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Le souvenir est-il ce que l’on a perdu ou ce qui nous reste ?

 

« Le souvenir est-il ce que l’on a perdu ? »

Perdre, c’est ne pas retrouver quelque chose de matériel que l’on possédait, ne plus l’avoir à disposition, et, par extension, ne pas ressaisir quelque chose d’immatériel, se remémorer une idée, une histoire, un moment du passé etc…. Mais, toujours, lorsque l’on sait avoir perdu quelque chose, nous avons le souvenir de l’avoir eu ou de l’avoir su ! Bien que l’on ne sache pas où, comment, et pourquoi.

Pour la perte de quelque chose de matériel, sa veste ou son stylo perdus, on peut remplir une déclaration de perte, se rendre aux bureaux des Objets trouvés, ou attendre que quelqu’un d’autre les retrouve. Parce qu’il est possible d’en faire une description précise !

 

La perte d’un souvenir, c’est d’un tout autre ordre, et le mot « perdu », n’est peut-être pas tout à fait adéquat. D’abord il y a ceux qui restent toujours présents dans notre mémoire, qui font partie du flux conscient de notre histoire. Ceux-là ne sont pas « perdus » : et s’ils se rapportent à de bons moments, ces bons souvenirs durent longtemps, et ceux qui relèvent de mauvais moments, nous hantent plus longtemps encore. Mais tant de choses surviennent au cours d’une existence, que nous ne pouvons toutes les retenir présentes à la conscience. Elles ne sont pas vraiment perdues, mais seulement oubliées.

Pourtant, il serait même bénéfique d'oublier totalement une certaine quantité de souvenirs, parce que inutiles dans le chemin de notre vie, (qui se souvient aujourd'hui des noms de tous ses camarades de maternelle ?), et parce qu’une trop grande accumulation de souvenirs, peut conduire à une pathologie (l’hypermnésie).

 

Cependant, la plupart de nos souvenirs ne sont oubliés qu’en apparence, car ils sont stockés dans notre cerveau et peuvent être retrouvés lors l’évocation d’un simple mot, d’une odeur, de circonstances, des moments qui vont les intégrer au présent. Nous ne pourrions ni rechercher, ni retrouver, un souvenir que l’on dit « perdu » si l’oubli en était absolu. Il faut même qu’il y ait d’une façon ou d’une autre quelque chose qui soit « un souvenir de l’oubli », faute de quoi on ne pourrait pas le retrouver.

 

Mais, quoi qu’il en soit, les souvenirs restent en nous, et même souvent poussent pour revenir présents à l’esprit et rentrer dans le champ de la conscience, afin d’y agir.

Agir, parce que les souvenirs ont une valeur émotionnelle : les souvenirs heureux sont associés à des émotions positives comme la joie, l'amour, la satisfaction, la gratitude et nous retrouvons un lien avec ces sentiments positifs, ce qui aide à augmenter notre bien-être. Et les souvenirs douloureux agissent de manière à ce que ce qui les a produits ne se répète pas, que nous ne soyons pas condamnés à les revivre.

 

Tous les souvenirs sont des éléments de la mémoire, qui y restent présents, souvent inactifs, mais qui peuvent revenir à la conscience lorsque certaines circonstances le permettent. (1)

C’est, par exemple, le « petit miracle » de la réminiscence proustienne, quand resurgit quelque chose, que nous croyions avoir oublié, un « temps retrouvé », qui ne peut l’être que s’il a d’abord été perdu. Lorsque la mémoire retrouve, sans le vouloir, la saveur de la célèbre madeleine, elle prouve la continuité de l’identité personnelle à travers le temps.

Ces souvenirs ne sont pas un retour du passé, mais la preuve que nous l’avons vécu, que ce moment a été perdu, mais qu’il est resté quelque part, en nous ! Dans le cas de la « madeleine », il s’agit d’une source de douceur que nous pouvons, dès que le besoin s'en ressent, avoir la chance de nous remémorer.

D’autres souvenirs représentent : Les sanglots longs Des violons De l'automne qui] Blessent mon cœur D'une langueur Monotone. Tout suffocant Et blême, quand Sonne l'heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure... (Verlaine, Poèmes saturniens).

 

La caractéristique essentielle de la plupart des souvenirs perdus, est qu’ils ne sont que provisoirement occultés dans notre mémoire.

La mémoire ce peut être la présence au présent, à la conscience, de certains faits antérieurs, d’événements, de savoirs, mais seulement de quelques éléments du passé, qui ont été constitutifs de l'histoire des sociétés, des sciences, de l’humain, de l’identité de chacun, etc…. Mais la mémoire ne contient en aucun cas, l’ensemble de ces éléments, en permanence, au présent.

Parce que cette faculté ne peut s’exonérer de sélection, et ainsi de laisser des parties du passé dans l’oubli. Il y en a trop, et toutes ne méritent pas d'être retenues constamment.

Ce qui nous reste de souvenirs, ce sont des contenus qui sont considérés comme valables et acceptables, à un moment donné, pour chacun de nous ou par la société qui nous abrite, selon les domaines sur lesquels elle s’est penchée, et c’est ce qui va constituer ce que nous retiendrons du passé, ce que nous en oublierons, et ainsi, composent notre identité. D’où l’importance, tant des souvenirs qui nous restent que de ceux que nous avons ou pensons avoir perdus !

 

Le projet de Michel Foucault a été de mettre en lumière les problématiques qui étaient très clairement ignorées, voire mises de côté et destinées à l’oubli, par les pouvoirs, au cours de l’histoire, et par les intellectuels dominants de son époque. Que ce soit sur la psychiatrie, la prison ou la sexualité, ses travaux ont clairement essayé de déterminer et de comprendre les raisons de ces oublis. Or chaque individu, pour son histoire, son identité, effectue la même chose, le même tri parmi les événements dont il se souvient ou non ! Pourquoi tel élément du savoir est-il retenu en mémoire, dans certaines sociétés ou communautés, par chacun d’entre nous, même s’il y est qualifié de vrai, probable, incertain ou faux, alors qu’ils constituent parfois la mémoire d’autres groupes humains, ou les souvenirs de certains individus ?

 

Les sociétés, comme chaque humain, font en sorte que les souvenirs retenus dans les mémoires soient « relatifs » à une histoire, et à un passé choisi et privilégié soit par des pouvoirs, soit par nos propres désirs. Retrouver ceux qui ont été perdus, les faire sortir de l’oubli, les remettre en mémoire, est ce qui permet de faire changer les choses, de se changer soi-même !

C’est possible, parce que les souvenirs « perdus », sont relatifs à des événements dont nous n’avons pas vraiment choisi de perdre la conscience de l’existence et qui restent encore quelque part dans les mémoires ou dans des traces. S’il s’agissait d’un effacement définitif, comment expliquer que nous puissions nous souvenir de quelque chose que nous aurions perdu ? Avec, de plus, la conscience que nous l’avions oublié, lorsqu’en resurgit le souvenir, donc que nous ne l’avions banni qu’au présent de notre conscience ?

 

Peut-être est-ce, parce qu’à un moment il nous est nécessaire de ne pas nous souvenir de certaines choses pour vivre. Pour Nietzsche, ressasser le passé et cultiver tout souvenir a quelque chose de profondément mortifère (Seconde Considération intempestive) : plutôt que d’examiner le contenu de la connaissance historique et sa véracité, de notre propre passé, nous devons nous demander ce que ce savoir fait à la vie. Ne pas se souvenir n’est pas une défaillance de la mémoire mais une force de la volonté qui veut savourer la vie. Oublier rend heureux. L’oubli est nécessaire à la vie pour vivre pleinement le moment présent, de s’affranchir de tout passé pour construire soi-même son destin.

Mais paradoxalement, il est aussi nécessaire de lutter contre ces oublis afin de lutter contre les excès, de nos désirs et de tous les pouvoirs. Ce sont même des luttes au quotidien qui sont incarnées notamment par le féminisme, celles contre le racisme, l’antisémitisme, et les discriminations résultant des orientations sexuelles, celles défendant les paysans, les conditions de vie des détenus ou des sans-papiers

 

Parce que, si nous possédons ce qu’il nous reste de connaissances, de souvenirs sur le passé en général, et sur notre passé personnel en particulier, ils sont subjectifs et personnels, influencé par l’environnement, et notre existence, pour nous fait opérer une navigation temporelle.

Il peut aussi nous arriver de croire avoir un vrai souvenir, lorsque quelqu’un vous raconte une scène qu’il dit avoir vécu en votre compagnie, mais qui ne vous dit rien du tout. Par son récit, vous pouvez vous représenter la scène et penser qu’elle fait partie de ces souvenirs oubliés, jugés inutiles par votre conscience. Ce n’est que s’il « vous revient à l’esprit », que vous pourrez dire que vous « vous en souvenez ».  Dans le premier cas, il s’agit d’imagination, dans le second vous revivez une expérience passée, sans pour autant de la vivre de nouveau, de retourner dans le passé. Locke écrivait : « Car se remémorer, c’est percevoir quelque chose avec le souvenir ou la conscience qu’on l’a connu ou perçu auparavant. » (1694).

 

Il y a des souvenirs autobiographiques, relatifs à des vécus, à des expériences passées, et ceux, plus nombreux, qui portent sur des faits dont nous n’avons pas eu l’expérience directe, comme des faits historiques, ainsi que l’ensemble des savoirs auxquels nous avons eu accès.

Ceux qui relèvent de ce que nous n’avons pas vécu directement ont la particularité de faire, en même temps, appel à notre imagination !

Ce qui nous reste de ce dont on se souvient, c’est ce que nous avons ressenti, en lisant Zola, en voyant des images de guerre, du travail à la chaine ou des coups de grisou dans les mines.

Nous n’y étions pas, mais nous ressentons de façon quasi-perceptive l’expérience de telles situations, et nous les interprétons comme la marque d’une expérience passée.

 

De même, se reporter vers le passé pour revivre mentalement une expérience n’est en réalité rien d’autre qu’opérer un souvenir du ressenti de cette expérience. Ce qui permet d’anticiper qu’une expérience future aura, sur nous, des conséquences identiques, ce qui confirme le rôle du souvenir dans la constitution de l’identité de chaque sujet.

Parce que l’identité personnelle suppose la mémoire, et plus précisément le souvenir personnel, de faits et de ressentis, par lesquels la conscience que l’on a de soi-même s’étend à travers le temps.

Le souvenir ne s’est pas développé au cours de l’évolution de l’espèce humaine pour lui permettre d’entretenir une connaissance fidèle du passé, mais pour adapter le plus efficacement possible son action aux circonstances qu’il rencontrera dans le futur. Le souvenir est une source importante d’information.

 

Mais ce qui reste en nous de ce souvenir qui nous revient après avoir été comme perdu, est-ce vraiment une partie intacte et exacte du passé lorsqu’on l’a vécu ? L’éloignement dans le temps, la force du ressenti ne l’a-t-il pas altéré ? Et comme il fait partie de la constitution de notre identité, notre subjectivité ne l’a-t-elle pas aussi un peu « arrangé » ?

On sait bien que les témoignages humains sont fragiles, contradictoires, changeants, qu’ils diffèrent selon les individus, et se modifient avec le temps. Le souvenir de ces auto- témoignages ne l’est-il pas encore plus ?

Le souvenir serait alors la trace de ce que l’on a perdu de la réalité et dont il ne reste que du déformé, du refoulé, du subjectif et de l’arrangement.

 

L'Histoire est construite à partir de faits, de témoignage, de traces, qui sont filtrées, ré élaborées, produites, parfois mises en scène, (déjà par ceux qui les ont laissés), des témoignages subjectifs voire idéologiques. Ainsi, l'histoire n'est pas seulement affaire de mémoire mais, aussi de choix, d’une hiérarchie des faits, en faveur d’hypothèses ou de l’actualité. Pourquoi n’en serait-il pas autant pour les souvenirs qui nous restent ?

 

L’écriture de l’histoire de la philosophie occidentale part d’une Grèce prétendument fondatrice à l’exclusion des pensées qui la précèdent dans le temps, avec une domination souvent platonicienne, qui se poursuit avec le parti-pris du spiritualisme chrétien et de l’idéal allemand, au détriment d’autres savoirs. Pourquoi n’en serait-il pas autant pour les souvenirs qui nous restent ? Et qu’en avons-nous perdu ?

 

Paul Ricœur (Dans La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli), soutient que tout souvenir, est reconstruit individuellement ou collectivement par le récit, qui rend présent un objet par définition absent. Si le travail critique de l’historien est nécessaire pour corriger la mémoire, surtout face à l’abus de d’une mémoire manipulée, voire d’une « mémoire empêchée », ou d’une « mémoire obligée, par l’outil idéologique, comment, celui dont l’identité s’est construite avec des souvenirs teintés d’émotions ressenties et de subjectivité, pourrait-il reconnaitre ce qui a été perdu dans ses souvenirs, par rapport à ce qui lui en reste !

Certaines choses peuvent tomber définitivement dans l'oubli, être effacées, comme certaines idées préoccupantes, ou certains événements traumatisants. (2)

Mais nous ne pouvons pas choisir parmi nos souvenirs et garder ceux que nous pensons pouvoir nous être utiles pour l’avenir et repousser ceux qui nous empêchent d’être libres et créatifs, puisqu’on ne connait pas l’avenir, et que nous ne maîtrisons pas la réminiscence de l’ensemble des souvenirs stockés, restant dans la mémoire.

 

Il y a même des cas où la mémoire empêche le souvenir. Dans bien des cas, les rescapés de l’Holocauste et des camps devaient leur survie, lors de leur retour, à l’évitement du souvenir, leur permettant de retrouver foi dans l’existence, en ne rendant plus jamais présent le souvenir de ce passé.

 

Aucun souvenir n’est entièrement perdu. Il peut être occulté, transformé, arrangé, refoulé et ainsi être « perdu » dans sa réalité objective. Qu’il reste présent en notre mémoire ou qu’il se « réveille » selon des circonstances fluctuantes, ce qui nous en reste constitue néanmoins ce qui participe à la construction de notre identité.

N.Hanar

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NOTES

1- On distingue la mémoire à long terme de la mémoire à court terme et la mémoire déclarative de la mémoire procédurale (les compétences gestuelles, savoir comment bouger pour réussir à tourner à ski, tandis que la première consiste en la récupération d’une information qui, peut être exprimée verbalement et possède la propriété d’être vraie ou fausse. La mémoire déclarative correspond au concept large de souvenir. En ce sens, je me souviens de ce que dit la Déclaration Universelle des droits de l’homme aussi bien que de mes dernières vacances en Espagne.

2- Lacan a superbement défini l'inconscient comme étant dans l'homme la mémoire de ce qu'il oublie.

3- Selon Freud, le souvenir-écran contient l'essentiel de ce qui a marqué l'enfance et même la référence aux fantasmes originaires.

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Être soi-même ?

 

“L'homme est un être sociable, la nature l'a fait pour vivre avec ses semblables”, écrivait Aristote dans l’Éthique à Nicomaque. La sociabilité est la tendance de notre espèce à s’organiser en société, à construire des interactions entre individus. C’est ce qui accroit les chances de la reproduction, assure une meilleure protection contre les prédateurs et facilite la recherche de nourriture.

Or, cette vie en commun pose aussi des problèmes, par la tension qui s’incruste entre les avantages de la coopération et le risque d’une compétition individualiste pour l’alimentation, la procréation ou la sécurité. C’est une pression qui limite le nombre d'individus avec lesquels on socialise, (en priorité la famille, la tribu...), et qui nécessite une gestion plus étendue des interactions sociales.

Alors longtemps, dans l’histoire de l’humanité, les individus se sont soumis plus ou moins volontairement, à des ordres du monde, à des organisations jugées légitimes, afin de permettre la constitution de la possibilité d’une vie en commun au détriment des désirs, volontés et souhaits individuels.

Ces différents modes d’organisation s’accommodaient plus ou moins de l’ambivalence en chacun, des forces contraires résultant de la persistance des volontés individuelles et de la nécessité de la vie en commun. Sans tolérance entre ces deux désirs, il est impossible de vivre ensemble dans des sociétés complexes.

Que cet ordre fût voulu par des dieux ou par un seul, chacun vivait, plus ou moins bien, dans un collectif qui prenait l’ascendant sur l’individu sans interroger ou pendre en compte leurs désirs. La priorité était de savoir s’ils étaient adéquat à Dieu, à la Patrie, à leur place dans l’Univers, mais pas à « soi-même ».

 

Les philosophes des Lumières ont participé à remettre l’individu au centre des préoccupations. Il s’est agi de construire un monde raisonnable et en paix, raisonné, dans lequel chacun abandonnait une part de sa liberté, une quotité négociable des désirs égoïstes de son moi, afin de permettre une vie en commun dans le cadre de ce qui aura pour nom la démocratie, une forme d’état désordonné, dépendant de l’acceptation des contradictions et des ambivalences, qui désormais, ne restaient plus dans l’obscurité.

 

Or, même si les référentiels permettant l’ordonnance du monde, ceux venus d’en haut, de l’extérieur à la réalité, et ceux construits par des pouvoirs démocratiques ou idéologiques qui les ont combattus, ont perdu de leurs forces, la diversité qui devait être permise par les démocraties, a été remplacée, peu à peu, par un repli sur soi, envers ses propres souhaits, volontés, désirs, qui sont devenus des certitudes individuelles sur lesquelles le plus grand nombre s’est recroquevillé.

L’individu a pris l’ascendant sur le collectif. Le "moi" est devenu primordial, la première instance de vérité à laquelle on pense pouvoir faire confiance sans condition, et « être soi » compte plus que tout. " La société se voit délaissée au profit de l’individu que l’on prétend être et qui seul, reste le juge suprême des valeurs, surtout de celles qui correspondent aux vœux de chacun, celles qui, d’une simplicité déroutante, ne comportent aucune part de cette complexité, pourtant inhérente à la vie et surtout à la vie en société.

Comme l’a si bien écrit Woody Allen : « Dieu est mort, Marx est mort, et moi je ne me sens pas très bien ».

 

Ce qui compte, ce n’est plus la sauvegarde d’une quelconque unité du collectif, dépassant les aspirations et les désirs individuels, une concorde qui respectait plus ou moins la diversité des individus. Ce n’est plus que la volonté, pour chacun, de faire en sorte que son « soi » soit reconnu, satisfait et s’extériorise dans la société, ses lois et ses usages. Or il s’agit le plus souvent de priorités contingentes, définies par les souffrances, les échecs, les différences et les accidents de chaque vécu.

Comme les institutions d’une société appartiennent à tout le monde, elles sont alors de plus en plus contaminées par des difficultés, des confusions, et des valeurs complexes et pleines de contradictions.

On cherche donc refuge dans ce que l’on appelle le "vrai moi". (1) L’idée que l’individu doit s’affirmer, épanouir ses potentialités, quel que soit l’intérêt collectif, s’est installée dans les esprits. Nous vivons ainsi dans une civilisation dans laquelle l’individualisme, s’accroit de plus en plus.

 

Alors, qu’entend-on par « soi-même » ?

La simple évocation de « Soi » constitue déjà une notion paradoxale, parce qu’il est contradictoire, voire impossible, qu’un sujet se considère objectivement. Cette prise de distance n’est possible qu’en considérant que le « soi », n’est que le fruit d’une histoire éphémère, faite de processus, qui sont tous conditionnés et impermanents ». Ajouter « même », à « soi », dans « soi-même », c’est introduire l’altérité dans le principe d’identité. Je suis forcément le même que moi-même et donc autre que tous les autres.

 

Bien entendu, on ne peut pas vivre, écrit Charles Pépin, sans croire en la réalité de son « moi » ? « Comment pourrais-je assumer la responsabilité de mes actes si, par exemple, le « je » qui a volé n'est plus le même que celui qui, le lendemain, est accusé de vol ? Que pourrait bien signifier « je pense donc je suis » si le «je » qui pense n'est pas le même que le « je » qui est ? Nous avons besoin de croire en notre identité »

Mais c’est un moi produit et façonné, en partie, par la société et par les autres, qui n’existe pas sans cette influence.

 

Néanmoins, une conviction s’est imposée : il suffirait d’être à l’écoute de son moi, d’être soi, pour trouver la meilleure existence. C’est même devenu une injonction "sois qui tu es !" et même « deviens qui tu veux être », à quoi s’ajoute la communication publicitaire, où l’on voit fleurir des slogans comme « Deviens ce que tu es » (Lacoste) ou « Venez comme vous êtes » (McDonald’s). Face à ce marketing de l’authenticité, c’est la recherche permanente de ce que je pourrai bien être ! Notamment en adoptant des manières d’être successives, un « soi-même » qui porte des masques successifs et circonstanciés. Nous devenons ainsi « personne ». Comme Ulysse, dans l’Odyssée d’Homère, ce personnage aux mille ruses, qui s’affuble du nom de « Personne » pour tromper le cyclope Polyphème. Ulysse nous place en quelque sorte face à une alternative : ou bien nous assumons devant autrui celui que nous sommes, et nous sommes alors quelqu’un ; ou bien nous nous travestissons, et nous perdons alors toute identité.

Vouloir, en toute circonstance, affirmer être soi-même, c’est le meilleur moyen de ne pas y parvenir.

 

Le meilleur moyen de l’être, est de comprendre « qu’être soi », n’est pas être indépendant de toutes les influences.

Peut-on vraiment maîtriser un soi-même libre, sans subir l’influence de mouvements qui éveilleraient le ressenti sans l’orienter ? Tous ces mouvements, politiques, religieux, idéologiques (qui subsistent), le wokisme, les médias, sont imprégnés de théories stéréotypées sur le genre, la race, le féminisme ou le colonialisme, à partir de l’idée que chacun de nous appartient à un groupe défini par une conscience militante de lutte contre des injustices en tout genre. Il en résulte un prêt-à-penser caricatural, tout-terrain, irritant et efficace, qui flatte le gout de la révolte et prône la capacité de chacun à changer les choses. Mais, cela se fait alors à partir d’idées suggérées par des groupes et non depuis les individus eux-mêmes. Vouloir, aujourd’hui, limiter l’existence de l’homme à une catégorie d’idées auxquelles il appartiendrait souverainement, participe d’une utopie…et pourtant !!!

 

Sans évoquer, de plus, la multitude de « coach de vie », plus ou moins farfelus ou à la compétence auto-proclamée, qui se sont emparés de cette idée ! C’est alors le danger de ne plus être qu’une marionnette, hésitante et confuse, entre l’influence de sa propre culture et l’influence de ceux qui la parcellisent, ses désirs et ses pulsions, et entre l’action pernicieuse de certains coach de vie, de supposés « sachants ou experts », qui influencent vos comportements en vous disant que « c’est vous-même’, qui choisissez le chemin, Le plus souvent, il mène soit à trouver une place simplement utilitaire, au profit soit de la culture dominante, soit à accéder à une marginalité groupusculaire, mais, dans tous ces cas, le parcours ne vient pas de « soi-même ».

 

Sartre, a bien montré que l'homme n'est d'abord rien, et ce n’est qu'ensuite, qu'il se sera tel qu’il est, parce que: “l'existence précède l'essence“. Son identité sera caractérisée par un ensemble d'attributs déterminés par son environnement, sa culture, son éducation, sa fonction, etc…L’être vivant, inscrit dans le temps, est un « système autonome d’évolution ouverte ». Le changement est permanent avec une certaine permanence de ce qui a changé. « N'est-ce pas justement parce [que le soi] est introuvable que nous sommes capables de changer, de nous ouvrir à l'autre, voire, comme l'affirmait Sartre, de nous inventer? C'est ce que Sartre appelle précisément le néant, et qu'il oppose à l'être : nous n'avons pas d' être», pas de « moi-même », pas d'« essence ». Mais c'est pourquoi nous pouvons tout devenir » (Selon Charles Pepin). C’est en s’étonnant du chemin de sa pensée, que nous pouvons avoir une pensée qui nous est propre.

 

Etre soi-même » ne consiste pas à créer de toutes pièces, nos idées, nos convictions, nos certitudes, etc…, à partir de rien, mais, après les avoir reçues de nos expériences, de notre éducation, de nos lectures et de notre culture, après les avoir comprises, et faites nôtres. Mais en faisant produire à la pensée autre chose que ce qui a été expérimenté ou appris, à prendre du recul pour en comprendre les fondements et les aboutissants… Ce qui nécessite de se décentrer de soi-même, de ne justement ne plus se contenter d’être seulement « Soi », de ne pas rester le « même », et ce n’est pas naturel. Tout le monde pense. Et toute pensée est unique, sauf justement, la pensée unique !

Etre soi-même, ce serait même penser contre soi, après avoir appris à confronter ses propres opinions à d’autres opinions. Ce qui implique, par exemple, aujourd’hui de ne pas rester dans l'actualité mais bien plutôt dans l'inactualité, de prendre du recul, de prendre son temps et de s’opposer à l’immédiateté, et aux promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, en multipliant les grilles de lecture, contre toutes les pratiques rigoristes, dénonciatrices, prophétiques ou messianiques, qui veulent nous mettre au pas dans les cases immobiles d’une vérité qui n’est qu’illusion.

 

Cela permet de comprendre qu’il n’y a pas de « moi profond » qu’il faudrait retrouver ou exhiber, mais qu’il existe bien d’autres moi possibles. On est souvent totalement nul quand on est seulement un soi-même limité au champ de son désir. Là, être soi-même, c’est souvent n’être qu’un tout petit soi.

Or, même si alors le soi n’est qu’une illusion, une baudruche, il faut bien qu’on y croie à un moment ou à un autre, pour simplement se repérer et avancer. C’est d’ailleurs, par moment, une nécessité selon Pierre Zaoui, qui, dans philomag indique : « On n’est jamais autant soi-même que lorsqu’on cesse de s’interroger sur soi. Si Roger Federer se pose la question, avant de faire un revers, de savoir s’il est Roger Federer, il va le rater. Dans le sport comme dans l’amour ou l’écriture, c’est lorsqu’on cesse de se regarder qu’on est vraiment soi-même. Cette suspension de la conscience correspond à une libération d’énergie ».

Comme dans la colère, dans des formes de passions violentes, ou on ne maîtrise plus rien de soi, ou on ne réfléchit pas à ce qu’on est, ni à ce qu’on fait. On dit alors : « J’étais hors de moi-même », « Je ne me reconnaissais plus », « C’était plus fort que moi ». Être soi-même, c’est vivre avec cette part de « moi » mais aussi cette part de « ça », de non contrôlé, de violence.

 

Or, ce moi qui n’était pas moi, comment imaginer que ce n’était pas aussi moi ? Cet idée d’un autre moi coexistant, met à mal l’idée de l’unicité d’un « soi-même »?

 

L'existence sociale nous entraîne irrévocablement à la nécessité d’ouvrir sa réflexion à d’autres visions du monde possibles et à d’autres attitudes potentielles. Parce que nous disposons d'une conscience réflexive, qui nous rend capable de prendre du recul et de comprendre nos réactions face à ce qui nous environne.

Ce qui nécessite de comprendre que la vie, le monde est une énigme à résoudre, et que toutes les réponses antérieures ne sont pas toutes exactes, comme le firent nos anciens, Aristote, Platon, et ceux qui les ont précédés et suivis, pas plus que les réponses prévisionnelles.

Une énigme est bien plus qu'une simple question. J’y constate ma propre absence, et que le sens et le non-sens se donnent en même temps. Si j'accepte la démarche qui consiste à poser ce que je suis en énigme, à lui donner une étrangeté à moi, n’est-ce pas ainsi que je commence à pouvoir approcher ce que je suis ?

La connaissance de soi, c'est ne plus rien savoir sur soi, et soudain se laisser surprendre par soi-même. On n'est vraiment soi-même qu'en s'étonnant de soi. (Denis Marquet - Être soi-même)

 

Sinon, dans la vie réelle, il n’est pas du tout certain qu’être soi-même, comme on l’entend communément, soit une bonne chose. Cela peut être terrible de n’être que soi, en limitant le sens de sa vie à une appartenance exclusive à une identité figée.

Être soi-même suppose que l’on est d’abord une multiplicité issue d’une multiplicité de rencontres.

À chaque instant, une rencontre, un détail, une chose vue ou entendue nous modifient, nous offrent un autre angle de perception, nous déroutent littéralement, nous sortent de notre routine existentielle.

 

Être soi doit se manifester en distinguant l'identité et le soi: l’identité est sociale, le soi renvoie à l'intériorité. Mais en ayant conscience que l’un impacte l'autre et réciproquement. Parce que le monde n’est pas « neutre », que nous ne le percevons pas tous de la même manière.et que nous avons quand même la capacité d’agir, « par soi-même » sur les changements autour desquels notre existence s'articule.

Être soi-même ne peut jamais être une injonction, ni une réalité. Rien qu’une possibilité !

Refuser qu’on instrumentalise notre vie, tenter de se soustraire aux conventions sociales et de se passer de tout modèle, n’empêche pas de se former d’abord auprès d’un maître, d’assimiler une tradition, d’imiter longtemps avant d’acquérir son propre « être soi », comme le faisaient les artistes de la Renaissance ou les compagnons artisans.

Sinon, nous nous débattrons, comme bon nombre de nos contemporains, artistes ou non  dans un extrême individualisme, qui draine avec lui bien des illusions. Nous croyons que nous avons une espèce de devoir de nous accomplir nous-mêmes, d’être conformes à ce que nous croyons être vraiment, en n’étant redevables qu’à nous-mêmes. Mais comment s’accomplir sans la société, sans les autres.

 

Nous vivons dans une civilisation individualiste qui pense que la maîtrise totale sur nos vies est possible « par soi-même ». C’est une chimère qui conduit fatalement aux impasses existentielles dans lesquelles nous nous débattons, à une anxiété grandissante, à une insatisfaction chronique, à des décisions irréfléchies  et finalement au désespoir.

Nous devrions revenir à une conception de l’être-soi qui laisse une part essentielle à ce qui ne peut être construit, voulu, planifié, à l’inattendu qui nous échappe.

Il ne faut pas comprendre l’expression « être soi-même » comme renvoyant à l’identité à soi (nous sommes toujours identiques à nous-mêmes, par définition), mais comme renvoyant à l’adéquation à un soi en devenir. Même si cela peut être source d’incertitude, de désarroi, ça en vaut la peine.

 

Dans « La pesanteur et la grâce » Simone Veil, écrit : « Aimer un étranger comme soi-même implique comme contrepartie : s’aimer soi-même comme un étranger ».

Même si Oscar Wilde disait : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris », être soi-même commence lorsque l’on n’est pas que soi?

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NOTES

1- Le moi est ce qui constitue l'individualité, la personnalité consciente du sujet.

Le soi est le processus qui permet la constitution du moi, la naissance du moi, en mettant en jeu le conscient et l'inconscient personnel et l’inconscient collectif. Dans le processus d'individuation, le soi est le moteur, l'organisateur par un travail de confrontation du Moi avec les autres contenus de la conscience, permettant alors à l'individu de s'identifier comme un « moi » original.

N.Hanar

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Pourquoi évite-t-on de montrer sa vulnérabilité?

 

La vulnérabilité correspond à la probabilité pour tout humain, de voir sa situation ou ses conditions de vie, quelles qu’elles soient, se dégrader.

Tous, nous pouvons, potentiellement, être exposés à la douleur physique, à la maladie, à la violence sociale, à une souffrance morale, un deuil, un abandon, une déchéance, des situations qui toutes relèvent de notre vulnérabilité.

En tant qu’humains, nous sommes exposés à être atteints par tout ce qui nous est extérieur du fait de nos conditions d’existence. «Nous pouvons être blessés» (c’est l’origine latine de vulnérabilité: vulnerare, de vulnus: la blessure), par des événements soit impersonnels qui nous agressent parce que nous sommes des individus quelconques, (une pandémie), comme nous pouvons aussi servir de cible aux attaques d'un adversaire.

Ainsi, la vulnérabilité suppose une atteinte venant de l’extérieur, susceptible de nous blesser.

 

Mais attention, si de prime abord, vulnérable semble être synonyme de fragile, ce terme désigne la potentialité d’être blessé du fait de notre fragilité. Structurellement fragiles, nous pouvons donner prise à une attaque, facilement être atteint par un mal et en être blessés. Or il n’est pas certain que tous les événements pouvant virtuellement nous blesser du fait de notre fragilité, nous affectent.

La vulnérabilité ne représente que le risque qu’ils y parviennent.

 

Nous avons la capacité de prendre conscience de notre vulnérabilité, de ce qui peut rendre chacun d’entre nous vulnérable, nos insuffisances, nos imperfections, tout ce qui peut nous mettre en situation de faiblesse, ce qui peut donner prise à des attaques et nous exposer à des blessures, des coups, du fait de nos fragilités reconnues et de notre sensibilité naturelle.

Nous ne sommes pas en capacité de contrôler toutes les circonstances de l’existence, mais par la conscience des dommages que nous pourrions subir, nous sommes en mesure d’établi des stratégies, individuelles ou collectives, afin que notre fragilité, notre précarité, ne nous rende pas vulnérables.

 

En 1967, Desmond Morris faisait paraitre « Le Singe nu », un essai de paru en 1967 qui décrit l’espèce humaine à travers un regard d’éthologue, c’est-à-dire avec le même regard que celui que l’on porte généralement sur les comportements des espèces animales dans leur milieu naturel.

La peau glabre oblige ce Singe nu à se vêtir, mais lui permet de ne pas être envahi de poux, le force à se construire des abris qui le protègent de prédateurs et lui permettent un meilleur confort. Sa faiblesse physique par rapport à d’autres espèces lui font adopter la position debout et d’établir, en hordes, des relations sociales, d’organiser  sa combativité, etc….

La vulnérabilité est à l’origine, de notre évolution. Et rien n’a changé : la science, les techniques, des structures sociales, sont des stratégies qui ont permis de compenser en grande partie notre fragilité: mais nous restons néanmoins vulnérables. D’autant que la science, la technique et les structures sociales sont à l’origine de nouvelles sources de vulnérabilités collectives.

Alors, la loi protège, en matière pénale ou sociale des personnes en situation de faiblesse physique ou psychique, qui ne peuvent pas cacher leur fragilité, (grossesse, maladie, handicap, vieillesse, etc…) si des abus sont commis à leur encontre.

 

Mais à titre individuel, la première action de protection contre notre vulnérabilité nous appartient encore, soit en tentant la quête impossible de compenser toutes nos fragilités, soit en évitant de les montrer, de les afficher de manière évidente et clairement visible.

 

Par expérience, empiriquement, nous savons que se montrer sincère, sensible, voire naïf devant les autres, ouvre à la possibilité d’être blessé. Déjà, une part de notre éducation nous conditionne à construire une carapace afin de conserver un équilibre, une harmonie intérieure, d’éviter de montrer à quoi nous sommes vulnérables, comme, par exemple, en faisant taire nos larmes qui montrent ce qui nous touche.

Pourtant, laisser nos émotions rester visibles, c’est aussi ce qui peut nous rapprocher !

Lorsque Barack Obama a pleuré devant toute l’Amérique, car il y avait eu trop de morts par ces armes à feu qu’il n’avait pas réussi à les interdire, le peuple américain et de nombreuses personnes dans le monde entier ont été émues. Nous aimons ceux qui montrent leur côté humain, leur vulnérabilité. Et Obama a été réélu !

Montrer sa vulnérabilité peut nous ouvrir à une relation positive à autrui, en s’autorisant à être soi. Préférer être authentique dans une relation, amicale ou amoureuse, peut aider à créer une connexion plus profonde, à mieux se connaitre l’un et l’autre.

Alors faut-il, au contraire éviter de montrer sa vulnérabilité, afin d’éviter de donner le bâton pour se faire battre ? Au moins, peut-être, tant qu'on ne sait pas à qui on a affaire. Face à un prédateur, évident ou masqué, montrer sa vulnérabilité, son côté humain avec sa fragilité et ses états d’âme, il parait préférable de cacher ces signes et de rester sur ses gardes. (1)

 

Donc, tout dépend du contexte : la conscience de sa vulnérabilité permet aussi de mesurer son courage, qui permet de montrer que l’on a la capacité, la force,  de s’exposer à recevoir des blessures, des coups, malgré ses insuffisances, ses imperfections, qui peuvent donner prise à des attaques.

Ainsi montrer sa vulnérabilité n’est pas, en soi, forcément une faiblesse. Comment vivre, créer, aimer, sans baisser la garde et être vus tels que nous sommes vraiment.

 

Mais nous devons rester attentifs au fait qu’avoir et être un corps dans un environnement social, présente deux faces : c’est être exposé à l’amour, à l’amitié, à des relations agréables, comme à la violence d’autrui, à la violence sociale, à la douleur physique, à la souffrance psychique. Et c’est à tout cet ensemble que nous ouvre l’exposition de notre vulnérabilité.

 

De toute façon, éviter de montrer sa vulnérabilité, la désigne en même temps, comme de la rendre volontairement visible, parce que notre existence se déroule dans le champ de nos relations avec autrui.

 

Pour Levinas, par exemple, le visage, cette partie du corps, nue, exposée, manifeste notre vulnérabilité. Le visage est l’expression de ma faiblesse, de ma nudité, de mon exposition à l’affection, à ma sensibilité, à ma subjectivité, et ainsi signe de ma vulnérabilité.

Etre vulnérable, ce n’est alors plus seulement être fragile, mais c’est être exposé à l’autre. La vulnérabilité est une faille au sein même de mon être, une structure aliénante, comme le dit Sartre, de ma subjectivité. Ma vulnérabilité ne se situe plus seulement dans les épreuves du monde, mais aussi au sein même de ma subjectivité dont je découvre qu’elle dépend en fait de l’existence de l’autre.

 

Je me constitue comme Moi dans la relation à l’Autre.  La reconnaissance attendue par l’Autre, est renoncement à toute attente de symétrie ou de réciprocité, ce qui, pour Levinas, est absolument injustifié, absolument sans fondement, « sans pourquoi». Ce fondement de l’altérité même, parce qu’il y a l’autre, entraine la vulnérabilité.

Ce serait même, pour Sartre, une vulnérabilité qui n’est pas orientée vers l’autre mais vers soi, parce qu’elle résulte du fait de ne pas pouvoir être ce qu’on est et d’être ce qu’on n’est pas,

 

Alors, si la vulnérabilité, résulte de la relation entre des sujets vulnérables, en relation dans une vulnérabilité réciproque qui fonde le sujet, il n’est même pas question de pouvoir éviter de la montrer.

Notre action d’évitement des éventuelles souffrances résultant de notre vulnérabilité constitutionnelle ne peut alors porter que sur notre fragilité, nos faiblesses.

Sénèque (4 av.-65 apr. J.-C.) préconisait de connaître son point faible pour le protéger davantage. « Chacun possède son talon d’Achille et doit s’empresser de le trouver, car « tous les hommes ne sont pas vulnérables de la même façon ».

 

Cependant la question qui nous est posée « Pourquoi évite-t-on de montrer sa vulnérabilité ?» ne nous demande pas comment, mais pourquoi ? Ce qui suppose qu’afficher ses faiblesses ouvre à autrui une possibilité de nous nuire, et d’atteindre ce à quoi nous sommes vulnérables.

 

Or, c’est une idée reçue que ce qui peut nous toucher, nous déstabiliser ou nous émouvoir doit être réprimé. Parce que c’est aussi ce qui peut nous permettre d’évoluer, dans nos idées ou nos capacités, ce qui peut nous ouvrir à la création et à la récréation, de mieux nous connaitre, nous et les autres, et surtout de modifier nos seuils et limites de vulnérabilité.

Réprimer, éviter, n’a aucun sens, et ainsi que le soulignait Nietzsche (1844-1900) : il y a « quelque chose d’invulnérable, quelque chose qu’on ne peut enterrer et qui fait sauter les rochers: cela s’appelle ma volonté ». Elle permet de se libérer de ce qui nous affaiblit, comme les fausses valeurs et le ressentiment.

 

Ce qui fait qu’assumer sa vulnérabilité, c’est assumer aussi sa fragilité et s’ouvrir à un chemin de liberté entre la résistance aux chocs et l’adaptation aux événements, (contrairement à ce qu’écrit Cédric Enjalbert dans Philomag du 25.07.2021 pour démontrer le contraire de ce que j’essaie de justifier, en utilisant les mêmes arguments que lui !!!).

« On peut pleurer pour trois fois rien, ou craquer sans raison : ce sont des moments de rupture qui ne sont pas précisément des aveux de faiblesse ? Un événement extérieur est venu creuser en nous une ligne de faille, [qui] s’inscrit aussi dans d’autres tendances : valorisation de nos échecs, contribution à l’adaptation et à la flexibilité, mise en avant des liens de dépendance qui nous unissent, et combien est précaire l’équilibre écologique qui assure notre maintien en vie. Bref, nous aurions désormais une conscience plus aiguë de notre fragilité personnelle comme de celle de nos institutions et du monde. Nous ne sommes plus ni des maîtres ni des possesseurs, mais bien plutôt des sujets pris dans un réseau d’interdépendances ».

 

La reconnaissance de notre vulnérabilité nous invite alors à faire des choix. À la différence de la faiblesse qui a la force pour contraire, la vulnérabilité qui est réelle, n’a pas réellement d’antonyme, si ce n’est l’invulnérabilité, qui n’est que supposée.

La vie humaine, se perpétue en affrontant des épreuves malgré sa mortalité, que l’on ne peut occulter.

Deux options s’offrent pour faire face à la fragilité inhérente à l’existence : la forteresse intérieure des stoïciens qui suppose la capabilité d’ignorer volontairement ce contre quoi nous ne pouvons avoir d’action, et la résilience, empruntée à la physique (qui désigne la résistance d’un matériau aux chocs), le « fait de rebondir », de s’adapter, à la conscience de notre « vulnérabilité ».

Spinoza prônait de n’être ni faible (en se résignant), ni fort (en s’opposant), mais de savoir ce qui nous détermine pour pouvoir agir librement. Être libres quoique vulnérables.

 

Notre vulnérabilité est alors la manière de délimiter les frontières de notre humanité, ni forts, ni faibles, ni dominants, ni dominés.

Eviter de montrer ses vulnérabilités, consiste, par exemple, à ne pas afficher ce qui ne convient pas à notre vision du monde au sujet, notamment, de l'origine, de l’orientation sexuelle, de l’état de santé, des opinions politiques, religieuses ou philosophiques, ou même de l’âge.

 Or nous projetons ensuite ces propriétés sur des groupes ou des sous-groupes dont on dit qu’ils peuvent nous contaminer, nous remplacer, et constituent ainsi une menace dont il convient de se protéger. Pourquoi le faire, puisque c’est ainsi que le racisme et l’exclusion procèdent souvent d’une projection sur des groupes dont les caractères sont alors limités à des jugements personnels, qui, d’ailleurs, ne nous appartiennent pas toujours et nous sont insidieusement instillés.

 

La notion de vulnérabilité, s’incarne ainsi, bien souvent, de façon ni stable ni homogène, à l’encontre d’individus particuliers, qui incarnent une fragilité physique, sanitaire ou sociale, âgés, pauvres, migrants ou non assimilés, donc différents. Eux sont alors, pour nous, caractérisés par leur propre vulnérabilité, mais choisie pour les exclure : et nous ne voulons pas que cela nous arrive à notre tour. C’est pourquoi nous pouvons vouloir éviter de montrer notre vulnérabilité, alors que tous les humains ont, plus ou moins, les mêmes caractéristiques.

 

Les montrer, au contraire, permet de ne pas enfermer l’autre et de ne pas nous enfermer, nous, dans un statut particulier de fragilité avérée, donc de ne pas en faire une des propriétés essentielles de l’individu ou du groupe en question, ni de ce que nous sommes, en provoquant exclusions, et fractures de la société.

Nous avons en commun, la vulnérabilité : vulnérables l’un à l’autre, vulnérables l’un par l’autre, vulnérables l’un pour l’autre.

 

Puisque la vulnérabilité, la potentialité à être blessé, nous est structurellement commune, elle ne doit pas, en raison de ses particularités singulières, nous amener, tous, en l’occultant, à ne pouvoir pleinement devenir des « personnalités originales», à ne pas être en mesure de faire face avec nos propres ressources, aux exigences de la propriété de soi, et à reconnaitre la valeur et des droits des autres, quels qu’ils soient.

 

N.Hanar

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NOTES

1- Il semble que l’adage latin : « Homo homini lupus est », attribué (ou repris par Hobbes) provient en réalité de l'un auteur latin Plaute, dont la citation complète est : « Lupus est homo homini, non homo, quom qualis sit non novit ». « L’homme est un loup pour l’homme, et non un homme, tant qu’il ignore la qualité de celui-ci » (l’être qu’il rencontre).

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Qui a créé qui: est-ce Dieu qui a créé l’Homme ou l’Homme qui a créé Dieu?

 

La question essentielle qui se pose pour traiter ce sujet est : « Avons-nous la preuve de l’existence de…. L'Homme? ». A première vue, l’espèce humaine existe, puisqu'on peut saisir sa réalité au moyen de nos sens. Mais nos sens peuvent nous tromper ! Descartes reprend l’exemple classique du bâton partiellement plongé dans l’eau qui donne l’impression d’être cassé. L’Homme, alors, tel que nous le concevons, ne serait-il qu’une illusion, qu’une croyance? Toute croyance fait partie du possible, ce qui n’est pas mais qui pourrait être. Comme le montre Leibniz, le possible ne l’est que s’il s’avère non contradictoire: l’eau ne peut bouillir à 0°, (moi, si, mais je bois peu d’eau !), un cercle carré n’est pas possible (si on excepte ma tête), et surtout, rien ne peut être et ne pas être en même temps.

Pourtant Hamlet se pose la question : existons-nous vraiment ? Pour Descartes, être doté d’un corps et d’un esprit, suffit à l’humain pour démontrer lui-même, son existence en tant qu’être autonome, ayant ses propres pensées, et sa propre réflexion: « Je pense donc je suis », dit Descartes? Est-ce suffisant et si évident ?

Être soi-même, la preuve de sa propre existence, n’est pas logiquement recevable et relève peut-être de l’illusion ! Ce n’est pas une preuve, mais un argument ontologique, un discours construit sur ce que l’on constate être là (l’étant), et qui, pourrait tout autant ne pas être là. Ce type de preuve a été utilisé pour d’autres preuves d’existence! Comme, par exemple, ce à quoi nous pensons tous: l’existence…du Père Noel!

 

Alors, qu’est-ce qui, dans la définition de l'Homme, démontrerait objectivement son existence?

Ce mammifère de l'ordre des Primates, seule espèce vivante des Hominidés, serait caractérisé par sa capacité à se montrer altruiste et sociable, maîtrisé et empathique, digne et respectueux, en un mot civilisé, grâce à son cerveau volumineux, (qui n’est pourtant souvent que le second organe préféré), par sa station verticale (mais pas dans toutes les situations), par ses mains préhensiles, ( capables aussi de se fermer en poings), par sa capacité à vivre en groupe, (je ferai donc l’impasse sur l’actualité), et par sa capacité à engendrer un langage articulé (au point qu’il peut énoncer une chose et son contraire).

Des caractéristiques, qui ne sont ni universelles, ni objectives, et qui ne sauraient prouver l’existence d’un ensemble formant une espèce.

 

Ce qui est pourtant encore tenté par un ensemble de sciences qui étudient l'homme en société, regroupées sous le nom d’anthropologie, qui étudient l'Homme et les groupes humains, mais qui nécessitent la croyance indiscutable, en l’Homme, préalable à la démonstration de son existence.

Ce qui n’est pas vraiment différent, pour en revenir à notre question, de certaines preuves de l’existence de Dieu : puisque nous pouvons le penser, c’est qu’il est possible qu’il existe. C’est une révélation qui n’est pas très différente de celle qui a touché Descartes, après bien d’autres, par son « Cogito ergo sum»: un Euréka qui mène à C.Q.F.D….. sans plus !

 

Ce préalable étant exposé, il nous est demandé:

« Qui a créé qui: est-ce Dieu qui a créé l’Homme ou l’Homme qui a créé Dieu? »

Ce n’est pas une question qui correspond, comme il pourrait sembler, à se demander qui de la poule ou de l’œuf sont nés en premiers! Les premiers œufs ont existé bien avant les gallinacées. Les plus vieux fossiles d’œufs retrouvés datent d'environ 190 millions d’années et ils venaient de dinosaures, alors que les premiers oiseaux de l’univers, n’ont que 150 millions d’années ! Réponse foireuse puisqu’elle ne nous dit pas si les premiers oiseaux venaient d’un œuf ou si ce sont eux qui ont pondu le premier œuf d’oiseau!

La question a si peu d’importance qu’a la question: « Qu'est-ce qui est premier, est-ce l’œuf ou est-ce la poule ?», les maitres Zen de la pensée bouddhique répondent: « Oui. » La troisième patte de mon canard peut dormir sur ses deux oreilles !

 

Nos philosophes (mais est-ce la poule qui fit l’o sophe), et notamment Voltaire ont affirmé: «  Ce n'est pas Dieu qui a créé l'homme, mais l'homme qui a créé Dieu." Il rajoutait: “Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer”. Ainsi, Dieu n'existe pas, il n'a pas créé l'homme, c'est l'homme qui l'a créé pour se donner des réponses à ses questions ...On en revient à cette même sempiternelle question de l’origine: du monde, de l’humanité, (et de la recette du Baeckeofe)!

Que ce soit celui qui croit en Dieu ou celui qui croit en l’Homme, aucun ne possède une preuve démonstrative certaine. Cependant, la religion, la théorie évolutionniste, et les hypothèses scientifiques, n’en apportent pas moins, des réponses à toutes les angoisses, à toutes les " inconnues " de l’existence, et ont donc une fonction apaisante, puisque la probabilité que ce qu’ils prônent ne sont pas nulles.

Considérer qu’y adhérer relève d’un pari, permet une certaine sérénité. Comme le pari de Pascal, par lequel celui qui croit en Dieu, en la création divine, bénéficiera d’un gain infiniment grand, et utile, si sa croyance se révèle vraie. Il en est de même pour celui qui parie en l’existence de l’Homme, définit par son altruiste, sa sociabilité, son empathie, originellement destiné à se civiliser, qui lui permet de tenter d’appliquerune vision humaniste des sociétés.

 

La philosophie récente, a, le plus souvent, choisi son camp, sachant qu’il y a deux sortes de philosophes: ceux qui croient être Dieu et ceux qui en sont certains.

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Pour Marx, (1818-1883) Dieu, la religion, sont des productions de l’homme. Or, ce qui est réel, dans la vie humaine, ce sont les rapports politiques et économiques que les hommes entretiennent entre eux, et la religion n’est alors que le moyen qu’ont ceux qui profitent de ces rapports pour pérenniser leurs privilèges, en donnant une réalité à un monde fantastique, imaginaire, qui compensera les difficultés de la vie ici-bas. Alors, au lieu de chercher à transformer le monde, l’opprimé espère, pour plus tard, la réalisation de son désir de bonheur, dans un autre monde. « L’opium du peuple " joue le rôle d’un anesthésiant des souffrances de l’opprimé.

Dieu, ne serait, selon la thèse de Feuerbach (reprise par Marx) que l’homme idéalisé par l’homme. Les attributs divins (omniscience, toute-puissance, bonté, miséricorde) sont en fait des qualités humaines idéalisées fantasmées et projetées dans un au-delà.

 

Pour Nietzsche (1844-1900), aussi, la religion est l’imposition d’un monde imaginaire, une illusion mais un mensonge à soi-même, produit par le ressentiment. Celui qui souffre, celui qui est incapable de faire preuve de force vitale, celui qui est faible, incapable de jouir, va chercher à dévaloriser la vie, la force, la puissance, par la justification théorique de la faiblesse et de l’impuissance, une morale d’esclave.

 

L’explication de créer et de croire en Dieu que donne Freud, est pour lui la satisfaction sublimée du complexe d’Œdipe. L’enfant cherche le secours du père. Il a besoin de lui à la fois pour satisfaire ses besoins strictement matériels, mais aussi pour satisfaire des désirs d’ordre purement sexuel. Ce besoin et ce désir ne sont pas éliminés à l’âge adulte. Dieu prend alors la place d’un père naturel. Il est à la fois bienveillant, protecteur, et exigeant.

 

Or, ces exemples qui se veulent démonstration de la création de Dieu, par l’Homme, ne montrent-ils pas également que, une fois créé, c’est Dieu qui crée l’Homme, sa condition d’existant, ses actes, qu’il s’agisse de soumission ou de révolte et de négation ? L’humain ne se définit pas seulement comme matérialité: l’Homme, comme Dieu, correspondent, non à une réalité démontrable, mais à l’idée, ou même à l’opinion, que l’on s’en fait, à partir de définitions, de propriétés, de qualités acceptées comme réelles et certaines !

Est-ce qu’il y a vraiment une différence entre créer Dieu et être créé par Dieu.

 

Nous ne pouvons prouver ni l’un ni l’autre. Seule notre condition humaine sera vécue et réglée de façon toute différente, selon notre croyance en l’une ou l’autre de ces positions. La sagesse serait-elle donc que nous nous abstenions de toute conviction quant à qui a créé qui, de tout jugement, de toute action. Seulement, une telle abstention est quasiment impossible, car " nous sommes embarqués " dans l’existence.  

 

Que nous le désirions ou non, il nous faut prendre parti. Mais lequel prendre ? 

Pour revenir à Pascal, je n’ai rien à perdre en pariant pour un Dieu créateur. Si je me suis trompé et qu’il n’existe pas, peu importe, je serai anéanti et je ne m’apercevrai même pas de mon erreur, je ne serai pas en mesure de la regretter. Mais s’il existe, gagnerai un bonheur éternel et infini. Bien entendu, si je me suis trompé en pariant contre son existence, je serai condamné à des regrets, et des remords éternels.

De plus, « Nier Dieu, c’est se priver de l’unique intérêt que peut avoir la mort » écrivait Sacha Guitry

 

Si je parie sur la création de Dieu par l’Homme, donc contre sa réalité en dehors de la pensée humaine, il me faudra accepter l’absurdité désespérante de la finitude de la condition humaine, et renoncer à une réponse scientifiquement démontrée, au cours de mon existence, à l’explication de la présence de l’homme sur ma planète, et surtout à ce qui définit vraiment l’Homme en tant qu’Homme.

Je continuerai à me demander ce qu’il y avait avant le big-bang, en m’interrogeant aussi sur ceux qui parient pour un Dieu qui a créé tout ce qui existe: pourquoi ne se questionnent-ils pas sur qui ou quoi a créé Dieu?

Croyants ou incroyants, notre esprit a du mal avec les notions d’éternel, d’infini, d’incréé, et se perd face à ce qu’une cause première pourrait bien être.

L’infini est ce qui n’a pas de bornes, qui est illimité dans l'espace et dans le temps, et, à ce jour, aucune donnée scientifique ne permet de dire si l'Univers est fini ou infini. Certains théoriciens penchent pour un Univers infini, d'autres pour un Univers fini mais non borné, un espace se refermant sur lui-même, etc….

Or cet infini, qui dépasse notre compréhension et même notre imagination, n’est-il qu’un concept ? Une idée mathématique qui a, ou non, un lien avec l’univers qui nous entoure ? Existe-t-il quelque chose de réellement infini ?

Nos anciens se posaient déjà la question ! Pour Anaximandre, (610 à 546 avant J.C.), le volume de l’Univers  est empli d’un nombre infini de mondes. Pour Héraclite, (env. 800 avant J.C.) par contre, c’est le temps qui est infini. Il a toujours été et sera toujours. Or, pour nous, l'éternité désigne plutôt un état hors du temps, sans début ni fin. Ce qui rend difficile d'imaginer une création à partir de rien, surtout lorsqu’il s'agit de la création du temps lui-même. Nous ne pouvons, nous appuyer sur aucune « expérience » ou aucune « mesure » telles que nous les concevons aujourd’hui dans la démarche scientifique.

Se demander qui ou quoi a créé, mène à une impasse ! (Au moins de nos jours)

 

Notre univers, notre monde, l’Homme et Dieu, sont là. Simplement déjà-là.

Notre pensée ne peut se déployer jusqu’à une origine radicale, jusqu’à un commencement absolu ? Savoir qui a créé qui, « la recherche d’un commencement, pour nous pauvres humains, est, hélas, toujours trop tardive. Tout a déjà, toujours-déjà, commencé » écrit Hegel (Principes de la philosophie du droit)

L’origine et le terme sont soustraits à l’humain. Il n’y accède qu’après coup. C’est ce que nous apprend le cosmologue se risquant à parler, sous les traits imagés du big-bang, de l’explosion qui se serait produite « au commencement », le biologiste s’interrogeant sur les débuts de la vie, l’anthropologue remontant vers les origines tout aussi fuyantes de l’être humain, (de l’Homme), l’historien enquêtant sur la naissance de telle ou telle nation ou le psychanalyste remontant vers la scène primitive ou originaire. L’après-coup est la démarche même de l’homme de science et de la philosophie, de toute réflexion et de toute expérience…..

(D’après David Banon – Cairn Info)

A Napoléon qui lui demandait la place de Dieu dans sa théorie de l'origine des mondes, Laplace répond: " Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse."

 

Mais rien ne nous empêche d’interroger l’énigme des origines, à jamais perdues, insaisissables, immémoriales. « Au commencement… » Oui! Mais au commencement de quoi ?

La création peut alors être conçue comme l’acte de Dieu, par le récit d’un temps primordial, détaché du temps historique, nous affranchissant de dater la création d’Adam par rapport au pithécanthrope ou à l’homme de Neandertal. Ou comme une autre création, échappant à l’Homme, une antécédence logique, remontant à une sorte d’explosion, indescriptible dès son instant zéro, ouvrant à des processus d’évolution. Toutes ces créations échappent à la raison, à l’espace, au visible.

Par contre, l’imagination sans limites de l’Homme, lui permet, après avoir défini lui-même ce qu’il est, quelles sont ses capacités et son savoir, de s’attribuer une réponse, celle de la création par Dieu ou d’une explication scientifique partielle, le big-bang, qui ne nécessite pas de raison divine.

 

Simone Weil, toutefois, nous suggère une idée : « Il y a une réalité hors du monde c'est à dire hors de l’espace et du temps, hors de l’univers mental de l’homme, hors de tout le domaine que les facultés humaines peuvent atteindre. A cette réalité correspond au centre du cœur de l’homme cette exigence d’un bien absolu qui y habite toujours et ne trouve jamais aucun objet en ce monde. De même que la réalité de ce monde ci est l’unique fondement des faits, de même l’autre réalité est l’unique fondement du bien. C’est d’elle uniquement que descend en ce monde tout le bien susceptible d’y exister, toute vérité, toute beauté, toute justice, toute légitimité, tout ordre, toute subordination de la condition humaine à ces obligations. »

 

Ce qui correspond à ce qu’écrit Marguerite Yourcenar, dans sa Préface aux « Poèmes à la nuit » du poète maussade et romantique Rainer Maria RILKE, (1975-1926) : L’idée de Dieu nous reste comme un désir « même s’il n’est pas, parce que ne pas être n’est après tout qu’une manière un peu plus pure et plus noble d’exister et parce que nous le possédons au moins sous forme de désir et d’attente ».

 

C’est un peu ce que retient Quentin Meillassoux (Né en 1967, normalien, fut enseignant à l'ENS et maître de conférences à Paris-1) qui écrit: « Il faut croire en Dieu parce qu'il n'existe pas. » Pour lui, la pensée rationnelle, [celle de l’Homme], peut accéder à des vérités éternelles, à un absolu, parce que « absolu » signifie étymologiquement ce qui est délié, séparé (ab-solutus) de nous.

 

[Comme d’ailleurs l’existence, du préfixe latin ex, et du verbe istere, qui signifie « être situé en dehors de », donc aussi « apparaître ». Ainsi exister c'est toujours être porté au-devant de soi.]

Les existentialistes, Sartre en tête, ont souligné que l'homme n'a pas d'essence qui le détermine à être de telle ou telle façon. Ce qui est contingent n'est pas nécessaire, et n'a pas de raison d'être ou de ne pas être. Alors, si tout peut arriver sans raison, surgir ex nihilo, alors il faut admettre que Dieu même est possible.

La physique, les lois de la nature, sont des régularités observables; néanmoins, elles peuvent à tout moment « devenir effectivement autre[s] ». Des changements frénétiques et sans ordre, ou, à l'inverse, capable de produire un univers immobile jusqu'en ses moindres recoins » sont possibles.

Alors, même un Dieu « virtuel », « encore non existant, est possible et à venir, et non plus actuel et nécessaire », absolument imprévisible, éminemment incertain : il ne se produira peut-être jamais.

Il ne s'agit pas, du Dieu révélé et tout-puissant des monothéismes, mais d’une hypothèse où le « divin » se confond avec le règne de la «justice ».

Ainsi on peut: « ne pas croire en Dieu parce qu'il n'existe pas », pour l’athée, ou on peut« croire en Dieu parce qu'il existe », pour le religieux et même « ne pas croire en Dieu parce qu'il existe », mais nous révolte. Mais ces trois attitudes possibles, partagent toutes le même présupposé : à savoir qu'il y a une nécessité (de l'existence ou de la non-existence de Dieu). Meillassoux défend une position inédite: « croire en Dieu parce qu'il n'existe pas ». Soit rejeter le Dieu transcendant et/ou métaphysique, tout en espérant avec « ardeur », dans cette vie-ci, l'irruption aléatoire de la justice éternelle. (D’après Philosophie magazine n' 65 / 65 par Martin Duru).

 

Ce serait ainsi que Dieu et l’Homme se rejoignent dans une même intention de création de ce qui permettrait une vie, une existence bonne et juste. Parce que L’Homme ne peut exister sans le monde ni le monde sans les humains, qu’il soi, ou non, créé par Dieu, ou que Dieu ait été créé par l’Homme.

 

Finalement, peu importe qui a créé qui! Nous avons seulement besoin d’une réponse qui nous satisfasse.

Croyants, athées ou agnostiques (ne croyant pas en ce qui ne peut être démontré), dépassent le fait de croire ou de ne pas croire, par le ressenti du juste et de l’injuste. Que l’interdit soit justifié par une norme transcendante ou laïque, spirituelle ou temporelle, il sera toujours relié à une identité. Et cette identité sera toujours en conflit avec l’acceptation d’une autorité qui se confondrait avec l’équivalence : nous somme égaux en droit, mais pas équivalents en fait, pour autant. L’identité sera toujours en balance avec la subordination, l’assujettissement d’une part et avec l’insoumission, l’autonomie, d’autre part.

Que ce soit en privilégiant la primauté divine ou celle de l’Humain.

N.Hanar

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L’indifférence est-elle coupable ?

 

La définition de l’indifférence dans l’intitulé de ce sujet est: « l’état, le sentiment de celui qui ne se sent pas concerné, touché par quelque chose, et qui alors n'accorde aucune attention, aucun intérêt à quelqu'un ou à quelque chose ». (Larousse). Qu’il s’agisse d’un spectacle, d’un événement, d’une catastrophe, ou du désespoir d’autrui. C’est une indifférence qui relève d’une incapacité d’empathie ou de la volonté de ne pas tenir compte, d’ignorer ce qui dérange sa propre vision du monde. Est-on coupable de cette attitude?

 

Est coupable, celui qui a commis une faute, un délit ou un crime, ce qui le rend condamnable ou, au minimum blâmable, par rapport à une loi, une morale, ou des usages. Il s’agit toujours d’un acte concret, qui a été commis par un ou des individus, qui sont donc responsables, légalement ou moralement, d’une transgression à une norme quelconque, ou d’une entorse à des valeurs.

Donc, si l’indifférence n’est pas une action, mais n'accorder aucune attention, aucun intérêt à quelqu'un ou à quelque chose, peut-elle néanmoins être coupable?

 

Ce qui le laisse supposer vient de ce que de nombreuses théories cherchent à justement à déculpabiliser l’indifférence, parce qu’elle s’accompagne souvent d’un ressenti émotionnel, parce que toute société, ou toute communauté, selon l’époque, le lieu et les circonstances, nous enseignent, depuis l’enfance, que certaines choses ne sont pas autorisées: faire souffrir, agresser, voler, tuer, etc…

Ainsi certains rejettent la culpabilité, en prétendant être responsables, mais pas coupables. Ils ont le sentiment de ne pas avoir commis une faute, un délit ou un crime, sous le prétexte d’avoir été mal informé avant d’agir, de s’être trompé, mais surtout de s’être objectivement décidé en l'absence de tout mobile, d’inclination ou de préférence. (1).

C’est utiliser abusivement l’une des qualités de l’indifférence, celle qui consiste à ne pas faire des différences de valeur, à ne pas établir des préférences, des hiérarchies significatives  entre les humains.

Ainsi ils ne se sentent pas coupables à l’encontre de ceux qui ont été victimes d’une action. L’indifférence, conçue ainsi, peut être considéré comme une réelle qualité puisqu’elle permet même de nier les différences, lorsqu’il s’agit de sexes, de races ou de handicaps, et ne saurait alors s’accompagner de culpabilité.(2)

 

On trouve aussi une autre déculpabilisation de l’indifférence : «Être indifférent, ce n'est pas être aveugle ou stupide. C'est être neutre et serein» écrit Comte Sponville. Pour vivre sereinement, il faut savoir s’immuniser, apprendre à se protéger, à neutraliser l’adversité, pour ne pas être en permanence tourmenté, affecté, bloqué, torturé, aveuglé par le poids du présent ou des craintes de l’avenir.

Voire par des événements douloureux passés, ce qui nécessite, pour Nietzsche, une « faculté d’oubli », qui est action, effort de liquidation du passé, un travail de réinterprétation pour changer le sens des événements.

Donc de ne pas être culpabilisé par des « devoirs de mémoire » en regardant devant soi !

 

Ce fut même une qualité pour les Stoïciens, pour qui le sage doit être plus occupé à agir sur ce qui dépend de lui, qu'à espérer et à craindre ce qui lui est étranger. Le sage stoïcien n'est pas indifférent aux autres : si le sage est apathique (sans passion), il n'en ressent pas moins la sympathie universelle qui l'unit à tout. Mais il refuse de considérer ce qui ne doit pas l'être et n'attache pas d'importance à ce qui n'en a pas.

(Ce qui semble correspondre à la définition de l'indifférence en chimie: " État d'un corps dont les affinités sont satisfaites et qui n'a plus tendance à se combiner à d'autres éléments").

 

Ainsi le sentiment de culpabilité peut être rejeté, ignoré, sous prétexte que la responsabilité des événements n’est pas du fait des individus qui y restent indifférents. L’indifférence serait même l’une des expressions de la liberté, la « liberté d'indifférence » qui désigne la capacité humaine à choisir n'importe laquelle entre plusieurs possibilités, signalant ainsi que l’humain est doté d'un libre arbitre et non déterminé dans ses choix.

 

Or, Descartes, déjà, ne voyait dans cette liberté d'indifférence que « le plus bas degré de la liberté, qui fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance: car « si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire, et ainsi je serais entièrement libre sans jamais être indifférent ».

L’existence, sans conscience de sa responsabilité, directe ou indirecte, et ainsi sans introduction de la notion, plus ou moins ressentie, de culpabilité, ne saurait être libre, cohérente et surtout active !

 

Comment justifier d’être indifférent à la justice, à l’autre, aux événements du monde, à sa responsabilité, à ses inclinations, ses projets ou ses préférences, alors que, à chaque fois que l'on évoque l’indifférence, cela suppose malgré tout d'avoir conscience d’une différence. Ce paradoxe souligne que, si je suis indifférent aux malheurs du monde, cela suppose que j’ai connaissance des malheurs du monde! L'indifférence ne serait alors que l'une des formes que prend la conscience de la différence, mais qui s’accompagnerait aussi d’un jugement préalable, d’une prise de position, qui rejette toute valeur et toute hiérarchie à ce qui se présente à la conscience, et, bien entendu, toute responsabilité et toute culpabilité. Un biais « à priori ».

 

Les humanistes de la Renaissance plaçaient l'homme et les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres valeurs et souhaitaient éduquer l'homme pour le grandir et bâtir une société meilleure, plus morale, fondée sur le respect de l'être humain, la considération, l'écoute attentive, l'ouverture, l'accueil, la bienveillance, l'empathie, l'affection, l'amour et la fraternité. Il s’agit d’une démarche, d’une action volontaire, d’une certaine vision de ce qui est souhaité pour un monde meilleur.

Nous serions alors coupables de ne pas agir en ce sens.

 

Or, nos sociétés nous font vivre dans une prévalence de l’indifférence, du fait de la tyrannie de l’objectivité. Il faudrait sans cesse se détacher de sa propre subjectivité, chercher un champ commun qui concilierait l’économique et le politique, ce qui s’est presque toujours fait au détriment de l’humain.

Nous ne pourrions en être coupables, parce que le réel ne répond, ni aux règles de notre raison, ni aux injonctions de notre morale, mais surtout parce que notre action, de toute façon, serait vaine ou négligeable.

 

En fait, le domaine auquel s'appliquerait notre indifférence sans ressentir de culpabilité est choisi pour nous.

Il nous est demandé un devoir d’impartialité, de tolérance, alors que tolérer, c’est seulement supporter. Au contraire, le respect, la bienveillance, la fraternité, nécessitent d’agir, afin de mieux connaitre l’autre, les circonstances, les différents possibles, une démarche active et authentique d’ouverture.

Ce devoir de tolérance, n’est-ce pas vouloir remplacer la culpabilité par du cynisme, en se demandant alors, s'il n'est pas nécessaire d'être indifférent au malheur des autres pour vivre sa vie ? En fait, d’ailleurs, le spectacle de la famine au journal télévisé n'empêche pas grand monde de continuer son repas.

Comme si la puissance médiatique ou politique, faisait en sorte de choisir pour nous ce envers quoi nous devrions culpabiliser et ce envers quoi il serait justifié d’être indifférent sans se sentir coupable.

Ce qui s’illustre dans les traitements différents qui sont fait des catastrophes au Maroc et en Libye, des guerres menées par les Russes ou les Chinois, les unes étant commentées quotidiennement, les autres comme la répression des Ouïghours par le régime chinois ne l’étant presque jamais. Sans évoquer l’Arménie vs l’Azerbaïdjan, le gouvernement éthiopien vs le peuple du Tigré, etc….

Comment vivre sereinement en se sentant coupables d’y être indifférents : les justifications d’impossibilité ou d’inutilité sont légions ! Suffit-il de seulement d’évoquer ces conflits afin de maintenir notre unité ?

 

Cela touche quelquefois à l’absurde : alors que nous voyons la répression impitoyable de l’Iran ou des femmes et des filles de tous âges qui refusent de porter le voile obligatoire sont pourchassées, nous disputons à propos du port de l’abaya, l’un des signes quasi indiscutable de la même volonté de domination d’une communauté sur les femmes.

Ou, alors que les combats, dans l’est de la République démocratique du Congo, contre un groupe rebelle soutenu par le Rwanda, fait des ravages, chasse des dizaines de milliers de personnes de leurs foyers, nous disputons encore sur l'accueil des réfugiés, enfin de ceux qui ont réussi à ne pas se noyer en chemin.

 

Mais nous pourrions néanmoins avoir le choix de tester notre indifférence: artistique, métaphysique, politique, religieuse, un peu moins, depuis peu, l’indifférence conjugale, etc… sans ressentir de culpabilité : excellent entrainement à l’indifférence sans culpabilité!

 

Devant l'indifférence des choses du monde, celles qu’il faut accepter, que soulignait Camus, dans « l’Etranger », à laquelle, écrivait-il: «il faut pourtant s’ouvrir »(L’Etranger), pourrais-je me contenter de feindre, simuler, voire professer, l'indifférence au bien et au mal, au juste et à l'injuste, à l'opinion publique, , aux haines, aux outrages, aux tentations, à l'égard de l’avenir, au domaine des idées, aux autres, à la mort d'un proche ou d’un lointain, envers tout ce qui se passe, sans vraiment ne ressentir aucune culpabilité?

 

Nietzsche professait que l’état le plus dangereux, le plus malsain et même contraire à la vie, c’est la compassion : « Vous devez devenir indifférents » écrivait-il. Parce que la philosophie ne doit pas être celle du désespoir, mais plutôt celle qui les combat au nom des grandes espérances, dans un monde de souffrance, de peine et de tristesse.

 

Nous savons, nous l’avons tous vécu, que l'indifférence d'autrui à notre égard peut être blessante: elle nous réduit à rien, quand autrui nous toise, nous dédaigne, ou ignore notre existence.

La réalité nous impacte. A moins que nous acceptions de vivre dans une réalité imaginaire, en faisant comme si, ….. alors que tout peut arriver, l'imaginable et l'inimaginable. Sinon, il n’y aurait plus de différence entre le fait que quelque chose se soit produit ou non.

 

Peut-on se contenter d’interpréter l’indifférence, comme la fonction positive de nous protéger d’un sentiment d'impuissance devant un monde qu’on ne se sent pas capable de changer, devant des événements sur lesquels nous n’avons aucun pouvoir, ce qui permettrait de suivre son chemin sans se soucier des autres, figés dans le refuge de ses certitudes, face à des situations que nous avons décidé qu’elles ne nous concernent pas, parce que nous n’y serions pour rien ?

 

C’est justement le sentiment de plus ou moins de culpabilité qui peut nous amener à parvenir à comprendre les choses et les autres, à aimer leurs particularités, qui ne sont plus alors celles qui séparent, mais qui ouvrent aux relations humaines et à la vie en commun. En acceptant un sentiment de culpabilité, même « sans responsabilité » directe, mais indirecte : qu’est-ce que je n’ai pas fait, alors que j’aurais pu….)

 

Pourrait-on vraiment supporter de savoir que des gens meurent dans la solitude la plus extrême et qu’on ne les retrouve que des jours, des mois, voire des années après, alors qu’ils vivent entourés d’une multitude de gens. Ou qu’ils coulent dans des bateaux de fortune ! Ce serait n'éprouver aucune émotion, ni positive, ni négative. Pas plus de répulsion que d'attrait. Ne pas se sentir concerné, être ailleurs, alors que rien n’est médiocre ou dérisoire.

Parce que vivre, c'est d'abord ne pas être indifférent : c'est se différencier de l'indifférence par la sensibilité, car la vie s'éteint dans l'indifférence. Sinon les oppositions s'estompent, tout s'égalise dans la grisaille, et dans la monotonie de ceux qui détournent le regard. Le sens jaillit de la différence, ou s’éteint dans l’indifférence, par l'absence de sentiments, de souffrance, d’émotions, envers tout ce qui ne concerne pas son égoïste vision du monde.

 

L’indifférence, prend des formes très différentes, parfois contraires : l’une occulte les choses et les êtres. L’autre les rend accessibles. Ce sont les deux faces d'une même pièce comme, la transparence qui indique que l'on peut voir à l'intérieur de quelque chose ou de quelqu'un ou au contraire que l'on peut voir au travers, c'est-à-dire ne pas voir du tout ! Être impartial, ce n'est pas être indifférent à la justice, ce n’est pas refuser la confrontation à ce monde, refuser une culpabilité dont on ne peut se libérer en restant indifférent à nombre d’événements.

 

Comme l’avait écrit le pasteur allemand Martin Niemöller, résistant au nazisme, interné à Dachau.

« Lorsque les nazis vinrent chercher les communistes, je me suis tu, je n’étais pas communiste.

Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je me suis tu, je n’étais pas social-démocrate.

Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs, je me suis tu, je n’étais pas juif.

Lorsqu’ils sont venus chercher les catholiques, je me suis tu, je n’étais pas catholique.

Lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester. »

N.Hanar

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NOTES

1-S'il est possible d'être responsable sans être coupable en droit civil et en droit administratif, il est non seulement possible d'être coupable et responsable, mais aussi coupable sans être responsable en droit pénal.

2-Le droit à l’indifférence - Des personnes nous dérangent ou nous mettent mal à l’aise, parce qu’elles nous ressemblent et qu’elles nous font ressentir notre vulnérabilité, la fragilité de notre prétendue normalité.

Celles-là réclament un droit à l’indifférence. C’est le droit des personnes handicapées à se mouvoir dans l’espace social sans que l’on fasse attention à elles plus qu’à d’autres. Aujourd’hui, les attitudes bienveillantes vis-à-vis du handicap relèvent souvent de ce que j’appelle l’“empathie égocentrée”. On se met à la place de la personne et on se dit : “Comme je serais malheureux en fauteuil !” On s’apitoie sur soi. Mais les personnes handicapées, en ont assez de ce rapport faussé. Elles préféreraient que nous ne les considérerions plus ni comme des héros ni comme des monstres, et qu’on les juge comme n’importe qui. »

Pourquoi faisons-nous la fête?

 

Les fêtes, ce sont des réjouissances organisées par une collectivité (commémorations solennelles, religieuses, ou historiques…) ou par des particuliers à l’occasion d’événements modifiant la linéarité de leur existence (déménagement, retraite, mariage, …). A la campagne, pour fêter un anniversaire de mariage, on tuait le cochon, alors que ce n’était pas de sa faute!

La fête, nous sommes censés y prendre du plaisir à danser, à échanger, à jouer, en sortant des rigidités quotidiennes. C’est pourquoi les fêtes sont utilisées par les pouvoirs politiques (du pain et des jeux), afin de rendre les contraintes sociales imposées plus facilement acceptables. Ce que font aussi les marchés, dans un monde dominé par l’économie. L’ensemble des fêtes adopte alors une connotation commerciale, celles qui sont anciennes et celles créées dans cet unique but (la Saint-Valentin, ou la Fête des pères, qui n’a été officialisée qu’en 1952, suite à une publicité de Flaminaire, destinée à dynamiser ses ventes de briquets.

Lorsque j’avais dit à ma fille : pour la Fête des Pères j’aimerais que tu ais de très bonnes notes à l’école, elle m’avait répondu : trop tard je t’ai déjà acheté une cravate.

 

Très anciennes, les fêtes païennes, qui célébraient la nature, puisaient leurs origines dans les rites celtes et scandinaves, en utilisant la magie, les Sabbats des sorcières, afin de marquer les moments de passage et de transformation de la nature, lors des solstices et des équinoxes, qui désignent la modification des saisons, ou celles du soleil ou de la lune. Ces temps forts connectaient à la nature. Beaucoup de ces fêtes ont été reprises aux mêmes dates, au fil des siècles pour devenir les fêtes traditionnelles, religieuses ou laïques, que nous connaissons aujourd’hui.

Le solstice d’été, correspond à la Saint-Jean des chrétiens. Les réjouissances populaires des Saturnales au temps des Romains, correspondent à notre fête de Noel. La fête païenne destinée à célébrer la fin de l’hiver et l'arrivée du printemps, a été adoptée par la religion chrétienne, pour festoyer, se déguiser et bien manger. "C'est le mardi gras, où on écoule tout le gras qu'on a dans ses placards avant les 40 jours de jeûne du Carême, qui précèdent Pâques, et la résurrection….de la nature fertile.

Ce carnaval est le temps de transgression des interdits et d’inversion des valeurs. Se déguiser estompe les différences sociales, porter des masques permet de se moquer en toute impunité des puissants, lors de défilés dansants en musique. La musique et la danse ne sont pas des langages au sens strict, mais elles offrent des significations plus denses que celles du discours.

 

Les fêtes permettent donc de faire la fête. Et pendant ce temps de réjouissance symbolique collective, ce qui a conduit à faire la fête, politique ou commercial, s’estompe. Faire la fête est même devenu un rituel nécessaire, qui entretient la qualité relationnelle, qui nous fait nous sentir appartenir au monde dans lequel nous vivons. Même lorsque les « réjouissances » correspondent à des faits guerriers.

La fête est donc une modalité du social, qui traverse cultures et milieux. Elle n'est plus uniquement ce qui montre une rupture avec le quotidien ou avec des cycles. Elle fait partie des grandes activités de l’être humain, qui ne peut pas se voir réduit à la sphère du travail, aux usages, à la tradition ou à la consommation.

Elle est un fait anthropologique incontournable, et chaque groupe humain à ses célébrations, et ses moments d’exubérance. Certains même font la fête tous les jours, d’autres de temps en temps.

 

Alors que dit la fête de nous et pourquoi la faisons-nous ?

La fête nous oblige à nous ouvrir à l’autre, non par ce besoin de l’autre pour l’éducation ou pour prendre conscience de soi, mais cette fois, dans l’expérience de l’illégalité, du renversement des hiérarchies, sans se soucier de l’avenir, sans penser au lendemain, sans vouloir être définis par nos actions pendant la fête.

Ce n’est donc pas qu’une échappatoire, ni le seul moment où nous serions véritablement en conformité avec notre Moi, ni ce qui provoque un oubli de soi, car elle échappe à la réalité. Parce que, si elle n’était qu’un besoin primaire d’émancipation face à une réalité épouvantable, le retour à cette même réalité ne serait-il pas d’autant plus insoutenable ?

 

Pour le philosophe Michaël Fœssel, (1) la fête inaugure un « temps sans calcul ni comparaison qui permet de percevoir ce qu’il y a de jour dans la nuit, de faiblesse dans la force, d’ivresse dans la santé, de guerre dans la paix, de beauté dans la disgrâce». «La beauté peut devenir une dimension de notre regard beaucoup plus qu’une dimension de la chose regardée. Si le désir de fête consiste à retrouver cette indulgence du regard, alors il y a de bonne chance qu’elle ait lieu. »

 

Toutes les expressions qui contiennent le mot fête montrent l’ambivalence de notre regard sur les événements: un spectacle peut être une fête pour l'esprit, le premier mérite d'un tableau est d'être une fête pour l'œil, écrivait Eugène Delacroix, tout événement peut avoir un air de fête, lorsque nous sommes de la fête ou que nous faisons la fête à quelqu’un qui n’aura jamais été à pareille fête et qui se fera une fête de revenir. Mais on aurait aussi pu lui faire sa fête et ça aurait été sa fête et il n’aurait pas été à la fête. Ces expressions font que le mot fête inclus les notions de plaisir et de déplaisir.

Le plaisir en effet ne se mesure pas, et tous les plaisirs ne se valent pas, selon Comte Sponville. La souffrance comme l'amour ne se mesure pas ; ils peuvent être plus ou moins forts, plus ou moins grands, plus ou moins profonds...

 

Ces altérations sensorielles qui modifient l’appréhension des autres et de soi, ont aussi des dimensions politiques : l’expérience de l’illégalité, le renversement des hiérarchies, l’abolition du temps productif et la mise en échec des logiques professionnelles. « L’homme est un être capable d’éclipses ». Les zones grises, entre la célébration officielle, qui sanctifie la légalité en cours, et l’illégalité pure, sont de toute fête. Il s’agit de mobiliser différemment les corps, les lumières et la musique pour en faire un lieu d’innovation perpétuelle. Or les injonctions sociétales à la performance ont perverti le sens de la nuit festive.

 « La fête est un moment de rupture, un “événement” au sens fort. Elle sort du régime des faits ou de la répétition au profit d’une rupture avec l’ordre des choses et avec nos attentes. Elle déjoue le temps profane, marqué essentiellement par le travail.

Les participants rompent non pas avec la dépense mais avec le gain. Voici un motif de la fête : faire que le calcul et la logique de la rentabilité ne soient plus les vecteurs de notre rapport au monde.

Georges Bataille dit de la fête qu’elle repose sur la “dépense improductive”, le sacrifice, la rencontre avec l’inconnu. La fête se paie toujours le lendemain. Elle n’est pas rentable. La fête est finie quand on commence à calculer. »

 

Selon  Michaël Fœssel, la fête n’est peut-être pas tant quelque chose que l’on « fait » qu’une manière d’échapper pour un temps aux conduites sociales ordinaires. Bien sûr, il existe des fêtes officielles, organisées par le pouvoir et autour de lui, mais où chaque citoyen n’a qu’une position de spectateur.

Car il existe un lien intime entre la fête et la politique: la fête est une expérience de l’égalité où les rôles ne sont pas fixés à l’avance et où l’exubérance cesse d’être perçue comme un vice. Elle est l’occasion de mettre en suspens la logique du jugement social et la soumission aux hiérarchies économiques ou politiques.

Parce que l’improvisation participe de la fête, dont on ne peut pas construire les paramètres à l’avance. Rousseau (dans la Lettre sur les spectacles adressée à d’Alembert) préfère la fête au théâtre, l’expression de l’émotion à la représentation. Dans la fête, n’importe qui devrait pouvoir intervenir à n’importe quel moment. Il n’y a pas à proprement parler de spectateur. Ni la possibilité de se faire une idée de ce que sera la fête avant que celle-ci n’advienne. S’en faire une idée, c’est se maintenir à distance d’elle. Il faut que le fêtard puisse s’abandonner, qu’il se mette à chanter en l’occurrence, parce que, si tout le monde était spectateur de la fête, elle n’aurait tout simplement pas lieu. Inversement, la fête s’émousse lorsqu’elle tend vers le spectacle, c’est alors un “trouble-fête”. »

La fête doit rester l’expérimentation d’autres manières d’être ensemble, où le temps social concurrentiel et productiviste est suspendu, où la fatigue ne résulte pas du travail mais du plaisir.

Les villes sont confrontées depuis longtemps au conflit entre les « fêtards » et les « riverains ». Or le riverain qui veut dormir la nuit et le noctambule qui veut y faire la fête cherchent justement tous deux à lâcher prise par rapport aux contraintes de la vie professionnelle diurne. Que ce soit dans le sommeil ou dans la fête, il s’agit de rompre la continuité d’un temps dominé par les impératifs de productivité. « Vivre » ne peut pas vouloir dire organiser son existence entière autour d’impératifs de survie.

Résister à un temps homogène, médié par les écrans et dévolu à la concurrence permanente demeure une exigence. Nous avons le désir d’échapper à une vie urbaine de plus en plus étouffante.

Certaines fêtes sont improvisées, et ce sont souvent les plus gaies, d’autres ont leur date précise. Comme nos

Fêtes d’anniversaires qui sont bonnes pour la santé. Les statistiques montrent que les personnes qui en fêtent le plus deviennent les plus vieilles.”

  

Le temps conventionnel que mesurent nos montres est à la fois linéaire, continu et homogène. Faire la fête, c’est découvrir un temps brisé, discontinu, par rapport au reste de l’existence. Pour faire la fête, il faut cesser de se soucier de l’avenir, ne surtout pas penser au lendemain. Mais aussi faire table rase du passé – impossible d’apporter ses regrets ou ses désirs de vengeance. Le ressentiment tacite, le passif accumulé alourdissent parfois les réveillons de famille – et les gâchent.

Car la fête nous demande de nous donner entièrement à elle, de nous offrir à son présent qui ne s’écoule pas.

 

Quand mes beaux-parents m’avaient demandé : « Venez fêter Noël avec nous! » - - Malheureusement, je ne pourrai pas...- Ils m’ont répondu : C'est si aimable de votre part!

Ils savaient bien que les trois fêtes juives les plus importantes sont Yom-Kippour, Roshanna et le Salon du prêt-à-porter.”

 

La plupart des mouvements révolutionnaires sont festifs, mais lorsqu’ils veulent s’étendre dans le temps, ils échouent parce qu’alors, en renversant un pouvoir ils en établissent un autre. La fête doit rester temporaire. « L’essence de la fête, c’est le face-à-face : un groupe d’humains mettent en commun leurs efforts pour réaliser leurs désirs mutuels – soit pour bien manger, trinquer, danser, converser –, tous les arts de la vie, y compris le plaisir érotique ; soit pour créer une œuvre commune, mais quelque chose qui prend fin.

Sinon, c’est commettre l'hubris, dépasser la mesure, et s’aligner sur ce qui était considéré comme une faute, comme un crime. Contre l'ordre de la société, mais aussi contre les dieux : eux seuls pouvaient dépasser la mesure. En faire autant, pour un homme, c'était tenter de rivaliser avec eux. Prométhée, Icare, Tantale, Sisyphe, Œdipe, entre autres, sont des personnages mythologiques punis pour leur hubris.

Même si la démesure séduit, exalte, fascine et que la mesure ennuie, comme l’équilibre, une harmonie, une proportion (Comte Sponville), la fête ne peut être ce qui aurait un accès permanent à la démesure, qui mènerait au chaos, au délire, mais reste ce qui est nécessaire à toute société, pour lui permettre de survivre par la remise en cause par intermittence, de la mesure.

 

L’historien des religions roumain Mircea Eliade a bien souligné, dans Le Sacré et le Profane (1956), ces propriétés spécifiques au temps de la fête : « On pourrait dire de lui que ce temps ne “coule” pas, qu’il ne constitue pas une “durée” irréversible. À chaque fête périodique on retrouve le même Temps sacré, le même qui s’était manifesté dans la fête de l’année précédente ou dans la fête d’il y a un siècle : c’est le temps créé et sanctifié par les dieux, réactualisés par la fête. »

Aux yeux d’Eliade, le temps social – régulier, prévisible – est profane. Mais le temps de la fête – irrégulier, imprévisible – appartient à la dimension du sacré. Il s’agit du temps originel dont parlent les mythes, et que la fête réactive. Avant même l’arrivée des dieux, (selon la Théogonie d’Hésiode), il y avait le chaos. C’est ce chaos primitif que la fête nous permet de revisiter. C’est pourquoi elle est hors de l’Histoire, elle nous transporte pour ainsi dire avant le temps humain : « dans le temps de la fête se rejouent les gestes divins, lesquels sont réinjectés dans la vie collective, sans jamais s’épuiser. Jésus renaît ainsi tous les 25 décembre ».

 

L’humain est l’habitant, pendant la majeure partie de sa vie, d’un univers purement humain et, en quelque sorte, “fabriqué-maison”, un petit monde à nous, qui constitue notre « réalité ». Faire la fête nous met dans un état de conscience modifié, et altère cette réalité, cet univers conventionnel. Si cela est probablement indispensable à notre bien-être, il s’agit néanmoins d’une simplification, d’une réduction délibérée du champ de l’expérience.

Par exemple - La fête de Noël ne tombe pas n’importe quand. Elle est proche du solstice d’hiver, de la nuit la plus longue de l’année. Avec l’invasion des ténèbres, une menace plane sur les vivants. Claude Lévi-Strauss (dans un article paru dans Les Temps modernes en 1952, « Le Père Noël supplicié »), propose une lecture décapante, désimplificatrice, de la mode occidentale, consistant à offrir des cadeaux aux enfants le matin de Noël. Il s’agirait en fait d’offrandes. Et les enfants occuperaient, dans ce rite, la place des morts. Nos descendants ne sont-ils pas les récipiendaires des âmes de nos ancêtres ? Cette fonction est encore plus claire, dans les pays anglo-saxons: au moment de l’équinoxe d’automne, avec la fête d’Halloween, les enfants grimés en morts-vivants viennent réclamer leur dû aux adultes, et cette période inquiétante prend fin à Noël, le moment où les morts sont comblés de présents, dans le but de les convaincre de disparaître jusqu’à l’année suivante et de laisser le printemps, donc la vie, revenir sur le monde.

 

Nous ferions donc la fête parce qu’elle nous est utile. Qu’elle ait la fonction politique de rendre supportable la relation entre les dominants et les dominés, en l’abolissant symboliquement,  (dans les Saturnales romaines, maîtres et esclaves interchangeaient leur rôle toute une semaine), qu’elle ait la fonction magique de relier au passé ou de faire découvrir d’autres possibles, qu’elle soit le moment qui nous ouvre à la possibilité d’élargir notre vision des événements, qu’elles soit « récupérée par des pouvoirs politiques ou économiques, nous la faisons parce qu’elle nous fait du bien !

N.Hanar

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Comment rester humains dans un monde inhumain

 

Le mot Humain désigne à la fois une espèce (l’espèce humaine), et, d’autre part, l’une de ses caractéristiques: sa sensibilité, sa capacité à la compréhension, à la compassion, etc.., envers les autres membres de l’espèce. Ainsi on désigne comme « inhumain », l’humain qui ne fait pas preuve de ces capacités, et qui semble alors, ne pas appartenir à l'espèce humaine, parce qu’il « ne vit ni sous la conduite de la raison, ni sous la conduite de la pitié, [et] n’est pas secourable aux autres » (Spinoza). Il est donc perçu comme monstrueux, barbare, ou cruel, mais n’en reste pas moins humain..

 

Nous considérons que  les actions « inhumaines » sont volontaires, puisque nous n’estimons plus, aujourd’hui, qu’elles sont entièrement déterminées par une « nature humaine », une « essence », qui nous ferait agir indépendamment de notre volonté. C’est, au contraire, par la culture, le lieu et l’époque de notre existence, que se construit un monde caractérisé par des valeurs qui n'existent pas naturellement, mais qui ont une prétention à l'universalité, malgré leur caractère local.

C’est lorsque ce monde ne correspond plus à nos valeurs, les seules que nous trouvons rationnelles, que nous l’appelons un « monde inhumain ».

 

Nos valeurs s’expriment dans une morale, qui n’a pas la force suffisante pour faire de nous des êtres habités par la justice ou la compassion, des êtres qui ne seraient caractérisés que par la compassion et l’empathie.

Selon Sartre, notre liberté  nous condamne à nous déterminer sans cesse, à devenir quelque chose par nos actions. Or, la vertu, la justice, sont dans le meilleur des cas un effort, une recherche, un but jamais atteint., parce que nous restons voués au pire comme au meilleur... L’inhumain n’est pas ce « monstre » étranger à moi, il est d’une certaine façon « logé » en moi en tant qu’humain...

 

La Shoah, l’assassinat des journalistes de Charlie, les massacres de communautés entières en Chine, en Birmanie, les noyades atroces de « migrants », les exécutions d’opposants, nous confrontent quotidiennement à l’inhumain, avec des moments de paroxysme...

Mais, en même temps, nous avons, par notre nécessité de vivre en groupe, favorisé, dans l’évolution humaine le développement des instincts sociaux, des facultés rationnelles, de la sympathie, des sentiments affectifs, de l’altruisme, de la solidarité, de l’éducation, et de la morale. Ainsi des conduites anti-éliminatoires de protection et de sauvegarde à l’endroit des plus faibles, se sont substituées en grande partie aux fonctionnements éliminatoires. La logique de la sélection naturelle s’est renversée dans le contexte de la civilisation, où les conduites d’altruisme ont pris le dessus.

Nous confortons notre humanité, malgré l’inhumain qui nous confronte.

Parce que, de plus, notre sentiment d’humanité provoque en réaction une identification très forte aux victimes : «Nous sommes tous Charlie ». Penser l’inhumain, savoir de quoi il est constitué,  identifier les racines de la barbarie, c’est aussi être mieux armé pour s’en prémunir, pour lutter plus efficacement contre  le mal qu’il représente, et pour rester humain dans un monde inhumain....

 

Nous savons bien que ce qui donne aux humains la force d’agir, n’est pas lié qu’à des valeurs, à une morale, que nous n’avons pas la maîtrise totale des évènements qui surviennent et de nos actions, que l’évolution de l’humain est surtout transgressive de cet « ordre des choses », que toute culture souhaite figé, immobile et seul possible

Nous sommes conscients que  «l’avenir ce n’est pas ce qui va arriver, c’est ce que nous allons faire » (Gaston Bachelard), mais que néanmoins le réel ne peut pas être mis entre parenthèses, et qu’alors l’avenir et l’action de chacun, font, en grande partie de l’incertain.

Nous comprenons que ce qui fait de nous des « humains » implique de la souffrance, de la désespérance, de l’angoisse, qui proviennent du déséquilibre entre ce qui est, et ce que l’on suppose devoir être.

Et qu’ainsi il nous arrivera de ressentir souvent, ce qui se passe, comme inhumain, parce que, aussi, « Homo homini lupus », (l'homme est un loup pour l'homme)  et que toutes nos constructions sociales sont destinées à permettre un certain « vivre ensemble », dans une organisation qui se veut rationnelle.

Comprendre que nous avons également cela en nous, se savoir barbare, savoir que l’autre n’est pas seulement un « monstre » radicalement étranger à ce que je suis,  connaître la fragilité des barrières qui nous séparent de notre inhumanité, et savoir que le même monde porte en lui la possibilité de l’infamie et du sublime, a le mérite de montrer le danger qui consisterait à rejeter à l’extérieur de l’humain, l’inhumanité des actes barbares.

Les Lumières, l’humanisme de la Renaissance se caractérise par un optimisme foncier, une foi en l’humain, en la connaissance, et au progrès. Elle peut à ce titre passer pour un antidote efficace contre l’inhumain, un moyen pour rester humain dans un monde inhumain.

Mais n’est-ce pas là un «optimisme béat » selon lequel l’humanité serait en quelque sorte toute puissante et pourrait construire un monde conforme à ses attentes, aux constructions de sa raison et à ses rêves ?

Rousseau pensait que l’humain était foncièrement bon et que cette bonté a été dévoyée et pervertie au cours de l’histoire : il suffirait de l’arracher à cette histoire passée et de lui permettre de penser par lui-même pour qu’il puisse prendre son destin en main et fonder un monde et un homme nouveaux sur de nouvelles bases.

 

Nous ne pouvons pas méconnaître que notre époque a accouché de monstres dont la barbarie peut être considérée comme probablement inégalée depuis le début de l’humanité. Mais elle n’est pas « hors de l’humanité ». Il n’y a rien dans le passé qui soit comparable à la production industrielle, scientifique, anonyme, et rationnellement administrée du meurtre à notre époque, comme l’ont fait Auschwitz ou Hiroshima. Plutôt que de rejeter ces monstruosités ; hors du temps et hors de l’humanité, l’important est bien de comprendre comment elles ont pu se produire, comment elles se reproduisent encore afin de rester humains, face à ces horreurs inhumaines.

 

Parce que ce ne sont pas que des individus qui ont agi, mais des populations entières. Si les conducteurs de la SNCF s’étaient mis en grève, il y aurait eu bien moins de déportations !

Hannah Arendt a tenté de comprendre cela à travers sa notion de « banalité du mal ». Il ne s’agissait pas de « banaliser » le comportement d’Eichmann, mais de refuser de le voir comme une exception. Ce dernier reconnaissait avoir agi intentionnellement, mais refusait d’avouer avoir été guidé par les mobiles abjects d’un criminel habité par la haine, un homme exceptionnel par sa méchanceté. Il est faux de penser qu’il faut « sortir de l’humanité » pour faire ce qu’il a fait. Il se caractérise surtout par le fait de ne pas penser. Comme beaucoup d’autres…« Penser, c’est pouvoir se mettre à la place de tout autre » (Kant). (1)

 

L’inhumanité est fondamentalement une rupture du lien d’humanité qui nous unit, une non-reconnaissance insupportable de l’humanité en soi. Comme si je n’étais en effet plus rien (nous allons y revenir). Mon salut comme ma chute sont ainsi dans le regard de l’Autre : il a la capacité de m’anéantir, dans tous les sens. « L’enfer c’est les autres », disait JP Sartre. Au sens où il a la possibilité de faire de moi une chose ou de me tuer. Me dénier le droit à l’existence. Au célèbre procès de Valladolid, il est précisément question de savoir si les Indiens ont une âme. C’est en effet ce refus du statut d’humain qui légitime les exactions inhumaines commises par les missionnaires de l’Ancien Monde à l’encontre des Indiens.

L’inhumain nous guette à chaque fois que la violence physique ou symbolique vient rompre ce lien d’alliance: génocide, pogrome, exclusion, racket, parcage ethnique, enfant battu, viol, etc.... qui disent en quelque sorte à autrui : « tu n’existes pas, tu es totalement transparent pour moi ».

 

Qu’est-ce qui peut nous prémunir contre l’inhumain ? L’homme le plus inhumain peut se révéler le « meilleur père », le « meilleur époux », un voisin très fréquentable ...etc. Pourtant, il ne reconnait pas à tout autre la même « humanité »... qui sont jugés « dissemblables » pour une raison ou pour une autre, et, par-là, sans aucun droit.

Pourquoi, serait-il nécessaire d’avoir à justifier des droits fondamentaux, comme par exemple qu’il ne faut pas nuire aux autres ? Ne sont-ils pas évidents par eux-mêmes ? En réalité, penser qu’il est nécessaire de les « fonder » sur une valeur absolue, c’est les affaiblir, laisser croire qu’ils ne sont pas suffisamment évidents par eux-mêmes. (Ruwen Ogien).

Pour Ricoeur : ce qui finalement nous réunit par-delà notre pluralité, c’est précisément le fait d’être tellement singuliers que nous sommes insubstituables les uns aux autres.  Ce qui est commun à tous, mais qui ne se partage pas, c’est que chacun est soi. L’autre est certes mon « alter ego », mais pas du tout en tant qu’il est un « autre moi-même », mais un autre soi (Ricoeur, in « Soi-même comme un autre »).

 

Les droits de l’homme, qui revendiquent clairement un statut d’universalité, pour des droits incompressibles de l’individu, semblent se confondre avec un impérialisme culturel sans précédent sur la planète. Mais ainsi nous rejoignons une conception de la morale proche de « la morale minimale » de Ruwen Ogien, définie en quelque sorte négativement comme la « non-nuisance faite à autrui »,

Mais la morale ne suffit pas. Les droits de l’homme renvoient non seulement à une question morale, mais aussi et surtout à une question juridique et politique, nécessaires pour vivre ensemble sans trop de violence, en l’absence d’une  garantie que pourrait nous apporter l’exercice effectif de la morale… C’est le sens essentiel de la loi : nous éviter de basculer à tout moment du côté de la nuisance faite à autrui, voire de la barbarie. C’est une défense, imparfaite bien sûr, de l’humain contre l’inhumain.

 

Or être inhumain, n’est-ce pas souvent considérer que l’autre n’appartient pas vraiment à l’humanité? Et le piège dans lequel nous risquons de tomber est précisément celui qui est repérer par Levi Strauss : rejeter réciproquement au nom de sa civilisation l’autre inhumain en dehors de l’humanité, dans une escalade symétrique sans fin de la barbarie... Il n’est pas « hors humanité , mais montre la fragilité des barrières qui nous sépare de notre propre  inhumanité...

 

Le fanatisme est générateur d’inhumanité. Ceux-là sont pleins de certitudes, d’enthousiasme, de dogmatisme : ils prennent leur foi pour un savoir. Ils sont prêts, pour elle, à mourir et à tuer… Ils connaissent le Vrai et le Bien. Qu’ont-ils besoin de sciences ? De démocratie ? Tout est écrit dans le Livre. Quand toute morale se veut absolue et prétend légiférer, quand elle parle au nom de la Vérité et prétend soumettre la science ou l’économie à son propre ordre, n’est-elle pas également génératrice de barbarie ?

Tous ces mouvements communautaristes, qui naissent autour de nous, qui se veulent possesseur d’une Vérité certaine, ne sont-ils pas comme une autre forme de fanatisme ?

Or, ces humains, voulant défendre notre « humanité », ne participent-ils pas à créer un monde inhumain ?

 

Pourtant,  les humains sont capables d’instaurer une distance considérable, face aux problèmes, aux instincts, à la part de détermination biologique, aux besoins, aux lois physiques, distance qui permettrait d’adapter ce monde qui nous entoure à l’humanité, plutôt que de nous adapter à l’inhumanité.

 

L’idée qu’un être humain puisse ne plus faire partie de l’espèce humaine est une contradiction dans les termes. Et pourtant, les hommes semblent pouvoir devenir inhumains au sens moral du terme et donner ainsi l’impression que le monde qui nous entoure l’est également.

Même s’il est différent de moi et même en cas de faute, d’erreur ou d’échec de civilisation ou d’éducation, tout homme est mon égal. Et à ce titre mérite autant que moi la reconnaissance de son humanité et des droits naturels qui y sont associés. Reconnaître l’humanité en chacun est ainsi le fondement d’une société décente. C’est pourquoi Eichmann et Pol Pot ont eu droit à un procès.

 

Montrer de l’humanité, face à l’inhumanité, permet de rester humains

N.Hanar

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NOTES

1-Le mal décrit un certain type d'événements, de comportements ou d'états de fait, jugés nuisibles, destructeurs ou immoraux, et ainsi sources de souffrances morales ou physiques. Donc, le plus souvent, ce qui désigne la conséquence d’une action qui ne respecte pas soit la vie humaine, soit ce qui la permet, ou qui s’oppose aux libertés fondamentales de chacun, à sa dignité…….

Nous avons besoin de la notion de mal pour qualifier les actes de barbarie sur un enfant, ou les tortures dans les prisons des tyrans et des autocrates, tous ces abus qui nient l’humanité d’êtres humains, donc « tout ce que nous désapprouvons ou blâmons, à quoi nous jugeons avoir le droit de nous opposer légitimement ».

 

Le mal participe aux critères permettant de vivre en commun.

Tout le monde a rencontré le mythe du diable, le démon qui fait le mal pour le mal. Mais il est inhumain.

Ce mal, d’origine inhumaine, nous prépare à une définition de l’humain qui ne serait donc pas génétiquement « programmé » pour faire le mal:

Parce que comme le pense Comte-Sponville : « Le mal n’est pas en dehors de nous, comme un ange déchu et tentateur, mais en nous (…) dès que nous cessons de lui résister ». « Le mal, c'est ce qui nous empêche d'être pleinement humains,[mais] accessibles à la raison, quand nous en sommes capables [ ] ou à la compassion, quand la raison ne suffit pas. Ou Spinoza : « Quant à celui qui n'est poussé ni par la raison ni par la compassion à être secourable aux autres, on l'appelle justement inhumain, car il ne paraît pas ressembler à un homme ».

Cette position manichéenne, c’est bien ou c’est mal, c’est humain ou c’est inhumain, indifférence ou compassion, nous pousse à la conclusion, que, puisque nous sommes humains, que l’inhumain est possible « en nous », mais que nous pouvons le dominer.

 

Parce que, selon C. Lévi-Strauss : La distinction première entre le bien et le mal est liée à la nécessité pour toute société de discriminer le permis et le défendu, et notamment de prohiber l'inceste, tuer, voler, mutiler.

Bien ou Mal sont donc des jugements de valeur, des jugements d’appréciation, appliqués à ce qui est utile à une fin souhaitée par une société donnée.

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Le passé fait-il de nous ce que nous sommes ?

 

Pouvons-nous vivre sans la conscience du passé ?

 

La vie présuppose la mémoire du passé, qui perdure dans notre présent dfoù il devient impossible de se libérer dans notre quotidien, car il se conserve en nous à lfétat de réminiscence, de complexe, de culpabilité, dfimpuissance ou de tristesse et peut générer une entrave obsédante. Tout savoir pratique  implique la mémoire des règles que lfon nous a inculqué aussi bien au niveau social, professionnel qufindividuel.

Le passé peut peser sur notre vie  et sfopposer à la libre nouveauté du présent et du futur par une cristallisation des habitudes, des traditions, voire la pesanteur dfun passé mort, révolu.

La vie consciente, au lieu de fonctionner selon des comportements instinctifs, met en œuvre des processus décisionnels et techniques qui puisent dans un capital dfexpériences.

Au lieu de vivre un présent absolu, toujours renouvelé, au fil de ses perceptions et de ses actions, lfhomme vit un perpétuel chevauchement du passé, du présent et du futur. Le passé est la charnière principale qui construit lfossature qui nous soutiendra tout au long de notre vie et nous permettra dfavancer en parfaite harmonie avec nous même ou péniblement  par la seule force de notre persévérance, de notre ténacité à nous battre à tout prix et contre tout obstacle, afin dféviter de tomber dans un mimétisme qufon pu perpétuer nos ascendants. Le passé nous suit et nous accompagne dans notre chemin de vie puisque ce qui « est » et « sera » provient de ce qui a été. Dans notre quotidien, le passé peut se comparer à un poison à libération continue, paralysant ou parasitant notre existence et contre lequel il nfexisterait aucun antidote. Nous sommes et devenons le reflet du vécu des autres. Dans le flux et le reflux de nos pensées, de nos actions, le passé nous revient pour nous rappeler à lfordre quant à qui nous sommes, dfoù nous venons, ce que nous pouvons faire ou ne pas faire et nous dicte ainsi une conduite à tenir, un modus operandi. Les blessures du passé peuvent anéantir ou perturber notre construction dfadulte : les humiliations, les violences, les abandons, les manques dfamour et de protection, les errances de nos parents, tout ce que lfon a pu subir, nous désoriente et nous fait douter de nos valeurs, de nos compétences, de notre intelligence à réussir notre vie. Dévalorisé notre présent devient source de difficultés à exister et peut nous enfermer dans notre vie, nous ôtant la nouveauté vivante, cristallisant les sentiments en paralysant notre vie même. Nous devons sans cesse avancer et maintenir un esprit libre, créatif, critique avec nous même, attentif à remettre en question les acquis du passé et à les interroger. Nous vivons des tensions entre le passé, le présent et lfavenir : le passé refuge ou le passé torture.  Cfest sur ces bases plus ou moins fragiles que nous devons nous  élever, nous construire pour atteindre notre objectif. Nos acquis positifs ou négatifs sont nos seuls points de départ dans notre existence, à nous seul appartient la liberté dfen faire des alliés ou des ennemis. Si par nostalgie, nous nous réfugions dans notre passé pour y trouver des effets consolateurs ou pour édulcorer quelques instants nos turpitudes quotidiennes, force est de constater que lfeffet désiré nfest qufillusoire et éphémère alors qufune enfance, une adolescence une vie dfadulte perturbée sera omniprésente. Nous marchons dans les pas que nos pères ont gravés dans notre chair, dans notre cœur, dans notre intime de nous même, dans notre curriculum vitae.  Ce sont les stigmates du passé. Ainsi, ils ont fait de nous ce que nous sommes et nous faisons de même pour notre descendance en nous efforçant de faire mieux, en y apportant quelques variantes, comme nous pouvons avec ce que nous avons, nous faisons et bâtissons.

Nous voulons faire fi et oublier tout cet avant programme en nous réinventant constamment et en devenant nous même.

Finalement, ne retenez en vous  que ce que vous sentez, ce qui nfest véritablement qufen vous-même et faites de vous, patiemment ou impatiemment, le plus irremplaçable des êtres.     (Blanche)

 

Discussion sur :   Le passé fait-il de nous ce que nous sommes ?

 

Café philo du 3 juin 2009

 

Nous sommes le reflet du vécu du passé des autres.

Lfhomme vit un perpétuel chevauchement du passé, du présent et du futur.

- Il existe aussi le passé collectif, celui de notre histoire de notre culture c.Les pays colonisateurs ont une mentalité différente. Lfexpérience du passé est vécue de façon différente chaque nationalité à son passé.

- La fracture historique de 1970. Passé temporel et tout a changé en 70 et passe à son contraire. Changement aussi dans un même pays. Tout le monde nfa pas la même capacité dfadaptation et on ne peut sfadapter à tout

- Passé individuel, passé collectif et passé historique se renouvellent sans cesse. Il existe des passés conscients et inconscients.

- Les enfants nés sous X ont un vide dans la vie ils sont en permanence à la recherche de leur passé. Importance rassurante de connaître nos racines.

- Toutes les expériences importantes de la vie (école, armée boulot) nous forment et font ce que nous sommes.

- On réécrit nos passés individuels ou collectifs.

- Les regards sont différents sur la vie quand on interroge son passé.

- Le passé nfexiste pas : cfest un présupposé intellectuel

- Le passé est une notion de temps et dfhistoire. Le passé existe cfest une énergie qui a été vivante il y a un certain temps, et qui a donné nos civilisations. Nous continuons à construire sur cette base. Le Passé est nous. On le touche par la conscience et lfinconscience. Dans la mémoire, lfoubli est grand fruit dfespoir.

- Pour Comte-Sponville, le passé est ce qui fut est qui nfest plus, mais puisqufon lfévoque il est présent.

- Il existe une mémoire phylogénétique. Il existe des substances qui modifient  nos facultés mnésiques ; comme  lfergot de seigle, alcaloïde proche du  LSD. Notre passé est imprimé dans notre cerveau, dans nos fibres musculaires, dans notre sangc

- La façon de traiter le sujet est-elle ontologique ou psychologique ? Sommes-nous notre passé ? C'est-à-dire sommes nous ce que nous ne sommes plus, permanence et impermanence de lfêtre ?

Pour Parménide seul lfêtre compte.

    Pour Héraclite ce qui compte cfest lfimpermanence.

    Pour Platon cfest la synthèse des deux.

Pour Aristote il nfy a pas deux mondes mais les deux sont en acte et en puissance.

Comment les choses  peuvent elles être et ne pas être ?

Cette interrogation sfexplique par le concept de Nature.

Pour Sartre lfexistence précède lfessence. Lfhomme est le produit de son passé, mais il nfexiste que dans lfavenir.

Que disent les sciences ? Nous sommes mémoire et projection dans lfavenir. Ces deux développements sont symétriques. Plus notre avenir est lointain, plus lfhorizon est trouble car le passé ne peut plus lfappréhender. Passé et avenir sont en constante interaction dynamique et la fragilité de la mémoire favorise la souplesse de la projection dans lfavenir.

Dans la mythologie grecque, Épiméthée, imprévoyant avait pourvu tous les animaux, laissant lfhomme dans sa nudité et sa vulnérabilité. Prométhée, le prévoyant, a dérobé le feu aux dieux pour lfoffrir aux Hommes. Cfest par cet acte mémorable que les hommes pouvaient devenir égaux des dieux en leur permettant de prévoir lfavenir.

Nous sommes notre passé mais comme ressources et comme imagination de lfavenir.

 

- Dfun point de vue psychologique, il existe deux sortes de passés. Le passé collectif qui sfassume par la culture et le passé individuel marqué par le poids de nos histoires. Comment se libérer de ce poids ? Comment peut-on désinhiber sa mémoire ?

- Le passé collectif cfest le marxisme dont le poids est la 2èmeguerre mondiale qui durait encore dans les années 50. Ce qui importe cfest le passé individuel.

- Il est nécessaire de prendre de la distance, de relire son passé mais surtout sans se bloquer dessus.

- La philosophie nfest pas suffisante pour améliorer notre vie.

- Le passé a-t-il un contenu ou est ce seulement des lois ; impermanence des lois qui font ce que nous sommes.

- Il ne faut pas être totalitaire !

- Passé et liberté dfaction ? Il nfy a que du passé partout. La conscience utilise le passé et les acquis qui permettent de prendre de la distance et de nous arranger un peu de liberté.

- Sommes nous façonnés par notre passé ? Causalité et liberté ? Nous sommes dans des plans des plans différents, déterminés par notre passé et notre futur. Se projeter vers un but nous détermine aussi. Le passé agit comme un lest qui peut nous stabiliser ou nous faire couler. Faire des choix, prendre du recul face au déterminisme, cfest la liberté, et le sujet peut alors se connaître lui-même. Le sujet nfest pas forcément une substance mais peut être aussi une action.

- Passé : action morale entre déterminisme et liberté.

Liberté par degrés pour Aristote, par étape pour Hegel, absolue pour Descartes  et Kant.

Liberté à lfintérieur des contraintes du passé. Lfêtre humain est libre projet dfexistence. Liberté relative ou absolue la philo ne dit rien.

-  Et la science ? Lfhomme est comme le monde un mélange de déterminisme et  de hasard. Le ressenti de liberté est psychologique, les choix que nous faisons parmi des options déterminées sont appropriés par notre cerveau dans une auto cohérence et une auto justification. Le cerveau cherche à maintenir des représentations cohérentes. Le cerveau consolide ainsi la représentation du monde qufil sfest fait par ses choix. Les représentations sont réajustées en permanence. Nous nous ressentons libres mais nous sommes déterminés et aléatoires.

- Nous ne connaissons pas notre avenir car nous ne savons pas ce que le passé nous réserve. Le passé dfun pays est fondamental pour la compréhension de lfêtre.

- Les émissions télévisées à thématique historique remontent rarement avant 1914.

- Nous sommes venus du passé. Notre conscience est une accumulation dfhistoire de la physique, de la médecine de la chimiec.  lfhomme est qualitatif et quantitatif. Le passé parle en moi. La base, ce nfest pas le néant, cfest le passé. Notre époque est composée c.dfun passé composé. Quel est la passé qui continue ? Quel est le passé qui fait la rupture ? Avec les leçons dfhistoire, on peut évoluer.

- Peut-on relier liberté et passé ?

- Nous nous sommes trop écartés du sujet qui est le lien entre le passé et lfindividu. Liberté et déterminisme sont intéressants mais pas pertinent pour ce sujet.

- On sfest éloigné du sujet car on nfa pas fait le choix entre passé individuel et collectif.

- Les deux sont liés, il existe des interactions entre les individus et la société.

- Si on ne peut vaincre son passé alors il vaut mieux lfoublier.

- Le cumul dfinformation du passé est dans nos chromosomes. Il faut faire la différence entre bavardage philosophique et discours sur la philosophie.

- Ce qui actualise le passé ce sont les souvenirs qui ont un socle solide mais qui se reconstruisent avec notre présent. Le passé nfest donc pas absolu car réactualisé donc polarisé.

- Lfémigration conduit à un oubli du passé qui revient en force dans certaines circonstances.

- Le passé nfest pas un bloc.  Il se conjugue au passé simple au passé composé, à lfimparfait, au plus que parfait et au passé antérieur.

-  Interpréter le passé ce nfest qufune interprétation dont il reste des traces dans le présent.
J'ai raconté à Yves Coppens l'histoire suivante :

- Après le vol de deux camions qui transportaient des carottes pour l'un et des cigarettes pour l'autre, on, demande au policier qui enquête:
- Etes vous sur une pistes ?
- Oui, nous recherchons un lapin qui fume......
N'avons nous pas la même attitude en interprétant les vestiges du passé que nous retrouvons ?

- Nietzsche : question de lféternel retour ? Comment sommes nous aptes à saisir notre propre liberté ? Le poids du passé est dans lféternel retour. La liberté cfest son propre recul par rapport au passé.

- Il existe un passé qui nfest pas équivoque sur notre présent, le passé opératif dont nous ne sommes pas responsables. Exemple : celui qui a pollué lfeau du Rhin il y a 20 ans et celui qui la boit aujourdfhui.

- Le passé peut être pesant sur les générations suivantes mais quand il est critiqué, expliqué, digéré, il peut alors devenir positif.

 

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ESSAI : « POURQUOI ECRIRE DE LA POESIE » ?

 

J’hésitais entre commencer par parler de mon expérience personnelle en tant que poète amateur avant de développer le sujet à partir des connaissances que nous possédons sur la poésie, ou de faire la démarche inverse.

 

Finalement je vais commencer par quelques idées générales, tout en sachant que mon exposé est très incomplet, vu l’ampleur du sujet

 

Intro : d’abord pourquoi écrire ?

Selon Sylvie Fabre G (professeur de lettres née en 1951 à Grenoble) 

«  Ecrire c’est accéder à la présence, aux présences qui nous entourent, choses ou êtres, vivants au morts et les faire exister. C’est mettre, à côté de notre vie, une autre vie qui l’éclaire, sans séparation ».

 

Alors pourquoi écrire de la poésie plutôt que de la prose

 

1° Qu’est-ce que la poésie ?:

a) « c’est l’art du langage visant à exprimer ou à suggérer par le rythme (surtout le vers) l’harmonie et l’image » (dico Le Robert)

« C’est l’art de produire une oeuvre esthétique qui répond à un besoin de l’esprit, en dehors des besoins biologiques, recherche du beau sensible que l’on peut partager mais dont on ne peut discuter ».

 

b) Selon Henriette Major (écrivaine et poète)

« L’on écrit des poèmes d’abord pour soi, pour exprimer sa joie, pour s’approprier le monde qui nous entoure et le célébrer. Par la suite, on voudra peut-être partager avec d’autres le résultat de son effort ».

 

2° °Platon et la poésie :

extrait de « l’Anthologie de la Poésie française » de G.Pompidou :

« Homère, Platon, le site de Delphes débordent de puissance poétique – Aristote et Cicéron n’intéressent que les spécialistes. Don Quichotte et La Divine Comédie, le Théâtre de Shakespeare, le roman de Dostoïevski sont parmi les œuvres les plus riches en poésie… »  

 

extraits de : « Platon et le logos (parole) poétique » - mémoire de maîtrise OVERKANT :

Précision : Le logos de Platon et des stoïciens = ordonnancement cohérent du Monde autant que du discours : la poésie pourrait être le reflet de l’harmonie du Cosmos-Logos, harmonie à laquelle auraient accès certains et pas d’autres… mystère

 

« … il n’y a pas, selon Platon, d’opposition massive entre POESIE et PHILOSOPHIE ; Concevoir une telle opposition, ce serait méconnaître la suprême beauté du logos philosophique et, partant, légitimer la virulence de ceux qui n’y comprennent rien et le dénoncent comme émiettement du langage… »

 

« …le philosophe doit sans cesse revenir sur ce qui a été dit, qu’il s’agisse d’une citation poétique, de son propre logos inspiré, ou de n’importe quelle doxa* exprimée par telle personne absente ou présente.

 (* doxa : ensemble – plus ou moins homogène – d’opinions confuses, de préjugés populaires, de présuppositions généralement admises et évaluées positivement ou négativement sur lesquelles se fonde toute forme de communication)

 

3° Poètes du 19e siècle :

Baudelaire : la poésie n’a pas d’autre but qu’elle-même et ne peut en avoir d’autre 

Verlaine, de la musique avant toute chose

Rimbaud : évasion par le langage et non dans le langage

 

A la joie, il faut rajouter peine, souffrance qui sont nécessaires au poète pour écrire ses poèmes.

 

Nerval : la fuite – le lyrisme douloureux après la mort d’un être cher

Musset : amour brisé (« Les Nuits »)

Victor Hugo : deuil – se rend sur la tombe de sa fille (« Demain dès l’aube »)

 

4° Poètes du 20° siècle

Ils écrivent pour les mêmes raisons (joie, peine, hymne à la nature, sentiments)

Le langage est affecté par l’influence du monde moderne, mais l’esprit nouveau n’exclut pas la nostalgie de l’ordre et des thèmes poétiques traditionnels (APPOLINAIRE – « L’esprit nouveau » (1912) et « La jolie rousse »(1918)

 

5° Mon point de vue personnel en tant que poète amateur :

Pour moi écrire c’était un moyen d’affronter la souffrance causée par la perte de mon mari en 2002. Une façon de survivre.

Mais pourquoi sous forme poétique ?

Un mot a une couleur, une mélodie ; il nous entraîne dans l’imaginaire

Il y a tout ce qu’on dit et tout ce qu’on ne dit pas, mais qui est suggéré

C’est aussi un hymne à la nature, aux sentiments (joie, peine, espoir)

 

On écrit de la poésie pour décrire les choses (situations, nature)

                                pour dire ses tripes (oser le dire)

                                pour évacuer un trop plein (de joie ou de souffrance)

On écrit aussi pour se prouver quelque chose

 

Si j’ai écrit de la poésie, c’est simplement pour l’amour des mots. J’avais cette richesse en moi (depuis très longtemps sans doute) et la mort de mon mari a été le facteur qui a déclenché mon écriture.

 

Après sa mort des évènements ont fait que je me suis sentie « soutenue » par le ciel et j’ai véritablement commencé à avoir la foi…

 

Dans une lettre écrite à Henri Lemaître en 1937, Paul CLAUDEL dit : « L’esprit essentiel de ma poésie… est le gaudium de veritate (la joie que donne la vérité). C’est une grande découverte que celle de Dieu et le monde sans Dieu est non seulement incomplet mais réduit à l’éparpillement, au non-sens et au néant… »

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IL FAUT SE POSER LA QUESTION : en quoi ces expériences individuelles douloureuses, voire d’esthétique et d’évasion, peuvent avoir une portée générale philosophique quant à la condition humaine et alimenter la réflexion ?

 

- la poésie pour elle-même, un luxe de riche ou une libération ?

- un désir de donner du sens

- la poésie, un acte créateur qui reste mystérieux ou obscur, tant pour l’auteur que pour le lecteur

- la poésie, un génie sans mérite ou une activité laborieuse sur le langage ?

- poésie et philosophie

- la beauté, un acte de magicien, de sorcier ?    

 

Elisabeth

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 Les transformations silencieuses (13 mai 2009)

 

« On ne voit rien. Pourtant, heure par heure, jour par jour, tout change. L'enfant grandit, le corps vieillit, la montagne s'érode, le climat change, ou bien le couple, lentement se délite.

Ces modifications minimes et constantes, inaperçues mais essentielles, forment le cours du monde et la trame de l'existence. Elles progressent à bas bruit, partout présentes, invisibles toutefois, à force d'être minimes et graduelles. "Un beau jour", comme on dit, le résultat saute aux yeux, avec la soudaineté apparente et trompeuse d'un événement nouveau : cet amour est mort, la planète est en danger, je suis vieux, l'enfant est grand. Comment cela s'est-il fait? Sur le coup, nous voilà pantois: nous voyons soudain ce qui était là, patent, en-dehors pourtant de notre regard. » Article de Roger-Paul Droit dans Le Monde du 03-04-09.

Les transformations silencieuses sont difficiles à saisir pour la métaphysique européenne. Depuis les Grecs, l’Occident a privilégié les délimitations : il pense par arêtes vives, par bords tranchés, par formes nettes, par « idées claires et distinctes » comme disait Descartes d’où sa difficulté à concevoir les transitions, le passage graduel d’une forme à une autre.

La transition fait trou dans la pensée européenne. Platon nous dit que, soit je suis assis, soit je marche, ou c’est l’un ou c’est l’autre, et je ne puis participer en même temps à l’un et à l’autre ; ou ni à l’un ni à l’autre : être ni mû ni immobile. Platon s’en tient à la séparation étanche des deux temps, de l’avant et de l’après, Entre les deux que se passe-t-il ? Platon suppose un instant « hors du temps », qui ne soit ni d’un temps ni de l’autre. De la même manière, la neige qui fond est encore de la neige, mais n’en est déjà plus Comme Platon, Aristote ne peut penser l’entre en tant qu’entre. L’être ne peut être pensé que comme distinct et déterminé. Penser l’indistinct de la transition serait faire disparaître la forme-essence qui est aussi son discours – raison, de quoi le réel tient sa consistance pour ces deux auteurs. Le parti pris de l’Etre, de l’identité stable se trouve mis en défaut par ce qui transite, mue ou flue.

Ces transitions incessantes sont pourtant au cœur de la réalité. La pensée chinoise leur accorde une place centrale.

Elle conçoit l’existence comme une transformation continue. C’est à travers la modification que la continuation demeure active et qu’elle perdure. Le point de vue développé en Chine n’est pas celui de l’essence et de l’identification, mais de l’énergie investie dans le déroulement des choses. Par exemple dans le cas d’une transition littéraire, on passe d’un paragraphe à l’autre en rompant avec ce qui précède et en poursuivant avec cette rupture une pensée qui se prolonge pour se développer. Ce blanc laissé au sein du texte n’est pas vide, mais au contraire le lieu fécond où, sans plus qu’on écrive, du texte continue d’avancer.

Quand on est dans une barque et qu’on lève un instant les avirons, tel est l’art de la transition. On ne pagaie plus, le mouvement de ramer - d’écrire est interrompu, mais le bateau est porté et poursuit sur sa lancée.

Dans cet horizon disparaissent certaines interrogations majeures de la pensée européenne : la question du commencement (aucun début au vieillissement, pas plus qu’au cycle des saisons), celle du but (la transition ne vise pas le résultat comme un objectif à atteindre), ou même celle du temps. La culture chinoise est attentive aux datations exactes, mais pour autant, elle n’a jamais cherché à thématiser «  le temps » comme notion générale et unique. Est-ce pour cela que l’Occident, incapable de rendre compte des transformations silencieuses, a créé cette grande abstraction ?

François Jullien, philosophe et sinologue, nous invite à ne pas envisager la diversité des cultures sous l’angle de la différence, mais sous l’angle des écarts. «  L’écart promeut un point de vue qui est, non plus d’identification, mais d’exploration : il envisage jusqu’où peuvent se déployer divers possibles et quels embranchements sont discernables dans la pensée. …Le moindre écart perçu, entre cultures, et qu’on fait travailler, ouvre plus largement le compas, prospectif comme il est, ou déplie l’éventail. Il fait paraître une faille, enfonce un coin, dans cet insoupçonné, celui du préalable de la pensée (pré-notionné, pré-catégorisé, pré-questionné..), tellement plus résistant, parce que tapi plus en amont, que ces fameux « pré-jugés » qu’incrimine la philosophie- ou comment prendre du recul dans son esprit ? ».

Ainsi, nous croyons, par exemple, le plus souvent que l’histoire se construit par des dates clés, et la politique par des événements - révolutions, ruptures, grands ébranlements. Prendre en considération les transformations silencieuses fait voir autrement le paysage : ce qui émerge sous forme d’un « événement » - unique, radical et brusque – ne serait-il pas le résultat d’une longue et lente accumulation de transitions infimes ?

 

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philo nature

PHILOSOPHIE DE LA NATURE

 

L'objectif de ce bref exposé est de solliciter une réflexion sur la nature en tenant compte à la fois des principaux acquis de la tradition philosophique et de ceux de la science moderne.

Essayons d’imaginer quelques-unes parmi les nombreuses transitions qui nous ont conduits de l'idée classique de la nature, liée au mécanicisme, aux conceptions contemporaines.

Aujourd’hui, la question - qu’est-ce la nature ?- prend une envergure gigantesque, car la nature ne consiste pas seulement dans l’environnement « naturel » ou « vivant », tel que l’ensemble des plantes ou des animaux que nous pouvons immédiatement observer et qui nous entourent dans l’écosystème. L’immensité de l’univers constitue notre nature environnante.

Pour connaître « la » nature nous devrions nous introduire dans plusieurs domaines scientifiques fondamentaux, tels que la mécanique classique ou la mécanique quantique (= mécanique interne de l’atome avec ses fonctions d’onde), et l’astronomie (considerée dans le passé « plus science que toute autre »), complétée actuellement par la cosmologie. Les sciences modernes de la nature dépassent notre entourage direct : elles nous font bondir jusqu’aux fins fonds de l’univers.

Là se posent des questions fondamentales que les philosophes se sont toujours poséees : - le temps a-t-il commencé ?

- qu’y avait-il auparavant ?

Autrefois métaphysiques, ces questions sont devenues physiques et scientifiques : elles préoccupent aujourd’hui physiciens, astrophysiciens, astronomes et cosmologues.

Toutefois la philosophie de la nature consiste en une approche ontologique* des êtres naturels et de la nature comme totalité, qui tient compte, tout en les dépassant, des apports des sciences de la nature. (*= approche qui étudie les propriétés générales de tout ce qui est.)

Avant d’aborder un aspect très actuel de la philosophie de la nature, voici un très bref aperçu des grandes lignes historiques de cette même philosophie.

N’oublions pas que le concept de nature est une notion polysémique, à multiples sens et que notre exposé sera donc forcément d’une ampleur très limitée.

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La philosophie naturelle ou philosophie de la nature, connue en latin sous le terme philosophia naturalis, est une expression qui s'applique à l'étude objective de la nature et de l'univers physique telle qu’elle régnait avant le développement de la science moderne dont le début est inauguré par Galilée et ses fondements de la physique mécanique.

- Un ex. très éclairant : Galilée prétend que la glace flotte parce qu'elle est plus légère que l'eau, alors que les aristotéliciens pensent que c'est dans sa nature de flotter. (Physique quantitative et mathématique de Galilée contre physique qualitative d'Aristote).

Ses découvertes astronomiques derivées des observations de Copernic diviseront le monde chrétien en deux camps inconciliables : celui des héliocentristes (Galilée) et celui des géocentristes (Aristote).

Traditionnellement alliée à la théologie naturelle, la philosophie naturelle désignait autrefois l'ensemble des sciences astronomique, physique, chimique et biologique.        La philosophie naturelle se distinguait de la philosophie morale, qui désignait non seulement la morale et l'éthique, mais aussi la théorie de la connaissance, la psychologie, la politique, l'esthétique, etc.

Parménide. La question de la Nature est posée par les philosophes présocratiques sous l'angle de la question de l'être. Parménide (Ve siècle av. J.-C.) est la figure marquante de cette approche.  Son affirmation célèbre: « l'être est, le non-être n'est pas »[] pose la Nature comme ontologiquement intangible et éternelle. En effet : le non-être ne pouvant, par définition, être, comment l' être pourrait-t-il provenir de ce qui n'est pas ?                      -   Avec d’autres mots: comment peut-il y avoir quelque chose à partir du néant ?.

Cette affirmation, reposant sur une vérité logique fondamentale, pose néanmoins la difficulté de l'appréhension de la Nature que nous avons par l'expérience: celle-ci est en effet gouvernée par le changement, la naissance et la mort, et donc par le passage d'un être au non-être.

Pour Héraclite et pour Platon, au contraire, l’être est éternellement en devenir. Tout se meut sans cesse: nulle chose ne demeure ce qu’elle est, et tout passe en son contraire. Ce qui vit meurt, ce qui est mort devient vivant.

Aristote dans son ouvrage La Physique initie en effet l'approche métaphysique de la nature. Pour lui la connaissance de la Nature consiste à connaître non pas les éléments (comme l'eau, la terre, le feu et l'air) mais ses principes qu’il appelle les causes premières.

Il s'agit de dépasser la connaissance de la nature telle qu'elle se donne à nous, en essayant de déterminer ses fondements.

Descartes cherche à expliquer l'enchaînement et le développement du monde conformément aux lois générales de la nature; de même il cherche à expliquer l'organisme et la vie organique d'après des lois purement mécaniques. Comme l'astronomie, la physiologie est une science mécanique qui fait abstraction de la psychologie. Le corps humain est composé de parties matérielles qui agissent conformément aux lois de la chaleur et du mouvement.   

                                     

Cette conception se trouva empiriquement vérifiée, lorsque William Harvey découvrit en 1628 la circulation du sang.  Harvey fut au premier rang parmi les fondateurs de la science moderne de la nature; il fut pour la physiologie ce que Galilée fut pour la physique. Il donna le coup de grâce aux forces mystiques dans le domaine de la physiologie, en démontrant que le mouvement du sang n'est pas dû à sa propre force où à la force de l'âme, mais qu'il est dû à la contraction du cœur qui le refoule dans le corps.

Mais suivons encore Descartes. Quant aux animaux, nous sommes forcés d'admettre que toutes leurs fonctions et toutes leurs actions se font de cette façon involontaire et mécanique. Nous n'avons pas de raison pour leur attribuer une âme.                                                                                                    Si l'agneau fuit à la vue du loup, c'est que les rayons lumineux qui du corps du loup frappent l'œil de l'agneau, mettent ses muscles en mouvement au moyen des courants «réfléchis» des «esprits animaux». Descartes soutient donc que les animaux sont de simples machines pour la simple raison que sans cela il faudrait leur attribuer l'immortalité, — et une huître serait-elle immortelle ?

Il en est autrement de l'homme. La conscience qui se manifeste en chacun de nous, nous force à admettre l'existence d'une âme, d'une substance pensante qui est en réciprocité d'action avec la substance matérielle, avec la faculté d'exercer une intervention régulatrice dans les mouvements des «esprits animaux».

 

En quoi peut-on dire que les animaux n’ont pas d’histoire ?

En ce que, comme le montre Rousseau, dans son « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes », un animal ne saurait s’affranchir de ce qu’il est déterminé à accomplir, alors que l’homme se distingue par sa capacité à se défaire de toute détermination. Il y aurait, dans cette perspective, une nature animale, parfaite, sans histoire, toujours conforme à ce qu’elle doit être, et une culture humaine, née de l’indistinction première de l’homme, principe de sa liberté et de son exil, source de progrès comme de corruption.

 

Hegel enfin, a dédié des années à l’étude des rapports qui existent entre les sciences de la nature et  la philosophie de la nature, entre empiricité et logique.

 

Pour lancer le débat je vais aborder l’un des grands chapitres de la philosophie moderne, à savoir l’écosophie. L’ un des penseurs les plus pointus sur ce sujet a été certainement le philosophe norvégien Arne Naess qui vient de mourir il y a quelques mois. C’est le fondateur de la deep ecology, de l’écologie profonde.

De quoi s’agit-il ?

La terminologie "éthique", si dominante aujourd'hui (bioéthique, nanoéthique, éthique environnementale, éthique animale…), risque souvent d’enfermer la pensée et le débat dans une approche "morale" : que devons-nous, que pouvons-nous faire ? Qu’interdire ? Comment codifier nos pratiques dans le droit ? Une telle approche, pour utile qu’elle soit, accentue la dimension de l’arbitrage, qu’il soit individuel ou collectif.
C’est à bien plus qu’un arbitrage que Naess nous invite, quand il suggère de repartir de notre "expérience du monde".

Ainsi, l’éthique ne doit pas être première mais dérivée.

C’est en cela que Naess nous livre une véritable philosophie, mais aussi peut-être une religion, deux termes qui décrivent d’ailleurs souvent à part égale son projet. Ainsi, affirmant le principe d’un "égalitarisme biosphérique", c'est-à-dire "l’égalité du droit de toute créature à vivre et à s’épanouir", droit valant pour l’humain ou le non-humain, Naess écrit : "L’écologiste de terrain acquiert un respect profondément ancré, même de la vénération, pour les modes et les formes de vie."  Ce respect pour les formes de vie constitue une expérience fondatrice de la réflexion écologique.

 

Sa réflexion oppose "l’écologie superficielle" à « l’écologie profonde »

« L’ écologie superficielle » est simplement préoccupée de prévenir l’épuisement des ressources ou de maintenir la santé, mais aussi l’opulence de quelques minorités privilégiées.  

« L’écologie profonde » exige au contraire une rupture avec l’idéologie de production et de consommation et surtout un changement de perspective: cesser de chercher à comprendre "notre place dans le monde", mais prendre en vue le tout, s’ouvrir à "une vision de champ total".

L’homme doit urgemment changer la façon de se penser et cela changera son comportement.

Il est invité à développer "une approche nouvelle, dans laquelle soit comprise la nécessité de proclamer des valeurs, et pas seulement des faits’". Il propose une transition de l’écologie à une écosophie.

Et quand il parle de valeur il fait allusion aus valeurs intrinsèques de toute forme de vie.

 

----   (petite histoire du biologiste qui a réussi à sauver d’extinction le petit poisson « inutile » du désert.  Et quand on lui demanda : mais pourquoi ? à quoi est-il bon ?       il répondit : et vous êtes bon à quoi ?)      ----

 

La philosophie de Naess prône très nettement un geste fondamental de rupture avec l’anthropocentrisme, sans pour autant sous-estimer la singularité de l’espèce humaine. La singularité de l’humain lui donne incontestablement une place à part.         Simplement, celle-ci ne doit pas s’exprimer comme droit de conquête, de maîtrise et de maltraitance, mais comme un appel à "assumer un genre de responsabilité pour sa conduite envers les autres": l’humain  est donc central, « garant d’ une prémisse du soin universel que les autres espèces ne peuvent pas comprendre ni apporter. »

 

La Musique ! Nous savons tous par expérience personnelle que la perception esthétique d’une ligne musicale ou plus simplement, le plaisir que nous ressentons en écoutant une belle mélodie réfute les frontières entre pensée et émotion.       

Eh bien voilà que cette expérience courante et spontanée dans notre vie, aux yeux de Naess devrait être le modèle même de notre perception de la nature.

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Arne Naess : Ecologie, communauté et style de vie (Ed. MF)


Le commentaire de Jean Luc
Parler de philosophie de la nature peut sembler paradoxal. La philosophie est la recherche d'une vie si possible équilibrée et harmonieuse, la nature, c'est-à-dire ce qui est extérieur à l'Homme, ne tend vers rien, n'a vraisemblablement aucune finalité, se contentant d'être. N'exprimant rien, n'étant qu'une suite infinie de séries causales, ses phénomènes manifestant ces relations causales strictement logiques mais totalement indifférentes à la condition humaine.
Cependant la nature ne s'oppose pas au genre humain, puisqu'il en fait lui-même partie; d'ailleurs ne parle-t-on pas de la nature humaine dont l'une des spécificités est d'avoir été capable de s'extraire de l'état de nature pour devenir un être de culture. L'Homme est certes, de par sa capacité de raisonner, de penser, d'agir rationnellement, un reflet de la nature physique et de ses logiques propres, logiques qui naturellement ne doivent rien à l'Homme. Cependant, l'épopée humaine n'est pas qu'une suite de structures causales. Par son vouloir-être, il donne sens à sa vie, se crée une histoire, une identité, un destin, toutes choses qui le distinguent des autres êtres vivants dont une simple classification par espèce et par genre suffit à rendre compte.
Ainsi ne serait-il pas plus approprié de parler d'une philosophie de l'existence plutôt que d'une philosophie de la nature, dont la science suffit à constater ce qu'elle est?

 

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La forme est périssable, mais sa racine est éternelle ( Luca)

 

Ogni forma che vedi ha il suo Tipo supremo nell’Oltrespazio:
se la forma scompare, non temere: la sua radice è eterna.
Ogni immagine che vedi, ogni discorso che ascolti
non penarti quando scompare, chè questo non è vero.
Poiché eterna è la fonte, i suoi rami scorrono sempre,
e poi che ambedue mai cessano, inutile è il lamento”

"...se la forma scompare, non temere: la sua radice è eterna".
Djalal-al-din Rumi le grand mystique persan, fondateur de l'ordre des derviches tourneurs est né à Balkh, une ville au nord de l’actuel Afghanistan.

La phrase qui nous intéresse est au début d’un  poème dont le titre est : « Evolution » et qui nous dit que toute forme qu’on voit atteint son état suprême au delà de son apparence et donc : « si la forme disparaît, ne crains rien, sa racine est éternelle ». Le poème est une sorte de longue méditation sur les changements et conclut ainsi : « Si ton corps est vieux, que crains-tu, si l’âme est jeune ? »

La phrase « si la forme disparaît, sa racine est éternelle » a été utilisé par l’artiste Mario Merz dans plusieurs de ses œuvres. Mario Merz était étroitement lié à la naissance de « l’Art pauvre » paru sur la scène de l’art à la fin des années 60. Ce courant revalorisait des matières et des énergies primaires et naturelles, combinées dans des installations de grand impact anti-formel.  Dans l’une de ses œuvres Merz a réalisé cette phrase en pliant un tube de néon et en le plaçant à hauteur d’homme sur un muret de briques presque totalement recouvert  de lierre,  qui peu à peu s’approprie de l’œuvre même. La nature et l’artifice se rejoignent.

Merz a su conjuguer l’aspect sensoriel et celui conceptuel de sa vision de l’art qui semble vouloir faire surgir les racines d’une culture qui n’a pas de limites de temps et d’espace, mais qui depuis toujours ferait partie de l’homme.

En d’autres mots : cette phrase nous rappelle que l’art est porteur d’une énergie vitale. La mémoire des œuvres, même si elles ont été détruites ou se sont perdues dans le temps, est encore présente grâce à la puissance des idées qu’elles contenaient.

Nous pouvons aussi essayer de mieux  saisir le sens de notre sujet en pensant a l’art des vitraux, animés par la lumière. L’art du vitrail se singularise par des méthodes de fabrication qui n'ont quasiment pas évolué depuis son apparition en Egypte et en Orient, il y a environ 2 500 ans. Utiliser couleurs et lumière afin de "diriger la pensée des fidèles par des moyens matériels vers ce qui est immatériel", c’est ainsi que l'abbé Suger,  conseiller des rois Louis VI et Louis VII, qui commanda les vitraux de la basilique Saint Denis en 1144, définissait la fonction du vitrail religieux, symbole de la lumière sacrée et de la transcendance du divin.

Le vitrail, plus que toute autre création artistique visuelle, ignore la réduction bi-dimensionnelle de la peinture et de la photographie, mais aussi celle tri-dimensionnelle de la sculpture. La lumière du vitrail se diffuse au delà de la matière qui le génère. Ses projections nous permettent de  traverser cette lumière en constante mutation, de nous y trouver soudain dedans, en quelque sorte de nous y baigner :  c’est un peu ce qu’il se passe par ailleurs pour la musique.

Suivant les heures du jour et les saisons l’éclairage change et les couleurs des vitraux et leurs projections suivent docilement  ce destin. Le vitrail se pose dans la totalité de sa présence dans l’espace et dans le temps, plutôt qu’à travers ses arguments thématiques et formels.  Au coucher du soleil le faisceau lumineux disparaîtra (la forme aura donc disparu) mais sa racine sera toujours présente.
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Essayons maintenant d’élargir la réflexion au delà de l’art.

La forme est vouée à l’usure et à l’obsolescence, elle est crucifiée par l’espace et le temps. En naissant nous passons d’une forme invisible à une forme visible qui se transforme tout au long de notre vie  pour redevenir invisible à notre mort.

Depuis les débuts de la Renaissance  beaucoup de penseurs et même des théologiens conçoivent un homme non plus triple – corps, âme, esprit - mais duel, composé seulement d’un corps et d’une âme-psyché, un homme coupé de sa racine de vie qu’est l’esprit. Depuis les choses ne se sont guère améliorées : avec la modernité se dessine la vision d’un homme fait de matière, un homme amputé de l’esprit et souvent aussi amputé de l’âme, qui, en termes philosophiques est la conscience. Aujourd’hui, pour certains, la conscience et ses états ne sont que le sous-produit de l’activité neuronale et donc l’homme est né du hasard et totalement fait de matière. En quelque sorte « la forme pour la forme » et stop.  Notre phrase devrait alors changer, du style : « si la forme disparaît, tout aura disparu. »

Depuis plus d’un siècle notre société est construite sur la domination de la matière, de la forme, du quantifiable et pour finir du virtuel. Nous pensons qu’il n’y a rien en-dehors de ce monde physique que nous croyons connaître. Pour nous enrichir nous avons tout misé sur le calcul (« homo economicus »)et délaissé la réflexion philosophique.  Le problème quand on a tout misé sur la forme, c’est que cette forme, comme nous l’avons déjà vu, est vouée à la mort, donc à disparaître..  

Pour savoir ce qu’est la mort il faut savoir ce qu’est la vie. Or, la vie, ce n’est pas seulement consommer, être reconnu, paraître, affirmer son individualité. Avant tout cela,  la vie est une énergie qui se manifeste selon deux polarités, esprit et matière.  L’esprit, c’est l’énergie de la vie à son plus haut niveau.     La matière c’est la même énergie mais à un autre (plus bas ?) niveau. Avec la rencontre de l’esprit et de la matière apparaît  la conscience. Les noces de la forme et de l’esprit, reconstituent l’unité première qui a été séparée.

C’est l’alchimie permanente de la vie.

Lorsque je nourris la forme et la matière je nourris la mort. Puisque la mort ne concerne pas l’esprit, quand je nourris l’esprit je retrouve la  vie dans sa racine, qui est éternelle.

                            Dschelal-ed-din Rumi spricht

 Verweilst du in der Welt, sie flieht als Traum,

du reisest, ein Geschick bestimmt den Raum;

nicht Hitze, Kälte nicht vermagst du festzuhalten,

und was dir blüht, sogleich wird es veralten.
Goethe

 

Par Luca

 

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subjectivite

La subjectivité


Alors que la conscience, faculté par laquelle il nous est possible d’acquérir certaines choses comme la connaissance de soi et de son environnement, le savoir, l’art de raisonner et de comprendre, est commune à tout homme, il semble cependant évident de dire que s’il était possible d’imaginer 2 individus qui auraient acquis très exactement les mêmes  connaissances et auraient eu exactement le même vécu, ils n’auraient certainement pas une perception identique ni d’eux-mêmes ni du monde. Qu’entre  eux et eux-mêmes et eux et le monde, il y a comme un filtre qui reformule la perception du monde, la perception de soi et l’usage que l’on peut faire du savoir acquis. Ce filtre, qui est la subjectivité, ne semble pas relever du domaine de la connaissance,  puisqu’elle est ce qui rend l’interprétation de la connaissance possible et  en conséquence sa valorisation; car à quoi nous servirait-il de connaître s’il fallait se satisfaire de la connaissance brute, sans application possible ? De même, on ne peut la catégoriser comme une perception puisqu’elle est ce par quoi l’interprétation de la perception est possible et enfin elle ne saurait se dissoudre dans une simple conscience de soi, puisqu’elle semble être ce qui permet que l’on se reconnaît :
-    dans une idée, ce qui débouche sur la croyance en la vérité de cette idée,
-    dans une personne, ce qui débouche sur le sentiment amoureux, 
-    dans une œuvre d’art, ce qui débouche sur l’émotion esthétique
-    ou plus prosaïquement, ce qui nous incite à réagir ou à nous exprimer à propos de tel fait particulier et non d’un autre.
Se reconnaître dans une idée, c’est admettre a priori la véracité de cette idée, sans même  savoir pourquoi. Certes, en rester là, serait se satisfaire d’un simple jugement de valeur, d’une simple affirmation, d’une pure opinion ; il convient ensuite d’argumenter, d’insérer cette idée dans une rationalité pour en asseoir son caractère de vérité. Vérité qui néanmoins restera toujours relative, ce qu’illustre bien cet aphorisme de Blaise Pascal : «  Le contraire d’une vérité n’est pas l’erreur, mais une vérité contraire ».
D’une personne ou d’une œuvre dans laquelle nous nous reconnaissons, nous disons que nous l’aimons sans cependant pouvoir inclure cette émotion dans une quelconque rationalité, dans un quelconque schéma explicatif.
Enfin nous passons nos journées à commenter des actes, des faits ou des phénomènes dont nous considérons qu’ils font un tant soit peu sens pour nous, sans que ne sachions dire pourquoi.

Le paradoxe de la subjectivité est qu’elle au fondement même de notre vie, qu’elle est la base même sur laquelle nous construisons nos existences- rien ne semblant pouvoir y échapper- alors qu’il demeure vain et illusoire de vouloir ou de pouvoir expliquer de quoi il s’agit exactement. Certes, nous avons parlé de la capacité d’interpréter et de reconnaître, donc de tenir pour vrai certaines représentations de nos perceptions, mais il s’agit là de domaines qui échappent à la connaissance et donc à la rationalité, étant par exemple en-dehors de toute prédictibilité. Par la subjectivité, nous atteignons de fait une limite de la raison, limite elle-même en apparence irrationnelle, tant nous vivons dans la persuasion que si quelque chose est, cela ne peut que s’insérer dans des schémas logiques, schémas soit construits par notre esprit, soit existants par eux-mêmes, lesquels schémas ont leur raison d’être en ce qu’ils sont supposés pouvoir englober la totalité de la réalité. Et pourtant, il ne s’agit là que d’un présupposé !
De quelle logique d’ailleurs pourrait dépendre la subjectivité ? Renvoyant au sujet, à celui qui éprouve et qui pense, elle ne peut elle-même s’éprouver ou s’analyser comme un objet de pensée alors même que nous la savons être puisque chaque sujet, chaque individu, a en plus de la conscience de soi (commune à tout homme) la conscience de son individualité (propre à chaque personne).

Depuis l’antiquité grecque, on se pose la question de savoir s‘il est possible de connaître de manière exacte la réalité du monde. Par réaction au mythe, mythe signifiant récit en grec, est née la philosophie, le questionnement.  Pour Platon, la vie humaine telle qu’il l’observe, se fonde sur un récit et non sur la recherche de la vérité par le questionnement. Un récit non plus mythologique, mais  que l’on se crée à partir de l’apparence des choses, à partir des phénomènes tels qu’ils sont perçus par les sens, à partir donc de la connaissance empirique que l’on a des choses. Ce galimatias est naturellement décrété illusoire car nécessairement trompeur. Néanmoins, le phénomène, par nature continuellement changeant, doit avoir sa source dans quelque chose  de stable, connaissable non par les sens, mais par le raisonnement, l’intellect. Certes Platon ne parle pas de subjectivité, mais on voit bien que ce qu’il met sous le vocable de connaissance sensible correspond à la subjectivité. A l’inverse, ce qui peut s’insérer dans une rationalité, ce qui se conçoit à l’aide d’un raisonnement, est non pas une simple image du réel, un simple mirage ne renvoyant à rien de certain, mais correspond à ce réel, est une formulation de ce réel, puisqu’elle renvoie à une définition pouvant s’appliquer à tous les cas particuliers. Ainsi par exemple, on ne peut parler d’homme juste si on ne définit préalablement, de manière abstraite, ce qu’est la justice ; ce n’est qu’ensuite que l’on pourra vérifier si dans tel cas particulier se retrouve ce concept initial. C’est ainsi que l’on a pu définir la vérité comme étant « l’adéquation entre la pensée et son objet ».
Cette approche est-elle pertinente ? Certes le sujet, l’individu, s’en remettant à ce qu’il perçoit du monde, fait constamment l’expérience de ses limites. Comme l’a noté Husserl « la conscience est toujours conscience de quelque chose », elle est donc par nature limitée par l’objet de la conscience. La conscience, et donc la subjectivité, suivant en quelque sorte la perception. Face au devenir permanent des choses, l’homme peut à la manière de Platon, imaginer l’être des choses. L’être, ce qui est, est ce qui ne devient pas, est donc l’essence des choses, cad ce qui, répétons-le, n’est pas particulier à un objet défini- ce qui devient-, mais ce qui les unit, ce qui est commun aux objets ou concepts de même nature- ce qui est- ; il y a donc l’idée d’une transcendance horizontale. Transcendance en elle-même peu satisfaisante, puisque nous laissant face à notre propre finitude. Il peut y avoir alors l’idée de l’éternité,  mais en avoir l’idée n’en implique aucune réalité nécessaire. Enfin, face à la relativité des opinions et des croyances, il peut penser à un absolu, une sorte de vérité révélée qui risque au fond de se transformer très vite en un simple argument d’autorité. Le devenir, la finitude, la relativité, concerneraient le monde des phénomènes et donc la subjectivité; l’être, l’éternité et l’absolu seraient du domaine exclusif de l’intelligible et donc de l’objectivité même si curieusement cette objectivité ne semble plus concerner que la vie de l’esprit.
On voit que la caractéristique qui découle de cette approche platonicienne est que toutes ces pensées, ces idées pures, censées être à l’image du réel, ont pour point commun de s’imaginer en être d’autant plus proche que toute subjectivité est évacuée. Cette approche s’est perpétuée par la suite dans la scolastique médiévale, plus préoccupée de l’idée de Dieu que de l’humaine condition ; de l’esprit des Lumières, créant ex nihilo un homme abstrait, sans racine, qui serait de par sa seule existence expurgée de toute historicité, source de droits et par là d’universalisme ; du scientisme et du positivisme et in fine même du relativisme de nos sociétés, relativisme qui est en quelque sorte l’aboutissement de cet esprit des Lumières et qui a fini par trouver son symétrique dans l’intégrisme. Il y a certes eu quelques remarquables exceptions tel Montaigne ou Rousseau. Mais dans l’ensemble, c’est le rationalisme, autant dire l’objectivisme, qui l’a emporté, générant même un mécanicisme à travers le freudisme et le marxisme : ainsi pour ce dernier, l’avenir était nécessairement prévisible puisque déductible d’un concept – les lois de l’Histoire- érigées au rang de dogme métaphysique.
Mais l’abus d’abstraction nuit à la rationalité. Idéaliser ainsi l’objectivité, ou pire, ce qui est supposé être l’objectivité, n’est-ce pas accorder tout simplement la primauté à la subjectivité la plus pure ? S’en remettre entièrement à des raisonnements, voire à des formalisations de raisonnement pour lui coller une image se voulant encore plus rationnelle, plus « scientifique », ainsi a-t-on pu parler de « socialisme scientifique », affirmer que dans le monde n’a de réalité que ce qui s’insère dans un schéma logique, dans des « grilles de lecture », n’est-ce pas, au lieu d’évacuer une subjectivité déclarée inutile, tout au contraire implanter l’objectivité dans la subjectivité ? Croire en une omnipotence de la raison, lui conférer un statut d’omniscience, n’est-ce pas retourner dans la Caverne platonicienne ? Il est en effet plus flatteur, plus valorisant, de s’en remettre à une pure raison qu’à la simple opinion, mais considérer la raison comme étant ce qui par nature est supérieur à la sensibilité revient à aborder la raison comme un phénomène; cette prééminence de droit n’étant à l’évidence qu’un choix purement subjectif.
Et d’ailleurs peut-il y avoir un seul acte ou procédé de conscience sans subjectivité ? En fait sans intentionnalité, car agir c’est agir en vue de quelque chose, en vue d’une finalité que l’on a soi-même déterminée? On perçoit que si la subjectivité est ce qui engendre l’interprétation, la reconnaissance de soi dans une idée ou une personne, sa légitimité repose sur l‘intentionnalité, intentionnalité dont le fondement est la liberté individuelle et la responsabilité qui en découle, et dont la conséquence est la représentation que l’on a de soi dans le monde. Si la conscience est commune à tous les hommes, son mode d’exercice est particulier à chaque individu. En cela, il ne peut se satisfaire d’un monde qui serait un monde en soi, un monde certes totalement intelligible, mais dont curieusement le sens serait absent. Or le sens n’est pas dans le monde, il est dans la lecture strictement personnelle que l’on en fait; il est à découvrir dans le monde sensible, celui des phénomènes, car ce sont les phénomènes qui nous accompagnent dans l’existence, pas les Formes purement intelligibles. De même, le sens n’est pas dans la science, il est dans les applications que l’on en fait, dans les intentionnalités qui en découlent quant à son utilisation. On comprendra aisément qu’il est d’une prétention extrême de croire en l’universalité possible d’un seul sens, illusion de l’esprit des Lumières, bref de s’imaginer possible une auto-objectivation et donc une auto-légitimation de sa propre subjectivité.

Face au flux incessant des phénomènes et aux interprétations successives qui en découlent, l’esprit humain a la nostalgie de la stabilité, qu’il recherche le plus souvent dans la transcendance, dans un au-delà de soi, puisque le soi semble le mener de désillusion en désillusion. Il aimerait s’insérer dans cette stabilité que Platon a si bien décrite pour connaître enfin l’être des choses et l’Idée immuable et parfaite dont découleraient les concepts: ce qui est en soi, et non plus par rapport à soi ou en fonction de soi. Mais poser ainsi des idéalités, c’est avoir la tentation de faire de la chose pensée ou du concept un absolu, ce que rien ne nous autorise à faire, et prétention suprême, c’est de croire que l’on peut faire de soi-même un absolu.
Le monde, incluant tout y compris soi-même, agit sur nous par le prisme de la subjectivité et nous agissons sur lui, et donc sur soi, en lui conférant  du sens. Cette double action ne se fait pas par le biais de la raison. Cela s’éprouve, se traduit dans un langage personnel, et donne lieu à toute une gamme d’émotions, de sentiments, d’intuitions, de croyances, de représentations et d’interprétations. La subjectivité, en tant qu’elle a besoin d’être dépassée car on ne peut se limiter à sa seule personne, ne doit cependant être évacuée. Bien au contraire, elle est le fondement même de l’objectivité, elle est ce qui l’a rendue possible et nécessaire par l’indispensable dépassement de soi qu’elle nous fait éprouver. Dépassement de soi qui, à vrai dire, restera toujours à l’état d’ébauche, car rien n’abolira jamais le monde des phénomènes…

 

Par Jean Luc

 

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La mélancolie du prince charmant

 

Comment aborder le mythe du prince charmant sans raconter une histoire. Celle que personne, il me semble, n’a jamais racontée : la sienne?
  Je la rapporte telle que lui, le Prince lui-même, me l’a racontée. Avec ses mots -que j’ai seulement agencés quand ils m’ont paru manquer de clarté ou de cohérence.
C’est à Paris que je l‘ai croisé , pur hasard, dans une rame de métro.
Je me souviens d‘avoir murmuré: « C‘est lui!» Il ne m’a fallu quelques secondes à peine pour le reconnaître. Je ne l’avais jamais rencontré jusque là , ni entendu son nom . En fait, quand on me parlait de lui on le nommait simplement : Prince Charmant. Ainsi ce fut avec une grande stupeur que je me suis rendu compte, là devant lui, que finalement je ne savais rien de lui.

A part qu’il avait un cheval blanc - dont d’ailleurs je me demandais où il l’avait « garé » - je savait aussi qu’il était le fils d’un roi d’un pays lointain, qu’il sauvait des princesses malmenées par leur marâtre. Quelque fois il lui arrivait même de se marier avec des bergères. Et surtout, je savais qu‘il arrachait au quotidien des femmes comme moi, tout à fait ordinaires, dans un envol vers un ailleurs inconnu et merveilleux. Cet envol porte un nom: la passion amoureuse.  Je regardais « mon » Prince, et je me suis permis de rêver…Il était là, devant moi, à Paris - et pas dans un royaume inconnu - Il était là debout dans le métro, agrippé à une barre métallique, comme jadis à une épée lorsqu’il combattait des dragons. J’e l’observais: ces trait si fins, sa peau si blanche, ses mains longues et lisses, dont on devinait qu’elles n’avaient jamais travaillé. J’ai regardé sa tête aux cheveux blancs, hier ils étaient certainement blond... (tiens, je n’ai jamais entendu des histoires de Prince Charmants noir)

 Quand il a pressé le bouton de la porte pour descendre à la station des Invalides , je lui emboîtai le pas . J’allais à un rendez-vous, ce jour là, mais j’avais fait mon choix: la personne que je devais voir, je pourrais toujours la rappeler en fin d’après midi, ou le lendemain; lui, si je perdais sa trace, j’étais persuadée de ne plus le revoir, jamais! Au moment de sortir dans la rue, il s’arrêta devant le plan du quartier. S’en approcha jusqu’à en coller son nez, puis recula, cherchant la bonne distance . Ces yeux le trahissaient . C’était ma chance! Je viens vers lui

- Est-ce que je peux vous aider Monsieur?

Il serait fastidieux ici de vous détailler ce qui fut la suite de ce premier contact. Et puis je ne saurai même pas vous dire, à quel moment précis j’ai eu l’idée de lui demander de me raconter sa vie. Je me rappelle juste sa première question:

- De quoi voudriez-vous que nous parlions en premier  Madame?

-Je lui ai répondu: Le plus simple serait de commencer par le commencement. Votre naissance, Monsieur.

- Chère Madame, êtes-vous certaine que la vie d’un mythe commence par une naissance? Regardez votre vie, elle-même, a-t-elle commencée le jour de votre naissance? Voilà une question qui n’a pas de réponse tranchée. Pas de consensus , rien que des hypothèses. Alors cela va de même pour moi. Je ne sais pas vraiment quand je suis né. D’ailleurs j’ai été fort déçu quand Roland Barthes en écrivant ses Mythologies ne s’est pas intéressé de tout à moi. Alors que de tous les mythes que vous dites « fondateurs » c’est moi le plus récent . Du moins le plus vivant, si je peux dire, car j’ai encore une forte influence sur la vie des hommes et surtout sur la vie des femmes. Mais enfin je ne crierai pas à l’injustice.

Revenons donc aux causes de mon existence. Pour cela, je commence par vous rappeler, que la différence fondamental entre vous et moi, c’est que votre vie a commencée par l’union de deux êtres humains. Alors que pour moi, l‘hypothèse la plus probable, c‘est que mon existence est due justement à la séparation brutale de deux êtres. Du moins si on croit à ce qui a été écrit après ce fameux Banquet de Platon : au commencement, la nature était parfaite: hommes et femmes n’étaient que un et puis, il avait les androgynes. Tout monde coulaient l’amour parfait. Éros y veillait! Mais la puissance, et l’orgueil, de ces êtres parfaits attira la Colère de Zeus qui les punit en les coupant en deux. Et vous voilà: être humains plongés dans la douleur du sentiment d’incomplétude . Une théorie Platonicienne qui prétend expliquer la raison pour laquelle l’être humain est éternellement en état de manque, condamné à chercher sans cesse sa moitié, son « âme Sœur. ///  Je sens que vous êtes sur le point de me demander: Mais comment vous, le Prince Charmant, vous êtes retrouvé dans cette histoire? Alors je vous dis Madame, j’ai beaucoup d’hypothèses. Mais il n’est pas question qu’aujourd’hui je vous les avance toutes, il nous faudrait du temps, ainsi je vous donne juste quelques éléments sociologiques qui pourront contribuer à expliquer les causes de mon existence . Dans cette perspective, je vous rappelle que les premières sociétés humaines , si diverses fussent-elles, utilisèrent néanmoins les mêmes instruments pour fabriquer le lien social : la religion et… le mariage! (à leur époque on parlait d’alliance) Une alliance qui permettaient à de petits groupes de s’unir et d’éviter la guerre en échangeant les femmes. Pas question de se marier avec qui on voulait . Pas question non plus d’être célibataire. Et cela était valable aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Par conséquent on trouvait toujours « son autre moitié », ou une chaussure à son pied, si vous voulez. Et cela sans l’aide de Éros car dans les affaires du bonheur du groupe, l‘amour n‘avait pas son mot à dire. Il est peu probable donc, que je soit né a cette époque là.

Ainsi, une de mes hypothèse c’est que je commence à voir le jour vers le XI et XII siècles, avec l’invention de romans courtois. A cette époque, beaucoup d’écrivain se mirent à créer et à raconter des histoires des héros, partagés entre leur amour et leur devoir moral de chevalier. Un certain Chrétien de Troyes, a fait tout un roman avec la Rose, qui symbolise la féminité qu’il faut conquérir. Pour ces héros il ne suffisait plus de conquérir des terres, il fallait aussi conquérir les femmes . Ils devaient être au service de la belle, à l’affût de ses désirs et rester inébranlable de fidélité . Et voilà qu’en répandant cette idée, en la répétant au fil des siècles, on créa le mythe de l‘homme vaillant, prêt à tout pour gagner le cœur de la bien aimée. Alors je vous demande Madame: qui ne donnera raison à Barthes quand il définit le Mythe comme une parole, une construction de l‘esprit, qui ne repose pas sur la réalité mais qui à force d’être répété elle s‘immisce dans le réel en se confondant avec lui? // C’est donc par ce mélange de sentiment d’incomplétude, concept d’âme sœur, légende de chevalier fidèle et téméraire, qu’on m’a fait exister dans l’imaginaire collectif. //Dans l’imaginaire des femmes, certes, mais aussi dans l’imaginaire des hommes, car l’homme a fini par croire qu’il est là pour protéger, aimer, désirer et faire rêver la femme . J’ai cru moi-même! // Que de livres on été écrits pour raconter et perpétuer mes exploits, mes qualités d’être prêt à tout pour sauver la femme aimée. Dans mes jours de gloire , on faisait appel à moi pour réveiller une princesse, pour délivrer une autre; je me transformait même en crapaud, pour tester les vrais sentiment d’une petite princesse frivole… bref je me suis bien amusé mais surtout je me sentait utile.

Je saute quelques siècles de ma longue vie, et j’arrive à celui où les moeurs et les normes de la vie commune, du vivre ensemble changent. Les individus commencent à donner leur avis concernant leur vie privée et intime. On veut se charger soi même de trouver sa moitié. Dans cette nouvelle perception de soi le bonheur n’est plus collectif mais individuel, chacun devait agir de telle sorte qu’il puisse lui-même gagner son bonheur.// Je sais! je sais! les choses ne sont pas si linéaire que cela . Mais je ne peux pas vous raconter les vagues successives qui ont modelés les sociétés et les normes qui les ont régit . Mais en gros c’est cela: le destin n’est scellé par personne d’autre que soi. C’est à ce moment qui commence, ma lente mais inexorable agonie.// Tant d’écrivains vont écrire des livres pour mettre en garde les jeunes femmes (et les moins jeunes aussi!) contre mes pouvoirs de les charmer . Parmi ces écrivains, je ne retiendrai qu’un seul: Flaubert qui m’a accusé d’avoir détourné l’esprit de sa Bovary, à telle point qu’arrachée de sa réalité, Emma se trouva incapable d’apprécier son mari . Le Brave Charles qui lui apportait une vie tranquille . Votre génial Flaubert, madame, avec sa Madame Bovary, m’a poignardé droit dans le cœur. // Aujourd’hui, Je suis toujours vivant certes, mais, si les femmes m’attendent encore, pour les délivrer d’un quotidien où elles sont partagées entre envie de façonner leur vie comme elles l’entendent et le désir d’arrachement vers un ailleurs merveilleux, elles ne rêvent plus de moi. Oui, elles ne rêvent plus de moi. Comme preuve, elles ne parlent même plus de Prince Charmant mais de « l‘homme idéal ».  Et même si elles attendent encore de moi des mondes et merveilles, elles me demandent aussi de ne pas négliger les taches traditionnelles réservé aux commun des mortels: être un mari responsable, bon père de famille emmener les petits à l’école, etc.. . Bon, je caricature un peu mais il a quand même un peu de vérité dans tout cela . Mais je vous di chère Madame cela n’est pas de leur faute. Non! si les femmes rêvent de l’homme idéal, de cette façon là, c’est que toutes lucides et pragmatiques qu’elles puissent être, elles n’échappent pas aux schémas secrets qui structurent le noyau dur de la vie en société. Ni aux forces des discours commun. Et puis, parce que pour les hommes c’est pareil ! Les hommes rêvent, eux aussi, d’être cet homme idéal, rêvent de correspondre à ces qualités du Prince charmant. Mais comme ils restent douloureusement humains, conscients de l’impossibilité de répondre à cette attente , les voilà tous les deux dans le même bateau: hommes et femmes, tous les deux, dans une semblable solitude . Moi, la gorge serréege. Et je lui ai demandé: Mais… Que pensez vous de l’amour Monsieur? -  Ah! l’amour chère madame, je dirai que c’est un code symbolique  qui encourage à former des sentiments qui lui soit conforme. Il est en grande partie le fruit de la poésie des troubadours, du théâtre, du roman et plus récemment du cinéma, et de la télévision qui vous ont raconté et vous racontent encore des milliers et milliers d’histoires d’amour . Ce qui ne signifie pas que les sentiments et les émotions sont une illusion, Non! Ils sont bien réels et mesurables par la chimie hormonale, pouvant aller jusqu’à la frappe brûlant du coup de foudre. Mais peut-être que avec le recul, je peut donner raison à Flaubert: gare à ceux qui ne maîtrisent pas ses passions, ils pourront connaître des conséquences funestes, telle que l’anéantissement de soi - comme fut le cas pour l’imprudente et rêveuse Bovary //Je ne me souviens pas, exactement, comment nous avons pris congé un de l’autre. Mais ses derniers mots résonnent encore dans mes oreilles: « Madame cette Théorie Platonicienne que jadis il a eu une nature parfaite et que par la suite elle fut coupé en deux et que les hommes sont condamnés éternellement à chercher leur moitié, ». qui peut prouver cela Ma chère Madame? Ni même Kurt Gödel qui, avec son Théorème d’incomplétude, a prouvé que même en mathématique, on ne peut rien prouver. Donc ne croyez pas trop Madame, car je sais, de source sure, que ce soir là la bande de Platon était dans les vignes du seigneur.

Bibliographie

L’écriture de ce texte ne m’aurait pas été possible sans la contribution involontaire des auteurs siuvant:
Jean- Claude Kaufmann: La femme seule et le Prince Charmant, enquête sur la vie en solo, Pocket, 2003, Armand Colin 2005
Amin Maalouf:  Les Échelles du levant - Éditions Grasset & Fasquelle,1996
Bruno Bettelheim:  Psychanalyse des contes de fées . Éditions Robert Laffont , 1976
F. Nietzsche: Généalogie de la Morale Éditions GF Flammarion, Paris 2002
André Burguiére, Christiane Klapisch-Zuber, Martine Segalen, et Françoise Zoonaben: Histoire de la famille- Tome 3. Le choc des modernités Livre de Poche, Editions Armand Colin, Paris 1986.
Jack London: Avant Adam - Editions Phébus, Paris 2002
David Rabouin: Le Désir - Corpus GF Flammarion n° 3015 - 1997
Pierre Grimal : La Myhologie Grecque - Que sais-je? - Presses Universitaires de France, 1996
Et…. Tant d’autres. Certains déjà cités dans le texte comme: Gustave Flaubert, Chrétien de Troyes, Roland Barthes etc…

 

Angelita Mendes-Martins

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prince

 

Le Prince Charmant - JEANNE-MARIE LEPRINCE DE BEAUMONT(1756)

 

Il y avait une fois un prince, qui perdit son père, quand il n'avait que seize ans. D'abord il fut un peu triste ; et puis, le plaisir d'être roi le consola bientôt. Ce prince, qui se nommait Charmant, n'avait pas un mauvais coeur ; mais il avait été élevé en prince, c'est-à-dire à faire sa volonté ; et cette mauvaise habitude l'aurait sans doute rendu méchant par la suite. Il commençait déjà à se fâcher, quand on lui faisait voir qu'il s'était trompé. Il négligeait ses affaires pour se divertir, et surtout, il aimait si passionnément la chasse, qu'il y passait presque toutes les journées. On l'avait gâté, comme on fait tous les princes. Il avait pourtant un bon gouverneur, et il l'aimait beaucoup, quand il était jeune ; mais, lorsqu'il fut devenu roi, il pensa que ce gouverneur était trop vertueux.
– Je n'oserai jamais suivre mes fantaisies devant lui, disait-il en lui-même ; il dit qu'un prince doit donner tout son temps aux affaires de son royaume, et j'aime mes plaisirs. Quand même il ne me dirait rien, il serait triste, et je connaîtrais à son visage, qu'il serait mécontent de moi : il faut l'éloigner, car il me gênerait.
Le lendemain, Charmant assembla son conseil, donna de grandes louanges à son gouverneur, et dit que pour le récompenser du soin qu'il avait eu de lui, il lui donnait le gouvernement d'une province, qui était fort éloignée de la cour. Quand son gouverneur fut parti, il se livra aux plaisirs, et surtout à la chasse, qu'il aimait passionnément. Un jour que Charmant était dans une grande forêt, il vit passer une biche, blanche comme la neige ; elle avait un collier d'or au cou, et lorsqu'elle fut proche du prince, elle le regarda fixement, et ensuite s'éloigna.
– Je ne veux pas qu'on la tue, s'écria Charmant.
Il commanda donc à ses gens, de rester là avec ses chiens, et il suivit la biche. Il semblait qu'elle l'attendait : mais lorsqu'il était proche d'elle, elle s'éloignait en sautant et gambadant. Il avait tant d'envie de la prendre, qu'en la suivant il fit beaucoup de chemin, sans y penser. La nuit vint, et il perdit la biche de vue. Le voilà bien embarrassé ; car il ne savait pas où il était. Tout d'un coup, il entendit des instruments ; mais ils paraissaient être bien loin. Il suivit ce bruit agréable, et arriva enfin à un grand château, où l'on faisait ce beau concert. Le portier lui demanda ce qu'il voulait, et le prince lui conta son aventure.
– Soyez le bienvenu, lui dit cet homme. On vous attend pour souper ; car la biche blanche appartient à ma maîtresse ; et toutes les fois qu'elle la fait sortir, c'est pour lui amener compagnie.
En même temps, le portier siffla, et plusieurs domestiques parurent avec des flambeaux, et conduisirent le prince dans un appartement bien éclairé. Les meubles de cet appartement n'étaient point magnifiques ; mais tout était propre et si bien arrangée que cela faisait plaisir à voir. Aussitôt, il vit paraître la maîtresse de la maison. Charmant fut ébloui de sa beauté, et s'étant jeté à ses pieds, il ne pouvait parler, tant il était occupé à la regarder.
– Levez-vous, mon prince, lui dit-elle, en lui donnant la main. Je suis charmée de l'admiration que je vous cause : vous paraissez si aimable, que je souhaite de tout mon coeur, que vous soyez celui qui doit me tirer de ma solitude. Je m'appelle Vraie-gloire, et je suis immortelle. Je vis dans ce château, depuis le commencement du monde, en attendant un mari ; un grand nombre de rois sont venus me voir ; mais, quoiqu'ils m'eussent juré une fidélité éternelle, ils ont manqué à leur parole, et m'ont abandonnée pour la plus cruelle de mes ennemies.
– Ah ! belle princesse, dit Charmant, peut-on vous oublier, quand on vous a vue une fois ? Je jure de n'aimer que vous : et dès ce moment je vous choisis pour ma reine.
– Et moi, je vous accepte pour mon roi, lui dit Vraie-gloire ; mais il ne m'est pas permis de vous épouser encore. Je vais vous faire voir un autre prince, qui est dans mon palais, et qui prétend aussi m'épouser : si j'étais la maîtresse, je vous donnerais la préférence ; mais cela ne dépend pas de moi. Il faut que vous me quittiez pendant trois ans, et celui des deux qui me sera le plus fidèle pendant ce temps, aura la préférence.
Charmant fut fort affligé de ces paroles ; mais il le fut bien davantage, quand il vit le prince dont Vraie-gloire lui avait parlé. Il était si beau, il avait tant d'esprit, qu'il craignit que Vraie-gloire ne l'aimât plus que lui. Il se nommait Absolu, et il possédait un grand royaume. Ils soupèrent tous les deux avec Vraie-gloire, et furent bien tristes, quand il fallut la quitter le matin. Elle leur dit qu'elleles attendait dans trois ans, et ils sortirent ensemble du palais. A peine avaient-ils marché deux cents pas dans la forêt, qu'ils virent un palais bien plus magnifique que celui de Vraie-gloire ; l'or, l'argent, le marbre, les diamants éblouissaient les yeux ; les jardins en étaient magnifiques, et la curiosité les engagea à y entrer. Ils furent bien surpris d'y trouver leur princesse ; mais elle avait changé d'habit ; sa robe était toute garnie de diamants, ses cheveux en étaient ornés, au lieu que la veille, sa parure n'était qu'une robe blanche, garnie de fleurs.
– Je vous montrai hier ma maison de campagne, leur dit-elle, elle me plaisait autrefois ; mais puisque j'ai deux princes pour amants, je ne la trouve plus digne de moi. Je l'ai abandonnée pour toujours, et je vous attendrai dans ce palais, car les princes doivent aimer la magnificence. L'or et les pierreries ne sont faits que pour eux, et quand leurs sujets les voient si magnifiques, ils les respectent davantage.
En même temps, elle fit passer ses deux amants dans une grande salle.
– Je vais vous montrer, leur dit-elle, les portraits de plusieurs princes qui ont été mes favoris. En voilà un qu'on nommait Alexandre, que j'aurais épousé, mais il est mort trop jeune. Ce prince, avec un fort petit nombre de soldats, ravagea toute l'Asie, et s'en rendit maître. Il m'aimait à la folie, et risqua plusieurs fois sa vie pour me plaire. Voyez cet autre ; on le nommait Pyrrhus. Le désir de devenir mon époux l'a engagé à quitter son royaume pour en acquérir d'autres ; il courut toute sa vie, et fut tué malheureusement d'une tuile, qu'une femme lui jeta sur la tête. Cet autre se nommait Jules César : pour mériter mon coeur, il a fait pendant dix ans la guerre dans les Gaules ; il a vaincu Pompée, et soumis les Romains. Il eût été mon époux ; mais, ayant contre mon conseil pardonné à ses ennemis, ils lui donnèrent vingt-deux coups de poignard.
La princesse leur montra encore un grand nombre de portraits, et, leur ayant donné un superbe déjeuner, qui fut servi dans des plats d'or, elle leur dit de continuer leur voyage. Quand ils furent sortis du palais, Absolu dit à Charmant :
– Avouez que la princesse était mille fois plus aimable aujourd'hui, avec ses beaux habits, qu'elle n'était hier, et qu'elle avait aussi beaucoup plus d'esprit.
– Je ne sais, répondit Charmant. Elle avait du fard aujourd'hui, elle m'a paru changée, à cause de ses beaux habits ; mais assurément elle me plaisait davantage sous son habit de bergère.
Les deux princes se séparèrent, et s'en retournèrent dans leurs royaumes, bien résolus de faire tout ce qu'ils pourraient, pour plaire à leur maîtresse. Quand Charmant fut dans son palais, il se ressouvint qu'étant petit, son gouverneur lui avait souvent parlé de Vraie-gloire, et il dit en lui-même, puisqu'il connaît ma princesse, je veux le faire revenir à ma cour ; il m'apprendra ce que je dois faire pour lui plaire. Il envoya donc un courrier pour le chercher, et aussitôt que son gouverneur, qu'on nommait Sincère, fut arrivé, il le fit venir dans son cabinet, et lui raconta ce qui lui était arrivé. Le bon Sincère, pleurant de joie, dit au roi :
– Ah ! mon prince, que je suis content d'être revenu ! Sans moi vous auriez perdu votre princesse. Il faut que je vous apprenne qu'elle a une soeur, qu'on nomme Fausse-gloire ; cette méchante créature n'est pas si belle que Vraie-gloire, mais elle se farde pour cacher ses défauts. Elle attend tous les princes qui sortent de chez Vraie-gloire ; et comme elle ressemble à sa soeur, elle les trompe. Ils croient travailler pour Vraie-gloire, et ils la perdent en suivant les conseils de sa soeur. Vous avez vu que tous les amants de Fausse-gloire périssent misérablement. Le prince Absolu, qui va suivre leur exemple, ne vivra que jusqu'à trente ans ; mais si vous vous conduisez par mes conseils, je vous promets qu'à la fin, vous serez l'époux de votre princesse. Elle doit être mariée au plus grand roi du monde : travaillez pour le devenir.
– Mon cher Sincère, répondit Charmant, tu sais que ce n'est pas possible. Quelque grand que soit mon royaume, mes sujets sont si ignorants, si grossiers, que je ne pourrai jamais les engager à faire la guerre. Or, pour devenir le plus grand roi du monde, ne faut-il pas gagner un grand nombre de batailles, et prendre beaucoup de villes ?
– Ah ! mon prince, répartit Sincère ; vous avez déjà oublié les leçons que je vous ai données. Quand vous n'auriez pour tout bien qu'une seule ville, et deux ou trois cents sujets, et que vous ne feriez jamais la guerre, vous pourriez devenir le plus grand roi du monde : il ne faut pour cela, qu'être le plus juste et le plus vertueux. C'est là le moyen d'acquérir la princesse Vraie-gloire. Ceux qui prennent les royaumes de leurs voisins, qui, pour bâtir leurs beaux châteaux, acheter de beaux habits et beaucoup de diamants, prennent l'argent de leurs peuples, sont trompés, et ne trouveront que la princesse Fausse-gloire, qui alors n'aura plus son fard, et leur paraîtra aussi laide qu'elle l'est véritablement. Vous dites que vos sujets sont grossiers et ignorants ; il faut les instruire. Faites la guerre à l'ignorance, au crime ; combattez vos passions, et vous serez un grand roi, et un conquérant au-dessus de César, de Pyrrhus, d'Alexandre et de tous les héros, dont Fausse-gloire vous a montré les portraits.
Charmant résolut de suivre les conseils de son gouverneur. Pour cela, il pria un de ses parents, de commander dans son royaume pendant son absence, et partit avec son gouverneur, pour voyager dans tout le monde, et s'instruire par lui-même de tout ce qu'il fallait faire pour rendre ses sujets heureux. Quand il trouvait dans un royaume un homme sage, ou habile, il lui disait, " voulez-vous venir avec moi, je vous donnerai beaucoup d'or ". Quand il fut bien instruit, et qu'il eut un grand nombre d'habiles gens, il retourna dans son royaume, et chargea tous ces habiles gens d'instruire ses sujets, qui étaient très pauvres et très ignorants. Il fit bâtir de grandes villes, et quantité de vaisseaux ; il faisait apprendre à travailler aux jeunes gens, nourrissait les pauvres malades et vieillards, rendait lui-même la justice à ses peuples ; en sorte qu'il les rendit honnêtes gens et heureux. Il passa deux ans dans ce travail, et au bout de ce temps, il dit à Sincère :
– Croyez-vous que je sois bientôt digne de Vraie-gloire ?
– Il vous reste encore un grand ouvrage à faire, lui dit son gouverneur. Vous avez vaincu les vices de vos sujets, votre paresse, votre amour pour les plaisirs, mais vous êtes encore l'esclave de votre colère c'est le dernier ennemi qu'il faut combattre.
Charmant eut beaucoup de peine à se corriger de ce dernier défaut, mais il était si amoureux de sa princesse, qu'il fit les plus grands efforts pour devenir doux et patient. Il y réussit, et les trois ans étant passés, il se rendit dans la forêt, où il avait vu la biche blanche. Il n'avait pas mené avec lui un grand équipage ; le seul Sincère l'accompagnait. Il rencontra bientôt Absolu dans un char superbe. il avait fait peindre sur ce char les batailles qu'il avait gagnées, les villes qu'il avait prises, et il faisait marcher devant lui plusieurs princes, qu'il avait fait prisonniers, et qui étaient enchaînés comme des esclaves. Lorsqu'il aperçut Charmant, il se moqua de lui, et de la conduite qu'il avait tenue. Dans le même moment ils virent les palais des deux soeurs, qui n'étaient pas fort éloignés l'un de l'autre. Charmant prit le chemin du premier, et Absolu en fut charmé, parce que celle qu'il prenait pour la princesse, lui avait dit qu'elle n'y retournerait jamais. Mais à peine eut-il quitté Charmant, que la princesse Vraie-gloire, mille fois plus belle, mais toujours aussi simplement vêtue que la première fois qu'il l'avait vue, vint au-devant de lui.
– Venez, mon prince, lui dit-elle, vous êtes digne d'être mon époux ; mais vous n'auriez jamais eu ce bonheur, sans votre ami Sincère, qui vous a appris à me distinguer de ma soeur.
Dans le même temps Vraie-gloire commanda aux vertus, qui sont ses sujettes, de faire une fête pour célébrer son mariage avec Charmant ; et pendant qu'il s'occupait du bonheur qu'il allait avoir, d'être l'époux de cette princesse, Absolu arriva chez Fausse-gloire, qui le reçut parfaitement bien, et lui offrit de l'épouser sur-le-champ. Il y consentit ; mais à peine fut-elle sa femme, qu'il s'aperçut, en la regardant de près, qu'elle était vieille et ridée, quoiqu'elle n'eût pas oublié de mettre beaucoup de blanc et de rouge, pour cacher ses rides. Pendant qu'elle lui parlait, un fil d'or, qui attachait ses fausses dents, se rompit, et ses dents tombèrent à terre. Le prince Absolu était si fort en colère d'avoir été trompé, qu'il se jeta sur elle pour la battre ; mais comme il l'avait prise par de beaux cheveux noirs, qui étaient fort longs, il fut tout étonné qu'ils lui restassent dans la main ; car Fausse-gloire poilait une perruque ; et comme elle resta nue tête, il vit qu'elle n'avait qu'une douzaine de cheveux, et encore ils étaient tout blancs. Absolu laissa là cette méchante et laide créature, et courut au palais de Vraie-gloire, qui venait d'épouser Charmant ; et la douleur qu'il eut, d'avoir perdu cette princesse, fut si grande, qu'il en mourut. Charmant plaignit son malheur et vécut longtemps avec Vraie-gloire. Il en eut plusieurs filles, mais une seule ressemblait parfaitement à sa mère. il la mit dans le château champêtre, en attendant qu'elle pût trouver un époux ; et pour empêcher la méchante tante de lui débaucher ses amants, il écrivit sa propre histoire, afin d'apprendre aux princes, qui voudraient épouser sa fille, que le seul moyen de posséder Vraie-gloire était de travailler à se rendre vertueux et utile à leurs sujets ; et que pour réussir dans ce dessein, ils avaient besoin d'un ami sincère.

 


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La censure

 

• Définitions

Pour l’encyclopédie Larousse, la censure est l’examen préalable fait par l’autorité compétente sur les publications, émissions et spectacles destinés au public et qui aboutit à autoriser ou interdire leur diffusion totale ou partielle.

Sur Wikipédia, la censure se définit par la limitation arbitraire ou doctrinale de la liberté d’expression. C’est un moyen de contrôle exercé par un gouvernement sur la production intellectuelle ou artistique. Elle peut aller jusqu’à l’interdiction totale.

• Les origines de la censure

Censure vient de Cens = census qui donne censor = censeur

Dans l’antiquité romaine le censor était chargé du census.

Census possède trois définitions :

1. C’est une opération de dénombrement des citoyens (ce qui va donner le recensement en français) car elle était répétée à intervalles réguliers.

2. Principalement, ce terme désigne la répartition des citoyens en différentes catégories appelées classes censitaires et cette répartition était fonction de la richesse et de la dignité de chaque individu.

3. À partir de cette classification, le census désigne le montant de fortune nécessaire pour appartenir à chacune de ces catégories.

Les censeurs, qui étaient au nombre de deux, étaient les magistrats chargés de cette répartition et ils étaient libres de faire ce qu’ils voulaient. Ils n’avaient de compte à rendre à personne. Ceci correspond aux mécanismes institutionnels d’une société aux principes idéologiques aristocratiques.

Les catégories sociales sont très hiérarchisées. La richesse est valorisée, les riches étant considérés comme les plus dignes. La réussite est sanctionnée par la richesse. À contrario, la pauvreté apparaît comme une punition car les pauvres sont tenus pour incapables. Cette condition est humiliante, humiles est le nom qui est donné à cette catégorie des pauvres.

Mais un citoyen riche qui se conduit mal, qui ne respecte pas les codes aristocratiques (qui est lâche au combat, qui s’exhibe sur une scène de théâtre, qui se fait sodomiser par son esclave, etc.) pouvait être déclassé.

Suivant le principe de l’égalité géométrique, dans cette société romaine, plus on est puissant plus la sanction est lourde. Les droits de chacun sont proportionnés à ses devoirs. La richesse impliquant des obligations, les riches payent beaucoup d’impôts et sont tenus de faire la guerre.

L’action des censeurs :

Ils s’adressaient avant tout à l’élite de la société constituée par les sénateurs. Ils avaient la possibilité d’en exclure un s’il ne se montrait pas respectueux de son rang et de sa dignité.

C’est dans ce cadre que les censeurs pratiquaient l’examen des mœurs publiques et privées des sénateurs. Celui qui était jugé coupable était exclu du sénat. Son nom était rayé de la liste et une note explicative (la nota) était placée à côté. Le sénateur exclu perdait alors son renom, son prestige et subissait l’ignominie (qui étymologiquement signifie absence de nom).

Le sens que l’on donne actuellement au terme censure dérive de là, il véhicule une idée de sanction morale et d’humiliation publique.

• La censure au cours de l’histoire

La tâche est si grande que nous n’aborderons que quelques exemples.

Déjà dans la Grèce antique les philosophes subissent l’ostracisme1 et beaucoup sont exilés. Victime lui aussi de la censure, Socrate quant à lui préfère la ciguë plutôt que le désaveu de ses idées.

Dans l’Empire romain, les censeurs disparaissent. La censure est décidée par l’empereur. Exemple, Auguste condamne Ovide au bannissement. Est-ce pour son “Art d’aimer” qui fait l’éloge de l’acte sexuel ou pour des raisons politiques ? Quelques décennies plus tard, Caligula fait brûler les oeuvres d’Homère, de Tite Live et de Virgile.

En 325, Constantin Ier, dans le souci réduire les dissensions au sein du christianisme, convoque le concile œcuménique de Nicée qui excommunie les disciples d’Arius2. Les ouvrages de ce premier hérétique sont brûlés. C’est le premier exemple d’excommunication3 aboutie par solidarité des évêques et des Patriarches face à la sanction.

Augustin (354-430) est partisan des persécutions pour combattre les hérésies. Pendant des siècles l’Église lutte contre les dissidents.

Robert le Pieux est à l’origine du premier bûcher hérétique d’occident, la nuit de Noël 1022, il fait brûler 10 clercs sur le parvis de la cathédrale d’Orléans.

Le pape Innocent III lutte contre l’hérésie cathare. En 1199 il instaure un tribunal ecclésiastique d’exception, c’est l’Inquisition médiévale. Après plusieurs années de massacre, les derniers cathares sont brûlés à l’issue du siège du château de Montségur.

Vient ensuite l’Inquisition espagnole. En 1478, à la demande des Rois catholiques d’Espagne, le pape Sixte IV rétablit une juridiction inquisitoriale, le tribunal du Saint-Office, afin de lutter contre les juifs et les musulmans faussement convertis. Cette répression est étendue aux protestants.

Les autodafés4 terrorisent toute l’Europe, les hommes meurent sur les bûchers, les livres sont détruits par le feu.

Technologie récente, l’imprimerie est un instrument de propagation des idées qui permet la diffusion des revendications « hérétiques » dangereuses pour l’Église et les gouvernements. Ceux-ci établissent progressivement des mesures de protection.

Lors du Ve concile de Latran en 1515, le pape Léon X fixe la règle de l’imprimatur. Tout livre doit être examiné avant sa publication et la permission d’imprimer est donnée par les autorités ecclésiastiques.

À la suite de l’affaire des Placards5 de 1534, François Ier censure les livres. Un an plus tard, cette décision aboutit à l’instauration du Dépôt Légal, mesure de protection et de contrôle du livre. Elle permet de lutter contre les éditions pirates et c’est en même temps un moyen de d’enrichir le fond de la Bibliothèque Nationale.

Un contrôle idéologique s’impose pour restaurer l’ordre social qui est mis en péril par les conflits religieux. À la demande de l’inquisition, l’Index Librorum Prohibitorum est instauré en 1559. L’Index une liste de livres interdits aux catholiques. Ces ouvrages sont catalogués de pernicieux, immoraux ou contraires à la foi. L’index sera supprimé, en temps que loi de l’Église, en 1966.

Spinoza (1632-1677) est exclu de la communauté juive à laquelle il appartient. Prétendant que Dieu n’existe que philosophiquement, il est convaincu d’athéisme. En 1670, c’est clandestinement qu’il écrit son “Traité Théologico Politique” dans lequel il défend la liberté de philosopher. Jugé blasphématoire, le livre est interdit.

Érasme, Machiavel, Rabelais, Montaigne, Molière, La Fontaine et tant d’autres... sont tous censurés. Condamnés, certains doivent s’expatrier car leur vie est en péril.

Même, l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert est interdite par Louis XV, à la demande des Jésuites qui la trouvent trop athée et trop matérialiste.

Enfin la révolution : la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont inscrites dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Toute personne est alors libre de penser comme elle l’entend ou d’avoir des opinions contraires à celles de la majorité. Cette liberté d’opinion s’étend à la liberté religieuse.

En 1852, Louis Napoléon censure la presse et lui interdit de rendre compte des débats parlementaires et des procédures judiciaires autrement qu’en reproduisant les procès-verbaux officiels.

La Loi du 29 juillet 1881 est considérée comme le texte fondateur de la liberté de la presse. Cette loi libère les journaux de la tutelle des pouvoirs publics et les autorise à publier librement, laissant ainsi les éditeurs faire leur propre autocensure. Il persiste un contrôle a posteriori, les contrevenants au délit de presse, l’offense au président de la République, l’injure ou la diffamation sont passibles de poursuites judiciaires devant un juge indépendant.

Pendant la première guerre mondiale, afin de renforcer l’union nationale, une censure préventive est instaurée. Elle est ensuite remplacée par la propagande, stratégie de communication mise en place par le pouvoir politique pour inciter la population à l’effort de guerre. Le scénario se répète quelques années plus tard.

La Loi du 16 juillet 1949 s’inscrit dans un objectif de reconstruction morale du pays. Elle crée le délit de démoralisation de la jeunesse et vise à protéger les mineurs des mauvaises influences qu’ils pourraient subir. Son objectif est de les garder des dangers de caractère licencieux, pornographique ou violent.

Une commission de surveillance et de contrôle est installée au ministère de la justice. Bien que rôle soit davantage consultatif que répressif certaines parutions sont censurées : Sheena une héroïne de BD créée en 1937, l’homologue féminin de Tarzan, aux courbes généreuses et femme libérée est censurée car inverse les rapports homme / femme. Dans les années 70, le magasine « Salut les copains » est interdit pour, entre autre, incitation à la paresse.

La censure concerne également le cinéma. En France, les films doivent comporter un visa de censure nommé Visa d’exploitation, délivré par le ministre de la culture après avis d’une commission.

La censure sévit dans tous les pays et à toutes les époques.

• Liberté d’opinion et liberté d’expression

L’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dit ceci :

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelques moyens que ce soit. »

Mais il n’y a pas de loi sans devoirs et sans responsabilité. Cette liberté d’expression doit s’exprimer dans le respect de chacun, ne jamais nuire à la réputation d’autrui, ni inciter à la haine ou au meurtre. Quant aux idées, elles doivent être reçues avec tolérance et ouverture d’esprit.

Pourtant tous les discours ne font pas l’unanimité. Jusqu’où pouvons nous aller sans nuire à l’ordre public ? Que sommes nous capables d’entendre ? Bien des sujets sont « tabous » et nous restons dans la manière de s’exprimer socialement admissible, le « politiquement correct », pris dans le sens qu’il a aux États Unis c'est-à-dire « linguistiquement correct au regard des mœurs et des opinions dominantes ».

Moralité et dignité : nous voici revenus aux censeurs de l’antiquité.

Ceux qui prônent le libre arbitre, la liberté de pensée, la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont en premières lignes.

Noam Chomsky déclare être partisan de la liberté d’expression illimitée. Il le prouve en signant avec cinq cents autres personnes une pétition défendant la liberté d’expression d’un historien négationniste.

Il faut être Chomsky pour assumer de tels propos car la calomnie coule à flot.

Simple test : Honnêtement, pour vous, les négationnistes ont-ils droit à la parole ?

Public ou privé, le contexte dans lequel le discours est prononcé renseigne sur l’intentionnalité. Un enseignant peut-il faire du prosélytisme ? Le devoir de réserve des fonctionnaires est soumis à la jurisprudence, ceux-ci sont avant tout citoyen, leur liberté d’opinion est garantie par la Déclaration des Droits de l’Homme.

• L’autocensure :

Dans un souci de conformisme, l’individu nuance ses positions. Le respect des traditions, des usages établis et des règles de conduite permet de rester en accord avec l’opinion générale et préserve de l’exclusion du groupe. L’homme est un être grégaire qui supporte mal la mise en quarantaine, cette punition antique qu’est l’ostracisme.

Dans nos sociétés démocratiques, avec la multiplication des moyens de communications, le déferlement des journaux et des publications de toutes sortes, les individus ne subissent plus la censure. Même s’il persiste parfois une rétention d’information ou pour certains groupes, un accès limité aux médias, c’est plus souvent l’autocensure qui freine les actions.

Invoque le ciel et la terre en témoignage de vérité contre cette pompeuse et orgueilleuse messe papale par laquelle le monde sera désolé, perdu, ruiné…

Le pape et sa vermine de cardinaux, d’évêques de prêtres de moines et autres cafards diseurs de messe… le temps de la messe est occupé en sonnerie, hurlements, chanteries, vaines cérémonies, luminaires, encensements, déguisements et telle manière de sorcelleries...

1534 - Antoine de Marcourt

1 Ostracisme : racine « ostr » = coquille ; le vote se faisait à l’aide de coquillages. L’ostracisme est un mécanisme d’autodéfense populaire, un simple vote de défiance politique qui sanctionne, pour le bien public, l’accusé à un bannissement de 10 années, sans que celui ne perdre ses biens locaux.

2 Pour les nicéens Fils de même substance que le Père alors que pour l’Arianisme, substance semblable.

3 L’excommunié ne peut plus, s’il est prêtre, célébrer la messe, s’il est simple baptisé, ne peut plus recevoir la communion.

4 Proclamation solennelle d’un jugement de l’Inquisition, exécution du coupable, destruction par le feu

5 Le jeune roi de France, François Ier (1 494 ¤ 1 515-1 547), éduqué dans la philosophie humaniste, souhaite construire une monarchie moderne et développer ce renouveau culturel ; plutôt indulgent avec les réformateurs, il s’emporte lorsque des écrits injurieux envers les « Grands » et l’Église sont placardés dans les rues de Paris et de certaines grandes villes françaises, jusque sur la porte de ses appartements, durant la nuit du 17 au 18 octobre 1 534. Il affirme alors sa foi à l’Église catholique et ordonne la chasse aux hérétiques.

 

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censure

 

Donner un sens à sa vie, est-ce là le sens de l’existence ?( Jean Luc)
 


« L’expérience m’ayant appris à reconnaître que tous les évènements ordinaires de la vie courante sont choses vaines et futiles, je pris la résolution de connaître s’il existe un bien véritable qui puisse remplir seul l’âme toute entière, un bien qui donne à l’âme, quand elle le trouve, l’éternel et suprême bonheur ». Spinoza dans le Traité de la Réforme de l’entendement.
De quel bien  peut-il s’agir ? La recherche de l’immortalité par les religions ? Mais celles-ci n’ont de cesse de condamner les plaisirs de la vie dite terrestre, en quoi devrions-nous les refuser pour être admis à un paradis dont l’existence reste hypothétique? Au contraire alors, la recherche des plaisirs et des divertissements, mais ceux-ci, demandant à être constamment renouvelés, finissent par lasser ou du moins ne permettent pas de prendre conscience d’une vie bien remplie. Est-ce la raison ? Mais que vaut-elle lorsque tout un chacun, lorsqu’il émet une opinion, est si sûr d’avoir raison qu’il se sert de sa raison pour énoncer des arguments qui lui apparaissent rationnels afin d’ affirmer le bien-fondé de ce qui n’est qu’une croyance. Et en effet que penser du bavardage politique dans nos démocraties quand la raison est brandie aussi bien par le Pen que par Besancenot ? La raison, en fin de compte, ne sert qu’à avoir raison de l’autre et ne véhicule rien de plus, lorsqu’elle est ainsi instrumentalisée, que des illusions. La croyance, alors ? Les politiciens seraient en effet plus crédibles s’ils se limitaient à affirmer leurs objets de croyance sans chercher à démontrer leur véracité, qui n’a d’ailleurs valeur de démonstration que pour celui qui est déjà convaincu. En cela Nietzsche n’aura pas tort lorsqu’il énoncera que « ce qui doit être démontré ne vaut pas grand ‘chose ». Car en effet, soit une chose peut être démontrée à la manière d’une théorie mathématique et l’on ne sera plus dans le champ de la croyance, le raisonnement se fondant alors sur des vérités certaines établies préalablement, soit elle ne peut l’être; mais si toutefois sa pertinence est telle qu’elle est considérée comme pouvant faire sens, cette chose fera autorité cad qu’elle sera tenue pour vraie par le plus grand nombre.
Ce qui fait sens…Seule une croyance est à même de pouvoir faire sens, même si son objet est très varié. Je peux croire en l’immortalité de l’âme, en la nécessité d’avoir des plaisirs nombreux et variés, en des programmes politiques ou inversement me cantonner dans un relativisme complet, en la nécessité de raisonner sur la vie, la mort, le désir, l’ambition…Il est légitime de rester fidèle à ses croyances, dès lors que l’on les identifie comme des croyances et non des certitudes démontrables, dès lors que la croyance, reconnue comme telle et admise comme telle, devient le fondement de mon action, et est ce qui, de mon point de vue personnel et particulier, m’est nécessaire. En tant que cela m’est particulier, cela n’a rien d’universalisable, en tant que cela m’est nécessaire, cela est ce qui fait sens pour moi mais pour moi seul; je m’y sens lié comme si j’avais passé un pacte avec moi-même. Plus encore, on peut dire que le sens est la synthèse entre ma subjectivité et les représentations que le monde me donne de lui-même, du monde tel qu’il se présente à moi.
Ainsi le sens est d’abord le rapport que j’ai entre moi et le monde. Rapport nécessaire et fondamental, car en effet, pourquoi vivre si l’on ne peut y trouver de sens? Le fait d’être ne confère pas à lui seul du sens, il est de fait légitime de se poser la question de savoir ce pourquoi nous sommes, ce en vue de quoi nous agissons et quelle finalité nous recherchons par notre action. La nature, comprise comme l’ensemble de ce qui est, ne nous en donne pas puisqu’elle n’en n’a vraisemblablement  pas elle-même, n’étant qu’une somme d’indifférence, se contentant d’être. Le sens, la finalité, sont des idées qui ont germé dans l’esprit humain, sont une création de la conscience humaine. Qu’est-ce alors que la conscience humaine? Quelle en est sa spécificité par rapport à l’instinct animal par exemple ? De nombreuses réponses peuvent être apportées. Mais cette spécificité, n’est-ce pas d’abord la pulsion que l’homme a ressenti de devoir sortir de son état de nature initial pour devenir un être de culture ? Pour chacun, rechercher son humanité en refusant, en dépassant  la naturalité, n’est-ce pas toujours encore ce qui devrait être de plus essentiel ? Car en restant à l’état de nature, l’animal humain privilégierait les rapports de force, la domination d’autrui par la violence; la faculté de raisonner serait mise exclusivement au service de la recherche de moyens de domination. Et la société actuelle n’en prend-elle pas le chemin, puisque l’on a inventé le néologisme d’ensauvagement  pour en décrire ses symptômes? Rien ne ferait plus sens puisque tout n’est que conflit permanent et indéfiniment répété. Mais en utilisant la raison non pour dominer, mais pour rechercher l’échange d’arguments, l’acceptation de l’argument d’autrui comme une manifestation de sa lucidité et de son assentiment  éventuel par le consentement de sa propre raison, nous changeons de perspective car c’est bien ainsi que l’on expérimente avec autrui notre commune humanité. Ce en quoi l’espèce humaine a alors une raison d’être car, englobée dans un tout, la nature dans sa généralité,  elle a à y construire sa propre partie. La nature est logique mais indifférente, l’Homme, partie intégrante de la nature, peut être capable de logique tout en ne pouvant s’en satisfaire car il lui faut aussi croire, croire en ce qu’il fait ou en ce qu’il pense, la croyance étant l’antidote de l’indifférence. L’humanité, terme pris ici au sens où cela s’oppose à la naturalité, s’expérimente par la raison et la croyance, la raison soutenant notre besoin de croire en lui apportant une base logique, car comme nous l’avons dit, c’est la croyance qui fait sens et non la raison dont la fonction est de nous de sortir de l’ignorance, l’ignorance menant à la crédulité et à la vénération imbécile d’idoles. « Dieu, cet asile de l’ignorance » s’écrira Spinoza, en parlant du dieu des religions, du dieu tel que se l’imaginent les hommes.
Sortir de l’ignorance, c’est aller à la connaissance. Nous pouvons connaître ce qui nous entoure, car nous sommes dans un monde intelligible ; par le biais de notre de notre intellect, il nous est, partiellement au-moins, compréhensible. Se fondant sur ce monde intelligible, nous pouvons faire de nos sociétés, un univers intelligent, à partir de principes élaborés sur un fondement raisonnable, un monde dans lequel inscrire et réaliser nos projets. De même que l’esprit humain est le reflet de l’ordre naturel, lequel ordre naturel a pu développer une finalité en faisant émerger le genre humain, de même l’esprit humain se doit de développer sa finalité par l’exercice de sa liberté, la liberté vue comme étant ce qui dépasse la nature et ses déterminismes.
Car l’homme n’est pas en-dehors de la nature, il en fait partie intégrante et c’est par la connaissance de la nature que l’Homme acquiert la connaissance de sa propre nature. Aussi il est par exemple vain et illusoire de vouloir tout congédier par le doute systématique, à la manière de Descartes, pour tenter de s’obtenir soi-même, de se créer une réalité à soi qui serait détachée de tout. Cette démarche s’apparente à celle des mystiques qui aspirent à un absolu en niant le corps, en s’exilant du monde. C’est au contraire en exerçant sa liberté au sein du monde dans lequel il est que l’homme pourra se réaliser à travers ses projets, à travers son désir, le désir qui est « l’essence même de l’Homme » pour Spinoza. La liberté ne devant pas être entendue comme l’exercice arbitraire d’une volonté fantaisiste, laquelle ne créerait qu’injustices et désordres, et ramènerait à l’état de nature. Si donc vivre selon son désir et ce qu’il nous donne à croire est ce qui donne un sens à la vie, la question de savoir pourquoi la vie et pourquoi la mort sera inutile car supplantée par la question du comment vivre. La réponse donnée par Spinoza est: ne pas être le jouet de mauvaises passions, la passion étant le désir qui se résume à son objet, la passion devenant alors mauvaise étant ce qui nous rend passif face à ce vice. Alors exercer le pouvoir dérive vers la tyrannie, la recherche de gain se transforme en cupidité, le plaisir de manger en goinfrerie, l’agrément du vin en ivrognerie, etc…Bref, toutes choses ne menant qu’à l’inquiétude, à l’angoisse et finalement à la déchéance. Le terme de vertu a malencontreusement disparu de notre langage, mais Benoît Spinoza en fit grand usage. Et qu’était pour lui la vertu ? C’est bien sûr réaliser son désir, et se réaliser en réalisant son désir, le désir ne se limitant plus à son objet, mais le désir en vue de se réaliser soi, de s’accomplir, atteindre ainsi le bonheur, la joie, la béatitude même :  « La béatitude n’est pas le prix de la vertu, c’est la vertu elle-même, et ce n’est point parce que nous contenons nos mauvaises passions que nous la possédons mais c’est parce que nous la possédons que nous contenons nos mauvaises passions ». La béatitude n’est donc pas un ticket d’entrée au paradis et qui serait comme une sucrerie divine récompensant une vie d’abnégation, elle est un état qui nous est accessible ici et maintenant, dans l’accomplissement du désir. Ce qui en découle, la sagesse de l’amour, y compris de l‘amour de soi, est plus grande même que l’amour de la sagesse dont les philosophes ont certes une vague idée mais n’ont jamais pu dire vraiment de quoi il s’agissait. Et si la question du comment vivre est résolue, pourquoi alors craindre la mort ? Car s’il y a une suite à la vie, nous aurions toutes les chances d’accéder à la félicité divine et s’il n’y a rien qui suit, nous pourrons, à la manière de la Fontaine, quitter la vie comme l’on quitte un banquet, rassasiés, car nous aurons comblé notre désir autant que faire se pouvait.
Remarquons que vue ainsi la question de l’Homme est en complète adéquation avec la question de Dieu. Car l’Homme, soumis à la finitude, a néanmoins conscience de l’infini, d’un au-delà de soi qui échappe cependant à sa compréhension. Or si l’univers est, comme les nombres, infini, et selon Einstein, il l’est, il ne peut rien y avoir au delà de l’univers, à l’extérieur de celui-ci, en dehors de celui-ci, ne serait-ce même qu’un pur monde d’esprits. On ne saurait concevoir d’infini qui n’engloberait pas la totalité de ce qui est. Dieu est alors, nous dit encore Spinoza, l’entendement infini, compris comme la somme des entendements finis humains. « J’appelle Dieu, une substance infinie comprenant une infinité d’attributs infinis ». Une substance, cad la permanence du fondement logique de la réalité du monde, de la totalité de l’être. Ce support logique, « dont le concept n’a pas besoin du concept d’autre chose, d’où il faille le former », ce 1er moteur qui est un « être en acte » selon Aristote, dont découle toutes les séries causales qui donnent la cohérence au monde et qui rendent ainsi possible l’existence d’ « êtres en puissance » soumis à la temporalité, est immanent au monde. Inaccessible à la compréhension humaine qui ne peut se développer que dans son domaine propre, à savoir la connaissance de ce qui est soumis aux lois de causalité, elle incite l’Homme à se créer par sa propre Histoire, par l’exercice de sa liberté. Vue ainsi, la transcendance n’est plus la recherche d’un absolu qui à vrai dire n’existe pas puisqu’il n’y a  pas de monde parallèle au monde qui est le nôtre, le monde des esprits décrit par les religions, la transcendance est à rechercher dans la condition humaine, et notamment, comme l’établira Kant, dans l’acte de penser qui est bien plus que le fait de simplement connaître. Car connaître est précisément ce qui donne matière à penser.
L’existence de ce qui est a un sens et comme j’entretiens une relation avec cela, j’y trouve moi-même un sens. Si le monde n’est qu’une apparence du néant, un chaos organisé, la relation est absurde, c’est l’expérience faite par Camus car alors l’Homme lui-même n’est qu’une incarnation du néant. Mais à supposer même qu’il le soit, cela n’invalide pas la question que je me pose à son sujet et ne délégitime pas la réponse que je peux y apporter même si celle-ci restera à jamais au rang d’une simple croyance.
Ce qui est absurde est de considérer comme Sartre dans « l’Etre et le Néant » que « la philosophie a réalisé un grand progrès en réduisant l’être à la série des apparitions qui le manifestent ». C’est donc réduire la vie à ce qu’on peut connaître par l’expérience, à ce que par hasard nous découvrons. Or peut-on limiter la pensée à et par ce que nous connaissons empiriquement ? Où trouver un sens si tout est accessible à la connaissance et si cette connaissance elle-même ne dépend que de l’expérience? Relisons donc la phrase par laquelle a débuté cette introduction.
« Nous sentons et savons d’expérience que nous sommes éternels…nous sentons que notre esprit ne peut se définir par le temps, autrement dit s’expliquer par la durée », ajoute encore Spinoza dans son ouvrage l’Ethique. Fulgurante intuition ! Les lois de la nature sont éternelles, ces lois émanant de l’Esprit du monde, cher à Hegel. Les œuvres les plus remarquables produites par l’esprit humain ou les plus parfaites échappent au temps, à l’usure du temps et accèdent au rang de vérités. Ne parlent-on pas de vérités mathématiques dès lors qu’une démonstration est établie et les mathématiciens eux-mêmes ne parlent-ils pas de la « beauté » de leurs démonstrations dès lors qu’elles se révèlent parfaites. « Les yeux de l’esprit, par le moyen desquels il voit les choses et les observe, ce sont les démonstrations elles-même ». Peut être dit vrai et non plus simplement cru, ce qui est permanent. On ne saurait de même nier qu’il y a une permanence dans l’histoire humaine du sentiment du beau. Pourquoi les grandes œuvres conceptuelles parmi lesquelles les œuvres d’art traversent-elles les siècles ? Et l’on parle bien du ressenti d’une joie esthétique?

Quelle est la nature de cette joie? L’ harmonie que nous procure le fait d’être en accord avec le monde, avec sa beauté, la recréation de la beauté par les artistes, la validité de leurs intuitions par-delà les siècles. On ne peut trouver beau que ce qu’on aime et les artistes ont eu le privilège d’avoir eu accès à la sagesse de l’amour et non seulement à l’amour de la sagesse qui est, reconnaissons-le, une forme de renoncement. Par la recréation du beau, cette chose la plus absolument intemporelle, un petit nombre d’individus peuvent donner un sens à leur vie en accédant à cette plénitude de soi décrite dans l’Ethique. Mais par la joie qu’ils procurent à autrui, le plus grand nombre accède à cette vérité de l’universalité du beau  et par cette universalité, donnent un sens à l’humanité et donc un sens à l’existence en tant qu’elle est.


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donner sens
obeir libre

Peut-on obéir et rester libre ?

Café philo du 01-09-2010

I- Préambule

Essayons de traiter la question de manière dynamique, quitte à produire des expériences personnelles, à condition qu’elles soient prolongées en conscience et qu’elles aient subi un début de travail d’élaboration et de conceptualisation. Ainsi on pourra témoigner de notre rapport à l’obéissance :

. A-t-on déjà désobéi, à quoi et à qui, pour savoir comment cela fait quand on obéit.

. En quoi l’obéissance commence en conscience et la conscience commence en désobéissant.

De la même manière, comme la liberté abstraite est difficilement définissable, alors tâchons de témoigner de cette notion palpable de nos actes de libération, en 3 étapes principales :

                . Arrêter un choix en conscience en l’absence de compromis possible

                . Savoir ce choix et mesurer ce que nous sommes prêts à perdre pour vivre la libération au moment du choix.

                . Prendre conscience de notre capacité d’être responsable, en acceptant l’échéance ou la déchéance consécutive à notre choix. Un grand moment de solitude !

 

Tout d’abord, à quoi obéir ?

                . Arbitraire ou autorité naturelle

                . Domination autoritaire et coercitive

                . Ses passions et ses désirs

                . A son devoir

                . Obéissance inconsciente, par refoulement en attendant la catharsis (à nos névroses, à nos désirs et jouissances ouverts à des objets substituables comme les marchandises, suite à un détournement du désir par la publicité commerciale).

 

Quelques témoins ici ont été acteurs de mai 1968, certes ils constituent aujourd’hui une avant-garde exténuée !!

L’année 1968 fut l’année de la grande désobéissance collective à l’ordre établi que l’on intégrait plus et contestait, nous nous sommes détachés de l’Histoire collective pour vivre réellement notre vie privée authentique. On ne travaillait plus, on n’étudiait plus, on ne prêchait plus, pour rejoindre les 10 millions de piétons de mai. Le mur du temps  s’était ouvert pour laisser entrer dans sa suspension, l’Histoire et les existences individuelles libérées et fusionnées :

                . Contre la hiérarchie dénoncée  par une analyse critique de l’autorité, de la domination par le savoir qui reproduit les structures d’oppression sociale.

                . Contre l’aliénation des individus dans la société de consommation.

                . Contre la culture qui n’était pas émancipation mais critère de sélection sociale, un asservissement idéologique des masses pour conditionner l’individu dans un consensus.

                . Contre les institutions qu’on croyait sacrées et qu’on découvre injustes et répressives : ce n’est plus un mal nécessaire mais une violence arbitraire, et on doit passer du royaume de la nécessité vers le royaume de la liberté.

Nous devons nous questionner sur notre obéissance : Quand la vie ne va plus de soi, et qu’on a envie de la vivre autrement c'est-à-dire librement. Au café philo nous nous devons d’avoir notre libre-arbitre, pour que personne ne subisse, une idée qu’il n’aurait  pas acceptée ou refusée de toutes ses forces par l’argumentation.

 

             II- Obéir c’est renoncer à sa liberté et à l’éthique, et désobéir c’est difficile : en 5 points

                . La civilisation se nourrit du malaise d’individus contraints qui doivent déplacer ou sublimer leur énergie pour le travail la famille ou la patrie. Mais on peut refuser d’obéir et d’aliéner sa liberté dans une histoire collective : choisir comme Diogène de donner plus de pouvoir à la nature dans sa vie et concéder le moins possible à la culture et au vivre avec les autres.

                . Obéir aux instance génératrice de docilité et de sécurité est moins angoissant que de désobéir et faire un usage libre de son temps et de sa vie. Etre socialisé c‘est perdre sa liberté sauvage pour une liberté octroyée par la loi. C’est accepter de devenir autre que ce qu’on est, or ne faut-il pas comme Sade aller jusqu’au bout pour ne pas obéir à la loi et n’obéir qu’à ce que la nature a voulu de nous dans nos désirs et plaisirs.

                . Il existe un droit de se rebeller et de désobéir, car le droit ne peut pas nous obliger quand la morale nous retient, c’est le droit naturel contre le droit positif, c’est la moralité contre la légalité. Comme pour Antigone il existe une loi du cœur sacrée au dessus de la loi civile.

                . De tempérament on est plus ou moins fait pour l’obéissance et la soumission, certains sont prêts à renoncer à leur liberté individuelle pour devenir les domestiques d’un ordre, même tyrannique et fasciste en acceptant de s’arranger avec le crime dans la négation de l’homme et de l’humanité. On a tous une aptitude différente à la servitude volontaire.

                . On obéit souvent car on se sent coupable, car la réalité de notre soi est toujours inférieure à l’idéal du moi et cela nous donne la conscience malheureuse. Alors soit on fait du déni de soi (bovarysme primaire), on  choisit de souffrir dans la relation avec la faute originelle, ou soit on préfère le savoir à l’obéissance et la raison à la foi. Faut désobéir et recracher la pomme d’Adam qui nous empêche de respirer.

 

          III- Comment la liberté trouve son origine dans l’obéissance

Malgré le danger de névralgie et de traumatisme crânien, abordons Spinoza et Kant.

. Spinoza : Agir sous la seule nécessité de sa nature. L’homme est relié à une totalité à une substance et peut y obéir,

                . Par connaissance qu’il en a par ses sensations, mais c’est insuffisant pour rester libre

                . Par une connaissance par la Raison de la nécessité rationnelle

                . Par connaissance  directe de l’expérience intime, comme un Saint

Dès l’instant où on comprend la nécessité et où on la veut, on atteint la vraie liberté, car la volonté de l’homme s’identifie à cette substance (Dieu ?), Accepter la nécessité est-ce être libre, c'est-à-dire se libérer des lois de la nature en leur obéissant ? 

                . Kant : Dans une construction très formelle, il envisage l’obéissance aux lois morale et civile.

. Obéir à la loi morale et rester libre ? Agis toujours de telle sorte que tu considères ta volonté raisonnable comme instituant une législation universelle. Ainsi l’obligation morale postule la vraie liberté, comment ?  :

                               . Reconnaître la transcendance du devoir, mais en quelque sorte, Kant l’intériorise en la ramenant à la transcendance, dans l’être humain, de la Raison par rapport aux mobiles empiriques.

                . Tout dans la nature obéit à des lois, mais l’homme seul est capable d’agir d’après la représentation de la loi.

Discussion : Cette représentation entre en conflit chez l’homme avec ses entraves subjectives, sa sensibilité et son intérêt, et la loi de la Raison prendrait pour lui la forme d’un impératif, un commandement voire une contrainte.

Mais c’est répondre à la seule intention proprement morale, de la loi morale identifiée avec la loi de la raison ; D’où le devoir n’est pas une loi extérieure à laquelle on se soumet, c’est une loi que l’homme en tant qu’être raisonnable s’impose à lui-même, de sorte que dans l’acte moral il est à la fois acteur et sujet =  l’obéissance à l’obligation morale n’est ainsi nullement négation de la liberté, bien plus elle postule la liberté.

                               . Obéir à la loi civile et rester libre ? l’homme entraîné par son seul plaisir est soumis au plus grand esclavage, il ne pourrait vivre libre que volontairement sous la conduite de la Raison (Cf Hobbes). L’Etat le plus libre est celui qui se soumet en tout à la droite raison, chacun s’il le veut peut y être libre et y vivre volontairement sous la conduite de la Raison.

L’obéissance ôte bien d’une certaine manière la liberté, mais c’est l’obéissance à la raison de l’action qui rend libre ou esclave : si la fin de l’action n’est pas l’utilité de l’agent lui-même, mais de celui qui le commande, alors l’agent est esclave et inutile à soi-même…..au contraire si la loi suprême  est pour le salut du peuple tout entier et non le salut de celui qui commande, alors l’agent qui obéit n’est pas esclave inutile à si mais sujet.

 

          IV-Que contient et quel est le sens de la notion de devoir ?

 

. Le devoir nous écrase ou nous élève ?

. Le devoir attise-t-il notre libre-arbitre ou notre soumission ?

Pour répondre à cela, envisageons d’une part la doctrine de la vertu de Kan où la morale vient de l’intérieur, et d’autre part l’étymologie des mots « devoir » et « obligation »

                . Devoir : Du latin habere : avoir quelque chose que l’on tient de quelqu’un, de quelqu’un d’autre mais aussi de soi-même !

                . Obligation : Ce peut être une contrainte qui nous nie, mais aussi ob ligare ce qui est lié à l’avenir, qualité du rapport que nous avons à construire dans notre lien à l’avenir……vivre intensément la qualification du présent pour maîtriser le futur, vers l’action.

                IV-1 Je dois  d’abord obéir à des devoirs envers moi-même pour me sentir libre, 4 éléments :

                               1. Se connaître soi-même : Etre sensible mais surtout être raisonnable c'est-à-dire ne pas agir seulement avec efficacité mais aussi en regard de la finalité, mon action doit être liée par ma propre loi en conscience et non pas en fonction de ce qu’en pensent les autres.

                               2. Se parfaire : Faire plus que la seule nature nous a créés en développant nos facultés selon une finalité qu’on se propose.

                               3. Etre toujours à l’écoute de la morale en soi avant d’agir : voir le bien-fondé par un examen de conscience, la qualité de l’action examinée par une libération et même si on est contraint on peut toujours délibérer.

                               4. Respecter l’humanité en chacun de nous : chacun a une parcelle d’humanité et nul ne peut aliéner son humanité en lui pour rester humain (toujours délibérer, avant-pendant-après).

                IV-2 Je dois obéir ensuite à  des devoirs envers les autres, 3 obligations

                               1. Discerner en quoi l’autre est mon semblable : Le propre de chacun est le commun de tous, dans notre singularité nous sommes tous pareils avec les mêmes impératifs.

                               2. A l’autre mon semblable je peux exercer ma bienveillance : Obéir à mon devoir d’amour (amour du Bien platonicien):

                                               . Amour de concupiscence égoïste : le piège est de ne désirer le bien d’autrui que lorsque cela m’est profitable.

                                               . Amour de bienveillance : s’abstenir de nuire et de souhaiter le bien d’autrui.

                               3. A l’autre mon semblable je dois exercer ma bienfaisance avec discrétion aider autrui sans cultiver notre égoïsme en se donnant une qualité alors que l’on ne fait que son devoir, on risque que l’autre nous soit redevable à tout jamais. Simplement une empathie, être le canal  vers le bien d’autrui, ex : le patron qui ne peut plus espérer une promotion favorise celle de son collaborateur !!

 

L’ensemble de ces obligations ne sont donc pas des contraintes et favorisent la liberté par rapport à soi et par rapport aux autres ; Mais attention de ne pas appliquer Kant avec des arrières-pensées, qui feraient qu’on obéirait plus à sa propre loi morale:

                .  Tomber dans le piège de l’égoïsme et du culte de la personnalité par rapport à soi, soigner son Kant à soi !).

 

                .  Tomber dans le piège du faux devoir envers autrui :

                               . Faire à autrui ce que je voudrais qu’il me fasse (attendre un retour), et non pas la formule, « ne fais pas… »

                               . Aimer autrui pour ce que je peux en tirer.

                               . Faire à autrui ce qu’on croit bon à travers notre prisme et non eu égard à son écoute.

                               . Faire le bonheur de l’autre malgré lui, sans savoir ce qu’il comprend.

                               . Faire à autrui ce que je crains que cet autrui me fasse.

 

*                             *

Discussion : Antinomie apparente entre obéissance-liberté, existe-t-il des contraintes librement acceptées ; à moins que ce ne soit un artifice de construction afin de tenter de concilier deux inconciliables.

Certes la manipulation génère une soumission acceptée, mais c’est une obéissance contrainte ! Inversement une liberté sans contrainte est une posture libertarienne.

On peur mettre en évidence deux typologies principales :

                . La liberté obéissante, selon laquelle j’obéis et donc je suis libre et j’ai le pouvoir. C’est une conception que l’on retrouve chez des penseurs de « droite », justiciables de la pensée de Maurras et d’Emerson, qui veut qu’on obéisse aux lois naturelles du pouvoir, la liberté n’est concédée que l’on se soumet.

Pour Kant la liberté obéissante est une faculté de l’esprit.

Bossuet déclare qu’être libre c’est obéir à Dieu, liberté liée à un chantage divin (ou voire de la nature).

Antigone quant à elle est-elle libre en désobéissant à la loi civile, car dans le même temps elle reconnaît  sa soumission à une loi sacrée supérieure !

                . L’obéissance libre, démocratique, pour un citoyen libre de toute allégeance à un parti ou un groupe de pression ; Cette obéissance libre classée « à gauche » suppose une autonomie qui veut que c’est parce que je suis libre que j’obéis (CF également Rousseau). Il n’y a pas d’obéissance à autrui mais obéissance « à un niveau de complexité ».

 

Kant par une pirouette impose son impératif catégorique dont on ne connaît pas l’origine, et cela pour remplacer Dieu. Une construction formelle remplace une croyance.

De même existe-t-il une loi naturelle ou n’est-ce pas qu’une construction élaborée par l’homme ? Un premier niveau avant la loi très cogitée comme la loi mosaïque, que Moïse va quérir sur le mont Sinaï pour l’apporter aux hommes. En fait la notion de loi naturelle ne recouvre-t-elle pas une contrainte naturelle, semblable pour les animaux les plantes et les hommes, mais l’homme à cette supériorité de se représenter cette contrainte, cette loi.

 

Après évocation des diverses contraintes auxquelles nous nous devons d’obéir chaque jour, même de manière quasi réflexe, nous parvenons à une classification des libertés correspondantes comme suit :

                1. Liberté d’action vers l’extérieur.

                2. Liberté de l’esprit intérieure (opérationnelle même en cas de coercition extérieure)

                3. Liberté en conscience, façon Kant, qui est une liberté découlant de l‘autonomie de choix.

                4. La liberté de conception scientifique qui constituerait une illusion, car elle ne serait que le fruit du hasard et du déterminisme, et l’appropriation des choix ne procèderait que du hasard, et de fait nous n’aurions que l’illusion d’être libres.

 

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fin monde

Faut-il en finir une bonne fois pour toutes avec la fin du monde ?

 

Il n’est grand empire sur notre vaste terre qui ne trouve sa fin, quand son heure est venue disait Sébastien Brant ! Où nous mènera sa nef des fous comme une arche de Noé surmontée d’une voile et d’un gouvernail à la manière d’un Armageddon moderne, vers un sanctuaire où les saints seront sans visage ? Mais pour se diriger il conviendra de tenir compte du positionnement planétaire, la planète Nibiru s’alignera avec les autres planètes du système solaire le 21 décembre 2012.

Mais que font donc les millénaristes, leur silence est effrayant ? Ont-ils enfin percé en eux le ridicule du prophète? Que font donc les Raéliens, les Paco Rabane et autres doctrinaires de la fin ? Et l’Eglise qui se dit le fruit des entrailles de la vierge Marie, ne lui reste-t-il de ces entrailles que des viscères dans lesquelles elle pourrait entrevoir notre avenir, pâle figure qui me décourage de me donner encore la peine de nier Dieu, ce qui était pourtant le beau, seul et dernier scandale après la mort.

Cela nous plait bien de nous créer de fausses frayeurs, de nous raconter des histoires qui nous font trembler, cela fait monter l’adrénaline avant que nous retombions dans un bienheureux état de sérénité pour cette année 2013, ce treize qui porte bonheur. Etrangement on n’envisage pas son propre anéantissement, nous nous installons plutôt à la place du spectateur et donc du survivant, et tous nos ennemis auront péri dans cette catastrophe ; Le problème est que nous sommes une multitude de petits « moi » en position de victoire d’après la catastrophe, avec la délicieuse sensation d’avoir maîtrisé la vie et la mort. Quel sera le premier jour après vous ?

Nous avons certainement tous un deuil à la suite duquel notre existence n’aurait plus de sens, et dès lors nous ne pourrions plus nous intéresser à ce qui nous entoure, tout n’aurait plus d’attrait et serait étrangement inquiétant et vide, comme anesthésiés nous souhaitons en finir mais pas seuls, de préférence avec le monde entier. Nous n’aurions pas d’autres moyens d’exprimer notre peur dans cette époque de transition, cette période de changement, cette ère qui va s’achever, alors on délaisse le drame individuel, pour une tragédie planétaire plus rassurante car nous n’y serions pas seuls. Notre fibre paranoïaque vibre, nous savons que quelque part oeuvrent les meneurs du jeu, les vrais maîtres du monde, les animateurs d’un complot planétaire ; Et si nous étions de ces maîtres du monde, de ces initiés capables de maîtriser la marche du monde, nous aurions ce plaisir narcissique des initiés, de détenir une vérité cachée au plus grand nombre. Pouvoir suprême, nous ne savons rien de nos origines mais aurions la capacité peu partagée d’en savoir la date et les modalités de la fin.

Nous croyions que les superstitions avaient vécu, mais nous savons à la manière de Paul Valéry que les vieux fantasmes religieux ont pris la précision rationnelle d’une prédiction genre Hiroshima ou Fukushima, nous sommes passés de la prophétie à l’expertise, nous sommes devenus les égaux de dieu et lui avons volé le feu pour nous autodétruire quand on le voudra. Nous vivons une crise du temps, jusqu’à il y a peu nous vivions l’expérience d’un temps cyclique ou linéaire, puis nous sommes passés au temps chronique ; nous ne nous attachons plus à traiter les problèmes avec une efficacité dans le temps, nous préférons avoir la crise permanente et comme un actuaire prévoir la posologie à vie !

Nous avions pris l’habitude de connaître des crises qui nous ramenaient à un genre de temps zéro qui augurait d’un changement et d’un renouveau ; Actuellement nous ne sommes plus que prospectifs et interdisons les situations nouvelles, nous avons un monde sans crise à attendre, c’est-à-dire un monde en crise chronique. Nous employons une stratégie de l’évitement en sortant du temps, un événement n’est plus l’aube d’une situation nouvelle mais il doit être digéré immédiatement pour ne pas créer de temps zéro, nous ne voulons plus de ces petits temps zéros, pour leur préférer un grand temps zéro qui sera plus grave.

Et pourtant qu’il est bon de réécrire en permanence le rituel actualisé de la chute, c’est même de nouveau approcher la naissance, même si nous sommes dans l’automne de notre vie. Nous sommes ainsi au cœur du mystère de la vie et de la mort, et soudain un temps de plus en plus neuf afflue sans cesse en direct des origines et cela autant de fois qu’on veut le vivre, à condition pour nous de retraverser la détresse originaire !! Vraiment une étrange instance où le néant appelle le vivant, toute métamorphose suppose un reconditionnement à zéro, sous réserve d’en accepter la dépression miraculeuse. Ainsi la chenille accepte de se dissoudre pour que de cette soupe primordiale naisse le papillon qui ne conservera aucun caractère de sa matrice originaire, et c’est ainsi que le monde finit et continue.

Nous sommes revenus au temps de Gilgamesh, de la Mésopotamie, de la Bible et de son contexte de la chute et du rachat, les dieux quelque part ont décidé de noyer les humains au motif qu’ils ne les supportent plus, et un seul survivra à cet apocalypse. Destruction de l’Humanité, voire même de l’univers à laquelle survivront certains justes. Nous sommes revenus au temps cyclique, à la fin d’un monde et non à la fin du monde, car la fin du monde serait en quelque sorte une réparation, Dieu punira et tuera les hommes et ne fera survivre que les méritants, à Bugarach par exemple. Un sentiment s’empare de nous, d’arriver à la fin d’un cycle. Déjà en Alsace nous avons eu Luther, parangon d’une fin du monde prétexte à un renouveau politique et religieux, et certains déviants de s’autoproclamer les empereurs des derniers jours chargés de fonder la nouvelle Jérusalem !!

Et il y aura de quoi l’alimenter en matériel humain cette nouvelle Jérusalem, la société actuelle a placé son cœur à ses marges, sa majorité en périphérie, dans une économie faite pour très peu de gens, ceux qui sont actifs sur le marché en prenant sur les autres. L’état des lieux post-Sarkozy montre que ce monde dont on craint la fin, est fait pour les riches décomplexés, la droite décomplexée, c’est-à-dire sans civilisation, qui affirme que le RSA est de l’assistanat, les Français ne sont pas chez eux ; ça fracture et ça créé des boucs émissaires, ce discours s’insinue dans la relation père-fils et nous n’avons plus l’esprit comme tiers médiateur.

La crise de civilisation qu’on confond avec la fin du monde, c’est lorsque les interprétations traditionnelles ne donnent plus de sens, c’est une crise du paradigme culturel axé sur l’individu naturel, atoma, cette monade qui n’est plus divisible ; la révolution du monde arabe actuel suit le même chemin en mettant en cause l’Oumma qui récusait l’individualité.

Nous y sommes très accrochés à cette phase augustinienne individualiste, fondée sur la rationalité de l’organisation de la vie, de la force métaphysique pour fortifier l’ego avec un besoin de certitude en cherchant son Dieu toujours et jusqu’à l’illusion qu’on l’a trouvé. On croit tout pouvoir contrôler avec Newton, quand on connait tout et jusqu’enfin à la phase de la physique quantique.

La théorie du complot est une conséquence de cet atomo-centrisme, elle nous fait supposer qu’une mafia économique mène le monde.

Retrouvons donc cette démocratie avec son socio-centrisme, et la joie d’aimer l’autre comme il est après notre sortie de l’ego ; mais l’ego est au centre ; on peut ne plus avoir peur de mourir ou peur de la fin du monde, si on sait qu’en Grec le mot mort se dit résurrection, alors qu’en anglais c’est brutalement « death » !

Notre existence est de moins en moins sous l’angle de la « relation », la Grèce est devenue existentielle, et cela est devenu insupportable, le Grec a perdu la possibilité de réaliser, on est exilé de notre propre vie. Les droits de l’homme sont un leurre juridique et ne sont pas la seule base de la démocratie, il existe pourtant encore les catégories morales. La Grèce antique nommait les dieux, et le mystère vient du christianisme, il apporte le fait de communier, la communion père-fils et esprit, ce sont des qualités relationnelles qui n’ont plus trop cours.

Mais vouloir se réincarner et ressusciter, c’est accepter de porter à nouveau le péché originel alourdi d’une dette de 25.000 € par tête nouvelle à assumer pour le compte de nos prédécesseurs !! A la culpabilité d’avoir été incarné et de porter la chair, nous devrions tuer la chair avant la mort, afin de permettre à l’âme de faire l’ange pendant que le corps ferait la bête ! Nous ne trouvons pas que cette épreuve est déjà la fin d’un monde et nous nous faisons peur avec une pseudo fin du monde !!

Un havre nous est désigné pour cette fin du monde, Bugarach comme le Lourdes des mystiques en finitude, et prêts à une tragédie collective façon Temple Solaire, qui est un vortex, une porte vers une autre réalité. Des extraterrestres sont venus ici en d’autres temps et avant de repartir, ont transmis leur savoir aux Sumériens et aux Bugarachiens !! Quand le monde va finir selon la prophétie Maya, un vaisseau viendra chercher les élus ou plutôt les choisis.

Pour oublier que nous vivons la fin d’un monde, nous célébrons la fin du monde en 2012, et nous dansons sous les lampions de l’apocalypse !! Nous voulons vivre la peur majuscule, et tester notre capacité de désespérer pour accepter de tomber indéfiniment dans ce vertige de la fin du monde. Nous lui donnons forme, un astéroïde géant, une pandémie virale, un changement climatique, une guerre nucléaire comme dans les années 1960 mais qui a tendance à revenir des pays émergeants, et enfin le réchauffement climatique qui est un lent suicide collectif paraît-il. Sur le rayon des apocalypses nous avons l’embarras du choix, que nous croyons avoir déjà été enclenché depuis longtemps à l’échelle de l’univers tout entier. Au planétarium de Strasbourg écoutons les pythies nous prévoir une mutation du soleil dans cinq milliards d’années, la géante rouge aura vaporisé les océans de notre planète et nous aura grillés et par compassion de type Hulot, je m’inquiète de ce qu’elle sera au moment où elle refroidira.

La prévision nous vient du Mexique et de ses anciens Mayas, nous serions éligibles à leur almanach. Il faut dire à la décharge de ce pays qu’il a déjà connu la chute d’un astéroïde de 15 kilomètres de diamètre tombé sur le Yucatan il y a 65 millions d’années et entraîna la disparition des dinosaures ; mais ce n’était pas la fin du monde car l’astéroïde n’avait pas éradiqué toute vie sur terre, l’espèce humaine aurait toutes les chances d’en réchapper ; de même une pandémie extrêmement sévère ne pourrait entraîner la fin de l’Humanité, la diversité de nos systèmes immunitaires est telle qu’au moins 1 % de la population résisterait à l’infection !

Quand j’étais au Mexique j’eux connaissance de ce calendrier maya à l’aura mystérieuse qui prévoyait la fin du monde pour ce 21 décembre 2012 !! Et cette année, des cérémonies ont lieu là-bas qui marquent le changement de l’ère Maya à l’issue de 5200 ans, interprété par certains comme une prophétie de la fin du monde. La presqu’île du Yucatan débute les fêtes par des offrandes au dieu Maya de la lune, Ixchel. Le calendrier Maya marque, « 4 ahau 3 kankin », qui correspondrait au 21 décembre de notre calendrier, en fait cela marque dans le calendrier maya la date de la fin d’un grand cycle.

Les Mayas ont connu une grande civilisation, leur écriture était extraordinaire et leur grande civilisation a disparu. En revanche, le «mystère» scientifique était de savoir dans quelle langue parlaient les Mayas et comment déchiffrer les glyphes de leur écriture? Que disent vraiment leurs calendriers sacrés et profanes? Cette prédiction du 21 décembre est une absurdité totale. Si vous prenez le livre de l'Américain Jose Argüelles, «le Facteur maya», publié en 1987, où les Aztèques se réfèrent à quatre fins de cycle, les Mayas à trois seulement. A la fin d'un cycle, un autre commence. Ce n'est pas une fin du monde, mais une fin de cycle. C'est-à-dire que le calendrier va recommencer de zéro, comme pour nous. Nos fins de cycles n'ont pas la même importance ni la même signification. Nous avons des cycles d'une semaine, d'un mois, d'une année, d'un siècle, d'un millénaire, il ne manque plus que des examens de fin de cycle comme des examens de conscience.

Excepté que nos cycles sont alignés sur une durée linéaire: il y a un commencement, une création du monde. On y croit ou non, mais nous fonctionnons dans un système fondé sur l'idée de création, et donc de fin. Alors que les Mayas ont au contraire une pensée parfaitement cyclique au sens où un cycle succède à un autre dans une idée d'infini. Chez les Mayas, vous avez quelques dates qui se réfèrent à des chiffres absolument ahurissants de 98 millions d'années. Pour eux, chaque fin du monde ouvre la porte à une nouvelle création et la fin du monde est une promesse de renouveau, à condition de sacrifier les bonnes victimes.

Nous ne sommes pas dans un processus de création et de destruction mais de remplacement d'un ensemble de divinités ou de pouvoirs par un autre, car les divinités ne sont pas éternelles. Le cycle va se répéter mais avec des variantes. Et on sait qu'à chaque fin de cycle un dieu qui est responsable de l'ordre du monde sera remplacé par un autre dieu qui va reprendre les choses en main et remettre de l'ordre dans le monde, mais son ordre à lui.

Il n'y a donc pas d'explication globale de la chute de l'empire maya mais des explications au cas par cas selon les cités. Ce ne semble pas une disparition brutale et globale diligentée par une force naturelle ou des êtres venus d’ailleurs. Et puis les Mayas se sont trompés, ils ont cru voir arriver des dieux à cheval, et ils n’ont rencontrés que des espagnols qui leur ont offert la fin d’un monde, le leur. Alors parler de fiabilité des prévisions mayas !! Cela ne fait rien, une prévision fausse alimente quand même notre idéologie fin-de-mondiste.

Suicidaires de tous les pays, unissez-vous !! L’avant –garde est aux avant-postes, le dialogue de masse est rodé, et l’ironie christique nous a dotés d’internet de surcroît. Nous avons la technologie, qui est une ruse de la déraison pour tromper l’esprit, la philo-folie ou la folie individuelle sont misse en réseau. Pour tout détruire il faut synchroniser et nous en avons les moyens.

Notre temps est celui des catastrophes, demandez donc à Virilio, le plus urgent pourtant n’est pas d’éviter la fin du monde mais de repenser et de réinvestir le monde de manière nouvelle. Après la fin du monde donc, car elle a déjà eu lieu même si nous ne nous en sommes pas rendu compte !! Dans notre société scientifique, la peur apocalyptique a encore cours, avec cette révélation qu’après ce serait la justice ; ce sentiment demeure, il est lié à la crise économique et écologique, avec la crainte de la disparition de l’homme et de l’écosystème, mais ce n’est plus l’apocalypse c’est réellement une catastrophe !! Il y a deux sens du mot fin du monde, il ne faut pas l’oublier!!

La fin du monde a déjà eu lieu car au 17 et 18ème siècle, la modernité liée à l’effondrement d’un monde ancien sous l’égide de la Providence divine, demandez à Baudelaire qui va nous en parler après; Au 17 ème siècle on avait une vision du monde au sens d’une unité ou d’un cosmos, puis cela a périclité, effondrement des certitudes, Descartes a douté et c’est devenu un rapport inquiet au monde dont on doute, on a inventé des rapports au monde nouveau qui n’est plus géré par dieu, et le progrès est une catégorie de consolation, l’avenir est ouvert et non plus décidé par dieu et sa transcendance. Vivre après la fin du monde, demain sera pire qu’hier, donc il faut inventer autre chose. L’ordre du cosmos s’est effondré au 17 et 18 ème siècle avec la Révolution. Nietzsche a annoncé la morte de dieu avant que ce dernier n’annonce la sienne.

Ne faisons pas la fine bouche sur celle de l’an Mille des millénaristes, le ciel s’était assombri et on avait retiré l’échelle du ciel, un grand vide entoura nos aînés, la foi fut exaltée comme un saut inexplicable vers un Absolu désormais caché ! En voilà une belle fin d’un monde !! Le monde devint le lieu d’un langage intransitif dressé à sa verticale. Des prophètes de rencontre se voulaient des disciples de St Jean, qui à force de chercher le commencement de l’Univers, entrevoyaient sa fin, mais se heurtaient au problème de l’ordre de l’imprévisible, de l’événement, de l’inepte.

Avant, nous avions le héros tragique, avec la nécessité de la catastrophe, utilisée au théâtre, moment d’extrême violence du dénouement. Le monde n’a un commencement que s’il a une fin, pour les Mayas le monde était cyclique et donc pas question de fin du monde, on commençait un nouveau cycle, au contraire avec les religions monothéistes. Un malheur peut s’abattre sur Antigone, c’est le destin et la nécessité ; on parle de fin du monde quand un monde n’est plus le cosmos, alors on trouve des personnages de roman sans transcendance comme Don Quichotte avec Cervantès, le destin n’existe plus, la rencontre de l’individu et du monde n’est plus donnée à l’avance, il faut l’investir même avec du ressentiment contre ce monde qui n’a pas reconnu tel ou tel homme.

Il y a sécularisation du rapport au monde contingent, ce rapport peut être ou ne pas être, ou être différemment, fragilisation du rapport au monde, tel l’entrepreneur ou l’artiste qui tentent de faire s’adapter le monde, le plier à leurs exigences ; l’entrepreneur invente et modifie, il y a instabilité du rapport entre individus avec des changements en permanence, pas d’ordre installé pour cet entrepreneur sans monde ou dans un monde qui est à refaire en permanence.

On doit différencier vie et monde, Anders repense le monde après Hiroshima, le monde peut disparaître, une véritable transformation historique avec un changement de tous les concepts, il ne faut plus transformer le monde mais le préserver ce monde avec l’écologie, et il faut renoncer au progrès moral et politique ; on doit envisager le monde sous l’angle de la catastrophe, et faut préserver le temps, avoir un nouveau rapport au temps ; notre salut commande que les choses survivent, comme les régimes de retraite, on doit réduire les enjeux politiques à de la survie de tout ! La vie veut la vie et elle se survit à elle-même et donc la vie serait une norme en soi mais est-ce une norme politique ?

Si la préservation est une norme, la défense de la vie est de retrouver le cosmos ; si on veut transformer la vie c’est une menace sur la reproduction de la vie, on veut faire de l’immunité avant que le virus arrive, faire une réponse à la menace avant qu’elle n’arrive. L’immunité contre la fin de la vie certes, mais nous sommes ouverts à la transformation. Avec notre volonté de préserver le monde sans plus le transformer, nous pourrions dorénavant nous entretenir facilement avec un prêtre maya, un prêtre égyptien ou grec, car nous voulons que la terre soit et demeure à l’image du cosmos qui la surplombe

Nous devons accepter l’incertitude, il faut accepter la fin du monde, c’est le thème du film « Mélancholia », souvenez-vous, avec l’image de la cabane qui fait « monde » pour se protéger de la fin du Monde. Il ne faut pas grand-chose pour faire un monde. Dans ce film la folle sait que la fin du monde est arrivée et qu’elle peut vivre dans cette cabane magique, c’est-à-dire un monde quand il n’y a plus rien à faire ; souvenez-vous aussi du film « Shame », c’est la monstration de l’absence de monde, le trader qui n’a pas de monde, un appartement sans aspérités, il n’aime pas la nouveauté et il rationalise même l’amour, mais il rencontre une femme en chair et en os et c’est la nouveauté, mais il ne sait pas percevoir l’altérité ; ne pas laisser place à l’indéterminé c’est cela la catastrophe, et l’apocalypse c’est la mort égalitaire au contraire de la mort personnelle de chacun.

Finalement l’apocalypse c’est le combat entre le diable qui est dans le monde, le mal, contre le Messie qui veut advenir. Mais quiconque verrait les avatars descendre du ciel les tirerait comme un vol de cigognes en partance de migration, il ne fait pas bon pour qui apporte la Bonne Nouvelle !!

Souvenons-nous encore du tremblement de terre en Haïti, à ces gens, ce nuage dans le ciel tout à l’heure c’était la poussière de leurs rêves, à ces habitants qui nous ont arraché l’indépendance en 1804 en chantant la Marseillaise. Ils savent écrire pour ne pas paniquer et devenir invisible. Ils n’ont pas su prévenir l’intervention archaïque des dieux, peut-être la faute à leur Vaudou inopérant, et ils se retrouvent nus après la perte du vernis de la civilisation, toute la culture semble disparaître, on doute de la terre après avoir douté du ciel, on se sentait pourtant appartenir au cosmos et plus à une culture. Une leçon pour nous à vouloir réfléchir le cosmos sans plus vouloir transformer notre monde.

Vous avez cru les voir à la télévision, mais vous n’avez pas vu la normalité de leur vie qui échappe aux caméras, une manière bien à eux de faire face au malheur ; ça reste humain cependant malgré le contact de ce malheur indescriptible. La télévision montre l’extérieur mais tentez donc de percevoir l’intérieur, une sobriété réduite à l’essentiel des rapports humains tournés vers l’aide, tous sont parents car le lieu a été éliminé, ils sont en utopie désormais, ce qui compte c’est ce qui est dans le moment, comme une promenade délirante au milieu des corps et de la poussière.

Tout à coup là-bas, personne ne se sentait plus le plus légitime, ni le plus riche. L’argent ne servait plus à rien, mais chanter pour tenir le drame à distance. Le séisme avait tout changé, les fils ont été rompus, le truand sauve des vies, et le moindre passant semble proche. Les survivants sans abri ont redécouvert la nuit avec ses étoiles, nos intellectuels redécouvrent l’art haïtien, la peinture la musique, la littérature ; Malraux avait demandé pourquoi les Haïtiens regardaient Braque et même faisaient du Braque, c’est naturel et c’est la voix du peuple. La peinture primitive sans point de fuite et sans profondeur, mais est-ce que cela seul est vrai ? Un seul plan qui veut entrer en vous et non qui invite le spectateur à entrer dans le tableau. Voilà tout simplement la fin d’un monde où nombre de valeurs sont renversées, les perspectives ont été inversées, et il n’est point besoin de fantasmer une fin du monde artificielle, mercantile pour faire de la tweettérature.

J’appelle maintenant Charles Baudelaire à la rescousse, lui qui prédisait déjà que le monde allait finir. L’art philosophique que nous besognons dans notre café philo, c’est pour faire manifester les choses dans le langage avec les concepts philosophiques, mais avec des éclairages artistiques, n’oublions jamais de penser avec la poésie !

L‘œuvre de Baudelaire, très belle évidemment, a été créée au moment de l’installation du capitalisme, et la poésie à quoi ça sert face au capital qui ne demande qu’à s’accumuler comme un produit de la sueur des autres ? Rilke, Hölderlin, Mandelstam ça jette non? Baudelaire fait une poésie pensante comme un théoricien, pas seulement une poésie oraculaire mais aussi éclairante, à l’épreuve de la vérité comme René Char le résistant. Baudelaire veut une poésie moderne confrontée avec le moderne, dont le mal qu’il nous sert en bouquet de fleurs fait naturellement partie, c’est l’ère de la mécanisation et de la foule. Donc penseur de son temps et créateur, colérique et méchant ; le monde va finir, devenir industriel, le désordre dans la filiation c’est no-poétique et donc ça va finir, c’est l’envers des fleurs du mal.

Pour Walter Benjamin, la poésie est pur langage en référence au texte biblique, toute réalité se manifeste par son essence spirituelle ; le Paradis c’est quand il n’y a pas de séparation entre les choses et le langage. Adieu toute médiation et toute trahison du réel par nos représentations issues du langage!!

Nous avons peut-être cru en cette fin du monde du 21 décembre 2012, nous devrions apprécier le poème par Baudelaire, c’est l’expérience de la finitude que tout texte essaie de nommer. La « passante » n’est pas nommée, « un éclair puis la nuit », il la capte par le regard poétique, comme un peintre, une captation charnelle de ce qui a apparu puis s’est évanoui, mais c’est accepter le réel, finalement même la réalité du sentiment amoureux.

Prédécesseur de Baudelaire était Alan Poe ? Baudelaire, lui, fait irruption, il connait Platon, Pascal, il mélange le style journalistique prosaïque et le style racinien, il veut créer un nouveau classicisme. Baudelaire a de la tenue avec des préceptes à la Marc Aurèle et il est même stoïcien. Baudelaire c’est un événement, on ne peut pas le déduire. Le monde va finir, c’est-à-dire qu’on va vers un monde sans poésie et décadent, mais pour qu’existe un monde il faut de la réalité mais il faut aussi de l’imprévu, pas seulement du déductible, faut de la distance entre la terre et le ciel, quand la poésie n’existera plus et sera transparente sans que le langage ne subsiste compliqué, et fait d’imprévisibilité. La poésie est ce qui ne finit pas, comme la passante du poème qui n’en finit pas d’arriver, sinon il n’y aurait plus de monde.

Chez Baudelaire il y a le christianisme !! Rien ne l’a encore remplacé comme vitalité, on s’est rabattu sur le Mal mais hissé aussi vers le Bien en même temps. La prophétie, le monde va finir, la poésie est une prophétie, autre chose que ce qui est, le temps est de l’instant puis disparaît, mais avec la philosophie ne disparaît pas tout à fait, comment faire de l’événement ?

Platon péjorait la poésie, ce n’était qu’une assomption au temps et à l’espace présent, mais avec une absence de sens auquel la philosophie devait suppléer et donner le sens et l’éternité. Merci Baudelaire, ta passante n’a pas fini de passer ni le monde de cesser de finir ! Mais nous voulons aujourd’hui agir en expert et non plus en prophète.

Posséder la science d’une théorie des âges, une intuition des cycles d’évolution, peut-être est-ce une transposition des âges de notre pauvre vie individuelle, où la longueur de nos cycles semble décroître à mesure que nous vieillissons. C’est l’idée de la captation psychologique du temps qui accélère quand on prend de l’âge, on voit défiler plus rapidement les années, par opposition à l’enfance où les temps semblent plus longs.

Je tente de me faire peur en intégrant la possibilité d’une fin du monde ou de la fin d’un cycle, mais je n’y parviens pas et je reste serein pour deux raisons ; la première est liée aux cycles et à leur durée, car les Mayas parlaient de 93 millions de temps cyclique pour un temps qui est pourtant infini ! La deuxième tient à la tradition indienne où je me rends compte que le cycle comprend quatre âges pour un total de 4.320.000 années !! Alors s’il y a une dissolution en fin de cycle, point me chaut, et qui pourrait prétendre à épuiser le temps et l’espace qui sont en perpétuelle expansion, même pas les dieux qui ne sont pas éternels en raison des créations et destructions cosmiques qui se poursuivent à l’infini ; alors, moi, poussière d’Humanité, comment pourrais-je me confronter à l’infini, même si le temps patine et s’use vers la fin de l’infini, il se régénérera bien même si c’est sans moi !!

J’ai même téléphoné à Hubert Reeves qui m’a informé que l’univers n’est vieux que de 15 milliards d’années, et la terre de seulement 4.5 milliards d’années. L’univers est donc encore jeune et n’aurait apparemment pas encore parcouru la moitié de son existence ! Le monde aura encore de belles alternances d’hiver et de renouveau, alors que ma conscience rejoindra bientôt la matière dans une pirouette d’involution, je ne sais même pas si j’atteindrai le maximum de pouvoir matériel, ni si je serai témoins de ma phase d’évolution future, où mes facultés spirituelles seront de moins en moins occultées par cette gangue de matière dont tout procède, afin de revenir en réincarnation dans une forme. Je n’ai pas les clés du trousseau du Jugement dernier, ni ne maîtrise mon karma, et je ne veux pas par dépit souhaiter la fin du monde pour que tous sombrent en même temps que moi !! Mais en Antoine Blondin cosmique je suis sûr que tous se précipiteront dans le peloton de tête et que chaque suiveur sucera la roue du Dharma ou du Samsara dans des échappés vers les podiums du néant. Le destin a plusieurs tours dans son sac !!

Après 250 fins du monde annoncées et peu avérées, il serait temps de produire un vade- mecum, un viatique pour la fin du monde, un genre de « La fin du monde pour les nuls », notamment que tous ceux qui conjecturent, prévoient, et modélisent, cassent une bonne fois pour toutes l’imprévu, et nous donnent une grille de lecture afin de reconnaître le passage d’un cycle à un autre, en nous calculant des « Pi » à 15 ou 16 décimales après la virgule.

Je peux en l’état de mes réflexions, vous donner une clé, elle est dans ce paragraphe du début du texte que par paresse je reproduis ici « L’état des lieux post-Sarkozy montre que ce monde dont on craint la fin, est fait pour les riches décomplexés, la droite décomplexée, c’est-à-dire sans civilisation, qui affirme que le RSA est de l’assistanat, que le travail n’a qu’un coût et ne produit pas de richesse, que les Français ne sont pas chez eux, que la princesse de Clèves de madame de Lafayette ne vous servira pas pour votre contrat de travail de misère octroyé et à rupture faussement conventionnelle; ça fracture et ça créé des boucs émissaires, ce discours s’insinue dans la relation père-fils et nous n’avons plus l’esprit comme tiers médiateur ».

Le monde va donc finir, la seule raison pour laquelle il aurait pu durer, était qu’il existait. Qu’est-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel, dites-moi donc ? Nous nous posons en nouvelles victimes des inexplorables lois morales, et nous périrons par où nous avons cru vivre. Le peu qui restera de politique après Sarkozy se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale. La « Maison de l’Histoire » n’aura pas lieu, Filipetti l’a déclaré, et il ne s’agit pas par là d’une prophétie contre l’histoire qui véhiculerait un travail de vérité. C’est que les hommes estiment manifestement à tort qu’ils sont sujets de l’Histoire et croient qu’ils commandent, et elle serait exclusivement l’effet conjugué de leur volonté ! Et vlan ! Baudelaire rabat donc les hommes sur leur inexorable nature ! Mais je me console, la nature des hommes je ne sais pas ce que c’est.

Nous changeons de cycle mais dans un grand bond en arrière, nous apprenons à remonter le temps qui aura ainsi de beaux jours devant lui !

FIN

 

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epreuve

Après l’épreuve est-il possible de pardonner ?

 

L’actualité récente nous indique que  le destin tragique de DSK engage celui de tout un peuple (image du peuple français), car il aurait commis une faute impardonnable du fait de sa notoriété et de la confiance qu’on aurait mis en lui.

Le pardon c’est quoi ?

C’est un don qui vaut quitus d’une dette sans contrepartie et sans l’espoir d’un contre-don, dans la relation offenseur-offensé.

L’intention caractérise le don.

            . Le pardon pur doit être sans arrière-pensée et donné dans l’instant, sans réflexion, ni calcul, ni analyse, le pardon s’accorde sans essayer de comprendre.

            . L’intention implique qu’on ne doit pas perdre  la main en laissant faire l’usure du temps ou l’œuvre de l’oubli (amnistie par amnésie). C’est le respect de la relation entre l’offenseur et l’offensé, par une attitude triple, se tenir dans un événement singulier et daté, manifester l’intention d’un don gracieux pour une faute qui demeurera inexpiée, et demeurer dans un rapport personnel d’une relation à deux.

L’effet du pardon

            . Il suppose la faute d’un offenseur qui appelle un pardon psychologique pour une offense personnelle ou une faute contre une valeur qui appelle le pardon moral.

            . Le pardon transforme le coupable en innocent.

            . Le pardon permet au devenir d’advenir, le contraire de la rancune qui s’arrête dans le passé.

            . Le pardon s’adresse au fautif et non pas à la faute qui demeure. On ne dit pas « tues con », mais on dit « tu as fait une connerie ».

Le pardon et la justice

            . La justice ne pardonne pas, elle joue donnant donnant pour parvenir à une amnistie éventuelle, ou une punition-peine. Le pardon, lui, renonce à la justice qui elle ne peut abolir la haine ou le ressentiment.

            .  La justice peut trouver coupable le fauteur de l’acte, mais l’innocenter  dans son intention, et de ce fait peut être indulgente selon le degré de culpabilité, alors que le pardon ne juge pas.

La justification du pardon

            . La mort et le temps emporteront tout de nous, alors devant notre insignifiance et humilité, convenons de garder l’intention de pardonner car avec la rancœur, la faute ne sera jamais anéantie. Alors disons comme Géronte dans les Fourberies de Scapin « Je te pardonne à la charge que tu vas mourir ».C’est finalement un impératif catégorique de pardonner afin de permettre l’avenir, la réparation est ainsi opposée à la punition.

            . Le pardon enrichit l’offensé magnanime et peut avoir pour mobile de transformer l’offenseur, ce qui est un pari fou ou une action dictée par la foi. Jean-Paul II a pardonné à l’agresseur qui avait attenté à sa vie, mais finalement c’était son métier de pape de pardonner. Pour les catholiques tout est pardonnable, pour les protestants le pardon ne peut venir que de Dieu, et pour les juifs après la loi du talion de Moïse, Dieu a pardonné et a renouvelé l’Alliance.

Existe-t-il des fautes impardonnables ?

            . Tout est pardonnable car on absout sans raisons, par foi ou par folie. On peut même pardonner ce qui est inexcusable par la seule puissance de ce pardon.

            . Paradoxalement on ne peut pardonner les crimes contre l’Humanité, mais on se situe ici dans le domaine du droit et de l’imprescriptibilité.

Le pardon, l’excuse et la clémence

            L’excuse :. Comprendre c’est pardonner comme disait Mme de Staël, mais c’est nier l’offense de l’offenseur justifiée peut-être par une faute ou un péché d’ignorance.

            . C’est trouver des raisons alors que le pardon n’a pas de raison, c’est un acte gratuit.

            . La clémence : Elle minimise l’offense et rend donc le pardon inutile.

Le pardon est-il un acte d’amour ?

            .Le pardon suit la faute qu’il pardonne et donc il n’est pas tout à fait gratuit, ce n’est pas une intention première et désinteressée.

            . Le pardon ne fait que suspendre toute causalité, on pardonne au fautif à cause de sa faute, et on l’aime malgré tout.

Le pardon en conscience, mais quid de l’inconscient ?

            .le pardon est conscient, un acte dicté par la culture, mais qu’en est-il de l’inconscient, avec les risques de refoulement doublés de traits névrotiques ?

Et si le pardon se trouvait vidé de son sens, un acte insensé ?

            .Certes on a désamorcé l’agression comme chez les chiens, mais si on accorde son pardon à quelqu’un qui ne se reconnait même pas comme coupable ?

            . Si on pardonne à celui qui n’éprouvera aucun remords, aucune détresse, aucune insomnie, aucune déréliction, aucune intention de changer ou de se transformer. Nous sommes bien en présence de l’acte gratuit qui grandit celui qui accorde son pardon, qui en refusant tout orgueil et tout espoir se met au niveau de l’offenseur car il se reconnait lui-même pécheur. Nous sommes dans la relation humaine où le péché est la forme sous laquelle nous découvrons l’autre, et la joie de passer du non-pardon au pardon est ineffable.

            . Finalement le pardon c’est l’ambiguïté absolue, d’une part il n’est pas le don absolument gratuit, puisqu’il faut avoir commis une faute pour le mériter d’une part, et d’autre part sans le péché le pardon perdrait toute matière…..faut quand même reconnaître que la pardon est plus qu’un don, ce n’est pas le don d’un objet possédé dont on se dessaisirait, mais c’est le don total de soi-même !

Et pour conclure, comme dirait mon garagiste, « Mon amour s’adresse à la pure hominité de l’homme et à l’ipséité nue de sa personne en général »

 

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Peut-on penser le temps ?

22 septembre 2010

 

Le temps est difficile à penser

 

            Déjà Jankélévitch (1978) estimait qu’on ne peut pas vraiment parler du temps, car « il est à la fois dedans et dehors, il n’est pas un objet ». Pascal, tout comme Saint Augustin, considère le temps comme une notion intuitive de base, impossible à définir, inutile à expliquer.

            D’où vient le temps, comment commence-t-il ? Mystère. Une fin du temps, son arrêt, sont-ils envisageables ? Non, car cela reviendrait à tout anéantir. Schrödinger disait, en forme de boutade, que pour arrêter le temps il suffisait de donner un baiser passionné : Certes, baisers et orgasmes sont bien capables d’arrêter le mouvement, mais pas le temps !

            L’image la plus courante du temps est le fleuve, qui comme lui s’écoule. Mais dans quel lit, par rapport à quelles rives le temps s’écoulerait-il ? Quel serait son moteur ? Que signifierait sa vitesse ? Certes, les instants, les choses passent, mais le temps ?

            La pensée du temps convoque aussi une foule de questions : durée, simultanéité et succession ; temps linéaire ou cyclique (Schopenhauer et Nietzsche : confusion passé, présent et futur, négation de la causalité temporelle) ; temps continu ou discret (à échelle des particules, lié aux quanta) ; temps unique ou multiple (Psychologie, Relativité, Supercordes) ; grandeur physique de base ou artifice de calcul ; sursis de la mort (Heidegger) ou épanouissement de la vie.

            Par ailleurs, y a-t-il un temps objectif situé dans la nature, ou bien un temps subjectif logé dans l’esprit ? Ou bien les deux, et alors quel peut être leur rapport ?

            Le temps est-il substantiel, c'est-à-dire existant en soi, indépendamment des phénomènes, mais qu’on ne sait mesurer que par du mouvement (horloge, sablier) en le « spatialisant » ? Ou bien est-il relationnel, c'est-à-dire émergeant des relations entre phénomènes, auquel cas on ne pourrait mesurer que des durées ou des évolutions relatives (durée éclipse de soleil mesurée par durée sablier) ?

            Certes, le temps est plutôt difficile à penser.

 

Le temps est-il dans la nature ?

 

            Dans l’histoire de la pensée occidentale, tout un courant considère que le temps est constitutif du réel, extérieur au sujet pensant, mais avec deux conceptions principales :

 

-Temps lié au devenir des choses, situé au sein même des phénomènes :

• Héraclite : « Tout coule », tout change dans le temps.

• Aristote : « Nombre » du mouvement, dimension de l’intensité du changement.

• Leibniz : Ordre de succession des événements (temps relationnel). Quand cet ordre est nécessaire, il représente la causalité scientifique.

• Heidegger : Temps existentiel, composante de « l’étant », ce dernier représentant l’unité, en quelque sorte « éternisée », du passé, du présent et du futur.

• Einstein (Relativité Générale, 1916) : L’espace-temps est un contenant dépendant du contenu, la matière, et en interaction avec elle, à travers le champ gravitationnel qui le courbe. Le temps est multiple, car relatif aux objets et aux observateurs.

 

-Temps extérieur au devenir des choses, hors des phénomènes :

• Newton : À la suite de Galilée, temps absolu et universel, unique, comme variable indépendante par rapport à laquelle sont décrits tous les phénomènes. Il s’agit donc d’un temps substantiel, conçu soit comme se créant par lui-même, soit comme se déployant dans l’éternité.

• Einstein (Relativité Restreinte, 1905) : L’espace-temps est un contenant inerte, indépendant de la matière. Il n’y a pas de « présent » universel unique, mais un temps multiple, relatif à chaque observateur.

• Bohr (Mécanique quantique) : Le temps est substantiel et absolu, mais multiple car en correspondance avec les états « superposés » des particules.

Les travaux actuels de Physique théorique cherchent à concilier la Relativité Générale et la Mécanique quantique.

La pensée chinoise, par contraste, conçoit le temps comme un ensemble hétérogène de phénomènes, le plus souvent cycliques, par exemple l’ensemble des saisons.

 

Le temps est-il dans l’esprit ?

 

            Un autre courant de pensée considère que le temps est intérieur au sujet pensant :

 

• Kant : Catégorie a priori de la sensibilité, le temps est une dimension substantielle de l’esprit humain, qui permet à ce dernier de se relier aux phénomènes.

• Laplace : Impression mémorisée de la succession des événements (temps relationnel).

• Bergson : Conscience de la durée, comme évolution qualitative des états de la conscience.

• Husserl et la Phénoménologie : Conscience intuitive, à la manière de Saint Augustin, qui est attention au présent, avec mémoire du passé et attente du futur.

 

Relation entre temps objectif et subjectif

 

            On ne peut pas dire que cette relation soit clairement expliquée :

Un philosophe comme Bergson pense simplement que le temps physique, contre-intuitif, n’est qu’une extension du temps de la conscience, le seul vraiment existant. Husserl ne propose aucune relation entre les deux temps. Heidegger ne considère qu’un seul temps, inhérent à l’existence.

Un scientifique comme Étienne Klein (CEA) estime plutôt que notre temps subjectif serait notre rapport élastique au temps physique, le seul vraiment existant.

Les sciences neurocognitives confirment bien que les événements et leurs durées nous apparaissent indissociables. Le cerveau se représente le cours du temps en intégrant les différentes durées des événements neuronaux (horloges internes). La durée de l’instant présent subjectif est de l’ordre de la seconde. Le concept de temps se forme par abstraction à partir des perceptions (comme pour l’infini). S’ennuyer ne donne pas vraiment accès au temps objectif, car l’ennui peut aussi bien allonger que raccourcir le temps subjectif. Le voyage mental dans le temps, détachement du présent, est une sorte de déconnexion du temps.

Finalement, a-t-on affaire à une subjectivisation du temps physique seul réel (Newton), ou à une objectivisation du seul temps réel de la conscience (Bergson), ou encore à une absence de rapport entre les deux temps ?

 

Et si le temps n’existait pas ?

 

            Le temps est-il la même chose que le devenir des objets, que le changement ? Le temps est-il nécessaire pour rendre compte du changement dans la nature ?

 

            Déjà les Éléates (Parménide, Zénon) estimaient que le temps est une illusion (paradoxes d’Achille et la tortue, ou de la flèche et sa cible), et Lucrèce affirmait que le temps n’existe pas en soi.

            Le mathématicien, physicien et philosophe Hermann Weyl (1885-1955) pense que l’Univers est intemporel, et que c’est l’être humain qui le temporalise, dans son incapacité à se représenter l’espace-temps.

            Le physicien Thibault Damour, spécialiste de la Relativité Générale, affirme (2002) que le temps est une illusion psychologique, liée au fonctionnement du cerveau, et concrètement au caractère irréversible de la mémoire autobiographique temporalisée, sous-tendue par un réseau cérébral médian, allant du cortex préfrontal aux aires postérieures, et incluant l’hippocampe : Une lésion dans le cortex préfrontal entraîne une perte du sens objectif et subjectif du temps, et de la temporalité de l’action. Cette temporalisation se fait au jour le jour dans la « correspondance » (Martin Conway, 2005) entre le vécu mis en mémoire et le soi. L’anticipation efficace du futur s’effectue à partir de ce vécu mémorisé et des données stockées dans la mémoire sémantique, qui, elle, est intemporelle.

            Carlo Rovelli est chercheur en physique théorique à l’Université de la Méditerranée. Il travaille à l’élaboration de la théorie de la Gravité Quantique à boucles, qui tente de concilier Relativité Générale et Mécanique quantique. Dans un article de 2008 (« Forget time »), il affirme, contrairement à son collègue Lee Smolin, qu’il convient de décrire l’évolution de l’Univers sans invoquer la variable temps. Pour lui, considérer le temps comme variable indépendante dans ses équations, n’aurait été qu’un « truc » commode de Newton, un artifice de calcul. Déjà en 1965, Wheeler et Dewitt ont proposé une première équation d’évolution sans temps. Le temps, à l’instar de la couleur, n’est pas une propriété fondamentale de la matière. Le temps existerait, évidemment, s’il était la même chose que le changement. Mais justement, la Relativité Générale affirme que le temps n’est ni le devenir, ni le contenant du devenir, que le temps et l’espace n’existent pas en eux-mêmes, mais qu’ils sont relationnels (Julian Barbour). Ainsi, pour Carlo Rovelli, le changement est une évolution relative de variables dynamiques (c'est-à-dire d’états énergétiques de la matière). D’où viendrait alors l’apparence du temps ? Sans doute, pense-t-il, de la direction irréversible d’entropie croissante qu’a la succession des équilibres thermodynamiques de l’Univers.

            En tout cas, qu’elle soit d’origine cérébrale ou, plus profondément, thermodynamique, l’illusion humaine du temps, au sein du réel changement des choses, serait favorable à la survie de l’espèce. Car chez les individus, la temporalisation mentale de la nature, sélectionnée par l’Évolution, serait avantageuse pour leurs « rencontres » indispensables avec les aliments et les partenaires sexuels.

 

 

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Est-on libre de ne pas être con?


"Deux choses sont infinies : l'univers et la bêtise humaine. Pour l'univers, je n'en ai pas acquis la certitude absolue.(Einstein)"
La question posée est celle de notre possibilité de choix entre l'intelligence, cette capacité de résoudre un problème, donc de comprendre le complexe ou le nouveau, et son contraire, l'incapacité de raisonner, de comprendre et d'agir judicieusement qui définit la connerie.

D'abord, disons qu'il est difficile de parler de ce que l'on ne connait pas , par expérience personnelle.


Ni vous ni moi, cela va de soi, ne sommes des cons. Encore que bizarrement, quand j'émets l'opinion que le monde est formé à 80% de cons, je recueille toujours 100% d'approbations.
La connerie est redoutable parce que personne n'y échappe. Même si "passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet."(Courteline)
Dire « c'est un con »est  un jugement de valeur par lequel chacun de nous juge un individu, ses attitudes, ses gestes, ses décisions, ses propos par rapport à ce que chacun de nous pense être intellectuellement, socialement, politiquement, économiquement correct

Est désigné comme con, celui qui se montre stupide, dénué de bon sens, dont l’attitude est inepte.

Si, par exemple, j’explique à un con qu’il est impossible de se rapprocher du soleil, sans être calciné, il me répondra : tu n’as qu’a y aller la nuit !.

En général ( et je connais plus d’un con en Général ), le con est essentiellement celui qui ne pense pas comme moi, qui ne jette pas le même regard sur la société, qui n’utilise pas les mêmes outils, le même langage, les mêmes repères....à savoir, puisque je suis unique, n’importe qui d’autre que moi.

Avec, bien entendu la corollaire à cette affirmation :

pour n’importe qui d’autre que moi,  je suis un con, sauf s’il est suffisamment con pour ne pas s’en rendre compte. Même s'il sait qu'il est con, il est trop con pour le comprendre.

Le con se définit essentiellement par l'expression égocentrique d'une vision bornée des choses, des événements, du monde, fondée sur l'intuition que les réponses universelles à tous les problèmes, se trouvent dans sa propre pensée, ses propres réponses, sans vivre « dans la terreur de ne pas être incompris »(O.Wilde),

C'est mon opinion, et je la partage,,,,Une opinion se défend, un argument se démontre,
La limite de vision du con est son propre regard.

La connerie se dissimule sous des doubles, synonymes, auxquels on veut donner des sens légèrement différents, mais qui reviennent à la même définition de l'incapacité pour le con de parler ou d'agir  intelligemment : stupide, imbécile,bête, sot, crétin, idiot.
Ce qui est redoutable donc, c'est l'interprétation de la réalité. Sommes nous libres de cette interprétation?
1) L’interprétation de la réalité : l’erreur d'interprétation

Ce sont des jugements établis à partir d’une interprétation erronée de la réalité, censés être les seuls, vrais, et  de bon sens. C'est donner à boire aux poules de l'eau bouillante afin qu'elles pondent des œufs durs.
 Et tout jugement personnel  implique que tout ceux qui ne pensent pas comme moi, qui n’interprètent pas le réel comme moi, qui ne jugent pas comme moi,sont des cons.
« Le problème en ce bas monde est que les imbéciles sont sûrs d'eux et fiers comme des coqs de basse cour, alors que les gens intelligents sont emplis de doute." (C'est un truc dont je n'ai pour ma part jamais douté)
La connerie est redoutable en ce qu'elle est une attitude qui empêche et ne permet de ne pas affronter le réel.

2) L’interprétation de la réalité à partir d'un modèle , d'une vérité extérieure, instillée.

Le con cherche le salut dans un modèle : autre magique dont il espère qu'il le fera échapper à son sort, alors qu'il l'enferme doublement en lui-même » ,une forme navrante de dénégation de soi-même. Le fond de la bêtise, c'est encore « l'inobservance du réel » ( Rosset)

La connerie est doublement redoutable donc, en ce qu’elle enferme celui qui la profère et celui qui la désigne

La connerie la plus redoutable est la  connerie moutonnière, parce que alors la  connerie devient la norme. illustrée par les médias.

Chacun est le con de quelqu'un et recherche plus con que lui, car il en a conscience.

- Cette  connerie moutonnière est illustrée par le dicton : « lorsque le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt ». Qui peut me montrer ce qu'il faut regarder, vers ou regarder ? (- Grands hommes, petits enfants).
C'est prendre une autorité (un pouvoir, une tradition, un auteur reconnu ou consacré., donc quelque chose qui appartient au passé..) pour un argument. Double faute: contre l'esprit. Quand l'esprit se met à obéir, que reste-t-il de l'esprit ?(C.S.)

 

"Il ne faut pas désespérer des imbéciles. Avec un peu d'entraînement, on peut arriver à en faire des militaires"

 

 

Être libre, c'est faire ce que l'on veut, y compris renoncer à la sagesse pour éviter les angoisses,. Toute volonté est libre .Pour Sartre chacun a le pouvoir indéterminé de se déterminer soi-même, autrement dit de se choisir (Sartre : « toute personne est un choix absolu de soi ») ou de se créer (Sartre encore : « liberté et création ne font qu'un »). L'histoire se fait, toujours simultanément à soi, toujours déterminée en même temps que déterminante.

Sommes nous libres de nous détacher de notre culture, de cette histoire, de ses images etc,.....sans retomber dans d'autres shémas limitant la compréhension, l'approche du réel déshabillé de ses connotations?.

Sentiment de liberté! Je fais ce que je veux, dans les limites de la loi etc,,, je me détermine moi-même.

Or Spinoza:« Les hommes se trompent en ce qu'ils se croient libres, écrivait Spinoza, et cette opinion consiste en cela seul qu'ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par où ils sont déterminés » (Éthique, 11, scolie de la prop. 35). Ils ont conscience de leurs désirs et volitions, mais point des causes qui les font désirer et vouloir (Éthique I, Appendice ; voir aussi la Lettre 58, à Schuller). Comment ne croiraient-ils pas être libres de vouloir, puisqu'ils veu­lent ce qu'ils veulent ?

Nous ne sommes pas indépendants par rapport à la nature et à l'histoire : L'âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre, et cette autre l'est à son tour par une autre, et ainsi à l'infini » (Éthique, II, prop. 48 ; voir aussi I, prop. 32 avec sa démonstration). On ne sort pas du réel. On ne sort pas de la nécessité. Est-ce à dire que chacun reste prisonnier de ce qu'il est ? Non pas, puisque la raison, qui est en tous, n'appartient à personne.
La vérité n'obeit pas, n'est pas à choisir ;elle s'impose nécessairement à toute personne qui la connaît au moins en partie. C'est ce qu'on peut appeler la liberté de l'esprit . La vérité n'obéit à personne, pas même au sujet qui la pense : c'est en quoi elle est libre, et libère.

À quoi bon vouloir, si toute pensée était esclave ? Nous sommes libres d'agir, de vouloir, de penser, du moins nous pouvons l'être, et il dépend de nous — par la raison, par l'action — de le devenir davan­tage. Notre liberté n'est que relative, toujours dépen­dante (du corps ou de la raison, de l'histoire ou du vrai), toujours déterminée, et j'en suis d'accord. Nul n'est libre absolument, ni totalement. On est plus ou moins libre . La liberté n'est pas donnée, elle est à conquérir. C'est la vérité qui libère. La liberté est un travail. Les ignorants sont d'autant moins libres qu'ils se figurent davantage l'être. Au lieu que le sage le devient, en comprenant qu'il ne l'est pas.

Encore faut-il rappeler que nul n'est sage en entier — que la liberté est moins une faculté qu'un processus. On ne naît pas libre ; on le devient, et l'on n'en a jamais fini. Il faut se libérer toujours, et d'abord de soi. C'est parce que la liberté n'est jamais absolue que la libération reste toujours possible, et toujours nécessaire, même partiellement pour être le moins con possible.

 

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L’amour, rempart contre l’angoisse de la mort et pourvoyeur de sens pour la vie

 

L’amour, rempart contre l’angoisse de la mort

 

            Comment rendre compte de la mort ? La métaphysique qui tente de définir son essence, en fait n’explique rien : Pour l’idéalisme dualiste, la mort est soit séparation de l’âme (Platon, Aristote, Thomas d’Aquin), soit sa réunion avec la Nature (Spinoza) ou avec l’Esprit (Hegel) ; pour le matérialisme dogmatique, la mort n’est rien, car absence de vie (Épicure) ou de désir (Sartre).

En revanche, la science rend compte de la mort par ses mécanismes liés au temps : La biophysique considère que la mort est un phénomène entropique qui finit par l’emporter inexorablement sur les processus vitaux ; pour la biologie, la mort a été sélectionnée au cours de l’Évolution, car avantageuse en tant que contrepartie nécessaire de la sexualité (recombinaison sexuée des gènes chez la génération suivante, restant ainsi toujours adaptée).

 

            De fait, la vie et la mort sont toujours et partout mêlées. « La vie et la mort, dit Garcia Lorca, dans l’espace profond, se regardent et s’enlacent ». Cette réalité est source d’angoisse. Comment se fait-il alors que nous puissions rester sereins ?

 

L’élément commun de toutes les réponses de l’Humanité, depuis toujours, est de faire jouer la vie contre la mort, en les dissociant consciemment, de façon plus ou moins auto-persuasive. Mais la vie qui est mise en avant varie d’une réponse à l’autre (Le Point Références, mai-juin 2010) :

 

-Dans l’Antiquité (Égypte, Grèce et Rome), il y a la croyance mythique à une vie posthume de l’âme immortelle, seule ou avec son corps, dans les enfers. En attendant, vivre conformément à sa nature propre et à la nature des choses permet une vie heureuse. Pour les épicuriens, tant qu’on vit, seule la vie existe, et il n’y a donc pas lieu de craindre la mort qui n’est pas. Cette position est reprise par Wittgenstein : « Pour la vie dans le présent, il n’est pas de mort ». Pour les stoïciens, le rationalisme d’une vie vertueuse, à sa juste place dans la Nature, et détachée des affects, permet d’envisager la mort sans crainte.

 

-En Asie, il y a la croyance à des réincarnations successives de l’âme immortelle (Hindouisme) ou des énergies recomposées (Confucianisme, Taoïsme), dans le devenir continu de tout. Alors, la vie vertueuse consiste à « lâcher prise » (accepter que tout soit impermanent). Cet idéal de la « mort vivante » (Kâbir, XVème siècle) permet d’arrêter le cycle des réincarnations et d’accéder au nirvana serein (Bouddhisme).

 

 

-Pour les 3 religions monothéistes, il y a la croyance à une vie éternelle au paradis, corps et âme, comme récompense garantie (Judaïsme et Islam) ou promise (Christianisme) d’une vie conforme à la volonté divine. Le destin doit être accepté (Providence ou Fatalisme), la mort n’étant qu’un passage vers la vie éternelle.

 

-Pour la modernité laïque, seule la vie terrestre existe ou compte, la vie festive crée un « soi collectif », et la mort tend à être escamotée (Foucault : « Le pire, c’est qu’il n’y a rien à dire de la mort »). Cette vie trouve son sens dans sa perfectibilité sans fin (âme immortelle de Kant), sa répétition des bons moments (éternel retour de Nietzsche), son vécu total par la révolte (engagement altruiste de Camus), ou son plein vécu de l’instant (authenticité intense, de Jankélévitch et de la psychologie). En outre, la conscience de la vie « éternelle » de l’Humanité permet de contenir l’angoisse devant la mort particulière.

 

            Cependant, en dépit de ces différentes réponses, dont la ficelle apparaît parfois un peu grosse, la conscience du tragique de la vie persiste. Alors, en quoi vivre peut-il être efficace contre l’angoisse de la mort ? Quoi exactement dans la vie permet de contenir cette angoisse ?

La réponse unanime des Modernes, aussi bien les humanistes que les matérialistes, est que c’est l’amour qui permet de faire reculer l’angoisse de la mort. Mais pourquoi donc l’amour ?

 

Le Dr Jean-Claude Ameisen, Président du Comité d’Éthique de l’INSERM propose, pour la vie individuelle, une analogie avec la vie cellulaire : La vie d’une cellule dans l’organisme dépend des signaux biochimiques positifs que lui envoient les cellules environnantes et d’autres parties du corps. De la même façon, la vie d’un individu dans le corps social dépendrait des signaux positifs en provenance des autres, à travers tous les réseaux relationnels, familial, professionnel, amical. C’est pourquoi, « pour rendre la mort plus acceptable, dit le Dr Ameisen, il faut vivre avec les autres, parmi les autres ».

 

            L’ensemble des signaux positifs que chacun reçoit dans ses relations sociales constitue ce qu’on peut appeler le « relationnel caressant » pour soi. Alors, le bonheur inhérent au relationnel caressant, cet amour-là en boucle réflexive avec autrui, apparaît bien capable, en effet, de repousser l’angoisse de la mort. Mais, hélas, nous ne sommes pas tous égaux devant le relationnel caressant.

 

L’amour, pourvoyeur de sens pour la vie

 

            Pendant très longtemps, la vie humaine a trouvé son sens dans la Cosmologie, la Religion ou l’Idéologie. Mais, à l’époque moderne, Galilée a tué le Cosmos fixe, fini et hiérarchisé, plus tard la Modernité et Nietzsche ont tué Dieu, et enfin, depuis la chute du mur de Berlin, la réalité a tué l’Utopie politique.

 

            Par ailleurs, certains courants philosophiques, comme le Bouddhisme, le Stoïcisme et le Spinozisme, cherchent expressément à débarrasser la vie des illusions de son sens, que sont les attachements du moi. Parvenir à éliminer la question elle-même du sens de sa vie, comme en s’absentant de soi, c’est pour ces philosophies la sagesse même.

            Dans le Christianisme, c’est l’inverse. Le sens de la vie réside dans l’amour personnel, c'est-à-dire dans les attachements du moi.

            Pour Kant, le sens de la vie réside dans le processus d’individuation, à travers l’élargissement de la pensée dans la relation à autrui, qui est la condition de l’amour.

            Pour Nietzsche, le sens de la vie est de vivre intensément, de réaliser volontairement toute sa puissance, en faisant de sa vie une œuvre d’art.

 

            De nos jours, l’Humanisme néokantien affirme que le sens de la vie est absolu, et consiste à vivre conformément à des valeurs comme la Vérité, le Bon et le Beau, toutes englobées dans l’Amour, qui transcendent l’individu, et permettent ainsi l’intersubjectivité. Le sens de la vie n’est donc pas de donner du sens à l’existence, puisque ce sens absolu précède et surplombe celle-ci.

 

            De son côté, le Matérialisme relativiste considère qu’il n’y a pas de sens de la vie, mais plutôt du sens dans la vie, car rien ne la transcende et que son sens est à donner, à créer. L’amour n’a pas de sens en soi ; par contre, vivre, aimer, donne du sens à la vie. C’est l’amour qui « fait sens » dans les relations de la vie. L’existence de chacun prend ainsi du sens, son propre sens, relatif.

 

            Mais, comment l’expérience de l’amour peut-elle rendre la vie sensée ? Il suffit de considérer que l’amour n’est pas un sentiment d’attraction désirante envers autrui, mais plutôt un sentiment agréable de plaisir, de bien-être, dans les relations désirantes avec les autres. L’amour est « relationnel caressant » pour soi. Alors, cet amour-là en boucle réflexive avec autrui, qui est bonheur, apparait bien capable, en effet, de fournir un sens à la vie : Aussi bien un sens relatif dans la vie de chacun, selon sa personnalité et son histoire, qu’un sens absolu de la vie humaine, commun et partagé par tous. Mais, hélas, nous ne sommes pas tous égaux devant le relationnel caressant.

 

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« Tu ne peux pas retenir ce jour, mais tu peux ne pas le perdre. »

Extrait du Inscription latine anonyme gravée sur un cadran solaire.

 

C’est le problème de la conscience volontaire, la capacité à choisir de ne pas perdre les expériences du jour qui passe.

La mémoire contient l’expérience passée du sujet conscient. Une grande part de son fonctionnement se fait dans une spontanéité qui ne constitue pas un acte intentionnel. Ce qui est proprement intentionnel, c’est seulement le rappel du souvenir en tant qu’effort pour tirer un élément de la mémoire, la remémoration volontaire.
Or la mémoire n’est pas une « partie » de la conscience. Les souvenirs ne sont pas des choses, ne sont pas des objets rangés dans des tiroirs. La conscience n’est pas divisible en partie. La mémoire non plus.  Le fonctionnement du cerveau est global. La mémoire est une activité de la conscience car la pensée ne se limite pas à ce que la représentation consciente nous livre.
C.S. nous dit que la mémoire est la conscience présente du passé, que ce soit en puissance (comme faculté) ou en acte (comme mémoration ou remémoration)…C'est la conscience actuelle de ce qui ne l'est plus, en tant que cela l'a été…. Le vrai devoir, ce n'est pas de se souvenir, c'est de vouloir se souvenir…C'est aussi la seule façon de préparer valablement l'avenir. Du passé, ne faisons pas table rase.
La mémoire contient l’expérience passée du sujet conscient
Expérience : notre contact avec le réel, même si ce n’est qu’une lanterne qui éclaire le chemin  parcouru.

Cette conscience volontaire, capacité à choisir de perdre ou ne pas perdre les expériences du jour qui passe, contenue dans la mémoire peut donc aussi être l’instrument de l’oubli.

Le doute méthodique comme volonté d'oubli.
Prenons par exemple l'incroyable entreprise de Descartes dans la première de ses Méditations métaphysiques : " me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues ". Faire table rase de tous les préjugés, vouloir oublier tous les présupposés de la pensée, c'est vouloir tout révoquer en doute. (argument du rêve, possibilité du Dieu trompeur) . Ce doute de Descartes est un doute volontaire. Le " vouloir oublier " est comme la recherche d'une méthode, la tentative non plus seulement d'atteindre une fin (oublier), mais de se donner des moyens pour y parvenir. Ce choix est donc philosophie.

Pouvons nous réellement choisir ? Perdre ?

Internet : des flux d’archives. Force productive d’archivation et de communication d’archives sans précédent dans l’histoire, Internet brise les codes antérieurs, codifiant les rapports sociaux de production d’archive (production de comptabilité, de mémoire, d’histoire, de savoir, production immatérielle, spirituelle ou intellectuelle, production artistique), les codes de ce qui et quoi est archivé, et pourquoi, en vue de qui, en vue de quoi, etc. Ce qui brise les codes antérieurs et libère par ses capacités décuplées une formidable compulsion généralisée à l’archivation frénétique, au stockage illimité, à l’enregistrement et accumulation de traces, marques de toutes sortes. À cette puissance productive démultipliée correspond une perte de discrétion ou de discrimination généralisée, entre ce qui doit être archivé et ce qui ne doit pas l’être, ce qui doit être distribué, et à qui.

L’indiscrétion (au sens actif) croissante de la pratique de l’archivage produit chez le sujet sa propre nature compulsive : réduit à ne plus savoir discriminer ni ce qu’il faut archiver, ni ce qu’il faut diffuser, ni comment, ni à qui, le sujet ne sait plus ni pourquoi ni pour qui il archive : il ne lui reste plus qu’à faire compulsivement usage de sa capacité démultipliée à archiver. Cette capacitation démultipliée à archiver fait peser sur le sujet une responsabilité à l’égard du présent jusque-là ignorée.

Le présent, à présent toujours silencieusement doublé de la possibilité technique de sa mise en archive, ne peut plus être vécu sur le mode de l’investissement total. À une structure de l’expérience de type : «il faut que je sois totalement présent à ce qui m’arrive, à ce qui m’est en ce moment présent, car ce présent ne reviendra pas», le sujet de l’indiscrétion substitue une logique de type : «je ne peux pas me donner totalement à ce qui m’est là, maintenant, présent, parce qu’il faut que je détourne vers l’acte de son archivation. Par passage à la limite, on n’en vient à ne plus vivre ce présent qu’en s’en détournant pour mieux pouvoir l’archiver.

Sa femme Eurydice ayant été frappée par la mort le jour même de leur mariage, Orphée décida de descendre aux Enfers pour faire fléchir Hadès.
Après avoir endormi Cerbère, le monstrueux chien à trois têtes qui en gardait l'entrée, et les terribles Euménides grâce à sa musique, il charma le Dieu des Enfers pour que celui-ci libère Eurydice.
Hadès le laissa repartir avec sa bien-aimée à condition qu'il ne se retourne pas et ne lui parle pas tant qu'ils n’auraient pas regagné tous les deux le monde des vivants.
Mais au moment de sortir des Enfers, Orphée ne put s'empêcher de se retourner vers Eurydice et perdit définitivement sa bien-aimée.

Le mythe d'Orphée: la loi qui interdit à Orphée de "se retourner" vers Eurydice est symbolique d'une tension à l'intérieur même de la volonté, d'un écartèlement entre la "volonté-désirante" de se tourner vers l'inévitable, vers l'impossible objet de l'oubli qu'est Eurydice, et une "volonté-contraignante", une contre-volonté qui veut la loi, la loi de l'oubli, la loi de la vie, entre une volonté portée vers un objet et une volonté qui se veut elle-même.

Tout se passe comme si, en désobéissant à la loi de l'oubli, en regardant Eurydice, Orphée n'avait fait qu'obéir à l'exigence profonde du "vouloir oublier" : vouloir oublier, c'est avoir conscience que l'on veut oublier

 

Se baigner 2X

Jour objectif, souvenir subjectif. –

 

La perspective du temps est le résultat d'un long parcours durant lequel l'expérience du vécu s'acquiert à travers un flux qui se déploie entre passé, présent et futur. Seul le présent existe. Le passé n’est pas parce qu’il n’est plus. L’avenir n’est pas encore. « Le temps, écrit André Comte-Sponville, n’est ni un être ni un pur néant : il est le passage perpétuel de l’un en l’autre et leur confirmation, si l’on peut dire, réciproque. Ne soyons pas trop dupes de l’impermanence, ni de la nostalgie, ni de leurs prophètes fatigués. Vivre c’est mourir, disent-ils, durer c’est changer. " « Qu'est-ce donc que le temps? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus." Saint Augustin, Confessions, XI, 14.
"Le passage du présent à un autre présent, je ne le pense pas, je n'en suis pas le spectateur, je l'effectue, je suis déjà au présent qui va venir comme mon geste est déjà à son but, je suis moi même le temps, un temps qui "demeure" et ne "s'écoule" ni ne "change" comme Kant l'a dit dans quelques textes." Merleau Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard. page 482.

Je n'ai rien contre le temps, mais par moments, j'ai des envies de tuer le temps. [Vincent Roca

 

Se souvenir que l’oubli existe.
TEMPS PERDU C'est le passé, en tant qu'il n'en reste rien, ou le présent, en tant qu'il n'est que l'attente de l'avenir. Aussi est-ce le contraire de l'éternité. Misère de l'homme. Le temps perdu, c'est le temps même. C.S.

 

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rempart
retenir jour
espace interieur

Café philo du 8 octobre 2014

Réflexion à partir de l’ouvrage de Jean-Louis CHRETIEN,

L’espace intérieur, février 2014, aux Editions de Minuit.

 

Même si l’homme chemine incessamment, « il est aussi essentiellement l’être de la demeure, qui s’approprie des lieux du monde, les aménage ou y bâtit. L’ermite a sa grotte ou sa hutte, le nomade a sa tente ou son camp ». Tout être humain a un besoin fondamental d’habiter un lieu.  Notre intériorité peut aussi être comparée à un espace habité. Au cours de l’histoire la métaphore de l’habitat intérieur a été utilisée depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. « Parler, c’est toujours spatialiser, et la pensée de l’intériorité, comme le montre le mot lui-même, a toujours produit des schèmes variés, qui la figurent et la font saisir, quand bien même cette intériorité serait considérée comme inétendue ». A quoi peuvent servir ces images de chambre, de château, de temple, de maison ? Il ne s’agit pas simplement de les décrire, mais de savoir en quoi elles peuvent avoir des effets sur notre existence. La pertinence philosophique de la démarche de Jean-Louis CHRETIEN repose sur l’analyse de l’économie de cet espace intérieur (nature des échanges entre le dedans et le dehors), sur l’analyse de l’énergétique (nature des forces psychiques qui régissent ou troublent ces échanges et traversent l’intériorité elle-même), et enfin sur l’analyse de la dramatique dont la chambre va être le lieu (événements et actes qui s’y déroulent). Cela permet alors de « formuler, d’organiser, de construire la saisie de l’humaine expérience ».  Notons au passage le paradoxe à parler de lieu intérieur alors que cet espace est caractérisé par son inétendue comme le disent St AUGUSTIN, DESCARTES et KANT, par exemple. Mais la pensée et l’affectivité se comprennent souvent spatialement: l’angoisse resserre, pétrifie, la joie élargit…

 

La question qui nous intéresse aujourd’hui est de savoir ce qui se passe dans cet espace en terme d’hospitalité ou de non-hospitalité par rapport au monde et quelles en sont les conséquences sur notre identité. L’espace intérieur est-il un lieu de solitude que nous souhaitons maîtriser en nous rendant indisponible à l’événement ou cherchons nous à laisser la place à Dieu ou à l’autre en les faisant vivre en nous? Il y a ici un enjeu anthropologique qui concerne l’identité de l’homme dans sa complexité.

Examinons d’abord ce que la topique chrétienne nous apprend de cet espace intérieur.

 

1) La topique chrétienne et l’hospitalité faite à Dieu.

 

C’est dans l’Antiquité chrétienne que cette métaphore est née à partir d’un passage de l’Evangile de MATTHIEU où il est question de la « chambre du cœur », en écho à un verset du prophète ISAÏE où Dieu s’adresse à son peuple en lui commandant d’entrer dans ses chambres et de fermer la porte. Il s’agit alors de se protéger de sa colère, mais l’image est restée comme celle du lieu intérieur où peut se produire la rencontre avec le divin.  Pour ORIGENE, au IIIème siècle, qui fut l’un des penseurs majeurs de l’Antiquité chrétienne, il se passe bien des événements dans la chambre du cœur. A l’image de la femme dans la parabole de l’Evangile de St LUC, nous cherchons la drachme perdue dans notre maison alors que nous en possédons bien d’autres parce qu’il s’agit de « trouver la drachme en nous, car c’est en nous qu’a été placée l’image du roi céleste ». L’intériorité n’est donc pas le lieu de la solitude. Entrer en soi, c’est y trouver la trace, l’image, la voix silencieuse de Dieu, plus intérieur que ma propre intimité selon la parole célèbre de St AUGUSTIN.  Pour St AUGUSTIN, nous sommes des pécheurs vivant à l’extérieur de nous-mêmes et nous devons nous découvrir intérieurement. C’est le début d’une aventure intime où exploration et construction de l’espace intérieur ne s’opposent pas. Le modèle architectural permet de retracer ce chemin à l’intérieur de nous-mêmes. Cette aventure n’est pas maîtrisable, il s’agit simplement de ne pas faire obstacle à la grâce de Dieu. Cette aventure intérieure est indissociable de l’aventure collective. Notre identité est celle d’une voix parmi les autres, dans le chœur de la « Communion des Saints ». Ces lieux intimes ont pour fin ultime comme pour ORIGENE, l’accueil de Dieu pour qu’il puisse venir y habiter. Il ne s’agit pas d’un simple dialogue avec soi-même. Les demeures diverses sont des métaphores pratiques pour permettre de bien conduire sa vie. La réflexion morale est stimulée par la façon dont St AUGUSTIN décrit le chambre du cœur, lieu « d’incessantes querelles », où on rentre parfois, « pris de tristesse », car on y retrouve « les ennuis, les murmures, les amertumes, les rejets », les malheurs, et où il est nécessaire de « faire le ménage », nettoyer « la cupidité, l’avarice, les superstitions, les mauvaises pensées, la haine », afin de le purifier, et le transformer, sans que tentations, tribulations et faiblesses soient à jamais éliminées, en havre « de silence, d’ordre et de paix ».  Pour St AUGUSTIN, l’homme est l’image de Dieu. Il s’agit d’une nouvelle dignité de l’homme. La présence de Dieu dans mon être est la condition de possibilité de la présence en moi de ceux que j’aime et de l’amour que je leur porte. Son esprit a en permanence un lien actif et dynamique à son modèle.  L’exemple donné par Ste Thérèse d’AVILA est intéressant en ce qui concerne la description du chemin intérieur. Dans le Château qui se révèle comme un traité mystique, il est question en nous d’un jeu de forces toujours changeantes qui accompagne notre propre transformation sur le modèle d’une métamorphose. Il ne s’agit pas d’un cheminement uniforme, l’humilité en est le fondement en vérité. Il faut laisser Dieu agir.  « Le passage de la première à la seconde demeure se produit par une plus grand constance dans la prière et l’attention à Dieu. Ce premier progrès dans la connaissance de Dieu et en soi suscite une souffrance auparavant inconnue: celui qui était sourd et muet a cessé d’être sourd tout en restant muet. Il entend l’appel de Dieu, par le biais des autres hommes… et souffre de n’avoir pas de voix pour lui répondre.

Le passage d’une demeure à l’autre n’est rien d’autre, donc, qu’une transformation dans l’économie des forces internes.  Le mariage spirituel des septièmes demeures est par excellence le lieu de la « paix », puisque l’âme y atteint le centre du château où le Roi habite (et donc aussi bien son propre fond, ou faîte selon qu’on voudra dire) ». « Le fil conducteur de la dramatique semble être celui d’une réduction progressive de l’opacité intime et d’une croissance ou d’une libération graduelle de la transparence, par l’effet de la connaissance et de la maîtrise de soi que la grâce nous rend désormais possible ». Le schème du chemin est plus puissant que celui de la construction.  L’ultime leçon du Château est l’union de la vie active et de la vie contemplative, et donc le dévouement à autrui.  En conclusion, pour la topique chrétienne, ma chambre devient pour moi inhabitable, et son intimité un enfer, quand il n’y a en elle que moi, car elle n’est pas sa destination. Ce qui de ma part ouvre et déploie l’espace intime est l’acte de prière.  « Le vide que je dois faire, ou plutôt laisser être en moi, est un lieu d’hospitalité pour Dieu. Ma plus haute possibilité, s’agissant de l’identité personnelle, est de la rendre habitable par lui ».  « Le secret de la chambre du cœur n’équivaut en rien à l’individualisme et au solipsisme, il établit un va-et-vient permanent entre solitude et communauté. La chambre du cœur deviendra un bien commun de l’Europe. Le développement du monachisme fera que la chambre du cœur se transformera souvent en cellule ». « Cependant, à la période moderne, cette chambre du cœur va devenir une autre chambre intime qui ne sera plus d’abord une chambre pour Dieu ». Elle quittera cette fonction d’hospitalité du divin.

 

2) Chambres profanes et modernité.

 

« La chambre devient avant tout un espace privé, où je suis seul avec moi-même, que ce soit pour mon accomplissement ou pour ma ruine ». « Le fait que ma chambre ne soit plus qu’à moi, et n’ait plus Dieu comme hôte, loin de faire découvrir à l’homme son autonomie, lui révèle sa fragilité, son instabilité, sa misère affective, son insuffisance ». Nous sommes entrés dans le devenir profane du paradigme de l’intériorité spacieuse. Le basculement réside dans le moment où la « demeure intérieure » cesse d’être « un lieu d’hospitalité pour la présence personnelle de Dieu et devient la chambre solitaire où la conscience s’entretient incessamment avec elle-même ». C’est ce moment que Jean-Louis CHRETIEN repère notamment chez MONTAIGNE, KANT ou ROUSSEAU. MONTAIGNE utilise l’image de l’ « arrière-boutique », qui deviendra chez PASCAL la « pensée de derrière », qui permet de juger en toute liberté sans pour autant s’exposer. Pour MONTAIGNE, je dois me réserver un lieu intérieur, où je peux me retirer à tout moment en refermant la porte de mon arrière-boutique, pour y mener, moi seul, avec moi-même, mes activités les plus propres et les plus inaliénables contre la constance du rôle social.  FREUD reprend ce schème domestique dans ses Leçons pour introduire à la psychanalyse de 1916 en figurant notre être psychique et son destin par les pièces d’un appartement. Il distingue deux pièces seulement: « Nous assimilons donc le système de l’inconscient à une grande antichambre dans laquelle les tendances psychiques se pressent comme des individus. A cette antichambre est attenante une deuxième pièce plus étroite, une sorte de salon dans laquelle séjourne aussi la conscience ». L’antichambre est ici plus vaste que le salon, premier paradoxe, et le second, c’est que nous ne sommes jamais entrés dans cette antichambre qui ne communique pas avec l’extérieur, sinon par notre gestation ou par notre naissance, et l’inconscient qui sera remplacé par le ça dans la deuxième topique n’a pas non plus de communication avec l’extérieur, si ce n’est par l’intermédiaire de la conscience ou du moi. La conscience est comme séquestrée et le gardien qui se tient entre les deux pièces inspecte les tendances qui se présentent pour les filtrer. Ce salon où se tient la conscience symbolise le système du préconscient. Tout ce qui entre dans le salon ne deviendra pas conscient, mais seulement susceptible de l’être sans obstacle. La porte ne sépare pas l’inconscient de la conscience, mais deux sens de l’inconscient, l’un auquel la conscience n’a pas accès, l’autre qui est sa ressource, et le fonds où elle puise à chaque instant.  Avec FREUD et BERGSON les ruptures sont nettes avec le paradigme de la topique chrétienne. Il y a apparition d’un « moi » substantivé. BERGSON va jusqu’à parler du « moi de la veille » et du « moi du rêve » et, le moi deviendra l’une des trois instances de la seconde topique de FREUD, avec le surmoi et le ça. « Qu’il ne soit pas maître en nous, qu’il ait trois « maîtres sévères » est souvent considéré comme la nouveauté de la doctrine freudienne, et lui-même significativement justifie la substantivation du « moi » par sa servitude et sa sujétion à ses « trois maîtres ». Le moi est par essence la puissance inhospitalière qui interdit de penser mon être comme habité. C’est dans tous ces exemples l’effacement de la topique chrétienne et la constitution de la subjectivité et de son règne sans partage.

 

Conclusion.

Décrire la vie psychique c’est tenir compte de la fin ultime qu’on lui assigne. Les décisions quant à cette fin conduisent à des topiques différentes. Les topiques psychologiques modernes nient que la vie comporte en son centre une source de lumière et de force extra-mondaine et proprement divine dont les caractéristiques sont: - Je ne puis avoir accès à cette source que par la parole de Dieu. - L’individuation spirituelle personnelle n’a lieu que dans la communauté, par elle et en elle. - Cette habitation possible en nous de celui qui nous dépasse infiniment dessaisit de toute maîtrise ultime et frappe d’interdit tout calcul définitif.  - L’événement de l’hospitalité me dépossède de toute position d’observateur. - Le chemin de la connaissance de soi conduit à s’oublier. Quand l’horizon mystique de l’anthropologie chrétienne bascule, cela n’enlève en rien la force heuristique du schème de l’espace intérieur. Les manières dont il est organisé continuent de caractériser la nature de l’identité humaine.   Pour les modernes, l’identité est une profanation de l’espace intérieur, une déconsacration. Dieu déserte à nos yeux ces demeures intérieures.

Même croyant, je suis seul désormais avec moi-même. Le temps désaffecté devient le royaume de la subjectivité, mais le vide qui s’y découvre révèle l’ampleur de cet espace. L’identité personnelle tend à se fissurer sous la pression de la multiplicité des rôles sociaux. La topique psychologique moderne vise à une maîtrise pratique de ce qui pourrait le plus lui échapper, des troubles ou des empêchements qui se produisent en nous malgré nous. Elle s’ouvre à une maîtrise cognitive qu’elle croit illimitée. La méditation la plus forte de l’événement est en psychologie celle du trauma, tandis que dans la topique chrétienne, elle porte sur ma libération et mon élargissement par la venue en moi de l’hôte divin. Je propose de quitter cette opposition proposée par la lecture de Jean-Louis CHRETIEN pour se tourner vers ce que dit François JULLIEN du partage de l’intime qui pourrait évoquer la possibilité d’un chemin moral original. Pourquoi ce ne serait pas l’autre qui, en étant plus intérieur à moi-même que moi-même, partagerait mon espace intérieur et me renverrait d’une autre manière à la communauté des hommes? Nous quitterions ainsi la question de la transcendance christique pour vivre l’altérité comme transcendance.

 

Geneviève

 

Analyse de l’ouvrage de Jean-Louis CHRETIEN, L’espace intérieur par Jacques MUNIER, à partir de la Revue Critique N°802 dossier Pierre-Henri CASTEL, les vies de l’esprit.

 

« J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». Cette phrase célèbre des Pensées de PASCAL dénonce l’esprit de « divertissement » qui nous pousse, dans une perpétuelle fuite en avant, à surseoir à l’explication avec nous-mêmes, nos impasses et nos stupeurs. D’où le commentaire de Jean-Louis CHRETIEN: « lorsque nous fermons la porte de notre chambre matérielle, le péril est toujours que la porte de la chambre du cœur vienne à s’entrouvrir ». C’est dans l’élément de cette métaphore spatiale de l’intériorité que progresse la pensée du philosophe, qui fait l’archéologie de l’image de la chambre et de ses avatars toujours « architecturaux » - arche, temple, château intérieur pour Thérèse d’AVILA, arrière-boutique chez MONTAIGNE - jusqu’à la topique freudienne qui poursuit l’analogie entre les fonctions psychiques et les pièces d’un appartement, représentation la plus commode mais aussi la plus éprouvée et la plus ancienne!

 

Car c’est dans l’Antiquité chrétienne que cette métaphore est née et qu’elle a prospéré à partir d’un passage de l’Evangile de MATTHIEU où il est question de la « chambre du cœur », en écho à un verset du Prophète ISAÏE où Dieu s’adresse à son peuple en lui commandant d’entrer dans ses chambres et de fermer la porte. Il s’agit alors de se protéger de sa colère mais l’image est restée, comme celle du lieu intérieur où peut se produire la rencontre avec le divin. De cette ancienne analogie, ressassée sur tous les tons par les Pères de l’Eglise, exaltée dans la poésie mystique, nous est resté le sens d’une radicale altérité à nous-même en notre « for intérieur », qui fait du monologue une version intime du dialogue et donne à ce que nous appelons l’identité une substance constamment traversée par les autres autant que par notre présence au monde. « Quelque chose de tous se joue dans le secret de chacun, et quelque chose du destin de chacun se décide dans la marche commune ». Et renversant la perspective de la projection spatiale dans la vie psychique, FREUD se demande si notre perception de l’espace, ne serait pas au moins autant « une extension de l’appareil psychique », qui lui « n’en sait rien ».

 

 Nous sommes entrés par-là dans le devenir profane de ce paradigme de l’intériorité spacieuse, mais comme le montre Jean-Louis CHRETIEN, il était en quelque sorte programmé. Ses analyses portent en effet sur ce moment de basculement où la « demeure intérieure » cesse d’être- je cite -« un lieu d’hospitalité pour la présence personnelle de Dieu et devient la chambre solitaire où la conscience s’entretient incessamment avec elle-même ».

 

C’est ce moment qu’il repère notamment chez MONTAIGNE, KANT ou ROUSSEAU. MONTAIGNE utilise l’image parlante de « l’arrière-boutique », qui deviendra chez PASCAL la « pensée de derrière », qui permet de juger de tout en toute liberté sans pour autant s’exposer. Sur un mode plus poétique, et néanmoins dans une étonnante continuité formelle et symbolique avec les « compositions de lieu » prônées par IGNACE de LOYOLA dans ses Exercices spirituels pour se représenter la vie intérieure, BAUDELAIRE décrit dans La chambre double tout un décor assorti à la rêverie: « L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir ». !

 

« Tout homme porte une chambre en lui - écrit KAFKA dans un fragment énigmatique - c’est un fait qui peut même se vérifier à l’oreille. Quand un homme marche vite et que l’on écoute attentivement, la nuit peut-être, tout étant silencieux alentour, on entend par exemple le brimbalement d’une glace qui n’est pas bien fixée au mur ». Le miroir a remplacé l’inquiétante étrangeté de la présence divine. Mais il branle dans le cadre. « Evitons donc tout geste brusque jusqu’à la partie suivante », commente le philosophe.

 

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pessimisme

 Du bon usage du pessimisme

 

Le philosophe Paul Ricoeur, avait considéré que 3 de ses prédécesseurs étaient ce qu'il nomma des philosophes du soupçon: dorénavant les concepts bien formulés se devaient de mettre à jour ce qui jusque-là avait su échapper à la faculté de raisonner. Ainsi pour Freud, c'est l'inconscient qui mène la danse, pour Marx, ce sont les lois de l'Histoire telle qu'elles résultent des rapports de domination économique, pour Nietzsche, également, la vérité semble impossible: "on écrit des livres pour cacher ce que l'on porte en soi...toute opinion est aussi une cachette, toute parole est un masque". Pour Luc Ferry, ces 3 éminents penseurs ont eu comme précurseurs A. Schopenhauer, le philosophe qui a eu et qui a encore la réputation d'être fondamentalement pessimiste, car déjà, il avait mis en doute, la possibilité pour l'homme d'être le maître indiscutable de sa pensée et de ses actions. Pourtant, de sa noire radicalité, il en tirera paradoxalement une théorie du bonheur, "die Kunst glücklich zu sein".

 

 Un des grands commentateurs de S. et de son œuvre maîtresse, "le Monde comme Volonté et comme Représentation", à savoir C. Rosset, écrira, dans son ouvrage: "Le réel, traité de l'idiotie", " Si le sort le plus général du réel est d’échapper au langage, le sort le plus général du langage est de manquer le réel". Voilà qui contredit radicalement les morales traditionnelles et les religions qui y sont attachées, lesquelles considèrent que le monde est rationnel, que notre existence est sensée et que les mots sont là pour le signifier avec précision.
 En réalité, affirme S., il ne s'agit là que de représentation. Il emploie le terme de "Vostellung" et non "Darstellung", car il ne s'agit pas seulement d'exhiber ce que l'on veut présenter (Darstellung), mais aussi de s'affirmer dans le rôle que l'on joue, ou plutôt que la "volonté" nous fait jouer (Vorstellung). Qu'est-ce que la volonté dans ce contexte? Tout ce qui fait agir, toutes les forces de la nature, celles qui sont à l'œuvre depuis l'infiniment grand jusqu'à l'infiniment petit. La science a depuis pu établir qu'il y avait 4 forces fondamentales universellement présentes et qui permettent à l'univers d'être ce qu'il est: ce sont l'interaction nucléaire forte, l'interaction électromagnétique, l'interaction nucléaire faible et la gravitation.

Qu'est-ce que la représentation: de quoi s'agit-il ? Tout semble évoluer dans un monde d'ordre, où chaque chose est identifiable, où tout est explicable grâce au principe de causalité (rien n'est sans une cause agissante) et où tout est sensé: on sait ce que l'on fait car on a la liberté de choisir ses actes et tout est doté d'une signification ultime: celle que donnent les religions. Tout ce qui est entrepris trouve sa base dans un nécessaire principe de finalité.

 

 Or qu'y a-t-il derrière la belle affiche? Qu'y a-t-il derrière la belle assurance assumée? Ne résulte-t-elle pas tout simplement de la manière dont nous voulons être vus et perçus? Car il y a le monde du vouloir cad un indéfinissable désir d'existence aveugle et sans but, lequel détermine les existences particulières. Pourquoi indéfinissable? La chose en soi, le noumène, dont parle Kant et que cite S., est inconnaissable, il n'y a que le phénomène, ce qui apparaît, et qui est lié au principe de causalité, qui puisse faire l'objet d'une analyse. Ceci parce que l'on ne peut connaître de la réalité uniquement ce que l'intellect peut en saisir.
La connaissance est donc limitée, la croyance en la possibilité de l'omniscience restera à jamais un illusion, et tout ce qui relève du champ de la volonté, qui est une chose en soi, un noumène donc, ne pourra que faire l'objet de spéculations. Mais ce n'est pas là ce qu'il y a de plus grave. Car même de ce que la science établit et considère comme certain, quelle valeur peut avoir cette certitude? En effet, l'un des principes essentiels d'explication des phénomènes, celui de causalité ne repose sur rien, il est "grundlos", sans fondement. La série de causes qu'essaie de démêler le scientifique, en réalité ne s'arrête jamais. Elle est infinie. Le principe de causalité nous emmène ainsi vers le sans-cause, voilà ce qui est absurde, selon S. Tout au plus peut-on s'arrêter à Dieu, mais alors on bute sur que Spinoza nomme l'asile de l'ignorance.

 

Le monde n'est donc que partiellement explicable, puisque seul est connaissable ce qui est accessible au raisonnement.


Tant et si bien, nous dit Spinoza., puisque le monde ne dépend pas d'une cause première connaissable, il est par conséquent contingent: il pourrait très bien ne pas exister: " la source de son existence est formellement sans raison: elle consiste, en effet, dans un vouloir-vivre aveugle, qui, en tant que chose en soi, ne peut être soumis au principe de raison, forme exclusive des phénomènes et seul principe justificatif de toute question."

Le vouloir, ce qui est établi comme étant sans cause, répond de l'existence du monde. Certes, mais on peut se poser la question: en quoi cela devrait-il être absurde, voire angoissant (Heidegger)? Il n’y a pas à se poser la question du pourquoi le monde est, puisque l'esprit humain n'y a pas accès. La grandeur de l'homme réside dans le fait qu'il doit avoir la modestie d'admettre qu'il doive limiter son questionnement non au pourquoi mais au comment (comment cela fonctionne-t-il?). 

Affirmons même qu'il n'y a pas de pourquoi. Car si le monde n'était pas, il n'y aurait que du néant cad de l'inexistant. Mais comment définir ce qui n'existe pas? C'est naturellement impossible. On admettra donc que le monde est, et est ce qu'il est, en fonction de sa nécessité d'être. On appellera nécessité ce qui ne découle d'aucun principe de causalité.

 

Quelle est l'origine de la conscience et quelle doit-être sa fin? Elle est, fruit de cette volonté qui anime le monde, et ne nous sert qu'à nous poser la question du comment. Contrairement à ce que pense S., ce n'est pas parce que le monde est sans cause et sans finalité qu'il est absurde, mais il serait absurde qu'il soit figé, statique, réduit à une essence qui ne se concrétiserait dans aucune existence particulière. Imagine-t-on une conscience dépourvue de subjectivité? C'est impossible. Dès lors qu'il y a conscience, il y a subjectivité. C'est le je, le particulier, l'individu qui permet de donner un sens à ce qui n'en a pas par soi-même. Laissons aux scientifiques la tâche de nous éclairer quant aux mystères du monde, ne demandons pas aux philosophes de se prononcer sur l'énigme de son existence.

Pour en revenir à Schopenhauer, puisque, considère-t-il sans enthousiasme, le monde est sans fondement, nos actions n'ont pas de sens. En effet, il peut sembler logique de considérer que c'est en fonction ou en raison d'une cause que l'on peut définir une finalité. Mais tant qu'on est dans la représentation, qu'on cherche à donner une image de soi, ce n'est pas trop grave, on trouve de multiples occasions de flatter sa vanité. "L'homme a toujours un but et des motifs qui règlent ses actions. Mais demandez-lui pourquoi il veut, ou pourquoi il veut être; d'une manière générale, il ne saura que répondre; la question lui semblera même absurde". On est dans le même cas de figure qu'avec le comment; lorsqu'on cherche un paradigme de la finalité, on débouche à nouveau sur un grundlos ou plutôt sur du zwecklos. Pourquoi va-t-on au café-philo? Pour écouter ce que disent les uns et les autres. Pourquoi le disent-ils? Pourquoi même parlent-ils? Et pourquoi les écoute-t-on? Et pourquoi reviendront-ils? Et pourquoi, et pourquoi...et pourquoi d'ailleurs se pose-t-on la question du pourquoi? On finit toujours par déboucher sur du non-sens.

 

 Enfin, cerise sur le gâteau, le monde est fréquemment un monde de souffrance et d'ennui. Non seulement, il n'y a pas de cause, non seulement il n'y pas de fin, ce dont on pourrait finalement fort bien s'en accommoder si le monde était joyeux et gai. Mais la condition humaine est souvent constituée de désagrément, voire de souffrance, ce à quoi on pourrait s'adapter si le monde avait un sens. Or, on a et l'absence de sens et la souffrance !
 Bien, alors confronté à tout cet irrationnel, que faire? Pour Nietzsche, c'est clair, il faut se couler dans l'univers du vouloir qu'il faudra magnifier en volonté de puissance. Ce n'est qu'en allant au bout du chemin que nous impose la nature que l'on découvrira ce qu'est la nature humaine et ses possibilités d'accomplissement. Nietzsche sera cinglant envers le faible, le rachitique, car il verra en lui quelqu'un qui accepte les arrières-mondes, les mondes fétides de la croyance, vaine consolatrice envers celui qui refuse d'accomplir sa destinée humaine et se contente d'un inutile ressentiment envers celui qui fièrement, accepte la volonté de puissance.

 

 

Pour Spinoza., la voie suivie devra être toute autre, elle consistera à échapper à la tyrannie du vouloir. Puisque le monde est sans cause et dénué de sens, le moi, l'individu est également sans cause et il trouve du sens uniquement en passant par le subterfuge de la représentation. Le besoin de reconnaissance l'anime, l'avidité le harponne car il veut paraître plus qu'il n'est en réalité. Il se compare à autrui, et la comparaison lui semble toujours à son désavantage. De plus, il est dans le désir perpétuellement renouvelé, car le désir, contrairement au besoin, n'est jamais satisfait. Au bout du chemin, l'envieux rencontre toujours l'ennui, complément du désir toujours renouvelé et jamais entièrement assouvi, et pour couronner le tout, survient la peur de la mort. Mais seul celui qui est plongé dans le  marigot de la représentation peut craindre la mort, la fin du subterfuge, le tomber du rideau. Or, remarque S., dans le monde matériel, jamais rien ne s'est perdu, pas le moindre atome de matière n'a disparu; ce qui disparaît, c'est une disposition particulière d'éléments et, dans le cas de l'humanité, c'est l'individu. Mais la fonction de connaissance, une fois séparée du corps devrait-elle disparaître? Elle se réduit à son essence et c'est cela qui serait éternel (pari de Spinoza) . L'esprit est immatériel, il n'est composé d'aucun atome. Est-il lié à la disparition du corps, à une simple modification de la disposition d'atomes? Pour S, il rejoint la force du vouloir qui, elle, bien qu'il s'agisse d'une réalité inconnaissable car en dehors de l'espace-temps, ne saurait disparaître. Alors, évidemment, il va considérer le christianisme comme le comble de l'absurdité. Faire croire à l'individu qu'il peut se survivre à lui-même, c'est affirmer qu'il subsiste tel quel  dans l'immortalité de son corps. Non, pour lui, la mort est "la grande leçon infligée par le cours des choses à la volonté de vivre, et plus intimement encore à l'égoïsme". Se libérer de la peur de la mort revient donc à se libérer de toutes les peurs.

Se libérer des croyances religieuses à son sujet qui font de la mort un châtiment ou une espérance est tout autant salutaire. La croyance, surtout lorsqu'elle est empreinte de mysticisme, n'est jamais rien de plus que l'illusion métaphysique par excellence. Cette illusion peut revêtir une défroque scientifique du fait de pseudo-savants: Freud et Marx en semblent les plus représentatifs; prétendre mouler le réel dans le rationnel par la recherche des causes est illusoire, le réel, comme on l'a vu, ne pouvant s'englober entièrement dans la causalité.

 

De fait aucune psychanalyse n'a jamais pu rendre l'inconscient totalement conscient; aucune conscience de classe, aussi affirmée eut-elle pu avoir été, n'a jamais pu déboucher sur une société sans classes. Rendre le réel rationnel par la recherche des finalités, comme le propose les religions, est tout autant illusoire. On ne peut admettre la pertinence de la croyance qu'après, comme l'a fait le très rationaliste Kant, avoir constaté les limites de la raison. Ce n'est qu'à cette condition que l'on pourra admettre la croyance comme n'étant pas simplement un voile jeté sur la peur et sur l'angoisse. Sinon, on laissera la porte ouverte à l'intégriste. Qu'est-ce qu'un intégriste? C'est celui qui dit: il est interdit d'interdire, il est interdit à quiconque de lui interdire d'être ce qu'il veut être et pour être sûr que cette interdiction sera respectée, il fera en sorte qu'aucune opinion autre que la sienne ne soit émise.
 C'est le couple raison-foi (Kant emploie le mot de Glaube qui signifie à la fois croyance et foi) qui permet d'être raisonnablement optimiste. Il n'y a finalement pas lieu d'être soupçonneux et de chercher d'obscurs arrière-mondes qui nous manipuleraient à notre insu. La volupté et le plaisir de celui qui s'éclate, comme on dit de nos jours, dans le monde de la représentation, se complète par la sérénité qu'acquiert celui qui a su se dégager de l'emprise des peurs et des angoisses et indique ainsi une voie vers le bonheur.

 

Jean Luc

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gout absolu

Le goût de l’absolu fait-il renoncer au bonheur ?

 

Qu’est-ce que le goût, l’absolu, le bonheur ? Des « qu’est-ce » comme ceux-là il y en a des caisses. Et leur contenu est infini. Il y a autant de caisses qu’il y a de sens que chacun peut y projeter. Ce sont des objets de pensée, produits par la pensée, qui ne correspondent pas à une réalité perceptible par les sens, qui n’ont d’existence qu’intellectuelle, et correspondent ainsi à des idéaux.

Ils existent alors, mais différents en chacun de nous et équivalent à des modèles auxquels chacun voudra se conformer ou que chacun voudra atteindre en suivant des chemins issus de chaque expérience individuelle  et d’acquis culturels communs.

 

L’absolu est l’image que chacun peut bidouiller de ce qui pourrait exister indépendamment de toute condition ou de tout rapport avec autre chose. Le problème n’est pas de savoir si une totalité, une perfection, un inaltérable, qui ne sont ni créés, ni dépendants d’autre chose, ni limités «sont», dans le réel, mais de comprendre que le fait de pouvoir les imaginer leur confère une existence qui agit sur nos comportements, nos actions, nos décisions, notre mode de vie.

Or c’est là une construction individuelle qui se doit d’appartenir à chacun d’entre nous parce que c’est être libre que de pouvoir choisir le sens que l’on donne aux concepts, c’est être libre que de faire surgir un sens aux constructions intellectuelles.

 Sauf que l’on ne peut pas décider de n’importe quel sens parce qu’il existe un rapport avec la vérité, qui n’est pas quelque chose d’extérieur au monde, mais correspond, pour chacun, à la description du sens donné aux choses et aux idées.

Alors, bien sûr, la tentation a toujours été grande de vouloir que cette représentation soit universelle.

Et c’est ainsi que l’absolu nous a été présenté par les philosophes, un absolu extérieur à l’individu, qu’il soit Vérité, Dieu, Bien Platonicien, substance Aristotélicienne, monarque chez Hobbes ou morale impérative Kantienne. Un absolu  qui ne peut s’atteindre que par la négation de la liberté individuelle, comme tout ce qui est réponse « à priori ». Ce qui, pourtant ne peut exclure la capacité de trouver le bonheur.

 

Le bonheur est l’image que chacun peut bidouiller de ce qui serait un état de satisfaction complète, stable, équilibrée et durable. Alors, si le bonheur n’est pas une joie intense ou un plaisir éphémère, il n’en demeure pas moins que sa définition dépend de chaque individu, dans ses projets et ses représentations.

Nous connaissons des composantes du bonheur, comme l’amour, l’amitié, le plaisir mais ce sont des éléments abstraits et le bonheur reste donc indéterminé.

Comte Sponville en est réduit a définir le bonheur comme ce qu’il n’est pas- « Le bonheur n'est ni la satiété (la satisfaction de tous nos penchants), ni la félicité (une joie permanente), ni la béatitude (une joie éternelle). Il suppose la durée, comme l'avait vu Aristote (« une hirondelle ne fait pas le printemps, ni un seul jour le bonheur »), donc aussi les fluctuations, les hauts et les bas, les intermittences, comme en amour, du cœur ou de l'âme... Être heureux, ce n'est pas être toujours joyeux (qui peut l'être ?), ni ne l'être jamais : c'est pouvoir l'être, sans qu'on ait besoin pour cela que rien de décisif n'advienne ou ne change. État subjectif, bien sûr, relatif évidemment, dont on peut pour cela contester jusqu'à l'existence. Mais qui a connu le malheur n'a plus de ces naïvetés, et sait, au moins par différence, que le bonheur aussi existe. Le confondre avec la félicité, c'est se l'interdire. Avec la béatitude, c'est y renoncer. Péchés d'adolescent et de philosophe. Le sage n'est pas si bête »…«     On peut appeler bonheur, c'est en tout cas la définition que je propose, tout laps de temps où la joie est perçue, fût-ce après coup, comme immédiatement possible. »

 

Là encore, rechercher une définition du bonheur comme étant un absolu, un idéal, quelque chose d’extérieur à l’individu qu’il pourrait atteindre en gommant joie, plaisir, satiété, béatitude, félicité, joie, donc en niant la liberté individuelle n’a pas de sens.

Déjà l’étymologie nous dit que le bonheur ne dépend pas de l’homme. C’est la bonne fortune, le bon heur, une chance qui arrive à l’individu de l’extérieur sans pouvoir être construit par le sujet.

 

Ainsi le bonheur, considéré comme un absolu, serait un état inatteignable,  ce qui arrange bien toute vision d’une société ou d’une idéologie dominante.

 

Ce qui fait du »goût » le mot essentiel de la question. Ce vers quoi la curiosité, le questionnement, se porte. Il serait alors l’expression du désir, de cette force, de ce conatus qui fait le bonheur de l’homme en lui assurant non la satisfaction, mais le savoir, la connaissance, la survie….en quoi consiste peut-être le bonheur.

 

On a essayé de faire passer le goût comme étant une construction sociale, pour qu’il soit ce vers quoi l’on tend, parce que l’on pense en tirer une satisfaction.

Que ce soit Kant qui nous dit que: « Le goût est la faculté de juger d'un objet ou d'un mode de représentation, sans aucun intérêt, par une satisfaction ou une insatisfaction », obtenue du fait d'une « harmonie de l'imagination et de l'entendement » telle que tous, peuvent la ressentir, par exemple, dans la relation esthétique, ou que ce soit Hume qui pense que du goût, on ne doit pas disputer en prenant la beauté comme exemple: « La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente », il apparait que le goût est une construction, le fruit d’une sorte d’éducation, d’un dialogue prolongé avec le monde, de préjugés, de l’expérience, de rencontres d’acquis, de notre «déchiffrement ( du monde), de décodage, qui implique la mise en œuvre d’un patrimoine cognitif, d’une compétence culturelle ». Pierre Bourdieu.
 

La cerise sur le gâteau consiste à opposer désir et bonheur.

D’un côté, le désir est dit : insatiable, sans fin, source de trouble et permanent chez l’homme

De l’autre, on présente le bonheur comme : réalisation de tous les désirs, disparition des troubles liés au désir

Ainsi soit l’homme désire, et il n’est pas heureux, soit il est heureux, et il ne désire plus puisqu’ikl accomplit  tous ses désirs et en est libéré.

Ce qui ferait du bonheur la simple absence de trouble (ataraxie).

 

Finalement, rien ne peut faire renoncer au bonheur, parce qu’il n’est ni le fruit de la volonté, ni le fruit d’un absolu extérieur à l’homme, mais consiste en la conscience du désir qui nous anime et à la mise en œuvre de ce tous le moyens permettant au désir de s’accomplir que ce soit dans la soumission à un absolu ou dans la liberté créatrice.

 

N.Hanar

 

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L'homme moderne est-il devenu un bon sauvage?

 

 

Dans l'Antiquité grecque, l'homme sage était supposé pouvoir vivre en harmonie avec la nature. Celle-ci revêtait la forme d'un "cosmos", littéralement une harmonie au sein de laquelle il était possible de s'épanouir dans la félicité d'un bonheur assuré pour qui se donnait la peine de le mériter. Les siècles passant, on s'est quand même rendu compte qu'il n'y avait nulle bonté naturelle au sein de la nature, qu'il était vain de chercher à en faire une source de sagesse. Toutefois, étant écrite dans un langage mathématique, comme l'affirmera Galilée, il était possible d'en connaître le fonctionnement et, par l'utilisation de ses lois, on sera incité à fabriquer des machines susceptibles d'alléger le labeur humain.
Les Européens, qui considéreront comme Descartes, que l'homme doit être maître et possesseur de la nature, commenceront à l'exploiter, croyant alors naïvement que ses ressources étaient inépuisables. On peut encore ranger Descartes dans la catégorie du bon sauvage, au sens rousseauiste du terme, vivant en harmonie avec cette nature en soi ni bonne ni mauvaise, mais aux richesses infinies et donc gratuites.
Il y a naturellement un autre sens au mot sauvage: c'est celui qui ne respecte rien, n'a de considération pour rien d'autre que son plaisir immédiat, et qui peut se révéler brutal s'il rencontre un obstacle.


Dans quel sens faut-il alors entendre la question: le bon sauvage est-il doté d'une bonté naturelle vivant au sein d'une nature généreuse au sein de laquelle il suffit de se servir ou bien est-il un bon salaud qui n'a de souci de rien d'autre que de l'arraisonnement utilitaire du monde, pour reprendre une formule de Heidegger, même si cela entraîne des conséquences néfastes à long terme?

On évacuera l'utopie de l'homme naturellement bon, où la sauvagerie est perçue positivement mais où malheureusement cette sauvagerie a été anéantie par la civilisation. En effet, si cet état de nature était en soi si bon, pourquoi l'avoir abandonné au profit d'une civilisation corruptrice? Civilisation corruptrice qui est l'œuvre des hommes et non d'un quelconque démiurge; il s'agit donc d'un abandon délibéré et volontaire, ce qui incite à penser que l'état de nature n'est pas si enviable que ça. On ne retiendra donc que l'acceptation péjorative, qui nous fera considérer le civilisé comme étant devenu en quelque sorte un sauvage, un être ensauvagé par sa démesure, par ce que les Grecs appelaient l'hubris.
L'homme, à la suite de Descartes, avait pensé soumettre la nature, il a dû déchanter car en réalité, malgré ou plutôt à cause de ses avancées techniques, il en est devenu plus dépendant que jamais.


La question de l'écologie est véritablement apparue véritablement en Europe dans les années 1970, en Allemagne plus précisément. Très rapidement est apparu, à l'intérieur de la mouvance écologiste, un débat entre réalos et fundis, les réalistes et les fondamentalistes; aux USA, on aura la même césure entre les shallow ecologists et les deep ecologists. Les 1ers pensent qu'il faut s'orienter vers un "développement durable", une limitation de la pollution sans remettre en cause le modèle de développement économique, les 2 seront les théoriciens de l'alter-mondialisme et de la décroissance. Pour les premiers, l'humain prime, il est le centre et la nature n'est que l'environnement, la périphérie dont il faut bien s'occuper puisqu'on en retire des ressources. Les fundis, refusent cet anthropocentrisme, et estiment que c'est la nature elle-même qui doit être non l'objet de droits qu'on lui accorde par nécessité, mais sujet de droit. Il faut que l'on puisse parler en son nom puisqu'elle ne peut le faire elle-même.


"Il y a un lien à inventer entre l'humanité en train de créer son unité et cet objet nouveau qu'est la planète Terre". M. Serres, dans le Contrat Naturel. La nature n'est plus vue comme un simple environnement que par la force des choses et qu' il faudrait, par intérêt bien compris, ménager, mais elle doit être perçue comme une réalité possédant une valeur intrinsèque, une valeur qui lui est propre. En faire non plus l'objet d'un droit, mais sujet de droit. On quitte ce faisant le parti-pris anthropocentrique et on considère que la nature a une valeur inaliénable qu'il faut protéger contre les crimes de déprédation, au besoin en contrecarrant les activités humaines. Dans les chroniques de Grennpeace parues en 1979, on peut lire:" il faudra bien recourir le cas échéant à la force pour lutter contre ceux qui continuent de détériorer l'environnement". C'est en effet l'option retenue par les "zadistes" en France, les manifestants violents protégeant les "zones à défendre".
On assiste donc, par rapport à Rousseau, à un changement complet de paradigme. Le bon sauvage ignorait la crainte, car il était supposé vivre en harmonie avec la nature qu'il respectait car il en tirait ses ressources. L'homme contemporain, se comportant comme un sauvage ne respectant rien, et péchant par démesure, démesure démographique, économique avec des incidences écologiques, crée lui-même un environnement qui lui devient hostile et dont il a tout à craindre. On peut se cacher derrière des supposés "principes de précaution", mais cela revient à se cacher derrière son petit doigt. Car l'humain n'est pas en dehors de la nature, mais il en fait partie; s'il la détruit, il détruit lui-même les conditions assurant son existence.