instituer un système de valeurs ? En fonction d'un but, d'une finalité (il est préférable de commettre l'injustice si l'on estime que la fin la plus haute est la vertu, la morale) ? Si, tel Calliclès dans le Gorgias de Platon, on place au-dessus de toute la vie biologique la survie et la domination sur les autres, alors il semble qu'une injustice est préférable (Socrate démontre que cette préférence est non seulement indéfendable moralement, mais en plus illogique, absurde). Il s'agit donc bien de questionner le sens de cette préférence. Si la justice n'est que le strict respect des lois (proposition que Socrate combat puisqu'il distingue dans l'Apologie la justice comme institution, relative et discutable, de la justice comme vertu, comme idéal qui doit nous guider dans l'action), alors subir une injustice de manière passive est à proscrire : c'est respecter des lois que l'on sait injustes (lois tyranniques, lois racistes, etc.). En ce sens, il vaut peut-être mieux se battre que subir etc. se révolter, même si cela implique de transgresser la loi, autrement dit de commettre une injustice.

 

Le sujet dans toute sa radicalité nous pose une question impliquant un choix ; une choix quasi existentiel à savoir entre subir une injustice et la commettre quel est le moindre mal ? On peut choisir de répondre à la question par l’adage populaire qui veut qu’entre deux maux il faut choisir le moindre. Mais est-ce aussi simple ? En effet, subir une injustice semble la pire des choses : l’expression d’un déni de justice. Subir une injustice serait alors pire que de la commettre, surtout que le verbe « subir « insiste bien sur l’involontaire de l’action, sur la position passive de l’agent se faisant déposséder de quelque chose ou réduisant sa puissance d’action. Commettre l’injustice serait donc volontaire et bénéfique à celui qui la ferait. Et dans ce cas, on pourrait comprendre l’émergence du droit pour pallier justement ces injustices.

Peut-on répondre à cette question de manière a priori ou alors doit-on entrer dans une casuistique sans fin ?

 

Or en présentant les choses sous la forme d’une alternative – subir ou commettre l’injustice –, Platon disqualifie ses adversaires de manière tout à fait… sophistique.

Car la justice en soi, absolue et éternelle, n’existe pas, dans notre système de pensée. La justice n’est qu’une notion juridique et sociale. Elle résulte d’une convention et correspond à une époque et à une société donnée.

 

1) Il paraissait scandaleux, il y a encore peu de temps, que deux hommes ou deux femmes vivent ensemble, visent le mariage et, pourquoi pas, l’adoption d’enfants.

Toutefois, en dehors du mariage homosexuel ou de l’avortement, interdits à certaines époques, autorisés et même loués aujourd’hui, il existe tout de même des normes intangibles. Le vol, l’assassinat, la torture d’où qu’ils viennent ont été critiqués dans (presque) toutes les civilisations. Selon une histoire et un contexte, on se situe toujours par rapport à l’idée d’une justice, sinon absolue, du moins fixe.

Dans l’histoire il existe des systèmes politiques qui ont érigé le meurtre de masse comme étant un bien collectif et une solution juste. C’est le cas des purges organisées par Staline au nom de l’édification du socialisme, ou encore du génocide organisé par les nazis au nom de la pureté et de la suprématie de la race aryenne.

 «Les gens s’arrangent avec le juste et l’injuste en fonction de leurs intérêts, de leurs affects», de circonstances aléatoires.

Peut-on se passer d’un horizon de justice, d’un idéal régulateur qui permet d’évaluer les actions ? Dans la vie réelle, on est bien obligé de trancher, de décider.

 

Or, aujourd’hui, par une universelle hypocrisie sociale, nous agissons comme s'il valait mieux commettre une injustice que la subir, tout en prétendant agir de manière contraire.

 

Platon disait que l’homme injuste ne sait pas réguler ses désirs pour les rendre compatibles avec les règles de la justice. C’est un homme malheureux car dominé par ses pulsions et son caractère. C’est aussi un homme ignorant qui ne sait pas que les principes de la justice ne sont pas arbitraires et imposés comme une contrainte extérieure à l’homme mais qu’ils représentent les conditions de réalisation d’une harmonie à la fois sociale et individuelle.

Or les hommes qui respectent bien toutes les règles et tous les principes ne sont pas, et de loin les plus heureux.

 

« Juste » et « injuste » désignent une proportionnalité lors d'une répartition méritée ou réparatrice. Est juste ou injuste ce qui est bien ou mal évalué en fonction des circonstances.

La révolte contre l'injustice reste souvent égoïste. Nous pouvons nous révolter lorsque nous sommes concernés, et indifférents à l'injustice lorsqu'il s'agit des autres. Si ce n'étaient pas le cas, il n'y aurait pas tant d'inégalités dans notre société. Lorsque nous bénéficions d'un privilège, nous ne nous sentons pas toujours scandalisés. Un sportif est souvent moins regardant à l'égard des erreurs d'arbitrage lorsqu'elles tournent en sa faveur.

 

Et puis prouver l'injustice nous donne souvent le désir de nous venger. Il déclenche donc chez nous plutôt un autre sentiment, le ressentiment, et une envie d'agir avec violence et la vengeance sera le plus souvent injuste, car elle restera peu réfléchie.

Le sens de la justice a peu à peu évolué dans l'histoire : il y eut l'abandon de la loi du Talion et de la peine de mort. De tels progrès n'ont été possibles que par la sortie du seul sentiment et l'introduction de la réflexion (qui fait intervenir les conséquences des châtiments, la notion de dignité humaine, les droits de l'homme).

 

 « Je préfère commettre une injustice que de tolérer un désordre » écrivait Goethe dans « le Siège de Mayence » (A propos d’un architecte accusé d’être l’incendiaire de la cathédrale et de pillage)

Entendons : mieux vaut laisser s’échapper quelqu’un qui est peut-être coupable (une injustice) que de tolérer qu’il soit livré à une foule dévorée par la haine (un désordre). « Quand bien même un homme serait coupable, ceux qui le lynchent demeureraient des criminels. »

 

2- Chacun d’entre nous s’est posé la question au moins une fois : « Que ferais-je face à l’oppression ? Serais-je capable de me mettre en danger, de perdre ma situation ou de risquer ma vie pour sauver celle de mes semblables ? L’expérience de « soumission à l’autorité » menée par le psychologue américain Stanley Milgram au début des années 1960 apporte un triste démenti aux supposées postures héroïques.

Aux côtés des personnages exceptionnellement sanguinaires et sadiques comme Josef Mengele, ou Beria, sont apparus les bourreaux ordinaires, consciencieux et zélés comme Adolf Eichmann. » Par obéissance à une autorité légitime, par esprit de corps, mais aussi par adhésion à un monde où leurs victimes avaient au préalable été ravalées en dessous de l’humanité.

 

En conclusion on peut se demander si Platon n'avait pas finalement raison. Qu’l s'agisse d'idées absolues ou d'idées relatives à une civilisation donnée, à un moment de l'histoire, poser ce qui est juste, beau ou bon, de manière relative à l'opinion de chacun ne permet pas l'accès au bonheur à la paix.

Comte-Sponville (dans l’Express du 6 mars 2019) : il est vrai qu'à force de privilégier les libertés [et les désirs] des minorités, on finit par ne plus adresser à la majorité ( à tous]. Je suis très heureux que l'homophobie passe pour une faute morale, mais quand on entend remplacer père et mère par parents 1 et parents 2, on sait qu'on va heurter des millions de gens »… On de s'adresse plus qu'à des minorités qui auraient toujours raison.

Ceux qui défendent leurs idées particulières estiment, sans aucun problème, pourtant par désir de justice, qu'il vaut mieux commettre une injustice que la subir.

 

N.Hanar

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Les « valeurs », sont-elles en train d’évoluer ou de disparaître 

 

La manière dont la question est posée suppose explicitement qu’il y aurait des valeurs absolues, universelles, fédératrices, susceptibles d’évoluer, voire de disparaître! Existent elles seulement?

 

La valeur, c’est d’abord un caractère mesurable, prêté à un objet, en fonction de sa capacité à être échangé ou vendu; à être utile, qui se traduit par le prix, correspondant à l'estimation faite d'un objet. (1)

Mais ce prix s’applique « seulement pour ce qui est à vendre, nous dit Comte Sponville », pour sa valeur d'échange, dans un marché donné. Mais la justice ? Mais la liberté ? Mais la vérité ?

Elles peuvent avoir un coût, dans telle ou telle circonstance. Mais elles n’ont pas de prix : elles ne sont pas à vendre, et ne sauraient être échangé valablement contre de l'argent, ni même contre une autre valeur. Échanger la justice contre la liberté ? Les valeurs n’ont pas de prix : elles ont une dignité…. »

 

Oui, mais ces valeurs-là, justice, liberté, n’ont-elles pas aussi, comme un objet, une valeur en fonction de leur utilité sociale, une valeur estimée par rapport à un effet souhaité, à leur efficacité ?

Ne seraient-elles donc « valeur » que par rapport à ce qui est désiré, ce qui est estimé, considéré comme beau, bien, moral, utile ou juste ? (2)

 

L’axiologie, la branche de la philosophie qui étudie ce que sont « les valeurs», les considère comme des croyances, partagées par une culture. Ce n’est que parce qu’elles sont le fruit d’un consensus social que sont conférées aux choses, aux faits ou aux personnes, une estimation, précieuse aux yeux d’une société donnée, des qualités dont l’utile, le bon et le juste en sont des aspects.

Ce qui implique l’existence d’une échelle des valeurs allant du positif jusqu’au négatif : il y a ce que l’on peut ou doit vouloir et ce que l’on ne peut ou ne doit pas vouloir. Il ne s’agit pas là d’une relativité des valeurs qui impliquerait que rien ne vaut, mais seulement que l’on évalue les valeurs, dans le cadre de leur effet dans le quotidien d’une société!

Par exemple, des valeurs morales, telles que l’humilité, la responsabilité, la pitié et la solidarité, ne le sont que par conformité avec les normes sociales.

Comme l’écrit encore André Comte-Sponville : « ce qui vaut [ ] varie selon les époques, les civilisations, les pays, les couches sociales, et selon les individus..» Et ces valeurs ne peuvent pas se mesurer à l’aune d’un absolu. Une valeur n’est pas universelle, puisqu’elle n’est pas adoptée par tous les hommes, partout, et en tous temps. Les valeurs ne sont pas transcendantes, ni absolue, mais elles sont humaines.

Pire, serait « dogmatique toute pensée qui prend la valeur pour une vérité » C’est l’homme qui est à l’origine des valeurs. Et s’il ne lutte pas pour elles, pour ses croyances qu’il est donc le seul à pouvoir défendre, elles peuvent s’écrouler, évoluer ou disparaitre, entrainant la mort, de ses idées, et de ce qu’il est.

Ainsi, les valeurs seraient des croyances correspondant à des désirs, et ce serait seulement parce qu’on les désire qu’elles seraient des valeurs !

Comte Sponville : « Comment la justice serait-elle une valeur, si personne ne désirait la justice ? [ ]

Si j'aime la richesse ou la justice, n'est-ce pas parce qu’elles sont bonnes ? Si je désire cette femme, n'est-ce pas parce qu’elle est belle ? Non pas, répondrait Spinoza : c’est parce que tu aimes la richesse et la justice qu’elles te paraissent bonnes; c’est parce que tu désires cette femme qu’elle te paraît belle. Un singe, à ce que nous jugeons la plus belle des femmes, préférerait une guenon. Parce qu'il n’a pas le même désir. Relativisme sans appel : une valeur c’est ce qui est désirable, et elle n’est désirable que parce qu’elle est désirée. C’est pourquoi l'argent, pour certains, vaut plus que la justice. Et c’est pourquoi la justice, pour d’autres, vaut davantage que l’argent. Il n’y a pas de valeurs absolues. [ ] Que telle chose me semble bonne ou mauvaise, cela dépend du désir que j'en aie. [ ] Toute valeur est subjective donc relative [ ] Toute valeur est de l’homme ».

 

Il conviendrait donc de s’interroger, puisque les valeurs sont relatives à tel ou tel individu, dans telle ou telle société, à telle ou telle époque, si on peut parler à leur propos de disparition ou d’évolution mais s’il ne faudrait pas, plutôt, les considérer comme l’expression du socle des croyances d’un groupe humain donné, de ce qui, pour ce groupe, fait consensuellement sens, ce que nous appelons souvent, ici, son « référentiel » ou son « champ de sens ».

 

Il ne s’agirait pas, alors, de s’interroger sur telle ou telle valeur, mais sur ce qui nous fait agir, et sur le désir, voire le besoin, que nous avons, pour cela, de valeurs et de modèles et de référentiels.

 

Les cultures sont plurielles, diverses ou opposées, chacune véhiculant ses propres référentiels, d’où, ce « choc des cultures » souvent évoqué.

Nos valeurs d’aujourd’hui, ici et maintenant, la démocratie, l’égalité, la solidarité par exemple, valeurs dont nous souhaitons l’extension universelle, doivent-elles être les composantes de toutes les cultures ?

Voudrions-nous vraiment d’une culture universelle qui s’appliquerait partout et tout le temps ?

 

Les croisades, montrent l’ambivalence de la prétention d’une culture à porter des valeurs universelles.

Les droits de l’homme réintroduisent dans le champ politique une moralisation qui en avait disparu : on ne fait plus la guerre contre un ennemi dont les intérêts divergent des nôtres, mais comme porteur d’un « bien » légitimant que l’on cherche à éradiquer un « mal », comme au temps des croisades…

Ce qui fait que les droits de l’homme permettent de donner une légitimité morale à des actes de guerre, où les choses ne devraient pas être posées dans des termes moraux. La Syrie, la Lybie, l’Irak, entre autres, ne seraient-elles pas victimes de la prétention de notre culture à considérer légitime d’exporter et d’imposer des valeurs sous prétexte qu’elles seraient universelles parce que ce sont les nôtres ?

Parce qu’une culture qui prétend exporter des valeurs universelles est impérialiste.

Alors que les cultures, qui font action de s’enrichir mutuellement, peuvent les produire. Et dans ce cas, il ne s’agirait plus d’évolution ou de disparition, mais de remplacement.

Ce qui déboucherait sur d’autres valeurs, différentes des précédentes.

D’après Nietzsche, au principe de toute vie, se trouve la volonté de puissance, ce que Spinoza appelait le Conatus, « persévérer dans son être », et Schopenhauer le « vouloir-vivre ».

Nietzsche reproche au christianisme d’avoir opéré une inversion des valeurs en instaurant, en favorisant, en sanctifiant tout ce qui, selon Nietzsche, se ligue contre les forces de vie: avant tout par l’invention d’un arrière monde, le ciel, au mépris du réel (la terre, le corps, les phénomènes). En instaurant moult valeurs mortifères comme : la culpabilité, la honte, « la condamnation de la sexualité, l’obéissance aux prêtres », la pitié, la faiblesse, l'égalité, etc., toutes ces morales du renoncement, qui empêchent la puissance de l’homme de se déployer, de se réaliser. En plaçant la morale des faibles contre les valeurs des forts.

Il pensait que se dessaisir de ces valeurs qui nous entravent, et nous affaiblissent, fera de nous des créateurs de formes nouvelles de valeurs. Non en les faisant évoluer, mais par une remise en cause, les remplacer !

 

Il est souvent dit que la crise de notre époque actuelle, est une crise des valeurs, alors qu’il s’agit d’une crise de ce qui pour nous a de l’importance,  de ce qui est préféré ou désiré par notre groupe social, en remplacement  de valeurs qui  ont cessé de faire l’unanimité.

 

La pluralité des cultures a fait que des préférences sont partagées par beaucoup d’individus, sans recouper des communautés très précises.

Un système de valeurs n’est rien d’autre que la configuration conceptuelle de la manière dont nous représentons ce qui pour nous fait sens.

Un système de valeur est l’expression de ce que nous voulons être.

Nietzsche s’est fait le héros du renversement des valeurs contre la morale chrétienne, le marxisme a réduit les valeurs à être un sous-produit d’un système économique, et c’est bien contre les « valeurs bourgeoises » que se sont dirigées toutes les critiques, de la période des années 60-70.

 

Aujourd’hui, le travail a perdu le sens de réalisation de soi. La « performance » devient une valeur et on publie des ouvrages de coaching destinés à former la « personnalité ». Les relations sociales sont majoritairement des relations de droits ou des relations fondées sur l’intérêt purement matériel.

Le bonheur devient une valeur économique qui se consomme comme le reste et se mesure à ce que l’on est à même de posséder, d’exhiber, il se résume à la sécurité économique, le confort et la jouissance matérielle

Du moment que les rayons du supermarché sont pleins, et que les programmes télé sont attrayants, on est forcément dans le meilleur des mondes possibles.

(Le mot français valeur dérive en fait du latin valere où ce terme est un verbe qui veut dire, entre autres, « être bien portant »),

 

La crise n’est que la naissance d’un système de valeurs qui se fonde sur la glorification du spectaculaire, de l’immédiat et de l’éphémère..

Mais d’autres valeurs, fertilisées, enrichies, fécondées par d’autres cultures, des valeurs impensables antérieurement, en viennent à s’imposer, comme par un idéal commun, telles que le respect de la nature, la contestation de la prédominance de l’humain et même du politique tel qu’il se présente dans nos sociétés, la liberté de choix dans ce qui relève du genre ou de la procréation, valeurs qui parviendront certainement, mais c’est aussi un accouchement difficile, à remplacer les anciennes valeurs sociales par de nouveaux référentiels.(3)

 

N.Hanar

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NOTES

1- Ne confondons pas la valeur et le prix.

Une œuvre d’art possède une valeur indépendamment de son éventuelle mise sur le marché. Le prix est la valeur d’échange sur un marché défini, mais une chose n’est pas échangeable du seul fait qu’elle possède une valeur. D’ailleurs, la valeur tient parfois au fait qu’il n’y a pas d’échange possible. La valeur accordée à l’amitié est fonction de son caractère de gratuité.

 

2- Les valeurs sont soit des absolus métaphysiques posés par Dieu, soit ce sont des émanations de l’esprit collectif. Soit ce sont les produits de la volonté tout court, de l’homme en général ou d’un homme en particulier.

 Les valeurs renvoient à une volonté érigée en étalon des comportements au sein d’une société unie autour de ces valeurs. L’unité de la société en question peut être celle de la croyance religieuse, celle de la communauté sociale, celle de la foi aveugle en un homme supérieur.

On ne peut pas invoquer n’importe quoi comme valeur. Sur ce point, le discours politique est souvent confondant. Car la famille, le travail, l’école ne sont nullement des valeurs. La famille est une forme d’organisation sociale, le travail, un mode de rapport aux choses, et l’école, un mode de transmission. En revanche, la justice, la solidarité, l’effort, l’éducation sont des valeurs. Toujours du point de vue de l’analyse conceptuelle, il faut être conscient qu’il y a des valeurs négatives comme des valeurs positives : ce que l’on peut ou doit vouloir et ce que l’on ne peut ou ne doit pas vouloir. Par Yves Michaud. Philomag 58

 

3-Le  respect de la Nature, remplace d’anciennes valeurs morales, (Le code moral de la chevalerie, le code d’honneur des samouraïs).

Et surtout celles qui s’appuyaient sur l’autorité incontestable des textes sacrés.

Les valeurs diffèrent des normes. Elles sont l’objet d’une préférence subjective en vue d’une fin que nous estimons digne d’être poursuivie, qui s’inscrivent dans la perspective d’une communauté de ceux qui sont attachés aux mêmes valeurs. Les normes relèvent d’un consensus social qui possède un caractère d’obligation.

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valeurs

Dominations et hiérarchies

 

L’étymologie du mot Hiérarchie ramène au caractère dominant attribué à une personne, un concept ou une chose, à la fois sacrée (hieros), au commencement et première (archos) ce qui lui donne le pouvoir de commander (arkhé). La notion de domination y est ainsi incluse par une connotation d’antériorité, de supériorité de statut, et donc de pouvoir. La hiérarchie désigne donc l’ordre de subordination des choses, par un rapport, une échelle verticale de valeurs, s’appliquant à toute chose et à tous individus.

 

Cette subordination par la domination, se traduit par l’exercice de la souveraineté, celle du maître, du dominus (latin, dominare), qui exerce son autorité, par contrainte, ou par une influence prépondérante, sur d'autres personnes, ou des groupes de personnes, qui, dans les deux cas, a pour fonction d'assurer l'ordre politique et social, la paix civile intérieure et extérieure.

 

Elle exprime ainsi un rapport de dissymétrie sociale entre dominants et dominés, une situation conflictuelle, une hiérarchie de valeurs, par opposition au classement des anciens grecs par lequel chacun est à sa place, les êtres humains et les choses du monde, étant supérieurs ou inférieurs par nature. Pour Platon, « aux uns il convient par nature de commander, aux autres de se soumettre » (La République), une cité juste doit obéir à une stricte hiérarchie. Chaque citoyen doit s’adonner à la tâche qui lui est assignée : les artisans produire, les gardiens défendre, les philosophes régner. Et Aristote de renchérir en affirmant la hiérarchie universelle des êtres, chacun étant finalement à sa juste place fixe, selon sa nature, y compris les esclaves.

La domination, issue de la hiérarchie naturelle est ainsi légitime.

Comme elle sera légitimée, ensuite, en Occident, par la domination du religieux, l’ordre des choses provenant du divin, et non plus de la nature des choses, sans qu’il soit besoin, encore,  de coercition, l'obéissance des dominés étant consentie sans questionnement.

 

On peut aussi faire remonter cette justification de la domination, plus tôt encore, à l’aube de l’humanité.

(D’après Alexis Rosenbaum, professeur de philosophie des sciences, dans « Dominants et dominés chez les animaux » chez Odile Jacob. - Interview par Alix Ratouis - | Le Point.fr)

Dans la nature les rapports entre les animaux montrent des hiérarchies de dominance qui permettent de vivre ensemble, comme chez les primates.

On a une idée négative de la notion de hiérarchie, liée à notre réprobation des institutions hiérarchiques humaines. Celui des castes de l'Inde nous paraît incarner l'injustice sociale érigée en système. Quand on regarde du côté des animaux, on s'aperçoit que non seulement la hiérarchie permet de réduire la violence interne au groupe, mais qu'elle encadre souvent des conduites de coopération, dans le cadre de la lutte pour la survie et pour la reproduction. Chez les singes géladas, un mâle dominant, une fois qu'il a vaincu, abordera son adversaire malheureux avec des gestes d'apaisement. Si le vaincu montre alors des signaux de subordination, ils se livreront à un toilettage réciproque. On a l'image d'une hiérarchie qui sépare, qui crée des barrières étanches. Dans le monde animal, avant de séparer, elle permet surtout de vivre ensemble.

 

Le raisonnement que je viens de faire, considère ces deux concepts imbriqués, sous l’angle de l’évolution Darwiniste, par lequel, à chaque palier de son évolution, comme dans tout schéma darwinien, la vie sociale de l’homme s’est enrichie d’éléments de domination et donc de hiérarchies nouvelles, sans jamais expliquer véritablement « comment ».  Il y a là quelque chose comme « une destinée ».

 

L’adhésion à cette manière de voir, n’est-ce pas ce qui mettrait une limite, voire  nous empêcherait de faire émerger des réponses différentes, une pensée « autre » des rapports entre la hiérarchie et la domination,  avec le risque qu’elle mette nos certitudes et/ou notre rapport à la communauté à laquelle nous appartenons, en péril.(1)

En nous demandant, par exemple, si toute hiérarchie est-vraiment indispensable à l'organisation de la société ou si elle met en place des valeurs artificielles et des raisons plus profondes.(2)
Parce que, si, d'un côté elle est un des moteurs de l'évolution humaine, de l'autre, elle est, chez l’homme, un des freins à l'idéal fraternel.

 

Parce qu’elle sous-tend que le besoin de dominer l'autre, donc d'établir une hiérarchie, serait toujours présent chez l'Homme, même s'il n'est pas perçu comme tel : tout individu ressent le besoin de se situer parmi ses semblables. A quel groupe appartient-il, et quelle position occupe-t-il dans chaque groupe ?

Comme telle nation se sent supérieure à toutes les autres, telle religion considère qu'elle est seule à détenir la vérité. L'adhésion d'un homme à un groupe religieux fondamentaliste, ou à une idéologie raciste, qui prônent la supériorité d'une partie de l'Humanité sur l'autre, permet souvent à des individus mal dans leur peau de se sentir tout à coup supérieurs à toutes les femmes ou à tous ceux qui n’ont pas la même apparence qu’eux. Ainsi leurs membres, de s'imaginer dominer une grande partie de la planète.

 

En fait, selon Max Weber, la domination peut recouvrir une infinité de situations. Ce peut être un simple « se-faire-valoir » et pas toujours la mise en oeuvre d’une « possibilité de contraindre d’autres personnes à infléchir leur comportement en fonction de sa propre volonté ».

Mais toujours, selon une théorie qui remonte à Étienne de La Boétie: la domination désigne un type de rapport social caractérisé par la subordination et le consentement des individus sur lesquels elle s’exerce, par le biais de sa légitimation, par des croyances, une idéologie, le charisme de celui qui incarne la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire et, pour beaucoup, par l’habitude des usages et des traditions.. Ce ne serait pas par leur « nature » que des hommes sont esclaves, mais plutôt par leur volonté, parce qu’ils le veulent bien.

Or cette idée omet l’impérieuse contrainte de subsistance, aussi bien dans l’Antiquité qu’aujourd’hui, et assoit l’idée que la contrainte sociale est une composante de la vie en société et que ce qui caractérise la vie sociale est bien fondamentalement la soumission aux contraintes du social : « en même temps que les institutions s’imposent à nous, nous y tenons ; elles nous obligent et nous les aimons ; elles nous contraignent et nous trouvons notre compte à leur fonctionnement et à cette contrainte même. »

 

La langue y contribue pour Roland Barthes, en étant une arme au service des dominants et de leur idéologie: « La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » En quelques mots, il balaie les présupposés de la philosophie occidentale qui associe, depuis les Grecs, l’exercice de la parole à celui de la raison et de la liberté.

Dans le cadre de sa sémiologie, Roland Barthes étudie tous les signes qui, à travers la publicité, le cinéma, les articles de journaux, envahissent et structurent inconsciemment le champ social.

 

Quelle serait une autre vision possible que cette quasi nécessité de hiérarchie dominatrice, pour permettre le vivre ensemble ?

Les cultures étant aujourd'hui disséminées en demandes hétérogènes – luttes féministes, identitaires, urbanistiques, elles posent les bases d’un nouveau mode de réflexion  qui passe de la verticalité (du haut vers le bas), à une horizontalité de l’intervention politique.

 

L’explication de la formation des  liens sociaux évolue en faveur de leur existence par l’intermédiaire de micro-pouvoirs, de réseaux, à volonté égalitaire, qui coexistent difficilement avec les dominations héréditaires (héritage, souverains), la reconnaissance d’une élite, et les individus richissimes.

 

En ce sens, l’historien britannique conservateur Niall Ferguson montre que les réseaux, cette forme d’organisation horizontale, précède de plusieurs siècles Facebook, Instagram et Twitter.

(Selon un article de Victorine De Oliveira –Philomag n°130).Les réseaux existent depuis l’Antiquité et ne cessent depuis de concurrencer les organisations hiérarchiques verticales, les « tours », qui préfèrent la centralisation, le commandement du haut vers le bas. Les réseaux prennent des formes très diverses, « des sociétés secrètes aux mouvements dits “open source” », Leur cohabitation à travers l’histoire a toujours vu la domination des hiérarchies sur les réseaux.

Les Lumières du XVIIIe siècle peuvent aussi être comprises comme un réseau d’intellectuels entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, critique à l’égard du pouvoir absolu de droit divin.

Dans le combat des démocraties occidentales contre l’organisation nébuleuse de l’État islamique, la destruction de façon classique, en éliminant ses leaders et son territoire, est inopérante, puisque l’initiative d’un attentat peut être prise sans consulter la hiérarchie. Google, Amazon, Facebook, Apple snobent les États et leur réglementation.

Ferguson n’angélise jamais l’horizontalité, encore moins sa domination actuelle, tout en diagnostiquant l’essoufflement des hiérarchies traditionnelles. Dans leurs luttes pour le pouvoir, les insuffisances des deux pourraient même fabriquer un monde de plus en plus instable.

 

Déjà Michel Foucault pour qui le pouvoir consiste en un rapport de forces, faisait la part belles à tout un tas de micro-pouvoirs, dont l’objectif est de normaliser les comportements, qu’il s’agisse de celui des parents, des professeurs, des médecins, etc., de certaines institutions, telles les asiles ou les prisons. Quand par exemple, le pouvoir politique est répressif, les micro-pouvoirs eux, sont productifs. Quand le pouvoir politique cherche à faire taire en se réservant le droit à la parole, à maintenir dans l’ignorance, à réprimer les plaisirs et les désirs, les micro-pouvoirs, en revanche, produisent des discours, et permettent de contrôler qui est ou non dans la norme du groupe dans lequel vivent les participants, au détriment des normes qui dominent l’existence de la totalité de la société.

Ce qui correspond à la théorie du Rhizome, développée par Gilles Deleuze et Félix Guattari, le rhizome désignant une structure souterraine, évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, qui s'oppose à la hiérarchie en pyramide, dans laquelle tout élément peut affecter ou influencer tout autre élément, sans qu’importe sa position ou le moment de son action, et ce de manière réciproque.

 

C’est bien ce que l’on retrouve dans les mouvements sociaux planétaires de notre époque, et qui incite bien des dirigeants, aujourd’hui, à chercher à mettre en oeuvre des moyens leur permettant d’en finir (plus ou moins) avec l’exercice vertical du pouvoir (par des conventions citoyennes, par exemple)

 

C’est en ce sens que Pierre Rosanvallon, dans son dernier livre, montre que le populisme traduit réellement une nouvelle approche de la démocratie, par un ensemble de propositions qui semblent n'être ancrées dans aucune idéologie ni oeuvre motrice. [Sans jugement de valeur sur ces populismes]. C'est une théorie de la démocratie immédiate, dans laquelle la souveraineté est avant tout celle de la parole du peuple selon un axe de construction du politique qui scinde la société en deux - les élites contre le reste de la société - et qui refuse le rôle du droit et des autres contre-pouvoirs, institutions libérales limitatives de la démocratie, critique d'un univers froid, technocratique, un univers où l'on voit une raison du pouvoir devant laquelle tout le monde devrait se plier. 

Parce que la représentation claire des catégories sociales, avec un système variable de négociation et de compromis, est désormais brouillée.

Ce qui nécessite une démocratie, qui ne doit pas seulement permettre à chacun de voter pour un programme, mais doit mettre en place des interactions permanentes entre la société et le pouvoir, au travers de jurys citoyens ou de débats nationaux par exemple. (Express n° 3576)

 

Ce qui mettrait en place une nouvelle nature du rapport entre domination et hiérarchie, loin de sa définition étymologique. Mais qui pourrait néanmoins amener à un autre type de conflit qui opposerait les gens de partout et ceux de quelque part, ou les élites mondialisées et les citoyens enracinés, avec de plus, ceux qui sont entre deux et qui penchent, selon les circonstances vers les uns ou les autres.

Le conflit social est loin d’être résolu !

N.Hanar

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NOTES

1-L’ouverture à l’événement - Déconstruire, selon Derrida, c’est :

a-montrer que, derrière les oppositions conceptuelles, règne leur imbrication ;

b. renverser la hiérarchie.

c-Valoriser l’étranger, le féminin, le dehors, l’écrit, etc., c’est valoriser ce qui est autre, hétérogène, incalculable, échappant à tout ordre fixe.

Quand Derrida décrit la déconstruction comme l’« événement » ou l’« à-venir », il veut dire que le problème n’est pas seulement de critiquer les partages conceptuels, mais de se débarrasser de ce qui empêche l’apparition de la nouveauté. Plus nous croyons nos principes immuables et nos identités éternelles, moins il peut nous arriver quelque chose de nouveau.

Déconstruire, c’est dès lors s’ouvrir à l’autre. L’hospitalité, nous dit Derrida, consiste à pouvoir ouvrir sa maison à n’importe quel « arrivant », avec le risque qu’il soit dangereux. Par Frédéric Neyrat - n°72

 

2-Pour Hegel, l'art de hiérarchiser est une sorte de ruse de la raison, une illusion qui met les consciences individuelles, sans qu’elles le veuillent ni le sachent, au service de ce qui les dépasse.

Il prend l’exemple de la dictature napoléonienne qui est d'abord au service des intérêts égoïstes de Napoléon, mais qui va pourtant contribuer au développement de la liberté : grâce à elle, les idées de la révolution française vont s'étendre dans une Europe sans frontières.

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hierarchies

Les relations humaines sont-elles des relations de pouvoir ?

 

L’expression «relations humaines» désigne l’ensemble des interactions qu’entretiennent les individus au sein d’une société. Elles s’expriment par le biais de la communication, qui peut être visuelle, orale, linguistique, contractuelle, etc…. Elles s’inscrivent dans le cadre de la nécessité de cohabitation entre les humains, en se basant sur certaines règles soit imposées, soit acceptées par tous.

Or, ce sujet nous demande si ces « relations humaines », sont toujours régies par un pouvoir : ce qui ordonne, qui commande et qui possède des possibilités de contrainte, de contrôle et de sanction. Donc résultant toujours d’un pouvoir des uns sur les autres. Et ceci qu’il s’agisse de relations hiérarchiques, amoureuses, amicales, familiales, ou, au contraire, hostiles, haineuses, ou indifférentes.

 

Selon Hobbes, l’humanité est animée par une violente volonté égoïste: « Le pouvoir d'un homme consiste dans ses moyens présents d'obtenir quelque bien apparent futur » (Léviathan). D’où la nécessité, afin de vivre en paix, de souscrire un « contrat social », qui établit des limites, des règles, des normes de comportements, des droits, des obligations, contrat qui justifie de la nature des moyens destinés à les faire respecter. (1)  En ce sens toutes les relations humaines, au sein d’une société, se situent bien dans le cadre  de relations de pouvoir.

 

Si le pouvoir de la société est alors légitime, il s’exerce également, pour Max Weber, d’une autre manière: quand il y a « possibilité de contraindre d’autres personnes à infléchir leur comportement en fonction de sa propre volonté ». C’est une relation de pouvoir, qui se fonde sur l’empathie, l’incitation ou la persuasion afin d’obtenir obéissance, s’imposant sans force, indépendamment de toute motivation et de tout intérêt individuel.

 

Au sein d’une société, prenons l’exemple de la hiérarchie, qui permet d'établir un ordre de supériorité ou de priorités entre les individus à l'intérieur d’un segment de population, d’une entreprise, ou entre des personnes, etc…, donc un ordre de subordination, une relation de pouvoir. (2)

 

La constitution d’une hiérarchie parait indispensable à l'organisation des relations humaines au sein d’une société, (sauf pour les anarchistes ou ceux qui prônent une organisation « libérée »).

Pour expliquer et construire le monde, nous devons distinguer les personnes, les choses, les informations et les événements entre eux. Déjà Aristote, au IVe siècle avant notre ère, fut l'un des premiers à tenter de classer les animaux connus de lui, afin de mieux les connaitre. Comme le fit Mendeleïev, avec le tableau périodique des éléments en 1869.

Juger et comparer les choses entre elles, c’est ce qui nous permet d’étendre nos savoirs, d’avoir ainsi des repères, des référentiels. Pour notre développement, nous devons former des hiérarchies, par une séparation artificielle, valable uniquement à notre échelle.

En ce qui concerne les individus, nous utilisons souvent des attributs valorisants ou dévalorisants pour les désigner: grand, petit, gros, rapide, malin etc. Ces caractéristiques s'évanouissent, quand cet individu est compris au sein d'une équipe sportive. C'est l'équipe alors qui deviendra forte ou faible, bonne ou mauvaise. A un niveau supérieur, cette équipe désignera un pays tout entier. Ce sera alors l'Irlande ou l'Ecosse, qui sera « bonne ou mauvaise » forte ou faible.  Ainsi, le citoyen d'une nation "supérieure" se sentira de facto supérieur à tous les citoyens des nations "inférieures", même s'il n'occupe pas une position importante dans cette nation "supérieure". Il y a bien entendu des limites à ce schéma, mais il explique assez bien la formation de relations de pouvoir, qui ont émergées dans le colonialisme, ou même l’eugénisme !

 

Mais ce sont bien des illusions. L'art de hiérarchiser est donc une sorte de ruse de la raison dont parle Hegel.

(Hegel appelle « ruse de la raison » le moment où les consciences individuelles sont, sans le vouloir ni le savoir, au service de ce qui les dépasse. Ainsi, si la dictature napoléonienne est d'abord au service des intérêts égoïstes de Napoléon, elle va pourtant contribuer au développement de la liberté puisque, grâce à elle, les idées de la révolution française vont s'étendre dans une Europe sans frontières).

 

De plus, avant même toute notion de hiérarchie, chaque individu ressent le besoin de se situer parmi ses semblables. A quel groupe appartient-il, et quelle position occupe-t-il dans chaque groupe ?

Et ces groupes peuvent être groupes explicites (les fumeurs et les non-fumeurs, les couples et les célibataires) ou implicites : les intelligents et les « cons ». Au sein d'un même groupe, chaque individu essaie de trouver sa place hiérarchique, et ainsi la valeur de son pouvoir! Ce qui peut se faire par une compétition amicale, des conflits ouverts, ou la contestation de la hiérarchie stricte chef-subordonné

Plus souvent, l’attitude la plus répandue, c’est l'adhésion à un groupe qui prétend à la justesse et à la pertinence de son analyse d’une société et des relations humaines qui, alors, s’imposent.

Cette situation est aujourd’hui exacerbée par l’importance que prennent les tenants de "l'orthodoxie woke", qui utilisent des thèses identitaires, l’appropriation culturelle, imprégnant le discours avec des théories sur le genre, la race ou le colonialisme, qui sont censées « éveiller », chez chacun, une conscience militante d’injustices en tout genre. Parce que nous aimons appréhender la complexité du réel par des théories explicatives.

 

Ce qui compte, alors, ce n’est plus la sauvegarde d’une unité (dans la diversité) du collectif, mais l’expression, pour chaque citoyen, de la reconnaissance d’une individualité, pour ses souffrances, ses différences, son vécu. Ces mouvements d’éveil (Woke), nous influencent, quitte à utiliser des caricatures de religions, des caricatures de situations sociales (genre, gilets jaunes, Mee Too etc…). Notre époque se compose alors d’utopies identitaires, qui permettent de s’identifier et de définir une soi-disant « réalité » des relations humaines,.(3). Ce qui permet à chacun de se situer dans le camp des opprimés, atteste leur compétence intellectuelle, en offrant un haut rendement médiatique.

Les relations humaines sont alors soumises à ce pouvoir! Or le vivant présente plusieurs faces et cela n’implique pas que l’une soit supérieure, plus juste que l’autre. Il en résulte une domination du groupe qui s’autoproclame le plus compétent dans l’analyse et qui peut alors instaurer, privation de libertés, privation de l’accès au savoir, à l’histoire, et à l’accès à toute forme de justification.

 

Déjà, le langage utilisé correspond à la phrase que lançait Roland Barthes, en 1977, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France: « La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » Ce qui instaure une relation de pouvoir liberticide qui s’oppose à l’idée, plus générale, de Rousseau, pour qui la liberté «  consiste moins à faire sa volonté qu'à ne pas être soumis à celle d'autrui ».

 

Alors, pourquoi acceptons-nous ces pouvoirs qui veulent gérer les relations humaines, en les considérants même comme l’expression de notre « liberté »?

L’acceptation de ces pouvoirs vient, peut-être, actuellement, de la peur d’un monde d’incertitudes, d’un monde que nous ne maitrisons plus, car spéculatif et virtuel dans ses échanges (qu’il s’agisse de monnaie, de commerce ou d’amour), peur d’un  monde aliéné qui, de plus, nous aliène.

La peur n’est plus une réaction aiguë et momentanée, mais devient une donnée constante de notre « être au monde », conçu comme précaire, reflétant notre désarroi face à un univers menaçant et en danger.

 

L'Histoire le montre : les hommes ont parfois choisi de renoncer à une grande part de leur liberté pour protéger leur vie, leurs biens, leur confort, préférant la soumission à l'exercice de leur liberté. Alors, sans cesse, on invente des lois qui brident un peu plus la liberté chaque jour, parce qu'on a peur de son voisin, peur des étrangers, peur des gens différents (il suffit de voir: ils volent, cassent, détournent, ne respectent rien, etc. !!!). Aujourd’hui, du fait d’internet, à l’ultra sophistication de la technologie, on assiste à une synchronisation des émotions en temps réel, à un « communisme des affects ». On appartient alors au groupe qui a peur de la Covid ou aux sceptiques qui s’opposent à la vaccination obligatoire, aux angoissés de la canicule, aux opposés aux modifications des régimes de retraite… Le pire, c’est que la peur générée un jour peut être infirmée dans la minute qui suit par une information contradictoire.

Nous avons conscience que ce système peut s'effondrer, que nous sommes au bord du précipice et que nos dirigeants nous ferons faire un grand pas en avant. D'autant que les médias et tous les gens bien intentionnés (comme disait Brassens) insistent sur l’insécurité résultant du terrorisme, des violences urbaines, des promoteurs, des multinationales, des rappeurs, ou de l'action des entreprises sans morale sur la planète. Des relations de peur, plus que des relations de pouvoir, lequel se dissout et se parcellise, se fragmente et s’atomise en des myriades d’unités, au profit de groupes de pression.

Déjà La Boétie (Discours de la Servitude volontaire) : Ce n’est pas tant par leur « nature » que des hommes sont esclaves, mais plutôt par leur volonté, parce qu’ils le veulent bien.

Le peuple, « ignorant, lâche et efféminé », se soumet volontiers à l’Autorité, même tyrannique, en échange finalement de pain et de jeux. Oubliant, qu’en réalité, nul ne devient vraiment esclave volontairement, si ce n’est toujours par l’impérieuse contrainte de subsistance, de survie, aussi bien dans l’Antiquité que maintenant.

 

Pour Max Weber, (1864-1920), depuis Étienne de La Boétie et jusqu’à Pierre Bourdieu, la domination désigne un type de relation sociale caractérisée par la subordination et le consentement des individus sur lesquels elle s’exerce, en recourant à des mécanismes assurant l’obéissance, que ce soit à travers la légitimation ou l’idéologie. Ce qui, par ricochet, développe les inégalités sociales.

En fait, au-delà des formes coercitives de domination il existe une propension du peuple à l’obéissance, ce qu’Étienne de La Boétie appelait l’habitude. Et cette habitude, écrit La Boétie, « exerce un grand empire sur toutes nos actions, [et] a surtout le pouvoir de nous apprendre à servir ».

Bourdieu, reprendra ce thème qu’il nommera « l’habitus », un mécanisme mental par lequel s’opère individuellement l’adhésion à un contenu de croyance qui, du coup, va pouvoir se donner comme relevant de l’ordre naturel des choses, comme « allant de soi ». Cette « habitus », structure et oriente les « conduites de vie », les « prises de position » pratiques,  aussi bien dans la sphère religieuse que dans celle de l’économie

Ce qui est possible, selon Émile Durkheim, parce que: « en même temps que les institutions s’imposent à nous, nous y tenons ; elles nous obligent et nous les aimons ; elles nous contraignent et nous trouvons notre compte à leur fonctionnement et à cette contrainte même. ».

 

Toutes ces théories qui considèrent les relations humaines comme des relations de pouvoir, se fondent sur l’idée de l’unité du genre humain, un ensemble auquel tous auraient le sentiment d’appartenir. Or ce sont les cultures, ce que l'homme ajoute à la nature, qui assurent à l’homme  son insertion dans le monde et qui règlent les relations entre les individus au sein des sociétés. Et il y a autant de cultures que de groupes humains, parce que les conditions d’existence et de survie de l’humain diffèrent.

Or, nulle doctrine, nulle religion, nulle idéologie, nulle science, nulle culture, ne doit pouvoir revendiquer pour elle seule la propriété de la vérité. Nul peuple ne peut survivre sans respecter, écouter, partager, échanger, apprendre des autres. Nul être humain ne peut être réduit à une seule dimension, qu’elle soit religieuse, ethnique, sexuelle ou politique. (Jacques Attali).

Souhaite-t-on l'uniformisation des cultures, pour réaliser un monde commun sans surprise, la paix par la disparition des différences, un peu comme la paix éternelle des cimetières, par une culture de masse unique?

Une culture est changeante, vivante, mouvante. Elle est en rapport avec d’autres cultures. Même si certaines voudraient être le modèle et la norme de toutes les autres, notamment la culture occidentale et technicienne qui se croit le modèle unique.(4)

 

Le danger n’est pas dans la diversité des cultures, mais dans la volonté de domination de certaines d’entre elles qui se veulent être la norme et la fin du devenir de l’humanité. Or, la pluralité des cultures est le signe que l'humanité est composée d’hommes capables d'exercer leur liberté, leur créativité, leur originalité, ce qui ouvre des champs de pluralités de mondes possibles que chaque langue et chaque culture fait apparaître.

Les hommes ont leur différence pour point commun, en dépit de leurs différences morphologiques, sexuelles et de leur particularités culturelles.

 

L’humanité est une par-delà la diversité des cultures, parce que toutes ont des choses en commun et partagent des valeurs et des pratiques, des interdits, universellement admis.

L’autre est, dit-on, mon prochain, c’est-à-dire celui qui est à la fois proche et lointain. Proche de moi, car il me ressemble sur bien des aspects. Lointain, car il n’est pas moi : autre langue, autres mœurs, autres points de vue sur le monde. Or, respecter quelqu’un, c’est se tenir à bonne distance de lui, ni trop près ni trop loin. C’est éviter trop de familiarité comme trop d’indifférence. On s’aperçoit alors que le constat de nos différences peut favoriser, au lieu d’empêcher, l’éclosion de relations humaines fondées sur le respect et l’intérêt réciproque.

Pour voir les choses de plus près, il est nécessaire de prendre de la distance, du recul, face à ce qui se passe pour redécouvrir le monde et se redécouvrir, indépendamment des événements et des sollicitations extérieures. La philosophie, depuis Socrate, permet à chacun de construire un dialogue, de penser, d’être capable d’abandonner une opinion, d’écouter l’autre, de reformuler…

Sans alors, que les relations humaines soient nécessairement des relations de pouvoir !

N.Hanar

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NOTES

1-« On pose la question de savoir si l’homme est par nature moralement bon ou mauvais. Il n’est ni l’un ni l’autre, car l’homme par nature n’est pas du tout un être moral ; il ne devient un être moral que lorsque sa raison s’élève jusqu’aux concepts du devoir et de la loi. [ ] Il ne peut donc devenir moralement bon que par la vertu, c’est-à-dire en exerçant une contrainte sur lui-même, … [ ] La plupart des vices naissent de ce que l’état de culture fait violence à la nature et cependant notre destination en tant qu’homme est de sortir du pur état de nature où nous ne sommes que des animaux. » Kant

 

2-On peut définir la hiérarchie comme un rapport organisé de domination/subordination, s’appliquant aussi bien à la Société qu’aux valeurs.

L’Antiquité et le Moyen-âge sont dominés par l’essentialisme aristocratique : Les êtres humains, et les choses du Monde, sont conçus comme étant supérieurs ou inférieurs par nature. Pour Platon  « aux uns il convient par nature de commander, aux autres de se soumettre » (La République), et une cité juste doit obéir à une stricte hiérarchie. Chaque citoyen doit s’adonner à la tâche qui lui est assignée : les artisans produire, les gardiens défendre, les philosophes régner. Idem pour Aristote, en affirmant la hiérarchie universelle des êtres, chacun étant finalement à sa juste place fixe, selon sa nature, y compris les esclaves.

La croyance à la légitimité de cette Autorité peut être globalement fondée sur Dieu, la Nature, la Justice, la Loi ou la Raison, et au niveau personnel, sur le Savoir, le Talent, la Richesse ou la Fonction. De nos jours, les expériences de type Milgram montrent que 80% des gens environ peuvent se soumettre à une Autorité irresponsable.

 

3-Les Gilets Jaunes sont l'expression sociologique d'une nouvelle caractéristique du monde social : un mode atomisé où les entités qui rassemblent ne sont plus les partis ou les associations, structurant un monde auquel on pouvait être fier d'appartenir, mais des communautés d'épreuve, de rejet, de dégoût, de colère. Ce qui va à l'encontre de la fiction du peuple "Un", homogène, que nous vendent les populistes, récupérant les Humanistes. 

 

4-D’ordinaire, chaque peuple, chaque culture est tenté de s’identifier exclusivement à l’humanité et en exclure tous ceux qui ne leur ressemblent pas. C’est ainsi que pour les Grecs, l’humanité ne regroupait que…les Grecs. Les autres peuples n’étaient pas considérés comme appartenant à l’espèce humaine, mais comme des Barbares. Plus récemment, on sait que les Européens qui pratiquaient le commerce des esclaves déniaient aux Africains le statut d’êtres humains à part entière. Quant aux Indiens d’Amérique du Sud, ils se demandaient même s’ils avaient une âme…

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relations humaines

Le texte de Robert, qui lui a servi a présenter le même sujet en 2001

Robert relations humaines
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Le plein et le vide

 

Le vide, correspond à l’absence de toute matière dans une partie de l'espace. Ce n'est pas l’équivalent du Rien, du Néant, de ce qui n’Est pas, puisque le vide est  l'absence de quelque chose, d'une présence, dans un lieu où il n’y a effectivement rien, parce qu’il n’a pas de contenu.

Si cet espace est vide parce qu’il n’est pas encore occupé, il correspond à quelque chose de potentiellement fécond.

Si cet espace est vide parce qu’il n’est plus occupé, il est la conscience présente de ce qui ne l'est pas, d’une absence.

C’est en ce sens que Yves Klein organisa en avril 1958 (à la galerie Iris Clert à Paris) une exposition où il n'y avait rien à voir, qu’au Centre Pompidou, eu lieu, en 2009, l'exposition « Vides, une rétrospective » qui présentait une série de galeries où il n'y avait absolument rien, ou que John Cage composa 4′33″, un morceau de musique où l'on ne joue rien pendant quatre minutes et trente-trois secondes. (1)

 

Ces idées, destinées à illustrer (si j’ose dire) le vide, avaient pour but de montrer que si tout est plein (d’images, d’actions, de sons, de …sens); plus rien n’est à faire ! Il faut qu’il y ait du vide pour laisser la place au devenir, au mouvement, à l’élan. C’est pourquoi les Kabbalistes pensent que Dieu, est celui qui a créé du vide et non celui qui crée à partir de rien. C’est pourquoi également pour Lao-Tseu : « l’argile est employé à façonner des vases, mais c’est du vide interne que dépend leur usage », et « il n’est de chambre ou ne soient percées portes et fenêtres, car c’est le vide encore, qui permet l’habitat ».

 

Selon Deleuze, pendant longtemps, au cinéma, l’écran était plein d’images-mouvement. « Cette image-mouvement avait été déterminante ». C’est celle qui nous présente, un personnage dans une situation donnée, qui réagit à cette situation et n’a que la liberté de modifier ce qui est déjà, plein. Depuis Rossellini, (né en 1906), Hitchcock, (né en 1899), le japonais Yasujirō Ozu, (né en 1903), explique Deleuze, ce n’est plus le mouvement qui est premier mais des situations optiques et sonores pures qui nous "ouvrent", nous font pénétrer, dans une image-temps. (Opposée à l’espace pleine de l’image, peut-être aussi au phénomène de la persistance rétinienne, expérimenté avant le cinéma). Ces situations optiques et sonores pures, sont des paysages vides, des sons sans images, qui  sont presque comparables aux natures mortes: on y sent, on y apporte, quelque chose, qui dure. Comme dans les œuvres de  Mark Rothko (né en 1903), superpositions de couleurs, et, plus tard, dans les monochromes d’Yves Klein (né en 1928).

Comme si l’image en mouvement, montrait une action pleine à laquelle il n’y a rien à ajouter, comme le fait un tableau figuratif, qui ne seraient que distraction en montrant une trace de la réalité, et ne permettaient pas autant d’investissement de l’esprit que l’image vide, (à quoi reviennent les « blockbusters » contemporains).

 

Dans L'Empire des signes, Roland Barthes, après sa rencontre avec le Japon, articule son livre autour d'une quête paradoxale, celle du vide, d'une absence, par la critique du pouvoir suggestif des mots. Dans « le degré zéro de l’écriture », le « blanc » ou « neutre » marquent la liberté, hors « de toute servitude à un ordre marqué, impératif, du langage », établissant ainsi une forme d’écriture, où le développement de « formes impératives n’ont pas lieu d’être. Il s’agit d’une écriture innocente, dont la forme n’implique aucune sorte de « recours à l’élégance ou à l’ornementation  ».

Ainsi, écrit-il, «le vide est peuplé d’états virtuels qu’une excitation peut révéler. Le vide, c’est plutôt le  nouveau, le retour du nouveau, par opposition au Plein. Le Vide, est le droit de quitter les codes (de les transformer) en avançant, non dans le texte, mais dans son propre travail», à soi.

Dans les Essais critiques, consacré à la peinture des maîtres hollandais, Barthes ajoute: « Il y a dans les musées de Hollande un petit peintre qui mériterait peut-être la renommée de Vermeer  e Delft. Saenredam  n’a peint ni des visages ni des objets, mais surtout l’intérieur d’églises vides, réduites au velouté beige et inoffensif d’une glace à la noisette. Ces églises, où l’on ne voit que des pans de bois et de chaux, sont dépeuplées sans recours, et cette négation va autrement loin que la dévastation des idoles. Jamais le néant n’a été si sûr ». (3)

 

Oui, mais…., il n’est pas possible de « penser par soi-même », d’utiliser ce vide pour soi, sans s’ouvrir, sans faire confiance, à des pensées, à des informations , produites par d’autres. Mon « moi », ne peut créer à partir de rien !

Même Dieu, n’a pas créé le monde à partir de rien, «  Au commencement Dieu créa le Ciel et la Terre  [ ] la terre était informe et vide » (qui  se dit en hébreu : « tohu et bohu ») donc un Dieu qui crée à partir d’un chaos primordial, un « tohu-bohu » primitif, auquel il met de l’ordre, qu’il ordonne.

C’est donc, à partir de n’importe quel art, de la philosophie, de la littérature, celles des autres, en miroir avec ses opinions personnelles et celles de son époque, que l’esprit critique peut exprimer une augmentation, un apport de connaissances, de savoirs ou de sagesse à ce « moi » dont nous avons le ressenti.

 

Pour l’historien du sensible Alain Corbin (Histoire du silence), il est possible de chercher dans le passé, les traces de ce qui n’en laisse aucune. Le vide, l’absence, ne seraient qu’apparents. Corbin s’intéresse à des objets ténus et évanescents (odeurs, son des cloches, arbres, nuages…) mais aussi aux manières de les percevoir. Autant dire une histoire du vide, si toutefois l’on entend, en bon urbain du XXIe siècle, le silence comme l’absence de bruit.

Dans ce « vide » se joue en réalité une histoire, pleine et multiple, du rapport à soi, que l’on trouve chez les poètes ainsi que dans la peinture, l’art le plus silencieux qui soit. Silencieux mais non pas muet : les couples peints par Edward Hopper ou les lumières à la bougie de Georges de La Tour en disent long sur la profondeur des solitudes ou la douceur du sacré.

Le silence est inhumain, mais il ME parle disait Saint-Exupéry –«J'ai toujours aimé le désert. On s'assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n'entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence. Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c'est qu'il cache un puits quelque part ».

Des absences de contenu qui nous permettent de construire, de prêter un sens à tout (Mère nature, dieux, Dieu…), de combler librement les vides laissés par ce qui est inconnu ou insensé, contrairement aux tenants de la ,croyance en une abondance de savoirs que l’on pense avoir en nous, qui occupent toutes nos conceptions de ce qui est Vrai ou ne l’est pas, de ce qui est Beau ou ne l’est pas, de ce qui est Juste ou ne l’est pas, faisant de notre vision du monde, comme une perfection divine, ne laissant aucune place, aucun vide, à d’autres représentations d’existences possibles.

 

Comme le développait Sartre dans l’Etre et le Néant, l’homme se doit d’être libre. Mais être libre, « ce n’est pas choisir le monde historique où l’on surgit-ce qui n’aurait point de sens- mais SE choisir dans le monde, quel qu’il soit ». Ce qui ramène, non à ce que le discours dit ou n’a pas dit, mais de ce qu’il ME dit. (2)

De quoi résultent l’inconfort et l’angoisse, face à la multitude de sens possibles, contrairement au confort d’un savoir plein de réponses !

 

Nous vivons une époque qui s’interroge sur la place de l’individu dans nos sociétés qui se sont construites sur un vide métaphysique : « Dieu est mort (religions), Marx est mort (idéologies) et moi je ne me sens pas très bien», a écrit Woody Allen.

Une époque ou ne reste plus que la volonté, pour chacun, de faire en sorte que son individualité soit reconnue. Une caractéristique, une originalité, définie par les souffrances, les échecs, les différences et les accidents de chaque vécu. Les mouvements woke, sont imprégnés de théories stéréotypées sur le genre, la race, le féminisme  ou le colonialisme, à partir de l’idée que chacun de nous appartient à un groupe défini par une conscience militante de lutte contre des injustices en tout genre. Il en résulte un prêt-à-penser, qui remplit toutes les cases, irritant et efficace, constitué d’utopies identitaires, qui ont remplacé les anciennes utopies de projets, celles qui laissent à chacun la capacité de remplir un vide.

 

Nous ne connaissons pas, nous ne saisissons pas, le sens de notre vie : devant ce vide, les hommes sont fragilisés, prêts à enfourcher bien des chimères, parfois incroyables, se trouvant alors à la portée des capteurs de conscience, pour qui tout est pleinement écrit ou au moins compris..

 

Toute expérience du monde est un mélange de choses vides ou pleines, selon la situation et le moment. Il ne faut pas vouloir transformer des phénomènes, dynamiques, en points de références fixes. Le plein ne devrait jamais se débarrasser jamais du vide qui subsiste en lui. Malgré ce « besoin qu’ont les hommes d’appartenir à un milieu et à une collectivité », que souligne Simone Weil (1909-1943). 

D’ailleurs, ce qui nous définit, en tant qu’être humain, qu’être social, ce sont nos limites (le temps, la liberté, la connaissance, les traditions, les lois, etc…). Toute forme, physique, sociale, ne se reconnait que par ses limites : sinon, nous plongerions « dans le magma du vide et de l’insignifiance ». (Michel serres). C’est parce qu’il connait ces limites, que l’homme cherche à les comprendre, à les justifier, voire à les transgresser, et cette recherche même, c’est l’expression de la liberté.

 

Alors, ayons la liberté de rejeter ces définitions du vide qui en font « ce qui ne contient rien de concret, d’inoccupé par de la matière ou aucun autre élément, qui n'est pas occupé par une activité, et qui, de ce fait, manque de profondeur, et même est dépourvu de qualités morales, intellectuelles. Donc, qui manque d'intérêt, de caractère, de densité, et surtout de sens; au profit, peut-être de celle de la vacuité du Bouddhisme (le sunyata,), l’absence d'être en soi et de nature propre, autrement dit l'inexistence de toute essence, de tout caractère fixe et inchangeant, qui s'applique aux choses aussi bien qu'aux pensées et aux états d'esprits». Ce n’est pas de l’ordre de la privation ou de l’absence », mais disponibilité, liberté ouverte.

Du plein, qui « désigne ce qui contient le maximum de choses ou de personnes, un temps rempli d'activités; qui est dense, intense, un espace supposé entièrement rempli de matière, j’en ai plein le …..dos !.

N.Hanar

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NOTES

 

1-Marcel Duchamp ouvrit la voie en 1917 à New York, en proposant d'exposer sa Fontaine, un objet sur lequel il n'avait rien fait.


2-De plus, le silence est l’une des caractéristiques du divin. Moïse reçoit les tables de la loi et ensuite il les brise. Dieu doit rester manque et silence afin que ses lois puissent devenir celle des hommes. Lorsque des religions ont estimé nécessaire, par différents moyens, de faire dire la parole de dieu par des hommes, fils, apôtres, ou prophète, les lois divines ont cessé de s’appliquer dans le monde.

C’est le silence divin qui donne à l’homme la possibilité de trouver le sens, d’interpréter, de déconstruire.

C’est pourquoi, à l’origine de bien des religions, le nom de Dieu ne peut être prononcé et son image est interdite. Le silence divin crée un espace où apparaît la liberté de l’homme. Par ce renoncement divin naît pour l’homme la possibilité de la liberté.

3- Pour beaucoup, une œuvre d’art contemporaine, une installation, ne montre que « la présence nue du réel vide de sens », énigmatique, étrange, un monde en deuil de repères,

Or,  justement, parce qu’elles interrogent, (dire « vide de sens » en démontre la recherche !), ces œuvres sont un arrachement à la vie quotidienne, une mise à distance de la réalité de tous les jours, qui se suffisent à elles-mêmes, et peuvent ouvrir à une autre vision de la réalité.

Souvent, elles sont intitulées «Sans titre», par quoi l’œuvre se donne aux sens, nous laissant la liberté du « dire ». Elles suscitent un discours sur l’œuvre et c’est cette interprétation qui définira véritablement l’œuvre. En multipliant les ruptures ((en musique, poésie, littérature, peinture) avec les formes communes de la représentation, l’art veut justement, défamiliariser l'homme de sa culture, de ses attentes, de ses gouts suggérés. Sans imposer un sens défini par l’auteur ou par les commentateurs. Toute interprétation nous ouvre donc, à un monde de significations possibles

Parce que l’art n’est pas un langage structuré, il est ce qui donne un sens qui englobe le dit et le non-dit.

L'œuvre est ouverte, et celui qui s’y frotte, participe à l'œuvre et ce, de façon active, avec sa sensibilité personnelle et sa culture, ses goûts, ses préjugés qui orientent sa jouissance, mais qui, par sa collaboration à l'œuvre, accepte de mettre tous ses repères en danger.

L’oeuvre renvoie à autre chose qu’elle-même (C’est d’ailleurs ainsi que je définirais l’art).

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plein vide
illusion

Peut-on vivre sans illusions ?

 

Une illusion, c’est, par exemple, l’interprétation erronée d'une donnée sensorielle, comme l’illusion d'optique, qui nous fait apparaitre les choses telles qu’elles ne sont pas. Nous voyons le bâton trempé dans l’eau comme étant brisé, alors qu’il reste droit en réalité!

Mais, si les sens ne nous donnent accès qu'à des apparences, notre expérience, la réflexion, la connaissance, celle, par exemple, des lois de l’optique, nous permettent de corriger les informations que nous fournissent les sens.

C’est l’un des paradoxes de l’illusion: j'ai beau savoir que le bâton qui m’apparait brisé dans l’eau, ne l’est pas en réalité, je le vois ainsi. Nous savons que c’est une illusion, mais elle résiste à la connaissance de sa fausseté.

 

Notre esprit a cette aptitude, même lorsque ce qui lui apparait, est une image incomplète de quelque chose, de la compléter, par déduction, afin de comprendre de quoi il s’agit. Descartes, en ce sens, dans les « Méditations » : « Si par hasard je regardais d’une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes… que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes faux qui ne se remuent que par ressorts ! Mais je juge que ce sont de vrais hommes, et ainsi je comprends, par la seule puissance de juger qui réside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux ». (Comme le dé dont nous ne voyons pas toutes les faces)

 

D’une certaine manière, donc, nous vivons dans l’illusion : ce que perçoivent les sens peut être faux ou incomplet, par rapport à la réalité, mais nous disposons des moyens de le corriger.

 

C’est pourquoi les philosophes, se posant comme les penseurs susceptibles de corriger ces perceptions que nous avons du monde extérieur, par rapport à la réalité supposée objective, ont considéré que ces perceptions forcement illusoires, constituent un problème de la théorie de la connaissance. Répétons une fois encore, que nos réflexions et nos compréhensions, sont soumises à la culture que nous avons acquise, au lieu et au moment de notre naissance, et à l’éducation que nous avons reçue ou choisie.

Ce qui fait que l'esprit, comme les sens, peut se laisser abuser, en interprétant faussement des événements, des situations, des idées, des comportements, mais est sensé avoir la capacité de les rectifier.

 

Ce sourire est-il une invitation ou est-il moqueur ? Cette main levée est-ce un geste amical ou un coup qui se prépare? En fait, nous interprétons le réel, les comportements, les idées, donc tout ce que nous percevons, ce qui nous amène à un autre paradoxe de l’illusion: même en le cachant, le masquant, elle peut nous  permettre d’accéder avec justesse au réel, tout en pouvant nous amener à un jugement erroné. Mais nous ne lui échappons pas. On est parfois dans l’illusion de trouver chez l’autre ce qu’on désire y trouver.

 

Les illusions des sens et les illusions de la raison ont la même force. Comme lorsqu’on prend ses désirs pour la réalité : c’est la jeune fille pauvre qui croit qu'un prince charmant va venir l’épouser. Comme l’interprétation des signes dont je viens de parler: l’illusion est alors un certain type de croyance, qui prévaut par rapport à la réalité.

Au point que l’esprit peut être séduit par des idées, des visions chimériques, mais séduisantes du monde, qui le mèneront à vivre dans l’illusion. Et c’est ce qui nous intéresse ici.

 

Cet état illusoire, peut être obtenu par le moyen d’un artifice, d’un truquage qui nous séduit et qui crée le sentiment du réel ou du vrai, surtout lorsque ces moyens sont conformes à ce que l’on souhaite croire.

Les biais cognitifs renforcent les illusions. Ils nuisent à la pensée rationnelle, sont à la base de jugements erronés, mais sont utiles dans diverses situations, notamment pour prendre des décisions rapides,. Il existe une multitude de biais, comme les biais de confirmation, une tendance à ne prendre en considération que les informations qui confirment les croyances et à ignorer ou discréditer celles qui les contredisent.

Ils facilitent « la vie dans l’illusion », parce que, une fois installés dans la conscience, ils permettent de tordre le sens de la réalité, en fonction de sa propre vision du monde, celle que l’on désire.

 

Sartre, qui pensait le communisme comme une solution aux problèmes du prolétariat, n’a vu, en visitant l’Union Soviétique, que ce qu’il voulait voir, figé dans l’illusion. Il n’a vus que les bons côtés de l’URSS : « Le citoyen soviétique possède, à mon avis, une entière liberté de critique, mais il s'agit d'une critique qui ne porte pas sur les hommes mais sur des mesures ».

 

Les  illusions fondamentales, qui ne dépendent pas de la perception, sont ces croyances, ces convictions intimes, ces visions du monde, qui ont la particularité de ne pouvoir être confirmées ou infirmées par l'expérience, et de ne dépendre que du discours. Mais peut-être que ces illusions ne sont que provisoires et que l’on ne peut vivre que temporairement dans l’illusion. Comme Sartre lorsque les chars soviétiques ont écrasé l'insurrection de Budapest! 

 

Pour les illusions qui concernent l’esprit, qu’il s’agisse d’idées, de raisonnements, ce serait d’ailleurs le projet même de toute philosophie, de dénoncer les illusions qui enchaînent les hommes, car l’illusion est alors considérée comme négative et dangereuse, puisqu’elle détourne les hommes de la réalité et leur interdit de la connaître. La philosophie, alors, devrait être ce qui rendrait possible, de vivre sans illusion, de conduire son existence sans jamais se laisser séduire par des images fausses de la réalité.

 

Or ne se fait-elle pas des illusions, sur son pouvoir à permettre de vivre sans illusions ?

 

Platon, pense que le monde sensible n’est qu’illusion (Allégorie de la Caverne), et que, pour s’en détacher, il faudrait changer de dimension et atteindre le monde des idées. Illusion métaphysique, de remplacement

Pour Spinoza, les individus ont l'illusion de posséder un libre arbitre, de pouvoir choisir ce qu'ils désirent, alors qu’ils ne sont pas conscients des causes réelles qui les déterminent:« Les hommes se croient libres pour cette seule cause qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés... »

Et ces causes qui nous déterminent à désirer sont extérieures à l’humain, nature ou Dieu. Illusions…..

 

Hegel fige liberté humaine dans l’illusion, parce qu’il y aurait un ruse de la raison qui se sert des individus pour accomplir les buts de l'esprit universel dans l'histoire : alors les humains n’ont que l'illusion de poursuivre leurs propres buts. Illusion métaphysique ?.

 

Freud écarte la philosophie au profit de la science. Il postule dans L'Avenir d'une illusion que « les doctrines religieuses sont toutes des illusions », « dérivées des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité. L'illusion « est une croyance telle que dans sa motivation, la réalisation du désir prévaut, sans poser la question de son rapport à la réalité ». ». Seule la science est à même de permettre à l'homme de surmonter les illusions de la religion

Or quel est le rapport que nous entretenons avec la science. Depuis notre enfance, nous avons été bercés d’illusions sur cette science qui était censée triompher de Dieu, prendre sa place, chasser les superstitions et triompher des maux dont souffre l’humanité : la guerre, la faim, la maladie. Non seulement elle n’y répond pas, mais elle peut être à l’origine de la désertification de la terre, des catastrophes nucléaires, de nouvelles maladies, tout en guérissant les anciennes. Illusion… ?

 

Nietzsche botte en touche et en appelle à l’art : « Pour agir, il faut être enveloppé dans le voile de l'illusion » écrit-il. Il ne s’agit pas de l'illusion imposée par la religion et la morale, qui dévalorise le monde sensible au profit d'abstractions collectives, d'êtres fantasmagoriques qui limitent l'action humaine, mais de celle qui est la matrice de la connaissance : l'illusion de l'art qui fortifie le goût de la vie.

Donc, parmi les illusions, (ce qui suppose que nous avons conscience qu’il s’agit d’illusions !), il vaut mieux sélectionner et accepter celles  qui émanent de notre être, celles qui nous sont indispensables pour vivre, car elles sont propres à l’esprit humain : illusion de réussite, d’amour, de bonté, etc. ; peu importe leurs propositions, si nous nous en rendons heureux dans le présent avec un souci marqué pour un avenir viable. En ce sens, illusion et réalité se conjuguent et forment le socle de la vie, seul susceptible de tenir la mort à distance. Alors, pourquoi s’en libérer ?

 

Parce que si elle est trompeuse, l’illusion peut être aussi nécessaire. Ainsi Bergson considère-t-il que la « fonction fabulatrice » qui consiste à « créer des personnages dont nous nous racontons à nous-mêmes l’histoire » est au fondement des religions primitives.

Freud, dans L’Avenir d’une illusion (1927), montre que si la croyance religieuse, ou et les théories utopistes, ne sont qu’illusion, celle-ci permet de supporter la frustration d’être mortel : elle satisfait donc un désir.

 

Si l'illusion est la satisfaction imaginaire d'un désir, la question se pose-t-elle de savoir s'il faut vivre sans elle.

Pour vivre sans illusions, il faudrait pouvoir d'une part se débarrasser d’illusions et d'autre part renoncer à la satisfaction d'un désir. Or on rêve d'un beau voyage avant la réalité du voyage.

On commence par se faire des illusions sur les choses avant de les vivre.

Toute action suppose de croire en son résultat et c’est bien le projet qui est une des caractéristiques principales de l’humain.

Des illusions donc nécessaires : on ne pourrait y échapper que pour tomber aussitôt dans d'autres. Seule une conception illusoire de l'humanité a pu imaginer une humanité sans illusions.

 

Et puis, a-t-on toujours le courage de supporter d’un regard serein tout ce qu’il y a de cruel, de difficile, d’inhumain dans le réel, à savoir dans la nature comme dans la société, hors de nous comme en nous ? L’illusion n’a-t-elle pas aussi cette fonction salutaire d’aider à supporter l’insupportable? De sorte qu’on pourrait très bien, pour vivre, préférer une illusion rassurante à une vérité désespérante.

L’illusion, serait alors ce qui permet de vivre en rendant la réalité supportable. Sinon, pourquoi vivre si la situation est désespérée ?

 

Le mot « illusion » vient du latin «  illudere », c’est à dire, « se jouer de », « se moquer de ». La réalité peut se jouer de nous, nous pouvons nous jouer de la réalité, nous pouvons nous jouer de nous-mêmes.

L'illusion commence quand on confond la pensée ou la croyance avec une connaissance.

 

On a très longtemps dit aux gens qu’ils devaient accepter d’être pauvres pour gagner le paradis et que, dans une autre vie, ils seraient les premiers. Chez les guerriers du djihad, celui qui va mourir, celui qui se fait exploser en tuant des innocents, va tout droit au paradis avec en plus 70 vierges pour les hommes. Cette forme d’illusion consiste à prendre ce qui est fictionnel pour la réalité. C’est alors le regard de l’homme qui donne un sens à cette réalité, qui, régi son existence!

 

Pourtant, en ce sens, ne confondons pas, illusion et espoir. L’illusion est porteuse d’espoir qui est une disposition de l'esprit humain reposant sur l'attente d'une situation meilleure à celle existante, dont la réalisation est possible, parce que l’espoir se fonde sur le réel. Alors que l’illusion, c’est l’image de quelque chose fondé sur l’idéal de ce que devrait être la réalité. On peut tendre vers un idéal, on le doit même, c’est vouloir qu’il n’y ait plus de racisme, qu’il n’y ait plus de guerre, mais nous savons aussi que cet idéal n’est qu’une illusion, une illusion pourtant néanmoins constructrice..

 

C’est tout le paradoxe de l’illusion : nous savons que nous nous faisons parfois des illusions, mais elles résistent à la connaissance de leur fausseté. De plus, si elles peuvent nous tromper, ce sont également elles qui nous permettent d’accéder à la réalité et à notre désir.

 

Vivre sans illusion ? C’est une illusion !

N.Hanar

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Pouvons-nous, nous affranchir de ce que nous sommes.

 

Ce sujet est le fruit de la compilation de plusieurs questionnements concernant notre éventuelle capacité à nous affranchir de ce que nous ressentons être, que ce soit au travers de notre condition, de notre situation, de notre identité, de notre individualité, de notre relationnel ou de notre originalité revendiquée.

Se poser cette question relève du ressenti d’une insatisfaction provenant d’un ensemble de contraintes intérieures et extérieures, ces limites auxquelles nous sommes constamment confrontés. Or une limite ne marque pas une fin: ce n’est que la marque du point que nous ne pouvons franchir par une action, une connaissance, mais qui sous-entend qu’il existe autre chose, un autre possible, après cette limite.

Cette frustration, nous voudrions nous en débarrasser (nous en affranchir, donc), ssupposant qu’elle relèverait de notre patrimoine génétique ou idéologique, de nos influences socio culturelles, de nos croyances et de nos capacités à communiquer nos sentiments, donc de tout ce qui s’oppose à notre volonté que l’existence soit telle que nous le souhaitons. C’est finalement le sentiment d’être une individualité, une identité, embarquée sur un navire dont on ne possède pas la maîtrise, et qui nous mène là ou ne voulons pas nous rendre, par une route que nous ne voulons pas suivre, dans des conditions qui ne nous conviennent pas.

 

Or, nous vivons en société, sans pouvoir faire autrement. L’homme est un animal social. Nous avons alors à faire face à des obligations, qui limitent notre indépendance et nos actions. Ce sont des liens moraux, sociaux, religieux auxquels on s’engage, des contraintes légales nécessaires, afin de pouvoir vivre ensemble, qui limitent notre liberté, et font alors partie de ce que nous sommes.