C'est une question que doivent se poser les utopistes. Pour les réalistes, rien n'est en soi, tragique, puisque ce qui arrive, dans le cours d'une existence, se résume à une suite de défis auxquels il vaut mieux savoir donner une réponse adéquate. L'échec, du moins si on en porte une part de responsabilité, ne doit pas être vu comme "tragique", mais doit inciter à se poser les bonnes questions et à se forger les bons outils permettant d'analyser, dans la mesure du possible, toute situation imprévue.
Les relations entre les humains sont marquées par l'envie, la jalousie, l'intérêt égoïste, la perfidie, bien plus que par la sympathie ou l'esprit d'entraide. On peut le déplorer, mais c'est ainsi. Ceux qui ne s'adaptent pas, car ils privilégient la rêverie à l'analyse, éprouvent un lancinant sentiment d'étrangeté. Pour eux, la vie n'est pas seulement tristement tragique, elle est aussi désespérément vide de sens. Pour les autres, l'esprit combattif domine; ils ne se posent pas la question de savoir si la vie en général a un sens, mais ne voient pas pourquoi la leur devrait être un non-sens. Ce qu'elle serait assurément s'ils se comportaient en naïfs.
Ne pas croire, ne pas craindre, ne pas plaindre car il faudrait à terme compatir à toute la misère du monde (quelle vanité), ne pas chercher à plaire en acceptant d'être servile, s'émanciper de toute tutelle morale, toujours fausse et hypocrite, car toute morale vise à la manipulation d'autrui, et rien n'apparaîtra comme tragique. Et ainsi, on limitera pour soi la probabilité de faire partie des perdants.