PHILOUSOPHE
LES TEXTES DU CAFE POLITIQUE
Le mille-feuille territorial et la réforme annoncée.
Café politique du 11 septembre 2014.
Le mille - feuille territorial et sa réforme en France en 2014.
1) L’état des lieux aujourd’hui et l’idée de réforme territoriale.
2) Le projet de réforme territoriale et ses étapes.
• La réforme territoriale instaurant un redécoupage des régions est passée en juillet au Sénat, qui l’a rejetée, et à l’Assemblée nationale, qui l’a adoptée le 23 juillet 2014 en redessinant la carte (voir document). Dorénavant il y a 13 régions, dont 7 redessinées et 6 qui ne changent pas de périmètre. Notons la fusion de Poitou-Charentes-Limousin- Aquitaine et Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Champagne-Ardenne serait rattachée à l’Alsace-Lorraine. Au terme de ce redécoupage, une région demeure isolée sans l’avoir souhaité: le Centre.
• Depuis la réforme territoriale de décembre 2010, aucune suppression d’échelon ne peut avoir lieu sans l’aval de la population. Un processus démocratique qui s’est avéré fatal en Alsace, où un référendum a fait achopper la fusion des départements. Le gouvernement veut faire évoluer ce texte en proposant que si les deux assemblées régionales votent une délibération concordante, il ne sera plus besoin d’avoir recours au référendum.
• Sur la partie qui concerne les départements, le gouvernement souhaite aussi éviter de devoir réviser la Constitution et réunir un Congrès à Versailles. François Hollande a décidé de reporter à décembre 2015 les élections régionales et cantonales, initialement prévues en mars 2015, afin de laisser le temps aux régions de fusionner avant le scrutin. La droite s’y oppose en parlant de manœuvre pour éviter une débâcle électorale.
• Les collectivités territoriales vont devoir économiser 11 milliards d’euros entre 2015 et 2017, en particulier en rationalisant les dépenses des syndicats intercommunaux (17 milliards d’euros de budget).
• La suppression de la clause de compétence générale peut être source d’économies. Ce concept juridique permet à une collectivité d’intervenir dans un domaine dès lors que l’intérêt de son territoire peut être invoqué, c’est-à-dire créer un service public local, accorder des subventions ou des aides. 15 à 30% des budgets des départements se situent hors de leurs compétences officielles à dominante sociale (RSA, personnes âgées, routes, collèges).
• De nombreux pays européens ont entrepris de réformer leurs institutions locales. Les communes sont les premières touchées par les plans de rigueur. 1
3) Une réforme qui fait débat.
• La question de l’identité des territoires. Le débat qui anime une partie de l’opinion alsacienne en fait écho. L’Alsace et la Lorraine réunies dans le projet en une région unique méconnaît à bien des égards l’Histoire. D’une part l’Alsace et la Moselle ont une histoire commune, partagent une culture bilingue, ont en commun un droit local, ont un territoire marqué par l’industrie, l’immigration et sont tournées vers l’espace rhénan et mosellan.
D’autre part, une Lorraine, largement rurale, à l’histoire très différente, dont la culture est francophone, largement tournée vers la région parisienne. Pour ces deux territoires, il n’y a pas identité de projet. Il y a confrontation bien souvent par exemple sur le sujet du siège de la région: pour les Alsaciens Nancy serait perçue comme une marginalisation, et pour les Lorrains Strasbourg comme une dégradation.
Il y a risque de marginalisation de l’espace rhénan et de la langue régionale pour les Alsaciens si l’axe central passe par Nancy. De même la préoccupation du droit local ne sera pas autant prise en compte par une grande région Alsace-Lorraine. Davantage que la question de la dimension régionale (agrandissement pour faire des économies), il serait plus important de s’intéresser à un statut de la région comprenant davantage de pouvoirs et de ressources. Il existe en Europe des modèles performants comme les Länders allemands.
• La question de la proximité est posée: est-ce que cette réforme va diminuer les services de proximité notamment en zone rurale et péri-urbaine?
• Les questions économiques doivent primer dans cette réforme. Le redécoupage doit être porteur de développement économique.
• L’absence pour l’instant de véritable débat démocratique sur la réforme territoriale portant sur le rôle des métropoles, le devenir de l’intercommunalité, les modes d’élection, la réduction des inégalités entre les territoires, pose problème.
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Le mille-feuille territorial et la réforme annoncée.
Café politique du 11 septembre 2014.
Après un exposé de Geneviève et la lecture du Manifeste de l’ICA (Initiative citoyenne alsacienne pour plus de démocratie) par son Président, Pierre Klein, le débat s’ouvre.
Introduction.
La France a une spécificité particulière: c’est un pays jacobin qui, au fil du temps, a construit un empilement « stratigraphique » de collectivités territoriales complexes et souvent dysfonctionnelles qui répond de moins en moins aux attentes des citoyens. L’administration a tendance à alimenter des procédures qui génèrent du travail pour de nombreux fonctionnaires. La centralisation a produit de nombreux échelons bureaucratiques. L’action publique se dilue ainsi et met en place des mesures quelquefois inadéquates et difficilement contrôlables.
Il apparaît de plus en plus indispensable de réduire ce mille-feuille territorial, mais cette entreprise de simplification administrative est loin d’être aisée, d’autant que les projets de réformes suscitent beaucoup de méfiance.
1) La réforme territoriale a du mal à convaincre les Français.
Il existe de fait une méfiance à l’égard des politiques qui se répercute en ce moment sur tous les projets de réforme proposés.
Y a-t-il une intention cachée d’uniformiser le territoire en créant des régions « inodores et sans saveur », les euro-régions, habitées de citoyens devenus des consommateurs manipulables?
L’Etat lui-même est générateur de « doublons », notamment en matière de politique sociale par rapport aux départements, et ne donne pas l’exemple d’une politique de simplification. • Il subsiste un doute important sur la question de la proximité des services dans l’optique d’un agrandissement des territoires régionaux.
Le critère de l’agrandissement de la taille des régions proposé par la réforme française ne semble pas à l’échelle de l’Europe être un bon critère. Il existe en Europe des petites régions très performantes.
Le fait que la France soit une République une et indivisible, centralisée, amène à penser que les régions n’agiront jamais qu’en délégation du pouvoir central et que la taille des régions ne changera rien à leur absence d’autonomie délibérative. La France n’a pas la culture politique d’une confédération ou d’une fédération.
Toucher au centralisme républicain en profondeur peut amener à l’implosion institutionnelle. La France n’est pas l’Allemagne, elle est l’héritière de Louis XIV, de Napoléon, de De Gaulle.
La France garde encore l’image de la patrie des Droits de l’Homme et cela la différencie de l’Etat fédéral allemand très préoccupé de la réussite économique du pays.
Enfin, aucune démonstration sérieuse ne prouve que la réforme puisse aboutir à des économies conséquentes. Seule la suppression de la compétence générale, créatrice de véritables doublons, semble emporter l’adhésion du grand nombre.
Il semble important d’ouvrir le champ de la réflexion au-delà des éléments de freins évoqués ci-dessus.
2) Quelques pistes de réflexion pour une réforme qui aurait du sens.
• Il convient de privilégier une approche culturelle plutôt qu’une approche purement administrative et de sortir des alternatives actuelles. La pensée de la réforme aurait à gagner d’être une pensée en progression et en processus.
• Un premier élément à prendre en compte en Alsace, en particulier, est la présence d’un espace transfrontalier et de la coopération nécessaire et réelle dans ce cadre particulier.
• Par ailleurs, le mille-feuille territorial n’est plus à l’échelle économique des temps actuels (voir la question des transports par exemple). L’espace économique alsacien dépasse son territoire pour s’ouvrir sur l’espace rhénan, Montbéliard, Metz et Nancy. Dans cette perspective, une entité Lorraine-Alsace pourrait peut-être sembler pertinente, mais l’adjonction de la Champagne-Ardenne paraît moins justifiable. La Champagne est davantage tournée vers Paris.
• Des initiatives référendaires sans pouvoir décisionnel se mettent en place pour donner la parole aux citoyens et sont la marque d’une volonté de débat sur ces questions: le Jura va être consulté sur sa volonté de rattachement à la région Rhône-Alpes ou à la région Franche-Comté. Il devient important d’éclairer les enjeux des changements à venir, sans entrer pour autant dans une crispation identitaire.
• Il serait souhaitable de définir avec précision les compétences de ces nouvelles entités régionales.
• Reste en suspens la question des métropoles qui nécessiterait des clarifications : Strasbourg était en lien avec Mulhouse dans cette optique alors que Mulhouse peut imaginer des liens particuliers avec Besançon. Certains départements disparaîtraient au profit des métropoles et des intercommunalités.
• Une réforme territoriale devrait pouvoir se faire dans le sens d’une simplification comme c’est le cas quand une entreprise se transforme pour diminuer ses coûts. Pour convaincre du bien-fondé du changement, il est nécessaire d’en exposer clairement les motifs. Cette absence de clarté a entraîné l’échec du référendum sur la création du Conseil Régional d’Alsace.
• Deux arguments peuvent faire comprendre l’intérêt de la réforme territoriale: la suppression de la clause de compétence générale permettrait davantage d’économies et plus de rapidité dans les prises de décisions, et la suppression des doublons, collectivités territoriales-Etat serait lisible pour le citoyen. Dès que nous touchons à la question des territoires, nous touchons à leur identité qui fait débat. 3) La question de l’identité des territoires.
• Le piège à éviter quand il est question d’identité est de se positionner contre une autre identité. Il convient de se méfier de tout chauvinisme régional et d’aborder la question de l’identité sous un jour positif.
• Certains groupuscules d’extrême droite qui se revendiquent comme identitaires peuvent exacerber ces crispations.
• La France accepte avec difficulté la diversité de ses territoires. Sa culture politique va à l’encontre de cette diversité. Le jacobinisme peut être ressenti comme un nationalisme qui s’ignore.
• Il existe deux approches de l’identité, une approche personnelle, subjective qui se traduit par le référendum quotidien qui consiste à vouloir vivre ensemble, et l’identité objective qui repose sur l’unicité de la langue et du territoire.
• Pour Habermas, père du post-nationalisme, l’important est de savoir reconnaître la diversité tout en se réunissant autour de valeurs telles que la justice. La France préfère le plus souvent mettre en avant le ciment de la langue française comme lien essentiel.
En conclusion - .
Le philosophe français Alain Renaut nous propose une voie réflexive intéressante en évoquant la possibilité d’un multiculturalisme modéré qui donnerait à tous les habitants du territoire les mêmes droits (par exemple ouvrir une école en alsacien partout en France). Il n’existerait ainsi pas de communautés possédant des droits spécifiques.
Il reste que cette réforme territoriale est mal engagée:
• Le gouvernement s’attaque aux régions parce qu’il n’est pas dans l’obligation de convoquer le Congrès à Versailles pour ces modifications contrairement à ce qu’il est nécessaire de faire pour modifier les départements. En s’attaquant aux régions, l’Etat ne respecte pas l’histoire qui a contribué à leur construction et heurte les citoyens.
• Il semble que les communes continueraient d’exister sans pouvoirs étendus dans le cadre de l’intercommunalité. Rien ne serait donc résolu concernant le nombre de communes en France, aussi nombreuses que toutes les communes européennes réunies. Cette réforme a toutes les allures d’une occasion manquée. La nécessité de réformer acceptée par le plus grand nombre risque de se heurter douloureusement à un échec historique aux conséquences potentiellement graves.
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Notes:
- Pour l'intervention de Pierre Klein, vous pouvez vous reporter au site de l'ICA sur internet.
Café politique du 19 juin 2014
Le Traité Transatlantique de Libre-Echange
Le traité transatlantique de libre-échange, appelé aussi Tafta (Transatlantic Free Trade and Investment Partnership) ou PTCI (Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement).
A partir des articles suivants: dans la Revue Eléments, N°151, par Alain de BENOIST, Union transtlantique: la grande menace et dans Le Monde Diplomatique de novembre 2013, par Lori M. WALLACH: Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens.
I. Les premières négociations du traité et leur opacité.
• Le 14 juin 2013 les gouvernements des 27 Etats membres de l’Union européenne donnent officiellement mandat à la Commission européenne pour négocier avec le gouvernement américain la création d’un grand marché commun transatlantique qui reçoit le nom de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements (Transatlantic Trade and Investment Partner-ship, TTIP).
• Les premières négociations officielles sont ouvertes à Washington le 8 juillet 2013, suite au sommet du G8 organisé le mois précédent en Irlande du Nord. Elles sont conduites par Karel DE GUCHT, assisté de Garcia BERCERO, directeur à la Commision européenne pour le Développement durable et le commerce bilatéral.
• L’objectif de ce traité: éliminer les barrières commerciales transatlantiques pour aider au développement des économies européenne et américaine.
• Ce qui frappe les observateurs est la grande opacité dans laquelle se sont déroulées les discussions, les traités confiant à la Commission européenne une compétence exclusive en matière commerciale.
• Le Parlement européen n’a pas été saisi. L’opinion publique et ses représentants n’ont pas eu accès au mandat de négociation.
• En revanche les multinationales sont au coeur des négociations depuis le début. Elles y sont présentes par l’intermédiaire de différents groupes ou lobbies comme le Transatlantic Policy Network (TPN), fondé en 1992, qui regroupe une centaine de parlementaires européens et américains en même temps que des firmes transnationales comme BOEING, SIEMENS, IBM, MICROSOFT, etc... Sans oublier l’association européenne des patrons Business Europe (dont fait partie le MEDEF), l’European Business Summit, les représentants des banques, de la chimie, etc...
II. Les dangers du traité.
1) L’ «harmonisation» des règles, une régression qui profitera aux Etats-Unis.
• Dans le domaine agricole: arrivée massive de produits à bas coûts de l’agrobusiness américain comme le boeuf aux hormones, les volailles lavées au chlore, les OGM, les animaux nourris avec des farines animales.
• Les groupes pharmaceutiques pourraient bloquer la distribution des génériques.
• L’eau, l’énergie pourraient être privatisées.
• La fracturation hydraulique concernant le gaz de schiste deviendrait un droit.
• Les «appellations d’origine contrôlées» (AOC) françaises seraient menacées.
• La libéralisation du secteur audiovisuel se ferait au profit des géants américains du numérique.
• Les enjeux dans le domaine de la propriété intellectuelle seraient très importants en particulier dans le domaine de l’armement et de l’aéronautique.
• En matière sociale, toutes les protections liées au droit du travail pourraient être remises en cause.
2) Le contrôle des populations.
• Il y aurait ouverture des marchés publics en Europe à tous les niveaux y compris les hôpitaux, les écoles, les Universités, la Sécurité sociale alors qu’aujourd’hui seuls 30% des marchés publics américains sont ouverts aux entreprises étrangères.
• Sur le plan financier se ferait la «libéralisation totale des paiements courants et des mouvements de capitaux». Mais que peut signifier un accord de libre-échange dont les termes peuvent être constamment faussés par la sous-évaluation du dollar par rapport à l’euro?
• Le projet européen de taxe sur les transactions financières serait à jamais enterré.
• Il est aussi prévu une coopération transatlantique dans le domaine du contrôle des populations (surveillance des données personnelles sur Facebook et Gmail, puces RDFI, cartes de crédit, caméras, biométrie, etc.).
3) La mise en place d’un mécanisme très contestable d’ «arbitrage des différends» entre Etats et investisseurs privés.
• Dès que les Etats prendraient des mesures susceptibles de gêner les politiques d’investissement des multinationales, celles-ci auraient le droit d’assigner les Etats devant des juges ou des experts privés, en-dehors des juridictions publiques nationales ou régionales.
• Le montant des dommages et intérêts serait potentiellement illimité et le jugement rendu ne serait susceptible d’aucun appel. Il y a un an, l’Equateur s’est vu condamné à verser la somme record de 2 milliards d’euros à une compagnie pétrolière.
• 3300 entreprises européennes sont présentes sur le sol américain par le biais de 24000 filiales, dont chacune peut s’estimer un jour fondée à demander réparation pour un préjudice commercial. Les pays membres de l’Union européenne se verraient exposés à un risque financier plus grand encore, sachant que 14400 compagnies américaines disposent en Europe d’un réseau de 50800 filiales. Au total, 175000 sociétés pourraient se jeter dans la chasse aux trésors publics. Ici, il apparaît que l’APT n’a pas pour objectif de protéger les investisseurs en utilisant une justice privée alors que l’Europe et les Etats-Unis ont des tribunaux performants, mais bien d’accroître le pouvoir des multinationales.
• Les avocats qui composent ces tribunaux n’ont de compte à rendre à aucun électorat. Le monde des juristes de l’investissement international est limité: 15 personnes se partagent 55% des affaires traitées à ce jour.
• La capacité des Etats à légiférer étant ainsi remise en question, les normes sociales, fiscales, sanitaires et environnementales, ne résulteraient plus de la loi, mais d’un accord entre groupes privés, firmes multinationales et leurs avocats, consacrant la primauté du droit américain.
• Grâce à ce type de mécanisme, des entreprises étrangères ont déjà engagé des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Egypte ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou. PHILIP MORRIS, incommodé par les mesures antitabac de l’Uruguay et de l’Australie a assigné ces deux pays devant un tribunal spécial. Le fournisseur d’électricité VATTENFALL réclame plusieurs milliards d’euros à l’Allemagne pour son «tournant énergétique», qui encadre plus sévèrement les centrales à charbon et promet une sortie du nucléaire.
• En 2012, l’OMC avait déjà infligé à l’Union Européenne des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros pour son refus d’importer des OGM. Plus de 450 procédures de ce genre ont cours en ce moment dans le monde.
• Cette idée d’arbitrage privé n’est pas nouvelle: elle figurait déjà dans le projet d’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) négocié secrètement entre 1995 et 1997 par les Etats membres et l’OCDE. Divulguée in extremis par le Monde diplomatique, la copie souleva une vague de protestations sans précédent, contraignant ses promoteurs à la remiser. En fait, l’accord de partenariat transatlantique (APT) est une version modifiée de l’AMI quinze ans plus tard.
III. Les enjeux politiques et économiques mondiaux.
1) Briser la résistance des pays émergents.
• L’échec de la mise au pas des pays émergents dans le cadre de l’OMC (Chine, Brésil, Inde, Argentine) et des pays pauvres poussent les Etats-Unis à adopter la stratégie du TTIP en espérant écraser ainsi la résistance des pays tiers, tout en enrôlant l’Europe dans un ensemble dont le poids économique sera tel qu’il imposera les intérêts américains dans le monde entier.
• Parallèlement, les Etats-Unis, veulent contenir la montée en puissance de la Chine, devenue la première puissance exportatrice mondiale.
• Il s’agirait également d’arrimer définitivement l’Europe à un grand ensemble «océanique» la coupant de sa partie orientale et de tout lien avec la Russie.
2) A terme établir des règles mondiales sur le commerce.
• Il s’agirait d’agrandir au maximum la zone de libre-échange au niveau mondial. Le grand «Partenariat transpacifique», TPP, a été lancé en 2011 par les Etats-Unis. Il compte l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili, le Pérou, la Malaisie, Brunei, le Viet-Nam rejoints en 2012 par le Japon pour contrecarrer la Chine en particulier.
• En comptant le partenariat transatlantique et l’Alena, cela couvrirait 90% du PIB mondial et 75% des échanges commerciaux.
• De là à imaginer des règles commerciales au niveau mondial, le pas est aisé à franchir.
Conclusion.
L’enjeu final est évidemment politique. Il y a un espoir de réaliser une gouvernance commune aux deux continents américain et européen après l’intégration économique.
L’Europe deviendrait ainsi un élément subalterne d’un ensemble occidental dominé par le libre-échange, l’ultralibéralisme et le dollar. Nous serions en présence d’un monde unipolaire à partir d’un empire euro-atlantique sous contrôle états-unien, nous dit Jacques NIKONOFF.
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Après l’exposé sur le traité et les négociations en cours, le débat s’ouvre sur les bienfaits et dangers de ce traité
qui concerne l’Union européenne et les Etats-Unis.
I Le cadre de la négociation.
1) Est-il possible de négocier en confiance avec les Etats-Unis?
• L’espionnage américain a été récemment dévoilé en Europe: la NSA aurait même «surveillé» Angela MERKEL! A cet argument est répondu que tous les Etats se surveillent mutuellement et que à certains moments l’Europe elle-même collabore avec la NSA.
• Les Etats-Unis financent leur déficit en créant de la monnaie et sont en position de force, avec le dollar comme monnaie de référence. Ce serait sans doute plus intéressant de chercher, dans le cadre de l’euro, un accord avec des pays comme la Russie, la Chine, l’Ouzbékistan... et tendre à faire de l’euro une monnaie de transaction au lieu de se soumettre au dollar.
• Les intentions géostratégiques des Etats-Unis sont connues: ils ont perdu leur rôle de domination absolue conquis depuis 1914, en particulier dans le domaine économique, même si leur puissance militaire est la première du monde. Ils cherchent à se repositionner économiquement face l’offensive de la Chine, de la Russie et des pays émergents. Constituer une grande puissance commerciale transatlantique peut être un atout important dans ce projet.
2) Les négociations peuvent-elles rester confidentielles?
• Un débat non tranché évoque l’absence de transparence du mandat que les Etats européens ont confié à la Commission européenne pour élaborer le traité. Ce mandat est devenu public depuis peu. Apparemment, nous aurions pu en prendre connaissance dans le cadre réglementaire européen.
• Certaines fuites issues des négociations en cours démontrent l’importance des enjeux:
l’harmonisation des normes et la nature des tribunaux d’arbitrage font craindre un déséquilibre entre les multinationales et les Etats souverains.
• Faut-il tolérer la confidentialité des négociations? Certains pensent que cela est inhérent à toute négociation, d’autres disent que les citoyens ont le droit de savoir selon le modèle suivi par LECH WALESA qui avait fait installer une sonorisation des débats avec le gouvernement polonais.
II Dangers potentiels du Traité Transatlantique.
1) Peut-on craindre une harmonisation des normes pénalisante pour les citoyens?
• Dans le cadre des négociations, il est difficile de dire a priori que les normes qui seront établies concernant l’ensemble des produits échangés seront pénalisantes pour les Européens d’autant que les Etats-Unis sont en position de faiblesse commerciale: ils ont un déficit commercial de 125 milliards de dollars par rapport au montant des échanges commerciaux européens.
• En ce qui concerne certaines normes comme l’étiquetage des OGM dans les aliments ou la sécurité des jouets, les Etats-Unis auraient à perdre par rapport aux normes européennes.
• La question du poulet chloré est évoquée en détail en comparant les systèmes d’emballage et de refroidissement aux Etats-Unis et en Europe. Les Etats-Unis utilisent une piscine décontaminante contenant de l’eau de Javel et du dioxyde de chlore pour laver les poulets avant la congélation et l’exportation. Ces procédures ont été analysées par l’Agence européenne de sécurité sanitaire qui n’aurait pas diagnostiqué de danger sanitaire. A contrario, le paysan du Kentucky peut devenir suspicieux par rapport au camembert normand au lait cru qui peut être vecteur de listériose bien qu’il soit prouvé que la fermentation peut être plus sûre sanitairement que la pasteurisation! Le foie gras peut apparaître aux Américains comme un concentré de toxines...
• Notons que face à ces craintes, certaines garanties ont été ouvertement données par Karel DE GUCHT concernant la sécurité alimentaire pour les normes à venir.
• Les médicaments génériques pourraient disparaître dans ce nouveau cadre pour des raisons de profit de l’industrie pharmaceutique.
• Ce grand marché transatlantique pourrait avoir comme effet de diffuser en Europe des grandes surfaces à l’américaine commercialisant des aliments stéréotypés et susceptibles de favoriser l’obésité. Il est évoqué la question de s’appuyer davantage sur les productions locales européennes et de sanctionner les produits par des prix plus élevés quand ils sont importés. Dans cet esprit vient de s’ouvrir une coopérative de vente directe d’alimentation au consommateur par 14 producteurs locaux. Cette surface s’appelle HOP’LA et se situe à 10 minutes de Strasbourg, à OBERHAUSBERGEN. Elle ne vend que des produits de saison.
• Notons l’uniformisation qu’imposent des firmes comme MONSANTO dans le domaine de la diversité possible des semences. Les petits producteurs sont contraints d’acheter certaines semences et se voient menacés dans leur survie.
• La question du protectionnisme se pose alors et de ses conséquences économiques et politiques. L’électeur européen ne se sentirait plus protégé dans ses intérêts d’où la forte abstention aux dernières élections européennes.
2) Des tribunaux arbitraux privés trancheraient les litiges Etats - multinationales.
Il s’agit de la mesure la plus controversée discutée dans le cadre des négociations.
En effet, autant la discussion de l’harmonisation des normes est ouverte, autant la mise en place de tribunaux arbitraux privés qui permettraient aux multinationales de se retourner contre les Etats «freins» à l’augmentation de leurs profits, pose souci.
Actuellement, dans le monde, ces procédures existent déjà et sont actées. Faut-il pour autant les instituer comme des procédures juridiques sans appel et qui vont avoir pour effet une diminution de la souveraineté des Etats européens en particulier?
• Il est souligné que l’Union européenne a du mal à se construire et n’est pas une puissance politique fédérale. Elle se trouve aux prises avec un Etat fédéral structuré, les Etats-Unis, sans doute mieux capable de résister aux pressions des lobbies.
• José BOVE, dans une conférence récente, qualifiait la politique des lobbies auprès des institutions européennes de «hold-up permanent».
• Utiliser l’arbitrage privé, c’est mettre fin à la notion de droit public. Cependant reconnaissons que cette notion est étrangère aux pays anglo-saxons.
• Pour un intervenant, les discussions entre les peuples devraient se faire dans un cadre privé. Les juridictions onusiennes actuelles et la SDN, autrefois, n’ont pas vraiment fait leurs preuves. Elles sont souvent porteuses de l’idéologie étatique.
• Une autre proposition de type kantien serait que chaque Etat quel que soit sa taille ait une représentation égale sur le plan international. Un nouveau droit international public nécessiterait ainsi un nouvel ordre mondial pour l’instant totalement utopique.
Depuis la chute du Mur, nous assistons à l’émergence sans entraves de la loi des marchands, la lex mercatoria.
III L’émergence d’une démocratie européenne.
Contre les lobbies économiques, la parole citoyenne.
• Un précédent traité, ACTA, concernant la question de la liberté individuelle contre la toute puissance de GOOGLE a été repoussé par le Parlement européen, instance délibérative nécessaire à l’exécution des Traités. Les parlementaires alertés ont été soutenus par une campagne numérique importante (par exemple, associations comme La Quadrature du net) capable de mobiliser des millions de signataires.
• Forts de ces lobbies citoyens, stimulés par une prise de conscience d’un exercice démocratique dans le cadre européen qu’on pensait bien difficile, les parlementaires ont obtenu le retrait d’ACTA. Ils savent que le combat continue parce que ce genre de traité revient à intervalles réguliers, la preuve en est avec le TAFTA (le diable est habillé en TAFTA, disent les écologistes!).
• Le Parlement européen est la seule instance élue parmi les institutions européennes. Il a souvent une position plus démocratique que les gouvernements européens eux-mêmes.
En conclusion, il reste la question de qui promeut le TAFTA? Les Etats-Unis ont tenté de réglementer la finance, de récupérer davantage d’impôts sur les multinationales, par exemple sur GOOGLE. Leur intérêt serait alors de passer sous les fourches caudines des multinationales, c’est difficile de le croire... Il existe de réelles tensions entre les Etats-Unis et les multinationales américaines. Gardons-nous de tout machiavélisme d’autant que les bienfaits du traité en termes d’emploi et de croissance pourraient s’avérer réels.
Sans tomber dans une naïveté politique qui ne sied pas à nos habitudes réflexives, il est important de ne pas voir le diable absolu dans le TAFTA. A tout le moins, exerçons notre vigilance citoyenne qui débute par une information la plus complète possible!
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La contribution de Jean Jung au débat
Traité transatlantique libre échange Europe vs...Etats Unis vs…BCE / Euro
La BCE n’a aucun pouvoir politique donc aucun pouvoir sur l’euro. Tout au plus peut-elle prendre des mesures techniques limitées et Draghi d’en savamment parler. Paroles, Paroles, Paroles !!!
Sans gouvernance commune, seule capable de corriger les écarts de compétitivité dus à l’impossibilité de dévaluer, les pays faibles vont devenir encore plus faibles et les Peuples vont encore plus se défouler dans l’isoloir ... jusqu’à l’irréparable !
Le Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement souhaité par les Etats-Unis pour l’UE, dans le cadre d’une meilleure organisation mondiale du Commerce ( OMC ) va permettre, grâce à des artifices juridiques complexes, avec le Canada et les USA, d’intensifier notre modèle économique selon le principe de Pareto : Toujours plus à ceux qui possèdent le plus.
L’euro fort va leur permettre d’importer des produits à bas coût dans tous les pays de la zone, y compris dans des pays à faible compétitivité … ce qui va mettre à mal les entreprises locales, détruire l’emploi et augmenter le chômage !
Les produits canadiens et américains vont pouvoir se déverser à prix ‘‘dumpés’’ là où les ménages, appauvris par l’euro, n’auront d’autres choix que d’acheter étranger … au détriment de l’emploi et de leur propre jeunesse.
Et, à ce que je sache, ce n’est pas la BCE qui va s’opposer au diktat américain !
Il est impératif de construire d’urgence une Europe Fédérale autour de l’Euro, une véritable puissance politique, économique et militaire, contre l’avis des Anglais, des Américains et des Israéliens
Avec une telle puissance de feu contre nous, ce n’est pas demain la veille que naîtra cette Europe Puissance, cette Europe Fédérale dont nous avons cruellement besoin pour exister, pour se battre et pour donner du travail à nos enfants !
Consommer des produits américains, anglais ( Commonwealth ) ou israéliens, même s’ils sont de bonne qualité et à bas prix, cela crée du chômage chez nous. La parité de l’euro est la clé du problème. Une Nation a besoin d’une monnaie mais, inversement, une monnaie a besoin d’une Nation, et pas de n°18.
Cette monnaie sans Nation est en train de détruire la vielle Europe.
Jean
Quel avenir pour l’Euro ?
Café politique du 15 Mai 2014
Vous trouverez ci-dessous :
- le texte préparatoire au débat et la présentation de Gérard
- la présentation de Jean Luc
- la synthèse du débat
- la contribution de Jean à propos des avantages et inconvénients d’une sortie de l’euro
Sortir de l’Euro? ( texte préparatoire)
Beaucoup d’ouvrages sont parus sur l’éventuelle sortie de l’Euro à la diligence des pays qui le souhaiteraient. Jacques Sapir, « Faut-il sortir de l’Euro ? » édition du seuil ; « Casser l’Euro pour sauver l’Europe » de Frank Dedieu et consorts dans la collection Les Liens qui Libèrent.
Nous avions la monnaie unique, un pouvoir régalien supranational de battre monnaie, avec en bout de ligne un Etat fédéral.
Mais les Etats conservaient l’autonomie fiscale et il n’existe pas de budget fédéral.
L’union autour de la monnaie unique s’effaça au profit d’une concurrence fiscale et budgétaire ; les budgets étatiques seraient établis sous le parapluie de l’Euro et s’autorisaient à l’emprunt qu’ils remboursaient en vendant soit du fromage grec ou des Mercédès allemandes ; les dettes étaient donc séparées, en fromage ou en voitures ! Les Allemands profitant de l’Euro fort vendaient de la machine –outil de plus en plus chers et les grecs ne pouvaient plus fourguer leur fromage. L’intérêt des grecs de rester dans la zone Euro s’amoindrit, ce pays risquant d’être fichu dehors par les « marchés ». On prête plus volontiers aux riches qu’aux pauvres, même si miracle, la Grèce a pu placer un emprunt obligataire qui a trouvé preneur, on a trouvé des acheteurs de la dette grecque !!!
La France paye cher la politique de l’Euro fort qui satisfait l’Allemagne et les rentiers sont heureux avec, car quand on prête on souhaite que notre capital garde sa valeur ou prend de la valeur ! Nous autres ménages modestes qui empruntons, aimerions un Euro plus faible !
Les pays ont le choix, soit ils acceptent de ne plus avoir d’industrie ou soit, ils sortent de l’Euro.
Sortir de l’Euro, est-ce que tout va se casser la gueule ?
Non car :
. On passerait d’une monnaie unique à une monnaie commune : Hors Europe, l’Euro serait commun sur les marchés financiers.
. Au sein de l’Europe pourraient être crées des zones, Zone Euro des pays du Nord, zone des pays du sud.....etc. Ainsi l’Euro –grec pourrait fluctuer dans une fourchette de 1 ou 2 ou 3 %, selon la politique économique et financière de la Grèce (qui peut avoir intérêt à un Euro plus faible que l’Allemagne pour se protéger). Ce serait une manière de sauvegarde afin d’éviter la paupérisation d’un pays quand d’autres se goinfrent !
En fait, on retrouverait le vieux Serpent Monétaire Européen de Giscard, où les monnaies des pays d’Europe de l’époque variaient en plus ou en moins par rapport à une valeur moyenne déterminée par un panier de monnaies.
La question sera, « Si nous passons de l’Euro à l’Euro-franc, combien d’Euros-francs aurons-nous pour un Euro ? » Nous donnera-t-on l’équivalent de 75 centimes d’Euros-francs pour 1 Euro ?
Enfin nous devons nous interroger sur l’avenir de la dette de 2.000 milliards d’€ de la France ; à la dévaluation de fait du passage de l’Euro à l’Euro- Franc s’ajouterait donc un surcroît de dette de 400 milliards (affirmation de Benoit Apparu, qui oublie que la dette sous forme d’obligations d’Etat sont soumises au droit français) la dette serait libellée en Euro-Francs et un point c’est tout.
Resterait que les entreprises endettées qui sont soumises au droit luxembourgeois ou caïman, devrait-on imaginer une renationalisation de leur dette ?
Voilà les points qu’il faut creuser pour alimenter le débat du 15 mai.
Gérard
La présentation de Gérard.
Préambule : Un état des lieux qui alimente les débats.
. 26 millions de chômeurs en Europe et des nouveaux pauvres.
. Des pays du sud de l’Europe condamnés à l’austérité perpétuelle et en voie de désindustrialisation.
. Des pays du nord qui devront éponger les dettes du sud insolvable.
. Un Euro trop fort qui empêche de créer la croissance et la création d’emplois que connaissent les USA et autres.
. Des Etats paralysés dans l’impossibilité d’utiliser la monnaie comme outil économique (ajustements des monnaies)
. Manque de convergence des économies, disparités de concurrence des coûts salariaux.
. Un taux d’inflation limité à 2 % pour une stabilité monétaire au détriment de la croissance et de l’emploi !
. Politique économique des Etats dictée par les marchés financiers qui leur fixent les taux d’endettement.
Plan : partir d’un Euro entier, puis un Euro coupé en deux et enfin plus d’Euro du tout.
Sortir de l’Euro ?
Déprécier l’unité de mesure en changeant les parités, cela permettrait-il d’apprécier par magie le niveau de vie de membres de l’Union Economique et Monétaire?
. L’euro a été créé en 1999 (Traité de Maastricht).
. Diffusion des moyens de paiement en 2002.
Une monnaie unique en Europe sans unité politique préalable, mais une monnaie internationale à l’égal du Dollar ! Un geste technique et symbolique devant générer des avancées politique et une adhésion des citoyens.
. Une Union Economique et Monétaire pour un bien-être économique, mais en application d’une doctrine résolument libérale du marché unique ! Depuis 2008, la récession a amené l’explosion de la dette publique et sa spéculation,
l’augmentation du chômage par la désindustrialisation, l’accroissement de la précarité et des inégalités, ce qui fait douter du modèle actuel de la monnaie unique.
1- L’abandon risqué des taux de change nationaux avec la monnaie unique
1. Un taux de change a été fixé une fois pour toutes en 1999 !
. Les Etats renoncent aux dévaluations dans un contexte d’économies hétérogènes.
. Le mécanisme de la dévaluation interne se substitue aux taux de change
. Mobilité des travailleurs d’une région en dépression vers une autre prospère.
. Mobilité des capitaux d’une région à l’autre.
. Flexibilité des prix et des salaires, baisse du coût salarial, diminution des dépenses publiques et menace sur les acquis sociaux.
. Exacerbation de la compétitivité qui détruit l’industrie des pays faibles.
. Aujourd’hui les masses de capitaux sont plus importantes et souvent offshore! En zone Euro, les marchés ne peuvent plus attaquer directement les monnaies (le franc a disparu), mais les contreparties de l’Euro, qui sont soit les créances sur l’économie nationale (la dette de Renault) ou surtout la dette sur le Trésor public.
2-Effets sur les Etats
. Accepter cet appauvrissement inéluctable, hors Allemagne, est dans la nature systémique de l’Union qui vise une monnaie forte et une stabilité des prix. Le paradoxe de la zone euro est d’avoir affaibli la capacité industrielle de la zone (hors l’Allemagne), au profit des pays à monnaie faible comme USA, ou Chine.
3-Vers une politique économique et homogène et vers plus de fédéralisme................sinon sortir de l’Euro !
. Disposer d’une politique monétaire équivalente à celle des autres zones. L’Euro ne doit pas être une monnaie de réserve, une monnaie forte et de thésaurisation, mais un outil économique. Ainsi la BCE indépendante devrait-elle soumettre sa politique au Président de la Commission puis au Parlement afin de faire baisser l’Euro face au Dollar et au Yuan.
. Une lutte musclée contre les paradis fiscaux du Luxembourg et de la GB.
.Une véritable lutte contre la spéculation qui passera par un certain contrôle des capitaux, assorti d’une taxe Tobin.
Si on n’est pas prêt à faire ces réformes, nous devons sortir de l’Euro avant l’implosion.
4-Cinq hypothèses de sortie
4-1-Dissolution complète de l’Euro, après modification volontaire du traité ou attaque spéculative sur la dette de certains pays de l’UE, sans intervention de la BCE:
On reviendrait à l’avant-2002, faudrait réarmer les banques centrales. Cette dissolution complète de l’Euro aurait cependant un inconvénient, celui d’exposer les monnaies nationales aux forces de la spéculation, à la guerre des monnaies sur fond de dévaluation compétitive, instabilité des taux de change nuisible au commerce international. L’encadrement par un SME serait nécessaire.
4-2 Hypothèse de la scission de l’UEM en deux zones
Tous les Euros ne se valent pas :
. Zone RFA, Hollande.....une parité favorable, des exportations industrielles et une politique de rigueur budgétaire.
. Zone France, Italie....... Une parité défavorable et une monnaie trop forte eu égard à leurs structures économiques et leurs productions de moindre gamme.
S’il y a séparation économique réelle, pourquoi ne pas séparer l’Euro en deux, entre ces deux zones ? Un Euro nord et un Euro sud.
. L’Euro-nord avec ses excédents commerciaux serait réévalué de 15 % par rapport au Dollar, tandis que l’Euro-sud avec ses déficits commerciaux serait dévalué de 25 %. Cette dévaluation se substituerait à la déflation salariale actuelle dans ces zones. Les exportations pourraient augmenter de 10 % par an, et une hausse du PIB de même !
. Cela coûterait 3.5 % de son PIB à l’Allemagne sur deux ans, mais elle porte à son bilan actuel des milliards de dette émise par les Etats du sud, qui pourraient risquer de ne plus pouvoir les rembourser! Ce serait alors un moindre mal de convertir en Euro du sud ces créances avec une décote de 20 % au lieu de tout abandonner !
4-3- Retour au sein du SME 1979
. Les taux de change sont fixes mais ajustables pour compenser les écarts de productivité et d’inflation. Une fixité des monnaies appelée cours-pivot entre deux monnaies autour duquel elles pouvaient fluctuer de + ou - 2.25 % (1 DM pouvait fluctuer de 3.27 à 3.43 francs). Les décisions de réajustement de change se prenaient collectivement, 11 réalignements entre 1979 et 1987 !
. Inconvénients du SME 1979
Etats pas maîtres de leur politique monétaire, les réajustements étaient opérés sous la poussée des spéculateurs. L’effort de défense de la parité n’était pas également partagé par tous, les pays du sud avec une monnaie surévaluée défendaient leur devise en offrant des fortes primes de taux d’intérêt
. Comment échapper aux inconvénients du SME type 1979 :
limiter la libre circulation ces capitaux. Mettre fin à la théorie de l’efficience des marchés financiers qui prônent la libération des capitaux consacrée par l’acte unique de 1986, seuls à même de discipliner les Etas enclins aux dépenses inutiles !
4-4- Un SME rénové à la façon 2014.
. Limiter la pression des marchés et leur interdire de nuire : la libre circulation des capitaux serait limitée à la vente au comptant et non à découvert afin de freiner les flux spéculatifs.
. Appliquer une taxe Tobin de sortie des capitaux d’un pays membre.
4-5 Une monnaie commune.
Afin de protéger les monnaies contre l’instinct spéculatif, choisir l’Euro non comme monnaie unique mais comme une monnaie commune. On joint ainsi la stabilité de la monnaie unique et la flexibilité des taux de change des monnaies.
Comme dans le SME, définir les monnaies par rapport à l’Euro selon un taux de change fixe mais ajustable :
. Convertibilité interne UEM entre monnaies nationales, au seul guichet de la BCE, au taux fixe en vigueur et modifiable par le Conseil des ministres.
. Convertibilité externe UEM, entre Eurofranc et Dollar : au guichet de la BCE à taux fixe, Eurofranc en Euro puis Euro en Dollar ; l’Euro continuant à flotter sur les marchés des changes internationaux.
La conversion guichet marque une différence, eu égard au SME :
. Convertibilité directe entre monnaies ne peut plus s’effectuer, cela supprime le marché et le contrôle des changes intra-européens.
. Assurance d’une stabilité interne à l’Europe autour de la monnaie commune. Cela permet des ajustements de change pour pallier les déséquilibres entre pays, cela selon la politique des Etats et non sous la pression des forces du marché.
. Ajustements entre pays excédentaires et déficitaires qui partageraient le coût de l’ajustement qui ne serait plus sur les épaules du déficitaire seul.
. Le franchissement de certains seuils obligerait les pays à dévaluer ou réévaluer (le pays réévalué recevrait plus d’import commercial et soutiendrait les autres).
Avec la monnaie commune, un Etat n’a plus à défendre sa parité exposée aux caprices des cambistes ; ainsi auparavant avec le SME, si la France s’apprêtait à dévaluer, les investisseurs allemands vendaient massivement, obligeant celle-ci à soutenir sa monnaie qui s’effondrait et méritait un relèvement de son taux d’intérêt ; ce rôle sera dorénavant dévolu à la BCE.
Modalités de la monnaie commune
1-Sortie de l’Euro, un chaos ? Non déjà eu la fin de la couronne austro-hongroise en 1919 ! Mais avec l’Europe, c’est 15.2 milliards de billets pour 330 millions de citoyens ! Le déroulé serait le suivant sur 10 mois environ :
. Vendredi 16 janvier 2015 à 22h00 : Annonce officielle de fin de la monnaie unique ; moratoire bancaire de 2 mois sur comptes et livrets ; contrôle des capitaux et blocage prix et salaires ; enfin opération de substitution des billets sur environ 6 mois au cours desquels la règle d’échange du un pour un s’applique, 1 Eurofranc pour 1 Euro qui permet la double circulation.
2-L’Allemagne peut-elle bloquer le processus ? Elle est exposée de 1000 milliards d’Euros de dette envers les pays du sud. Soit elle reste dans l’Euro et doit verser sans cesse au pot commun, soit elle quitte et consent à perdre entre 20 et 30 % de ses créances dévaluées du jour au lendemain car converties en Euro-drachmes par exemple. La France est aussi exposée en tant que débitrice.
De toute façon, les pays ne peuvent pas rembourser leur dette, c’est la fiction de la solvabilité, surtout qu’ils sont en récession et leur ardoise publique comparée à leur richesse nationale (taux d’endettement) ne baisse pas ! Donc quitte à suspendre leur remboursement, la fin de la monnaie unique est un dénouement convenable pour les bailleurs.
L’Euromark s’apprécierait, mais l’Allemagne commerce surtout avec l’Asie et pourra continuer à importer des pièces détachées des pays de l’Est !
2-La dette ne va-t-elle pas exploser ? Notre dette de 2000 milliards serait augmentée de 400 par effet mécanique de l’Eurofranc dévalué ! Selon le principe « La souveraineté monétaire passe le contrat » 2000 milliards seront convertis en Eurofrancs, car les obligations sont de droit français à 93 % ; les banques qui auraient contracté des obligations soumises au droit luxembourgeois ou autre, ces dettes resteraient en Euro.
3-Les marchés financiers ne vont-ils pas se fermer ? Au moment du passage à l’Eurofranc il y aura des ordres de vente en masse par peur de risque de perte de 25 à 40 % des avoirs ! Le taux d’intérêt pourrait atteindre 13 % et ce serait dissuasif !
. Alors la France demanderait à sa Banque de France d’émettre des Eurofrancs pour en faire l’avance au Trésor, genre de planche à billets (ce que font actuellement les USA et le Japon).
. A défaut, recours aussi à l’épargne populaire comme au Japon, cela fournirait les 180 milliards annuels demandés sur les marchés par le Trésor.
Mais si des épargnants préfèrent d’autres cieux, on pourrait recourir au contrôle des capitaux.
4-Limites de cette dévaluation ? Avec un Euro fort c’est austérité, chômage et croissance atone ? Quel serait l’effet de la dévaluation sur la compétitivité avec un Eurofranc qui baisserait de 31 % par rapport à l’Euromark :
. Les importations seraient plus chères ? Mais le pétrole c’est surtout des taxes et les prix à l’import n’augmenteraient que de 6.5 %, donnant l’option aux nationaux d’acheter un produit français substituable. Au global, la balance commerciale française deviendrait excédentaire de 0.3 % du PIB, création 1 million d’emplois avec une croissance de 2 à 4 % !
N’oublions pas que le miracle Pinay –Rueff de 1958 s’est accompagné de deux dévaluations successives de 20 et 17 % en 6 mois !
5-Le retour de l’inflation ? Nous avons un Euro fort de rentier, une monnaie anti-inflation et anti-érosion ! Et nous passerions à une inflation de 5 % en France après une dévaluation de 25 % ! Cela permettra d’alléger le poids de la dette publique et des ménages. Cela paraît miraculeux quand aujourd’hui nous nous enfonçons dans la déflation, baisse des prix, salaires étroits, dette aggravée et demande comprimée !
6-Ne va-t-on pas vers une guerre des monnaies ? Si nous étions restés en SME, oui, mais pas avec la monnaie commune, des dévaluations seraient compensées par des réévaluations au sein de l’UEM, les nouvelles grilles de parité seraient négociées par les chefs de gouvernement. Ce serait le retour de la discussion démocratique au détriment du rapport de force marchand qui prévaut sur les marchés des changes.
Les Etats ne seraient plus les infirmes qui ne peuvent mettre en oeuvre une politique économique qui corresponde à leurs besoins ; on peut vouloir démantibuler les nations mais en ayant un plan de substitution réel, une véritable UE politique et moins technocratique. Davantage de marges de manoeuvre et donc la possibilité d’un plan de ré-industrialisation et des mesures structurelles et autres baisses de dépenses qui seront mieux acceptées par les citoyens.
Mais nous pouvons imaginer un sursaut fédéraliste à la suite de l’élection du Parlement qui nommera le Président de la Commission, seul à même de prendre des décisions rapides sur délégation du conseil des ministres ; voire de disposer de pouvoir sur la Banque Centrale Européenne à qui incombera le rachat d’une part des dettes pour limiter la spéculation, le lancement de souscriptions de niveau européen pour des grands projets industriels.......
Gérard
La présentation de Jean Luc
L’euro.
Les années 1970 s’étaient caractérisées par une forte inflation. L’idée, promue entre autres par Pompidou, a été alors de sortir les banques centrales de l’orbite étatique pour les rendre indépendantes, de sorte que les Etats ne pourront désormais plus financer leurs dépenses par la création monétaire mais uniquement et exclusivement au faisant appel au marché des capitaux, et ce par le biais d’émissions obligataires.
Les USA, durant les années1980, mirent au point la dérégulation financière. Ils énoncèrent que s’il y a capacité de financement en un point X de la planète (épargne), il ne peut que nécessairement correspondre au besoin de financement à un point Y de la planète (investissement). Il suffit donc supprimer les entraves nationales à la circulation des capitaux pour assurer l ‘optimisation de l’investissement au niveau mondial.
Le Traité de Lisbonne, signé par 27 dirigeants européens en 2007 reprit cette idée dans son article 63 : « Toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ».
Le développement anarchique des interdépendances financières s’est cependant fait dans un désert d’institutions régulatrices. La nature humaine étant ce qu’elle est, avide et cupide plus que soucieuse du long terme dès qu’il n’ y a plus de contrainte, le résultat de ces mesures fut la soustraction des épargnes aux emplois longs et donc productifs, la recherche du profit spéculatif à court terme, l’ engouement irrationnel et passager pour des gammes de plus en plus complexes de produits dérivés (des sortes de paris sur le cours à la hausse ou à la baisse du cours d’une action, de matières premières, de taux de change, etc...), n’ayant évidemment plus rien à voir avec l’investissement.
La mondialisation financière ne créa qu’instabilités et convulsion des marchés dues aux bulles spéculatives.
Einstein avait établi qu’il était plus facile de fissurer un atome que de venir à bout d’une croyance ! Ce qu’on nomme « construction européenne » s’est faite sur la double croyance érigée en dogme que le marché devait primer l’Etat et que ce marché ne devrait souffrir d’aucune entrave. Il a été affirmé que créer une monnaie unique entraînerait de facto une convergence des économies de la zone et donc ipso facto une croissance forte. C’est bien évidemment l’inverse qui s’est produit ; les pays du « club med » ne pouvant du jour au lendemain s’adapter à la puissante machine économique allemande. A cela allait s’ajouter les crises nées de la mondialisation financière. Séguin, en 1992 : « dès lors que dans un territoire donné, il n’existe qu’une seule monnaie, les écarts de niveau de vie entre les régions qui le composent, deviennent vite insupportables. En cas de crise économique, c’est le chômage qui s’impose comme seule variable d’ajustement ». C’est bien évidemment ce qui se produisit. L’ € était apparu, dans un premier temps, comme une aubaine aux pays peu industrialisés : ils allaient pouvoir emprunter en monnaie forte à un taux bas, ce qui alimenta une croissance en trompe-l’œil : le remboursement ne pouvant être effectué ni par l’exportation, ni par les recettes fiscales demeurées faibles, la dévaluation n’étant plus possible, ce sont donc les taux d’intérêt et le chômage qui sont devenus les variables d’ajustement, avec les résultats dramatiques que l’on sait .
En outre, la dite « construction européenne » souffrit de 2 vices spécifiques à sa naissance :
Le niveau de l’€ par rapport au $ fut indexé sur celui du mark allemand par rapport au $. De plus aucun système de protection commerciale ne fut mis au œuvre au niveau de l’eurozone ; dogmatiquement, il fut affirmé que le libre-échangisme intégral s’appliquerait, et ce alors même qu’on était dans un contexte de dérégulation dogmatique.
L’’article 104 du traité de Maastricht oblige les Etats à emprunter sur les marchés financiers et interdit toute avance de la BCE dès lors qu’ils sont en déficit. Comme ceux de la zone € le sont maintenant presque tous, cela veut dire que ce sont les marchés financiers qui décident, par agences de notations interposées, de la pertinence des politiques économiques ; on est bien loin de la lutte contre l’inflation génératrice de perte de pouvoir d’achat, qui avait justifié au départ ce recul du périmètre de l’Etat et celui-ci est ainsi devenu le débiteur volontaire des marchés privés. La puissance publique de chaque Etat membre, ou ce qu’il en reste, n’a plus pour fonction que d ‘essayer de tendre vers un équilibre budgétaire, seul à même de garantir le remboursement des prêts, principal et intérêts et de lutter contre l’inflation, mais dans le seul but maintenant de préserver la valeur réelle des actifs qui garantissent le remboursement de la dette.
C’est le trio Jacques Delors, déjà assisté d’un certain François Hollande, Pascal Lamy et Hans Tietmeyer qui auront mis au point ce brillant scénario d’amputation volontaire de souveraineté, de vassalisation des puissances publiques aux marchés, qui servira surtout à assurer de fructueux placements aux marchés financiers (50 milliards par an en ce qui concerne la France).
Car bien évidemment, il ne s’agissait pas de créer une souveraineté à l’échelle européenne, le but était de détruire le principe même de souveraineté pour laisser le champ libre aux marchés, au nom d’un utopique « au-delà des nations ». La suite, on la connait, les Etats se sont laissés bercer par l’illusion de l’emprunt indéfini, l’€ qui-devait-nous-préserver-de-toutes-les-crises faillit sombrer du fait d’une crise née hors zone € et, horresco referens, la BCE mit fin, en septembre 2012, à son dogmatisme non- interventionniste : elle fit savoir qu’elle rachèterait, au besoin en quantité illimitée, cad en fait par création monétaire, les dettes souveraines attaquées par les spéculateurs ; en langage bruxelliste : outright monetary transactions (OMT). L’annonce eut son effet et les spéculateurs reculèrent, craignant la baisse de la valeur de l’€.
Les europhiles sombrèrent alors dans une béatitude hypnotique en chantant : « la crise est finie ».
Evidemment, elle n’est pas finie. La Bundesbank, saisie d’épouvante à l’idée que les pouilleux composant le PIGS (Portugal, Italy, Greece, Spain) pussent s’abstraire de la « responsabilité financière » qui devrait être la leur uniquement par le biais de la création monétaire, décida que la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe aurait à connaître et à se prononcer sur la constitutionnalité de cet OMT. Cependant la Cour ne peut pas, juridiquement, statuer sur le fait qu’il faille suspendre l’OMT. Tout ce qu’elle pourra cependant faire, c’est transférer le cas à la Cour de Justice européenne. Toutefois, la position allemande a toujours été d’affirmer la totale indépendance de la BCE : il lui faudra donc accepter ses décisions, même si pour les éminences de la « groko », acronyme de la grosse Koalition, indépendance voulait jusqu’alors dire conceptualisation germanique.
Mais le fait est que l’Allemagne est, dans la zone €, en position de leadership. Tout comme le sont, pour l’instant du moins encore, les USA dans l’économie mondiale. Le rôle de la puissance dominante, selon la conception US du moins, est d’assurer la fonction de fournisseur en dernier ressort de la liquidité dans la zone concernée.
Les USA n’ont aucun complexe à assurer cette fonction par le recours à la planche à billet, ce qui précisément apparaît comme tout à fait inacceptable pour l’Allemagne, où la « culture de stabilité » fait figure d’impératif catégorique. Cette nation a donc eu ce qu’elle a voulu, une banque centrale européenne fonctionnant de la même manière que fonctionnait la Bundesbank au temps du mark, ce qui lui a apporté une position dominante de fait, mais considère que ce « sonderweg » peut être copié par tous les Etats de la zone €, l’Allemagne en étant resté à la conception pompidolienne d’une banque centrale hors du contrôle des Etats uniquement et exclusivement dans le but de prévenir des tendances inflationnistes. En tout état de cause il ne peut y avoir partage de la souveraineté monétaire et que donc il ne saurait être question de fédération européenne qui remettrait en cause la suprématie allemande. Mme Merkel a bien fait savoir qu’elle ne serait pas la Walkyrie Brünnhilde de l’anneau des Niebelungen wagnérien sautant dans le Walhalla en flamme pour sauver le genre humain de la malédiction liée à l’or du Rhin, en l’espèce la dette européenne !
Il s’est donc constitué un « Saint-Empire » de la monnaie unique (Chevènement), où les Etats, allant d’austérité en récession, préfèrent accepter l’ordre allemand, plutôt que de quitter l’univers enchanté de l’ € avec l’espoir, certainement vain, que les eurobonds, la dette mutualisée, viendront un jour prochain soulager leur lourd fardeau.
Mais venons-en au plus croustillant. L’€ devait nous-préserver-de-toutes-les-crises, avaient fait répéter ad libitum, les thuriféraires de la monnaie unique lorsqu’elle était encore dans les langes. Bien évidemment, il n’en a rien été. La propagande gouvernementale nous assène ad nauseam que la dette de la France provient d’un excès de dépenses publiques. Cela est certes vrai, mais la cause de la considérable aggravation de la dette depuis l’adoption de l’ € tient pour une large part au sauvetage des banques privées décidées suite à la crise en 2008, crise née hors d’Europe : comme on pouvait s’y attendre, le parapluie de l’ € est singulièrement troué. La crise, cela est reconnu maintenant, a été provoquée par le refus obstiné de l’ancien gouverneur de la FED, Alan Greenspan, (magic Greenspan pour les financiers, son fan-club) de réguler le marché des produits dérivés, entre autres les subprimes. Les banques, aussi bien américaines qu’européennes faillirent sombrer devant l’ampleur des pertes. Pris en otage, les Etats, et singulièrement ceux de l’Euroland, furent obligés de se porter au secours du système bancaire puisqu’ ils en dépendaient. En plus, il fallut, dans l’urgence, mettre en place des plans de relance pour éviter une récession généralisée. Entre 2008 et 2010, la BCE, la FED, la Banque du Japon et la Banque d’Angleterre injectèrent plus de 4 500 milliards d’€ dans les circuits économiques. La dette privée née de l’économie de casino protégée par magic Greenspan est ainsi devenue une dette publique, les banques centrales devant elles-même emprunter auprès de pays qui s’étaient abstenus de s’intégrer dans le système casino de la spéculation sur les produits dérivés, les fameux BRICS notamment. Dans le cas européen, les banques privées ont ainsi pu se renflouer auprès de la BCE à un taux très faible (moins de 1 %), puis ont pu racheter la dette publique des Etats grâce à leurs émissions obligataires, mais au taux que les marchés ont jugé adéquats (jusqu’à 17 % pour la Grèce), eux-mêmes se déterminant en fonction des analyses fournies par les agences de notation, agences payées par les banques ! La boucle est bouclée et tout va très bien, Mme la Marquise.
On a certes depuis, mis en place, un Fonds européen de stabilité financière, financé par les Etats. Mais ses créances ne sont pas considérées comme privilégiées, ce qui veut dire qu’un créancier privé sera toujours prioritaire. Tans pis pour le contribuable. Mais, on l’aura compris, il ne s’agit pour les marchés, de sauver les Etats, que pour éviter d’être eux-mêmes en difficulté
A remarquer le cas de l’Islande, dont les banques avaient fourgués à l'étranger quantité de produits spéculatifs. Lorsque les créanciers voulurent faire payer l’Etat islandais, celui-ci les envoya paître ; il est vrai que dernier a toujours eu un budget en équilibre et les vertes prairies islandaises purent ainsi continuer à nourrir les magnifiques chevaux de l’ île sans qu’aucun huissier de Wall Street ou d’ailleurs ne vînt les saisir !
Morale de l’histoire : ce qui n’est pas nécessaire est inutile. A la question : à quoi sert l’€, la réponse est : à rien. Faudrait-il pour autant se réjouir de l’effondrement et de la disparition de l’€ ? A vrai dire non, plus maintenant, l’€ a acquis le rang et la dignité d’une monnaie de réserve. Son taux de change par rapport au dollar s’est même apprécié depuis sa création, du fait de la vigueur des exportations allemandes ( 200 milliards d’excédent commercial en 2013, dont seulement 40 % en zone €, contre 60 milliards de perte pour la France). Mais Allemagne, Hollande et Autriche exceptée, tous les autres pays ont eu à faire face à la désindustrialisation, à l’affaissement de l’investissement productif, à l’exode des capitaux (50 milliards/an quittent la France pour s’investir à l’étranger), à la déstructuration sociale et finalement à la paupérisation. Ce qui, au niveau de l’écoumène, se traduit par une marginalisation géopolitique progressive du continent européen. Il serait donc avisé de tirer les conséquences de cette situation. Une piste de réflexion est dans la création non d’une monnaie unique mais commune. Qu’est-ce à dire ? Puisque les dogmes qui structurent l’Allemagne semblent incontournables et que, dans les faits, Berlin est devenu la capitale économique de la France, et puisque nos politiciens veulent maintenir la fiction du « couple franco-allemand, moteur de l’Europe » et essayer de ne pas déplaire à « nos amis allemands », il faut donc s’ adapter à cette nouvelle donne.
Il s’agirait de transformer l’€ en une monnaie commune. Il resterait naturellement convertible sur le marché des changes, mais parallèlement serait mis en circulation dans chaque pays une dénomination nationale de l’€ : des euro-francs, euro-lires, euro-marks, etc....Ce serait revenir au SME ! Que nenni, car les dénominations nationales de l’€ aurait un cours fixe par rapport à l’€, révisable semestriellement, en fonction des résultats de la balance commerciale de chaque pays. Contrairement au SME d’avant l’€, qui n’avait été en mesure d’être un frein à l’instabilité monétaire, les dénominations nationales seraient convertibles, au sein de la zone €, uniquement et exclusivement au guichet de la BCE à un taux fixé préalablement par les ministres des finances et non sur les marchés. De sorte que seul l’€, monnaie commune, serait convertible sur le marché des changes, ce qui lui permettrait de rester une monnaie de réserve ; les dénominations nationales ne le seraient pas, puisqu’il est exclu qu’il y ait un marché de change intra-européen ; cela évitera les dévaluations compétitives qui avaient vidé le SME de sa substance.
Dans le système actuel, les parités d’entrée de chaque monnaie nationale dans l’€ ont été fixé une fois pour toutes, au 1er janvier 1999. Si on avait à l’époque adopté le système de la monnaie commune, laissant subsister les monnaies nationales, ce cours aurait pu être modifié à échéances constantes, permettant aux différerents pays de s’adapter autrement que par la hausse du chômage ou-et- la baisse des salaires. L’Angleterre y avait été favorable, mais pas l’Allemagne et la France a suivi la voie allemande. Mitterrand ayant considéré que l’adoption d’une monnaie forte baisserait nominalement la dette de la France...
Certes le résultat en 2014 de la transformation de l’€ en monnaie commune, serait une baisse de son cours par rapport aux autres monnaies, mais serait-ce une catastrophe ?
L’€, dans sa forme actuelle, a été conçu pour « peser dans la mondialisation » (sic), comprendre pour s’adapter au capitalisme financier et spéculatif considéré en France comme l’horizon indépassable de la modernité; cf la fameuse expression répétée tant à gauche qu’à droite : « il faut rassurer les marchés »(re-sic). Les pays qui sont sortis relativement indemnes de la crise de 2008, les BRICS principalement, sont restés fidèles à l’esprit du capitalisme fordiste, un capitalisme industriel et marchand, seul créateur de richesses. La fameuse réussite allemande vient essentiellement du fait que là aussi, la production est préférée à la spéculation : l’Allemagne n’a jamais abandonné ce que les économistes connaissent comme étant le théorème d’Helmut Schmitt : « Les profits d’aujourd’hui font les investissement de demain qui font les emplois d’après-demain ».
La nation est une réalité, fruit d’une histoire propre à chacune d’entre elle, l’Europe est une civilisation, riche de l’inventivité et de la créativité de chaque nation qui la compose.
Il faudra bien, au niveau de chaque pays européen, remplacer la rêverie poétique par une analyse rigoureuse des résultats. « Nier le fait national fait le lit du nationalisme » constate Dupont-Aignan. Si « le nationalisme, c’est la guerre », selon l’énoncé testamentaire de Mitterrand, il faut oser analyser la situation économique au niveau de chaque pays. Pour les 17 pays de l’Euroland, il y a eu 3 gagnants pour 13 perdants et un pour qui, la Finlande, il n’y a pas eu d’effet ni positif, ni négatif. Crier au « repli identitaire », à la « crispation identitaire », au « rejet de l’autre » et pour finir à la « reductio ad hitlerum », dès que le bon peuple ne répète pas comme des abrutis les credo de l’oligarchie bruxelliste est du même niveau que les délires idéologiques du feu le camarade Souslov, penseur émérite et patenté du soviétisme de naguère.
Une monnaie ne crée pas une identité laquelle est un vouloir-vivre commun.
« Les hommes sont conduits par l’affect plus que par la raison, il s’ensuit donc que la multitude s’accorde naturellement et veut être conduite comme par une seule âme sous la conduite non de la raison, mais de quelque affect commun » Spinoza, dans le Traité théologico-politique.
L’affligeante et consternante bouillie moraliste des européistes béats sur la « solidarité » est vide de sens, car payer les dettes d’autrui, dettes d’autant plus colossales qu’elles résultent d’un système vicié au départ, ne crée pas d’ affect commun, pas plus que la création d’une monnaie n’en a généré. Bien au contraire on assiste de plus en plus à l’émergence d’un chacun pour soi et les écoliers allemands réciteront peut-être à nouveau les vers d’Emmanuel Geibels que tous apprenaient au temps de Bismark : « Macht Europas Herz gesunden, Und das Heil ist euch gefunden“. Guérissez l‘âme de l’Europe et vous connaîtrez le salut.
Pour éviter des dérives nationalistes, il faut réintroduire une dose de souveraineté. Ce terme est honni par l’extrême gauche, au nom d’un anti-racisme devenu obsessionnel et par le Medef qui y voit une entrave à la puissance qu’il voudrait de plus en plus dominante du capital. En fait, la notion de souveraineté est à la fois une notion de droite, la souveraineté nationale, le corps mystique de la nation étant la colonne vertébrale du pays, et de gauche, la souveraineté populaire, sans laquelle le débat démocratique est vide de sens, ce qu’il est de plus en plus depuis 2007, et l’élection d’un président passant outre au résultat d’un referendum qui avait grandement mobilisé l’électorat. La gauche fut curieusement et platement européiste ; abandonnant ses thèmes traditionnels, elle ouvrit un boulevard à un parti ouvertement reagano-thatchérien dans les années 1980-90, qui n’en demandait pas tant, et qui de fait s’est subitement découvert une vocation d’émancipateur du prolétariat face au capital apatride. Il a suffi d’habiller ce tour de passe-passe du nom de respectabilité et le parti anciennement protestataire se trouva modifié de pied en cap, prêt à affronter une « UMPS » médusée et totalement désorientée.
On en viendrait presque à regretter l’époque où régnait une saine et virile lutte des classes en comparaison de laquelle les jérémiades d’éléphants ou plutôt de dinosaures socialistes sur « la lutte contre les inégalités, l’exclusion, les discriminations » paraissent comiques tant ils soutiennent en réalité un système qui génère tout ceci. Pourtant la nation est un concept né de la Révolution de 1789, il serait temps pour les partis dits « de gouvernement » de le redécouvrir, car il n’y a pas de citoyenneté sans espace à l’intérieur duquel cette citoyenneté peut s’exercer. Pour terminer, je donnerai un peu de profondeur historique à cette introduction, en citant l’article 4 de la Constitrution de 1793, laquelle établissait ce qu’est la citoyenneté : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de 21 ans accompli, tout étranger âgé de 21 ans ou plus, qui habite en France depuis au moins un an, y vit de son travail, et qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité est admis à l’exercice des droits de citoyen français »
Jean Luc
Synthèse du café politique du 15 mai 2014
Faut-il sortir de l’euro?
Après les interventions de Gérard et de Jean-Luc, le débat s’ouvre sur la question de
l’euro et de ses enjeux dans la campagne des européennes.
I.Pourquoi l’euro est devenu un problème.
• A l’origine, l’euro a été conçu et optimisé selon les principes allemands. Mais pour que la zone euro fonctionne, il faudrait que l’espace économique européen soit homogène. Or nous dit Maurice ALLAIS, ce n’est pas le cas, et cette hétérogénéité est à l’origine de bien des déséquilibres. Il y a des économies qui ont des performances très différentes les unes des autres comme la Finlande et la Grèce, par exemple. Les pays moins performants économiquement ne peuvent pas dévaluer dans le système de la zone euro. En France, la monnaie est très forte et la dévaluation se fait en interne par le biais de la baisse des dépenses publiques et de la diminution du coût du travail. L’euro semble en cause dans l’augmentation du chômage et de la pauvreté que vivent certains pays européens en particulier au sud de l’Europe.
• Les Etats ont tendance à se concurrencer de manière déloyale: en Allemagne, SCHRÖDER a abaissé les coûts de production de 12 à 15%, l’Irlande a une fiscalité qui n’impose pas les sociétés, la Grèce et l’Espagne se trouvent contraintes de diminuer les retraites et les salaires. C’est le règne du dumping social.
• D’après PIKETTY, l’Europe illustre bien la théorie selon laquelle les revenus du capital au cours de l’histoire augmentent plus vite que les revenus du travail et que les inégalités ont tendance à augmenter au sein même des Etats. En effet, l’écart entre revenus du travail et capital est secondaire au différentiel entre rendement du capital et taux de croissance, ce dernier étant à l’origine de l’augmentation des salaires. Ce principe est universel et il apparaît que cette inégalité est en croissance, mais dans une moindre mesure en Europe qu’aux Etats-Unis.
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• Il convient d’autre part de s’interroger sur le caractère «vertueux» de l’insolente santé de l’économie allemande. Si elle est plus performante que ses voisines, cela signifie aussi que ce sont les achats des partenaires moins efficaces qui constituent le bénéfice de la balance commerciale allemande. Cela commence à être reconnu puisque l’Europe a fixé un seuil maximal admissible pour les excédents, in fine financés par les importateurs.
• Certains pays comme la Suède, la Pologne ou l’Angleterre qui n’appartiennent pas à la zone euro ont tendance à jouer contre les pays appartenant à la zone euro.
II Et si ce n’était pas l’euro le problème?
• Alors que les pays convergeaient doucement depuis huit ans, la crise de 2008 avec la brusque tempête financière a pris a contre-pied la zone Euro, en la dissociant justement au niveau des éléments nationaux qui restaient trop hétérogènes.
• Et si derrière la question de la survie de l’euro se jouait la question de la survie de l’Europe elle-même? En effet, l’exacerbation des nationalismes peut occulter que ce n’est pas la monnaie unique qui est à l’origine de la crise économique actuelle.
• La question de l’euro pourrait masquer la question de la gouvernance européenne qui ne satisfait pas la majorité des Européens.
• Par ailleurs, la France a une position particulière dans les concert des «europhobes»;
Elle peine économiquement pour des raisons en partie liées à sa propre histoire économique. Son absence de compétitivité au regard de la réussite allemande peut même entretenir des sentiments de germanophobie!
• Beaucoup d’entreprises françaises ont des soucis de gouvernance. Elles préfèrent souvent éviter une réorganisation simplificatrice et préfèrent agir sur les salaires en les bloquant. Le modèle franco-français est un modèle de «corporatisme protectionniste», de capitalisme mixte public-privé, de corporatisme colberto-féodal qui ressemblerait presque au modèle du capitalisme chinois.
• Certains économistes et autres auteurs comme MARIS, TODD, LORDON, SAPIR apparaissent comme des pro-sociaux et défendent des idées proches des souverainistes.
• Y a -t-il alors une autre alternative que la sortie de l’euro si cette sortie n’apparaît pas comme une vraie solution sans compter la complexité technique qu’elle nécessiterait?
III Quelles solutions alternatives à la sortie de l’euro?
• On pourrait imaginer le renforcement du pouvoir politique à travers la mise en place d’une Europe fédérale préconisée par exemple par Michel DEVOLUY (économiste) et Jean-Louis BOURLANGES (député européen). Le Parlement, réellement représentatif, aurait dans ce projet la haute main sur les finances européennes.
• Mais se pose alors avec acuité la question du système économique de cette Fédération: libéralisme à l’anglaise, économie sociale de marché sans colbertisme à l’allemande, ou social-démocratie avec colbertisme à la française
• Cette Europe faciliterait la mobilité du travail, aurait un budget commun avec des impôts spécifiques. Des subventions pourraient ainsi aider les zones déprimées économiquement.
• Au lieu d’être un espace commun (style terrain de foot) dans lequel les joueurs jouent chacun pour sa nation, il y aurait des «joueurs» qui suivraient des règles communes dans le domaine de la production et de la consommation par exemple.
• Un intervenant se demande quelles garanties auraient les Européens que les règles communes prennent en compte un vrai système de protection sociale et comment nous pourrions réagir face au dumping social de la Chine.
• La question de l’Europe fédérale se heurte à l’absence probable de volonté politique des différents Etats qui ont des difficultés à sortir de leur schéma national.
• Bernard MARIS propose un nouveau rôle pour la BCE qui, responsable devant le Parlement, pourrait monétiser une partie de la dette des pays membres pour la ramener à 60% de leur PIB. Les partenaires devraient promouvoir l’harmonisation fiscale, la régulation financière en prohibant les produits dérivés spéculatifs portant sur les dettes publiques et lutter contre les paradis fiscaux. Il faudrait revenir sur la règle d’or de limitation des déficits publics à 3% du PIB qui aggrave la situation des pays pauvres et produit de l’austérité.
• L’Europe devrait renouer avec les ambitions politiques qui ont présidé à sa naissance.
Conclusion.
La question de l’euro met en lumière un réel problème de gouvernance européenne et ouvre la réflexion sur la nécessité de démocratiser davantage les institutions européennes, peut-être en proposant une Europe fédérale qui se donnerait les moyens d’harmoniser les politiques économiques et de lutter contre la pauvreté de notre continent.
Sinon, le bel idéal européen du Juste risque de se transformer en luttes fratricides...
Quelques remarques de Gérard Chabane sur l’absence d’homogénéisation des politiques nationales en lien avec le colbertisme et les évolutions éventuelles vers plus d’intégration.
Les leviers de la politique nationale ne lèvent presque plus rien dans un contexte de marché européen et mondial, car elle est restée étatique et donc locale.
Malgré cela, il semble qu’aucun des membres de l’UEM ne veuillent d’un peu plus de fédéralisme; Le conseil des ministres qui a l’initiative des directives, dont il demande la mise en œuvre au Président de la Commission, est particulièrement timide dans les propositions d’intégration. Trois faits peuvent faire évoluer les choses:
- La politique de POUTINE en UKRAINE qui peut fournir l’ennemi commun à l’Europe afin qu’elle se soude davantage. Par le sang et les larmes, on fait plus d’efforts de rapprochement.
- Le prochain Président de la Commission procèdera du Parlement et peut ainsi impulser une politique plus à l’écoute du bien-être de la population européenne, (même si en filigrane, les représentants des Etats imposeront leur Président).
- Une évolution de la Banque Centrale en transgression des textes: dans la zone euro existent 18 taux d’endettement différents, 18 taux d’intérêt différents et donc 18 motifs de spéculation. En rachetant en partie des dettes d’Etats et en émettant des Eurobonds, elle peut contribuer à mutualiser les dettes et induire une meilleure coordination des politiques économiques (ce qu’elle fait actuellement en douce).
Les institutions de l’Europe ne doivent plus apparaître comme des parangons de discipline qui ne font qu’empêcher, sanctionner et punir, quand on attend d’elles qu’elles construisent et portent. Ce n’est pas tant la fin de l’euro dont il s’agit, mais de le rétablir comme levier économique vers une homogénéisation. La BCE et la BEI ne doivent plus être entièrement indépendantes, car ce postulat investit le marché dans le rôle de coordonnateur infaillible quand dans le même temps aucune autorité politique supranationale ne dirige la politique et l’économie.
Enfin, les actuelles négociations commerciales transatlantiques qui visent à faire tomber les barrières douanières non tarifaires, vont peut-être susciter un sursaut face à l’invasion du marché européen annoncée! De plus, le seul objectif de confier les règlements des différends entre un Etat et des investisseurs étrangers à des arbitres de droit privé, devrait susciter des levées de boucliers et entraîner le recouvrement d’une part de souveraineté nationale ou supranationale.
Les avantages et les inconvénients d’une dissolution de l’Euro
Contribution de Jean au débat.
Les avantages d’une dissolution de l’Euro
Une sortie de l’Euro, = dissolution coordonnée de la zone Euro ou d’une sortie « sèche », aurait certains avantages pour les pays de l’Europe du Sud et en particulier pour la France. On a tenté d’en mesurer les effets dans un ouvrage publié en septembre 2013.
Tout d’abord, à travers une dépréciation du Franc retrouvé qui pourrait être de 20% à 30% (et tout concourt à penser qu’en réalité on sera autour de 20%) cela reconstituerait immédiatement la compétitivité des entreprises françaises, tant à l’export que sur le marché intérieur français. C’est le « choc de compétitivité » dont l’économie française et l’industrie en particulier ont besoin. Par rapport à cela le fameux « pacte de responsabilité » du gouvernement ne représente qu’une pichenette. Notons ici qu’une dévaluation de l’Euro, telle qu’elle est défendue par le Ministre de l’Économie M. Arnault Montebourg, n’aurait que des effets bien plus réduit. Elle ne jouerait que par rapport aux pays de la zone Dollar. C’est certes important, et le Ministère des Finances a calculé qu’une dépréciation de 10% entraînerait un gain de 1,2% à 1,8% de croissance du PIB. Ceci valide d’ailleurs les hypothèses de calcul qui ont été utilisées dans l’ouvrage paru en septembre[6]. Notons aussi que ces calculs donnent tort à tous ceux, et ils sont nombreux, qui prétendent que aujourd’hui la compétitivité n’est plus mesurée par le coût du produit.
Mais la France ne fait qu’environ 50% de son commerce international avec la zone Dollar. Le reste se fait avec la zone Euro, et concerne pour l’essentiel nos échanges avec l’Allemagne, mais aussi avec l’Italie et l’Espagne. C’est bien pourquoi une sortie de l’Euro serait bien plus avantageuse qu’une simple dépréciation de l’Euro. Les calculs qui ont été réalisés avec P. Murer et C. Durand montrent que dans une telle hypothèse, et en admettant que la dépréciation de la monnaie italienne et de la monnaie espagnole soit plus importante que celle du Franc, autrement dit en adoptant une hypothèse de dévaluations compétitives des divers autres pays de l’Europe du Sud, cela donnerait un coup de fouet impressionnant à l’économie française, entraînant une croissance – toute chose étant égale par ailleurs – de 15% à 22% sur une durée de 4 ans. Il faut ici signaler que non seulement l’industrie serait la grande bénéficiaire de cette dépréciation, mais que son effet bénéfique se ferait aussi sentir dans les services, soit dans les services associés à l’industrie soit dans des branches qui sont très sensibles à des mouvements de taux de change, comme le tourisme, l’hôtellerie et la restauration.
Un deuxième avantage induit serait une forte réduction du poids de la dette, sous l’effet des recettes fiscales engendrées par cette croissance. Il deviendrait possible d’alléger le fardeau de la fiscalité pesant sur les ménages et sur les entreprises. Dans les quatre années suivant la décision de sortir de l’Euro, nous verrions le poids de la dette publique passer de 93% du PIB à 80%-66% suivant les hypothèses. C’est bien plus que ce que l’on pourra jamais réaliser en restant dans l’Euro.
Un troisième avantage, est le plus important, serait de faire reculer massivement le chômage, et de créer en grande quantités des emplois dans l’industrie. Ici encore, il est estimé – sur la base des demandeurs d’emploi de catégorie A – que l’on aurait une création nette d’emploi de 1,5 à 2,2 millions en trois ans. Rapporté aux autres catégories utilisées par la DARES, le gain devrait être encore plus important car la croissance permettrait de pérenniser nombre d’emplois précaires. Si l’on considère le total des catégories A, B et D, le gain pourrait se monter de 2,5 millions à 3 millions d’emplois. Notons qu’un tel retour massif à une situation de plein emploi améliorerait immédiatement le financement des caisses d’assurance-chômage, mais aussi celles de l’assurance-vieillesse.
Les inconvénients potentiels d’une sortie de l’Euro
Une sortie de l’Euro et une forte dépréciation de la monnaie (le Franc) auraient aussi des inconvénients, qu’il ne faut cependant pas s’exagérer.
Tout d’abord, il y aurait une hausse des produits importés quand ils proviennent de pays par rapport auxquels le Franc se serait déprécié (Allemagne, pays de la zone Dollar). C’est d’ailleurs le but de toute dépréciation de la monnaie. Mais, cet inconvénient est fortement surestimé par des politiciens sans scrupules qui ne cherchent qu’à affoler la population pour défendre l’Euro. Ainsi, dans le cas des carburants, compte tenu du poids immense des taxes, une dépréciation de 20% du taux de change du Franc par rapport au taux actuel de l’Euro face au Dollar, ne provoquerait une hausse de 6% du prix à la pompe.
Il y a ensuite la dimension financière des conséquences d’une telle dépréciation. Regardons tout d’abord ce qu’il en est en ce qui concerne la dette publique. On sait que les Obligations émises par le Trésor public, quand elles sont émises depuis le territoire français, doivent être remboursées dans la monnaie ayant cours légal en France. C’est la seule obligation légale les concernant. Si cette monnaie n’est plus l’Euro mais le Franc, elles seront remboursées en Franc. Et, si le Franc s’est déprécié vis à vis de l’Euro les détenteurs étrangers d’obligations françaises prendront leurs pertes, tout comme un détenteur français de bonds du Trésor américain prend ses pertes quand le Dollar se déprécie fortement face à l’Euro. Cependant, il est clair que cela provoquera par la suite une hausse des taux d’intérêts (ce que l’on appelle dans le jargon financier une « prime de risque ») pour toute nouvelle émission. Mais, on peut parfaitement contourner ce problème. Il faudra réintroduire le mécanisme qui existait jusqu’au début des années 1980, et qui obligeait les banques françaises (ou toute banque souhaitant travailler en France) à avoir dans leur bilan un certain montant d’obligations du Trésor (mécanisme du plancher obligatoire des effets publics).
Pour les dettes mais aussi l’épargne des particuliers et des entreprises, comme cette épargne et ces dettes sont essentiellement détenues dans des banques françaises, il n’y aurait pas de changement. Il est ainsi criminel, comme le font certains politiciens tant de l’UMP que du PS, d’aller affirmer – en cherchant à affoler une nouvelle fois la population – qu’une dépréciation de 20% du Franc se traduirait par une perte de 20% de l’épargne. En réalité, et tous les économistes le savent, il n’y a de perte de valeur que dans la mesure où l’on achète, avec son épargne, des biens provenant de pays par rapport à la monnaie desquels le Franc s’est déprécié. Pour les achats réalisés en France, ou de produits (et de services) français, ce qui représente plus de 60% des transactions en volume, il n’y aurait aucun changement. De plus, certains pays ayant une monnaie se dépréciant plus que le Franc (l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce), l’épargne française verrait son pouvoir d’achat se réévaluer pour des opérations dans ces pays.
Le seul véritable inconvénient est une poussée d’inflation qui se fera sentir dans les 24 mois succédant à cette sortie de l’Euro et cette dépréciation du Franc. L’inflation induite par la dépréciation du France devrait être de 5% la première année et de 3% la seconde. Il faudra, pour y faire face, rétablir très probablement des mécanismes d’indexation des salaires et des pensions. Néanmoins, toute hausse de l’inflation, aura aussi pour effet de faire baisser mécaniquement les taux d’intérêts réels (par la différence entre le taux nominal et le taux d’inflation). Ceci pourrait avoir un effet très positif sur l’investissement des ménages et des entreprises. De plus, l’inflation efface mécaniquement une partie de la dette accumulée. Aussi, même la perspective de connaître à nouveau une période de relative inflation ne doit pas être vue comme uniquement un inconvénient, mais bien comme quelque chose qui pourrait être utile pour l’économie.
Il faut enfin ajouter que, bien entendu, des réformes sont nécessaires en France. Mais, tous les pays qui ont fait des réformes de profondeur l’ont fait APRÈS une forte dépréciation de la monnaie. Sortir de l’Euro, laisser le Franc se déprécier, cela peut être un premier pas décisif sur la voie des réformes.
Le risque politique d’une sortie de l’Euro
Le risque politique n’est pas à négliger, mais il convient de dire que le risque d’une séparation est d’autant plus facile à envisager qu’il est anticipé. C’est le paradoxe central d’une dissolution de la zone Euro. Personne ne veut, au niveau des gouvernements, l’envisager ouvertement. Pourtant, cette attitude est profondément autodestructrice. En effet, si cette dissolution pouvait se faire de manière coordonnée, le choc serait minime. Mais, le refus actuel des gouvernements à envisager cette solution ne laisse plus comme solution qu’une sortie de l’Euro par un ou deux pays (l’Italie et la France) entraînant à sa suite une désintégration générale de l’Euro qui pourrait prendre entre 6 mois et un an. Dans ces conditions, il est clair que les pays qui souffriront le plus seront ceux qui sortiront de l’Euro les derniers. Dans une telle situation, il y a en effet une prime au « premier sorti », qui bénéficie à plein de l’effet de dépréciation de sa monnaie. C’est d’ailleurs pour cette raison que dès qu’un pays important aura quitté l’Euro le mouvement de sortie deviendra rapidement irréversible. S’il s’agit de la France, l’Italie se verra obligé de nous imiter en quelques semaines. La sortie de la 2ème et de la 3ème économie de la zone Euro entraînera celle de l’Espagne (4ème économie), et en chapelet le Portugal, la Grèce, mais aussi la Belgique et les Pays-bas. Si l’Italie sort la première, la pression sur l’économie française deviendra telle que nous devrons nous aussi sortir dans les trois mois qui suivent. Quelle que soit l’origine, la chaîne des sorties successives sera activée et deviendra une réalité en moins de douze mois.
La dissolution de la Zone Euro, ou des sorties de certains pays, ont bien été étudiées dans de nombreux pays : Allemagne, France, Italie, Espagne et Pays-Bas. Toutes ces études mettent en avant le caractère positif d’une dépréciation du taux de change. L’obstacle se situe donc au niveau politique. Des études « privées » ont aussi été réalisées, et mon centre de recherches y a contribué[7]. Certaines de ces études ont été faites dans le but de discréditer une sortie de l’euro, et elles font état de résultats aberrants. Ainsi, l’Institut Montaigne envisage une chute importante du PIB sans donner d’indication sur le pourquoi ni le comment du calcul. Cela jette un grand doute sur certaines de ces études. On peut penser que les chercheurs supposent un effondrement du commerce à l’intérieur de la zone Euro. Mais, le retour aux monnaies nationales – qui est d’ailleurs largement anticipé dans nombre de banques et d’entreprises – ne compromettra nullement ce commerce, tout comme le passage à la monnaie unique n’a pas produit le surcroît de commerce et de croissance que certains prédisaient.
En ce qui concerne la fraction de la dette publique détenue par des « non-résidents », toutes les personnes interrogées, qu’elles appartiennent à des administrations ou à des banques privées, reconnaissent que le principe de la « Lex Monetae », soit le fait que la dette d’un pays, si elle émise dans ce pays doit être remboursée dans la monnaie du pays, que cette monnaie s’appelle l’Euro ou un autre nom (Franc, Lire Italienne, Pesetas espagnole…) s’appliquera. Il n’y aura pas d’espace pour des procès en droit international.
Reste alors un argument souvent évoqué : quel serait le poids d’un pays comme la France dans la « mondialisation » si nous sortions de l’Euro. Mais, cette mondialisation n’empêche pas la Corée du Sud (44 millions d’habitants) ou même Taiwan, de bien fonctionner. En Europe, la Suède et la Grande-Bretagne ne se portent pas plus mal de n’être pas dans la zone Euro. En fait, ceux qui tiennent ce discours sont les héritiers indirects du régime de Vichy, en ceci qu’ils ne font pas confiance en notre pays, en ses valeurs et en ses capacités. Il faut avoir confiance dans les points forts de la France, qui sont nombreux. Il est de plus important de préserver notre modèle social, qui fait désormais partie de notre culture politique ce que reconnaît le préambule de notre Constitution ce que l’on a trop tendance à oublier. De ce point de vue, la pratique du Conseil Constitutionnel a été honteuse dans l’accommodation à des règles étrangères.
Dire cela ce n’est nullement refuser de coopérer avec les autres pays d’Europe. Dire cela ce n’est nullement refuser de coopérer avec des pays européens qui ne font pas partie de l’UE comme la Russie qui est à la fois en Europe et en Asie. Dire cela, ce n’est nullement refuser de coopérer avec les pays d’Afrique. Aujourd’hui, l’Union Européenne fait obstacle à une vision plus large de nos coopérations. Où est l’UE quand la France s’engage au Mali ? Par contre, la Russie est pour le moment encore à nos côtés, et ce sont des avions russes qui assurent une bonne part de la logistique de nos opérations extérieures. Il faut en tirer les leçons, aussi déplaisantes qu’elles puissent être pour certains.
La posture de l’État-Nation est, par ailleurs, et il faut le rappeler sans cesse et sans faiblir, la seule à garantir la démocratie, car il ne saurait y avoir de démocratie sans souveraineté ni légitimité. Ici encore, qu’il s’agisse de raisons conjoncturelles, et ce sont des raisons importantes, ou de raisons de principe, il est clair que la France doit s’attacher à retrouver sa souveraineté.
De la solidarité entre les pays européens
C’est un véritable problème, mais il est très mal posé. Tout d’abord reconnaissons qu’avec une budget de l’UE égal à 1,26% du PIB, et dont une large partie est dévorée par la bureaucratie bruxelloise, cette solidarité ne peut être financière. On l’a vu avec le cas de la Grèce et de l’Espagne. L’aide n’a pas été fournie aux populations, mais aux créditeurs des banques et de l’État, soit avant tout aux banques françaises et allemandes. Il faut dire et redire ici que l’on a fait payer aux populations de ces deux pays le soutien à nos banques. Ni plus ni moins.
De plus, sans doute exige-t-on trop de la solidarité de peuples qui ne se connaissent que peu et mal. La solution du fédéralisme intégral doit être rejetée en raison de la charge financière qu’un tel fédéralisme ferait porter sur certains pays, comme l’Allemagne en particulier. Il n’est pas réaliste de penser que les Allemands pourraient contribuer à hauteur de 8% à 12% de leur PIB pendant plusieurs années aux budgets des pays du Sud de l’Europe. Cette solidarité doit donc être déplacée sur le terrain du politique et doit pouvoir s’incarner dans des projets, tant industriels que scientifiques, menés dans des cadres bi ou multilatéraux. Tel fut, il faut s’en souvenir, l’origine d’Airbus et d’Ariane.
Merci d'avoir lu.....
Café politique du 10 avril 2014
L’éducation est-elle nécessaire à la démocratie ?
De prime abord, cette question me semble être difficile à trancher et de nature à offrir des réponses contradictoires. En effet, le niveau d’éducation et la ‟grande culture” de l’Allemagne entre les deux guerres mondiales n’ont pas empêché la montée du nazisme. À l’inverse, le déficit de formation des catégories sociales défavorisées est susceptible d’induire des comportements manifestement néfastes à la démocratie, tels que la xénophobie ou l’homophobie. Le Parti Communiste apparaît également comme générateur d’effets antinomiques, en étant d’une part à la source d’une conscience politique dans le prolétariat, permettant à celui-ci de s’inscrire dans le jeu démocratique. Mais d’autre part, il a également été à l’origine d’un dogmatisme intransigeant au service de régimes totalitaires.
Alors, quelle est l’éducation indispensable au bon fonctionnement démocratique ?
Pour mieux analyser les conséquences de l’éducation dans ce domaine, il peut être utile de se référer à un exemple historique :
1 La démocratie grecque
Celle-ci s’inspirait de certains principes, dont le premier est celui d’isonomie c'est-à-dire d’égalité devant la loi et qui a pour corollaire une autre règle qui est ‟un homme, une voix ”.
L’éducation, dite civique, se doit bien sûr de promulguer son application, mais encore faut-il que le personnel politique y contribue par l’exemple qu’il fournit à la population, ce qui semble pour le moins douteux devant la multiplication des affaires ainsi que des formes de clientélisme et de favoritisme.
Le deuxième pilier de la démocratie grecque est formé par l’iségoria, qui correspond à l’égalité de temps de parole, tout aussi important que l’isonomie. Cette notion est d’ailleurs à rapprocher de ‟ l’agir communicationnel ” promu par Habermas.
Cette capacité à établir une délibération requiert certaines compétences :
- l’objectivation : s’en tenir aux faits, ce qui implique de savoir juguler les affects agressifs et violents.
- l’empathie cognitive : aptitude à comprendre le point de vue d’autrui et à émuler ses raisonnements.
- la formation des opinions : correspond à la faculté de juger selon Kant. Il ne s’agit pas d’une compétence scientifique, mais de la capacité à examiner les opinions en son for intérieur, de comparer les points de vue et de les tester mentalement en vue de se les approprier.
- la promotion des règles permettant un débat démocratique : elle se fonde sur l’aptitude à prendre la parole, à argumenter un point de vue et à écouter celui des autres. On voit ici l’importance de la rhétorique, déjà repérée par Aristote et qu’il convient de savoir maîtriser aussi bien que pouvoir en déjouer les pièges.
Par conséquent, le débat apparaît fondateur de la démocratie et selon Marcel Conche c’est par lui ‟que l’autre est reconnu comme notre égal en tant que sujet raisonnable”.
Quelles sont alors les aptitudes requises au bon fonctionnement démocratique ?
2 Les connaissances
À la suite de ce qui vient d’être énoncé, il apparaît qu’une bonne maîtrise de la langue et notamment de l’expression orale, s’avère indispensable. Ceci afin de pouvoir organiser ses idées, car comme le dit l’aphorisme de Nicolas Boileau ‟ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. ”, mais aussi dans le but de transmettre et de faire partager ses points de vue. Une certaine connaissance de l’art du discours ne semble pas superflue, en tant qu’il est à la source du jeu démocratique.
Ce savoir de base concerne plus particulièrement les migrants, dont l’apprentissage du français a été trop longtemps négligé. La maitrise de la langue du pays d’adoption est pourtant un facteur d’intégration, d’autonomie et d’émancipation. De plus, cette action favorise également l’assimilation des générations ultérieures.
En outre, l’exercice de la démocratie implique de posséder des connaissances scolaires de base, comme la lecture, l’écriture ou le calcul ; ne serait-ce que pour être en mesure de lire les bulletins de vote. Même s’il reste possible d’utiliser des couleurs ou des pictogrammes afin d’identifier les candidats, comme cela se pratique dans certains pays où l’illettrisme est important. Cela ne constitue que des mesures palliatives et une pleine participation à la vie politique ne peut s’envisager sans la maîtrise de certains acquis. La possession de la lecture est indispensable pour lire les programmes des partis politiques afin de participer à certaines activités de la vie publique et pour se prononcer lors de certains référendums. Savoir par exemple que la proposition 1 : 12 soumise à une votation en Suisse, signifie que l’échelle des salaires doit être réduite à un rapport de 12 entre la rémunération la plus élevée et la plus faible. D’ailleurs dans le domaine référendaire, les connaissances exigées pour émettre un avis sont parfois disproportionnées, comme cela a pu être le cas pour le Traité Constitutionnel Européen, celui-ci se révélant uniquement à la portée d’un juriste spécialisé.
De plus, la possession d’un socle minimal de connaissances constitue la base pour de nouvelles acquisitions prenant en compte les centres d’intérêt de chacun. Cet exercice permet le développement de compétences dans un domaine précis et tend à former des ‟citoyens-experts”. Cette connaissance approfondie évite d’abandonner le domaine de l’expertise aux seuls professionnels appointés par l’administration ou les grands groupes.
3 Les ‟vertus” démocratiques
L’harmonie et la cohésion sociales ne sont pas uniquement fondées sur des savoirs, mais également sur des compétences non cognitives comme :
- l’urbanité, la civilité, la bienséance : ce que George Orwell a appelé la ‟common decency”.
- la probité et la détermination de s’opposer à la corruption, sachant que cette dernière est certainement l’un des obstacles les plus sérieux à l’établissement de la démocratie.
- la tolérance et le respect des diversités.
- le sens de l’intérêt général et la capacité à pouvoir s’extraire de considérations uniquement personnelles.
La promotion de ces compétences peut être assurée par l’enseignement civique pendant la scolarité, mais il convient également d’établir un environnement social favorable à leur instauration. Cela consiste également à cesser de considérer la compétition, l’accumulation de biens matériels, le luxe ou le prestige comme les seuls objectifs dignes de considération et implique une régulation des affects ainsi que l’aptitude à se distancier. C’est en ce sens que Fabrice Midal peut affirmer que la méditation d’inspiration bouddhiste est utile à la démocratie.
4 Formation permanente
L’éducation favorable au système démocratique et bien sûr le fait de l ‘enseignement scolaire, notamment par l’éducation civique mais aussi par les valeurs transmises par le milieu familial. Elle comporte de plus une composante de formation permanente s’adressant aux citoyens adultes. Cela rejoint le sens même du verbe former, c'est-à-dire : modifier le comportement. Dans le cas de l’adulte cela consiste en une autopoïése, qui se définit comme la capacité d’un système à assurer lui-même son processus de formation. Il en découle le développement d’une représentation personnelle du monde.
La formation permanente pour adultes présentes certaines spécificités :
- de comprendre les raisons de la formation.
- de savoir pour assimiler. Les objectifs doivent être clairement exposés et les thèmes présentés logiquement.
- de s’appuyer sur l’expérience et de prendre en compte les connaissances antérieures. L’adulte est plus critique que l’enfant et oppose plus de résistances, en conséquence l’enseignement doit être capable de se montrer interactif et d’utiliser les acquis antérieurs.
CONCLUSION :
L’éducation à la démocratie ne peut s’envisager comme une simple transmission de connaissances, mais elle consiste à favoriser :
- d’une part, le développement d’un savoir-être impliquant personnellement le citoyen
- et d’autre part, la création d’un environnement favorable à cet apprentissage.
Il en ressort également que si une certaine éducation est nécessaire au développement démocratique, ce n’est pas le cas de tout type de formations, en particulier celles aboutissant au niveau culturel le plus prestigieux.
Jean-Brice JOST
****
Y a-t-il une démocratie sans éducation des citoyens?
Après l’exposé de Jean-Brice, le débat s’ouvre.
1) Quelques constats de déficit de formation des citoyens en démocratie.
• Historiquement, nous pouvons nous référer au suffrage de 1848, mise en pratique du suffrage universel masculin, qui élit Louis Napoléon BONAPARTE avec 75% des voix.
En deuxième position, arrive CAVAIGNAC, un des acteurs de la répression des Communards en 1870! Cela peut suggérer que la masse des votants est alors peu consciente des enjeux du vote. Les lois FERRY sur la scolarité gratuite et obligatoire n’interviendront qu’en 1881.
• Dans la Grèce ancienne, le procédé considéré comme le plus démocratique par ARISTOTE est le tirage au sort même si pour atteindre les fonctions les plus prestigieuses, c’est l’élection qui prévaut.
• Actuellement, en France, le rapport PISA montre une dégradation progressive du niveau de compétence des élèves français depuis quelques années qui se conjugue avec une augmentation des inégalités: les meilleurs élèves préservent leur niveau alors que les élèves en difficulté régressent. Pourtant, la prudence est de mise car l’étude des archives concernant le niveau en langue des Français en 1914 démontre qu’il est loin d’être aussi bon que l’opinion le dit! Les jeunes actuels seraient mieux formés que la génération de 1914.
• Constat est fait cependant de l’abstention grandissante lors des élections chez les jeunes qui se détournent de la politique et de la recrudescence du vote blanc pour les mêmes raisons chez les plus âgés.
• A contrario, un intervenant évoque la Constitution de 1911, octroyée dans le cadre du IIème Reich aux Alsaciens-Lorrains. Elle donne aux citoyens la possibilité de gérer les finances et de voter le budget régional, même si le Kaiser garde un fort pouvoir de contrôle. Le taux de participation aux élections de cette nouvelle assemblée atteint 80%, bien plus que pour les élections au Reichstag. Cela démontre que si le citoyen est sollicité pour la gestion de ses intérêts de proximité, il fait preuve de maturité politique.
Vers 1900, le tirage des journaux en Alsace-Lorraine augmente fortement ce qui suppose qu’il y a beaucoup de lecteurs. Les lois sur la scolarité obligatoire dans cette province ont devancé de 10 ans les lois françaises.
2) Pourquoi l’éducation des citoyens est-elle si complexe en France?
a) Il y a une sorte de «fatigue de la démocratie» alimentée de différentes manières:
• dans le cadre familial, souvent le débat disparaît et les échanges s’amenuisent,• l’individualisme gagne du terrain dans l’ensemble de la société. Il existe peu de petits groupes sociaux qui favorisent l’expression démocratique,• enfin l’école a du mal à assumer son rôle de formation des futurs citoyens.
a) L’école française reste élitiste. Ce modèle ne s’accorde pas avec le modèle démocratique, alors qu’en Scandinavie, en Finlande, en particulier, les inégalités scolaires régressent.
• Il y a un déficit d’enseignement de certaines disciplines (hors des filières spécialisées)qui permettent de comprendre le monde contemporain comme l’économie par exemple.
• La part de certaines périodes historiques dans les programmes démontre une orientation idéologique: par exemple le peu de cas fait du XIXème siècle ou de l’étude de la Commune de Paris (1870).
• Les méthodes pédagogiques ne favorisent pas toujours l’exercice de l’esprit critique.
b) Les structures collectives ne jouent plus le rôle de formation des citoyens.
• Le rôle d’encadrement éducatif du Parti Communiste, des associations, des syndicats, a beaucoup diminué. L’éducation populaire semble en panne.
• «On a perdu ces liens collectifs qui permettaient de parler et d’expérimenter différents types de procédures démocratiques en lien avec l’évolution économique» dit une intervenante.
c) Les média ont souvent un rôle de désinformation.
d) La globalisation peut jouer un rôle destructeur• Le citoyen peut arriver à se détourner de toute formation civique en voyant des groupes de pression à l’œuvre au niveau international, groupes de consultants qui conseillent les Etats (par exemple, le groupe MCKINSEY).
1 D’après Wikipédia, MCKINSEY compte parmi ses clients 93 des 100 premières entreprises mondiales, ainsi que plus de 50 gouvernements. Elle comprend plus de 8000 consultants de 117 nationalités différentes. Présente en Europe, elle exerce son activité dans 25 pays. Le bureau parisien compte actuellement environ 300 consultants.
e) Il semble qu’une minorité riche, formée, intelligente, ait intérêt à maintenir l’ensemble des citoyens dans l’ignorance.
Si l’on suit ce que dit René GIRARD «le peuple est violent parce qu’il est envieux». Par ces propos, GIRARD contribue à mettre en scène une tyrannie douce exercée par une élite qui sait où elle se dirige alors que le peuple est un grand troupeau aveugle et ignorant. Nous assisterions à la reproduction de la domination d’une caste sur la multitude.
3) Quelles solutions face à ce déficit de formation des citoyens?
• Réhabiliter le courage politique pour redonner le goût de la cité.
• Réfléchir sérieusement à ce qu’exige l’exercice démocratique. «En monarchie héréditaire un jeune souverain est préparé à ses fonctions. En démocratie, nous sommes tous de futurs souverains représentés. Quelle formation avons-nous?», nous dit un intervenant.
• Il faudrait une formation qui suive trois directions:
- savoir s’émanciper de ses appartenances locales
- se former aux garanties de la poursuite du bien commun (garantie des institutions, des procédures démocratiques, de la séparation des pouvoirs, de la liberté de presse, de la multiplicité des partis politiques)
- savoir choisir ses représentants de la même manière que dans les entreprises les dirigeants sont formés à choisir leurs collaborateurs. Ces choix s’inscrivent en fait dans la pratique d’un débat démocratique argumenté.
- Alexandre JARDIN explique que la société civile a une expertise que n’a pas la classe politique et qu’il conviendrait de la valoriser.
- Les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle de formation de l’opinion à définir.
Conclusion.
Nous n’avons pas proposé beaucoup de pistes pour sortir de l’impasse de désaveu du politique et du fonctionnement démocratique actuel. Une piste pour l’enseignement serait par exemple de travailler la prise de parole avec les élèves, sachant que quand la parole ne s’exprime pas, c’est la violence qui peut prendre le relais ... Près de 30% des Français
aujourd’hui, a peur de prendre la parole en public. Cette carence laisse la place à la parole de dictature et de séduction.
Quelques réflexions sur notre sujet de la démocratie
Par Gérard Chabanne
. Risques de la réforme territoriale : en supprimant l’échelon départemental, voire également le régional en partie, les candidats seront de plus en plus éloignés du « local » et ne seront ni visibles, ni lisibles. On devra imaginer des relais puissants au plus près du terrain.
. Conviendrait-il de rationaliser le système électoral en regroupant les votes :
élections législatives couplées avec les européennes sur le même bulletin. Aux Usa lors des votes, sont regroupés la désignation du juge, du shérif...........auxquelles peuvent s’ajouter de petits référendum sur les questions locales.
. Pour faire vivre la démocratie locale, ne pourrait-on pas défrayer les participants aux Comités de quartier (COQ) ? Publier leurs délibérations, faire connaître les bonnes pratiques et les idées intéressantes et exportables ?
. Le conseil municipal des jeunes initié à Schiltigheim peut-il encore faire tâche d’huile comme école de la démocratie?
. Découpler nettement l’élection locale et nationale en termes d’information, ne pas en faire le baromètre du rejet ou de l’adoubement du gouvernement ou du Président élus précédemment. Les médias ont une lourde responsabilité en ce domaine, ils devraient être contrôlés ou respecter une charte.
. Donner une mission aux partis de former leurs adhérents, comme le faisait le Parti Communiste auparavant ; je suis allé quelquefois à l’école de Parti le jeudi. Mais cela demande une démarche d’initiative des intéressés
. Mettre les régions en compétition en favorisant le droit à l’expérimentation locale, au risque du traitement inégal des citoyens sur le territoire de la Nation ; mais le RSA ou l’APA sont bien budgétés par les départements avec des politiques locales adaptées.
. Encourager le vote par des mesures fiscales (abattement forfaitaire si vote) ou des pénalités.
. Les cours d’instruction civique à renforcer en plus de l’enseignement de l’Histoire ; avant la FAC, je ne savais pas comment fonctionnait une élection municipale ou législative, ni les pouvoirs d’un conseil municipal ou général.........je ne savais même pas ce que signifiait le N° de sécurité sociale.
. L’idée politique a du mal à être diffusée, j’en veux pour preuve qu’aux municipales on a voté pour des cache-nez, le parme pour les socialistes, le vert, le mauve pour l’UDI..........
. Un moyen radical de revivifier la démocratie c’est de résorber la crise économique ; un jeune sans emploi, un vieux avec une faible retraite qui diminue, sentent qu’on se désintéresse d’eux et ne s’intéressent donc plus à la politique ; un retrait désespéré.
. Montrer que le déterminisme économique n’efface pas le politique ; se réfugier derrière la mondialisation, derrière les directives de Bruxelles, céder devant les lobbies au Parlement européen.....installent l’idée de l’impuissance à régler les problèmes au niveau national ou local. Paradoxalement, le régime nazi se faisait fort de changer les choses : dé-métisser pour refaire une race pure, rétablir des frontières, redonner du travail en œuvrant pour la guerre, recueillir l’adhésion des industriels et des banquiers pour la cause du national-socialisme....
. Redonner de l’efficacité à l’ascenseur social pour que les plus modestes ne soient pas condamnés à prendre l’escalier ; cela permettra de résister à l’idée de fatalité de sa condition sociale quand les temps sont durs et de réduire le sentiment que cela ne servira de toute façon à rien de voter. Pourtant, dans la mesure où nous n’avons pas 3 % de croissance l’an, l’Etat et les collectivités locales seront amenées à réduire les prestations sociales ou de chômage ; pour cela il faudra trouver un consensus autour de cette cause nationale, si le sentiment d’équité semble respecté.
. Certains sont condamnés à vivre dans le « ressentiment » du laissé-pour-compte, et surtout on renforce son sentiment d’inutilité en le vouant à l’assistanat que l’on présume être de son fait ! S’il réclame des droits on le soupçonne de vouloir la gratuité et de désirer ce que les plus aisés ont ! La dignité économique retrouvée permettrait de recouvrer la dignité de citoyen vers les urnes.
. Pendant la campagne électorale, en faisant du porte-à porte, j’ai constaté que pas mal de jeunes s’apprêtaient à voter Front national ou à voter blanc comme un geste de défi à la démocratie économique et sociale qui les laisse au bord du chemin. Mon argument quant à leur vote blanc qui valait consentement par omission à l’un ou l’autre des candidats qui l’emporterait, ne pesait rien.
. Faudrait-il instituer un compte-rendu des élus en cours de mandat envers leurs administrés ? Un genre de mandat impératif, qui éviterait les promesses hasardeuses lors de la campagne ; en outre la démocratie municipale ne serait plus réduite à mettre un bulletin dans une urne tous les six ans.
. Evaluer la communication politique actuelle, nous recevons le bulletin du Conseil Général, de la Région........mais est-ce encore pertinent ? Combien lisent ces brochures ? peut-être une lettre personnalisée à chaque administré, cela doit être possible avec l’informatique.
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Café politique 20 février 2014
Le langage des politiques
Introduction.
Il est intéressant d’analyser le lien entre langage et pouvoir en politique et de se demander dans quel contexte le langage des politiques s’inscrit aujourd’hui.
Il est clair que le langage en politique n’a pas exactement le même rôle que le langage que nous utilisons dans nos échanges quotidiens. Si le discours, d’une manière générale, rend possible, justifie et transforme les rapports sociaux, le discours politique, en particulier, rend possible, justifie et transforme l’action politique. Parler en politique, c’est le plus souvent tenter de convaincre l’autre pour le faire agir dans le sens qui nous paraît utile. « Le discours politique met davantage en œuvre une visée d’incitation à penser et à faire qu’une visée de démonstration»1. «Ce n’est plus la pertinence qui donne à la parole publique sa validité, mais la plausibilité».2
L’exercice du pouvoir est ainsi devenu un exercice de communication. Le langage sert souvent d’outil de mise en scène ou de travestissement de la réalité comme le démontre l’ouvrage de Guy ACHARD3. Nous nous intéresserons à l’analyse de ce qu’il nomme une nouvelle rhétorique pour tenter de décrypter le langage des politiques. «Nous chercherons à débusquer les moyens souvent sujets à caution que l’on doit repérer si l’on veut essayer de juger objectivement des faits et des sentiments».4
Le contexte historique dans lequel nous vivons n’est pas étranger à cette nouvelle rhétorique. Bruno BERNARDI, dans une récente émission de France Culture5, nous invite à réfléchir au fait que depuis la chute du Mur de Berlin, notre rapport au temps a changé.
Nous ne nous projetons plus dans l’avenir, nous ne percevons plus le présent comme un horizon d’attente, vecteur de progrès. La modernité nous avait fait concevoir le présent comme prévoyant l’avenir (dimension cognitive), comme préparant l’avenir (fonction technique) et comme maîtrisant l’avenir (fonction pratique). Maintenant nous vivons dans une sorte de présentisme qui privilégie la gestion, la régulation et la gouvernance d’un présent sans avenir énoncé.
La question qui se pose est de savoir si une société peut vivre sans désir, sans attente de quelque chose qu’elle n’est pas.
Le langage des politiques de ces dernières années est le corollaire de cette vision du temps, de ce présentisme. Il subit des contraintes particulières.
1) Contraintes de la parole politique.6
• Contraintes de simplicité.
L’homme politique doit être le plus grand dénominateur commun des idées du groupe auquel il s’adresse. Il se doit de simplifier les idées et le raisonnement. Il s’agit d’abandonner la rigueur au profit de la force. Il ne s’agit non pas de vérité, mais de véracité. Dire non pas ce qui est vrai mais ce que je crois vrai et que vous devez croire vrai. Par exemple Jean-Marie LE PEN nous dit dans son discours du serment de Reims:
«Le traité de Maastricht donne le droit de vote aux étrangers et par là même à tous ceux qui arriveront légalement ou illégalement à traverser nos frontières».7
• Contraintes de crédibilité
Elles conduisent le sujet politique à se fabriquer une image de soi crédible:
- ethos de lucidité: «J’ai conscience que...»
- ethos d’engagement: «Je vous ai entendu, et je m’engage à changer les données de la politique»
- ethos d’autorité: «C’est en tant qu’élu, représentant du peuple, que je demande la mise en examen du Président de la République..»
- ethos de vertu: «Vous me connaissez, tous ceux qui me connaissent savent que je n’ai jamais cherché à m’enrichir personnellement».
• Contraintes de dramatisation.
Pour émouvoir le public:
- « DE GAULLE ou le chaos».
- «Il y en a qui vous recommande l’abstention. Est-ce qu’ils n’auraient aucun avis sur l’Europe?»
2) Analyse de certains procédés rhétoriques utilisés par les politiques à partir de l’ouvrage De Guy ACHARD.
• Critiquer
Les figures de mots jouent un rôle essentiel dans la critique de l’adversaire:
- les similitudes de finales avec un effet sonore qui se retient bien: pour les municipales, Philippe DOUSTE-BLAZY, n’étant pas persona grata à TOULOUSE, un journaliste lance : «Allez ouste, Douste!».
- la gradation: on reprend un mot que l’on renforce: Eric WOERTH, le 29 janvier 2008:
«Le président quand il dit que les caisses sont vides, a raison. Les caisses ne sont pas vides, elles sont plus que vides. Elles sont en déficit de 38 milliards.» (figure très prisée en rhétorique ancienne).
- les jeux de mots: André VALLINI note, début 2008, après les voeux du président de la République: «Le premier janvier c’est l’interdiction de fumer mais pas celle des discours fumeux». Ces jeux de mots sont davantage utilisés dans les meetings: ils créent une complicité avec l’auditoire.
- la périphrase: le président du Front National est sans cesse présenté comme le «leader de l’extrême droite». On cantonne ainsi un chef de parti à la tête d’une frange limitée du public.
- le crochet: sans attaquer nommément l’adversaire pour ne pas lui faire de publicité, celui-ci voit bien qu’il est concerné, procédé semble-t-il plus utilisé par les femmes !
- en rester à des généralités pour éviter une attaque frontale: cela a les mêmes effets que le crochet.
- l’imprécision de l’épithète: procédé habile qui évite une attaque trop ciblée et est susceptible d’interprétations multiples: un élu régional constate début mai 2008: «La nouvelle ligne de tramway de la communauté urbaine a été tracée pour des raisons électoralistes.»
- l’implicite: le chômage étant de 6% dans la partie flamande mais de 17% dans la partie wallonne de la Belgique, les Flamands ne dénoncent pas explicitement le scandale qu’il y a à leurs yeux, à payer des indemnités aux Wallons quand eux-mêmes font le maximum pour travailler, mais posent la question très générale des problèmes de l’emploi dans le pays. Ce détour leur évite de reprocher ouvertement à leurs concitoyens de ne pas faire assez d’efforts pour tenter de sortir du chômage.
- Si ce sont des groupes qui méritent la critique, on s’en prend à des cibles très générales, voire à des cibles abstraites ou à des cibles virtuelles: par exemple un élu écologiste fustige les «automobilistes», accusés de pollution. Chaque automobiliste peut penser qu’il conduit écologiquement... L’opposition s’en prend à l’Etat.
- Le harcèlement.
- La patelinerie : l’homme politique qui dispose d’un grand pouvoir laisse répandre dans les media des propos lénifiants sur son adversaire tout en activant secrètement des armes contre lui. L’opinion ne peut ainsi retenir que l’indulgence apparente et ne pas établir de rapport avec les ennuis qui tombent sur son ancien rival.
- Une habile ordonnance consiste à placer en dernière ligne du débat la pointe la plus acérée: les joutes avec la droite populiste se terminent souvent par une question sur le racisme ou sur les thèses révisionnistes concernant la seconde guerre mondiale.
- L’antithèse, arme puissante déjà employée en Grèce et à Rome: «Vous, les honnêtes gens, vous êtes inquiétés par l’autorité, vous êtes en butte aux tracasseries de l’administration et de la police, alors que les délinquants se pavanent sans crainte et narguent même les forces de l’ordre».
- La négation de la conviction: on attribue les actions d’un groupe ou d’une personne au seul intérêt. L’adversaire est accusé d’instrumentaliser une opinion ou une personne.
- La diabolisation: certains mots sont chargés d’un poids terrible comme «intégriste», «gauchiste», «populiste», «islamiste»... Ces mots s’opposent à un autre vocabulaire comme «progressiste», «réformateur», «responsable», «réaliste»...
Ces mots guillotines sont souvent aggravés par des adjectifs olfactifs: «nauséabonds», «sulfureuses»... Notons aussi le vocabulaire médical: la droite nationaliste autrichienne a effectué une «progression cancéreuse».
• Exhorter
Comment inciter l’électeur à voter pour vous?
- L’utile.
- Le miroir aux alouettes, par exemple la suppression de la carte scolaire ou le Grenelle de l’environnement dont les mesures s’avèrent bien trop onéreuses pour être réalisables.
- L’exploitation des passions de l’auditoire.
- Le slogan, courte phrase, facile à retenir: «La force tranquille», «Ensemble tout devient possible», «Travailler plus pour gagner plus»...
• Avant l’action
- L’effet d’annonce.
- Les fuites organisées.
- Le ballon d’essai: on teste les réactions, on habitue un peu au pire les futures victimes de la mesure et on peut par la suite faire admettre une réforme plus timide qui paraîtra aux yeux des «réformés» un moindre mal...
- La création de mots: un ministre parle de «flexisécurité» pour décrire une réforme qui veut associer la sécurité de l’emploi et une fluidité plus grande du marché du travail.
- User du dilatoire: on annonce solennellement une mesure dont l’exécution se fera dans un délai très éloigné.
- La répétition : la répétition est une arme efficace. Carthage a finalement été détruite!
• Dans l’action: éluder ou déguiser.
- Le silence: taire les points qui peuvent susciter des difficultés.
- L’euphémisme: ce procédé consiste à employer un terme ou une expression adoucie ou atténuée dans tous les domaines, de la justice, de la violence, de l’économie...
Prenons le domaine judiciaire: la «délinquance» a remplacé les crimes et les délits, l’inculpation s’est métamorphosée en «mise en examen», l’emprisonnement provisoire est devenu «garde à vue».
En politique extérieure le tiers-monde a fait place aux «pays en voie de développement» puis «aux pays émergents». En économie, au lieu de parler de récession, on parle de «croissance négative» (Jérôme CHARTIER, le 2 février 2008).
Dans le domaine social, le dégraissage de la fonction publique devient «droit à la mobilité», «refondation de la fonction publique».
- La diversion: par habileté ou par crainte d’opposants ou de lobbies on s’écarte du sujet ou on détourne les points délicats. Dans un lycée, pour dissuader les élèves de salir le salles, on n’invoquera pas nécessairement la discipline, mais le travail supplémentaire imposé aux agents de surface..
- Le rejet de l’argumentatif: on préfère simplifier les choses plutôt que de présenter un bilan argumenté, et jouer sur les passions plutôt que sur la capacité de réflexion. Le politique exagère un des traits caractéristiques du langage actuel, la disparition de l’appareil logique: les «donc», «en effet», «ainsi» sont jugés trop lourds!
- La réduction de l’adversaire: lors de troubles dans les banlieues, un député français tente de rassurer ses auditeurs: «Les trublions qui agitent les banlieues ne sont qu’une infime minorité au regard des gens qui ont une attitude citoyenne.»
- La dissolution des problèmes dans une sorte de nébuleuse: le président de la République veut lancer une «politique de civilisation».
- La simplification: procédé redoutable: un ministre annonce 25000 reconduites à la frontière en 2007 sans préciser que dans ces renvois, il y a un nombre considérable de Comoriens réfugiés à Mayotte.
- Les chiffrages souvent flous.
- Le double langage: le Premier ministre dit que «l’Etat est en faillite» et cinq jours plus tard, le même Premier ministre et un conseiller du président (Claude GUEANT) assurent qu’il n’est pas question de mettre en oeuvre un plan d’austérité. Moins d’un mois après est lancé un énième plan de banlieue de plusieurs millions d’euros. Autre exemple: à propos du traité européen rejeté par le corps électoral, le Premier ministre assure: «Ce fut le choix des Français et ce choix devra être respecté», et s’active pour mettre en place un nouveau traité qui n’est pas soumis au peuple! Ce double langage montre l’ambivalence de toute chose en politique et peut faire office de ballon d’essai.
• Dans l’action: se défendre et attaquer.
- La rafale: accumuler les annonces
- La modification formelle: on change une appellation sans que la chose qu’elle désigne soit modifiée fondamentalement. Une ministre annonce que la police de proximité dans les banlieues à risques, que le président lui-même a supprimée, sera remplacée par «la police proche des gens» ou «les unités territoriales de quartier» janvier 2008.
- Pour faire patienter, la citation peut servir: Brice HORTEFEUX cite la formule de l’Ecclésiaste: «Il y a un temps pour semer et il y a un temps pour récolter.»
- La compensation: un ministre renvoie dans leur pays des clandestins mais annonce simultanément: «Je suis favorable au vote des étrangers.»
- La banalisation: le phénomène qui paraît nouveau a en fait toujours existé. Par exemple: «Les violences scolaires ne sont pas un phénomène récent concentré dans les ZEP (...) elles ont toujours existé même dans les établissements huppés».
- La comparaison: ce procédé relativise les aspects plus ou moins fâcheux d’une situation.
- Le vocabulaire du transitoire: le mot «crise» a été sans cesse utilisé depuis septembre 2008 pour peindre des phénomènes économiques de grande ampleur, causés manifestement par une organisation sociale défectueuse et un mauvais fonctionnement de la finance.
- Les sondages: la définition du thème, la nature et le libellé des questions posées, la présentation par le medium ne peuvent pas ne pas être porteurs d’intentions particulières! La validité même du procédé se conteste, car souvent seuls les esprits dociles acceptent de se plier sans discussion à un questionnaire peu ouvert. Les sondages photographient ainsi une opinion plutôt conformiste.
- L’exutoire conjugué à l’ordonnance: laisser les objections s’exprimer pour pouvoir d’autant mieux canaliser l’opposition des citoyens.
- Le mensonge: on affirme une chose dont on sait qu’elle est fausse.
- La défense minoritaire: peut être utilisée par des «groupes communautaires» qui mettent en avant l’aspect discriminatoire.
3) Un exemple d’analyse de discours politique: analyse du plaidoyer de BILL CLINTON dans l’affaire LEWINSKY.8
Le lundi 17 août 1998 depuis la Maison Blanche, Bill CLINTON faisait une déclaration télévisée sur son témoignage par liaison vidéo devant un grand jury.
L’enjeu de ce discours était, à l’époque où il fut prononcé, d’une importance évidente.
Sans le soutien de l’opinion publique, après un interrogatoire humiliant par le grand jury, Bill CLINTON n’aurait pu achever son mandat.
On peut légitimement faire l’hypothèse que ce plaidoyer a fait l’objet de soins rhétoriques particuliers. Après les sondages des chaînes de télévision, 65% des téléspectateurs font à nouveau confiance à CLINTON pour continuer son mandat.
L’intérêt est d’analyser les procédés utilisés pour arriver à ce résultat. (Voir documents d’analyse en annexe).
En conclusion, nous pourrions réfléchir avec le philosophe Bertrand MEHEUST au fait que toute cette rhétorique pourrait faire sourire si elle ne masquait pas des questions primordiales pour notre vie sociale, en particulier un certain effondrement écologique global sans cesse euphémisé par des oxymores: «Développement durable», «croissance négative», «marché civilisationnel», «financiarisation durable», «flexisécurité», «offre d’emploi raisonnable», «vidéoprotection», «décélération de la décroissance», «mal propre», ...L’oxymore rapproche deux réalités contradictoires. Il est utilisé par nos politiques pour masquer une réalité à laquelle nous ne faisons plus face: la biosphère ne pourra plus longtemps supporter une croissance continue sans s’effondrer. Les oxymores nous rendent inaptes à penser en nous mettant dans un climat d’injonction paradoxale en répandant comme un poison social. Il s’agit ici d’une novlangue libérale qui masque la réalité:
«Le mot «durable» est devenu une clé de la communication, une sorte d’incitateur positif, censé déclencher le réflexe de consommation. Les banque proposent à leurs clients un «livret de développement durable». On ne parle plus de politique, mais de «gouvernance». On ne parle plus de rigueur, mais de «gestion rationnelle de l’Etat».
Comme la banquise porte la marque des variations climatiques, la langue porte-t-elle la marque des affaissements de la civilisation?».9
ANNEXES
Autres procédés rhétoriques décryptés par ACHARD
Sur le thème d’exister et de rassembler
- l’autoportrait consiste à dresser le portrait du chef souhaité qui vous ressemble à s’y méprendre: voir CICERON, dans son ouvrage sur la République qui dresse le portrait du futur dirigeant de Rome qui correspond à sa personne
- le procédé oratoire de la division: annoncer le plan que son discours va développer pour montrer ses capacités intellectuelles: «Sur ce point, je suis réservé pour trois raisons...». Le nombre de trois était déjà capital dans la rhétorique ancienne.
- L’abus d’autorité: l’homme politique annonce des mesures qui ne correspondent pas à son pouvoir réel (exemple en 2010, le président de la République veut que la nationalité française puisse être retirée «à toute personne d’origine étrangère qui aurait porté volontairement atteinte à la vie (...) d’une personne dépositaire de l’autorité publique». Or la question de la déchéance de la nationalité ne peut être que tranchée que par le Parlement à condition que cette mesure ne soit pas anticonstitutionnelle.
- Se livrer à des duels virtuels, dans la mesure où dans un système de bipartisme, il faut majorer les antagonismes.
• Sur le thème de louer et d’excuser
Pour donner une image pondérée des dirigeants politiques, plusieurs méthodes:
- l’éloge pondéré pour donner une image objective en introduisant quelques éléments critiques. Un député de la droite parlementaire dit : «Nous devons soutenir ce président qui fait tant pour redresser la France, même si nous ne sommes pas toujours d’accord avec sa méthode».
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1 Patrick CHARAUDEAU, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Vuibert, 2005.
2 Christian SALMON, Verbicide, Babel, 2007, page 16.
3 Guy ACHARD, La com’ au pouvoir, fyp, 2011.
4 In Introduction du livre de Guy ACHARD.
5 Les Nouveaux Chemins de la Connaissance, le 29 janvier 2014, Année 2013: Elections, sondages: l’exercice du pouvoir rend-il forcément impopulaire?
6 Idées tirées de l’ouvrage de Patrick CHARAUDEAU, Le discours politique. Les masques du pouvoir, paru en 2005 chez Vuibert et reprises dans sa conférence : Le discours politique ou le pouvoir du langage, consultable sur Internet.
7 «Discours du serment de REIMS», Présent, 11, 12 et 14 septembre 1992.
8 Jean-Paul LAURENT, Quand dire c’est plaire, Diptyque, Namur, 2010, page 49 à 63.
9 Bertrand MEHEUST, La politique de l’oxymore, La Découverte, 2009, pages 147, 148.
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Café politique du jeudi 20 février 2014
Le langage des politiques
Après l’exposé de Geneviève, le débat s’ouvre sur la rhétorique politique.
1) Comment définir la rhétorique en politique hier et aujourd’hui?
• Dans l’Antiquité la rhétorique se définit comme l’art du discours et de la conviction développé par les Grecs. C’est ARISTOTE, qui le premier, a théorisé la rhétorique. Pour lui, le discours présente trois caractéristiques:
- le logos: la logique obéit à des règles
- l’ethos qui se rapporte aux mœurs, donne un exemple comportemental et a trait à l’éthique
- le pathos qui recourt aux émotions.
• Aujourd’hui: cette rhétorique a subi une forme de déconstruction en grande partie sous l’effet des media.
Si l’on se réfère aux discours de PETAIN et de DE GAULLE, nous constatons qu’ils sont très différents des discours politiques actuels. Aujourd’hui, des spécialistes de la communication interviennent et modifient la rhétorique. Ils s’attachent à créer une novlangue.
Un intervenant nous explique qu’il a travaillé dans ce registre auprès de Charles PASQUA et de Simone VEIL. Il se qualifie lui-même de «logocrate». Deux contraintes pèsent sur le discours politique actuel:
-la contrainte de l’amoindrissement: on ne dit plus les vieux, mais les seniors, on ne dit plus : «Vous êtes un menteur», mais «Vous dites des contre-vérités».
- la contrainte du temps: la pensée fabriquée doit être très rapide et n’a pas le temps d’expliquer les situations, d’où l’usage des slogans. PASQUA disait: «Il faut terroriser les terroristes».
- La création de ce métalangage touche aussi le domaine économique, par exemple les serveurs de crème glacée HÄAGEN-DAZS sont formatés pour prononcer des paroles bien précises devant leurs clients comme: «Bonne dégustation». Dans la téléphonie mobile, le répondant à votre demande doit toujours parler au présent et non pas dire qu’il va s’occuper de votre dossier. Le futur est ainsi banni du discours.
- L’euphémisme devient la règle, qu’il soit utilisé de façon conjoncturelle dans le débat contradictoire ou-bien de façon structurelle dans le discours en général.
- Il existe même des études utilisant les neurosciences pour arriver à mieux convaincre:
C’est le neuromarketing.
• L’homme politique a une position particulière qui conditionne son discours:
- il s’adresse à la plus grande majorité
- il parle du destin du pays
- il emploie le tragique pour montrer la grandeur de sa tâche
- il doit donner le sentiment que son action va réussir
- il doit recueillir l’adhésion.
(Voir dans le texte joint de Gérard comment le langage du IIIème Reich a réduit l’homme à un rouage).
2) Comment l’électeur reçoit-il ce nouveau discours politique?
• Un nombre grandissant de personnes désavoue ces procédés rhétoriques manipulateurs et les hommes politiques français sont qualifiés de «renards» par certains.
• La question complexe est de se demander si les électeurs se reconnaissent dans ce langage. Ils ont élu les hommes politiques, ont délégué leur pouvoir et pourtant rejettent généralement cette langue tout en la reprenant en écho sous l’influence des media.
• Le discrédit dont la rhétorique politicienne fait l’objet est en fait étroitement lié aux échecs répétés de la classe politique française issue des grandes écoles dont l’ENA.
Apparaissant brillants dans l’exercice du pouvoir, les hommes politiques français obtiennent des résultats bien moins bons que certains de leurs homologues européens issus de couches sociales plus populaires. Le développement d’une langue de bois coupe les dirigeants politiques de leurs électeurs.
• Se pose quand même la question de savoir pourquoi les Français acceptent depuis si longtemps une sorte de discours à la MACHIAVEL et n’ont pas réagi plus vigoureusement. Serait-ce par une sorte de fuite devant la responsabilité qui consisterait à exiger davantage de vérité et donc d’actions pour répondre réellement aux situations.
3) Quelles solutions à la dérive actuelle de la rhétorique politique?
• Il existe des contre-discours politiques qui ont une certaine audience et se font entendre dans le champ politique: par exemple face au discours de DAVOS, il y a celui de PORTE ALEGRE.
• Tout discours politique n’est pas politicien. Des personnes militantes ou non savent parler de leur expérience de manière généraliste et accessible à tous. Ils ne sont, il est vrai, que peu relayés par les media.
• Il n’est pas nécessaire d’être cultivé pour être démocrate. Sur ce thème les avis divergent. Certains avancent même l’idée qu’il serait peut-être utile de limiter le droit de vote tant certains citoyens sont peu aptes à comprendre les enjeux parce qu’ils sont sous influence des media ou qu’ils ne prennent pas le temps de se former.
• Il serait intéressant de donner davantage de pouvoir aux régions, d’aller en France vers une sorte de fédéralisme à l’allemande pour rétablir une éthique du débat public. La réponse à cette proposition est de dire que beaucoup de débats se passent obligatoirement au niveau de la nation.
• La prise en compte du vote blanc dans le décompte des inscrits pourrait faire entendre le désaveu de cette rhétorique politicienne.
En conclusion, il serait intéressant de travailler à la mise en place d’une rhétorique qui ait pour mission la capacité de convaincre par des moyens éthiques. Nouveau rôle pour la société civile?
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L’intervention de Gérard
1-Petites notes sur le livre de Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIème Reich, Editions Pocket, Agora, Paris, 2003.
Au cours de notre expression, notre parole reprend sa subjectivité qu’elle avait perdue à force d’écoute de discours impersonnels, son onde réveille le conflit de sujets agissants, il n’y a plus lieu de cette logorrhée du discours dominant qui rationalise et fonctionnalise le langage. Relisons inlassablement Victor Klemperer et ses écrits sur la langue confisquée par le IIIème Reich (Die geraubte Sprache) cette langue allemande transformée par les nazis à des fins de propagande. A sa façon, débusquons toutes les astuces totalitaires, toutes les ficelles idéologiques, tous les traquenards conceptuels, toutes les manipulations technocratiques qui visent à faire du langage un outil d’oppression et de perversion !
La langue confisquée au profit d’une nouvelle langue agissant comme un outil pervers de distorsion de la réalité, d’atténuation et même d’anéantissement total des barrières et interdits, et en même temps d’ouverture du champ des possibles. Klemperer en a décrypté les rouages et les logiques mises en place, le choix des mots, les glissements de sens, la syntaxe particulière retenue avec ses conséquences induites sur la pensée et les comportements de la société allemande.
Toute la langue allemande devenait discours dans une symbiose entre la langue écrite et orale ; toute la langue devenait discours, harangue, sommation, galvanisation, entièrement tournée vers l’invocation pour ne plus faire référence à la raison et au sentiment.
Cette langue de discours va bien sûr de pair avec la gestuelle, serrer les poings, crisper le visage, hurlements sauvages, explosions de rage ; le discours s’adresse aux sens et moins à l’intellect, il est ainsi populaire voire démagogique et séducteur.
Le « peuple » devient ainsi une foule d’automates qu’on peut faire démarrer en appuyant sur un bouton, à l’aide d’une foule de mots mécanisants.
Le discours change la nature de ceux que l’on veut éliminer, les Juifs ou les Tsiganes deviennent des Schmatten, des Stück, des Musulman ; on éradique en employant des mots de médecine afin que le corps social soit purifié et aille mieux. Tout est étudié pour dépersonnaliser puis asservir avec des tournures du discours
appartenant au domaine technique.
2- Parole et discours (Extrait de mon prochain livre, « Philosopher en Mai »)
. Discours publicitaire, langue de bois politique et absence de parole à domicile, le « spectacle » a déréalisé notre vie selon Guy Debord! Nous ne savons plus distinguer le discours de la parole qui se maintient au degré zéro, nous sommes devenus des inauthentiques, faits de normes de standing d’une société bureaucratique de consommation dirigée. La parole n’a plus lieu qui cède la place au discours qui parle au nom de la marchandise et proscrit le jaillissement de la parole en la rendant odieuse ou ridicule! D’où tu parles, depuis la marchandise voyons! Ma parole n’est plus qu’un discours qui n’appelle pas de réponse, et si je ne consomme pas je ne serai plus qu’un individu dans un splendide et intenable isolement comme Robinson Crusoé !
. Le discours prenait le pas sur la parole, sous forme de langue de bois politique, de harcèlement et d’une absence de parole à domicile en face de la télévision. Le spectacle déréalise la vie et maintient la parole au degré zéro.
. Nous sommes assimilés à la catégorie des marchandises aux normes bien réglementées et inauthentiques et le discours parle en leur nom et proscrit le jaillissement de la parole ! A la question « d’où tu parles » le discours répond qu’il parle au nom des objets et qu’il n’attend pas de réponse de notre part, nous les humbles consommateurs terrorisés et isolés.
Nous connaissons les prises de paroles qui ne sont que discours, dans un art oratoire invasif, de ceux qui affirment devant cent personnes ou proclament devant mille !
3- Présentisme et programme : comparaison des discours de Hollande et Sarkozy pendant la campagne électorale de 2012.
Tout doit se régler au coup par coup dans l’esprit du temps, mais avec l’élection de François Hollande nous sommes revenus aux grandes valeurs du XIXème siècle, nous avons besoin d’un Hollande protecteur suite à un Sarkozy à vouloir tout régler au coup par coup. Sarkozy c’était en fait l’enfance éternelle qui trafique des solutions ponctuelles car il n’y a pas de solution globale.
Nous en sommes à la différence fondamentale entre le tragique et le dramatique. Sarkozy serait la face tragique au sens grec, une situation commandée par les Dieux et qui n’a pas de solution humaine. Donc on est réduit à colmater partiellement sans envisager une solution d’ensemble, il faut accepter de vivre dans une société insécure ; il n’y a de pensée et d’amour que lorsqu’il y a risque et en 1968 on ne voulait pas ce risque. Hollande serait la face dramatique, il considère qu’il existe une solution morale pour la société dans son ensemble, et pour trouver la solution il nous faut un pays de fonctionnaires et avec eux une production de normes, une conception sécurisante de l’existence.
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Commentaires et interventions complémentaires
Deux contraintes pèsent sur le discours politique actuel:
1) la contrainte de l’amoindrissement: on ne dit plus les vieux, mais les seniors, on ne dit plus : «Vous êtes un menteur», mais «Vous dites des contre-vérités».
Cet amoindrissement systématique aux accents politiquement corrects (prononcer le mot « vieux » serait considéré comme insultant, dévalorisant…) participe de la dilution dans l’appréhension des situations.
Par exemple :
« Depuis qu’on a supprimé la moitié des lignes de bus de campagne dans les Landes, les vieux ne peuvent plus se déplacer, ils se morfondent dans leurs villages » est une phrase signifiante…Elle sera systématiquement remplacée par « L’amoindrissement de l’offre en matière de lignes de bus de campagne dans les Landes, a engendré un certain nombre de contraintes pour la mobilité des séniors de cette région »…L’amoindrissement, ici comme partout ailleurs, permet d’évoquer la vérité d’une situation (les vieux sont fichus, ils ne peuvent plus se déplacer) mais en apportant une distance qui n’incarne plus la cruelle réalité.
2) La contrainte du temps: Toute pensée ou idée, doivent être très rapidement évoquées sans que le temps ne permette d’en développer la substance, d’où l’usage des slogans. PASQUA disait: «Il faut terroriser les terroristes», ce slogan qui a marqué les esprits était une forme de caricature adaptée au personnage politique en question, dans une certaine mesure, il était l’expression de son efficacité en tant que ministre de l’intérieur, et recouvrait toute explication cartésienne sur l’efficience effective de son action.
Au delà des slogans, le langage utilisé publiquement s’écarte de manière générale de celui des gens, dans leur vie de tous les jours. Un métalangage, composé d’euphémismes et d ʻamoindrissements ainsi que de « slogans » simplificateurs, se superpose et remplace le « langage commun » dans toute entreprise de communication organisée.
Le domaine commercial n’en est pas exempt :
Les serveurs de crème glacée HÄAGEN-DAZS sont formatés pour prononcer des paroles bien précises devant leurs clients comme: «Bonne dégustation». Dans le domaine des diverses assistances téléphoniques, le répondant à votre demande doit toujours parler au présent et non pas dire qu’il va s’occuper de votre dossier. Le futur est ainsi banni du discours, pour donner une plus grande impression d’efficacité.
Ces méta langages, utilisés par les politiciens, mais aussi par les journalistes, publicitaires et communicants dans le monde de l’entreprise, composent un « second langage spectaculaire » auquel il est presque impossible de déroger, sous peine de créer une « dissonance »…L’utilisateur d’un langage plus direct sera souvent taxé de démagogue ou de populiste.
à lire, à ce propos :
1) Les Logocrates (G. Steiner)
2) Surtout pas de journalistes (J.Derrida)
3) Sur la télévision (P. Bourdieu)
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Des précisions sur la synthèse du café du 20 février apportées par Jean Jung
Ces gens qui n’éprouvent ni sentiments ni émotions (ou presque)...
Les aveugles et les sourds qui chercheraient à cacher leur cécité ou surdité ne pourraient pas duper leur entourage bien longtemps. En revanche, les personnes n’éprouvant ni sentiments ni émotions (appelées pervers narcissiques, manipulateurs ou encore psychopathes) peuvent cacher leur déficience très facilement. N’importe qui, devant son miroir par exemple, peut s’amuser à mimer la peur, la joie, l’inquiétude, la tristesse, l’amour, la haine... sans ressentir ces états au moment de les mimer.
Depuis quelques décennies, la psychologie, la médecine et la biologie étudient ces cas psychopathologiques qui représenteraient 1 à 5 % de la population. Malheureusement, ces études restent encore peu connues de l’opinion publique.
Pour un non initié, un psychopathe est un être dont le comportement déviant est si évident qu’il n’échappe à personne. Il n’en est rien. D’après Robert HARE, grand spécialiste en psychopathie, seulement 10 % d’entre eux sont en prison (il les appelle les "psychopathes ratés"), les autres sont autour de nous et souvent à des postes de responsabilité.
Leur insensibilité sentimentale et émotionnelle (démontrée par l’imagerie médicale IRM) les rend incapables d’empathie, c’est pourquoi ils n’éprouvent aucun remords ni sentiment de culpabilité. Ils sont indifférents au mal qu’ils font et se croient dès lors tout permis.
Lorsqu’ils prennent conscience de leur différence, ils cherchent à contrecarrer leur infériorité naturelle en dominant ceux qui, contrairement à eux, éprouvent des sentiments et émotions. Cette volonté de domination les conduit à développer (de façon plus instinctive que raisonnée) des techniques de manipulation qu’ils perfectionnent au fil de leurs expériences. Ils deviennent si doués en la matière qu’ils en paraissent diaboliques (alors que nous avons affaire à de grands enfants envieux de n’avoir pas les mêmes jouets que leurs copains).
Pour asservir leur entourage proche, ils usent de l’intrigue et du harcèlement moral. Les plus ambitieux s’investissent dans la politique, les finances, dirigent des entreprises et s’entourent de gens choisis pour leur manque d’esprit critique, leur carriérisme... c’est-à-dire des gens qui se rendront aisément complices (faites le rapprochement avec l’expérience de MILGRAM).
Pour des raisons stratégiques évidentes, ils cachent leur vraie personnalité derrière un masque de normalité. Pourtant, un minimum de bon sens et de connaissances en la matière suffiraient à les reconnaître. Je vous propose quelques pistes :
- Ils ne font pas preuve d’humilité, sauf par stratégie.
- Leurs actes ne sont pas en adéquation avec leurs paroles. Ils promettent toujous la lune mais on ne voit jamais rien arriver excepté quelques velléités destinées à nous leurrer.
- Ils nous demandent de faire le maximum alors qu’eux ne font rien ou presque (le presque étant là encore destiné à nous induire en erreur).
- Ils mentent avec un aplomb déconcertant même lorsque leur mensonge est flagrant. Ex : "Nous avons signé des accords avec les banques, désormais il n’y a plus de paradis fiscaux !"
- Ils se contredisent tout le temps.
- Ils surjouent les émotions (comme vous faites devant la glace quand vous jouez au petit jeu dont j’ai parlé au premier paragraphe).
- Bien qu’excellents stratèges, ils sont très souvent d’intelligence médiocre (c’est là l’un de leurs points faibles et donc, l’un de nos points forts). Ils peuvent dire des phrases qui ne veulent rien dire parce qu’ils ne s’en rendent pas compte.
- Etant peu curieux, leur érudition est faible. Ils font fi des connaissances scientifiques. Ex : "Il faut rendre constructif les zones inondables !" ou "L’environnement, ça commence à bien faire !"
Leur puissance et leur dangerosité sont proportionnelles à notre ignorance sur leur cas psychologique.
L’inégalité des richesses est-elle une fatalité ?
« Le Capital au XXIème siècle » - Thomas Piketty
19 décembre 2013
« Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789)
Partout, toujours, les richesses sont inégales
Le travail en collaboration autour de Thomas Piketty, réalisé à partir des déclarations fiscales de revenus et de successions, constate que les inégalités de richesse existent partout, et ont toujours existé, à des degrés divers.
Dans les références typiques de cette réalité, on remarque, d’une part, que l’inégalité des revenus du travail (salaires) est actuellement plus forte aux USA qu’en Europe, et d’autre part, que l’inégalité des patrimoines privés est toujours beaucoup plus forte que celle des salaires, avec la moitié la plus pauvre de la population ne possédant pratiquement rien.
Ce travail statistique, multinational et pluriséculaire, montre clairement que la « théorie » empirique de Simon Kuznets (1955) n’est pas vérifiée : Au cours du développement économique, les inégalités de revenus n’évoluent pas selon une courbe en « U renversé », augmentant au début, puis plafonnant et finissant par décroître avec la poursuite du développement. Il n’y a pas de décroissance spontanée, naturelle, qui reflèterait l’efficience du marché, à travers la mobilité du travail vers les secteurs les plus rentables.
En réalité, la décroissance des inégalités de richesse, constatée au XXème siècle, et encore plus en Europe qu’aux USA, est due aux chocs de la période 1914-1945, qui ont entraîné une certaine destruction et dispersion des patrimoines privés, et de leurs revenus. Par la suite et jusqu’à nos jours, les patrimoines et les inégalités se sont reconstitués, à un rythme toutefois ralenti en France, par la croissance économique (« trente glorieuses ») et par l’impôt progressif.
Les inégalités de richesse sont-elles justifiées ?
Les inégalités de richesse se rapportent à l’Individu et à la Propriété privée (patrimoine).
Les individus sont tous différents en talents et en motivations : Ainsi, les « meilleurs » selon le mérite et le travail s’enrichissent normalement, et certains libéraux affirment volontiers que « les riches travaillent plus et mieux que les autres ». Pourtant, tous les « meilleurs » ne s’enrichissent pas forcément (savants, artistes…), tandis que certains « pires » s’enrichissent aussi (banquiers cupides, mafieux…). De plus, le sort des individus peut être affecté par de multiples formes d’injustice : Inégalité des chances scolaires, comme le souligne le classement Pisa, inégalité des moyens pour une vie libre, citoyenne ou choisie, et inégalité des rémunérations sans rapport avec la productivité marginale, mais liées au pouvoir de négociation, comme celles des super-managers.
Les patrimoines privés sont eux aussi très inégaux. Plusieurs mécanismes classiques ont été proposés pour rendre compte de la concentration des patrimoines dans la population : Ricardo démontre que les propriétaires du facteur rare (à son époque, la terre) accaparent la richesse produite ; puis Marx théorise l’accumulation indéfinie du Capital, entre les mains de moins en moins nombreuses des propriétaires en concurrence.
Piketty met en avant un autre phénomène empirique : Le taux de rendement du capital, durablement supérieur au taux de croissance économique, produit mécaniquement une concentration des patrimoines privés. En effet, grâce à une abondante épargne, le patrimoine peut alors facilement augmenter plus vite que l’Économie. Cette réalité historique est complexe : La rentabilité du capital relève de multiples facteurs, de tous ordres, dont la « préférence pour le présent », et la croissance à long terme est lente, en particulier pour les sociétés à la frontière des connaissances technologiques. Ainsi, pour une croissance moyenne qui ne dépasse pas 1 à 2% par an, la rentabilité du capital se situe typiquement autour de 4 à 5%. À terme, le degré de concentration patrimoniale tend le plus souvent vers un équilibre de Pareto, d’autant plus élevé que la différence entre taux de rendement et taux de croissance est plus grande. Mais hélas, avec une rentabilité du capital durablement supérieure à la croissance économique, les entrepreneurs finissent
par se transformer en rentiers, et les propriétaires en héritiers : Dans la Société, héritage et rente se mettent à dominer mérite et travail, en contradiction avec les principes du libéralisme et de la démocratie.
Au moins peut-on penser que les inégalités de richesse sont bonnes pour la Société, qu’elles sont « d’utilité commune ». En effet, les inégalités favorisent la croissance économique, surtout au sein d’une Société pauvre, grâce à la production des riches qui entreprennent plus facilement, et à leur consommation différenciée, spécialement en produits de luxe et en objets d’art. De plus, cette croissance profite à tous (« la marée montante élève tous les bateaux »), dans une sorte de « ruissellement vers le bas » de la richesse. Pourtant, hélas, cet effet favorable n’est pas du tout automatique, et une grande inégalité de richesse peut fort bien coexister avec la stagnation économique, et l’augmentation du chômage et de la pauvreté. Alors, malgré les dispositifs répressifs, les conflits violents manifestent le caractère insupportable des inégalités extrêmes.
Finalement, l’inégalité des richesses est-elle inévitable et favorable ? Tout dépend du critère choisi, en fonction du point de vue et de la sensibilité de chacun. Sans doute, la raison en est que l’inégalité des richesses est plutôt une complexe question de niveau optimum : En-deçà, il n’y en a pas assez, au-delà, il y en a trop, mais la zone optimale est malaisée à cerner. Pour contrecarrer la tendance à la hausse vers des niveaux « inacceptables », Piketty propose, sans trop y croire, la solution mondiale, ou au moins européenne, de l’imposition progressive sur le Capital.
Patrice
Café politique du 19 décembre 2013
Les inégalités économiques sont-elles une fatalité?
Après la présentation de l’ouvrage de PIKETTY, Le capital au XXIème siècle, par Patrice, le débat s’engage.
En introduction, un participant évoque l’idée que si la France a creusé des inégalités après 1945, ce serait parce qu’elle a a vécu deux grands conflits coloniaux, l’Algérie et l’Indochine, puis l’arrivée en masse des Français d’Algérie en 1962, et enfin les chocs pétroliers. L’Allemagne, par ailleurs n’a pas eu d’armée à financer pendant près de 15 ans après la deuxième guerre.
Patrice répond en précisant que pour PIKETTY, les Etats occidentaux ont à peu près tous reconstitué des inégalités comparables dans cet aprèsguerre.
La situation est peut-être un peu plus inégalitaire en France et un peu moins en Suède qui a été dirigée par des gouvernements socio-démocrates depuis cette époque.
1) La question se pose de savoir quelles sont les origines envisageables de ces inégalités.
• Selon la thèse marxiste, la plus-value est obtenue en exploitant le travail des ouvriers.
Le rendement du capital est supérieur à celui du travail. Le capital a une tendance intrinsèque à l’accumulation et à la concentration entre les mains des plus riches. Pour un participant, PIKETTY n’a pas entièrement compris la thèse marxiste: il se fonde uniquement sur la première version du Manifeste du parti communiste alors que Marx en
a produit trois. MARX, lui-même, exprime l’idée que sa propre pensée a évolué entre les différentes versions.
• Il existe des paradis fiscaux générateurs d’inégalités à grande échelle. Les 500 plus grandes fortunes mondiales équivalent aux revenus intérieurs bruts des 46 Etats les plus pauvres du monde.
• Les grands patrons perçoivent des rémunérations bien trop élevées qui peuvent être mal comprises par la population et qui peuvent générer des déséquilibres au sein des entreprises elles-mêmes. Certains pensent que s’attaquer à la diminution des très hauts salaires fera l’effet d’une goutte d’eau dans la mer et n’aura pas vraiment d’effet sur les inégalités en général. Enfin, notons que les Suisses, lors d’une de leurs dernières votations ont refusé de limiter les plus hautes rémunérations.
• Il y aurait pourtant une solution pour réguler ces très hauts salaires, ce serait de faire participer les salariés à la fixation de leurs montants dans le cadre des Conseils d’Administration au lieu de laisser les mains libres aux actionnaires.
• L’Etat peut apparaître comme une figure dominante. Il représente 60 à 66% des sommes dépensées. Environ 30% seulement de l’argent revient aux actions individuelles et patrimoniales. PIKETTY étudie ces 30%, mais cela semble peu important par rapport au rôle économique que joue l’Etat français. Nous ne serions pas, en réalité, dans une économie libérale. Le pouvoir économique semble être retiré aux individus. Le patrimoine immobilier, par exemple, serait en grande partie entre les mains de l’Etat par le biais des sociétés d’Habitation à Loyer Modéré. Les propriétaires investisseurs sont marginaux, en fait. Entre les individus, il ne passe plus grand chose: c’est l’Etat qui a le pouvoir et qui décide. Les inégalités procèderaient de cette situation.
• Patrice répond à cette thèse que les chiffres officiels de l’INSEE indiquent que les dépenses publiques représentent 56,6% du PIB 2012 avec une prévision de 57% pour 2013. Par ailleurs il précise que les établissements publics «marchands» comme La Poste, la SNCF ou les offices HLM, sont exclus du périmètre des dépenses publiques, car ils ne sont pas financés principalement par des subventions.
• Les inégalités touchent le monde entier.
Songeons aux populations qui ne sont pas dans le circuit occidental dont nous parlons.
Les chiffres des inégalités sont les mêmes entre les revenus moyens des pays occidentaux et ceux des PVD (rapport de 1 à 300).
L’actualité de l’ancienne colonie équatoriale dans laquelle la France intervient aujourd’hui,
nous en fournit un bon exemple. Ces Etats ne pourront survivre que dans un cadre éthique international. La question de la régulation mondiale se pose.
2) Jusqu’où peut-on accepter les inégalités économiques?
• Dans le système qui engendre de la plus-value, le riche investit, et le salarié met en jeu son corps pour produire. Quelle part cela représente-t-il dans la rémunération? Qui décide de cela? La loi des trois tiers concernant la répartition du profit proposée par SARKOZY n’a pas eu l’air de se pratiquer: un tiers pour l’entreprise, un tiers pour les actionnaires et un tiers pour les salariés. Ceux-ci perçoivent aujourd’hui 6% des profits.
• Il semble difficile d’accepter que ceux-là même qui sont les acteurs de la spéculation, qui favorisent les inégalités de fait, continuent de s’enrichir: par exemple les grandes banques comme GOLDMAN SACHS.
• Qui va fixer la limite à ne pas dépasser dans le creusement des inégalités? Dans les années 1970 environ, l’acquisition d’un véhicule a donné l’impression d’une certaine égalité sociale quelle que soit la dimension du véhicule acquis. Aujourd’hui, ce sentiment d’égalité a disparu du fait de nombreux dérapages, des excès de certaines
rémunérations, de l’existence de fortunes colossales issues de la spéculation.
• Le fait de trop taxer les entreprises et de modifier sans cesse les règles du jeu fiscales ne favorise pas l’emploi et accentue les inégalités sociales entre ceux qui peuvent travailler et les chômeurs.
3) Quelles solutions face aux inégalités économiques croissantes?
• Il est ici question de l’héritage qui est créateur d’inégalités. Un jeune qui n’hérite de rien va avoir bien du mal aujourd’hui à monter dans la hiérarchie sociale.
• Certains groupes sociaux ou religieux pratiquent une «remise à niveau» des biens acquis de manière périodique. En CHINE, le particulier occupe son logement pendant 70 ans et ensuite, c’est l’Etat qui en redevient le propriétaire. Le TALMUD propose de remettre à la communauté les biens tous les 40 ans.
PLATON, déjà, proposait de ne pas dépasser un écart de 1 à 20 dans les richesses.
• Du point de vue marxiste, ce sont les prolétaires, qui prenant leur destin en mains, feront cesser la domination des plus riches.
• Il reste une grande incertitude sur le poids de géants économiques comme la Chine au niveau mondial. Sera-t-elle un élément actif de la réduction des inégalités en son sein et au-dehors d’elle?
• Il y a des changements sociaux perceptibles qu’on ne prend que peu en compte. La fille MULLIEZ du groupe AUCHAN parle de don de soi dans l’économie. La question du Potlatch est énoncée (don et contre-don plus élevé en retour). Voir le texte ci-joint proposé par Gérard.
• La solution fiscale de PIKETTY pourrait se conjuguer avantageusement à la solution participative de DE GAULLE, pour déconcentrer les richesses, et ainsi redynamiser l’Economie française (voir sur internet le discours de CHABAN-DELMAS sur la «nouvelle société» en 1969, semble-t-il encore d’actualité). NB: ce paragraphe a été ajouté par
Patrice après le débat.
En conclusion, il semble que PIKETTY oublie deux raisons qui peuvent expliquer les inégalités. La première est celle de la loi humaine, c’est la loi du tournoi. Comme en tennis, c’est le gagnant qui s’approprie tout (plus-value marxiste). La seconde est une loi physique qui consiste à dire que les riches s’enrichissent parce qu’ils sont déjà riches.
Comme dans un réseau, et l’économie en est un, les flux de connexions sont plus intenses entre ceux qui ont déjà beaucoup de connexions entre eux.
A nous de tenter de réfléchir à cette zone dans laquelle les inégalités, que chacun s’accorde à imaginer impossibles à réduire totalement, pourraient être humainement tolérables en Occident et ailleurs dans le monde.
La contribution de Gérard qui propose pour suite utile au débat un extrait sur le "don et contre-don" de Marcel Mauss
et deux de ses réflexions.
Extrait de « Essai sur le don et contre-don » de Marcel Mauss en 1925, auteur vosgien !
L’échange archaïque
C’est en 1925 que Mauss fait paraître un texte intitulé : « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques ». Neveu d’Émile Durkheim, avec lequel il a travaillé à la fondation et au développement de ce qui reste alors encore en France une jeune discipline à visée scientifique et à faible légitimité universitaire, le sociologue vient de participer (1923) à la création de l’Institut d’ethnologie. Son « essai » ne s’apparente que de très loin à l’exercice ordinaire de l’essayiste, qu’il soit philosophe, journaliste, dirigeant politique, ou écrivain : savant lecteur des travaux ethnologiques de son temps, Mauss travaille selon les principes d’une méthode théorico-empirique propre à l’École sociologique française d’inspiration durkheimienne, sans être lui-même ce chercheur qu’on dit aujourd’hui « de terrain », signifiant par là qu’il conduit en personne ses enquêtes dans les sociétés qu’il souhaite étudier. D’une certaine façon il invente, à l’instar de son oncle précurseur, une forme moderne et exigeante de coopération scientifique, « à distance » si l’on veut, dont la relation qu’il entretient avec le travail de Franz Boas offre un bon exemple. Celui-ci, né en Westphalie en 1858, se fixa aux États-Unis où il accomplit l’essentiel de sa carrière universitaire de professeur d’anthropologie. Il forma à ses méthodes de collecte de données, de recueil de récits, et d’interprétation du corpus ainsi constitué, une grande quantité d’étudiants mais aussi de membres des tribus indiennes qu’il étudia, en particulier en Colombie britannique : « Il traduisit des milliers de pages de textes indigènes » et « fut l’un des tout premiers à comprendre que la maîtrise de la langue est un moyen essentiel de l’enquête ethnologique ». « Observateur minutieux de tous les aspects de la vie indigène », auteur « d’une œuvre titanesque », Boas fait partie de ceux qui permettent à des chercheurs tels que Mauss, non seulement de disposer de données ethnologiques absolument neuves et originales, mais encore de pouvoir procéder aux opérations spéciales de la comparaison, sans laquelle on ne peut avancer durablement et sûrement dans la voie de l’anthropologie ou, à tout le moins, de la généralisation théorique. Plus encore : Boas, mais aussi, parmi d’autres, Bronislaw Malinovski, l’auteur de cette merveille des sciences humaines que constitue son livre majeur Les Argonautes du Pacifique occidental, dont l’essentiel du propos se concentre sur une description rigoureuse et sur une interprétation systématique d’un régime de prestations sociales – la kula –, procurent au sociologue sédentaire une base explicative à partir de laquelle il va élaborer ses propres mises en relation des données et sa théorie de l’échange archaïque.
Ce dernier, Mauss le nomme autrement « échange-volontaire-obligatoire ». Sans nier qu’un don, ou dit-il encore, une donation, implique le plus souvent une volonté, ou une liberté, ou une gratuité, il met en lumière, en bonne filiation durkheimienne, le caractère obligatoire de tout don, lui attribuant ainsi le statut d’un fait social – de « toute manière d’agir obligatoire, soustraite à l’arbitraire individuel ». La découverte tient en fait à l’objectivation de trois obligations liées, dont le « complexus » constitue l’échange : donner ne peut être sans qu’il y ait réception, au sens d’acceptation, et recevoir oblige de même à rendre. Tout relève ici encore du constat ethnographique dument effectué dans les sociétés polynésiennes, à Samoa, chez les Maori, en Nouvelle-Zélande, en particulier. « La prestation totale n’emporte pas seulement l’obligation de rendre les cadeaux reçus ; mais elle en suppose deux autres aussi importantes : obligation d’en faire, d’une part, obligation d’en recevoir, de l’autre ». On l’aura noté l’échange porte ici sur des cadeaux : à propos de la kula (échange de ce type, mais à forte singularité complexe), Mauss, se fiant aux observations de Malinovski, souligne combien les Mélanésiens distinguent le commerce kula, « d’ordre noble », du gimwali, « simple échange de marchandises utiles ». La remarque vaut tout autant pour qui, aujourd’hui, interroge l’échange : il en existe de plusieurs types, relevant pour partie d’une même forme générale, mais inassimilables les uns aux autres sans risque d’absolue confusion. L’échange salarial n’a ainsi rien d’un échange de cadeaux de Noël, quand bien même des traditions durables contribuent à entretenir quelque confusion sur la qualité sociale du salaire, en agrémentant la paie du mois de décembre d’une libéralité (terme du vocabulaire maussien du don) exceptionnelle (prime en argent, « panier garni », et autre « bourriche » indigène…).
L’obligation se manifeste, avec éclat(s), lorsqu’on s’y dérobe : le refus de donner, ou de recevoir ou de rendre, mène sinon toujours à la guerre, du moins à la rupture des liens entre donateur et donataire. Le refus vaut lui-même rupture, mais il révèle l’étendue sociale de la fonctionnalité de l’échange-don en ce qu’il étend la rupture à l’ensemble des relations impliquant donateur et donataire.
L’échange archaïque apparaît ainsi comme un maillon névralgique de la vie sociale : s’y soustraire conduit à l’interruption de celle-ci, dans des proportions variables selon qu’il s’agit de la vie entendue comme interaction et interrelation entre deux individus (la vie à deux), ou entre groupes ou sociétés, mais toujours cependant avec ce caractère extensif qui pousse la déliaison au-delà même des termes du seul échange interrompu. Au demeurant Mauss suggère ici plus qu’il ne prononce, mais on porterait sans doute préjudice à toute lecture si on lui prescrivait de ne pas tirer de ce qui est écrit ce que cela lui inspire : la vie quotidienne, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou, sinon comme, hier, regorge de telles situations d’échange, non marchand là aussi, interrompu et gros de conséquences, souvent inattendues mais parfois sciemment provoquées. L’obligation de saluer son voisin ou son voisinage, et de se voir rendre son salut, relève – exemple simple mais universel – de ce code là (de politesse certes, mais aussi d‘honneur), Mauss dit plutôt « contrat », tout comme la fâcherie de famille, et mille autres conflits banals. Mais le banal, Fernand Braudel y insistait, est le matériau de l’historien, comme, peut-on ajouter, de chaque chercheur en sciences humaines.
Le conflit ainsi ouvert s’offre dès lors comme moyen ultime de maintenir le lien social rompu et de réparer l’offense faite à l’honneur. Mais on doit sans doute aussi penser, qu’à l’instar du rire plus souvent perçu comme manifestation jubilatoire, gratifiante, « positive » que comme agression, l’échange – y compris l’échange de rire : « On doit être un ami pour son ami et rendre cadeau pour cadeau/on doit avoir rire pour rire et dol pour mensonge », dit l’Havamàl, très ancien poème de l’Edda scandinave cité Mauss dans l’Épigraphe de son essai –, l’échange donc se donne à exister comme relation sociale ambivalente (mais n’est-ce pas de l’essence de toute relation interhumaine ?). La kula et plus encore le potlatch des Indiens, analysés comme systèmes de prestations agoniques, marqués du sceau de la rivalité, de la surenchère, de la destruction, dévoilent sans aucun doute, sur un mode exacerbé, un aspect souvent euphémisé sinon même soigneusement masqué de tout échange. Potlatch ? Le mot indien (sabir chinook) signifie à la foi cadeau (don) et poison.
À ce stade, il convient de revenir au plus près de l’Essai pour y bien identifier l’envergure sociale de la relation complexe d’échange. L’étendue sociale des relations qu’il affecte comme l’envergure sociale de ses fonctions sont déjà plus que suggérées en situation de conflit et de rupture, et l’on pourrait dès lors anticiper sur son contenu social total, s’il fallait entendre là qu’il est en relation avec tous les aspects de la vie sociale, ou, autre langage, de la société, ou troisième énoncé et concept là non plus pas complètement équivalent, de la pratique sociale ou du tout social. Montre encore mieux cela l’ethnographie de l’échange archaïque et de ses acteurs.
Tout s’échange : première totalité sociale mobilisée. « Tout, nourriture, femmes, enfants, biens, talismans, sol, travail, services, offices sacerdotaux et rangs, est matière à transmission et reddition » écrit l’auteur à propos de toutes ces institutions – ces règles sociales qui font obligation d’échanger. Deuxième totalité convoquée : le tout de deux sociétés en situation d’échange, tant dans leur co-présence intertribale effective que dans toutes leurs segmentations claniques confrontées et le rassemblement de toutes les familles et de tous leurs individus. Troisième totalité concomitante : celles de toutes leurs activités dont la combinaison constitue le tout de la pratique de chaque société impliquée. « Ce qu’ils échangent, ce n’est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n’est qu’un des moments et où la circulation des richesses n’est qu’un des termes d’un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent ». Ces faits sociaux d’échange, Mauss propose alors de les nommer totaux : « Tous ces phénomènes sont à la fois juridiques, économiques, religieux, et même esthétiques, morphologiques […] Ce sont des "touts", des systèmes sociaux entiers ».
On comprendrait mal ces fonctionnements totaux et totalisants si Mauss ne nous conviait à porter attention « à la manière dont les sous-groupes de ces sociétés segmentées, de type archaïque, sont constamment imbriqués les uns dans les autres, et sentent qu’ils se doivent tout » (c’est moi qui souligne). Imbrication structurale, solidarité ressentie et sentiment collectif puissant de la nécessité d’une réciprocité totale, forment le socle et la matrice de la dynamique de l’échange. Ce sentiment du tout se devoir implique l’existence d’un symbolisme qui se manifeste dans tous les moments et tous les aspects de l’échange archaïque, dans ses formes les plus objectives (incarnation des groupes, rituels cérémoniels) jusqu’aux pensées les plus secrètes qui accompagnent les actes obligatoires. La première forme de représentation de ces totalités solidaires existe dans la matérialité même du corps des chefs – de tribu, de clan, de famille. Corps ipso facto symbolique par lequel transite tout l’échange : « Ce ne sont pas les individus, ce sont des collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent ; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales : clans, tribus, familles, qui s’affrontent et s’opposent soit en groupes se faisant face à face sur le terrain même, soit par l’intermédiaire de leurs chefs, soit des deux façons à la fois. » Et ce corps autant réel par sa matérialité présente que par son symbolisme de représentant, le premier ne devant même la réalité de sa présence qu’à l’efficacité symbolique du second, ne peut faire ainsi circuler les choses que parce qu’il a pouvoir d’en faire circuler les âmes.
Le poète l’avait écrit avant que ne le découvrent les ethnologues : « Objets inanimés avez-vous donc une âme ? » Nul doute pourtant que Lamartine eut interloqué les Trobriandais ou les Maoris, et tous les membres de ces sociétés pour qui l’animisme constitue, plus qu’une évidence, la réalité même du monde. La cosmogonie indigène, plus encore que le constat factuel de l’ethnologue, « explique » l’essence obligatoire de l’échange. Abstraction faite des mille nuances de sa mise en actes et en œuvres, la logique s’en révèle simple : le don, la chose donnée, contient le mana du donateur (individuel, collectif) c’est-à-dire de la personne ou du clan ou encore du sol, qui donne. La chose donnée, véhicule du mana, peut donc détruire celui qui reçoit s’il ne respecte pas l’obligation de rendre. Donner c’est donner de soi, et donner de soi le meilleur : nul ne s’en relève s’il ne le retrouve pas. De même donner une chose quelle qu’elle soit c’est ipso facto transmettre son hau – l’esprit de choses végétales, minérales, animales comme le mana est l’esprit même de la personne. L’analyse par Mauss du droit maori reste à cet égard la plus éclairante. Dans ce droit la théorie du hau désigne a croyance fondatrice de l’obligation de rendre et, au total, de la réciprocité : « Même abandonnée par le donateur la chose (donnée-reçue, le cadeau) est encore quelque chose de lui. Par elle, il a prise sur le bénéficiaire, comme par elle, propriétaire, il a prise sur le voleur ». Le hau de la chose volée vengera ainsi le volé, qui s’empare du voleur, l’enchante, le mène à la mort ou le contraint à la restitution : car le taonga (cadeau) est animé du hau de sa forêt, de son terroir, de son sol.
Le mana et le hau sont donc l’essence spirituelle des hommes et des choses, leur âme. Le lien de droit, lien par les choses, est un lien d’âmes, « car la chose elle-même a une âme, est de l’âme ». Et cette âme, cette anima constitue le pouvoir, la force même qui pousse les choses à s’échanger, à circuler dans toute l’étendue du monde (y compris dans le commerce avec les dieux). Dès lors qu’on entre dans la théorie indigène tout l’édifice de l’échange-don obligatoire prend sens, cohérence, évidence. Tout l’édifice, y compris donc les modes archaïques de l’aumône, du paiement à terme, de la libéralité, de l’honneur, de la monnaie, analysés dans l’essai, ainsi que les formes les plus complexes des systèmes de prestations totales que sont la kula et le potlatch, dominé par un principe de rivalité paroxystique et de surenchère du don et du contre-don pouvant aboutir à la destruction totale des présents échangés, voire à la destruction des acteurs.
Mais sans doute aussi dès lors que l’ethnologue est ainsi entré en animisme convient qu’il en ressorte pour persévérer dans son être d’ethnologue.
Mauss après Mauss
En 1950, année du décès de Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss fait paraître son « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » dans un ouvrage intitulé Sociologie et Anthropologie, où l’on retrouve, outre l’Essai sur le don, cinq autres textes importants. Reprenant le fil rouge maussien (« On peut prouver que dans les choses échangées […] il y a une vertu qui force les dons à circuler, à être donnés, à être rendus »), l’anthropologue amorce une critique aussi radicale que féconde. « C’est ici, écrit-il, que la difficulté commence. Cette vertu existe-t-elle objectivement, comme une propriété physique des biens échangés ? Évidemment non… Ne sommes-nous pas devant un cas où l‘ethnologue se laisse mystifier par l‘indigène ? ». Faute d’une approche globale et structurale de l‘échange-don, Mauss, engagé dans « une observation empirique qui ne lui fournit pas l’échange », mais seulement les trois obligations, ne saurait trouver que c’est dans l’échange même, « dans le tout plus réel que ses parties », que gît l’énigme contractuelle et non pas dans le mystère des âmes : pour Lévi-Strauss « le hau n’est pas la raison dernière de l’échange : c’est la forme consciente sous laquelle des hommes d’une société déterminée, où le problème avait une importance particulière, ont appréhendé une nécessité inconsciente dont la raison est ailleurs ».
Ainsi Mauss ne nous a pas légué seulement une connaissance scientifique d’une part universelle d’humanité : les questions qu’il suscite tout autant que les savoirs qu’il produit ne cessent d’inspirer la recherche anthropologique et sociologique. L’actualité de Mauss ne s’éteint pas. On se limitera ici à indiquer quelques-uns de ces feux toujours vifs.
Au croisement de la lecture de Lévi-Strauss et de l’analyse maussienne je verrais bien ainsi l’occasion d’une saine relecture de l’analyse que fait Marx, dans le premier livre du Capital, du fétichisme de la marchandise (« j’ai sué sang et eau, écrira-t-il, pour apercevoir, derrière les choses, les rapports »). Par où l’on verrait, sauf aveuglement irrémédiable, que – fétichisme vaut bien là animisme – nous, citoyens des mondes marchands ne sommes pas en reste quand il s’agit d’être mystifiés par l’or, l’argent, et plus banalement, c’est-à-dire tout le temps, par la « vertu » inhérente aux « biens échangés ». Nous sommes tous des Maoris. Ou des Indiens.
Il n’est pas une page de l’essai maussien qui n’appelle par ailleurs à une réinterrogation de nombres des actes, actions, activités, rituels, cérémonies, manifestations de toutes sortes du monde actuel, qu‘on le dise moderne ou post-moderne : il n’est que de plonger dans ce livre pour en rapporter des grappes de questionnements neufs sur les logiques de cadeaux, sur les matches de football ou tout autre spectacle-compétition de sport, sur les jumelages entre villes, sur les relations diplomatiques, etc. ou encore de façon quasi jubilatoire chez Mauss tout autant que chez Malinovski où il trouve cet « objoie » (Francis Ponge) : les bijoux de la couronne d’Angleterre.
« Ainsi nous rivalisons dans étrennes, nos festins, nos noces, dans nos simples invitations et nous nous sentons obligés à nous revanchieren, comme disent les Allemands ». Plus généralement : « Nous constatons que cette morale et cette économie fonctionnent encore dans nos sociétés de façon constante et pour ainsi dire sous-jacente ». Phrase écrite en 1925 à laquelle fait écho 70 ans plus tard la fougue de Bourdieu : « Mais l’émergence d’un tel univers (N. B : Bourdieu désigne là le champ de l’économie capitaliste) n’implique nullement l’extension à toutes les sphères de l’existence de la logique de l’échange marchand qui à travers le commercialization effect et le pricing fondamentalement exclu par la logique de l’échange de dons, tend à réduire toute chose à l’état de marchandise achetable et à détruire toutes les valeurs […] Des provinces entières de l’existence humaine, et en particulier les domaines de la famille, de l’art ou de la littérature, de la science et même, dans une certaine mesure, de la bureaucratie, restent au moins pour une large part étrangers à la recherche de la maximisation des profits matériels ». Cette hybridation des logiques d’échange devrait aujourd’hui conduire à les mieux identifier tout comme à mieux chercher à savoir comment elles se combinent dans les situations concrètes en lesquelles se nouent leurs rapports.
Ainsi dans l’entreprise et son management. Il devient de bon ton d’y envisager le système des relations de travail sous l’angle maussien des obligations du don. Cet angle constitue même un point de vue plein d’intérêt pour l’entrepreneur et ses managers dès lors qu’il permet de décliner les termes de cet échange social majeur qu’est le travail dans le vocabulaire du partenariat, de la responsabilité, de l’esprit d’équipe, de la compétence dont on peut facilement retrouver des équivalents sémantiques dans le langage du don. Le travail comme échange de don : de compétences, d’argent, de valeurs partagées, d’activités efficaces ? Soit ! Tout cela peut se penser, sans s’effondrer, ne serait que parce que cela se pratique, non sans heurts. Mais cum grano salis car cela ne se pense jamais complètement, ni ne se pratique réellement, sans hybridation avec les contraintes structurales et les obligations des logiques de profit, dont au premier chef celle de l’échange inégal en quoi consiste l’emploi salarié (comme achat et vente, donc échange marchand libre et égalitaire, puis, en conséquence, comme échange productif contraint et inégal, c‘est à dire travail, production ou réalisation d’une valeur-laquelle de quelque façon qu‘on la mesure, excède, dans la démesure, la valeur rétrocédée par le moyen du salaire).
On sait gré à Mauss de permettre ainsi de poser et reposer des questions portant sur le concret sous-jacent, le banal et massif inaperçu, le non-spectaculaire – sauf jour de fête, de cérémonie de grève… Et l’on sait gré aussi à La Revue du MAUSS d’abonder depuis 1988 le corpus de l’analyse de l’échange-don, tel qu’il existe, sur la planète, aujourd’hui.
« Un milliard d’euros de dons déclarés au fisc en 2000 en France » (les journaux, en novembre) : comment analyseriez- vous cela ?
Pourquoi l’égalité ?
La religion du marché, la base de l’échange c’est la convoitise de la propriété du prochain. Tu dois désirer ce que les autres ont !! Jalousie pacifique de ce qu’a l’autre. Mais si on ne peut pas se payer ce qu’ont les autres ? Alors c’est la haine et il faut faire la guerre aux immigrés.
Le don et le contre-don peuvent-ils inspirer la politique fiscale, le don démocratique se substituerait à l’impôt !!
Don et contre-don sont un fait social des sociétés primitives selon Marcel Mauss. Faut repenser les taxes et les impôts sans changer leur nature, mais leur interprétation. Un don volontaire à la collectivité permettrait de surmonter l’acrimonie nourrie à l’égard d’un Etat qui a fait de l’impôt une des principales contraintes légitimes imposées aux citoyens. L’image du riche changerait, il faut renoncer à la dénonciation des êtres bizarres que sont les riches, essayer de faire leur connaissance, reconnaître leur humanité. Les riches sont des êtres humains, et le don n’est pas étranger à la culture républicaine, ni à celle des socialistes, où se retrouve l’idée du don et de la réciprocité du don. Dans une démocratie le riche mérite le respect, mais les pauvres aussi, on doit considérer la richesse comme une condition qui n’est pas forcément héréditaire, et admettre qu’on n’est pas condamné à être pauvre parce qu’on a grandi dans un quartier, il faut accorder une 2ème et même une 5ème chance.
Celui qui est né sur les contreforts d’une montagne, comme un arapède, accroché à sa roche infertile, aurait droit à la défaite. Le désir d’égalité ne serait que le ressentiment des vaincus voulant occuper la place des vainqueurs ?
Campagne pour les présidentielles de 20012, et la richesse.
La campagne de 2012 a tourné autour des apparences, des signes extérieurs de richesse mais aussi des apparences du corps et du visage. On dit musulman d’apparence dixit Sarkozy. En France, pour qualifier les « autres » on a l’embarras de la diversité, ce peuple qui ne serait pas comme nous et que nous sommes bien en peine de décrire. Avant on disait « minorité visible », et les français de souche semblaient être déterminés par des racines gauloises aussi solidement qu’un chêne se différencie d’un bambou. Mais il y a des français de souche qui n’étaient pas blancs, pas aussi blancs que notre immaculée conception de la patrie, des Français qui n’étaient pas d’apparence française !
Avec la gauche avant, pour éviter le racisme on niait toutes les différences de manière angélique ; Hollande veut supprimer la notion de race de la constitution. Mais on a toujours l’embarras national pour parler des Français qui ne sont pas blancs. On peut admettre la race mais pas le racisme ; Franz Fanon disait en 1950 qu’une société raciste construit le Noir ou l’Arabe en un objet phobique. Elle reproche à cet être angoissant son incapacité à s’intégrer, quand justement elle ne cesse de remarquer son apparence. On passe de la lutte des classes à la lutte des races. Mais les classes existent encore dans le langage : de nombreux noms ou adjectifs sont mis en place de « pauvre », dont les mots « immigrants », voire « musulman ». Les pauvres se dressent contre les pauvres, les derniers arrivés par rapport aux plus anciens. L’oppression des riches est si constante qu’elle finit par être subie comme une loi de la Nature, fatale, immuable et sacralisable.
Les migrations ont toujours eu lieu, dès qu’on se sentait opprimé on migrait, mais il se formait des nasses devant les obstacles géographiques comme au bord de l’Atlantique !! Alors naissent les inégalités sociales, pour imposer la servitude nécessaire pour que les riches et dominants existent, ils ont besoin d’accaparer la production d’autrui ; l faut que cette servitude soit en grande partie volontaire, le dominé doit montrer un certain enthousiasme à l’être !! La religiosité est la première pierre de l’édifice oppresseur, il faut relire La Boétie.
Et puis sur l’action redistributive de Hollande, on peut dire que l’Armée rouge a fait plus pour la redistribution des richesses que toutes les lois de finance de nos gouvernements.
Gérard
Café politique du 7 novembre 2013
Quel avenir pour la santé?
Où va la santé ?
Prolégomènes :
‟La prévision est un art difficile, surtout quand il concerne l’avenir” : Pierre Dac.
Et en effet, l’expérience confirme que la plupart des tentatives visant à une anticipation ce sont soldées par des échecs retentissants. Toutefois, cet exercice ne semble pas dénué de tout intérêt, car à défaut d’être d’une fiabilité à toute épreuve, il permet néanmoins une interrogation sur le futur et de ce fait, de l’envisager avec une plus grande disponibilité d’esprit et de sérénité.
René DUBOS propose une définition originale de la santé : ‟le véritable étalon de la santé n’est pas l’utopique absence de maladie, mais l’aptitude à exercer effectivement les fonctions requises par un milieu donné. Et comme ce milieu ne cesse d’évoluer, la santé est un processus d’adaptation continuelle, c’est un état changeant et dynamique.”
Il en ressort que l’évolution est consubstantielle de la santé. Pour aborder le devenir d’un domaine aussi complexe, il convient de l’aborder suivant plusieurs axes.
1. Les perspectives technico-scientifiques
1.1. Sur un plan général :
Des progrès concernant l’ensemble de la biologie sont susceptibles de découler du développement des biomathématiques allié à celui des puissances de calcul des outils informatiques. Ces capacités sont indispensables pour l’étude du génome, en outre, elles permettront la mise en place de modèles théoriques autorisant des recherches inédites et pouvant s’affranchir de procédures empiriques longues et incertaines.
1.2. La biologie moléculaire :
Elle est une voie déjà bien avancée, mais ses possibilités restent nombreuses. Par exemple, la perspective d’obtenir des traitements anticancéreux adaptés aux caractéristiques génétiques et biochimiques de chaque tumeur.
1.3. Les nanotechnologies :
La mise au point d’équivalents de petites machines fonctionnant à l’échelle supramoléculaire pourrait être à l’origine de nombreuses révolutions dont, à l’heure actuelle, on ne soupçonne même pas l’ampleur. Certaines applications sont cependant déjà envisagées, comme le guidage par l’imagerie de médicaments vers des organes cible, à l’aide de capsules fournies par les nanotechnologies.
1.4. Les organes artificiels :
Ils font appel à des connaissances en mécanique, en électronique, en robotique mais aussi en physiologie afin de suppléer à des organes défaillants pour aboutir à des réalisations telles que : le coeur artificiel, la prothèse cochléaire, divers neurostimulateurs, des prothèses de membre actives voire même guidées par la pensée… Ces possibilités considérables ont, par ailleurs, pour effet d’alimenter les fantasmes transhumanistes.
1.5. Les neurosciences :
L’on constate, d’ores et déjà, des avancées impressionnantes des savoirs concernant nos facultés cognitives. Elles ne seront pas sans effets sur le traitement des pathologies mentales.
2. Sur un plan socio-économique
Le secteur de la santé acquiert une place de plus en plus importante dans le monde de l’économie, comme le montre l’importance des sociétés pharmaceutiques cotées en bourse. Cela ne reste cependant pas cantonné au domaine du médicament et l’on observe maintenant des groupes financiers investir dans des cliniques. La santé apparaît incontestablement comme une source de production de biens dans le domaine tertiaire, permettant des échanges marchands, nécessitant de nombreux emplois faisant appel à un éventail de qualifications très large (de l’ASH au médecin ultra-spécialisé) et bien entendu à l’origine de profits non négligeables. Cela implique qu’il convient de considérer ce secteur comme non seulement générateur de coûts, mais également comme productif et à l’origine de richesses en termes d’unités de compte, mais aussi de savoir-faire et de cohésion sociale.
Cet aspect économique ne doit cependant pas masquer qu’il n’est pas le seul enjeu de la santé, celle-ci étant définie par l’OMS comme un « état de bien être physique et mental ». Cette définition apparaît bien vaste et franchit certainement la frontière du purement médical, mais on peut constater que les indices de bonheur incluent tous la santé comme paramètre. Cette dernière semble donc être un élément non négligeable dans l’établissement d’un monde social ajusté.
À ce titre, il apparaît que le secteur de la santé relève également de choix de société et donc par définition d’une intervention politique au sens large, c'est-à-dire ce qui concerne la marche de la cité.
Quelques éléments peuvent être dégagés en ce sens :
2.1. Le principe d’égalité :
Fondateur de la démocratie, il est perçu comme indispensable à l’établissement d’un monde social acceptable. Dans le domaine de la santé, cette égalité passe par une mutualisation de la contribution de chacun, afin que ceux qui ont la chance de ne pas être malade participent aux soins de ceux dont la santé est défaillante.
Il s’agit également de ne pas faire contribuer les assurés en fonction de leur risque, sous peine d’exclure les plus malchanceux. Ce phénomène est susceptible d’être amplifié par les performances des tests génétiques qui permettent d’établir des cartographies de prédispositions de plus en plus précises.
Il convient également que la participation de chacun soit adaptée selon ses revenus. Il persiste d’importantes inégalités en termes d’espérance de vie entre les ouvriers et les CSP plus favorisées comme les cadres. Ce différentiel ne peut être entièrement attribué aux disparités de revenus, mais également à un déficit d’éducation sanitaire. Il serait donc souhaitable de renforcer cet enseignement aussi bien dans le sens des connaissances médicales de base, qu’en ce qui concerne les modalités d’accès au système de soins.
2.2. Le paiement à l’acte :
Il est à la base des rémunérations des acteurs médicaux dans le système français. Mais il fût abandonné par les Allemands car ce mode de paiement est producteur de divers effets pervers.
Le premier de ceux-ci découle du fait que l’état essaye de contrôler les dépenses médicales en diminuant le montant de remboursement. Ce stratagème est parfaitement inefficace, ainsi que l’ont bien montré les diverses tentatives réalisées en ce sens, car compensé par une multiplication des actes. Cela revient à favoriser une inflation de soins car ce mode de rémunération incite les professionnels de santé à accroître leur activité pour gonfler leurs revenus. Par ailleurs, ce système entretient chez les patients des comportements de type consumériste et favorise le penchant à la pléonexie (vouloir toujours plus), déjà abondamment flatté dans le monde contemporain.
2.3. L’évaluation des traitements :
Il apparaît sans cesse de nouvelles possibilités de traitement dont le coût est en progression permanente. Leur efficacité et leurs avantages restent, dans certains cas, discutables. Cela justifie un contrôle du bénéfice effectivement procuré, afin de permettre un ajustement du remboursement effectué par les assurances sociales à un réel effet thérapeutique. De plus, il conviendrait de mener des négociations serrées avec les fournisseurs et notamment avec l’industrie pharmaceutique, à propos des conditions tarifaires. En effet, l’on constate que les prix pratiqués en France sont souvent supérieurs à ceux des pays européens analogues. En outre, les firmes multinationales sont essentiellement animées par une logique financière et commerciale, celle-ci n’étant pas obligatoirement compatible avec des impératifs sanitaires.
3. Aspect existentiel : le sujet face à la santé
- Michel Foucault a élaboré le concept de biopouvoir et il semble bien que son analyse reste toujours d’actualité. La médecine est de plus en plus à la source de normes comportementales concernant l’alimentation, l’exercice physique, le poids, l’éviction de certains toxiques… Ces prescriptions tiennent lieu d’une nouvelle forme de carcan moral. De plus, elles sont rarement sujettes à évaluation ainsi qu’à discussion. Elles apparaissent comme une nouvelle forme de domination aboutissant à un asservissement du sujet. Il s’y soumet volontiers car cela mobilise des ressorts fondamentaux de l’humain, tels que la peur ou le désir de plaire. L’on aboutit ainsi à la mise en place d’une nouvelle forme de servitude volontaire.
- Prendre soin de son corps et de son organisme apparaît bien entendu nécessaire comme le rappelle l’adage romain : mens sana in corpore sano. Toutefois, les préoccupations médicales peuvent devenir envahissantes, aboutir à une obnubilation néfaste et se traduire par un tableau d’hypochondrie généralisée entravant complètement le sujet (cf. Le Malade Imaginaire de Molière). Il est souhaitable de développer nos capacités à endurer certains inconforts et dysfonctionnements corporels. Cet exercice permet d’aboutir à un état où ceux-ci sont minorés en raison de la moindre importance qui leur est accordée et, en conséquence, de procurer un plus grand bien-être. Par cette pratique libératrice et en suivant les préconisations de Michel Foucault dans ‟ Le souci de soi”, de Peter Sloterdijk dans ‟Tu dois changer ta vie” et bien sûr du principe de ‟grande santé” de Nietzsche, il est possible d’accroître nos capacités et donc notre puissance. Ces auteurs s’appuient sur les philosophies antiques, dans une perspective eudémonique et visent à la recherche du bonheur. Alors qu’à l’inverse un trop grand investissement envers nos propres misères conduit à une passion triste (Spinoza), ne provoquant qu’un amoindrissement de notre être et nous enclavant dans notre propre sphère. Les neurosciences ont d’ailleurs montré que des pratiques de « lâcher prise » comme la méditation et la sophrologie sont de nature à améliorer notre état physique et mental (cf. les ouvrages de Christophe André).
Conclusion :
Le devenir de la santé apparaît comme complexe, relevant d’un entrelacement entre de nombreux secteurs, plusieurs niveaux de compétence et faisant appel à des acteurs multiples et variés.
Toutefois, pour paraphraser Clemenceau, la santé est top importante pour l’abandonner aux seuls médecins ou aux seuls économistes. Son devenir devra passer par la politique, c'est-à-dire par l’implication du citoyen(ne). Ce dernier est concerné à double titre, d’abord par les orientations qu’il envisage d’impulser au monde commun, mais aussi du fait de sa démarche de développement personnel.
Jean Brice
* * *
Exposé introductif de Michèle sur le thème:
la santé, où va-t-on?
La planète a été confiée à lʼhomme pour quʼil en prenne soin, nous dit la Genèse. Or nous sommes bien éloignés de cette préoccupation par la pratique de lʼagriculture intensive, lʼusage immodéré des pesticides, des produits chimiques toxiques de tous ordres.
Lʼêtre humain est devenu esclave dʼun système de profit. Les conditions de travail, le stress, la dépression en sont souvent la rançon.
Nous pouvons rester en bonne santé si nous restons vigilants, responsables et solidaires.
Nous devons nous intéresser à ce dont lʼhomme a besoin pour être en bonne santé, en particulier à lʼexigence de liberté. La maladie pourrait être perçue comme le manque de liberté.
Notre adversaire est la peur sous toutes ses formes, la peur de nʼêtre pas nous-mêmes, de perdre son emploi, la peur les uns des autres...
Il y a urgence à pratiquer lʼinformation, la communication, lʼouverture, la meilleure connaissance des besoins fondamentaux, lʼéveil des consciences et la solidarité.
Parmi certaines initiatives, le partage, le soutien des producteurs locaux, une hygiène de vie morale et physique, veiller à lʼestime de soi. Il est nécessaire de transformer son état dʼesprit et de participer ensemble à lʼéveil de nos consciences «rouillées»!
· * * *
Où va la santé ?
Contribution du Dr Alain WENDLING, psychiatre exerçant en Service Hospitalier Public et en Institution de Réadaptation.
Ce texte (ici nécessairement bref) a pour seul ambition de proposer une ouverture, un décalage, un écart…de pensée par rapport à un discours ambiant dont, avec d'autres, je perçois de multiples effets délétères dans l'exercice médical et le fonctionnement des institutions.
Le sujet de ce «Cafépo » est exprimé sur un mode interrogatif et dense, que l’on peut entendre sous (au moins) deux angles :
•
« objectif » , comme une question de sciences « dures » à laquelle on répondrait à partir des données actuelles, parfois dans une démarche innovante de pluridisciplinarité ou interdisciplinarité;
•
« subjectif », comme le signe traducteur d’une inquiétude, d’une angoisse, devant un avenir aux multiples « menaces » sur l'« humain », et dont l’intensité serait proportionnée à cette densité.
Cette « écoute duelle » me semble faire écho à la notion même de « santé », qui intègre ces deux aspects (voir aussi la référence ci-après dans le texte cité).
Idéalement, ceux-ci ne devraient pas s'opposer, mais plutôt s'équilibrer et se compléter dans une synergie constructive dans cette sorte de mouvement perpétuel que l'on peut trouver dans les transformations qu'opèrent en permanence les êtres humains (indissociablement constitués d'un corps et d'une psyché).
Toutefois, n' assiste-t-on pas à l'heure actuelle à l'installation d'un déséquilibre en faveur des approches scientifiques visant l’ « objectivité », sous-tendu par le développement des connaissances notamment en biologie moléculaire ou en neurosciences.
Il n'est sans doute pas étonnant que naissent alors des sentiments de« menaces » sur la « subjectivité ».
Je vous propose en débat trois questions :
1) Vers une médecine standardisée?
a) La "Médecine Basée sur les Preuves" (en anglais Evidence Based Medecine ou EBM) recueille une large audience, donnant la primauté à la "standardisation": dans ce modèle, les "unités statistiques" n'ont-elles pas tôt fait de remplacer les "personnes malades"?
Si l'apport des méthodes statistiques est incontestable (études épidémiologiques, essais thérapeutiques, …les exemples foisonnent), qu'en est-il des réflexions sur le sens que l'on veut donner à la démarche?
En dehors des aspects gestionnaires des coûts de la santé et de la médecine, l'évaluation, tant prônée par les économistes, prend-elle vraiment en compte un nombre suffisant de variables réellement pertinentes pour le calcul des rapports bénéfices / risques pour les patients? Les réponses sont sans doute loin d'être aussi consensuelles que certaines conférences du même nom pourraient sembler le laisser croire.
b) En psychiatrie, un exemple particulièrement démonstratif est celui des controverses au sujet du DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux éditée par l'Association Américaine de Psychiatrie) dont la cinquième version vient de paraître: les références dans la presse, spécialisée ou grand public, sont nombreuses à souligner les difficultés d'élaboration de cette classification et de son évolution à travers ses versions successives depuis la première en 1952.
Le besoin d'une classification d'une classification des troubles mentaux s'est fait sentir tout au long de l'histoire de la médecine.
Même en tenant compte de la notion d'évolution des connaissances à travers la Recherche et de la diversité de celle-ci à travers le monde, on constate qu'aujourd'hui encore des divergences majeures subsistent pour établir les classifications et des voix s'élèvent pour fustiger le poids que certains attribuent aux laboratoires pharmaceutiques dans les études.
2) Quelle place politique dans le futur pour les relations santé - environnement - travail ?
Ce point essentiel concerne surtout la dimension préventive des maladies dans les 3 registres définis par l' OMS (Organisation Mondiale de la Santé): primaire, secondaire et tertiaire.
Dans les questions relatives au devenir de la santé, celles de la prévention primaire sont cruciales d'un point de vue sociétal: le développement technologique certes, mais aussi les modes de vie et d'organisation sociale ainsi que la culture sont déterminants à cet égard.
Il s'agit d'une question où se croisent les approches tant individuelle que collective, touchant l'environnement écologique en général comme les environnements professionnels, avec leur impact trans-générationnel: où va notre santé aujourd'hui, mais comment sera celle des générations futures à travers nos choix environnementaux ?
On admet qu'il y a loin entre la connaissance des facteurs de risques (physiques, chimiques, biologiques, psycho`sociaux,…) et les actions pour les contrôler ou les supprimer si possible ou nécessaire.
On sait que "la vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible".
Peut-on pour autant se contenter d'une maxime minimaliste du type "le risque zéro n'existe pas" pour justifier l'inertie politique en matière de risques environnementaux pour la santé?
3) Vers une "médecine de l'incurable"?
Cette question fait référence à un texte publié "Le Monde.fr" du 26-07-2012, dont les auteurs sont:
J.C. Mino, M.O. Frattini, E. Fournier
Voir aussi l'article: "Pour une médecine de l'incurable" In revue "Etudes", juin 2008, p. 753-764 dont voici trois extraits.
Jean-Christophe Mino est médecin-chercheur et travaille sur les enjeux pratiques, éthiques et politiques de l’organisation des soins palliatifs en France. Emmanuel Fournier est auteur de plusieurs livres de philosophie sur la place du langage dans nos interrogations. Cet article s'appuie sur leur ouvrage commun Les mots des derniers soins (Editions Les Belles Lettres, 2008) où la notion de "médecine de l’incurable" a été proposée pour la première fois. Marie-Odile Frattini, médecin de santé publique, travaille sur l’évolution de la médecine notamment en ce qui concerne les maladies chroniques et le handicap.
Nécessité d'une médecine de l'incurable
Depuis la révolution thérapeutique de l'après-guerre et sa cohorte de "médicaments miracles", la médecine contemporaine se présente avant tout comme une activité "curative", qu'il s'agisse de faire disparaître totalement et définitivement la maladie2 ou de s'attaquer au processus morbide avec une efficacité partielle et/ou momentanée. La notion d’agir "contre" la maladie domine cette logique. Ainsi que le suggèrent les termes de "lutte" et "d'arsenal thérapeutique", ou les expressions archétypales telles que "il faut se battre contre la maladie", la démarche médicale contemporaine est largement imprégnée d'images guerrières. Dans ce cadre, le travail relationnel des médecins vise principalement l'engagement des patients dans le traitement, "l'observance", et la préservation d'un "bon moral", même lorsqu’il n’y a plus d’espoir de guérison3. Il est possible cependant que cette conception s’avère délétère dans de nombreuses situations où les moyens sont susceptibles de prendre le pas sur les fins4. C'est notamment le cas des maladies chroniques qui échappent au traitement au fur et à mesure de leur évolution. C'est aussi le cas des maladies dégénératives telles que maladie d'Alzheimer, des cancers "non maîtrisés", de la plupart des maladies génétiques ou orphelines. Cela concerne enfin les situations de handicap qu’elles soient évolutives ou non, la dépendance des personnes âgées et la fin de vie.
Une médecine de l'incurable s’appuie sur le point de vue de la personne malade
En passant du contrôle de la maladie à la lutte contre l'inconfort, la médecine de l’incurable exige par son objet même une relation soignant – soigné renouvelée. Le médecin doit s’appuyer au long cours sur la personne malade et tenir compte de ses préférences. Il cherche à repérer et à évaluer le travail de toute nature que la maladie et les soins demandent à la personne et à son entourage au quotidien, en vue de le diminuer. Une telle pratique se caractérise par une exigence couplant pragmatisme et éthique. C'est la seconde dimension décrivant une médecine de l'incurable. Ne se réduisant pas à la maîtrise technique de symptômes désagréables, elle nécessite de reconnaître la légitimité du point de vue subjectif du malade. Mais de quelle subjectivité s'agit-il9 ? L'approche médicale classique, fondée par la méthode anatomo-clinique, instaure un partage entre l'objectif et le subjectif qui confère le rôle principal au médecin. Selon cette approche, l'intérieur du corps du malade est comme transparent vis-à-vis du regard médical "objectif", et les plaintes "subjectives" des individus sont appréciées à l'aune de cette objectivité. Face à ce regard médical profondément incisif, il n'existe pas de région privée de l'individu. La médecine de l’incurable reconnaît le partage entre l’objectif et le subjectif, mais ne cherche pas à le réduire. La subjectivité est considérée comme un espace privé de la personne, une région sur laquelle le médecin n'a ni accès ni prise. L'individu est comme partagé en deux régions : une part publique, "objective", exposée aux professionnels, et une part privée, opaque, "subjective", dont seul l'individu lui-même peut témoigner. Ainsi, la manière dont une médecine de l'incurable considère le patient correspond à cette définition du "sujet" : seule la personne malade peut dire si elle a mal, ou porter un jugement sur son traitement et sur sa propre expérience de la maladie. Elle seule peut énoncer sa norme et la pratique médicale doit s'articuler avec cette nouvelle normativité.
(Cela conduit à une ) refondation de la relation soignant-soigné.
Une médecine pour le futur
Dans notre pays, un nombre de plus en plus important de personnes malades chroniques, en situation de handicap, ou simplement âgées, sont touchées par des pathologies incurables. Habituellement ces malades sont traités avant tout selon la logique curative, de manière séquentielle entre la médecine de ville et l'hôpital, notamment au moment d'épisodes aigus.
Cela n'inscrit pas forcément leur prise en charge dans une perspective de longue durée permettant de mettre en regard les questions médicales et les enjeux existentiels. La formalisation d'une véritable "médecine de l'incurable", aidant les patients à composer avec leur maladie, les protégeant activement de certaines souffrances, permettrait aux professionnels de mieux dispenser les soins. La conception de l'action médicale comme exercice de soulagement et de soutien face à la maladie s’articule avec une éthique de la relation clinique définie comme une aide au patient vu comme un sujet adulte et autonome.
Dans la plupart des cas d'incurabilité, comme ceux du cancer ou de nombreuses maladies chroniques, traitements curatifs et traitements de l'inconfort coexistent pendant longtemps, parfois même jusqu'à la mort. Le fil directeur de cette médecine n'est donc pas tant à rechercher dans le type d'actes opérés que dans le but et la logique pratique qui président à l'arbitrage des choix de la prise en charge selon leurs objectifs, leurs avantages et leurs inconvénients. Ce qui spécifie cette logique est d'ordonner, selon des fins de diminution de l'inconfort et de respect du patient, un ensemble de pratiques, traitements curatifs, lutte contre les symptômes et support à la vie quotidienne, effectuées sur et avec le malade.
C'est donc la manière de décider et la manière de faire selon certains buts qui caractérise cette forme de médecine, et non la nature des interventions effectuées. En ce sens, la médecine de l'incurable ne se résume pas à l'administration d'un traitement symptomatique, elle n'est pas un antonyme du curatif. Elle s'appuie sur un modèle de soins qui ré-agence la place des traitements curatifs dans la prise en charge. Expliciter et diffuser des pratiques inspirées d'un tel modèle d'intervention médicale, ne se limitant pas à l'idée d'un "combat" contre la maladie, mais ajustant les traitements avec les aspects de qualité de vie, faciliterait sans doute la vie des personnes malades et leurs négociations avec les professionnels. Il serait intéressant de pouvoir analyser, développer et enseigner ce modèle médical et soignant, épistémologique et éthique d'intervention en faveur de la vie quotidienne face et avec la maladie. Un nouveau champ de pratique et de recherche pourrait alors s'ouvrir, qui permette à l'exercice de la médecine et des soins de s'adapter, sciemment et en l'assumant ouvertement, aux évolutions en cours13. Une telle médecine ouvre la perspective de pratiques visant à soutenir la vie du malade avec sa maladie. A côté de l'efficacité des traitements, les notions de qualité de vie et de respect du malade sont des attentes fortes du public vis-à-vis de la médecine. L’enjeu plus général de la médecine de l’incurable concerne donc les rapports de la médecine avec la société, ainsi que la question de ses missions et de son contrat social. Les pathologies étant ce qu’elles sont, non toujours curables, il serait illogique que la médecine limite la perception de son rôle à leur éradication.
13 Il ne s'agirait pas à proprement parler d'une nouvelle spécialité mais d'un champ transversal de savoirs et de pratiques qui concerne toute la médecine et doit donc être organisé en conséquence.
Café politique du 7 novembre 2013
Quel avenir pour la santé?
Après les exposés de Michèle et de Jean-Brice, le débat s’ouvre.
1) La santé semble devenue un objet marchand subissant de fortes contraintes financières aujourd’hui.
• Selon l’adage: «la santé n’a pas de prix, mais elle a un coût» apparaît l’idée que l’humain peut être transformé en un objet commercial dont la santé devient un produit d’économie marchande. Les patients deviennent des consommateurs de santé. Aujourd’hui, il y a comme une fuite en avant permanente pour faire face aux besoins croissants de la santé qui ne pourront jamais être entièrement honorés financièrement. Dans les années 1980, les études de médecine en santé publique avaient encore une autre optique de la santé qui échappait à la marchandisation.
• A l’échelle mondiale, la santé a subi, comme d’autres domaines, les conséquences de la libéralisation économique à la suite de la chute du Mur de Berlin. Autrefois secteur prioritaire, la santé est aujourd’hui soumise à la loi de l’équilibre monétaire imposée par des organismes internationaux comme le FMI et la Banque Centrale. Le poids du budget de la santé dans les budgets des Etats est symbolique des choix politiques et sociaux des pays en particulier dans les pays en voie de développement.
• L’hôpital subit de plein fouet la logique financière à tel point qu’on parle d’hôpital-usine.
De nombreux postes sont supprimés, des consignes pour réduire le temps d’hospitalisation des patients sont monnaie courante. L’exemple caricatural d’un hôpital de Besançon où on incite le personnel soignant à ne faire la toilette des personnes âgées dépendantes qu’un jour sur deux est emblématique de la rationalisation financière imposée par les choix actuels. Les hôpitaux allemands vivent une flambée des maladies nosocomiales bien plus prononcée qu’en France. L’administration hospitalière fait appel à des consultants issus de l’industrie pour «optimiser les flux». L’hôpital public est particulièrement ciblé pour réduire ses dépenses de fonctionnement dans la mesure où il représente 70% du budget de la santé en France.
• Le système de santé aujourd’hui suit l’évolution générale du management. Depuis 30 ans ce ne sont plus des ingénieurs et des hommes de terrain qui dirigent les entreprises, mais des patrons financiers dont les objectifs entrent en contradiction grave avec l’équilibre des relations sociales au sein des entreprises.
• La recherche médicale subit également la loi du marché. Les découvertes scientifiques sont loin d’être toujours mutualisées. Il existe de puissants conflits d’intérêts qui profitent à certains groupes pharmaceutiques. De même, l’évaluation des médicaments est bien imparfaite pour des raisons concurrentielles. L’herboristerie est en passe de disparaître.
• L’organisation sociale, elle-même, génère de nombreuses pathologies liées au travail (stress, produits toxiques...), à l’alimentation ( excès de sucre, produits industriels ), à la consommation exagérée d’alcool et de tabac... Notons que souvent, historiquement, l’alcoolisme se répand plus facilement dans les couches sociales les plus défavorisées.
2) On assiste à un processus de normalisation du sujet malade en particulier en psychiatrie.
• A ce sujet, se reporter au texte d’Alain en fichier joint qui analyse les méfaits du DSM V très critiqué par Steve DEMAZEUX, philosophe des sciences, dans son ouvrage récent:
Qu’est-ce que le DSM? En démultipliant les catégories diagnostiques, le DSM V fait flamber la consommation médicamenteuse et ouvre un champ de profit non négligeable aux laboratoires pharmaceutiques, d’autant que nombre de médecins auteurs du DSM V aux Etats-Unis ont des liens avec ces mêmes laboratoires. Aux Etats-Unis, le remboursement d’un traitement étant lié à la nature du diagnostic, il est facile de comprendre l’intérêt financier qu’il y a à créer de nouvelles pathologies..
• La définition de la santé par l’OMS : «Etat complet de bien-être physique, mental et social» donne à réfléchir au caractère normatif de cette pensée sur la santé et à la difficulté à définir la santé.
3) Face à ce constat, y a-t-il des solutions?
• L’exemple de cliniques privées qui fonctionnent mieux que l’hôpital est avancé.
• La caisse d’assurance - maladie d’Alsace-Lorraine est en équilibre financier et même excédentaire certaines années tout en subissant les mêmes contraintes que le reste de la France. L’équilibre est donc possible avec une gestion plus rigoureuse (l’émission de C dans l’air du 6 novembre 2013 en fait état). Un contre-argument consiste à dire que l’Alsace reste une région riche et a des rentrées plus importantes pour financer la protection sociale.
• La médecine allemande a abandonné le paiement à l’acte pour réduire la demande inflationniste de soins.
• La réhabilitation de la place du médecin de famille qui synthétiserait l’histoire médicale du patient pourrait permettre d’éviter un certain nomadisme médical et désengorger les urgences.
• La responsabilité individuelle et la solidarité sont à cultiver comme valeurs sociales pour améliorer la santé des populations.
• L’éducation à la santé semble primordiale. Notons qu’en Suisse, à l’entrée des concerts, des dépliants sont distribués indiquant toutes les conséquences néfastes de la prise de drogues.
• Malgré toutes les difficultés que vit le système de santé, la longévité progresse.
Contre argument:
oui, mais pas de façon égalitaire. L’espérance de vie des personnes effectuant des tâches pénibles tend à diminuer en Europe.
En conclusion, une ouverture est proposée par Alain dans son texte quand il fait référence à la médecine de l’incurable qui «passe du contrôle de la maladie à la lutte contre l’inconfort et exige par son objet même une relation soignant-soigné renouvelée». Ici, il convient de quitter une logique uniquement curative et d’aider les patients à composer avec leur maladie. L’enjeu de cette médecine concerne les rapports de la médecine avec la société, ainsi que la question de ses missions et de son contrat social. Là où l’on comprend que la santé ne devrait pas se passer du regard citoyen et de choix élaborés plus démocratiquement.
Débat après la présentation du 6 novembre 2013 sur le livre De l’intime de François JULLIEN ( suite)
1) Le partage de l’intime est-ce l’amitié? inspiré de Comte Sponville (dictionnaire philosophique).
• Les Grecs connaissaient déjà le partage de l’intime: la philia. (l’amitié). C’est une relation de coopération qui se distingue de l’amour possessif (l’éros). Elle est privilégiante et fait jouir de la présence de l’autre sans jouir de sa possession. L’amitié n’est pas incompatible avec le sexe. L’amitié n’est pas délibérée.
• C’est un entre deux, entre le je et le tu qui ne fait pas intervenir le il. L’amitié ne se commande pas. Elle s’établit «à l’insu de notre plein gré». On retrouve cela dans la description de Simenon: A l’insu de notre plein gré, mais c’est quand même parce que c’était toi et parce que c’était moi. C’est pourquoi il est difficile d’établir une morale générale à partir de ce lien. Il y a quand même un achoppement. Là où Jullien est intéressant c’est quand il ne présente pas uniquement la morale comme un pensum, une contrainte. En effet, pour qu’une morale soit effective, il faut qu’il y ait survenue de joie.
En effet, la joie se partage et ne se partage pas à la manière d’un gâteau parce que plus on en donne plus il y en a. Il faut penser à une forme de morale satisfaisante pour celui qui donne et également pour celui qui reçoit. La morale doit être une source de joie et non une morale sacrificielle qui a été mise en oeuvre par le christianisme ( pas par le Christ).
• EROS ET PHILIA.
JULLIEN a l’air de critiquer l’Amour bruyant pour le remplacer par l’intime. COMTE SPONVILLE et Jean-Brice peuvent évidemment dire facilement que l’intime c’est l’amitié, c’est la philia depuis ARISTOTE. Or il y a deux amours en Occident et JULLIEN fait semblant de ne parler que d’un seul et le passe au lance-flammes qui est l’amour - manque, le désir-manque, Eros, l’amour platonicien qu’on peut considérer à juste titre comme «une dinguerie occidentale». Mais l’intime de JULLIEN entre beaucoup plus dans le cadre de la philia, l’amour d’ARISTOTE, pas du tout l’éros, mais de l’amour puissance de SPINOZA. Dans ce cadre là JULLIEN ne s’oppose plus. COMTE SPONVILLE est beaucoup plus amour puissance et spinoziste que éros. Les deux éros et philia se partagent la conception de l’amour en Occident, mais sont contradictoires. C’est l’illusion occidentale et pas du tout chinoise que tout se traduit en terme d’être et d’ontologie. Eros et philia se déterminent en termes d’être et d’ontologie. Pour que l’intime soit la base universelle d’une morale, il y a de grandes difficultés. Souvenons-nous du couple DUTROUX qui apparaissait comme deux personnes en intimité. Est-ce que leur intimité peut servir de base à une morale universelle? Une historienne a démontré qu’Eva BRAUN n’était pas une oie blanche, mais qu’elle partageait absolument toutes les convictions, donc l’intimité d’ HITLER. C’est-à-dire que le couple HITLER- Eva BRAUN était intime.
2) François JULLIEN et le langage du corps.
Dans ce qui est décrit par JULLIEN nous sommes très proches du simple langage du corps c’est-à-dire qu’il y a une acceptation de l’humain dans son animalité. Dans le Monde du 6 novembre 2013, il y a un article intitulé Un humaniste chez les singes. Il s’agit d’une étude concernant les primates les plus évolués pour constater que nous sommes très peu différents d’eux d’un certain point de vue puisque ils sont comme nous capables de sympathie, d’empathie et de compassion. J’ai du mal à décrire davantage, mais je crois que nous en avons sans doute fait l’expérience, il y a des moments, quand nous sommes désinhibés, hors du regard du sur-moi, hors de nos préjugés, en laissant très simplement parler les corps et en se sentant simplement animal avec juste ce qu’il faut de conscience, on est effectivement très proche de ce type de comportement qui est décrit.
L’approche de JULLIEN me satisfait aussi pour une autre raison. Nous pouvons quand même parler de morale dans le sens où la morale peut aussi être regardée comme une attitude philosophique qui consiste à se demander: comment dois-je me comporter?
Ultimement, il me plaît beaucoup que ce qui est dit là puisse se conjuguer avec avec une éthique que j’ai entendue récemment dans la bouche de Julia KRISTEVA qui intervenait quelque temps après les premiers soubresauts du mariage pour tous et elle parlait de la sexualité. Je pense qu’ on peut parler d’emblée de la sexualité au sens que nous sommes tous des êtres sexués et il s’agit aussi de relations sexuelles au sens le plus large.
KRISTEVA suggérait qu’il fallait dorénavant penser l’homme différemment, se tourner vers la physique de l’immensité. Nous découvrons que nous n’avons plus affaire à un univers, mais à des multivers. Cela nous oblige à élargir complètement notre manière de voir. Et au regard de la sexualité il faut l’envisager comme étant le lieu de l’imaginaire, un lieu d’invention... où évidemment il y a une rencontre qui se fait, fatalement une rencontre intime. Je dirais que tout cela me plaît beaucoup. Je suis d’emblée en empathie avec François JULLIEN. C’est une morale qui peut se conjuguer avec une vision poétique de l’existence.
• Un autre intervenant fait remarquer à propos de nos cousins simiesques que des études psychologiques ont démontré que les liens amicaux se nouent et se tissent beaucoup plus facilement en situation de menace commune. On le voit dans l’exemple de SIMENON. Cette amitié va se réaliser parce qu’ils sont dans une situation difficile et sous la menace.
• Une précision est donnée par un intervenant qui dit que nous sommes capables de bien davantage de violence que les animaux et que l’ approche anthropologique de JULLIEN telle qu’elle vient d’être décrite est probablement de nature à beaucoup atténuer nos pulsions les plus violentes.
• Un autre intervenant dit que si on compare les animaux aux humains, il ne faut pas oublier que les animaux sont incapables de symbolique, or l’intimité et notamment le sexe chez l’humain sont chargés de symboles forts et cette charge symbolique peut promouvoir l’intime chez les humains.
3) Une morale qui va à l’encontre de la démocratie.
J’ai un peu lu le livre. Ce qui m’intéresse c’est que au niveau de la société il y a une morale d’ordre prescriptif. Chaque fois ce sont des institutions de pouvoirs politiques (l’Eglise, etc...) qui imposent une morale d’ordre politique. L’institution la plus importante en ce moment c’est la démocratie qui impose une morale. Nous sommes tous en ce moment égaux devant la loi, c’est une position, une prescription. JULLIEN laisse entendre que sa position en tant que morale va à l’encontre de la démocratie et cela me paraît très intéressant.
Quelle est la primauté des rôles sociaux face à ce relationnel expliqué par l’intime? Qu’est ce qui prime dans nos sociétés actuelles? Tu tentes de voir un côté politique. Pour moi, je vois le côté politique. Je trouve en fait que les rôles sociaux dans nos sociétés sont assurés surtout par les instances du pouvoir politique, et par l’instance suprême, la démocratie. Toutes ces instances font primer davantage les rôles sociaux sur les rôles du relationnel en tant qu’intime conçu par JULLIEN. De ce fait, cette idée de morale se trouve restreinte, ne peut aller au-delà d’un petit groupe. Il faudrait autre chose...
• la démocratie est un cadre dans lequel les acteurs dépendants fonctionnent. Pour vivre dans ce cadre on abandonne nos propres intérêts.
• A propos d’intime et de démocratie, on n’a pas parlé d’intime conviction qui exprime une certaine conception de la morale (voir l’exemple des jurés ). Chez Platon, l’intimité était plutôt une sorte d’énergie intérieure pour accéder à la perfection.
4) FOESSEL et JULLIEN.
• Tout d’abord je rappelle ce que j’ai compris de la pensée de JULLIEN. L’intime, c’est le plus intérieur. L’intime, au-delà de l’Amour nous ouvre à tout ce qui est l’Autre.
L’Occident qui a accès à l’intime, fait tomber la frontière entre le dedans et le dehors ce qui nous donne l’occasion de revoir notre rapport à l’intériorité et à la relation avec l’Autre. Être intime avec l’Autre, n’est-ce pas donner accès à ce qui est le plus indicible en soi? Donc, il existe une nouvelle manière de repenser les fondements moraux c’est-à- dire quand l’ extériorité s’estompe, le partage profond devient réalisable et la possibilité, non pas d’une vie à deux, mais de vivre à deux s’ouvre. Devient concevable une vie d’intensité, de partage, de rencontre. L’intériorité se creuse, mais en sortant d’elle-même, en faisant l’expérience de l’altérité.
• Il y a une autre version qui contredit cette vision. C’est la vision de FOESSEL. Il se demande pourquoi l’instrumentalisation de l’intime représente un danger. Il s’interroge sur les effets de la dévalorisation d’une intimité désormais exposée au regard de tous. Il développe une réflexion originale en distinguant l’intime et le privé. Le privé nous appartient et l’intime nous concerne. La modernité a inventé l’intime pour le réduire au développement de droits privés et de l’individu. Pourtant l’intimité ne relève pas de la logique de la propriété ou de la maîtrise. Il est l’expression d’un lieu où le sujet court le risque de la dépossession. L’intimité est un pouvoir de contestation de la société et des traditions. La reconnaissance effective constitue enfin un puissant moteur social car il permet l’élaboration de la liberté de choix, de la confiance et de l’estime de soi. Par cette richesse qu’il a mentionnée comme intimité, c’est la possibilité de la liberté et la possibilité d’ouverture.
5) REICH et JULLIEN.
Dans les années 1900, REICH dit que lorsqu’une société politique est à la fois violente, totalitaire et anti-humaniste, c’est par l’orgasme qu’on va arriver à trouver les ressources pour lutter contre le fascisme. Par l’intermédiaire d’un tiers entrant, c’est-à-dire la rencontre de deux intimes se crée une morale propre qui permet de lutter contre la morale publique. Après 1968, existe le lien entre l’intime et le monde. On voyait dans le métro des affiches indiquant: «Plus je fais l’amour, plus je fais la révolution!». Quand on vivait de bonnes étreintes dans l’alcôve, on améliorait le monde en même temps! Deux intimes avaient une action tierce.
Notons à ce sujet que les totalitarismes se sont fortement opposés à l’intime. Rappelons que l’intimité était pourchassée par toutes les formes de totalitarismes parce qu’il s’agissait d’un espace de résistance.
6) Une pragmatique liée à une nouvelle morale?
J’ai compris que tu souhaitais faire sortir quelque chose de cet exposé. Il conviendrait de tenter ensemble de creuser ce que ce texte peut faire ressortir en termes concrets.
7) L’intime peut-il rester fermé ?
Le paradoxe du mot intime est que ce mot désigne à la fois la plus grande ouverture à l’autre et la plus grande fermeture, c’est mon intimité. Donc mon intimité, c’est un espace, un lieu où je ne suis qu’avec moi-même, un lieu où je ne suis pas sous le regard des autres. C’est ma part inaliénable qui ne subit pas l ʻaliénation.
• Autre intervenant: Cela me fait penser au côté pulsionnel quand même, sans vouloir aller dans le psychologisant, le fait que cet intime qu’on ressent n’est jamais suffisant et donc on est toujours à la recherche de plus intime et j’ai cru comprendre que ce qui était en jeu dans la dynamique de JULLIEN c’est que pour aller plus loin on a besoin de partager quelque chose avec quelqu’un d’autre et donc ce n’est jamais de boîte noire de l’intime à laquelle on n’accèderait pas qu’il s’agit ou en tous cas définitivement pas. En tous cas on a toujours besoin chercher une autre porte pour en ouvrir une autre facette.
• Pour SARTRE, il y a un circuit d’ipséité, parce qu’en étant soi-même, c’est se cliver et c’est la capacité de s’observer soi-même et donc cela impose une division et donc notre intimité n’est jamais quelque chose de simple. En fait, c’est un circuit et c’est extrêmement paradoxal parce que pour être intime finalement il faut être capable de s’observer soi-même et ce paradoxe vient rejoindre celui du paradoxe de l’intimité partagée et qui est à la fois le plus intérieur et en même temps quelque chose qui est partagé et je pense que pour que soit véritablement cette intimité partagée il faut qu’il y ait aussi un circuit qui s’établisse en analogie avec le circuit de l’ipséité dont parlait Sartre
• que reprend d’ailleurs RICOEUR : l’autre comme soi-même, c’est la même dynamique..
8) Une position inverse de JULLIEN.
L’intime d’abord, c’est quelque chose qui ne se partage pas. Dès qu’on partage de l’intime on est dans le cadre de l’ʻintimité. D’autre part, je cherche un mot dans le discours de JULLIEN pour remplacer le mot morale parce qu’une morale c’est quand même la mise en place d’un système que l’on estime être le meilleur, avec une valeur universelle qui doit régir des conduites et des rapports qui indiquent des droits et des devoirs. Or dans tout ce qu’il décrit, dans les exemples qu’il montre, on est, je ne veux pas dire dans la moralité, ce n’est pas amoral non plus. Il n’y a plus de règle, il n’y a plus de devoir, on est dans l’instinct animal à la limite. Je cherche un mot pour remplacer la morale parce que morale ne convient pas comme l’intime ne convient pas non plus.
Pourquoi opposer l’intime et l’Etat? Nous vivons dans une dichotomie permanente. Il peut ne pas y avoir d’intimité avec l’Etat, mais on peut néanmoins être intime... J’ai du mal ce soir...
9) Le mot de confiance est important et doit être à nouveau souligné quand on parle de partage de l’intime.
10) Si on admet qu’il y ait un processus de type partage, est-ce qu’on échappe à un processus de type moral lié à cela?
On est bien obligé d’essayer d’en déduire quelque chose au niveau des règles qui peuvent régir le comportement des uns par rapport aux autres.
• Réponse d’un intervenant: Toute action et toute pensée est en excès par rapport à ce qui l’a provoque. Et cet excès là, on ne peut en avoir connaissance que par l’autre. Et constituer une morale par rapport à un excès est une nécessité parce que comment peut-on construire des limites si on ne sait pas ce qu’il y a au-delà des limites? Mais est ce que cela permet de constituer une morale ou de limiter une morale ou de décrire une morale? Pour décrire une morale, il faut la prescrire..
• L’explication part des Chinois qui expérimentent.
• Si je voulais parler de l’intime en chinois, je dirais, c’est à moi. Il n’y a pas de mot pour dire l’intime. C’est plus clair de dire c’est le mien, cela m’appartient. Le chinois a cette particularité d’être beaucoup plus précis.
11) la schizophrénie empêche de sortir de soi...
Conclusion: la route du soi...
À QUOI SERVENT LES INSTITUTIONS INTERGOUVERNEMENTALES?
« (…) Aujourd'hui, depuis un mois les combattants de l'Armia Krajowa ensemble avec le peuple de Varsovie, saignent en solitaires sur les barricades dans la lutte inégale avec un adversaire surpuissant. (…) Le peuple de Varsovie, a été laissé à lui-même sur le front de la guerre commune contre les Allemands – voici la tragique et monstrueuse énigme, laquelle nous Polonais, n'arrivons pas à déchiffrer dans le contexte de la supériorité technique des Alliés cette cinquième année de la guerre. (…) Les experts nous expliquent que l'aide à Varsovie est techniquement difficile, on nous fait la leçon d'optimisation des coûts et des profits. Si compter il faut, alors souvenons-nous que les pilotes de chasse polonais durant la Bataille d'Angleterre ont perdu plus de 40 % d'hommes -15 % des avions ont été perdus durant les essais visant à porter de l'aide à Varsovie. (…) Si les habitants de la capitale polonaise devaient périr sous les ruines, si la passivité, l'indifférence ou le calcul froid les aient laissés se faire massacrer – alors sur la conscience du monde pèserait un poids de souffrance horrible inédit dans l'histoire. »
Ordre du 1er septembre 1944, Chef Suprême des Armées polonaises.
« Nous sommes également guidés par la conviction qu'aucune nation n'est en mesure de construire seule un monde meilleur et plus sûr. Les alliances et les organisations multi latérales sont là pour accroître la force des pays épris de liberté. Notre pays est très attaché aux organisations durables que sont l'ONU, l'OMC, ou l'OTAN, pour ne rien dire d'autres organismes reconnus de longue date. La coalition des bonnes volontés vient renforcer l'action de ces organisations. Quoi qu'il en soit, il faut absolument que les obligations internationales soient prises au sérieux. Il n'est pas question de les traiter sur le mode symbolique pour exprimer son soutien à un idéal sans rien faire de concret pour chercher à l'atteindre. »La stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis : une ère nouvelle, « Introduction » George W.Bush, 2002.
PLAN
1. Les organisations intergouvernementales à l’échelle mondiale
a. Définition
b. Objectifs
c. Quelques exemples
d. Primauté de l’ONU
2. Quelques constats préalables
a. États-nations dans le capitalisme global
i. Mode de production capitaliste
ii. États-nations : leurs objectifs
iii. Leurs moyens
1. L’État de droit
2. L’État de droit sur le plan international
3. Aspects historiques
a. Conférence de Berlin
b. Société des nations
c. Déclarations et conférences interalliées
d. Nations unies
e. OMC
4. Les institutions intergouvernementales ou internationales au service d’une concurrence entre les États-nations
a. Les États-Unis : contrôle du pouvoir politique à l’échelle globale
i. Les deux orientations
1. Puissance militaire, économique et diplomatique à elle seule
2. Puissance qui permet la création de l’ONU
b. Les alliés
i. Les partenariats
1. Conseil de sécurité
2. Autre partenariats
ii. Les tensions
c. Les autres pays : leurs rôles
* * *
Les organisations intergouvernementales et leur rôle dans le monde
Geneviève Wendling
10 octobre 2013
1) Définitions. (Wikipédia)
• Une organisation internationale (OI) est une personne morale de droit public fondée par un traité international par des Etats ou des organisations internationales afin de coordonner une action sur un sujet déterminé par les statuts.
• Il faut distinguer deux types dʼorganisations:
- celles publiques, dites aussi intergouvernementales (OIG), qui émanent de, et sont contrôlées par des gouvernements de divers pays
- celles non gouvernementales (ONG) qui émanent de membres privés de divers pays (environ 3000 dans le monde). Ce sont des associations de droit privé, dont lʼactivité est internationale. Par exemple: Amnnesty International ou MSF (Médecins du monde).
- La Croix rouge nʼappartient à aucune catégorie.
Le terme organisation internationale est utilisé pour les seules organisations intergouvernementales
2) Nombre et domaines dʼexercice des organisations intergouvernementales.
En 1996, 320 contre 100 en 1950.
a) Organisations à vocation mondiale sur les plans du
- politique: ONU
- culturel: UNESCO
- travail: OIT
- sécurité nucléaire: AIEA
- santé: OMS
- commerce: OMC
- recherche scientifique: CERN
- économique: OCDE
- métrologie légale: OIML
- et bien dʼautres...
b) Exemples dʼorganisations à champ géographique restreint:
- Union européenne, mais organisation particulière qui combine le supranational et lʼintergouvernemental
- la Francophonie, le Commonwealth, la Ligue arabe (affinités culturelles ou histoires spécifiques)
- OPEP (intérêts communs, ici lʼexportation du pétrole)
- OTAN (alliance militaire)
- et bien dʼautres...
3) Création et structure dʼune organisation intergouvernementale.
Elle est créée grâce à un instrument juridique qui constate lʼaccord des Etats membres.
Cet accord est soumis à la procédure de ratification qui varie selon lʼacte multilatéral fondateur. Par exemple le plus souvent un nombre minimal comme pour lʼONU. LʼOMC est entrée en vigueur avec moins de 80 ratifications sur 128 membres.
La plupart des OI votent selon le principe majoritaire (majorité simple: 50% plus une voix, ou majorité renforcée ou qualifiée: 2/3 ou pourcentage des voix). De plus en plus se développe la formule du consensus: il nʼy a pas de vote formel.
Toute OI est tripartite (trois séries dʼorganes)
• une assemblée des Etats membres, organe délibérant
• un secrétariat, organe administratif et permanent de lʼorganisation qui a à sa tête un secrétaire, par exemple, Ban Ki-Moon, actuel Secrétaire général de lʼONU depuis 2007.
• un organe exécutif: cʼest lʼorgane pilote. Pour lʼONU, cʼest le Conseil de sécurité des Nations Unies.
4) Activités.
• normatives: élaborer des normes de droit international appliquées par chaque Etat membre,
• opérationnelles: comme lʼassistance technique (envoi dʼexperts dans les pays pour faire un état des lieux comme le fait le FMI) ou intervention en cas de différends entre Etats (cf ce qui se passe dans lʼUE ou dans dʼautres organisations internationales à vocation régionale), ou encore inspection sur place pour le contrôle de certaines normes.
* * *
Café politique du 10 octobre 2013
Quels rôles jouent les organisations intergouvernementales (OIG) dans le monde?
Dans son introduction au débat, Ivan met l’accent sur le fait que les Etats sont garants de l’égalité formelle des citoyens devant la loi et de la préservation des droits individuels, mais qu’ils tolèrent des inégalités économiques criantes. Ces Etats, organisés en OIG, évoluent dans lʼespace du capitalisme mondial et gèrent leurs intérêts souvent contradictoires dans ce cadre. Le capitalisme se déploie dans des contextes politiques étatiques très divers comme celui de la social-démocratie, celui d’un pouvoir fasciste, etc...
Il dépend des conditions historiques et géographiques.
Pour plus de détails sur les OIG (définition, structure), se reporter au plan d’Ivan et au texte de Geneviève.
Le débat s’ouvre sur les rôles des OIG dans le monde et les nombreuses critiques qu’ils suscitent:
A) Partons du fait que le but de toutes les OIG n’est pas la préservation de lʼéconomie capitaliste.
1. Un des buts des OIG est de préserver la paix, de gérer les conflits ethniques et les luttes de frontières.
Force est de constater que « l’ONU est souvent décriée pour ses blocages et ses insuffisances et que ses décisions politiques et diplomatiques ne sont elles-mêmes que le reflet des rivalités internationales et des compromis géopolitiques de ses Etats membres concernant la marche du monde», nous dit Laurent Carroué, géographe, auteur d’un ouvrage sur La mondialisation contemporaine, paru en 2013 chez Bréal.
Dans la question de la Syrie, il est difficile de comprendre la position de l’ONU.
Y a-t-il des intérêts énergétiques en jeu entre les puissances qui empêchent une politique en lien avec la situation?
Un intervenant donne un autre exemple, celui de la Conférence dʼHelsinki de 1975.
Il a participé à sa préparation et indique que dans ce cadre les divergences des parties prenantes étaient manifestes. Les Russes avaient pour objectif de faire reconnaître le statu quo européen et les Etats-Unis étaient dans la crainte que la guerre froide ne dégénère en guerre «chaude». Le Bloc Ouest voulait freiner la course aux armements.
Cette Conférence a débouché sur la création de l’OSCE (organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Son travail est moins visible médiatiquement que celui de l’ONU. Ici, il ne semble pas y avoir dʼenjeu économique de type capitalistique.
2. Les tribunaux internationaux ont pour but de juger les crimes contre lʼhumanité.
Ils le font avec une réussite variable. Ils ne traitent pas, et de loin, toutes les situations de crimes contre lʼhumanité. On peut sʼinterroger sur les raisons qui les motivent dans les choix qu’ils font.
3. Les OIG créent des règles de droit, qui ratifiées par les Etats membres, sont hiérarchiquement supérieures aux règles de droit national. Ainsi, la Cour des Droits de l’Homme située à Strasbourg est une instance européenne ultime dont les jugements évitent les atteintes aux Droits de L’Homme dans les pays concernés.
B) La discussion porte sur la question de la création de normes économiques dans le cadre des OIG.
1. Sous l angle positif, notons lʼexistence d’une Agence européenne du médicament qui contrôle la validité des médicaments dans une zone géographique donnée et crée ainsi une forme dʼhomogénéisation en évitant les dérives toxiques dans le domaine pharmacologique.
2. Des séances de lobbies entre industriels aboutissent à lʼauto-certification et mettent en synergie les compétences des professionnels même si les normes allemandes ont tendance à prévaloir (GS).
3. Cependant de nombreuses zones dʼombre apparaissent dans ces processus de création de normes internationales• Certains eurodéputés sont prêts à se faire acheter par des lobbies pour défendre certaines normes dans les textes réglementaires (cf un traquenard monté en 2011 au Parlement européen de Strasbourg par des journalistes d’un tabloïd britannique qui se sont fait passer pour des lobbyistes et qui ont financé les services demandés au niveau de 6000 euros par jour de «consulting»!!). Depuis, le Président du Parlement européen a pris la décision de mieux encadrer les pratiques de lobbying.
• Se pose la question de la transparence et de lʼhonnêteté qui président aux choix des normes industrielles internationales.
• Certaines de ces normes au niveau planétaire, notamment dans le domaine des Télécommunications, ne finissent-elles pas par avoir un impact sur notre vie quotidienne?
C) Mise en regard du capitalisme mondialisé et des OIG.
Les Etats, organisés en OIG ou chacun dans son territoire national, jouent-ils un rôle de rempart face à un capitalisme mondialisé caractérisé par les paradis fiscaux et la volatilité des capitaux?
Depuis la pratique ultra-libérale de Reagan et de Thatcher, le capitalisme apparaît complètement libéré (par exemple, plus de séparation entre banques dʼaffaires et banques de dépôts). La gouvernance mondiale n’a pas suivi cette mondialisation capitalistique et laisse les citoyens dans la difficulté. Lʼexemple récent des salariés français de Ryanair en est un symbole: ils ont été contraints pour travailler de signer des contrats de travail irlandais minorant ainsi leurs droits sociaux.
La récente montée des extrémismes en Europe pourrait être lʼexpression de ce désarroi que le politique ne relaie plus. Les OIG semblent être un théâtre où se mettent en scène les intérêts des détenteurs du capital. Sous lʼaspect apparemment technique de la mise au point de normes économiques internationales se jouent des intérêts financiers considérables.
Conclusion
Restons sur une note optimiste pour constater que le français est une langue importante dans le domaine diplomatique. Elle est la deuxième langue officielle de l’ONU après l’anglais. Dans le conflit israélo-palestinien, la traduction française de certains textes apparaît autrement nuancée que la traduction anglaise. Ces différences peuvent éclairer de manière pluraliste des situations diplomatiques très complexes.
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Café politique du 5 Septembre 2013
LES ETATS-UNIS, UN COLOSSE AUX PIEDS D'ARGILE?
Par Jean-Luc
Les Etats-Unis sont devenus une grande puissance sous la présidence de Franklin Roosevelt, élu la première fois en 1933, puis réélu trois fois. Ayant surmonté l’épreuve de la poliomyélite, qui le laissera dans un état de semi-invalidité, il saura durant ses mandats faire preuve d'audace et de ténacité. «Nous n’avons à avoir peur de rien sinon de la peur elle-même», déclara-t-il le jour de sa première investiture.
Dans un monde frappé par une crise aigüe, il invente la politique du «New-Deal», fondée sur de grandes commandes d’Etat et sur des réformes sociales: les Américains lui doivent les pensions de retraite, l'allocation chômage, le salaire minimum et un embryon de Sécurité Sociale. Les fondements de cette politique resteront en vigueur jusqu’aux années Reagan. Toutefois sa grande affaire fut la conduite des opérations militaires US lors de la deuxième guerre mondiale. En 1933, le Congrès et l'opinion étaient farouchement isolationnistes. Il réussit à obtenir leur soutien alors que l'Angleterre se battait seule après la capitulation française, contre le Reich hitlérien. Les US ne se lancèrent cependant pleinement dans la bataille qu’après l’attaque japonaise de Pearl Harbour, en décembre1941. Ils créeront alors le plus gigantesque arsenal militaire jamais conçu jusque là. Roosevelt mourra peu avant la fin de la guerre, mais avait eu le temps de projeter avec Churchill, l'architecture de ce que serait le monde d’après la guerre.
Les principes contenus dans ce que les historiens connaissent sous le nom de Charte de l'Atlantique, formeront la base de ce qui deviendra la Charte des Nations-Unies; Il en exposa les lignes lors de la déplorable conférence de Yalta, Staline promettant naturellement d’y adhérer...
La Charte est définitivement adoptée en juin 1945, les USA en seront un des cinq membres permanents. On peut dire aujourd’hui que l'ONU n’aura pas répondu aux espoirs que ses promoteurs avaient placé en elle, les conflits se succédant sans que son intervention n’en anticipe ni n’en résolve aucun. Comme avait dit De Gaulle: «Ces organismes internationaux sont bons pour attraper la vérole».
Le successeur de Roosevelt, Harry Truman, élu en 1945, décidera d’en finir au plus vite avec le Japon. Il utilisera l’arme nucléaire à deux reprises, obtenant ainsi la capitulation de l’Empire nippon. Il lance le plan Marshall pour reconstruire l'Europe, puis met en place la politique «d'endiguement du communisme»: les soviets se moquant de leurs engagements antérieurs, ayant profité de l'anarchie régnant sur le continent européen pour vassaliser un grand nombre de pays. Il n’était dès lors plus question de revenir à une politique isolationniste, mais «de ranger délibérément les USA dans le camp et à la tête du monde libre». Certes, il ne s’agira pas d'utiliser l’arme atomique, mais de limiter les conquêtes soviétiques à ce qu’elles ont pu être à la fin de la guerre. Il s’agira «d'opposer aux Russes une contre-force inaltérable en tout point où ils montreront des signes de leur volonté d'empiéter sur les intérêts d’un monde pacifique et stable».Cette politique d'endiguement ne s'achèvera qu’à la fin de l’URSS, en 1991.
Jusqu’à cette date, le monde restera divisé en deux blocs antagonistes, lesquels devront instaurer une coexistence rendue nécessaire par le potentiel destructeur de l’arme nucléaire dont disposera chacun d’eux. C’est l'équilibre de la terreur. Concrètement cela se traduira en avril 1949 par la création de l’OTAN, traité qui survivra à la disparition de l'adversaire contre lequel il s’était constitué.
Finalement, l’OTAN n'interviendra militairement qu’après la disparition des Soviets (Yougoslavie, Afghanistan, Libye); en 1997, l’OTAN et la Russie signent un «acte fondateur» stipulant que les deux parties ne se considèrent pas ou plus comme des adversaires. La France avait quitté le commandement intégré de l’OTAN en 1966, alors qu’elle s’était dite prête à combattre à côté des US lors de la crise des missiles de Cuba en 1962. De Gaulle aura cette formule: «Solidaires dans la tempête, indépendants par temps calme». On se demande pourquoi la France l’a rejoint en 2009 car cette machinerie semble surtout devoir servir le complexe militaro-industriel US. 100 milliards de dépense sont prévus pour moderniser l'arsenal nucléaire US, ainsi qu’un 11ème porte-avions pour 5 milliards, le Pentagone vise à disposer en outre d’une flotte de 320 bâtiments et d’une aviation de 2200 chasseurs!
Dans le domaine économique, c’est à Bretton Woods, bourgade située au nord de Boston, que furent définies, en 1944, les règles monétaires qui allaient s'appliquer pendant près de 30 ans; On convint que seul le dollar US serait convertible en or, sur la base de 35dollars l’once, et que les autres monnaies auraient des taux de change relativement fixe par rapport au dollar. Soulignons que les USA détenaient à cette époque 2/3 des réserves mondiales d’or. Ce fut l'accord dit du «Gold-exchange standard».
On créa aussi le FMI, dont la fonction fut d’aider les pays en déficit momentané en leur octroyant un crédit, ceci pour éviter une dévaluation lorsque les fondamentaux de l'économie du pays en questionne le justifiaient pas; on créa aussi la Banque mondiale laquelle devait financer des prêts à long terme pour le développement économique.
Cependant, aucun organisme de contrôle ne fut prévu pour superviser l'émission de dollars. De fait, les US en imprimeront toujours plus, sans que les stocks d’or de la Réserve fédérale ne soient augmentés. La France sortira du Gold-exchange standard en février 1965. «Qui dresse une digue? Ce n’est pas le fleuve, dira De Gaulle. Ce sont les hommes qui ont intérêt à se mettre à l’abri de l'inondation. Personne n’en a le courage. C’est donc à nous qu’incombe ce devoir».L'Allemagne fédérale suivra: comme elle dégageait d’énormes excédents commerciaux avec les USA, elle refusa de garder les dollars, qui, suivant l'accord devaient être placés aux USA, tandis que le pays en question procédait à une émission équivalente de sa propre monnaie; elle convertit donc ses excédents en or auprès de banques US. Naturellement, les US craignirent de voir disparaître à terme leur encaisse-or. Nixon suspendit la convertibilité du dollar en or en août 1971, et il s’en suivit un système de changes flottants.
En 1980, Ronald Reagan est élu à la présidence. L’ancien acteur de Hollywood promet de redonner fierté et courage à l'Amérique, qui avait eu à gérer l'assassinat de Kennedy, l'enlisement au Vietnam avec Johnson, le Watergate avec Nixon suivi de la présidence Ford; vint encore la chaotique présidence Carter, laquelle avait vu l'arrivée de Khomeiny en Iran, suite à la destitution du Shah, fidèle allié des USA et l'invasion de l'Afghanistan par l’armée soviétique. Carter avait naïvement tout misé sur la «détente», alors que rien, à l'époque, ne semblait pouvoir freiner l'expansionnisme soviétique. Le programme qu’énonce Reagan se résume en quatre thèmes principaux:- une politique monétaire restrictive (pas de création monétaire), ceci pour venir à bout de l'inflation et stabiliser la valeur du dollar par rapport aux autres monnaies- une baisse de 25% des impôts pour favoriser l'investissement- l'équilibre budgétaire par la réduction des dépenses publiques (exceptées militaires)- la déréglementation de l'économie fondée sur la conviction que les marchés s'équilibrent d'eux-mêmes si l’Etat, par son interventionnisme déplacé, ne les déséquilibre pas.
On mettra à son crédit qu’il aura éreinté l’URSS par son programme de bouclier spatial anti-missile, dit à l'époque «guerre des étoiles». Le gang des Soviets ne put suivre et tout le système communiste s'effondra à la fin des années 1980. Allait s’en suivre un monde multi-polaire, finalement bien plus imprévisible que ne l »‘était le système des blocs.
Mais pour l'électeur américain cela signifia qu’il fallait maintenant donner la priorité aux3questions intérieures. Ce fut la promesse faite par Bill Clinton, un «libéral», c’est-à-dire un social-démocrate, élu en 1992, sous la présidence duquel les USA allaient connaître une prospérité sans précédent. La discipline budgétaire (pas de déficits) et la perception de la mondialisation comme une chance ont été ses deux leitmotiv. A noter l’abandon en 1999du Glass-steagall act, qui datait du début de l’ère Roosevelt et qui avait compartimenté les activités bancaires, de sorte que les dépôts des épargnants n’étaient plus touchés lorsque des excès de spéculation généraient des krachs boursiers.
Les banques d'affaires faisaient alors faillite sans que cela n’ait d'incidence auprès des banques de dépôt. A l'époque cela passa totalement inaperçu...
Les US entrèrent dans le troisième millénaire avec la conviction qu’un avenir tranquille et prospère s’ouvrait à eux. Les «Bisounours» de l'époque envisageaient la fin de l'Histoire. L’état de droit associé au libéralisme économique allait réconcilier l'humanité avec elle même, réalisant enfin l'innocence du devenir chère à Nietzsche. Définitivement, le credo américain serait la lumière du monde, credo affirmant qu’une culture démocratique, l’Etat de droit, la réussite économique et scientifique, le bien-être qui s’en suit, seraient dorénavant à la portée de toutes les nations.
Les attentats du 11 septembre 2001 allaient mettre un terme à ces rêveries. Ils allaient initier ce qu’allaient être les guerres du XXIème siècle. On avait eu jusqu’alors toute confiance dans le pouvoir de la technologie: la première guerre d’Irak n'avait-elle pas fait que très peu de victimes du côté de la coalition? Les guerres du futur, s’il devait encore yen avoir, seraient conduites selon la «doctrine Powell»: tétaniser l'adversaire par des frappes dévastatrices, mais distantes au service d’une mission limitée.
Mais avec les attentats la donne change, il allait s’agir maintenant d’une guerre non dirigée par un Etat, sans front de bataille, sans armée, menée par des ennemis invisibles et fanatisés, habiles à user de toutes les faiblesses d’une société ouverte. Un tel événement était non seulement imprévisible, mais inimaginable pour un pays qui n’était pas en guerre et qui pensait pouvoir échapper enfin au tragique de l’Histoire.
La réponse aux attentats fut la définition d’une nouvelle doctrine: la «guerre préventive».Ainsi, dès le 7 octobre 2001, W. Bush engagea, avec l'approbation de l’ONU l'offensive contre les talibans en Afghanistan, offensive dont les opérations devraient s'achever fin2014. En mars 2003, débutèrent, cette fois-ci, en-dehors de toute légalité internationale les opérations militaires contre l’Irak.
Il s’agit cette fois d’une «preemptive war», une guerre d'anticipation s'appliquant contre un ennemi dont il est dit qu’il présenterait une menace. Désormais, la légitimité passe avant la légalité. Le «jus ad bellum» et le «jus in bello» sont réécrits sans vergogne. Toutefois, cette seconde guerre d’Irak, à présent terminée, n’aura apporté aucune stabilité à la région; le pays, par milices chiites et sunnites interposées, devenant le terrain d'affrontements entre l’Iran chiite d’une part, l’Arabie saoudite sunnite et la Turquie de l’autre.
Avant l'élection d’Obama en 2008, professeur de droit constitutionnel de son état, les commentateurs affirmèrent que cela allait mettre un terme à la politique militaire de son prédécesseur. De fait, ce ne sont pas les expéditions militaires qui vont lui donner du fil à retordre.
On se souvient que Clinton avait totalement dérégulé l’activité bancaire. Les banques se prirent les pieds dans le tapis de la spéculation devenue véritable frénésie par la multiplication de produits dérivés dont la valeur ne reposait sur aucun actif réel, et faillirent entraîner, devant l’ampleur des pertes accumulées tout le système monétaire mondial dans le chaos. Aussi bien la zone euro que la zone dollar furent mises fortement à contribution pour sauver le système bancaire, mais les établissements financiers, dorénavant mondialisés, surent éviter un encadrement législatif contraignant. Obama et son équipe s’en tinrent à un «changement réalisable». Ce qui fut exprimé par un commentateur de la vie financière de la manière suivante: «Un président un tant soit peu responsable doit avoir comme priorité de stabiliser le système financier, non d'exercer des représailles à son encontre». Néanmoins, Obama reviendra aux fondamentaux de Roosevelt en réhabilitant l'intervention de l’Etat. Malgré l'obstruction systématique pratiquée par son opposition, il put réaliser une réforme du système de santé, un plan de relance de l’activité notamment dans le domaine des énergies nouvelles et des infrastructures, plan qui permit également d’éviter la faillite du secteur automobile.
Pour autant, les USA sont un pays en proie au doute. Les électeurs US ont renouvelé en2012 leur confiance à Obama, mais plus par rejet du camp républicain que par enthousiasme. Il est vrai que, vu d’Europe, le programme des néoconservateurs semble farfelu: la foi religieuse et le marché doivent dominer une Amérique dont le rejet de l'intervention de l’Etat et de l'impôt sont affirmés et réaffirmés. Le réchauffement climatique est nié et ils estiment que les programmes des écoles doivent accorder une place aux thèses créationnistes. Jamais depuis Roosevelt l'opposition entre Républicains et Démocrates n’a été aussi grande. Tout comme les néoconservateurs actuels, le président Harding qui avait affronté Roosevelt en 1932, avait attribué la crise de 1929 à la perte du sens moral. Mais ne sont-ce pas les gigantesques cadeaux fiscaux accordés par W.Bush qui ont généré des doutes dans les esprits? Alors que dans les années 1980 la part du revenu national allant au 1% les plus riches était de 7% dudit revenu, ce taux est maintenant de 24%.
La part des produits financiers dans l'accumulation de la valeur ajoutée est passée de 10 à 40%. Plus grave, le capitalisme du XXIème siècle ne réussit plus à réaliser ce qui était une de ses tâches essentielles, assurer des emplois et des revenus en croissance à la classe moyenne. La mondialisation des échanges profite essentiellement à l’Asie continentale, et c’est la classe moyenne US qui en a payé le prix. Des économistes indiquent que les USA sont handicapés par le choix de leurs dirigeants d'entreprise. On peut dire qu’il existe un accord tacite entre ces derniers et le parti communiste chinois pour fournir quantité de produits bon marché aux consommateurs US, provoquant, ce faisant, chômage et fermetures d'usines. Le temps est loin, où au sortir de la seconde guerre mondiale, les US contrôlaient la moitié de la richesse du monde. Alors pourquoi n’y a-t-il pas davantage de volontarisme dans le domaine économique? Il faut dire qu’aux USA une campagne électorale coûte très cher. Un candidat, quel qu’il soit, ne peut l'emporter s’il se met les milieux d'affaires à dos.
A cela se sont ajoutées les exigences de l’OMC, qui ont abouti à la suppression de toute barrière douanière significative, donnant de fait un avantage compétitif aux pays à bas coût salarial. La conséquence en a été la perte de huit millions d'emplois industriels en 30 ans soit une baisse de 40%.La fin du monde bipolaire, avec la chute de l'URSS, a entraîné, non une domination planétaire des USA comme certains l'attendaient et d’autres le redoutaient, mais l'émergence d’un monde multipolaire. Les BRICS sont maintenant autant de pôles de pouvoir tant politique que financier et bientôt militaire. Il est attendu que la Chine devienne la première puissance économique mondiale à l'horizon 2020.La machine militaire US bourrée de technologie, et qui reste de loin la première du monde en matière d'équipements ultrasophistiqués, devait, pensait W. Bush, venir à bout de l'Afghanistan et de ‘'Irak, et la machine idéologique devait en faire des démocraties modèles. Ce fut un échec, mais la machine militaire US continue d'engloutir 1/5ème du6budget fédéral. Un éditorialiste a pu écrire: «On peut dire des Etats-Unis ce qu’on disait autrefois de la Prusse: c’est un Etat possédé par son armée». Il est vrai que, durant toute la guerre froide, ‘'essor des forces productives a été en partie impulsé par la dépense militaire à travers la course aux armements et les progrès techniques induits. La dérégulation bancaire devait assurer la puissance de Wall Street, c’est Wall Street qui a généré la plus grosse catastrophe financière depuis 1929. Les ingénieurs de la Silicon Valley ont assuré une révolution technologique prodigieuse, mais celle-ci favorisa la délocalisation de pans entiers de l’activité économique qui s'ajoutera à la perte déjà évoquée d’un grand nombre d'emplois industriels.
Revenons un instant au système financier, puisque c’est surtout lui qui défraye la chronique. Lors des accords de Bretton Woods le cours de l’or avait été fixé à 35 dollars l’once. Depuis qu’on est passé au système de cotation du cours des monnaies par le marché, celui-ci fixe également le cours de l’or. Celui-ci s’est négocié dernièrement à 1700dollars l’once.
La dépréciation du dollar par rapport au métal jaune est donc phénoménale. Cette hausse est due à l'émission inconsidérée de dollars depuis 1971 et aux achats massifs d’or de la part des pays émergents, principalement la Chine d’ailleurs. Lorsqu’on sait que ce pays détient la quasi-totalité des bons du Trésor US, on voit dans quel état de dépendance se sont mis les Etats-Unis. Il est couramment admis que la crise de la dette publique des Etats occidentaux est liée à la légèreté avec laquelle ces Etats gèrent leurs budgets. Cela est vrai, principalement pour les USA, où le budget militaire est égal en volume de dépenses à celui des budgets des dix autres Etats les plus dépensiers dans ce domaine, mais ce n’est pas la seule cause de la dette. Maurice Allais, prix Nobel d'économie, avait affirmé que le flottement des monnaies introduirait un risque nouveau en ce qu’il favoriserait le développement de produits financiers complexes, comme les produits dérivés, dont le gonflement a été critiqué dès le début du XXIème siècle. Craignant une crise systémique, il annonce en1999, que «ce qui doit arriver arrive nécessairement» (La Crise mondiale d'aujourd’hui, éditions Clément Juglar).L'inflation du nombre des produits dérivés produiront en effet rapidement leurs effets délétères. La crise des subprimes obligea les Etats occidentaux à venir au secours des banques, sans quoi elles sombraient, entraînant dans leur chute l'économie réelle. Les changes flottants, la dérégulation de plus en plus poussée, la création d'instruments financiers de plus en plus opaques, ont eu pour conséquence que le capital a peu à peu été drainé hors de la sphère productive.
La dérégulation bancaire a généré les catastrophes de ce début de siècle. Mais n'est-ce pas aussi la FED qui a joué avec le feu? Pour contrer le ralentissement économique des années 2000, elle a baissé son taux d'intérêt de 6,5% à 1% et l’a maintenu à ce niveau jusqu’en 2004. Ce très bas loyer de l’argent a incité les banques à prendre de plus en plus de risques, notamment dans l'immobilier où la hausse semblait ne jamais prendre fin, la baisse de l'investissement dans l'industrie entraînant une hausse de celui réalisé dans les programmes immobiliers, la facilité du crédit entraînant elle aussi une hausse du prix de l'immobilier. Cependant, la guerre contre l’Irak s'éternisant, la FED dut remonter son taux dans le but d’attirer les capitaux vers les budgets militaires. Les emprunteurs privés, ayant souscrit des prêts à taux variables, furent étranglés, les saisies se multiplièrent, provoquant un retournement du prix de l'immobilier. La dette US inexistante à la fin du deuxième mandat de Clinton, a maintenant crevé le plafond des 15 milliards de dollars. Les investisseurs asiatiques et du Moyen-Orient répugnent de plus en plus à acheter des Bons du Trésor. Aussi, est-ce la Réserve Fédérale qui achète ces obligations en les finançant par ...de la création monétaire (jusqu’à hauteur de 85 milliards de dollars par mois ce printemps). Ceci, à terme, ne peut déboucher que sur une inflation qui réduira encore la valeur du dollar.
Certes, jusqu’à présent, le dollar n’a pas eu trop à souffrir de la guerre des monnaies: ceci pour la raison que les USA disposent de cette arme tout-à-fait extraordinaire: de la monnaie peut être créée sans limite par la Réserve Fédérale, monnaie qui est acceptée dans les autres pays, puisque le dollar demeure la monnaie de réserve de valeur internationale.
Il est à noter qu'un système tout aussi pervers existe dans la zone euro. Les Etats se financent auprès de banques privées, à un taux fixé par le marché. Les banques se financent elles mêmes à un taux de 1% auprès de la BCE. On comprend l'insistance des pouvoirs publics à vouloir «rassurer les marchés»! La faculté souveraine de battre monnaie a été abandonnée par les Etats et transférée au secteur privé dont ils sont devenus les débiteurs volontaires. Quelle belle idée!!!
De tout ceci il ressort que les USA vivent encore à la fois sur l'héritage de la guerre froide et sur celui qui leur a conféré une position dominante sur le plan économique au sortir de la deuxième guerre mondiale. Du premier a émergé le complexe militaro-industriel, déjà dénoncé par le président Eisenhower, au début des années 1960. Du second est né la prééminence du dollar. Mais l’un et l’autre ne seront-ils pas victimes prochainement de leurs excès?
Les Etats-Unis, un colosse aux pieds d'argile?
Café politique du 5 septembre 2013.
Après la présentation de Jean-Luc, le débat s’ouvre.
De nombreux arguments sont avancés pour démontrer la puissance passée et actuelle des Etats-Unis:
1) Les Etats-Unis, un colosse.
• Dans le passé, les Etats-Unis ont toujours été puissants.
- A part une courte période d'une quarantaine d'années où ils ont pratiqué une forme d'Etat-Providence, c'est le capitalisme qui les caractérise depuis le XVIIIème siècle avec le constat de la pérennité des inégalités.
- Ils ont construit une partie de leur richesse grâce à l'apport de l'esclavagisme.
- Ils n'ont pas été responsables des deux grandes guerres mondiales qui ont désavoué la politique européenne.
• Sur le plan monétaire, leur domination est marquée par la place incontournable du dollar comme monnaie de référence mondiale au point que les achats de pétrole ou de gaz ne peuvent en aucun cas se faire dans une autre monnaie qu'en dollars.
• Cette prééminence du dollar s'appuie sur leur force militaire de loin la plus puissante. Ils consacrent une part importante de leur budget à l'armée et sont présents sur tous les océans du globe. L'utilisation de ce potentiel militaire s'est manifestée au travers de nombreux conflits comme le Vietnam, l'Afghanistan, l'Irak et peut-être la Syrie dans un avenir proche. Même si l'issue de ces guerres n'a pas contribué à stabiliser les territoires concernés, les Etat-Unis continuent d'intervenir militairement dans le monde.
• Les Etats-Unis restent la première puissance industrielle mondiale pour de nombreuses raisons:
- ils disposent d'un territoire immense entre deux océans
- ils possèdent de nombreuses sources d'énergie et matières premières
- ils ont le sens de l'innovation grâce au légendaire tempérament de leurs entrepreneurs qui ne craignent pas de prendre des risques importants (voir ici le licenciement de 80 000 personnes à General Motors pour ensuite créer une nouvelle entreprise avec de nouveaux concepts industriels et une productique novatrice). Ce sont de grands travailleurs.
- ils prennent en compte certaines énergies renouvelables comme la force du vent
( voir les 15000 éoliennes sur la partie NE du Grand Canyon)
- ils sont en tête pour l'exploitation des gaz de schiste comme énergie de l'avenir
- ils sont en pointe dans le domaine de la richesse immatérielle. L'exemple de la Silicon Valley et de l'attrait qu'elle exerce sur les étrangers en est la preuve. Ils hébergent les sièges sociaux de Microsoft, Apple, Google. Ils jouent le rôle d' «aspirateur à cerveaux» au niveau mondial.
- après la grave crise des années 2008, ils tentent de relocaliser certaines activités industrielles.
• Sur le plan international, ils gardent une forme de leadership même si le monde devient de plus en plus multipolaire
- ils tentent de jouer sur la division notamment en ce qui concerne l'Europe pour éviter une montée en puissance concurrentielle de ce continent
- ils se tournent vers l'Asie au détriment de l'Europe. La Chine est le grand prêteur des Etats-Unis.
Cependant certains intervenants mettent l'accent sur quelques failles discernables dans ce tableau de toute-puissance:
2) Les pieds d'argile du colosse.
• Il semblerait que la prééminence symbolique des Etats-Unis soit battue en brèche.
Cette prééminence est à son zénith dans les années 1950, puis amorce un long déclin.
Les Etats-Unis ne peuvent masquer la question des inégalités sociales et pour certains, ce pays n'est plus un modèle à imiter. Il y a une forme de dépréciation de la puissance américaine alors qu'elle reste la première du monde.
• La question du malaise des classes moyennes très touchées par la crise récente peut faire imaginer une instabilité sociale préjudiciable au «colosse». Les citoyens pourraient bien rechercher un autre modèle que le capitalisme et redéfinir politiquement un autre système.
• Sur le plan monétaire, les liquidités alimentent peu la production et la tendance à recréer des produits financiers douteux est toujours présente. La FED pourra-t-elle continuer à créer du dollar impunément même si d'aucuns peuvent imaginer que les Etats-Unis pourraient in fine effacer leur dette en cas de nécessité absolue.
• L'équilibre international avec la montée des pays émergents ne remet-il pas en cause la prééminence absolue des Etats-Unis?
• L'interconnexion Chine-Etats-Unis finira-t-elle par imploser? La Chine a acheté la plupart des Bons du Trésor américain.
En conclusion, même si la puissance des Etats-Unis semble peu contestable, il est difficile de ne pas s'interroger sur ses fragilités en partie liées à l'augmentation démographique des populations latinos par exemple. Lʻévolution de la société reste toujours aléatoire d'autant que la question des inégalités devient de plus en plus un problème avec le bilan récent de la crise de 2008. La prééminence du dollar est-elle incontournable?
NB: une intervention tourne autour du décryptage toujours complexe des informations sur les Etats-Unis pour définir une opinion éclairée, sur la nécessité que les dirigeants fassent preuve d'éthique dans l'exercice de leur pouvoir.
Une autre intervention propose la thèse des Etats-Unis, Golem fabriqué de toutes pièces.
Synthèse du café politique du mardi 25 juin 2013
Comment mobiliser les jeunes en politique?
Exposé introductif d’Yvan
Il est intéressant de se demander ce qu'on entend par politique: s'engager dans les affaires de la cité, adhérer à un parti, voter? Que signifie être mobilisé en politique? Si l'on considère la vie associative comme une sorte d'engagement, l'INSEE nous dit que de 16 à 24 ans 29% des jeunes adhèrent à une une association au minimum, ils sont 33% de 25 à 39 ans. Ce chiffre non négligeable remet en question l'idée reçue de la désaffection des jeunes par rapport à la politique. Il peut s'agir d'associations de nature très différente allant des Petits Débrouillards (association d'éveil à l'éducation scientifique parrainée par des élèves plus âgés), associations dans le cadre scolaire, volontariat de cadres dans le domaine international.
Par ailleurs, les chiffres sont en forte diminution en ce qui concerne la participation électorale et l'adhésion aux partis classiques. Les jeunes leur préfèrent une participation ponctuelle dans un cadre associatif.
En aucun cas, cela ne saurait signifier un désintérêt des jeunes par rapport à la politique.
Si nous posons la question de leur mobilisation, c'est que nous nous plaçons sans doute dans l'esprit des médias et des partis classiques qui déplorent l'éloignement des jeunes de l'engagement partisan et électoral classiques. En réalité les jeunes nous expriment le désaveu d'hommes politiques plus enclins à gérer leur propre carrière que de proposer des changements pertinents pour améliorer la société.
Yvan tire certaines informations des contributions autour de la participation des jeunes à la vie politique éditées par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire dirigé par Jean-Claude Richez.
Le débat s'ouvre :
1) les facteurs de démobilisation politique de la jeunesse existent en France
• le climat économique délétère et la montée du chômage touchent les jeunes. Les jeunes subissent de plein fouet les délocalisations et le fort rétrécissement du tissu industriel français. Autrefois, grâce au CNR (Conseil National de la Résistance), les inégalités se sont réduites en France, mais depuis l'accélération de la mondialisation,
l'espace de préservation des acquis sociaux est de plus en plus limité. L'Europe se paupérise face à la Chine qui a tendance à établir un contrôle économique planétaire.
• Les jeunes se détournent de plus en plus des partis politiques traditionnels. Pour preuve selon Philippe Meyer à France Culture la bronca soulevée par quelques députés dont des jeunes qui demandent la levée d'avantages acquis pour les parlementaires. Les partis traditionnels font figure d'écuries d'élus et dans le pire des cas sont sujets à la corruption. Après 2002, un pic d'adhésions aux partis traditionnels a vite fait long feu devant le caractère peu ouvert de ces organisations. Les jeunes recherchent la mise en pratique d'idéaux et non le militantisme au sein de structures partisanes qui ont largement fait preuve de leur inefficacité.
• La place des jeunes dans le panel des élus est remarquablement faible: sur 577 députés en France, seuls 11 d'entre eux ont moins de 40 ans. Comment s'étonner alors du succès des jeunes candidats du Front National? Par ailleurs cette formation politique fustige les échecs de l'euro (qui apparaît comme un nouveau Mark), de l'Europe et de l'intégration des immigrés ce qui renforce le sentiment d'amertume par rapport au taux de chômage.
• Les jeunes sont aussi tributaires de la déception politique de leurs aînés. Les militants qui ont été les acteurs du mouvement social de 1995 ont perdu une certaine combativité et apparaissent assez souvent déprimés. La génération post-soixante-huitarde fait volontiers part de son échec dans sa tentative de changement politique.
• Il y a un véritable déficit de culture économique et historique chez les jeunes. Le XIXème siècle est assez peu étudié dans les lycées.
Tous ces facteurs de démobilisation n'empêchent pas l'apparition de ce qu'on pourrait appeler une nouvelle culture politique dont les caractères reposent pour partie sur les avancées technologiques.
2) L'expression et les facteurs de mobilisation politique des jeunes en 2013.
• On constate une vraie demande de dialogue intergénérationnel. Plusieurs intervenants en citent des exemples: aux abords des lycées, les 17-19 ans sont très avides d'informations politiques au sens large et pour certains d'entre eux ont des opinions avancées sur les changements souhaitables.
• L'importance des nouveaux médias, internet en particulier, permet au Parti Pirate de proposer une démocratie liquide, sorte de démocratie participative. Une initiative est lancée grâce à un logiciel dédié sur internet. Si cette initiative reçoit un soutien important, elle passe au stade du vote numérique.
• Le Parti Pirate a une assise importante en Allemagne avec près de 90 000 adhérents.
En France, il en est à ses débuts avec 500 à 1000 personnes. Ce parti est présent dans environ 50 pays. Il a été créé en 2006 et a deux députés européens. Une partie importante de ses idées repose sur la notion de transparence comme le démontre un maire allemand de ce parti qui filme toute son action pour la répercuter à ses électeurs: dès le matin il allume sa webcam. Malgré tout, le parti pirate est un oxymore dans le sens où s'agit quand même d'un parti. Cela peut expliquer un certain reflux de la participation des jeunes en ce moment, qui refusent une structure qui rappelle les partis traditionnels. Il reste qu'en remettant en cause la façon dont le numérique nous traque jusque dans le domaine privé, le parti pirate met le doigt sur le caractère intrusif de nos démocraties qui «ouvrent nos mails» sans retenue (voir l'opération PRISME). Dans le contexte international, notons la place des blogueurs dans les récents mouvements au Maghreb et ailleurs, soutenus par cette structure.
• les mouvements internationaux démontrent l'engagement des jeunes dans le politique au niveau planétaire.
• Une manière de motiver les jeunes par rapport aux institutions représentatives serait de leur réserver des places électives (pourquoi pas un quota comme pour les femmes?)
• Internet a ses limites. Que fait-on quand l'Etat, comme cela a déjà été le cas dans certains pays, bloque Internet. L'échange politique avec les jeunes reste un moment important même si le militantisme classique fait l'objet d'un certain rejet.
Conclusion
Les jeunes sont en réalité impliqués en politique sous des formes nouvelles: associatives, numériques, démocratie liquide. En France il est quelquefois plus difficile d'accéder au domaine public quand on est jeune contrairement à nous voisins allemands qui soutiennent les candidatures jeunes.
L'idée du collectif et du bien commun passe en partie par le développement de la culture historique et philosophique. Les voyages peuvent contribuer à cette ouverture.
Les jeunes et l'engagement politique en France aujourd'hui
café politique du 25 juin 2013
Synthèse effectuée à partir du document de 2010 d'Anne Muxel, directrice de recherches au CNRS (Centre de Recherches Politiques de Sciences Po) : projet 316, pp. 60-68, 4, rue de la Croix-Faron, 93217, La Plaine Saint-Denis.
Comment mobiliser les jeunes en politique?
Un constat:
• Les jeunes découvrent la politique en général dans un contexte global d'absence de confiance dans les institutions contrairement à l'expérience initiale de leurs parents d'où l'abstention ne cesse de se rappeler d'élection en élection: lors des élections régionales de 2010, un petit tiers des jeunes électeurs seulement s'est rendu aux urnes contre un sur deux pour leurs aînés.
• Les jeunes participent électoralement de manière plus intermittente: en 2007, lors de la séquence électorale de la présidentielle et des législatives, les moins de 35 ans ont représenté seulement 21% des votants constants contre 54% pour les 50 ans et plus.
Les jeunes ont moins voté aux législatives qu'aux présidentielles.
• Une part de plus en plus importante de la jeunesse privilégie les modes d'action non conventionnels et directs, souvent protestataires. Les jeunes semblent être moins dans l'idéologie et dans l'organisation que dans l'expressivité et dans l'émotion. Ils entrent en politique dans une disposition dans l'ensemble assez critique à l'égard de la classe politique.
• Les formes de politisation ne sont pas les mêmes selon les catégories de la jeunesse
- les nouvelles générations plus instruites sont attachées à la démocratie représentative
- du côté des jeunes peu diplômés, il y a moins de confiance dans la démocratie représentative et on constate un relâchement de leur lien démocratique. Ils sont plus favorables à des régimes politiques autoritaires, basés sur un leadership personnel et sur une réduction des pouvoirs issus de la décision électorale comme ceux du Parlement: en 2007, au premier tour de l'élection présidentielle, 22% des 18-30 ans non diplômés ont voté pour Jean-Marie Le Pen contre seulement 3% des étudiants. C'est de leur côté que peut apparaître une violence radicale (émeutes de 2005).
Protestation, universalisme et pragmatisme
Les jeunes sont en première ligne des nouvelles demandes démocratiques et des
nouvelles expressions politiques:
• Le modèle militant s'est transformé. Les militants actuels sont une petite minorité, mais cela a toujours été un peu le cas; Peut-être peut-on dire que les organisations traditionnelles n'attirent plus les jeunes actuels (1% adhère à un parti, contre 2 à 3% de l'ensemble de la population, 4% à un syndicat contre 8% de l'ensemble de la
population).
• Quels sont alors les attributs constitutifs de l'engagement des jeunes aujourd'hui? - Un potentiel protestataire relativement élevé et une certaine disponibilité pour la
mobilisation collective: près des 2/3 des 18-30 ans se déclarent prêts à manifester pour défendre leurs idées ( de fait sur le terrain, ils manifestent depuis 20 ans contre les réformes éducatives). Un lycéen sur deux manifeste.
- Les mobilisations des jeunes touchent de nombreux domaines: la paix, la reconnaissance des sans-papiers, le droit des immigrés, la reconnaissance de leur existence sociale.
- Les mobilisations se font au nom de la défense de certaines valeurs, de la conception égalitaire et redistributive de la vie en société: voir la mobilisation contre la guerre en Irak en 2003, contre le CPE en 2006.
- Les nouvelles mobilisations s'appuient souvent sur des actions qui doivent déboucher sur des mesures concrètes: avoir une activité à la hauteur de ses qualifications (Génération précaire), avoir un toit (Les Enfants de Dom Quichotte), disposer d'un logement (Jeudi noir). Ces mouvements peuvent durer peu de temps, mais l'important n'est pas l'engagement idéologique dans la durée, mais un résultat immédiat à travers la médiatisation de l'action par exemple.
- La question sociale est devenue omniprésente: le droit élémentaire à exister
socialement.
Nouveaux terrains, nouveaux outils.
- Les jeunes préfèrent l'engagement associatif (4 à 5% comme dans la population globale) aux organisations plus traditionnelles, partis ou syndicats. L'engagement associatif correspond à leur demande d'actions concrètes, sans embrigadement ni tutelle hiérarchique et pouvant s'exprimer de manière ponctuelle. Une adhésion ferme et durable n'est pas demandée.
- Les jeunes sont familiers des nouveaux outils de communication et savent mieux que leurs aînés instrumentaliser l'action collective et sa médiatisation (utilisation d'internet).
- Le cybermonde préfigure ainsi une autre façon de faire de la politique, il favorise la démocratie participative et l'expressivité de chacun et donc de tous. En France, 28% des jeunes de 18-24 ans consultent régulièrement les sites You Tube ou Daily Motion.
- Les jeunes sont les premiers expérimentateurs, utilisateurs et récepteurs de ces nouveaux moyens de communication. De nouveaux types de représentations et de discours sont véhiculés par ce biais. Il peut s'agir du pire ou du meilleur.
Conclusion: Les jeunes ont du mal à croire à un changement radical de société. Ils ont hérité de la faillite des idéologies mises à mal par l'expérience historique. Mais ils ne se replient pas pour autant sur un individualisme démobilisateur. Ils développent des actions politiques de façon plus expérimentales en laissant derrière eux pour l'instant les «modèles».
Commentaires
Vu, dans le Figaro
" Les données récentes mettent en exergue l'ampleur du déclin de la production manufacturière en France depuis le début de la zone euro. Alors que les productions française et allemande évoluaient presque parallèlement jusqu'en 2003, ces économies ont divergé complètement à partir du lancement de la zone euro.
Depuis le lancement de l'euro, la production manufacturière française s'est réduite de 11,4% alors que celle de l'Allemagne a progressé de 32.8% ! Dès avant la crise financière la divergence entre la France et l'Allemagne a été frappante avec une croissance cumulée d'à peine 3.4% de la production française alors que celle de l'Allemagne augmentait de 32.87% entre janvier 1999 et décembre 2007.
La crise financière a été destructrice pour la France avec une baisse de production de 15.2% depuis janvier 2008, alors que l'Allemagne a résisté avec une érosion limitée à 1,5%.
La France appartient clairement au groupe des pays périphériques en difficulté de la zone euro.
Avec un niveau moyen de gamme de la production française très inférieur à celui de la production allemande, la France est plutôt en concurrence avec les pays du sud et de l'est de l'Europe, et les pays émergents. Dès lors pour rester compétitive elle avait besoin d'une monnaie moins forte que celle de l'Allemagne. En l'absence de déflation intérieure des salaires nominaux ou de relèvement significatif du niveau de gamme, et à productivité similaire à celle de l'Allemagne, la France ne pouvait que subir une perte de compétitivité très forte suite à l'introduction de l'euro.
L'euro a donc causé des pertes de parts de marché énormes de la France sur les marchés étrangers, une forte baisse de la profitabilité de l'industrie, une chute des investissements industriels et une désindustrialisation dramatique qui a conduit à de très fortes pertes d'emploi. Ces phénomènes se sont accélérés avec la crise financière".
Signalé par J.L.Graff
***
Je me suis entretenue avec un employeur concernant plus précisément les jeunes sans qualification.
Dans un domaine où la demande est importante, ce constat m’a étonnée :
- Offre de travail avec formation préalable comme auxiliaire de vie proposée à Pôle Emploi = 60 candidatures
- Lors de la première réunion seulement 30 présents.
- Après les tests psychologiques qui conditionnent l’entrée en formation, il reste à peine 12 candidats.
Plus que le manque de motivation, ce sont les graves problèmes psychologiques qui touchent ces jeunes sans formation et qui freinent leur accès à l’emploi. À cause de leur précarité, ils sont déprimés et ne peuvent sortir de leur situation.
L’employeur propose qu’une aide psychologique avant toute entrée en formation afin d’en optimiser et de produire des professionnels de qualité.
Comment ces jeunes peuvent-ils s’investir en politique ou dans une association, ils ne sont plus capables de s’assumer eux-mêmes ?
Pascale BAZIREAU >
QUE PENSER DU REVENU DE BASE?
Café politique du 30 mai 2013
Après la présentation de David FELTZ1, le débat s'engage.
Définition du revenu de base
Le revenu de base est défini par MYLONDO comme un revenu suffisant versé à
tous, de la naissance à la mort. C'est un revenu forfaitaire, identique pour tous,
quels que soient la situation familiale, professionnelle, le salaire ou la fortune
personnelle, et cumulable avec tout autre revenu.
Quel intérêt y a-t-il de proposer le revenu de base dans le débat public?
• Le revenu de base nous oblige à repenser notre vision culturelle, à dissocier le travail
obligé du travail volontaire, à définir ce qu'est une vie bonne et une vie suffisante pour
chacun d'entre nous et pour la société. Une intervenante explique en quoi ce revenu lui
permettrait de mener à bien son projet de traductrice car elle disposerait du pécule de
départ pour se lancer dans cette voie. Aujourd'hui, elle est contrainte de travailler à mitemps
dans des conditions difficiles pour tenter de réaliser ce choix. Elle pourrait
également prendre en charge sa grand-mère si elle le souhaite sans faire appel à un
service à la personne payant.
• Le revenu de base est une réponse au chômage incompressible et à la pauvreté.
• Il pourrait constituer une transition douce de sortie du capitalisme.
• Il nécessiterait une réforme fiscale dans laquelle le travail ne serait plus la base de la
fiscalité.
• La pétition européenne qui court jusqu'en janvier 2014 et qui a pour but de rassembler
un million de signatures propose que ce projet soit examiné par le Parlement européen
pour permettre la mise en place d'expérimentations en Europe. Il ne s'agit pas d'un
«projet ficelé» et définitif, mais de pistes à préciser.
• Le fait d' introduire le revenu de base dans le débat public européen est une opération
de communication d'envergure.
Problèmes soulevés par le revenu de base en cours d'élaboration.
• Il y a une vraie difficulté philosophique et concrète à définir une vie bonne. Qu'est-ce
qu'un niveau de suffisance? En considérant que le revenu de base est égal à 60% du
revenu médian en France soit à 960 euros (une des hypothèses avancées), même en
travaillant en complément, il y a aurait des inégalités en terme de qualité des soins et en
terme de formation. Si une personne dispose d'un travail à temps partiel
complémentaire pourra-t-elle accéder à des soins spécialisés coûteux (dans l'avenir par
exemple des yeux bioniques)? Pourra-t-elle suivre une formation d'excellence en langue
ou sera-t-elle contrainte de suivre un enseignement informatisé chez elle de moindre
qualité?
• L'organisation de cette vie bonne et les choix de société qu'elle entraîne ne risquent-ils
pas d'exercer un contrôle social sur l'individu par le biais d'une administration
omniprésente?
• Le revenu de base ne risque-t-il pas d'être facteur d'inflation ? On se souvient qu'au
moment de l'instauration de l'aide au logement pour les étudiants, les loyers ont
augmenté du montant de la dite allocation.
• Il risque d'y avoir des disparités régionales en lien avec le coût de la vie très différent en
campagne profonde et dans les grandes agglomérations. A cet argument il est possible
de répondre en disant que peut-être les habitants changeraient leur domiciliation et
feraient revivre des campagnes désertées.
• Donner un revenu de base dès la naissance pourrait favoriser une surnatalité, à quoi il
est répondu que les politiques familiales, même généreuses, n'ont jamais eu des effets
spectaculaires. La question de l'inégalité de revenus entre une famille sans enfant et une
famille avec enfants est en cours de réflexion.
• L'oisiveté rendue possible par le revenu de base pourrait entraîner un regain
d'alcoolisme comme dans les réserves d'Indiens aux Etat-Unis où la population n'a pas
accès à l'emploi et bénéficie d'un revenu alloué. Il est répondu à cela que les Indiens
sont dans une position obligée héritée de la colonisation et en aucun cas dans un
espace d'exercice d'une réelle liberté.
• Au niveau géographique global ce revenu pose problème. Tous les pays ne sont pas
prêts à ce type de démarche. Si le capital des entreprises françaises est taxé, elles
risquent d'exploiter la main-d'oeuvre des pays du Sud pour continuer à faire du profit.
Les Suisses vont examiner la question du revenu de base. Ils ne sont pas dans le cadre
de l'Union européenne. Cela nous pose la question d'une certaine «nocivité» du cadre
européen avec l'endettement massif qui obère l'évolution économique de plusieurs de
ses membres. Un intervenant propose que nous déclarions notre insolvabilité pour
repartir sur de nouvelles bases et pouvoir procéder à une réindustrialisation en
favorisant l'investissement et en détaxant le capitalisme.
• Un intervenant considère que le revenu de base serait une solution radicale, qui ne pourrait
s’implanter réellement, et facilement, que s’il était de montant nul, dans une société de
chasseurs cueilleurs! Car il faudrait tout remettre en question, la Politique, la Propriété privée
et l’Économie de marché, à travers les rapports entre l’État et la Société, la liberté et la
sécurité, la motivation et le risque, l’égalité et le bien-être...
• Ce revenu semble très utopiste dans la mesure où toutes les tentatives de partage
(communisme) ont échoué à l'échelle planétaire et que même des pays dit
«communistes» aujourd'hui, comme la Chine pratiquent un capitalisme d'Etat en grande
partie.
• Le financement du revenu de base pose de nombreuses questions même si les
prestations sociales actuelles couvrent déjà une partie du montant proposé. Une piste
est l'augmentation de la TVA pour taxer la consommation et non les revenus du travail. I l
conviendrait de taxer le patrimoine et le capital tout en préservant une marge pour les
investissements. La CSG est aussi une piste (voir Thomas PIKETTY sur ce sujet).
• Ce revenu de base a du mal à se concevoir pour certains dans le cadre du capitalisme. Il
entre en contradiction avec la finalité même de ce type d'économie fondée sur
l'accumulation du capital. La solution serait-elle alors l'appropriation, in fine, des moyens
de production par ceux qui travaillent?
En conclusion, nous pouvons nous interroger sur
• les effets du revenu de base sur le fonctionnement social
• la philosophie de la vie bonne. Y a-t-il un lien entre le revenu de base et la
décroissance? L'aboutissement d'une vie bonne serait peut-être de développer ses
capacités et de favoriser l'épanouissement dans le sens que Martha NUSSBAUM parle
de capabilités. On pourrait trouver cela bien plus intéressant que l'accumulation du
capital.
• la fiscalité. Dans l'optique du revenu de base il est nécessaire de revoir entièrement le
système fiscal pour le rendre plus juste et plus efficace.
Le film sur le Revenu de base va être projeté à L'Odyssée dans les semaines qui viennent
à Strasbourg dans sa version courte de 45 minutes pour continuer le débat public amorcé.
1 David FELTZ est membre du Mouvement français pour le Revenu de Base en charge de créer un groupe
local à Strasbourg. Ce mouvement réfléchit sur le concept de Revenu de Base et s'est organisé en
Assemblée Constituante pour répondre à cet objectif.
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LA COLLECTIVITE TERRITORIALE D'ALSACE
CAFE POLITIQUE DU 21 MARS 2013
Les Départements et les Régions aujourd’hui: histoire et compétences.
- La loi du 2 mars 1982 reconnaît à la Région la qualité de collectivité territoriale comprenant un exécutif élu à la place du préfet: le président de l’assemblée délibérative.
- La loi du 1er juillet 1985 organise l’élection des Conseils régionaux au suffrage universel. Le rôle des régions est de promouvoir le développement économique, social et culturel ainsi que l’aménagement du territoire de la Région. Dans ce cadre la Région négocie le contrat au plan régional avec l’Etat.
- La loi du 22 juillet 1983 charge les Régions de la construction et de la gestion des lycées ainsi que de la formation professionnelle continue. Au fil du temps, d’autres compétences se rajoutent: le transport ferroviaire, la gestion culturelle (inventaire du patrimoine), les canaux et les ports...
- Le 13 août 2009 la loi redéfinit les compétences des Régions et les charge d’élaborer un schéma de développement économique et un schéma régional des transports.
- Les Départements se développent à partir de 1983 en collectivités fortes qui pèsent budgétairement davantage que les Régions.
- Le tournant de 2006 montre que l’Etat donne de plus en plus la priorité aux Régions comme pivots administratifs. Dans le cadre de la RGPP, le préfet de Région est devenu l’instance principale et le préfet de Département, un échelon d’exécution. La fusion Régions Départements est rendue possible.
Le budget et le personnel des Régions ont été multipliés par dix depuis 1982. Elles restent cependant incohérentes, car elles ont construites comme des collectivités locales supérieures sans nature juridique propre. Elles sont conçues comme des administrations de mission et leur reconnaissance par les citoyens reste faible. Elles peinent à s’affirmer dans des domaines qui relèvent de leur intervention comme les trains régionaux largement tributaires de leur opérateur historique par exemple. Concernant la formation professionnelle, elles ne contrôlent pas la mosaïque d’institutions caractérisant ce secteur, concernant le contrat Etat/Région, l’Etat garde la main tout en faisant financer par les Régions les équipements dont il a la responsabilité. La dimension de l’identité culturelle est plutôt mal prise en compte. Les Régions ont moins de pouvoir qu’en Italie, Espagne, Royaume-Uni. La capacité de mettre en oeuvre une politique autonome est très limitée.
Les Départements ont une palette de compétences plus large, mais leurs pouvoirs sont bridés par un cadre législatif contraignant.
Compétences régionales actuelles.
- développement économique
- éducation, formation professionnelle et culture
• construction et réparations, équipement et fonctionnement des lycée, des établissements d’éducation spéciale et des lycées professionnels
• recrutement et gestion des personnels non-enseignants de ces établissements
• participation au financement des établissements universitaires
• définition et mise en oeuvre de la formation professionnelle
• organisation et financement des musées régionaux
• responsabilité et inventaire du patrimoine culturel
• organisation et financement depuis 2004 du cycle d’enseignement artistique professionnel initial
Domaines de compétences des Départements.
1) Action sanitaire et sociale
Le Département gère un grand nombre de prestations d’aide sociale: aide sociale à l’enfance, aide aux handicapés, aide aux personnes âgées, le RSA, aide au logement par l’intermédiaire d’un Fonds de solidarité pour le logement
2) Aménagement de l’espace et équipement
• voirie départementale et une partie des routes nationales
• organisation des transports routiers non urbains de personnes et des transports scolaires hors urbain
• aide à l’équipement rural
• cours d’eau, lacs et plans d’eau domaniaux
• plan départemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés
3) Education, culture et patrimoine
• collèges et personnels non-enseignants des collèges
• bibliothèques centrales de prêt, gestion et entretien des archives et des musées départementaux
• schéma départemental de développement des enseignements artistiques en musique, danse et art dramatique.
4) Actions économiques
Depuis 1983, le Département peut participer au financement des aides directes aux entreprises définies par le Conseil Régional dans le cadre d’une convention entre ces deux Assemblées.
Pourquoi le projet d’une collectivité territoriale unique en Alsace?
La loi du 16 décembre 2010 autorise le rapprochement entre Départements et Régions.
En Alsace les assemblées concernées expriment un avis favorable. Le référendum du 7 avril 2013 donnera l’occasion aux Alsaciens d’en décider. Il s’agira de créer une seule collectivité, une seule administration et un seul exécutif.
Depuis décembre 2011, un groupe de projet est chargé de présenter des propositions de mise en oeuvre. Il est composé de représentants des trois collectivités, des grandes agglomérations, du Conseil économique, social, et environnemental d’Alsace (CESER), des deux associations départementales de maires et de parlementaires. Ces réflexions ont inspiré les travaux de la seconde réunion du Congrès d’Alsace, des trois collectivités réunies le 24 novembre 2012. Les principes d’organisation, la gouvernance et la question du référendum y ont été arrêtés.
Les principes fondateurs (voir résolution du Congrès d’Alsace du 1er décembre 2011.
• Pour une région compétitive dans le domaine de la formation, de l’innovation, du numérique. Mise en place d’une Agence de développement économique d’Alsace unique en charge de la promotion, de la prospection et de l’accompagnement des entreprises.
Accent mis sur une agriculture viable, sur le développement du tourisme durable et innovant...
• Pour une région résolument rhénane, en associant le pôle métropolitain Strasbourg- Mulhouse dans le cadre du Rhin Supérieur, favoriser le multilinguisme, pérenniser l’emploi frontalier, favoriser l’émergence de la Métropole Trinationale Bâloise formée par le Haut-Rhin, le sud du pays de Bade, la Suisse du nord-ouest et le nord de la Franche- Comté...
• Pour une région solidaire, en mettant la jeunesse au coeur de l’action, en facilitant l’accès au logement, en accentuant l’action sociale..
• Pour une région écologique
• Pour une action publique efficace présentant une stratégie régionale avec pour principe
L’action de proximité, une gouvernance équilibrée donnant leur place aux territoires, des partenariats mobilisateurs et structurants.
Principes d’organisation et de gouvernance.
• La Collectivité territoriale nouvelle remplace le Conseil régional d’Alsace, le Conseil général du Bas-Rhin et le Conseil général du Haut-Rhin. Elle disposera d’une compétence générale pour les affaires d’Alsace. Son siège sera fixé à Strasbourg.
• Trois instances, deux sièges.
Cette nouvelle Collectivité sera administrée par une Assemblée délibérante, l’Assemblée d’Alsace qui siège à Strasbourg, et par un Conseil exécutif, le Conseil exécutif d’Alsace qui siège à Colmar, élu par l’Assemblée d’Alsace et responsable devant elle. Pouvoir délibératif et pouvoir exécutif sont distincts. Le Président du Conseil exécutif sera le vrai patron et représentera la nouvelle collectivité à l’extérieur. Il y aura des vice-présidents dont deux d’entre eux présideront les conférences départementales. Elles se réuniront deux à trois fois par an et auront vocation à disparaître. Le conseil exécutif siège à Colmar. Une assemblée consultative, le Conseil économique et social, environnemental régional d’Alsace rendra des avis, saisi par le président de l’Assemblée ou par le Président du Conseil exécutif d’Alsace.
- Il y aura entre 8 et 12 conseils de territoire de vie qui s’appuieront sur des antennes existantes. Les départements ne disparaissent pas. Ce sont les conseils généraux comme structures administratives qui fusionneront avec le Conseil régional.
• Scrutin majoritaire et proportionnel
Une partie des conseillers sera élue dans le cadre des cantons, au scrutin majoritaire, l’autre partie sera élue à la représentation proportionnelle, dans le cadre de la circonscription électorale régionale, avec deux sections départementales. Le mode de scrutin garantira le respect de la parité hommes femmes. Le nombre d’élus total diminue d’environ 10 à 20%.
La question du référendum du 7 avril 2013:
«Approuvez-vous le projet de création, en Alsace, d’une Collectivité territoriale
D’Alsace, par fusion du Conseil régional d’Alsace, du Conseil général du Bas-Rhin, et du Conseil général du Haut-Rhin?» Il n’est plus question de faire se prononcer les Alsaciens sur les principes énoncés le 12 novembre 2012 qui lieraient les mains du législateur...(DNA du 24/1).
Arguments favorables au projet
• plus de lisibilité de l’action publique (actuellement 8200 fonctionnaires pour les trois collectivités)
• accroître l’efficacité par la réunion des compétences et des moyens
• être plus fort face à l’Etat pour négocier de nouvelles compétences
• faciliter les liens avec les régions voisines: les puissants Länder allemands et les cantons suisses.
Eléments d’élucidation et de critique du projet.
• Il subsiste des zones d’obscurité:
Combien d’élus seront élus à la proportionnelle? Il y aura des assemblées territoriales sans personnalité juridique. Le schéma institutionnel communiqué pour le grand public reste complexe. S’agit-il de ménager chacun au détriment d’une architecture claire et fonctionnelle?
• La concentration des pouvoirs au niveau régional éloigne les citoyens du pouvoir.
En effet, la répartition territoriale des compétences et des services n’est pas encore définie. Comment sera organisée concrètement l’administration qui se substituerait aux Départements? Le projet parle de 8 à 12 «conseils de territoire et de vie», à la fois administrations déconcentrées de l’exécutif régional et réunion de conseillers régionaux du ressort. Par ailleurs seraient constituées deux conférences départementales chargées de conseiller l’exécutif. Cela peut paraître insuffisant en terme de décentralisation si l’on souhaite la mise en place d’une dizaine de communautés comparables à la Communauté urbaine de Strasbourg sur le modèle des «Kreis» en pays de Bade.
• Renforcer les compétences régionales peut créer de l’inégalité entre les régions françaises
• Certains craignent que la réforme leur coûte leur mandat ou leur emploi
• Il existe une certaine conflictualité: les grandes métropoles, Strasbourg et Mulhouse craignent d’être trop encadrées par la Collectivité territoriale. Les élus strasbourgeois ont des difficultés à admettre que le siège de l’exécutif soir à Colmar et non à Strasbourg. Le rôle de Mulhouse dans la future collectivité n’est pas clair. Strasbourg et Mulhouse ont entrepris une démarche pour créer une métropole commune fin 2011. Où en est cette initiative en contradiction avec le projet de collectivité territoriale d’Alsace?. Le Président du Conseil Général du Haut-Rhin s’est demandé publiquement si la métropole de Strasbourg devait être incluse dans le territoire de la collectivité. Il semble que les relations métropole/collectivité soit la zone d’ombre du projet. Difficile de faire l’impasse sur le tiers de la population alsacienne. Depuis que Hollande s’est engagé à faire de Strasbourg une eurométropole, la complexité du projet s’est encore accrue. Les compétences de l’eurométropole empièteront-elles sur les compétences de la collectivité unique? Les contours de la réforme territoriale modifiée par l’actuel gouvernement ne seront pas connus avant mars. Le référendum correspond à une réforme antérieure caduque en partie.
• Un renforcement de l’unité régionale pourrait nuire au développement transfrontalier en privilégiant l’aspect régional au détriment des coopérations transfrontalières. Par exemple, l’attraction du pôle universitaire de Strasbourg décourage l’Université de Mulhouse de s’engager dans un partenariat poussé avec Bâle.
• La réunion des trois instances ne générera pas forcément des économies sauf si on s’attaque à la réorganisation des administrations.
• Ce projet ne semble pas répondre à certaines attentes concernant la langue régionale et la culture alsacienne.
En conclusion, ce référendum a le mérite de poser la question régionale d’une nouvelle manière. Cependant des craintes se font jour concernant un nombre important d’approximations structurelles pouvant donner une impression inaboutie sur le plan purement institutionnel et porter préjudice à un fonctionnement réellement démocratique.
La Collectivité territoriale d’Alsace
Café politique du 21mars 2013
Après l’exposé de Geneviève sur le référendum du 7 avril 2013 qui porte sur la mise en place d’une collectivité territoriale unique en Alsace, le débat s’ouvre.
1) Eléments en faveur de la future Collectivité territoriale unique
- Une meilleure utilisation de l’argent public en évitant les doublons.
- Un élargissement des compétences anciennement attribuées aux Conseil régional et aux Conseils généraux.
- Démontrer par le vote favorable qu’une tendance se fait jour en France pour mieux structurer l’échelon régional. La France a à trouver un chemin original par rapport aux Etats fédéraux dont le régionalisme est une des bases institutionnelles importantes comme les Länder en Allemagne. Elle peut prendre en considération d’autres pays européens dans lesquels les régions ont beaucoup de pouvoir.
- La Région devrait être plus puissante.
- Il est possible d’espérer un travail politique pluraliste dans ce nouveau cadre.
- En votant non, une dynamique risque de s’arrêter et de ne pas se remettre en marche de sitôt.
2) Beaucoup d’inquiétudes ont cependant été évoquées
- Le dispositif institutionnel paraît trop complexe
• La multiplicité d’instances donne une impression de manque de clarté, même si on comprend que les conférences consultatives départementales ont un rôle supposé
transitoire.
• Il est difficile de saisir comment seront réorganisées les administrations. Quels seront les interlocuteurs pour le milieu associatif? La diminution éventuelle de fonctionnaires ne se fera-t-elle pas au détriment de l’attribution des subventions moins facilement traitées par un personnel moins nombreux?
- Les liens transfrontaliers seront-ils simplifiés? Que devient le district Strasbourg-Ortenau dans ce projet?
- Qu’en est-il du lien entre ce projet et l’Acte III de la décentralisation qui n’est pas encore mis en place? Y aura-t-il des contradictions entre ces éléments?
- Comment seront affectés les fonctionnaires? Ce projet n’est-il pas une manière d’avancer masqué pour «dégraisser le mammouth?». Dans le contexte de crise massif d’aujourd’hui, l’OMC propose la suppression de l’échelon départemental pour accentuer l’effort de rigueur en France...
- Comment s’organise le scrutin? Il est question de redécoupage de cantons? Au bénéfice de qui?
- Quid de la Moselle dans ce projet? Elle est concernée par le droit local hérité de l’après 1918 comme l’ Alsace. Comment le droit local sera pris en compte?
- Les socialistes alsaciens semblent en général hostiles au projet et ne participent pas à la réflexion ce qui augure des difficultés en cas de vote positif.
En conclusion, il règne un certain scepticisme par rapport au projet même si l’initiative présente de l’intérêt. Le référendum ne porte que sur l’acceptation de la «coquille institutionnelle» et laisse les mains libres aux élus pour lui donner un contenu.
Les remarques de Gérard.
. La nouvelle institution si elle est avalisée par le référendum, (25 % des inscrits nécessaire quand même pour validité du référendum ; n’oublions pas le référendum Jospin avorté en Corse), ne sera que ce que les gestionnaires en feront :
. Ne pas s’illusionner qu’un changement institutionnel remplacera une baisse inéluctable des moyens financiers dans une économie en panne.
. L’accroissement des compétences qui sera consécutif à la collectivité unique, peut être aussi le moyen de déléguer des pouvoirs généraux et non plus d’attribution sans les contreparties financières.
. Le risque du « donnant-donnant » suite aux implantations géographiques de l’exécutif et de l’assemblée délibérante, et qu’il faudra composer avec des solutions hybrides et éventuellement la création d’organismes de coordination qui seront une feuille de plus au mille feuilles qu’on voulait alléger. Car n’oublions pas que les économies ne procèderont que de la suppression de quelques chefs de service, 80 % des dépenses de personnel relevant du secteur des lycées et collèges ; peut-être que des économies d’échelle découleront de la rationalisation et du regroupement de services grâce notamment aux systèmes de gestion en ligne.
. Les nouveaux conseillers territoriaux auront-ils la vision régionale globale du territoire, ou conserveront-ils une sous-casquette cantonale ? Car il faudra bien chercher à se faire réélire auprès de sa clientèle traditionnelle.
. Les services de l’Etat suivront-ils la même démarche en supprimant les sous-préfectures et en renforçant la préfecture de région pour plus de contrôle a posteriori en sus de la Cour régionale des comptes et plus d’assistance-conseil ?
. La coopération transfrontalière y trouvera-t-elle une accélération ? Comme à Wissembourg où l’hôpital accueille des patients allemands selon les services de pointe en France et vice versa ; cela peut s’appliquer aussi aux pompiers……..le tout est bien de constituer de grosses régions économiques qui pourront mieux peser dans l’environnement européen.
En conclusion : le particularisme alsacien est étrange, il est constitué d’une attraction-répulsion avec le centre jacobin de décision de Paris (ou de Berlin en son temps).
. Au temps du Reichsland dans le cadre de la constitution de 1911, une relative autonomie semblait être accordée à l’Alsace, mais en fait elle était gérée directement de Berlin pour les décisions importantes, voire même par Guillaume I ou II qui décidaient de la hauteur des portes d’entrée des gares ou des Postes !!
. Dès le retour à la France en 1918, on reconnut une relative autonomie à l’Alsace en lui concédant le maintien du statut concordataire, la gestion de l’enseignement privé selon la loi Falloux, et quelques bribes de droit local ou de résidu de droit allemand notamment dans le système coopératif bancaire et la protection sociale, et même pour la faillite personnelle. La gestion de l’Alsace était confiée à un sous-secrétaire d’Etat rattaché au Président du Conseil à Paris!!
. En 2013 l’Alsace va décider de l’application d’un dispositif national qui sera validé par une loi du Parlement, et l’expérimentation sera suivie directement par le Ministère de l’intérieur et autres, peut-être même directement par les services du premier ministre ; l’ironie de l’Histoire est que sous couvert d’une expérimentation l’Alsace soit suivie directement depuis Paris !!
D’autres craignent au contraire qu’un déficit de démocratie locale s’installe pour que des décisions radicales et impopulaires soient prises dans un contexte de morosité économique ; donc tout dépend du système électoral, de la durée des mandats, et du pouvoir de contrôle et de censure directe par le peuple d’Alsace, car il n’aura pas par référendum donner mandat élargi pour tout faire ; bref le mandat des élus devrait être impératif et des élus pourraient être renvoyés à la maison par un référendum d’initiative populaire.
Gérard Mars 2013
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Le Mali
Le texte de présentation de Gérard, suivi de la synthèse de la discussion
1- Le Mali dans la guerre mais sans bataille
Fin 2012 et début janvier, le ministre de la défense Le Drian supplée le président de la république qui est chef des armées et fait la tournée européenne afin de sensibiliser sur la menace terroriste ; Puis Hollande s’assure du concours de l’Algérie ; Le 11 janvier le président malien, Dioncounda Traoré, appelle à l’aide l’Elysée, et les avions décollent de N’Djamena, afin d’enrayer l’attaque terroriste sur Bamako et garantir les élections de juillet prochain.
L’armée française est perplexe quant à la stratégie d’évitement des fantassins de la Charia, qui se replient sans combat vers les reliefs de l’extrême-nord ; de plus il n’y a pas encore l’arsenal terroriste typique des guerres asymétriques, on s’attendait à des embuscades, voire à des attentats suicides. Le verrouillage frontalier promis par l’Algérie doit priver Aqmi et ses satellites d’une profondeur de champ à la pakistanaise.
Quelle stratégie ? Dès que les groupes islamistes étaient devenus une menace, la France tenta une approche indirecte de retournement du mouvement de libération de l’Azawad,( MNLA touareg), afin d’isoler Al-Qaeda/Aqmi, mais ce fut un échec et donc il fallait un coup d’arrêt militaire contre Aqmi qui a priori il semblait manquer de soutien populaire. L’armée française et ses alliés africains ne vont pas s’échiner à débusquer un à un les terroristes, il s’agit moins d’éradiquer le péril que de le neutraliser durablement. Cependant il y a le risque des otages, d’où restent trois solutions :
. Reconstruire les forces maliennes, investissement réalisé par les USA mais les troupes formées passent aux rebelles.
. Soutenir les 3000 hommes des forces africaines engagées, mais les gouvernements des Etats limitrophes sont faibles.
. Déployer une mission européenne d’assistance et de conseil
Ces trois options ont donné lieu à la création de la MISMA (Mission africaine de soutien au Mali), et L’EUTM-Mali (Mission européenne de formation de l’armée malienne).
2- L’Algérie, un dispositif d’appui à l’intervention : Historiquement désireuse de sortir de la sale guerre des années 1990, Alger a mené une politique de concorde nationale, ses terroristes résiduels ont élu domicile en Kabylie et au Sahara, l’armée a cessé de faire la chasse au GSPC (Groupement Salafiste pour la Prédication et le Combat) ; Alger ne voulait pas être impliqué dans la guerre mais a autorisé le survol de son territoire aérien, elle a opéré un revirement stratégique suite à l’impasse diplomatique des négociations avec Ansar ed-Dine passé à l’attaque à In Aménas à sa frontière sud, 12 % de ses exportations de gaz.
De plus Alger veut sortir d’un isolement diplomatique patent dans la région avec une perte d’influence régionale en Afrique subsaharienne où ces pays pensent qu’Alger a pris parti pour les djihadistes contre eux !!L’attaque d’In Amenas a fédéré les 2 thématiques opposées en Algérie, les anti-djihadistes pro-Paris et les anticolonialistes anti-Paris, la lutte antiterroriste est sortie de son ambiguïté, c’est devenu la guerre de la nation algérienne souveraine atteinte dans ses intérêts économiques !! Mais la population traumatisée par la décennie 1990 de cauchemar et qui se sent méprisée par le gouvernement (Hogra), n’adhère pas forcément à ses gouvernants.
3- Le mode d’intervention et les règles, « De la Corrèze au Zambèze, plus de France en Afrique sans FrançAfrique», Partir pour mieux rester ou rester pour ne pas devoir revenir en Afrique ??
. 3-1 Différencier les mouvements islamistes ? Isoler ceux se réclamant du Salafisme
. Les fréquentables d’Ansar ed-Dine, faction de Touaregs maliens active sur le front de Kona.
. Les irrécupérables d’Aqmi et de Mujao.
Qu’est-ce que le salafisme ? Doctrine qui voit l’avenir de l’Humanité dans le passé, nous devons calquer notre vie sur celle des ancêtres vertueux les Salaf, le modèle achevé est derrière nous c’est l’islam pur contraire à la vie moderne occidentale, satanique ; vouloir reconstruire le passé n’est-il pas une régression, une sorte de vanité, le modèle achevé devrait être devant car on doit apporter une valeur ajoutée à ce qu’on a trouvé.
.3-2 De la protection contre le risque terroriste chez nous on passe à la lutte contre l’islamisme lointain et preneur d’otages, Hollande n’a pu s’abstenir comme Chirac en Irak malgré son annonce en campagne électorale. Mais agir au loin contre la menace islamiste peut rapprocher la menace islamiste, infiltrations, embrigadements. La menace a changé, dorénavant c’est l’islamisme multiforme, tribal en Afghanistan, étatique en Iran, opportuniste au Maghreb et totalitaire –trafiquant au Sahel. C’est la rencontre du choc des civilisations et du marché ambulant des armes de l’ex-Lybie kadhafiste, de la drogue, qui prospèrent en raison de l’impuissance ou de l’indifférence des états voisins ; les USA ont soutenu les talibans contre les russes et nous avons recueilli Khoméini.
4- Pas d’action coordonnée européenne ou mondiale : L’opération est légitime au plan international et est efficace à court terme car la France agit seule dans le cadre d’un consensus national ; réfléchir européen ou ONUsien n’est-il plus de mise pour intervenir ? Insuffisance criante de l’Europe en matière militaire; l’Afrique ne peut se gendarmer seule alors la France y pare au risque d’apparaître néocolonialiste. La France a eu l’appel d’un gouvernement malien menacé de disparaître, intervention dans la légalité internationale de l’ONU.
4-1. Impuissance de l’Union européenne pourtant auteur d’un plan de développement adossé à un plan sécuritaire : Le service européen pour l’action extérieure, le SEAE dirigé par Mme Catherine Ashton ne fonctionne pas car il n’y a pas d’idéologie sécuritaire au niveau de la Commission.
4-2. Sur 27 pays membres peu s’intéressent à l’Afrique et seulement trois ont une capacité militaire d’intervention, France, Royaume Uni et Allemagne ; cela aurait pu être un laboratoire européen d’une politique de défense européenne !!
4-3. Pourquoi les USA n’interviennent pas ? Des raisons budgétaires et des priorités accordées à l’Asie, ils n’ont pas de vraie stratégie dans la région et laissent faire l’Algérie ; des troupes formées à grands frais, d’origine malienne et touareg principalement, ont fait défection et sont passées avec armes et bagages chez les rebelles dès les premiers contacts!!
Ce qui fait que la France a porté seule le dossier sahélien auprès de Catherine Ashton ; et puis il y a une différence entre les états européens du nord et de l’est qui regardent vers l’est, vers le voisinage oriental ex-soviétique !! Un faible nombre d’états européens voient dans le sud une menace immédiate.
5- Rendre au Mali son intégrité territoriale : Rébellion touareg et islamistes de l’Azawad, un émirat islamiste ou restitution de souveraineté à Bamako?
Le gouvernement malien a perdu le contrôle de ses territoires du Nord depuis 2003 date à laquelle un mouvement d’obédience Al-Qaeda s’est établi au nord de Tombouctou ; ce mouvement s’origine dans le GSPC, émanation d’un mouvement similaire implanté depuis 1997 dans les montagnes de Kabylie ; le GSPC également une émanation du GIA qui a joué un rôle dans la guerre civile algérienne des années 1990 jusqu’à gagner les élections annulées après qu’un coup d’état militaire en janvier 1992 a coupé court à l’expérience de gouvernance démocratique, ce qui a donné suite à 7 années d’atroces violences et 2OO.OOO morts algériens. Les réseaux neutralisés par l’Algérie avec la concorde civile se sont établis dans le Sahel, Alger a tenté de les infiltrer pour les détruire, voire même de les utiliser dans ses objectifs sécuritaires ou d’influence régionale aux frontières jusqu’à l’affaire d’In –Amenas et Alger est prêt à les éradiquer, car ces groupes sont devenus des menaces pour les Etats limitrophes.
. 5-1 Les forces en présence :
. France : 2500 hommes de l’opération Serval pour commencer et des moyens aériens ; troupes stationnées à Dakar, Abidjan, Libreville Centre-Afrique et Tchad.
. Afrique /Misma : 3000 hommes, Sénégal, Burkina Faso, Togo, Bénin, Nigéria et Niger.
. Mouvements islamistes et séparatistes touareg du Mouvement national pour la libération de l’Azawad : entre 12000 et 20.000 hommes ? Les groupes islamistes qui contrôlent le nord Mali prônent un islam rigoriste, une grande méfiance marque les rapports entre les sédentaires noirs et les nomades au teint clair ou à la peau rouge, les Touaregs ou les Arabes. Des alliances sont recherchées, entre le GSPC et Ansar Dine ; entre la mouvance Al-Qaeda de Lybie orientale et Ansar Dine ; entre Boko Hamram du Nigéria et les mouvements sahéliens, et enfin avec la traque puis la mort de Ben Laden, un rapprochement entre Al Qaeda et Al-Chebab le mouvement islamiste somalien.
La France peut-elle seule reprendre le nord-Mali et en chasser les milices armées, ce n’est ni faisable ni souhaitable !!
6- Les risques pour la France
Recrutement de djihadistes par la filière française de jeunes qui recherchent la « Hira », l’exil à l’image du prophète de l’Islam, le retour dans un pays pratiquant après la prise du Nord-Mali par les islamistes, le Djihad n’est plus le seul fait des jeunes Arabes mais aussi des Noirs;
Un danger absolu pour les Français expatriés, risque d’enlèvement et d’attaque terroriste sur les sites d’exploitation de pétrole ou d’uranium, les intérêts français (Areva, Eramet, Total-GDF-Suez et Bolloré) ou européens. Les groupes étrangers ne sont pas en mesure de se protéger et doivent la protection à l’Algérie, cependant au Niger des forces spéciales françaises ont été autorisées)
Le sacrifice de 40 djihadistes sur le site d’In Amenas, le site historique de la Sonatrach, peut aviver des compétitions et attirer de nouvelles recrues désireuses de rejeter la démocratie qui est une invention des infidèles afin de revenir vers des nouveaux Etats théocratiques.
7- Leçon et investissement pour l’avenir
L’opération en Côte d’Ivoire, au Tchad et l’intervention en Lybie montrent les dangers d’une inaction après une intervention-éclair.
On a éliminé Kadhafi mais la situation au nord-mali est en partie liée à l’inaction au sortir des opérations lybiennes.
L’Afrique est la nouvelle frontière du développement et pour l’Europe ce pourrait être la promesse d’un pacte de croissance, ce que la Chine a déjà anticipé au point d’apparaître comme le nouveau colonisateur;
A horizon 2040 le Sahel ce sera un bloc de 150 millions d’habitants avec une pression démographique alarmante et une militarisation croissante pour le contrôle des richesses, pétrole, gaz, uranium, fer, phosphate, cuivre, étain, sel, c’est un hub ou une plaque tournante énergétique de plus en plus convoitée ; les prochaines cibles islamistes pourraient être la Mauritanie, le Niger-Tchad, et Nigéria……
. Une zone de friction de plaques entre l’islam soufiste et tolérant de pratiques locales, et l’islam wahabite et salafiste plus rigoureux et jugeant blasphématoire le non- rigorisme.
. Une zone d’Etats faibles avec des ressources minérales importantes qui verra se renforcer des éléments incontrôlés narco-trafiquants-d’armes-islamo-mafieux, qui pourraient servir de relais aux conflits nés aux confins sino-japonais-philippins pour se déployer jusqu’en Amérique centrale, et engager les USA ; les routes de la mondialisation seront la voie d’une nouvelle typologie de guerre !
Eléments sur le Mali
Ancienne colonie française indépendante depuis 1960 avec Modibo Keita avec un régime socialiste ; luttes pour obtenir le multipartisme.
. Superficie : 1.250.000 km2
. 12.000.000 Hbts
. Pas de religion officielle, 1 % de la population est catholique.
. Climat social tendu en raison d’affrontements entre l’armée et les Touaregs.
. En 2003, 32 otages européens sont libérés par les combattants islamistes avec l’intercession de Kadhafi.
En octobre 2003, Chirac se rend au Mali pour évoquer le dossier de l’immigration en France.
Gérard
LA QUESTION DU MALI AUJOURD'HUI
Après la présentation complète de la question du Mali aujourd'hui par Gérard, Jean-Louis
propose un complément sur la question touareg en lien avec plusieurs voyages effectués
par lui au Mali en 2003, 2006 et 2009.
Il semble y avoir en ce moment une confusion entre le mot touareg et le mot islamiste. Or
tous les Touaregs sont loin d'être des islamistes. Ils sont environ un million répartis sur
cinq pays. Ce sont les «routiers» du Sahara (caravanes de sel). A la fin de la colonisation
ils ont subi la mise en place de frontières arbitraires (Mali, Burkina) et ont eu des difficultés
à trouver leur place dans ces Etats. Au Mali, la question clé pour l'Etat semble bien être la
question de l'intégration des Touaregs.
Il est vrai que depuis la chute de Khadafi, de nombreux Touaregs enrôlés dans l'armée
lybienne se sont retrouvés au Mali ou dans d'autres Etats du Sahel avec leurs armes.
Certains ont effectivement rejoint la mouvance d'Ansar Dine (mouvement islamiste
rigoriste voulant imposer la charia), d'autres le MNLA (mouvement de libération de
l'Azawad) ou le MUJAO, mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest qui
tente de s'imposer au Nord Mali. Il est issu d'une scission d'AQMI et recrute surtout chez
les ethnies noires maliennes.
Ces groupes se sont unis, mais se sont aussi combattus. Leurs revendications sont
souvent disparates.
Dans toutes les zones frontières au sein du Sahel des groupes de brigands font toutes
sortes de trafics comme la drogue, les cigarettes. Rappelons Mokhtar Belmokhtar, ancien
du GIA avec ses pickups et ses mitraillettes. Il réussit en 2007 à faire un coup d'éclat qui
fait craindre pour le Paris-Dakar, désormais déporté en Amérique Latine.
Le débat s'ouvre sur la question des causes de l'intervention de la France au Mali
aujourd'hui.
Pourquoi intervenir au Mali aujourd'hui?
• La France a des raisons économiques et géostratégiques pour intervenir. Elle a besoin
d'établir une protection pour ses entreprises au Mali et au Niger et de lutter contre les
bandes armées.
• L'imposition de la charia au Nord du Mali.
1
• La destruction de la culture malienne par les islamistes: les Salafistes, hostiles à toute
forme de représentation humaine ou animale ont détruit des manuscrits à Tombouctou
et s'en sont pris aux sites religieux. L'irrespect de la culture (autodafés de livres) conduit
sûrement à la violence et au meurtre. L'histoire le prouve. Il s'agit d'un indice fort pour
motiver une intervention militaire.
• Il reste un interrogation de type politique sur le moment de l'intervention française.
Pourquoi avoir attendu ce moment alors que la situation était déjà grave bien avant? On
ne peut pas éliminer une manoeuvre «rideau de fumée» du Président Hollande pour
détourner l'attention des Français du malaise social grandissant...
Les problèmes du Mali rendent l'intervention française complexe.
• Les conséquences du découpage colonial ont défavorisé les Touaregs. Les Touaregs du
MNLA se sont révoltés à plusieurs reprises sans jamais rien obtenir de tangible d'un Etat
malien de plus en plus affaibli sans réelle armée. Il y a toujours eu un fossé important
entre les Touaregs de langue berbère et et les ethnies noires. Il semble peu probable
que le Mali cède des territoires aux Touaregs.
• La présence de groupes aux intérêts contradictoires complique la donne: par exemple, le
troisième personnage des MUJAO est arrêté par le MNLA. Le MNLA a tendance à se
désolidariser du MUJAO. En effet, il souhaite avant tout créer un Etat indépendant et
démocratique au Nord Mali. Un des responsables importants du MUJAO a démissionné
de ce mouvement en arguant qu'il n'est pas un mouvement respectueux de l'islam.
• Il ne faut pas sous-estimer le fait que l'Afrique est un continent intéressant pour les
grandes puissances en terme d'approvisionnement en énergie (uranium, pétrole). La
Chine a peu de matières premières et peut entrer en conflit avec les USA et l'Europe
pour accéder aux sources d'énergie. L'islamisme peut bien être instrumentalisé dans
cette course à l'énergie.
Quel avenir après le conflit actuel?
• Les Touaregs semblent être peu préparés à une organisation de type fédéral qui
réunirait les nomades du Sahel. Ils vivent leur situation dans le malaise.
• La lutte contre les islamistes peut paraître réussir, mais ceux-ci peuvent essaimer aux
marges du Sahel et continuer leur action.
• Les Etats africains du Sahel ont des fragilités économiques et politiques majeures
(corruption) qui compliquent la résolution des conflits.
• La France arrivera-t-elle à jouer le rôle de médiateur entre le Mali et le problème
touareg?
• Même si les Maliens de France sont soulagés de voir les islamistes reculer, ils se posent
des questions pour l'avenir. Les événements récents à Gao illustrent cette inquiétude.
• La question du financement des islamistes par des pays du Moyen-Orient est souvent
évoquée comme un frein important à la pacification du Sahel.
Complément à la synthèse, par Gérard
Pourquoi l’intervention maintenant ?
Hormis l’aspect géostratégique, l’intervention a pu créer un moment d’unité nationale au-delà des clivages traditionnels droite-gauche, pour cause d’opération extérieure. Cela a apporté une correction d’image du Président qui a montré que le risque de l’action était en tout préférable à la menace engendrée par l’inaction.
En fait mon propos dans mon texte de présentation n’avait pas été de décrire le Mali aujourd’hui, mais la généalogie de l’implantation islamiste au Sahel mettant à profit l’antagonisme des Touaregs et d’autres populations dans le cadre d’Etats faibles comme le Mali secoués par des coups d’Etat.
Donc la question pourquoi maintenant mettait en perspective plusieurs mouvements :
. Evolution du mouvement taliban avec la mort de Ben Laden et de changement de perspective du Pakistan.
. Mise en œuvre de la formation des troupes dans les pays limitrophes au Sahel par les USA
. Evolution du positionnement de l’Algérie en prise à l’islamisme depuis la fin des années 1980 ; elle a exporté ses islamistes aux frontières du Sud, au Sahel, après la loi de la concorde civile valant amnistie pour les actes terroristes du GIA puis du GSPC ; l’Algérie pendant longtemps a refusé son rôle de gendarme régional au Sahel ; sur le sol algérien le gouvernement distribuait la manne pétrolière dans les foyers d’agitation potentielle propice aux islamistes ; enfin l’Algérie a donné son accord pour l’intervention puis a bouclé ses frontières Sud.
. Recherche d’une unité d’action en Europe en tentant de provoquer des décisions de Catherine Ashton, dont la mise en place de la MISMA.
. Moment d’évolution ou de déstabilisation des pays, Mali, Lybie, Tchad et Cote d’Ivoire.
Quel avenir pour cette intervention ? On veut éviter l’enlisement de forces au sol au Mali ; essai d’un nouvel art de la guerre avec des frappes meurtrières des drones qui s’intensifient ; c’est la stratégie furtive dite « Light footsprint strategy » ; il y a un risque de prolifération de ce droit de tuer, que d’autres pays peuvent aussi généraliser, comme la Russie en Syrie, la Chine au Japon ou aux Philippines, l’Iran en Israël………
Le proche avenir au Mali : des élections sont promises en juillet prochain, mais les groupes islamistes ou indépendantistes n’ont pas désarmé, ni leurs pays de soutien en sous-main ; on ne sait pas si un gouvernement malien pluriel sera en mesure de garantir l’unité du pays et la protection des frontières du nord ; les troupes françaises aidées d’une logistique USA ou Européenne, doivent demeurer à proximité.
LA CHINE
CAFE POLITIQUE DU JEUDI 24 JANVIER 2013
Après un exposé très complet sur la Chine actuelle présenté par Jean-Luc et complété par Pierre,( voir ci-dessous) le débat s'ouvre.
La Chine ne semble pas avoir de visées expansionnistes en Asie.
• Historiquement, La Chine a souvent adopté une attitude défensive (voir la construction de la Grande Muraille). Elle a du se défendre au fil du temps contre la colonisation européenne (les comptoirs), puis contre les Japonais
• Son budget militaire reste modeste (environ 17% du budget de la nation) même si deux plans quinquennaux prévoient la modernisation de l'Armée. Des inconnues subsistent cependant sur le devenir de l'Armée Rouge, et sur le développement de la technologie de son armement.
• La Chine n'a jamais fait une politique de conquêtes et se contente de protéger son pré-carré asiatique. Elle peut entrer en conflit avec les Philippines pour consolider son domaine maritime.
• Elle est très intéressée par le renforcement de sa sécurité régionale.
• La question du Tibet occupé par la Chine depuis 1950 est liée à la question d'autres
minorités sur le territoire chinois qui pourraient tirer profit d'un relâchement de l'autorité de Pékin (Les Ouïgours par exemple).
La Chine et le reste du monde.
• Les Etats-Unis semblent d'une certaine manière se désengager de l'Europe de l'Ouest et se centrer davantage sur le Pacifique. Certains prévisionnistes en géostratégie pensent que la probabilité d'un conflit en 2018 entre les Etats-Unis et la Chine n'est pas nulle (probabilité de 60%). Le rapport Chine-USA est très particulier en terme d'interdépendance puisque les chinois possèdent 2/3 des bons du Trésor américain. La tension a tendance à monter entre ces deux pays.
• La conflictualité va peut-être changer de nature car avec la mondialisation il faut raisonner en «arcs de la violence» qui ont le loisir de faire le tour du monde; le conflit qui peut impacter la Chine, le Japon ou les Philippines pour des ilôts rocheux, peut toucher les Etats-unis, redescendre vers le Mexique et le Brésil par le biais des cartels de la drogue, puis rejoindre la Guinée équatoriale et le Mali. Tout dépendra de la capacité de la police internationale contre le terrorisme narco-islamique et de l'arbitrage des nations pour les dérisoires disputes d'ilôts».
• La Chine est très intéressée par les terres cultivables en Afrique et par divers équipements européens comme des aéroports désaffectés qui pourraient servir de bases logistiques pour la distribution de ses produits commerciaux.
L'évolution de la société chinoise.
• Des problèmes importants apparaissent en lien avec le vieillissement de la population et la politique de l'enfant unique. On assiste aujourd'hui à un assouplissement du contrôle des naissances pour faire face à la question des retraites à venir.
• Le déficit des femmes en âge de se marier entraîne des conduites de violence sociale (achat de femmes par exemple).
• La société chinoise repose sur des bases élitistes: environ 6% à 8% de la population a adhéré au Parti Communiste Chinois (PCC) qui détient l'essentiel du pouvoir. Ce sont des notables plus nombreux que les nobles en France sous l'Ancien Régime. Cela peut expliquer une relative stabilité sociale contrairement à la France pré-révolutionnaire dans laquelle les nobles imposaient leur pouvoir en ne représentant que 1% de la population de l'époque.
• Le régime de propriété reste complexe: le chinois peut acheter un appartement dont il aura la jouissance durant 70 ans renouvelables, mais c'est l'Etat qui en reste le propriétaire en dernier ressort. En ce qui concerne les actions, le Parti-Etat se contente de 10% des dividendes, même s'il possède la majorité des actions cotées en Bours (Bourse de Shanghaï). Le système de propriété en Chine est particulièrement complexe.
(Voir en annexe les précisions données par Jean-Luc). Le capital n'est pas imposé en Chine.
• L'Armée Rouge évolue en se dissociant de plus en plus du PCC depuis 2000 environ.
Elle a tendance à se placer en position de surplomb par rapport au PCC. Toutes proportions gardées, elle se rapproche du modèle turc actuel.
• Certaines ONG, comme le Lyons Club qui regroupe 1,500 000 membres répartis sur 208 pays, travaillent en Chine avec une certaine bienveillance nationale à la concorde entre tous les habitants du monde.
• Les méthodes commerciales chinoises chinoises sont souvent mal comprises par les PME, françaises notamment. Celles-ci ne comprennent pas toujours une certaine habileté chinoise dans les négociations qui contraste avec la rigueur française et elles ont tendance à la prendre pour de la rouerie.
Conclusion.
Il existe en Chine un véritable désir de vivre mieux et de s'inspirer du mode de vie occidental. De nombreux chinois étudient dans tous les domaines en Occident à un haut niveau. L'évolution économique liée à une éventuelle régulation des échanges Chine-reste du monde pourrait obliger la Chine à développer son marché intérieur et peut-être à accélérer la marche vers la démocratisation.
La chine, par Jean Luc
Au début des années 80, on assista, à la périphérie de la Chine dite populaire, à l’essor économique rapide de 4 « dragons », Taïwan, Hongkong, Singapour et la Corée, essor qui suscita à l’époque la surprise et l’interrogation des Occidentaux. Les dirigeants de ces 4 petits dragons expliquèrent alors leur succès par la redécouverte des « valeurs confucéennes » (importance de la cellule familiale, respect de l’autorité, goût pour l’étude, travail acharné et sens de l’épargne ), dont le contenu rappelle étrangement les analyses que fit Max Weber, au début du 20e siecle, et qui prêta à la rigueur protestante la cause de l’essor et du triomphe du capitalisme en Europe. Pourtant, illustrant ainsi l’un de ces retournements dont l’Histoire est coutumière, Max Weber avait attribué au même confucianisme le retard de l ‘Asie pour ce qui est de son décollage économique.
Le sanguinaire et tyrannique Mao tsé toung mourut en 1976. La révolution culturelle, qui avait sévie pendant plus de 10 ans, fut stoppée, et dès 1978, un premier colloque consacré à Confucius fut organisé dans la Chine communiste, colloque qui sera suivi d’une multitude d’autres. Deng Xiao Ping, successeur de Mao, a-t-il eu le loisir de méditer la sentence de Churchill selon laquelle le capitalisme répartit de manière inégale la richesse, alors que le socialisme répartit de manière égale la misère, toujours est-il qu’ en 1992, lors d’une tournée, il cite l’économie de Singapour comme modèle à adopter ? On l’appellera « économie socialiste de marché », à ne pas confondre avec « l’économie sociale de marché » de ce qui était encore la RFA. En effet, l’introduction du capitalisme dans la vaste Chine ne fut pas suivi d’ une démocratisation de la vie politique. Et le système mis en place s’apparentera dans un premier temps plutôt au Chili de Pinochet. Le parti communiste chinois s’appuie dès cette époque sur les valeurs dites confucéennes, qu’il présenta comme des gages de stabilité, de discipline et d’ordre social, et qu’il opposa à un comportement occidental jugé décadent, car hédoniste et individualiste. On parla alors de « postmodernité », le confucianisme est enseigné dans les écoles à partir des années 1990, de même que sont organisés des cours pour adultes, sous l’appellation d’ « études nationales ». Le camarade Jiang Zemin, qui présida aux destinées du pays de 1993 à 2003, justifia tout ceci au nom de la « gouvernance par la vertu », censée créer la « société d’harmonie socialiste ».
A l’heure actuelle, suite à ces réformes, la Chine s’est hissée au rang de 2e puissance économique mondiale, derrières les USA, et de 1er exportateur mondial, devant l’Allemagne. Sa croissance a été de 60 % entre 2007 et 2012, sa réserve de change est de 3 200 milliards de $, dont les 2/3 sont placés en bons du Trésor US , pays dont la dette atteint 16 000 milliards de $. Les économies de ces 2 pays sont donc très imbriquées, et ce, alors que les relations entre la Chine et les USA n’ont repris que durant les années 70, à la faveur à l’époque de la guerre froide et de l’hostilité entre les communistes chinois et soviétiques. Après l’effondrement de l’Union soviétique, analysé par les dirigeants chinois comme consécutive à un budget militaire titanesque, les échanges économiques entre Chinois et Etats-Uniens s’accrurent très rapidement, les dirigeants chinois, forts de l’exemple japonais d’après –guerre, voulant promouvoir la puissance de leur pays par l’essor économique.
La Chine contemporaine, en 30 ans, est passé du stade de pays émergeant à un pays-pivot dans l’économie-monde. D’Etat arpenteur, comme n’importe quel Etat en formation, il est devenu un Etat prédateur pour assumer son rôle d’Etat exportateur, ce faisant, il s’est parfaitement intégré dans l’ordre mondial. Reprenons ces caractéristiques:
-arpenteur : la Chine cherche encore à consolider son domaine territorial, notamment dans le secteur maritime, où un conflit certes mineur- mais toutes les guerres dans le passé ont commencé par des conflits mineurs-, l’oppose au Japon, après l’avoir opposé aux Philippines. Pour autant la Chine n’est pas une puissance maritime et cherche surtout à sécuriser les routes maritimes permettant ses approvisionnements en matières premières. Politique dite « d’affirmation réactive », envers ses voisins, dont elle tient à être considérée comme la puissance dominante. Le but ultime étant bien sûr de s’affirmer, dans la zone Pacifique, face aux USA.
-prédateur ; ses besoins en matières premières vont s’amplifiant, la dépendance du pays vis-à-vis de pays qui en sont riches l’incite à composer avec des régimes peu recommendables dont elle participe à leur maintien en place. Ainsi du Soudan ou du Zimbabwe dont les dictateurs ont reçu un soutien militaire, ainsi de l’Iran où la mollarchie peut compter sur le soutien diplomatique chinois. Certes, pour s’amender, la Chine a directement financé des ports, des voies de chemin de fer ou des oléoducs, dans l’Afrique sub-saharienne notamment ; mais les réalisations résultant de ces louables intentions de participer au développement de ces pays sont avant tout faites pour servir les besoins des compagnies minières et pétrolières chinoises ou travaillant en étroite collaboration avec les compagnies locales. Lorsqu’elle n’a pas besoin d’appuis politiques, le gouvernement incite ses entreprises à prendre directement des participations massives dans des secteurs économiques des pays exportateurs ; les banques d’Etat et le corps diplomatique travaillant main dans la main pour s’assurer de la bienveillance des élites locales. Ainsi l’an dernier, un prêt de 20 milliards de $ a été octroyé à des conditions très avantageuses au Venezuela pour accélérer les tracatations avec l’industrie pétrolière locale. Il est toutefois remarquable, que lors du 18e congrès du PCC, à l’automne 2012, les questions internationales n’aient pas été abordées, comme s’il allait de soi que le monde devait s’adapter à la Chine et non l’inverse.
-exportateur ; sa croissance s’est faite jusqu’à présent, pour l’essentiel grâce aux exportations. La limite de ceci est qu’il faut éviter d’affaiblir les pays qui assurent les débouchés, ainsi le gouvernement de Pékin est devenu prêteur, notamment vis-à- des US. Un auteur, D. Vernet, auteur de « la Chine contre l’Amérique, le duel du siècle », décrit ainsi la relation Chine –USA : « un noeud de contradiction où il est difficile de séparer l’hostilité de la complicité, la complémentarité de l’animosité, l’interdépendance de la méfiance ». Dans le rapport final du congrès précédemment cité, un constat est cependant pour la 1ere fois clairement affirmé : il faut changer de modèle de croissance, en adoptant un nouveau concept dit de « développement scientifique ». Cette approche est censée donner toute sa place à l’innovation et à la recherche, en se substituant au modèle basé sur les exportations. Elle vise à réduire les disparités sociales, notamment entre les villes et les campagnes et à protéger l’environnement. Lors du congrès, il a été reconnu qu’il fallait agir vite pour éviter un divorce entre le parti et le peuple.
-Enfin, le problème du pays est de trouver un équilibre, tant interne que dans « le concert des nations », comme disent les diplomates. N’étant plus révolutionnaire, est-il réformiste ou conformiste ? En fait, depuis son adhésion à l’économie de marché, il s’est parfaitement intégré dans le système occidental, sans même songer à le modifier ou à l’amender . Son adhésion à l’OMC s’est faite en 2001. Les dirigeants actuels ne distillent plus aucune idéologie ; au contraire, maintenant, environ la moitié de leurs enfants font leurs études aux USA. Ils y étudient le système en place contrairement aux étudiants occidentaux en Chine qui étudient plutôt les potentialités du marché chinois. Les classes moyennes sont également très attirées par l’Occident, tant par son mode de vie, que par ses modes tout court. Ce système de capitalisme autoritaire, toujours et encore dirigé par un parti unique, alors qu’il n’y a plus de pensée unique, surtout depuis l’intrusion des réseaux sociaux, va-t-il évoluer vers un Etat de droit ? La transition devrait se faire, en tout état de cause, à l’heure actuelle apparaît un embryon de droit commercial et de droit des affaires largement inspiré du droit commercial français, alors que pour les questions constitutionnelles et de droit administratif, c’est lemodèle allemand qui est étudié. Mais tout cela n’indique pas encore que l’on vers se dirige vers une démocratisation réelle alors même que durant le dernier congrès il a été reconnu que le modèle mis en place dans les années 1980 semblait à bout de souffle, était potentiellement facteur de déséquilibre et de déstabilisation: trop inégal socialement, trop coûteux écologiquement, trop tourné vers les exportations, trop corrompu, et tenu fermement par les mandarins d’un parti unique omnipotent. Un tournant s’impose donc, qui justifierait des débats contradictoires sur le fond, mais l’environnement économique agité à l’extérieur (où les débouchés s’effondrent) et peu serein à l’intérieur, le XVIIIe congrès du Parti communiste gardant une unanimité de façade, le rend dificile à négocier.
Ces constats amènent donc à nous interroger si ce libéralisme économique ne va pas finir par engendrer un libéralisme politique et une démocratisation du système ?
S’il y a bien une loi fondamentale et un système d’assemblées, tant au niveau national, que provincial ou municipal, qui semblent donner au régime une façade démocratique, le PCC , qui demeure la clé de voûte du système, n’a jamais reconnu les droits individuels. Et comme, bien qu’il y ait officiellement 6 partis politiques, le PCC se réserve, dans toutes les assemblées, 70 % des sièges, il dirige donc de fait. Lors du rapport présenté au dernier congrès , il a été admis que ce pourcentage devrait baisser. Toutefois, comme au niveau national les membres de l’éxécutif siègent également à l’Assemblée Populaire Nationale, cela la maintient dans son rôle de chambre d’enregistrement des décisions prises par le gouvernement.
Comment devient-on ministre,ou patron de presse, ou directeur d’université ? Pour les cadres agés de +de 45 ans, il y a, au sein de l’école centrale du PPC, une classe spéciale réservée à certains cadres reconnus par le comité central du PCC comme étant particulièrement méritants. 70 critères sont retenus pour juger de la valeur d’un candidat, parmi ceux-ci, son aptitude à avoir su maintenir la « stabilité », entendons par là, sa capacité à avoir su prévenir des troubles à l’ordre public. L’impétrant n’a pas accès à son dossier, ce qui garantit la reproduction d’une élite parfaitement formatée. Les nominations aux postes de responsabilité se font ensuite par cooptation sur des critères que nul, à l’extérieur de l’école, ne connait. Concernant les nominations aux plus hautes fonctions de l’Etat, le nombre de mandats est limité à 2, chaque mandat couvrant une durée de 5 ans. A noter, à tout le moins pour ce qui concerne les dirigeants suprêmes, que ne se manifeste nulle « richophobie ». Ainsi l’Agence Bloomberg a estimé que le montant des investissements détenus par la famille du nouveau chef de l’Etat, Xi-Jiping, est de l’ordre de 297 millions d’ €.
Comment fonctionnent les assemblées ? Toutes les doléances peuvent être formulées, mais seules celles qui sont reconnues comme « légitimes », sont discutées. Ce qui permet un système de « démocratie consultative », entendons par là, qu’une série de mécanismes a été mise en place, permettant certes de prendre en compte les attentes des citoyens, mais en les reformulant et en les formatant de façon à construire un consensus autour des décisions du parti et renforcer ainsi son rôle dirigeant. Ainsi a pu se créer ce qu’on appelle depuis 2007, la « société harmonieuse » : la participation directe du peuple a été encouragée, mais pour permettre non de faire émerger un pluralisme politique, ce qui est officiellement rejeté, mais au contraire d’aider le Parti à prendre en compte des intérêts divergeants, à charge pour lui d’en opérer l’arbitrage et la synthèse dont la mise en oeuvre permettra de réaliser l’harmonie tant vantée. Ainsi, dès lors qu’une question est reconnue comme légitime, le débat est entièrement libre, mais à l’issue de celui-ci, doit être confirmé la « capacité à gouverner » des dirigeants, tant locaux que nationaux du parti. L’on est même allé jusqu’à promouvoir une « attitude de contrôle du parti et du gouvernement par l’opinion publique », à laquelle les citoyens sont fortement invités à participer. L’usage d’internet , par l’envoi d’e-mails, est admis et même conseillé, même si naturellement ces e-mails sont passés au peigne fin avant d’être discutés. Il va sans dire que si des troubles suivent une délibération, la carrière future des cadres locaux est fortement compromise voire stoppée net.
Le but recherché est évidemment la récupération de tout contre-pouvoir et la dépolitisation des revendications. Dans les faits, cela a abouti à ce que les administrés se perçoivent comme des consommateurs ou des usagers face à un parti perçu comme un prestataire de services.
Toutefois, on a pu constater ces dernières années l’émergence d’un journalisme d’investigation, enquêtant notamment sur la corruption. Car le gouvernement central sait que celle-ci est très mal tolérée par la population et qu’elle forme le talon d’Achille du régime. Il lui faut donc s’appuyer sur la mobilisation populaire, dans un cadre valable pour toutes les provinces mais préalablement défini par le pouvoir central, pour lutter contre la corruption et les multiples abus de pouvoir qui ne cessent de se manifester. Ces critiques sont donc non seulement tolérées mais encouragées par le pouvoir central, elles sont certes utiles, mais pour un esprit occidental, n’ apparaissent toutefois que comme un succédané par rapport au fonctionnement d’un Etat de droit, dont la séparation des pouvoir et un contrôle institutionnalisé de ceux-ci forment la base.
Enfin, on a pu également noter l’apparition d’ONG. Certes il s’agissait là aussi, avant tout de récupérer des initiatives locales pour les couler dans le moule fixé par le parti. Ces ONG pilotent des actions comme l’éducation dans les zones pauvres, l’intégration des migrants, car il y a une forte mobilité des campagnes vers les villes, la sauvegarde écologique. Ces ONG peuvent bénéficier de soutiens financiers si elles acceptent les « ajustements » fixés par le Parti. Si l’accord se fait, le financement se fait par un « bureau des affaires civiles », qui, lui, n’a pas de compte à rendre à une structure de tutelle, dans le cas contraire, ces ONG sont interdites.
Telles sont les grandes lignes de la démocratie à la chinoise, où il s’agit, nous l’aurons compris, d’assurer la coopération entre la population civile et le PCC , afin que celui-ci, dans son rôle d’arbitre, puisse néanmoins garder un rôle prépondérant et en fin de compte, dirigeant.
On l’aura compris, le PCC et l’Etat ne font qu’un. Comment alors devient-on communiste ? Celui-ci s’auto-définissant comme « le parti de l’excellence », les jeunes diplômés y ont une place garantie. Quant aux autres, ils sont sélectionnés par un secrétaire, qui peut-être celui de l’école, de l’usine, du quartier, du village. Pour celui qui n’a pas été selectionné, et qui veut néanmoins entrer au parti, il lui faut trouver 2 parrains et accepter une enquête tant sur sa vie professionnelle que privée. Cette structure compte à l’heure actuelle 81 millions de membres, ce qui constitue une assurance-tranquilité pour le parti-Etat. Car les dirigeants, surtout au niveau local, sont souvent ouvertement critiqués par la population, ils s’échignent alors à trouver un arrangement qui évite les troubles. N’y parviendraient-ils pas, que leur carrière politique se serait plus qu’un souvenir.
Que dire pour le futur ? La Chine est certes devenue un géant, mais comme tous les géants, ne risque-t-elle pas de devenir un tigre de papier ? L ‘abandon du collectivisme alors que le pays reste officiellement communiste s’est traduit, bien plus que dans l’ex-URSS , par l’adoption, dans le domaine économique du moins, des règles occidentales. Toutefois le modèle mis en place il y a 30 ans seulement ne peut plus perdurer. La nouvelle direction l’a reconnu, mais le changement de cap est d’autant plus difficile à négocier que l’affrontement entre différents courants est tenu secret, malgré la promesse de l’ancien président Hu Jintao de les officialiser. Ce tournant ne concerne toutefois pas que la Chine, car c’est le système occidental, dans son entier, qui se heurte désormais à des limites structurelles, mais il concerne particulièrement la Chine ; car que ce soit sur les plans écologiques, climatiques, économiques, sociaux, la Chine, et à sa suite l’ensemble du monde émergeant, ne peuvent simplement copier le modèle de production et de consommation dominant en Occident. Ce dernier, en outre, ne pourra continuer à démultiplier les centres de production, en Chine ou ailleurs, car les marchés ne sont pas indéfiniment extensibles et surtout ne pourront indéfiniment être financés par de la dette publique (la fameuse politique de la demande, chère aux keynésiens, alors que la Chine s’était focalisée sur la politique de l’offre, chère aux monétaristes). Pour la Chine, il reste de la marge de coissance, en développant son marché intérieur, en faisant donc un peu de keynésianisme ; il est prévu que le niveau de vie moyen, qui pour une très grande frange de la population est encore très bas, double d’ici 2020, grâce à une croissance maintenue à 7 %. Comme l’on dit à Pékin, seule la Chine pourra sauver le capitalisme, mais seul le socialisme pourra sauver la Chine.
Cela ne laisse présager, nullement une utopique fin de l’Histoire, mais bien au contraire un retour du politique. Car, à la suite de Spinoza, on peut dire que le désir n’est jamais ce qui s’articule d’abord à un manque, mais ce qui crée de l’être. Les élites chinoises n’ont jamais prêté grand intérêt aux philosophies individualistes occidentales, mais le retour du confucianisme montre bien qu’est privilégé le vivre-ensemble. Pour un pays, dont la notion centrale est d’être l’empire du milieu, l’axe du monde, le reste n’étant que la périphérie, on peut s’attendre à une affirmation de la politique chinoise dans l’arène mondiale dans les temps à venir, car c’est là où réside « l’être » chinois. Le pays a montré sa faculté d’adaptation lors de la sortie de la nuit communiste, illustrant à merveille bien que de façon paradoxale, la théorie de Marx, selon laquelle, c’est à travers le développement des forces productives que les conditions objectives des changements au sein des rapports de production deviennent possibles. Les questions sur la vie politique, tant intérieure qu’étrangère, ne dépend donc pas d’un regard philosophique sur ces questions, mais des conditions objectives historiques permettant l’existence même de ce regard. Par l’économie, le pays a accédé au rang de grande puissance. Le développement des libertés économiques devrait donc se traduire, à terme, par le développement des libertés publiques. L’exercice, encore timide de ces dernières, a quand même été en progrès constant depuis la fin du maoïsme ; le parti ayant compris, dès lors qu’il avait cessé de terroriser la population, qu’il ne pouvait plus verrouiller la société, bien que pour l’heure, il essaie de diriger toute la critique vers la lutte contre la corruption. Mais tant que c’est lui qui établira l’acte d’accusation, et non une justice indépendante, on restera, même pour cette question, dans un cadre dictatorial. Etablir « une application créative du socialisme créé par Marx et Engels », comme le dit la brochure officielle du PCC, est un moyen commode pour celui-ci poiur continuer à contrôler les débats au sein de la société. Il faut néanmoins s’attendre que le souhait émis par Hu jintao, de rendre public les débats internes au parti, finisse par se réaliser, ce qui pourrait créer les bases d’une véritable démocratie.
Jean Luc Graff
NOTE SUR LA SUPPRESSION GÉNÉRALE DES PARTIS POLITIQUES Simone Weil, 1940,
Écrits de Londres, p. 126 et s.
Le mot parti est pris ici dans la signification qu'il a sur le continent européen. Le même mot dans les pays anglo-saxons désigne une réalité tout autre. Elle a sa racine dans la tradition anglaise et n'est pas transplantable. Un siècle et demi d'expérience le montre assez. Il y a dans les partis anglo-saxons un élément de jeu, de sport, qui ne peut exister que dans une institution d'origine aristocratique; tout est sérieux dans une institution qui, au départ, est plébéienne.
L'idée de parti n'entrait pas dans la conception politique française de 1789, sinon comme mal à éviter. Mais il y eut le club des Jacobins. C'était d'abord seulement un lieu de libre discussion. Ce ne fut aucune espèce de mécanisme fatal qui le transforma. C'est uniquement la pression de la guerre et de la guillotine qui en fit un parti totalitaire.
Les luttes des factions sous la Terreur furent gouvernées par la pensée si bien formulée par Tomski : « Un parti au pouvoir et tous les autres en prison. » Ainsi sur le continent d'Europe le totalitarisme est le péché originel des partis.
C'est d'une part l'héritage de la Terreur, d'autre part l'influence de l'exemple anglais, qui installa les partis dans la vie publique européenne. Le fait qu'ils existent n'est nullement un motif de les conserver. Seul le bien est un motif légitime de conservation. Le mal des partis politiques saute aux yeux. Le problème à examiner, c'est s'il y a en eux un bien qui l'emporte sur le mal et rende ainsi leur existence désirable.
Mais il est beaucoup plus à propos de demander : Y a-t-il en eux même une parcelle infinitésimale de bien ? Ne sont-ils pas du mal à l'état pur ou presque ?
S'ils sont du mal, il est certain qu'en fait et dans la pratique ils ne peuvent produire que du mal. C'est un article de foi. « Un bon arbre ne peut jamais porter de mauvais fruits, ni un arbre pourri de beaux fruits. »
Mais il faut d'abord reconnaître quel est le critère du bien.
Ce ne peut être que la vérité, la justice, et, en second lieu, l'utilité publique.
La démocratie, le pouvoir du plus grand nombre, ne sont pas des biens. Ce sont des moyens en vue du bien, estimés efficaces à tort ou à raison. Si la République de Weimar, au lieu de Hitler, avait décidé par les voies les plus rigoureusement parlementaires et légales de mettre les Juifs dans des camps de concentration et de les torturer avec raffinement jusqu'à la mort, les tortures n'auraient pas eu un atome de légitimité de plus qu'elles n'ont maintenant. Or pareille chose n'est nullement inconcevable.
Seul ce qui est juste est légitime. Le crime et le mensonge ne le sont en aucun cas.
Notre idéal républicain procède entièrement de la notion de volonté générale due à Rousseau, Mais le sens de la notion a été perdu presque tout de suite, parce qu'elle est complexe et demande un degré d'attention élevé.
Quelques chapitres mis à part, peu de livres sont beaux, forts, lucides et clairs comme Le Contrat Social. On dit que peu de livres ont eu autant d'influence. Mais en fait tout s'est passé et se passe encore comme s'il n'avait jamais été lu.
Rousseau partait de deux évidences. L'une, que la raison discerne et choisit la justice et l'utilité innocente, et que tout crime a pour mobile la passion. L'autre, que la raison est identique chez tous les hommes, au lieu que les passions, le plus souvent, diffèrent. Par suite si, sur un problème général, chacun réfléchit tout seul et exprime une opinion, et si ensuite les opinions sont comparées entre elles, probablement elles coïncideront par la partie juste et raisonnable de chacune et différeront par les injustices et les erreurs.
C'est uniquement en vertu d'un raisonnement de ce genre qu'on admet que le consensus universel indique la vérité.
La vérité est une. La justice est une. Les erreurs, les injustices sont indéfiniment variables. Ainsi les hommes convergent dans le juste et le vrai, au lieu que le mensonge et le crime les font indéfiniment diverger. L'union étant une force matérielle, on peut espérer trouver là une ressource pour rendre ici-bas la vérité et la justice matériellement plus fortes que le crime et l'erreur.
Il y faut un mécanisme convenable. Si la démocratie constitue un tel mécanisme, elle est bonne. Autrement non.
Un vouloir injuste commun à toute la nation n'était aucunement supérieur aux yeux de Rousseau — et il était dans le vrai — au vouloir injuste d'un homme.
Rousseau pensait seulement que le plus souvent un vouloir commun à tout un peuple est en fait conforme à la justice, par la neutralisation mutuelle et la compensation des passions particulières. C'était là pour lui l'unique motif de préférer le vouloir du peuple à un vouloir particulier.
C'est ainsi qu'une certaine masse d'eau, quoique composée de particules qui se meuvent et se heurtent sans cesse, est dans un équilibre et un repos parfaits. Elle renvoie aux objets leurs images avec une vérité irréprochable. Elle indique parfaitement le plan horizontal. Elle dit sans erreur la densité des objets qu'on y plonge.
Si des individus passionnés, enclins par la passion au crime et au mensonge, se composent de la même manière en un peuple véridique et juste, alors il est bon que le peuple soit souverain. Une constitution démocratique est bonne si d'abord elle accomplit dans le peuple cet état d'équilibre, et si ensuite seulement elle fait en sorte que les vouloirs du peuple soient exécutés.
Le véritable esprit de 1789 consiste à penser, non pas qu'une chose est juste parce que le peuple la veut, mais qu'à certaines conditions le vouloir du peuple a plus de chances qu'aucun autre vouloir d'être conforme à la justice.
Il y a plusieurs conditions indispensables pour pouvoir appliquer la notion de volonté générale. Deux doivent particulièrement retenir l'attention.
L'une est qu'au moment où le peuple prend conscience d'un de ses vouloirs et l'exprime, il n'y ait aucune espèce de passion collective.
Il est tout à fait évident que le raisonnement de Rousseau tombe dès qu'il y a passion collective. Rousseau le savait bien. La passion collective est une impulsion de crime et de mensonge infiniment plus puissante qu'aucune passion individuelle. Les impulsions mauvaises, en ce cas, loin de se neutraliser, se portent mutuellement à la millième puissance. La pression est presque irrésistible, sinon pour les saints authentiques.
Une eau mise en mouvement par un courant violent, impétueux, ne reflète plus les objets, n'a plus une surface horizontale, n'indique plus les densités.
Et il importe très peu qu'elle soit mue par un seul courant ou par cinq ou six courants qui se heurtent et font des remous. Elle est également troublée dans les deux cas.
Si une seule passion collective saisit tout un pays, le pays entier est unanime dans le crime. Si deux ou quatre ou cinq ou dix passions collectives le partagent, il est divisé en plusieurs bandes de criminels. Les passions divergentes ne se neutralisent pas, comme c'est le cas pour une poussière de passions individuelles fondues dans une masse; le nombre est bien trop petit, la force de chacune est bien trop grande, pour qu'il puisse y avoir neutralisation. La lutte les exaspère. Elles se heurtent avec un bruit vraiment infernal, et qui rend impossible d'entendre même une seconde la voix de la justice et de la vérité, toujours presque imperceptible.
Quand il y a passion collective dans un pays, il y a probabilité pour que n'importe quelle volonté particulière soit plus proche de la justice et de la raison que la volonté générale, ou plutôt que ce qui en constitue la caricature.
La seconde condition est que le peuple ait à exprimer son vouloir à l'égard des problèmes de la vie publique, et non pas à faire seulement un choix de personnes. Encore moins un choix de collectivités irresponsables. Car la volonté générale est sans aucune relation avec un tel choix.
S'il y a eu en 1789 une certaine expression de la volonté générale, bien qu'on eût adopté le système représentatif faute de savoir en imaginer un autre, c'est qu'il y avait eu bien autre chose que des élections. Tout ce qu'il y avait de vivant à travers tout le pays — et le pays débordait alors de vie — avait cherché à exprimer une pensée par l'organe des cahiers de revendications. Les représentants s'étaient en grande partie fait connaître au cours de cette coopération dans la pensée; ils en gardaient l'a chaleur; ils sentaient le pays attentif à leurs paroles, jaloux de surveiller si elles traduisaient exactement ses aspirations. Pendant quelque temps — peu de temps — ils furent vraiment de simples organes d'expression pour la pensée publique.
Pareille chose ne se produisit jamais plus.
Le seul énoncé de ces deux conditions montre que nous n'avons jamais rien connu qui ressemble même de loin à une démocratie. Dans ce que nous nommons de ce nom, jamais le peuple n'a l'occasion ni le moyen d'exprimer un avis sur aucun problème de la vie publique; et tout ce qui échappe aux intérêts particuliers est livré aux passions collectives, lesquelles sont systématiquement, officiellement encouragées.
L'usage même des mots de démocratie et de république oblige à examiner avec une attention extrême les deux problèmes que voici :
Comment donner en fait aux hommes qui composent le peuple de France la possibilité d'exprimer parfois un jugement sur les grands problèmes de la vie publique ?
Comment empêcher, au moment où le peuple est interrogé, qu'il circule à travers lui aucune espèce de passion collective ?
Si on ne pense pas à ces deux points, il est inutile de parler de légitimité républicaine.
Des solutions ne sont pas faciles à concevoir. Mais il est évident, après examen attentif, que toute solution impliquerait d'abord la suppression des partis politiques.
Pour apprécier les partis politiques selon le critère de la vérité, de la justice, du. .bien public, il convient de commencer par en discerner les caractères essentiels.
On peut en énumérer trois :
Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.
Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.
La première fin, et, en dernière analyse, l'unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.
Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S'il ne l'est pas en fait, c'est seulement parce que ceux qui l'entourent ne le sont pas moins que lui.
Ces trois caractères sont des vérités de fait évidentes à quiconque s'est approché de la vie des partis.
Le troisième est un cas particulier d'un phénomène qui se produit partout où le collectif domine les êtres pensants. C'est le retournement de la relation entre fin et moyen. Partout, sans exception, toutes les choses généralement considérées comme des fins sont par nature, par définition, par essence et de la manière la plus évidente uniquement des moyens. On pourrait en citer autant d'exemples qu'on voudrait dans tous les domaines. Argent, pouvoir, Etat, grandeur nationale, production économique, diplômes universitaires ; et beaucoup d'autres.
Le bien seul est une fin. Tout ce qui appartient au domaine des faits est de l'ordre des moyens. Mais la pensée collective est incapable de s'élever au-dessus du domaine des faits. C'est une pensée animale. Elle n'a la notion du bien que juste assez pour commettre l'erreur de prendre tel ou tel moyen pour un bien absolu.
Il en est ainsi des partis. Un parti est en principe un instrument pour servir une certaine conception du bien public.
Cela est vrai même de ceux qui sont liés aux intérêts d'une catégorie sociale, car il est toujours une certaine conception du bien public en vertu de laquelle il y aurait coïncidence entre le bien public et ces intérêts. Mais cette conception est extrêmement vague. Cela est vrai sans exception et presque sans différence de degrés. Les partis les plus inconsistants et les plus strictement organisés sont égaux par le vague de la doctrine. Aucun homme, si profondément qu'il ait étudié la politique, ne serait capable d'un exposé précis et clair relativement à la doctrine d'aucun parti, y compris, le cas échéant, le sien propre.
Les gens ne s'avouent guère cela à eux-mêmes. S'ils se l'avouaient, ils seraient naïvement tentés d'y voir une marque d'incapacité personnelle, faute d'avoir reconnu que l'expression : « Doctrine d'un parti politique » ne peut jamais, par la nature des choses, avoir aucune signification.
Un homme, passât-il sa vie à écrire et à examiner des problèmes d'idées, n'a que très rarement une doctrine. Une collectivité n'en a jamais. Ce n'est pas une marchandise collective.
On peut parler, il est vrai, de doctrine chrétienne, doctrine hindoue, doctrine pythagoricienne, et ainsi de suite. Ce qui est alors désigné par ce mot n'est ni individuel ni collectif; c'est une chose située infiniment au-dessus de l'un et l'autre domaine. C'est, purement et simplement, la vérité.
La fin d'un parti politique est chose vague et irréelle. Si elle était réelle, elle exigerait un très grand effort d'attention, car une conception du bien public n'est pas chose facile à penser. L'existence du parti est palpable, évidente, et n'exige aucun effort pour être reconnue. Il est ainsi inévitable qu'en fait le parti soit à lui-même sa propre fin.
Il y a dès lors idolâtrie, car Dieu seul est légitimement une fin pour soi-même.
La transition est facile. On pose en axiome que la condition nécessaire et suffisante pour que le parti serve efficacement la conception du bien public en vue duquel il existe est qu'il possède une large quantité de pouvoir.
Mais aucune quantité finie de pouvoir ne peut jamais être en fait regardée comme suffisante, surtout une fois obtenue. Le parti se trouve en fait, par l'effet de l'absence de pensée, dans un état continuel d'impuissance qu'il attribue toujours à l'insuffisance du pouvoir dont il dispose. Serait-il maître absolu du pays, les nécessités internationales imposent des limites étroites.
Ainsi la tendance essentielle des partis est totalitaire, non seulement relativement à une nation, mais relativement au globe terrestre. C'est précisément parce que la conception du bien public propre à tel ou tel parti est une fiction, une chose vide, sans réalité, qu'elle impose la recherche de la puissance totale. Toute réalité implique par elle-même une limite. Ce qui n'existe pas du tout n'est jamais limitable.
C'est pour cela qu'il y a affinité, alliance entre le totalitarisme et le mensonge.
Beaucoup de gens, il est vrai, ne songent jamais à une puissance totale; cette pensée leur ferait peur. Elle est vertigineuse, et il faut une espèce de grandeur pour la soutenir. Ces gens-là, quand ils s'intéressent à un parti, se contentent d'en désirer la croissance; mais comme une chose qui ne comporte aucune limite. S'il y a trois membres de plus cette année que l'an dernier, ou si la collecte a rapporté cent francs de plus, ils sont contents. Mais ils désirent que cela continue indéfiniment dans la même direction. Jamais ils ne concevraient que leur parti puisse avoir en aucun cas trop de membres, trop d'électeurs, trop d'argent.
Le tempérament révolutionnaire mène à concevoir la totalité. Le tempérament petit-bourgeois mène à s'installer dans l'image d'un progrès lent, continu et sans limite. Mais dans les deux cas la croissance matérielle du parti devient l'unique critère par, rapport auquel se définissent en toutes choses le bien et le mal. Exactement comme si le parti était un animal à l'engrais, et que l'univers eût été créé pour le faire engraisser.
On ne peut servir Dieu et Mammon. Si on a un critère du bien autre que le bien, on perd la notion du bien.
Dès lors que la croissance du parti constitue un critère du bien, il s'ensuit inévitablement une pression collective du parti sur les pensées des hommes. Cette pression s'exerce en fait. Elle s'étale publiquement. Elle est avouée, proclamée. Cela nous ferait horreur si l'accoutumance ne nous avait pas tellement endurcis.
Les partis sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice.
La pression collective est exercée sur le grand public par la propagande. Le but avoué de la propagande est de persuader et non pas de communiquer de la lumière. Hitler a très bien vu que la propagande est toujours une tentative d'asservissement des esprits. Tous les partis font de la propagande. Celui qui n'en ferait pas disparaîtrait du fait que les autres en font. Tous avouent qu'ils font de la propagande. Aucun n'est audacieux dans le mensonge au point d'affirmer qu'il entreprend l'éducation du public, qu'il forme le jugement du peuple.
Les partis parlent, il est vrai, d'éducation à l'égard de ceux qui sont venus à eux, sympathisants, jeunes, nouveaux adhérents. Ce mot est un mensonge. Il s'agit d'un dressage pour préparer l'emprise bien plus rigoureuse exercée par le parti sur la pensée de ses membres.
Supposons un membre d'un parti — député, candidat à la députation, ou simplement militant — qui prenne en public l'engagement que voici : « Toutes les fois que j'examinerai n'importe quel problème politique ou social, je m'engage à oublier absolument le fait que je suis membre de tel groupe, et à me préoccuper exclusivement de discerner le bien public et la justice. »
Ce langage serait très mal accueilli. Les siens et même beaucoup d'autres l'accuseraient de trahison. Les moins hostiles diraient : « Pourquoi alors a-t-il adhéré à un parti ?» — avouant ainsi naïvement qu'en entrant dans un parti on renonce à chercher uniquement le bien public et la justice. Cet homme serait exclu de son parti, ou au moins en perdrait l'investiture; il ne serait certainement pas élu.
Mais bien plus, il ne semble même pas possible qu'un tel langage soit tenir. En fait, sauf erreur, il ne l'a jamais été. Si des mots en apparence voisins de ceux-là ont été prononcés, c'était seulement par des hommes désireux de gouverner avec l'appui de partis autres que le leur. De telles paroles sonnaient alors comme une sorte de manquement à l'honneur.
En revanche on trouve tout à fait naturel, raisonnable et honorable que quelqu'un dise : « Comme conservateur — » ou : « Comme socialiste — je pense que... »
Cela, il est vrai, n'est pas propre aux partis. On ne rougit pas non plus de dire : « Comme Français, je pense que... » « Comme catholique, je pense que... »
Des petites filles, qui se disaient attachées au gaullisme comme à l'équivalent français de l'hitlérisme, ajoutaient : « La vérité est relative, même en géométrie. » Elles touchaient le point central.
S'il n'y a pas de vérité, il est légitime de penser de telle ou telle manière en tant qu'on se trouve être en fait telle ou telle chose. Comme on a des cheveux noirs, bruns, roux ou blonds, parce qu'on est comme cela, on émet aussi telles et telles pensées. La pensée, comme les cheveux, est alors le produit d'un processus physique d'élimination.
Si on reconnaît qu'il y a une vérité, il n'est permis de penser que ce qui est vrai. On pense alors telle chose, non parce qu'on se trouve être en fait Français, ou catholique, ou socialiste, mais parce que la lumière irrésistible de l'évidence oblige à penser ainsi et non autrement.
S'il n'y a pas évidence, s'il y a doute, il est alors évident que dans l'état de connaissances dont on dispose la question est douteuse. S'il y a une faible probabilité d'un côté, il est évident qu'il y a une faible probabilité; et ainsi de suite. Dans tous les cas, la lumière intérieure accorde toujours à quiconque la consulte une réponse manifeste. Le contenu de la réponse est plus ou moins affirmatif; peu importe. Il est toujours susceptible de révision ; mais aucune correction ne peut être apportée, sinon par davantage de lumière intérieure.
Si un homme, membre d'un parti, est absolument résolu à n'être fidèle en toutes ses pensées qu'à la lumière intérieure exclusivement et à rien d'autre, il ne peut pas faire connaître cette résolution à son parti, Il est alors vis-à-vis de lui en état de mensonge.
C'est une situation qui ne peut être acceptée qu'à cause de la nécessité qui contraint à se trouver dans un parti pour prendre part efficacement aux affaires publiques. Mais alors cette nécessité est un mal, et il faut y mettre fin en supprimant les partis.
Un homme qui n'a pas pris la résolution de fidélité exclusive à la lumière intérieure installe le mensonge au centre même de l'âme. Les ténèbres intérieures en sont la punition.
On tenterait vainement de s'en tirer par la distinction entre la liberté intérieure et la discipline extérieure. Car il faut alors mentir au public, envers qui tout candidat, tout élu, a une obligation particulière de vérité.
Si je m'apprête à dire, au nom de mon parti, des choses que j'estime contraires à la vérité et à la justice, vais-je l'indiquer dans un avertissement préalable ? Si je ne le fais pas, je mens.
De ces trois formes de mensonge — au parti, au public, à soi-même — la première est de loin la moins mauvaise. Mais si l'appartenance à un parti contraint toujours, en tout cas, au mensonge, l'existence des partis est absolument, inconditionnellement un mal.
Il était fréquent de voir dans des annonces de réunion : M. X. exposera le point de vue communiste (sur le problème qui est l'objet de la réunion). M. Y. exposera le point de vue socialiste. M. Z. exposera le point de vue radical.-
Comment ces malheureux s'y prenaient-ils pour connaître le point de vue qu'ils devaient exposer ? Qui pouvaient-ils consulter ? Quel oracle ? Une collectivité n'a pas de langue ni de plume. Les organes d'expression sont tous individuels. La collectivité socialiste ne réside en aucun individu. La collectivité radicale non plus. La collectivité communiste réside en Staline, mais il est loin; on ne peut pas lui téléphoner avant de parler dans une réunion.
Non, MM. X., Y. et Z. se consultaient eux-mêmes. Mais comme ils étaient honnêtes, ils se mettaient d'abord dans un état mental spécial, un état semblable à celui où les avait mis si souvent l'atmosphère des milieux communiste, socialiste, radical.
Si, s'étant mis dans cet état, on se laisse aller à ses réactions, on produit naturellement un langage conforme aux « points de vue » communiste, socialiste, radical.
A condition, bien entendu, de s'interdire rigoureusement tout effort d'attention en vue de discerner la justice et la vérité. Si on accomplissait un tel effort, on risquerait — comble d'horreur — d'exprimer un « point de vue personnel ».
Car de nos jours la tension vers la justice et la vérité est regardée comme répondant à un point de vue personnel.
Quand Ponce Pilate a demandé au Christ: «Qu'est-ce que la vérité ? » le Christ n'a pas répondu. Il avait répondu d'avance en disant : « Je suis venu porter témoignage pour la vérité. »
Il n'y a qu'une réponse. La vérité, ce sont les pensées qui surgissent dans l'esprit d'une créature pensante uniquement, totalement, exclusivement désireuse de la vérité.
Le mensonge, l'erreur — mots synonymes — ce sont les pensées de ceux qui ne désirent pas la vérité, et de ceux qui désirent la vérité et autre chose en plus. Par exemple qui désirent la vérité et en plus la conformité avec telle ou telle pensée établie.
Mais comment "désirer la vérité sans rien savoir d'elle ? C'est là le mystère des mystères. Les mots qui expriment une perfection inconcevable à l'homme — Dieu, vérité, justice — prononcés intérieurement avec désir, sans être joints à aucune conception, ont le pouvoir d'élever l'âme et de l'inonder de lumière.
C'est en désirant la vérité à vide et sans tenter d'en deviner d'avance le contenu qu'on reçoit la lumière. C'est là tout le mécanisme de l'attention.
Il est impossible d'examiner les problèmes effroyablement complexes de la vie publique en étant attentif à la fois, d'une part à discerner la vérité, la justice, le bien public, d'autre part à conserver l'attitude qui convient à un membre de tel groupement. La faculté humaine d'attention n'est pas capable simultanément des deux soucis. En fait quiconque s'attache à l'un abandonne l'autre.
Mais aucune souffrance, n'attend celui qui abandonne la justice et la vérité. Au lieu que le système des partis comporte les pénalités les plus douloureuses pour l'indocilité. Des pénalités qui atteignent presque tout — la carrière, les sentiments, l'amitié, la réputation, la partie extérieure de l'honneur, parfois même la vie de famille. Le parti communiste a porté le système à sa perfection.
Même chez celui qui intérieurement ne cède pas, l'existence de pénalités fausse inévitablement le discernement. Car s'il veut réagir contre l'emprise du parti, cette volonté de réaction est elle-même un mobile étranger à la vérité et dont il faut se méfier. Mais cette méfiance aussi; et ainsi de suite. L'attention véritable est un état tellement difficile à l'homme, tellement violent, que tout trouble personnel de la sensibilité suffit à y faire obstacle. Il en résulte l'obligation impérieuse de protéger autant qu'on peut la faculté de discernement qu'on porte en soi-même contre le tumulte des espérances et des craintes personnelles.
Si un homme fait des calculs numériques très complexes en sachant qu'il sera fouetté toutes les fois qu'il obtiendra comme résultat un nombre pair, sa situation est très difficile. Quelque chose dans la partie charnelle de l'âme le poussera à donner un petit coup de pouce aux calculs pour obtenir toujours un nombre impair. En voulant réagir il risquera de trouver un nombre pair même là où il n'en faut pas. Prise dans cette oscillation, son attention n'est plus intacte. Si les calculs sont complexes au point d'exiger de sa part la plénitude de l'attention, il est inévitable qu'il se trompe très souvent. Il ne servira à rien qu'il soit très intelligent, très courageux, très soucieux de vérité.
Que doit-il faire ? C'est très simple. S'il peut échapper des mains de ces gens qui le menacent du fouet, il doit fuir. S'il a pu éviter de tomber entre leurs mains, il devait l'éviter.
Il en est exactement ainsi des partis politiques.
Quand il y a des partis dans un pays, il en résulte tôt ou tard un état de fait tel qu'il est impossible d'intervenir efficacement dans les affaires publiques sans entrer dans un parti et jouer le jeu. Quiconque s'intéresse à la chose publique désire s'y intéresser efficacement. Ainsi ceux qui inclinent au souci du bien public, ou renoncent à y penser et se tournent vers autre chose, ou passent par le laminoir des partis. En ce cas aussi il leur vient des soucis qui excluent celui du bien public.
Les partis sont un merveilleux mécanisme, par la vertu duquel, dans toute l'étendue d'un pays, pas un esprit ne donne son attention à l'effort de discerner, dans les affaires publiques, le bien, la justice, la vérité.
Il en résulte que — sauf un très petit nombre de coïncidences fortuites — il n'est décidé et exécuté que des mesures contraires au bien public, à la justice et à la vérité.
Si on confiait au diable l'organisation de la vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux.
Si la réalité a été un peu moins sombre, c'est que les partis n'avaient pas encore tout dévoré. Mais en fait, a-t-elle été un peu moins sombre ? N'était-elle pas exactement aussi sombre que le tableau esquissé ici ? L'événement ne l'a-t-il pas montré ?
Il faut avouer que le mécanisme d'oppression spirituelle et mentale propre aux partis a été introduit dans l'histoire par l'Église catholique dans sa lutte contre l'hérésie.
Un converti qui entre dans l'Église — ou un fidèle qui délibère avec lui-même et résout d'y demeurer — a aperçu dans le dogme du vrai et du bien. Mais en franchissant le seuil il professe du même coup n'être pas frappé par les anathema sit, c'est-à-dire accepter en bloc tous les articles dits « de foi stricte ». Ces articles, il ne les a pas étudiés. Même avec un haut degré d'intelligence et de culture, une vie entière ne suffirait pas à cette étude, vu qu'elle implique celle des circonstances historiques de chaque condamnation.
Comment adhérer à des affirmations qu'on ne connaît pas? Il suffît de se soumettre inconditionnellement à l'autorité d'où elles émanent.
C'est pourquoi saint Thomas ne veut soutenir ses affirmations que par l'autorité de l'Église, à l'exclusion de tout autre argument. Car, dit-il, il n'en faut pas davantage pour ceux qui l'acceptent; et aucun argument ne persuaderait ceux qui la refusent.
Ainsi la lumière intérieure de l'évidence, cette faculté de discernement accordée d'en haut à l'âme humaine comme réponse au désir de vérité, est mise au rebut, condamnée aux tâches serviles, comme de faire des additions, exclue de toutes les recherches relatives à la destinée spirituelle de l'homme. Le mobile de la pensée n'est plus le désir inconditionné, non défini, de la vérité, mais le désir de la conformité avec un enseignement établi d'avance.
Que l'Église fondée par le Christ ait ainsi dans une si large mesure étouffé l'esprit de vérité — et si, malgré l'Inquisition, elle ne l'a pas fait totalement, c'est que la mystique offrait un refuge sûr — c'est une ironie tragique. On l'a souvent remarqué. Mais on a moins remarqué une autre ironie tragique. C'est que le mouvement de révolte contre l'étouffement des esprits sous le régime inquisitorial a pris une orientation telle qu'il a poursuivi l'oeuvre d'étouffement des esprits.
La Réforme et l'humanisme de la Renaissance, double produit de cette révolte, ont largement contribué à susciter, après trois siècles de maturation, l'esprit de 1789. Il en est résulté après un certain délai notre démocratie fondée sur le jeu des partis, dont chacun est une petite Église profane armée de la menace d'excommunication. L'influence des partis a contaminé toute la vie mentale de notre époque.
Un homme qui adhère à un parti a vraisemblablement aperçu dans l'action et la propagande de ce parti des choses qui lui ont paru justes et bonnes. Mais il n'a jamais étudié la position du parti relativement à tous les problèmes de la vie publique. En entrant dans le parti, il accepte des positions qu'il ignore. Ainsi il soumet sa pensée à l'autorité du parti. Quand, peu à peu, il connaîtra ces positions, il les admettra sans examen.
C'est exactement la situation de celui qui adhère à l'orthodoxie catholique conçue comme fait saint Thomas.
Si un homme disait, en demandant sa carte de membre : « Je suis d'accord avec le parti sur tel, tel, tel point; je n'ai pas étudié ses autres positions et je réserve entièrement mon opinion tant que je n'en aurai pas fait l'étude », on le prierait sans doute de repasser plus tard.
Mais en fait, sauf exceptions très rares, un homme qui entre dans un parti adopte docilement l'attitude d'esprit qu'il exprimera plus tard par les mots : « Comme monarchiste, comme socialiste, je pense que... » C'est tellement confortable ! Car c'est ne pas penser. Il n'y a rien de plus confortable que de ne pas penser.
Quant au troisième caractère des partis, à savoir qu'ils sont des machines à fabriquer de la passion collective, il est si visible qu'il n'a pas à être établi. La passion collective est l'unique énergie dont disposent les partis pour la propagande extérieure et pour la pression exercée sur l'âme de chaque membre.
On avoue que l'esprit de parti aveugle, rend sourd à la justice, pousse même d'honnêtes gens à l'acharnement le plus cruel contre des innocents. On l'avoue, mais on ne pense pas à supprimer les organismes qui fabriquent un tel esprit.
Cependant on interdit les stupéfiants.
Il y a quand même des gens adonnés aux stupéfiants.
Mais il y en aurait davantage si l'Etat organisait la vente de l'opium et de la cocaïne dans tous les bureaux de tabac, avec affiches de publicité pour encourager les consommateurs.
La conclusion, c'est que l'institution des partis semble bien constituer du mal à peu près sans mélange. Ils sont mauvais dans leur principe, et pratiquement leurs effets sont mauvais.
La suppression des partis serait du bien presque pur. Elle est éminemment légitime en principe et ne paraît susceptible pratiquement que de bons effets.
Les candidats diront aux électeurs, non pas : « J'ai telle étiquette » — ce qui pratiquement n'apprend rigoureusement rien au public sur leur attitude concrète concernant les problèmes concrets — mais : « Je pense telle, telle et telle chose à l'égard de tel, tel, tel grand problème. »
Les élus s'associeront et se dissocieront selon le jeu naturel et mouvant des affinités. Je peux très bien être en accord avec M. A. sur la colonisation et en désaccord avec lui sur la propriété paysanne; et inversement pour M. B. Si on parle de colonisation, j'irai, avant la séance, causer un peu avec M. A.; si on parle de propriété paysanne, avec M. B.
La cristallisation artificielle en partis coïncidait si peu avec les affinités réelles qu'un député pouvait être en désaccord, pour toutes les attitudes concrètes, avec un collègue de son parti, et en accord avec un homme d'un autre parti.
Combien de fois, en Allemagne, en 1932, un communiste et un nazi, discutant dans la rue, ont été frappés de vertige mental en constatant qu'ils étaient d'accord sur tous les points !
Hors du Parlement, comme il existerait des revues d'idées, il y aurait tout naturellement autour d'elles des milieux. Mais ces milieux devraient être maintenus à l'état de fluidité. C'est la fluidité qui distingue du parti un milieu d'affinité et l'empêche d'avoir une influence mauvaise. Quand on fréquente amicalement celui qui dirige telle revue, ceux qui y écrivent souvent, quand on y écrit soi-même, on sait qu'on est en contact avec le milieu de cette revue. Mais on ne sait pas soi-même si on en fait partie; il n'y a pas de distinction nette entre le dedans et le dehors. Plus loin, il y a ceux qui lisent la revue et connaissent un ou deux de ceux qui y écrivent. Plus loin, les lecteurs réguliers qui y puisent une inspiration. Plus loin, les lecteurs occasionnels. Mais personne ne songerait à penser ou à dire : « En tant que lié à telle revue, je pense que... »
Quand des collaborateurs à une revue se présentent aux élections, il doit leur être interdit de se réclamer de la revue. Il doit être interdit à la revue de leur donner une investiture, ou d'aider directement ou indirectement leur candidature, ou même d'en faire mention.
Tout groupe d' « amis » de telle revue devrait être interdit.
Si une revue empêche ses collaborateurs, sous peine de rupture, de collaborer à d'autres publications quelles qu'elles soient, elle doit être supprimée dès que le fait est prouvé.
Ceci implique un régime de la presse rendant impossibles les publications auxquelles il est déshonorant de collaborer (genre Gringoire, Marie-Claire, etc.).
Toutes les fois qu'un milieu tentera de se cristalliser en donnant un caractère défini à la qualité de membre, il y aura répression pénale quand le fait semblera établi.
Bien entendu il y aura des partis clandestins. Mais leurs membres auront mauvaise conscience. Ils ne pourront plus faire profession publique de servilité d'esprit. Ils ne pourront faire aucune propagande au nom du parti. Le parti ne pourra plus les tenir dans un réseau sans issue d'intérêts, de sentiments et d'obligations.
Toutes les fois qu'une loi est impartiale, équitable, et fondée sur une vue du bien public facilement assimilable pour le peuple, elle affaiblit tout ce qu'elle interdit. Elle l'affaiblit du fait seul qu'elle existe, et indépendamment des mesures répressives qui cherchent à en assurer l'application.
Cette majesté intrinsèque de la loi est un facteur de la vie publique qui est oublié depuis longtemps et dont il faut faire usage.
Il semble n'y avoir dans l'existence de partis clandestins aucun inconvénient "qui ne se trouve à un degré bien plus élevé du fait des partis légaux.
D'une manière générale, un examen attentif ne semble laisser voir à aucun égard aucun inconvénient d'aucune espèce attaché à la suppression des partis.
Par un singulier paradoxe les mesures de ce genre, qui sont sans inconvénients, sont en fait celles qui ont le moins de chances d'être décidées. On se dit : si c'était si simple, pourquoi est-ce que cela n'aurait pas été fait depuis longtemps ?
Pourtant, généralement, les grandes choses sont faciles et simples.
Celle-ci étendrait sa vertu d'assainissement bien au-delà des affaires publiques. Car l'esprit de parti en était arrivé à tout contaminer.
Les institutions qui déterminent le jeu de la vie publique influencent toujours dans un pays la totalité de la pensée, à cause du prestige du pouvoir.
On en est arrivé à ne presque plus penser, dans aucun domaine, qu'en prenant position « pour » ou « contre » une opinion. Ensuite on cherche des arguments, selon le cas, soit pour, soit contre. C'est exactement la transposition de l'adhésion à un parti.
Comme, dans les partis politiques, il y a des démocrates qui admettent plusieurs partis, de même dans le domaine des opinions les gens larges reconnaissent une valeur aux opinions avec lesquelles ils se disent en désaccord.
C'est avoir complètement perdu le sens même du vrai et du faux.
D'autres, ayant pris position pour une opinion, ne consentent à examiner rien qui lui soit contraire. C'est la transposition de l'esprit totalitaire.
Quand Einstein vint en France, tous les gens des milieux plus ou moins intellectuels, y compris les savants eux-mêmes, se divisèrent en deux camps, pour et contre. Toute pensée scientifique nouvelle a dans les milieux scientifiques ses partisans et ses adversaires animés les uns et les autres, à un degré regrettable, de l'esprit de parti. Il y a d'ailleurs dans ces milieux des tendances, des coteries, à l'état plus ou moins cristallisé.
Dans l'art et la littérature, c'est bien plus visible encore. Cubisme et surréalisme ont été des espèces de partis. On était « gidien » comme on était « maurrassien ». Pour avoir un nom, il est utile d'être entouré d'une bande d'admirateurs animés de l'esprit de parti.
De même il n'y avait pas grande différence entre l'attachement à un parti et l'attachement à une Église ou bien à l'attitude antireligieuse. On était pour ou contre la croyance en Dieu, pour ou contre le christianisme, et ainsi de suite. On en est arrivé, en matière de religion, à parler de militants.
Même dans les écoles on ne sait plus stimuler autrement la pensée des enfants qu'en les invitant à prendre parti pour ou contre. On leur cite une phrase de grand auteur et on leur dit : « Êtes-vous d'accord ou non ? Développez vos arguments. » A l'examen les malheureux, devant avoir fini leur dissertation au bout de trois heures, ne peuvent passer plus de cinq minutes à se demander s'ils sont d'accord. Et il serait si facile de leur dire : « Méditez ce texte et exprimez les réflexions qui vous viennent à l'esprit ».
Presque partout — et même souvent pour des problèmes purement techniques — l'opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s'est substituée à l'obligation de la pensée.
C'est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s'est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée.
Il est douteux qu'on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques.
Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques (1940), Écrits de Londres, p. 126 et s.