PHILOUSOPHE
Café politique du 20 novembre 2014 : L’Allemagne et l’Europe
Ernest Winstein, L’Allemagne et l’Europe
Introduction au « Café politique » novembre 2014.
Plan de l’exposé
Quelques généralités sur l ‘Allemagne
I- Les grands moments qui ont contribué à l’émergence de l’Allemagne d’aujourd’hui. (Comprendre l’Allemagne d’aujourd’hui à travers quelques éléments d’histoire)
a) Bismarck et la constitution du Reich,
b) la situation à la veille des conflits armés de 1914ss,
c) La République de Weimar . Son échec
d) les résultats de la volonté hégémonique hitlérienne, notamment le partage de l’Europe et la naissance d’une Allemagne fédérale à l’ouest, démocratique communiste à l’Est
e) la CSCE et l’implosion de l’URSS
f) la réunification 1990
g) Gestes de réconciliation
II- Le rôle de l’Allemagne et l’évolution de l’Europe sur le plan économique.
III-Diplomatie allemande et diplomatie européenne aujourd’hui
Quelques généralités sur l’Allemagne
Réunifiée en 1990, un an après la chute du mur, l’Allemagne d’aujourd’hui est une république fédérale. Les membres du Bundestag (assemblée fédérale ou chambre des députés) sont élus au suffrage universel tous les quatre ans. Le Conseil fédéral - Bundesrat - compte 69 représentants des seize Etats fédéraux (Bundesländer). Elle ne fait pas partie du Conseil de sécurité de l’ONU - ceci en vertu de son histoire. Elle fait partie du G8/G20. Membre de l’OTAN.
Membre de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (1952?), elle participe à la fondation de l’Europe à travers le Traité de Rome en 1957. Co-fondatrice avec la France en 1992 du corps d’armée l’ « Eurocorps ». I. Les grands moments qui ont contribué à l’émergence de l’D d’aujourd’hui.
Remarquons que les évolutions marquantes en Europe au cours des siècles ont été largement le fait, tantôt de pouvoirs obnubilés par la peur d’être dominés, tantôt par une volonté hégémonique, souvent les deux - la volonté hégémonique étant une manière de dominer la peur. C’est par la puissance que les acteurs cherchaient à s’inscrire dans l’avenir.
Un processus où la volonté de puissance, allant jusqu’à prendre la forme de la folie humaine, a contribué aux emballements armés divers.
D’abord constatons que l’Allemagne, en tant ensemble politique structuré, est une construction très récente par rapport à celle de ses pays voisins, Pologne, Autriche-Hongrie, Suisse, France (la croissance de la France, hégémonique et séculaire, a été quasi constante jusqu’à la défaite de 1870.
Quels faits d’histoire ont été déterminants ?
Je retiens :
a) Bismarck et la constitution du Reich,
b) La situation à la veille des conflits armés de 1914ss,
c) La République de Weimar . Son échec
d) Les résultats de la volonté hégémonique hitlérienne, notamment le partage de l’Europe et la naissance d’une Allemagne fédérale à l’ouest, démocratique communiste à l’Est
e) La CSCE et l’implosion de l’URSS
f) La réunification 1990. "
Café politique du 20 novembre 2014 : L’Allemagne et l’Europe
Les peuples germaniques se situent d’abord au nord du continent (700 à 100 av JC), à une époque où la partie centrale est largement occupée par les Celtes.
Il faut remarquer que le Saint-Empire romain germanique n’a pas vraiment permis à une nation allemande d’émerger. Fondé par Otton Ier, dit le Grand (936–973), l’empire comprenait, outre le territoire de l'actuelle Allemagne, l'Italie du nord et la Bourgogne. « Dès sa fondation, ce nouvel empire était entravé par l’insuffisance d'institutions sur lesquelles l'empereur pouvait asseoir son autorité et la faiblesse des revenus, les empereurs ne disposant que de leurs propres domaines pour financer leur politique ». Après son élection formelle par les sept « électeurs » de l'Empire à Francfort en 1438, l'empereur porte le titre d’« empereur élu » après. À l'époque moderne, le Saint Empire compte plus de 300 États qui n'obéissent que de très loin à l'empereur Habsbourg. » …
« En 1546, l'empereur Charles Quint entre en guerre contre les nombreux princes et villes allemands qui se sont convertis au luthéranisme. Son échec à réduire le protestantisme dans le Saint Empire est sanctionné par la paix d'Augsbourg de 1555, qui permet à chaque prince et ville libre de choisir sa religion mais oblige les sujets à avoir la même religion que leur souverain — cujus regio, ejus religio. » … « La guerre de Trente Ans qui ravage le pays de 1618 à 1648. Les traités de Westphalie entérinent l'affaiblissement du pouvoir impérial en favorisant les droits des 350 États allemands. La liberté religieuse des princes est réaffirmée. » (Citations du site Wikipédia).
L’Allemagne au temps de Napoléon est un ensemble disparate de nationalités dont certaines sont ouvertes aux idées de la Révolution française.
Le Saint Empire est dissout en 1806 et remplacé par la Confédération du Rhin sous protectorat français, remplacée après le Congrès de Vienne (novembre 1814 – juin 1815) par la Confédération germanique (« Deutscher Bund ») qui ne regroupe plus que 39 États sous la direction honorifique des Habsbourg, lesquels ne portent plus que le titre d'Empereur d’Autriche.
L’Allemagne est au cœur de trois conflits armés qui, selon les protagonistes étaient censés régler des problèmes de pouvoir, conflits qui se sont révélés être suicidaires. Trois en moins d’un siècle - 75 ans exactement. Dans ces trois conflits la France s’est trouvée engagée, prioritairement (1870) ou conjointement (les deux guerres dites mondiales). La déclaration de guerre ont été le fait de la France, 70 et 39-45, de l’Allemagne en 14. Chaque fois les uns voulaient aller le plus vite possible à Berlin, les autres à Paris. Les Allemands y ont réussi en 40? Mais pour retrouver Berlin en pièces en 1945. Il suffit de rappeler cela pour souligner l’aberration des jeux de pouvoir qui ont été à l’origine de catastrophes, puis de l’incroyable division de l’Europe et enfin à un nouvel équilibre entre nations, mais est-il stable? - question à débat, précisément
a) L’artisan de l’unité allemande aura été Otto Von Bismarck, devenu le ministre-président du roi de Prusse Guillaume Ier en 1862 qu’il impose à l’ensemble des états allemands tout en écartant l’Autriche dont l’armée est écrasée en 1866 par l’armée prussienne à Sadowa. La Prusse dirige la Confédération de l'Allemagne du Nord à laquelle n’adhèrent pas les quatre États du Sud.
« La France, en déclarant la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870, permet de fédérer tous les États allemands autour d'un ennemi commun » (wiki). La défaite française débouche sur la proclamation de l'Empire allemand le 18 janvier 1871 dans la galerie des Glaces du château de Versailles, avec Guillaume Ier de Prusse à sa tête.
La France de Napoléon III se voyait prendre Berlin et s’est fait mettre en pièce par l’armée « prussienne » qui est venue jusqu’aux portes de Paris (sanglantes batailles Wissembourg, Reichshoffen, destructions lourdes sur Strasbourg, défaite à Sedan et capture de Napoléon).
b) La situation à la veille des conflits armés de 1914ss.
Si le jeu des puissances s’exprime au niveau des empires coloniaux, il suffit de l’attentat de Sarajevo pour recomposer des lignes de force qui vont avoir des conséquences à long terme : la Russie soutenant la Serbie, la France et l’Italie soutenant la Russie, la France se donnant comme objectif de reconquérir l’Alsace et la Moselle. Les amitiés franco-russes du temps du tsar ne seront pas complètement mises à plat par la révolution d’octobre 1917 : une certaine compréhension, côté français, pour l’URSS dans l’appréhension du problème de l’Allemagne divisée d’après 1945 et, plus récemment une oreille restée compréhensive (de la part de Mitterrand, par exemple) en direction de la Serbie en dépit de ses exactions contre les voisins (Srebrenica).
Note sur l’engagement du conflit :
Le 3 août1914, l’Allemagne déclarait la guerre à la France. L’assassinat de l’archiduc François- Ferdinand de Habsbourg par un nationaliste serbe à Sarajevo le 28 juin avait entraîné l’Autriche- Hongrie à engager la guerre contre la Serbie, protégée par la Russie qui déclare à son tour la guerre contre l’Autriche-Hongrie. L’Allemagne, alliée des Habsbourg, déclarait la guerre à la Russie, provocant la mobilisation de la France. Le lendemain du 3 août la Grande-Bretagne déclarait la guerre à l’Allemagne.
c) La République de Weimar. Son échec
Née dans le chaos de la défaite allemande trois mois après l’abdication de Guillaume II, le 6 février 1919 à Weimar, jour de l’Assemblée constituante allemande. Les révolutionnaires venaient d’instaurer des « conseils ouvriers » inspirés des soviets russes. La répression de l’extrême gauche spartakiste par les sociaux-démocrates a été extrêmement violente - voir la « semaine sanglante » du 11 au 15 janvier 1919 ; cf. aussi l’assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, dans leur prison.
Apparaissent les corps francs, organisations paramilitaires opposés aux communistes. Hitler y fait ses premières armes à Munich, où les combats ont été particulièrement virulents.
Il met fin à la République de Weimar à son arrivée au pouvoir en 1933.
Le traité de Versailles signé le 28 juin 1919 entre l'Allemagne et les Alliés, promulgué le 10 janvier
1920.
La France retrouve l’Alsace et la Moselle, mais non le Rhin comme frontière au-delà de l’Alsace, côté Palatinat, ni la Sarre (51 millions de tonnes de charbon, soit 2/3 des besoins français), en raison des pressions exercées par l’Angleterre. La Sarre est placée sous la tutelle de la Société des Nations et un référendum sera organisé 15 ans plus tard pour décider son rattachement à la France ou à l’Allemagne. Le Schleswig est rattaché au Danemark après consultation de la population. Les cantons d’Eupen et de Malmedy sont rattachés à la Belgique. La Pologne obtient un accès à la mer, le « corridor de Dantzig », avec les populations Kachoube parlant un dialecte polonais mais étant favorables aux Allemands. La ville de Dantzig n’est rattachée ni à l’Allemagne, ni à la Pologne, c’est une ville libre sous contrôle de la SDN. Solutions de compromis qui ne plaisent à personne. 80 kilomètres séparent la Prusse-Orientale du reste de l’Allemagne. La Haute-Silésie, rattachée après plébiscite à l’Allemagne en mars 1921, est occupée par la Pologne peu après. La SDN arbitre la situation et le partage, dénoncé par les deux parties, est réalisé arbitrairement. (Source de ce paragraphe : Wikipédia).
L’Allemagne perd 88 000 km2 et 8 millions d’habitants. Le service militaire est aboli et l’armée est réduite.
Elle perd ses colonies, qui sont placées par la SDN sous mandats confiés aux vainqueurs. Les réparations de guerre sont évaluées en 1921 à 132 milliards de marks-or à payer en 30 ans. Tous les brevets allemands sont perdus, les vainqueurs obtiennent la clause de « nation la plus favorisée » et le Rhin, l’Oder et l’Elbe sont internationalisés, l’Allemagne perdant tout pouvoir sur leur contrôle. La rive gauche du Rhin, avec des têtes de pont rive droite, est occupée, puis considérée comme démilitarisée perpétuellement.
Malgré ces mesures intransigeantes, l'industrie allemande résiste et affiche une croissance plus forte que celle des anglais, qui sont les perdants de la forte expansion européenne des années 1920. En 1939, le charbon français coûte 25 % plus cher qu'en Allemagne.
Hausse de la production manufacturière entre 1913 et 1928 : Angleterre : 6 % ; Allemagne : 18 % ; France : 39 %.
« Le pangermanisme dévoyé en un nationalisme raciste, le ressentiment contre les conditions du traité de Versailles et les conséquences particulièrement dures de la crise économique mondiale de 1929 permettent au NSDAP (parti nazi) d'Adolf Hitler d'accéder démocratiquement au pouvoir en 1933. Hitler élimine rapidement toute opposition puis prend le contrôle absolu de l'État allemand en instaurant un régime totalitaire. En 1935, l'Allemagne devient officiellement antisémite en promulguant les lois de Nuremberg. La politique d’Hitler consistant à annexer ou envahir ses voisins finit par provoquer la Seconde Guerre mondiale le 1er septembre 1939. » (Wikipédia).
d) Les résultats de la volonté hégémonique hitlérienne : notamment le partage de l’Europe et la naissance d’une Allemagne fédérale à l’ouest, démocratique communiste à l’Est.
Les secteurs soviétique, américain, anglais et français suivent une ligne de partage qui sera celle des deux blocs est-ouest.
Des trois secteurs occidentaux naît une république fédérale. la RFA, créée le 23 mai 1949 à l’Ouest avec Bonn pour capitale et siège administratif. Le secteur soviétique devient la République Démocratique Allemande (RDA) créée le 7 octobre 1949 avec Berlin-Est pour capitale.
Rappelons que les territoires à l'est du fleuve Oder et son affluent Neisse de Lusace ont été intégrés à la Pologne et à l’URSS.
L’idée d’une fédération de la partie occidentale répondait à la volonté des puissances de l’ouest d’éviter la renaissance d’une Allemagne qui puisse être tentée de reprendre une place dominante dans l’Europe.
Les pertes humaines dues à la guerre ont été compensées par l’arrivée des réfugiés, il s’agit de véritables déplacements de populations issues de la Silésie, de la Prusse-Orientale, de l'est de la province de la Poméranie, de Pologne (notamment des anciennes provinces de la Prusse orientale et de la Posnanie) des régions qui autrefois appartenaient à l’Autriche-Hongrie: de la Tchécoslovaquie - notamment des régions de Bohême, Moravie et Silésie Tchèque (Sudètes) , ainsi que de Hongrie et de Roumanie (Transylvanie). Et le territoire de Memel en Lituanie.
La reconstruction économique ouest-allemande a été fortement soutenue par le plan Marshall (1948-1952), au contraire de l’Allemagne de l’Est où les soviétiques ont commencé par délocaliser les entreprises.
Le statut quadripartite de Berlin demeure sur le principe jusqu’au moment de la réunification en 1990.
e) La CSCE et l’implosion de l’URSS.
La CSCE a joué une rôle important dans le sens d’un apaisement des tensions entre l’Est et l’Ouest. Les préliminaires remontent à 1966: le 5 juillet, le Conseil politique du Pacte de Varsovie proposait une « conférence sur des questions de sécurité en Europe » (Déclaration de Budapest) Cette proposition était reprise dans l’ »Appel de Budapest » en vue de la convocation d’une « conférence pan-européenne ». Auparavant, en juin 1968, les occidentaux s’étaient réunis à Reykjavik - pour affirmer la nécessité d’une réduction multilatérale des troupes (MBFR). »
L’URSS escomptait à travers la conférence une reconnaissance des frontières des pays du bloc soviétique et la division de l’Allemagne.
Les conclusions sous forme d’une convention (et non d’un traité) ont été signées en 1975 à Helsinki. « L’inviolabilité des frontières » est l’un des dix principes d’action énoncés par l’Acte final de la CSCE engageant tous les signataires.
Le chemin avait été long. Ce sont les négociations sur Berlin et les entretiens interallemands qui ont permis de dépasser les questionnements. - un traité est signé entre la RFA et l’URSS en août 1970 (voir détails, page citations). La 2ème phase de l’accord quadripartite sur Berlin est signé le 3 septembre 1971 et, le 17 décembre, l’accord sur le transit en RDA, la phase finale de l’accord quadripartite le 3 juin 1972. Les accords SALT 1 entre les USA et l’URSS le 26 mai 1972. Les rencontres préparatoires proprement dites n’ont commencé que fin 1972 (le 22 novembre).
Les parties impliquées avaient connu jusque-là et après, des états d’âme en dents de scie. En 1971, on commençait, dans le camp occidental, à douter de l’intérêt d’une conférence.
Puis, c’est le camp soviétique qui semblait se poser la question de son utilité. A titre d’illustration, ce titre de la Frankfurter Allgemeine du 18 septembre 1972 : "Will Moskau noch die Sicherheitskonferenz ?" (Moscou, désire-t-elle encore la Conférence sur la sécurité ?)
Les USA trainaient les pieds, pour eux le projet de traité sur la réduction de l’armement nucléaire stratégique était prioritaire.
De nombreuses conférences de « suivi » ont eût lieu après 1975 (Belgrade, Madrid), des rencontres thématiques, par ex. un forum scientifique, les rencontres sur le règlement pacifique des différends, et enfin la conférence de Paris en novembre 1990 (signature du traité sur les forces conventionnelles en en Europe (FCE) le 19 novembre, une déclaration commune de non-recours à la force, par les Etats membres de l’OTAN et du Pacte de Varsovie, le 19 novembre, et enfin signature de la « Charte de Paris pour une nouvelle Europe » le 21 novembre.
Il y a bien eu après 1975 un temps de raidissement côté soviétique - (cf. la proclamation et la répression en Pologne en 1982).
L’affaiblissement interne de l’URSS qui a induit la dislocation du bloc de l’Est. Au moment de la quasi-insurrection est-allemande en 1989, Gorbatchov a renoncé à intervenir militairement contre les insurgés. La voie de la réunification allemande était ouverte.
f) La réunification 1990
Chute du mur en 1989 : Le mur de Berlin séparant le secteur soviétique des secteurs occidentaux de la ville et dont la construction avait commencé le 13 août 1961. 28 ans, 2 mois et 28 jours plus tard, le 9 novembre 1989, la barrière se lève au poste-frontière de la Bornholmerstrasse et le mur tombe. La révolution pacifique était en marche dès le 9 octobre. Venant de toute la RDA, 70.000 personnes retrouvaient à Leipzig pour réclamer des réformes démocratiques. En face, 5.000 membres des forces de l’ordre étaient prêts à intervenir. Le noyau de la protestation s‘était formé lors de rassemblements en l‘église Saint-Nicolas. La « révolution de velours » a pu réussir grâce à la non-intervention armée soviétique approuvée par Gorbachev.
Mais de nombreux Allemands de l’Est avaient déjà passé la frontière avec la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Environs 3000 personnes étaient réfugiées dans les jardins de l’ambassade de la RFA à Prague lorsque, le 30 septembre 1989, le ministre des Affaires étrangères de la RFA, Hans- Dietrich Genscher prononce à Prague depuis le balcon de l’ambassade ouest-allemande un discours et annonce aux citoyens est-allemands réfugiés dans l’ambassade qu’ils sont autorisés à émigrer.
La réunification 3 octobre 1990
- une réussite de tactique politique : Kohl en est un acteur principal. L’Allemagne devient le premier pays d’Europe en matière de population. Une situation de tension extrême en les deux Allemagnes et entre les blocs de l’E & de l’O se trouve désamorcée (la dissolution du Pacte de Varsovie y contribue).
- un pari osé sur le plan économique
- si les conséquences économiques ne sont toujours pas entièrement résorbées – le développement économique de l’Est a du mal à se mettre à niveau avec l’ensemble du pays - globalement (Le taux de chômage est à 9,1% dans l’est de l’Allemagne comparé aux 5,8% de l’ouest du pays; quand le salaire brut moyen est de 2317 euros à l’est, il dépasse les 3.000 euros à l’ouest), l’Allemagne détient aujourd’hui une position forte sur le plan économique.
Les gestes de réconciliation :
- De Gaulle et le traité franco-allemand en 1963.
- Helmut Kohl alors chancelier de la République Fédérale d’Allemagne, et François Mitterrand se donnant la main à l’ossuaire de Douaumont près de Verdun le 22 septembre 1984 (70 ans du déclenchement de la Première Guerre mondiale).
- Le 4 septembre 2013 Joachim Gauck, président de la République FA et François Hollande se serrent les mains à Oradour-sur-Glane où les SS avaient exterminé 642 personnes.
- Le 3 août 2014, 100è anniversaire de la déclaration de guerre, les mêmes présidents se retrouvent au Hartmannswillerkopf (le Vieil Armand) - théâtre de violents combats qui coûte la vie à 25000 soldats. Un « historial » franco-allemand y sera élevé.
Nous reprendrons la question du devenir de l’Allemagne et de l’aboutissement de l’évolution sous l’aspect économique et sous l’aspect diplomatique. II. Le rôle de l’Allemagne et l’évolution de l’Europe sur le plan économique.
Comment la réunification était-elle accueillie?
« On a battu les Allemands à deux reprises et les voilà qui reviennent », prophétisait l'ancienne Première ministre britannique Margaret Thatcher après la chute du mur en 1989, craignant que la réunification ne conduise à une prédominance de l'Allemagne en Europe.
La France avec Mitterrand accueille aussi la réunification avec appréhension. Mitterrand craint une renaissance d’une Allemagne forte et dominatrice. Le 4 janvier 1990 il reçoit le chancelier Helmut Kohl dans sa bergerie de Latché. Il ne cache pas ses craintes. Kohl explique à Mitterrand ce qu’est un pays coupé en deux. Les deux se mettent d’accord sur la réunification et sur la monnaie unique, celle-ci étant censée être le moyen de contrebalancer l’influence de la future grande Allemagne. Dans une analyse publiée par Le Point (n° 2120) le 2 mai 2013, Alain Franco et Romain Gubert constatent : « Un quart de siècle plus tard, l’histoire ne s’est pas écrite comme les deux hommes l’avaient imaginé. Si la « grande » Allemagne triomphe économiquement, la monnaie unique n’est pas devenue un contrepoids. C’est même la crédibilité de Berlin sur les marchés financiers qui a joué le rôle de bouclier et permis d’éviter l’implosion de la zone euro depuis la crise de 2008. Et Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, ressemble de plus en plus à un « super-commissaire européen » qui donne des recommandations à ses homologues ».
Comment expliquer que l’Allemagne ait pris ce rang dans l’UE?
« La faute à qui? demandent les journalistes. Pas à l’Allemagne, mais à ses partenaires. Et la France en particulier. Le tableau est sombre. La voix de tous les autres « grands » pays ne porte plus. L’Italie et l’Espagne pansent leurs plaies. Les Britanniques se sont eux-mêmes mis hors-jeu avec leur projet de référendum. Et ne sont pas dans l’euro. Même chose pour la Pologne. Reste la France qui joue au passager clandestin et profite de la bienveillance des investisseurs vis-à-vis de l’Allemagne pour financer sa dette à bon compte. Mais en affichant des résultats économiques désastreux. Quant au couple franco-allemand, longtemps moteur à idées de l’Europe et grâce auquel Paris pouvait souvent rallier Berlin à ses vues, il ne ressemble plus à grand-chose. Il y a quelques mois, lors des célébrations du 90è anniversaire du traité de l’Elysée, aucune initiative franco-allemande n’a vu le jour ».
Mais, et on ne peut l’ignorer, les critiques contre l’Allemagne fusent- on est en 2013 :
« Le Point » présente son dossier sur l’Allemagne (n° cité) à la une par cette formule :
« Cette Allemagne qui rend fous les socialistes », et parle de « dérive germanophobe » dans le PS, et d’Angela Merkel comme du « bouc-émissaire des échecs français ».
Dans l’article cité, les journalistes présentent deux réactions qui ciblent bien la situation.
Celle de l’Autrichien Hannes Svoboda, patron du groupe socialiste du Parlement Européen : il critique la chancelière Merkel, mais d’abord « c’est l’attitude des Français qui l’exaspère. « Il ne suffit pas de décréter que l’on refuse l’austérité pour que tout le monde applaudisse. La France est dans l’Europe, pas dans une bulle. Elle doit aller chercher des alliés ». Et le journal d’ajouter : « Et proposer des alternatives crédibles ».
Le deuxième témoin amené à la barre est la députée du MoDem (réélue en 2014 l'étiquette "Les Européens » = UDI et Mouvement Démocrate) Sylvie Goulard, membre de la Commission des affaires économiques et monétaires au Parlement européen : « Les Allemands ne sont pas hégémoniques. Au contraire, ils ont peur de se retrouver seuls aux commandes. Seulement voilà : les Français ont fait l’euro sans développer une conscience du partage avec l’Allemagne, sans développer d’instruments communs et en gérant mal leur dette et leurs déficits. Voilà le résultat : nous sommes économiquement faibles et tout ce qu’on trouve à dire, c’est reprocher à l’Allemagne d’être puissante »
Les journalistes concluent en constatant que le slogan « c’est la faute à Bruxelles », bien commode pour les politiques françaises de ces dernières années, est devenu « c’est la faute à Berlin »
Un mot de commentaire personnel sur les relations franco-allemandes :
Le couple Merkel-Sarkozy semble avoir bien fonctionné, du moins au niveau des apparences, la dette de la France a progressé.
Les successeurs de l’équipe UMP paraissent d’abord assez désemparés face à l’Allemagne.
Qu’ont-ils vraiment à proposer?
A l’automne 2012, la chancelière Merkel fait une tentative en direction de Hollande au sujet de l’évolution de la structure institutionnelle européenne. Et laisse tomber le mot « fédéralisme ».
Réponse de Hollande : ce n’est pas le moment.
Il ne restera, pour garder sa place, que de tenter de se plier à la discipline communautaire.
Réduire le déficit, l’abaisser en tout cas. Les marges de manœuvres sont faibles. On joue, en F, la relance économique par la distribution de subventions aux entreprises. Les contribuables moyens sont essorés. La consommation risque de chuter.
La crise économique en Europe a consolidé le rôle de l'Allemagne
« Elle est le cœur du réacteur de l'Europe. Pendant la crise financière, on a vu que Berlin était le lieu le plus important en Europe, et pas Bruxelles », explique Karel Lannoo, directeur au Centre d'études politiques européennes à Bruxelles. Elle contribue pour plus de 27 % à la production de la zone euro.
En 2012 au sommet de la crise grecque la chancelière Merkel a été brocardée pour son intransigeance quant à la nécessité de décisions drastiques pour éviter l’effondrement de la Grèce. Si elle a rechigné à utiliser l’argent des contribuables allemand pour éponger la dette grecque, « Mais la chancelière a finalement cédé en promettant le soutien de l'Allemagne pour instaurer un pare-feu financier afin de protéger les États les plus fragiles. Elle a simultanément pris la tête d'un petit groupe de pays, principalement d'Europe du Nord, pour exiger une surveillance budgétaire plus stricte et des mesures d'austérité impopulaires. » (Richard CARTER/AFP, article intitulé « L’Allemagne règne sur l’Europe, 25 ans après la chute du mur », publié sur le site « L’Orient-le Jour »)
L’Allemagne a été appelée à la rescousse plus que n'importe quel autre partenaire pour renflouer les pays croulant sous la dette et éviter que l'Europe s’effondre.
En conclusion de ce développement :
C’est l’évidence : L’Allemagne détient une sorte de leadership en Europe et pour l’Europe. Mais l’Europe sans l’Allemagne est devenue impensable, voire impossible, même, et justement, si l’Union Européenne en venait à se saborder.
Les attentes françaises (et quelles initiatives françaises??)
La France attend un soutien à l’économie de la part de Berlin : Hollande dans le Monde du 4 août 2014 attend de l’Allemagne un « soutien plus ferme à la croissance ». « Ses excédents commerciaux et sa situation financière lui permettent d’investir davantage. C’est le meilleur service que l’Allemagne peut rendre à la France » (EW: sommes-nous vraiment en culotte courte?)
Relations commerciales avec les USA et le Canada
L’Allemagne adopte une position ouverte au sujet du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership ; Freihandelsabkommen = convention pour liberté des échanges commerciaux).
En séance du Bundestag du 12 novembre 2014, le ministre allemand du Commerce Sigmar Gabriel (qui est aussi Parteichef - chef du parti - SPD) défend les projets de convention pour la liberté des échanges commerciaux avec le Canada (Ceta, Comprehensive Economic and Trade Agreement) et les USA (TTIP). Angela Merkel a émis une appréciation positive au sujet du projet de traité avec le Canada.
Gabriel a critiqué sévèrement la « gauche » allemande (il faut sans doute comprendre l’aile gauche de son parti et/ou Die Linke ) au Bundestag, le Parlement fédéral.
Joachim Gauck, à son arrivée au Canada, a demandé plus de transparence au sujet du Ceta, et affirmé que les démocraties ne pas doivent attendre pour réagir à la globalisation, mais la construire.
En Allemagne, d’après un sondage, un Allemand sur deux serait favorable au TTIP.
Un mouvement anti-TTIP existe : débouté par la Commission Eu, l’initiative citoyenne européenne veut faire un recours auprès de la Cour européenne de justice de Luxembourg pour être admise (comme ONG?) à demander l’inscription de son positionnement à l’ordre du jour de la Commission Eu. (Source : Site du Spiegel, 14 novembre 2014).
Note : La présentation sommaire du TTIP par Wikipédia : « Si le projet aboutit, il instituera la zone de libre-échange la plus importante de l’Histoire, couvrant 45,5 % du PIB mondial. Ses défenseurs affirment que l'accord conduira à une croissance économique pour les deux parties tandis que les critiques soutiennent notamment qu'il augmentera le pouvoir des entreprises face aux Etats et compliquera la régulation des marchés ».
La chancelière Merkel en Australie au G20 évoque des progrès importants (du G20) en matière de régulation bancaire ( « Merkel lobt G 20 für Fortschritte bei Bankenregulierung ») et au sujet de la liberté des échanges commerciaux. (…. « Außerdem sprach sie kurz vor Ende des Gipfels im australischen Brisbane von großen Erfolgen beim Freihandel ». (Site de FAZ).
Merkel prévoyait de s’entretenir avec Poutine. Une rencontre ratée ?? III. Diplomatie allemande et diplomatie européenne aujourd’hui
En politique étrangère, l'Allemagne est considérée hors de l'Europe comme une puissance dominante. Parfois, elle est critiquée pour ne pas s’impliquer davantage. Si Angela Merkel a pris l’initiative, à plusieurs reprises, de discuter avec le président russe Vladimir Poutine au sujet de la situation en Ukraine, l’Allemagne limite son engagement face à l’Etat islamique à la formation au maniement d’armes de combattants kurdes.
« L'Allemagne rechigne à jouer un rôle prépondérant sur la scène mondiale et cela empêche l'Europe de le faire si l'Allemagne n'est pas d'accord », déplore Karel Lannoo, rapporte Richard CARTER/AFP, article cité.
On peut critiquer cette analyse en rappelant que la France rechigne d’avancer vers une Europe davantage intégrée sur le plan de la gouvernance politique. Là est le vrai problème. Il ne s’agit pas de demander à l’Allemagne de compenser le manque de cohésion diplomatique de l’Europe.
Un évènement symbolique peut résumer la situation diplomatique de l’Allemagne, la commémoration à Liège, le 4 août 2014, du centenaire de l’invasion de la Belgique par l’Allemagne. 83 pays invités par le roi Philippe étaient représentés à Liège. « L’Europe pacifiée, l’Europe unifiée, l’Europe démocratique. Nos grands-parents en ont rêvé. Nous l’avons aujourd’hui.
Chérissons-la, et continuons à l’améliorer », avait plaidé le roi Philippe. Après Hollande, puis le prince William ont rappelé que l’instabilité, néanmoins, « continue de se propager sur le continent » (le Prince William représentant le Royaume-Uni) en évoquant l’Ukraine. Le primer ministre belge Elio di Rupo a rendu hommage aux milliers de victimes civiles belges « massacrées en ce funeste mois d’août 1914 par l’envahisseur ».
Après ces propos, le président allemand Joachim Gauck ne pouvait que jouer sur le registre de la discrétion en appelant « à tirer les leçons amères et terribles » du passé ». « Aujourd’hui, en Europe, la loi du plus fort a laissé la place à la force de la loi ».
Cette discrétion allemande est caractéristique de la diplomatie allemande contemporaine. Mais rien n’établit qu’elle est censé durer. Je rappelle que la chancelière Merkel est intervenue, avec discrétion, certes, plusieurs fois auprès de Poutine et peut-être cela a-t-il été plus efficace que les menaces de boycottages économiques par l’UE.
On peut encore relever qu’à Liège les représentants européens ont manifesté une sorte de confraternité, à défaut de pouvoir célébrer une Europe confédérale, décidant ensemble, au moyen d’un pouvoir politique unique, de son avenir. Globalement, la commémoration de Liège montre combien les difficiles événements du passé pèsent sur la collaboration entre les Etats européens.
Est-ce cela qui rend si difficile le chemin vers une Europe dotée d’une gouvernance politique ? La peur au ventre que l’Allemagne puisse dominer cet ensemble? Alors que de facto elle mène la barque sur le plan économique? Quelle que soit l’analyse que nous donnions et les choix qui seront faits, les propos du premier ministre belge sonnent comme une mise en garde et ne perdrons jamais rien de leur actualité, je cite : « Sans le respect de l’autre et sans la tolérance, il n’y a pas de paix possible ».
En résumé : L’Allemagne déploie une présence discrète mais néanmoins relativement engagée sur le plan des crises internationales.
Sur le plan européen:
- La diplomatie allemande, également toujours également discrète semble efficace, lorsqu’il s’agit de combler le vide de la diplomatie européenne. (cf. Négociations avec la Russie, à défaut d’une diplomatie efficace et réellement commune de l’UE).
- Respect du statu-quo de l’Europe régie par les traités en vigueur. Une « sortie » a été tentée par la chancelière Merkel en 2012 qui a évoqué l’option fédérale pour l’avenir de l’Europe, avis discret, mais qui suscité aussitôt une fin de non-recevoir - on se souvient de la réponse de Hollande : ce n’est pas le moment.
Citations F-G. Dreyfus, « Les Allemands entre l’Est et l’Ouest », Paris, 1987.
P. 54 Ratification traités de Moscou (12/8/70 : « La RFA et l’URSS sont d’accord pour estimer que la paix ne peut être préservée que si personne ne porte atteinte aux frontières actuelles. Elle s’engagent à respecter sans restriction l’intégrité territoriale de tous les Etats en Europe dans leurs frontières actuelles »…. Oder-Neisse… et la frontière entre la RF et la RDA ») et Varsovie (7 déc 70, traité germano-polonais : RFA et RPop de Pologne « sont d’accord pour constater que la ligne frontière existante, dont le tracé a été fixé au chapitre IX des accords de la conférence de Potsdam du 2 août 1945, forme la frontière d’Etat occidentale de la République populaire de Pologne… ») par le Bundestag le 17 mai 1972. Une résolution commune des trois groupes parlementaires contredit quasiment les textes qui venaient d’être signés : « Les traités ne créent pas d embases légale pour les frontières qui existent actuellement ».
Dreyfu : « …l’Ostpolitik a été un marché de dupe, elle n’a guère rapporté à la RFA, ni à l’Occident, elle a été tout profit pour Moscou ». (Dreyfus écrit en 1987).
P. 81 : EKD favorable au pacifisme, « … nombre de ses pasteurs vont enrôler leurs ouailles sous la bannière du pacifisme sans se rendre compte qu’assez rapidement ils seront manipulés par le Mouvement de la paix, filiale directe du Parti Communiste de l’URSS. »
Gorbatchov / CSCE ; réunification. Mikhaïl Gorbatchev in « Avant-mémoires », Editions Odile Jacob, 1993, traduction d’un ouvrage de Gorbatchov sur la période 1985-1992:
P. 244 - au sujet de la CSCE : la mission de l’Europe « consisterait à construire la détente.
« L’Europe dispose pour cela d’une expérience unique, indispensable. Il suffit de se rappeler que c’est des efforts communs des Européens, des Etats-Unis et du Canada qu’est sorti l’Acte final d’Helsinki. Si nous avons besoin d’un exemple concret, tangible de ce qu’est une pensée nouvelle, appliquée aux problèmes du monde, de la coopération et de la confiance internationale, ce document historique peut en faire office. »
P. 306 (Allocution prononcée lors de la ratification de l’accord soviéto-germanique du 9 novembre 1990 (en RFA) : « « Il y a exactement un an, le « mur » s’écroulait et s’ouvrait la porte de Brandebourg. Il y a, bien entendu, des raisons objectives à la réunification, des raisons à la fois internes et externes à l’Allemagne.
Mais cette unité doit de s’être faite aussi vite à une notion entièrement nouvelle en politique internationale, mise en avant par la perestroïka et la nouvelle pensée : la notion de confiance. Nous voulons croire à la solidité d’une démocratie qui a su tirer les leçons du passé nazi de son pays… ».
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L’Allemagne en Europe, hier et aujourd’hui.
Après un exposé complet de Ernst sur l’histoire de l‘Allemagne, le débat s’ouvre.
1) Les incidences de l’histoire de l’Allemagne sur ses choix économiques actuels.
- Le traumatisme de l’hyper-inflation de 1923 a marqué les Allemands en profondeur. Ils restent très vigilants par rapport à tout signe de dérapage de l’inflation.
- Le plan Marshall de 1947, proposé par les Américains, a permis à l’Allemagne un redressement économique absolument nécessaire après l’intense période de bombardements de la deuxième guerre sur leur territoire.
- La mise en place de l’euro dans un présent plus récent s’est effectuée de manière favorable pour l’économie allemande avec un taux de change de deux marks pour un euro. La Bundesbank a eu une influence dominante dans ce processus, influence qu’elle exerce encore sur la BCE actuellement.
- L’Allemagne bénéficie d’un tissu hors pair de PME de nature spécifique (machines-outils) qui lui permet d’être présente industriellement dans le monde. Un participant nous fait part de son expérience d’il y a 40 ans à la foire internationale de Hanovre dans laquelle il représentait les filiales françaises de deux entreprises allemandes et où les entreprises allemandes étaient majoritaires.
Il s’est aperçu que cette foire attirait des clients du monde entier pour la qualité des produits proposés, leur niveau d’innovation, leur capacité de service après-vente. L’industrie allemande s’est en grande partie développée grâce à un réseau de distribution déployé dans le monde entier. - Enfin, force est de constater que les qualités d’efficacité et d’organisation autrefois mises au service du militaire ont caractérisé et caractérisent encore l’industrie allemande.
2) L’état actuel de l’économie et de la société allemande.
- Le traumatisme de l’hyper-inflation fait que l’Allemagne a tendance à s’opposer à une politique européenne de relance de la croissance économique.
- L’Allemagne tient à conserver une monnaie forte car elle est fortement exportatrice. L’euro s’appliquant à l’ensemble de la zone concernée désavantage cependant les pays du Sud qui n’ont pas les mêmes atouts économiques. L’euro a permis d’une certaine manière de mettre en infériorité certains pays européens et peut apparaître comme une politique nationalement très favorable aux Allemands. Ce qui pose la question de la pertinence de l’Europe sur le plan économique quand nous questionnons l’effet de l’euro dans l’UE.
- L’essentiel du commerce de l’Allemagne se fait encore avec l’UE, mais la part des pays émergents et de la Chine devient de plus en plus importante. Signalons que la France n’est plus le partenaire commercial privilégié de l’Allemagne.
- Sur le plan de l’énergie, l’Allemagne a fait le choix de sortir du nucléaire, mais elle est entourée des pays de l’Est qui ont de nombreuses centrales nucléaires anciennes et qui se tournent volontiers vers la Russie pour la construction de nouvelles centrales. C’est là une main qui se tend vers la Russie et crée une sorte de décentration par rapport à l’Allemagne.
- Les étrangers ont une place particulière en Allemagne. L’Allemagne manque actuellement d’ingénieurs et fait appel à eux dans le cadre d’une immigration professionnelle. Elle conclut des accords avec des universités espagnoles où le chômage des jeunes diplômés est particulièrement grave. En termes de chiffres, signalons que fin 2011, l’Allemagne compte près de 7 millions d’étrangers sur son territoire. Le nombre d’étrangers augmente de 2,6% par an. Ce sont essentiellement des personnes issues des pays de l’Est, de Grèce, d’Italie, d’Espagne, du Portugal dont un nombre non négligeable est qualifié professionnellement. La France intègre 200 000 immigrés par an. Ils sont originaires en grande partie d’Afrique et arrivent au titre du regroupement familial ou comme demandeurs d’asile. Seuls 10 000 d’entre eux sont qualifiés professionnellement.
- L’économie allemande propose des coûts de revient assez faibles en partie liés au faible taux d’encadrement des entreprises qui payent ainsi moins de cadres et de directeurs pour le même nombre d’employés dans l’entreprise qu’en France. Pour 100 personnes, les Allemands ont 7 personnels d’encadrement contre 20 en France.
- Le secteur public dans son ensemble pèse moins sur le pays en termes d’encadrement et de dépenses.
- Bien des villes sont souvent plus pauvres que les campagnes et il ne faudrait pas prendre en exemple la province allemande limitrophe de la France comme modèle de prospérité. C’est la région la plus riche de l’Allemagne
- Le coût social de l’économie allemande est non-négligeable: les salaires sont bridés, les infrastructures peu entretenues, il y a beaucoup de travailleurs pauvres, l’écart de salaire entre les hommes et les femmes est supérieur à celui de la France. Il faut s’attendre à une augmentation des retraités pauvres dans un avenir proche, leur retraite étant garantie par des fonds de pension internationaux que la crise a fortement minorés.
3) L’Allemagne et sa place politique en Europe.
- Longtemps, l’Allemagne a été qualifiée de « nain politique « après sa défaite de 1945. De Gaulle disait de sa relation à l’Allemagne en parlant à Adenauer: « Je suis le cavalier, vous êtes le cheval ».
- Longtemps la diplomatie allemande a été à la remorque de la diplomatie française, mais actuellement on ne semble plus vraiment parler de couple franco-allemand. François Hollande a acté un certain effacement de la France par rapport à l’Allemagne en Europe.
- L’absence de véritable diplomatie européenne a permis la mise en avant de Angela Merkel, partenaire privilégié de Poutine notamment dans le conflit ukrainien.
- L’Allemagne est toujours restée faible en ce qui concerne son armée propre depuis la deuxième guerre mondiale.
- Conclusion.
Sous bien des aspects l’Allemagne semble en position de force en Europe et cela peut entraîner une sorte de déséquilibre dans l’espace de l’Union européenne. Cependant la prospérité économique de ce pays peut se fragiliser parce qu’elle dépend de plus en plus de marchés extérieurs à l’Europe qui peuvent se fermer un jour où l’autre.
Il serait important de créer une synergie européenne tant sur le plan des investissements communs (croissance verte) que d’une possibilité de diplomatie commune qui n’en est encore qu’à ses débuts.
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Extraits de l’ouvrage de Guillaume DUVAL, Made in Germany, le modèle allemand au-delà des mythes, Points, 2014.
Les vraies raisons du rebond de l’ALLEMAGNE d’ANGELA MERKEL.
Après le départ de SCHRÖDER en 2005, la situation allemande s’est améliorée et le chômage a reculé. Lors de la crise de 2008-2009, l’économie germanique a mieux résisté au choc que celle de la plupart des autres pays et, depuis, elle a quasiment été la seule à ne ressentir que faiblement les effets de la crise de la zone euro.
Il n’en a pas fallu davantage pour attribuer les effets de ce redressement différé à SCHRÖDER.
Cette analyse est fausse: les succès économiques allemands récents ont principalement d’autres causes que les réformes de SCHRÖDER.
Ils tiennent d’abord à la politique moins antisociale menée par MERKEL: elle a desserré les contraintes excessives imposées à la société et à l’économie par SCHRÖDER.
Ces succès sont dus aussi
• aux caractéristiques structurelles anciennes du modèle allemand: forte valorisation du travail industriel, importance de la négociation sociale entre syndicats et patronat, pouvoirs étendus des représentants des salariés dans les entreprises;
• aux facteurs conjoncturels: absence de bulle immobilière liée en particulier au recul démographique, succès de l’OPA de l’industrie allemande sur les pays d’EUROPE CENTRALE et ORIENTALE qui a dopé la compétitivité-prix des produits allemands et décollage spectaculaire des émergents dont la forte demande est en phase avec les spécialisations traditionnelles du pays dans les biens d’équipement et les automobiles de luxe.
• A quoi sont venus s’ajouter le taux d’intérêt exceptionnellement bas et la baisse des taux de change de l’euro depuis la crise de l’euro.
MERKEL n’a fait que corriger les dégâts de SCHRÖDER.
1) Du côté emploi: multiplication des petits boulots pour moins de 400 euros par mois. Ils ne donnent droit qu’à des versements réduits de cotisations sociales et à aucun droit à des pensions de retraite. Ces personnes sortent cependant des statistiques du chômage. En mars 2012: 4,8 millions de personnes occupent exclusivement un emploi de ce type, 3,1 millions pour les femmes pour 1,6 million pour les hommes, un nombre quasiment stable depuis 2005. SCHRÖDER a ainsi consolidé le rapport inégalitaire hommes-femmes sur le marché du travail et a accru le nombre des travailleurs pauvres (7,7% en 2011 en ALLEMAGNE contre 6,2% en FRANCE selon EUROSTAT).
L’ALLEMAGNE a bien créé 2,8 millions d’emplois salariés soumis à cotisations sociales entre mars 2006 et mars 2012, dont la moitié depuis la crise de 2009. Dans le même temps la FRANCE n’avait créé que 1 050 000 emplois entre 2006 et 2009 pour en perdre 500 000 depuis. Mais l’ALLEMAGNE n’a fait que retrouver le niveau d’emploi qui était le sien en 2000 à partir de 2010 en compensant les dégâts creusés par SCHRÖDER.
2) Le pouvoir d’achat des ALLEMANDS est toujours à la peine.
3) Les avantages (provisoires) du vieillissement.
Le vieillissement prépare une paupérisation massive des futurs retraités, mais pour le moment la chute démographique aide.
En 1999, les jeunes de moins de 15 ans représentaient 15,8% de la population allemande. Ils ne sont plus que 13,3% en 2011, soit deux millions de moins. En FRANCE, le nombre de ces jeunes augmentait de 600 000 dans le même temps.
Pour l’emploi entre 2000 et 2012, la population allemande âgée de 15 à 64 ans a diminué de 1,7 million de personnes alors qu’elle s’est accrue de 2,8 millions en FRANCE.
4) Pas de bulle immobilière.
5) Les bénéfices de la Chute du Mur.
La réunification allemande n’a pas seulement été une opération coûteuse pour l’ALLEMAGNE. Elle a ouvert à l’industrie de l’ex-ALLEMAGNE de l’OUEST à la fois de nouveaux débouchés et un terrain d’implantation privilégiée pour des usines toutes neuves. Puis il en a été ainsi également pour les pays d’EUROPE CENTRALE et ORIENTALE (PECO), les ex-pays frères de la RDA.
L’industrie allemande profite ainsi d’un Hinterland d’où elle tire composants et sous-ensembles fabriqués à bas coûts ce qui lui a permis d’accroître la compétitivité-coût de ses produits finis. Elle a parallèlement développé à marches forcées ses capacités de production dans ces pays, alimentant en retour ses propres exportations de sous-ensembles et d’équipements vers ces destinations.
L’économie allemande a subi depuis les années 1990 une transformation radicale:
- Exportations passées de 23,7% de son PIB en 1995, en représentent 51,9% en 2012 (la FRANCE passe de 23 à 27,3% dans le même temps comme le RU ou l’ITALIE).
- Les importations depuis les pays à bas coût ont aussi beaucoup augmenté.
- Depuis 2009, la FRANCE a perdu son statut de premier partenaire commercial de l’ALLEMAGNE: la CHINE lui vend davantage désormais.
- Les PECO supplantent la FRANCE: depuis 2005, les investissements allemands dans les PECO ont dépassé les investissements germaniques en FRANCE dont le stock baisse encore en ce moment. Les multinationales françaises ont investi deux fois plus en ALLEMAGNE que les multinationales allemandes en FRANCE.
- Ce basculement de la FRANCE vers les PECO comme fournisseurs privilégiés de l’ALLEMAGNE illustre les difficultés de l’Hexagone dans la division internationale du travail.
- L’intégration des PECO dans l’UE finalisée en 2004 a fait perdre à la FRANCE des avantages.
- La FRANCE n’a pas d’Hinterland. Le redressement industriel de l’ALLEMAGNE doit plus à son Hinterland qu’à SCHRÖDER.
- L’explosion de la demande des pays émergents.
L ‘ALLEMAGNE est parvenue, quasiment seule en EUROPE, avec la SUEDE, à dégager des excédents considérables dans les échanges avec les pays non européens: en 2012 les excédents allemands hors EUROPE représentent 4,6% du PIB germanique contre 1,1% seulement pour les excédents réalisés au sein de l’Union. D’où une opposition persistante de l’ALLEMAGNE à toute perspective de protectionnisme européen régulièrement proposé par le gouvernement français.
6) Compétitivité-coût et compétitivité hors coût.
Les coûts unitaires français de main-d’œuvre n’ont pas particulièrement dérivé par rapport aux coûts allemands. Ce qui a tué l’industrie européenne à partir de 2000, c’est la hausse de l’euro face au dollar au cours des 10 premières années de son existence, et cela alors que les monnaies de la plupart des pays émergents étaient indexées sur le dollar.
Du fait de la hausse de l’euro, l’écart du coût du travail entre la FRANCE et les autres pays européens (ALLEMAGNE comprise) s’est creusé avec les émergents. L’ALLEMAGNE a résisté. L’explication principale tient à la modération salariale allemande, à l’intégration productive avec les PECO, mais surtout à la rencontre d’une spécialisation très particulière dans les biens d’équipement, les automobiles haut de gamme, l’essor de la demande pour ces biens lié au décollage des pays émergents ces 15 dernières années.
Ce qui permet le succès à l’exportation des PME allemandes est moins lié à leur taille qu’à leur spécialisation dans les biens d’équipement (domaine où la FRANCE a largement perdu pied depuis les années 1980).
L’ALLEMAGNE concentre dans ce domaine 33% des emplois européens (machines et équipements électriques). La FRANCE pèse dans ce domaine quatre fois moins que l’ALLEMAGNE. L’internationalisation industrielle a profité à l’ALLEMAGNE, qui en installant ses usines dans le monde a emmené avec elle leurs fournisseurs de machines alors que la FRANCE devait se fournir auprès de l’ALLEMAGNE pour ces mêmes machines.
Importance qui n’a rien à voir avec les politiques: PORSCHE, AUDI, BMW, MERCEDES… domaine où les français ont perdu pied depuis 1880.
7) L’ALLEMAGNE de MERKEL a tiré profit de la crise de l’euro.
L’ALLEMAGNE a mieux résisté que d’autres à la crise en gardant ses emplois stables au lieu de licencier et s’est retrouvée prête à exporter dès que la crise a cédé. Elle a refusé une flexibilité outrancière du travail.
Depuis 2008, relatives bonnes performances économiques grâce à la baisse spectaculaire des taux d’intérêt et à la baisse du taux de change de l’euro d’où le peu d’empressement de l’ALLEMAGNE pour chercher une sortie de crise de l’euro.
Les succès de l’ALLEMAGNE peuvent la pousser au fantasme de sortie de l’UE. Les pays émergents et la CHINE, cependant, pourraient devenir moins importateurs de produits allemands.
Voir l’exemple japonais qui a laminé l’industrie américaine en quelques décennies…
CONCLUSION.
A retenir du modèle allemand:
- pouvoirs étendus des salariés dans les entreprises et codétermination
- management moins autoritaire
- valorisation du travail industriel dans la société
- mobilité sociale plus forte grâce l’absence de grandes écoles
- organisation plus équilibrée des territoires
- système scolaire moins élitiste.
Il nous faudrait, en FRANCE, dégonfler la bulle immobilière qui plombe les ménages et ne pas privilégier l’investissement dans la pierre au détriment de la production.
Les ALLEMANDS plombent l’EUROPE en prêchant l’austérité à la SCHRÖDER.
Projet plausible: transition écologique.
Proposer un Green New Deal européen qui aurait un effet redistributif majeur dans l’UE.
Une note de Jean Brice
Parmi les facteurs de fragilité de l’Allemagne, notons par ailleurs le ralentissement économique en Europe qui reste malgré tout un débouché important pour ce pays et le différentiel de performance économique trop important avec ses voisins, qui, paradoxalement (paradoxe allemand), peut générer une déstabilisation de la zone préjudiciable à l’ensemble des partenaires.
Nicole Roelens
Café politique du15 janvier 2015
Il n’y aura pas d’issue aux désastres écologiques et humains qui frappent la planète sans une décolonisation mondiale de l’humanité femelle
Si l’humanité aujourd’hui veut sauvegarder l’habitabilité de la planète et l’intégrité de ce qui fait l’essence des êtres humains, il faut que les rapports entre ses deux moitiés sexuées changent fondamentalement. En effet, les rapports d’emprise, d’oppression, d’exploitation et de prédation, que les humains entretiennent avec l’écosphère et entre eux, sont déjà inscrits dans l’unilatéralisation violente des rapports d’interdépendance entre les sexes, c’est-à-dire dans une colonisation du peuple des femmes qui se manifeste par :
- l’annexion de leur corps,
-Le pillage des richesses matérielles et spirituelles ce qu’elles produisent,
- Leur infériorisation systématique et le mépris de ce qu’elles ont à dire,
- Leur réduction à l’état d’objet de convoitise interchangeable
- Leur réclusion dans la sphère domestique quand elles enfantent
- Leur utilisation comme bouc émissaire d’usage courant dans la sphère privée et comme exutoires des spirales de violences collectives
- L’apartheid spirituel qui perdure dans les religions instituées
Cette colonisation de l’humanité femelle est le socle d’une société violente, injuste et oppressive.
Le travail d’analyse de ce système réalisé par Nicole Roelens dans les quatre premiers tomes de son Manifeste pour la décolonisation de l’humanité femelle lui permet, aujourd’hui, de proposer la mise en œuvre d’une révolution éco-féministe, perspicace, pacifique et autogérée que les femmes doivent prendre en mains, avec le soutien des hommes qui sont prêts à renoncer à leur hégémonie factice pour construire avec elles les conditions de la vie bonne.
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Conférence de Nicole Roelens le 15 janvier 2015 au café politique de Strasbourg.
Mon travail de pensée a commencé il y a onze ans. C'est un cheminement intérieur, de recherche, d'observation, de compréhension très profond pour moi. Dans le cinquième tome que j'écris en ce moment et qui va s'appeler la révolution perspicace, j'essaie d'aboutir à des propositions d'action, à une praxis de décolonisation. Cela demande avant tout d'analyser la société comme elle est et les obstacles que nous avons rencontrés. Ce travail d'écriture du dernier tome me demande beaucoup d'énergie.
Le titre de ma conférence d'aujourd'hui est le suivant: il n'y aura pas d'issue aux désastres écologiques et humains qui frappent la planète sans une décolonisation mondiale de l'humanité femelle.
Aujourd'hui plus que jamais, je constate que la gestion phallocratique du monde avec ses rapports d'exploitation, de violence et de prédation est au bout du bout de sa logique et que nous sommes dans des spirales de violence collective qui ne vont que s'aggraver et que, si nous avons une chose à faire, c'est un bond de civilisation. Ce bond de civilisation ne demande pas seulement une émancipation de la femme, mais une décolonisation.
J'étais psychologue du travail et j'ai fait beaucoup de travaux d'analyse des systèmes. J'ai publié des livres sur les interactions humaines, tout un travail d'analyse des systèmes d'interactions au niveau interpersonnel, mais aussi au niveau collectif et au niveau social.
Je pense que la notion de colonisation est beaucoup plus opérationnelle que la simple notion de domination-soumission même s'il sera difficile ce soir, en si peu de temps d'étayer cette affirmation. Les femmes sont prêtes à auto-organiser cette décolonisation. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de revendiquer la décolonisation, mais de la faire. Ce qui est en
question est comment auto-organiser notre propre décolonisation. C'est pour moi, le moyen essentiel pour changer fondamentalement les rapports d'exploitation, de prédation et de violence. Il le faut. C'est ma conviction profonde.
Pour amorcer cette décolonisation, il faut avoir assimilé une certaine lecture de la situation des rapports de sexe dans le monde pour comprendre comment on peut arriver à l'action et changer quelque chose. Je vais donc faire un détour par l'analyse rapide de ce qu'est la colonisation de l'humanité femelle par les mâles.
Quand je dis humanité femelle, les gens disent: Mon Dieu! Mon Dieu! Mais je suis intervenue dans un lycée à Munster et j'ai constaté que les jeunes en ont une compréhension immédiate. Pour eux à 17-18 ans, ils ont déjà intégré le «brouillage» des rôles féminin-masculin. Quand ils m'ont interrogée sur la femellité, j'ai évoqué Conchita Wurtz qui a gagné le prix de l'Eurovision avec des « nichons », une robe magnifique, et une barbe! Elle est très féminine, mais en fait c'est un mâle. Le fait d'être mâle ou femelle est en effet plus fondamental que le fait d'être féminin ou masculin. Je ne parle pas de la décolonisation de la féminité. Je parle de lever l'annexion sur le corps fécond des femmes, de lever l'annexion du corps jouissif des femmes, de lever la violence d'infériorisation permanente, de ces femmes qui mettent au monde des enfants, de ces femmes qui ont une puissance érotique, mais qui sont complètement annexées. Il ne s'agit pas ici des rôles sociaux du féminin et du masculin. C'est quelque chose de beaucoup plus inscrit dans le charnel des rapports humains et ce modèle là, quand une femme est spoliée de sa propre jouissance sexuelle par un homme qui l'instrumentalise, ce rapport là est un rapport d'exploitation, d'annexion, de spoliation. Il est inscrit dans la chair, il est inscrit très loin dans l'inconscient et l'imaginaire. Ce rapport là conditionne tous les autres rapports d'exploitation, tous les autres rapports de violence.
Donc, je tente de situer pourquoi je parle de femellité: tout d'abord parce que je parle de l'humanité femelle qui constitue exactement la moitié de l'humanité. Quand on nous dit que nous les femmes sommes une minorité comme on le dit des noirs et des homosexuels, c'est faux. Les femmes représentent la moitié, parfois un peu plus, de l'humanité. La question de la place des femmes dans le monde ne peut pas être pensée comme une place de minorité. J'ai une vision internationale de la situation des femmes aujourd'hui et nous assistons dans le monde aujourd'hui à une augmentation exponentielle des violences faites aux femmes à travers le monde. Il existe des poussées d'émancipation des femmes. Il y a longtemps que les femmes se battent, mais la violence qui leur répond est de plus en plus considérable. Certes, il y a eu des acquis, le droit de vote, l'éducation des filles, l'accès à l'emploi, l'accès à la contraception. Houellebecq, juste avant les attentats disait : «Je n'ai jamais compris pourquoi on a donné le droit de vote aux femmes ». Même dans nos élites intellectuelles, il existe des poussées importantes vers la négation du droit des femmes à avoir une existence sociale.
Tout est loin d'être rose pour les femmes: les violences qui leur sont faites, les viols systématiques. Aujourd'hui, demandez à vos petites filles si elles se sentent en sécurité quand elles se promènent dans les rues!
Les acquis de la lutte des femmes sont en fait récupérés pour les retourner contre elles. Il faut prendre en compte le nombre d'exigences qui sont posées aux femmes aujourd'hui. La récupération idéologique appartient au problème que nous soulevons.
Pour sortir de cette situation, il faut sortir du système de différenciation par l'oppression.
Aucun ordre social ne semble pouvoir se faire sans différenciation. C'est une loi sociologique, anthropologique. La hiérarchisation qui fonde notre société est en fait hiérarchisante. Cette hiérarchisation des différences se retrouve d'abord dans les rapports de sexe puisque les hommes sont la norme de l'humanité et nous, nous sommes les sous-humains. Cette différenciation par l'oppression et par la hiérarchisation se retrouve dans les rapports de race et de classe. C'est un système général, mais qui est intégré, généralisé, reproduit à travers les rapports de sexe, c'est-à-dire que les femmes sont systématiquement infériorisées, elles finissent par douter elles-mêmes de leur propre pensée, de leur propre parole, et ne sont pas toujours conscientes de cette oppression. Je rencontre beaucoup de femmes qui me disent, toi tu es peut-être colonisée, mais pas moi, c'est-à-dire que tout ce qui fait qu'elles ont une existence subalterne, au niveau social et symbolique, tout ce qui fait qu'elles doutent de leurs propres capacités, tout ce qui fait même qu'elles collaborent à leur propre oppression, cela n'a pas été suffisamment pensé ni dit.
Pour moi, la colonisation, c'est quelque chose d'opérationnel parce que cela signifie qu'il y a au moins quatre opérations significatives dans toute entreprise de colonisation:
• une opération d'annexion, on envahit le territoire. En effet, nous n'avons pas de territoire spécifique, et nous sommes très envahies quotidiennement. Se pose la question de la place de la femme: avons-nous des espaces pour exister? Il semble que ces espaces soient le plus souvent annexés par les hommes. Le ventre des femmes est lui aussi annexé. C'est aussi leur fécondité. C'est l'ensemble de leur existence. C'est leur pensée. Au niveau spirituel, il y a aussi une annexion de l'esprit des femmes.
• L'autre opération de colonisation, c'est le pillage ou la spoliation, le pompage des richesses. Considérons cette idée que les femmes doivent se battre pour être égales, comme si elles ne l'étaient pas d'avance! Pourquoi alors demander l'égalité? Tous les humains naissent égaux en droits!
Dans la réalité des faits, les contributions des femmes sont absolument colossales et indispensables à la vie. D'abord, évidemment, elles enfantent la prochaine génération sans quoi il n'y aurait plus d'humanité. En deuxième lieu, elles s'occupent de faire de cette génération des humains capables d'autonomie et cela prend de nombreuses années.
Elles assurent la plupart du temps la qualité de vie et la survie immédiate ne serait-ce qu'en déblayant les déchets dans la maison, en essayant de faire des lieux de vie vivables, en plus de toutes leurs contributions professionnelles, leurs contributions intellectuelles, leurs contributions spirituelles. Mais tout cela est relativement peu valorisé, peu considéré, invisibilisé .
Pour défaire ce système de colonisation, il faut avoir conscience de deux éléments essentiels, c'est que l'ordre social injuste qui fait des femmes des sous-humains ou des subalternes repose d'abord sur un socle de méconnaissance fondamentale du réel de la condition humaine.
C'est parce que nous nions ce que c'est que d'être humain, c'est-à-dire que les humains apparaissent et disparaissent et qu'ils n'ont que quelques décades à vivre. Depuis la naissance des Homo Sapiens, combien de générations y a-t-il eu? ll n'y aurait eu en fait que 5000 générations (Homo Sapiens débute il y a 100 000 ans avec 5 générations par siècle). Actuellement, on gère la société comme si la génération qui occupe le pouvoir devait être éternelle alors que la réalité est que l'on arrive à l'état d'adulte et que rapidement, vers 55 ans, on commence à décliner et qu'on est remplacé. La vie humaine se continue perpétuellement dans la précarité des humains remplacés les uns par les autres. Nous apparaissons, puis nous disparaissons, et c'est cette dimension intergénérationnelle de transmission de la vie qui passe par le ventre des femmes. Toutes les personnes ici ont eu pour première demeure l'utérus de leur mère. Elles sont entrées dans la vie par le vagin de leurs mères sauf s'il y a eu césarienne.
En tous cas, il y a un réel prosaïque des humains qui fait que nous sommes des vivants mortels. Par rapport à cette idée de disparition, il y a des révoltes existentielles profondes des humains par rapport à cela, cela se comprend. Par ailleurs, les humains sont très interdépendants les uns des autres, ils sont en recherche de communion permanente et ils se «cassent la figure» d'innombrables fois, c'est-à-dire que cette tendance vers la recherche de communion est très constamment en échec. Tout cela crée une difficulté énorme et beaucoup de destructivité. Cette destructivité des humains n'est plus spiritualisée actuellement. Dans les religions traditionnelles, elle est spiritualisée uniquement à partir du pouvoir des clercs qui sont des hommes le plus souvent. Par conséquent, tout le travail de spiritualisation que peuvent faire les femmes du réel de la vie des humains n'est pas pris en compte. 4
Je suis heureuse que nous ayons avec nous ce soir, Janine Elkouby, qui était Présidente du Consistoire et qui fait tout un travail de compréhension de ces questions au niveau religieux. La spiritualisation de la vie prosaïque des humains était déjà un peu hémiplégique. Actuellement, elle est carrément confuse, pour ne pas dire complètement déstructurée.
Toute cette gestion de la destructivité humaine ne pourra se faire que si nous changeons un peu les rapports qui font que actuellement nous avons dépassé le patriarcat. Il y a une déstabilisation du patriarcat, mais nous sommes toujours dans le pouvoir des mâles. Maintenant, les fils, les frères, les terroristes islamistes, viennent crier d'immenses colères que plus personne ne maîtrise ni ne comprend.
J'ai fait un travail très approfondi sur ces questions de la violence et je redis qu'il faut que la place de la mère comme source de la vie soit reconnue et rétablie dans sa grandeur. Il faut que les femmes et les hommes honorent cette source de leur vie pour tenter d'endiguer un peu cette destructivité. Actuellement, nous assistons à un refoulement extraordinaire de la réalité de la condition humaine qui fait qu'on n'en fait plus rien.
Mon fils se trouve actuellement en République Démocratique du Congo. Il y constate les suites du génocide rwandais dans des processus spiralés du développement de la violence. En RDC, des centaines de milliers de femmes ont été violées, pas seulement violées, mais aussi torturées sexuellement par des jeunes miliciens africains qui, en fait, profanent le ventre de leur propre mère. Pourquoi en sont-ils arrivés là?
En même temps, ces actes d'exaspération, de haine, qui arrivent à des niveaux tout-à-fait incroyables de haine de la femellité, sont très parlants sur la situation de notre monde. Ces gens qui arrivent en commando pour violer les femmes dans les villages sont en fait au service des multinationales qui vont récupérer les terres quittées par les villageois et sur ces terres de l'Est du Congo, dans le Kivu, il y a de nombreux minerais, en particulier le coltan qui nous sert pour nos ordinateurs.
Je dis donc que le monde actuel fonctionne sur un système de prédation généralisée. Il faut donc en sortir.
Il est important politiquement aujourd'hui de comprendre dans quoi nous nous trouvons. Le pouvoir politique, aujourd'hui, tel qu'il est pensé, est très impuissant. Ces derniers jours, Hollande a bien tenu son rôle, rituel, disons-le, mais sur le fond, le pouvoir n'est plus institutionnel ni en France, ni ailleurs.
Le pouvoir se situe au niveau des lobbies, dans des lieux de pouvoir beaucoup plus efficaces. Cela est très important pour les femmes de savoir que l'oppression institutionnelle a beaucoup diminué, mais que l'oppression idéologique augmente à travers l'industrialisation de l'information. Il y a un pouvoir financier, technologique qui a augmenté de façon exponentielle, par exemple toute l'emprise sur le ventre des femmes. Au Bangladesh, de nombreuses femmes étaient ouvrières du textile en étant très mal payées. Elles quittent aujourd'hui ces usines pour aller dans les «usines à bébés». Elles ont des commandes de l'Occident et sont engrossées. Elles passent neuf mois dans ces usines à bébés. Leur accouchement est programmé par césarienne. Elles n'ont pas le droit d'accoucher par la voie naturelle. On leur retire le bébé après la naissance. Elles gagnent un petit pactole qui représente une somme importante pour elles qu'elles ramènent à la maison en disant : on dit que les femmes ne servent à rien, mais moi, j'ai pu ramener tant d'argent. Pourquoi disent-elles cela? Parce qu'habituellement, elles sont dans des situations d'humiliation profonde et ce pactole représente au moins un apport.
Cependant, elles doivent faire le deuil de leur bébé, parce que c'est leur bébé. Il s'agit là d'une prostitution comme nous n'en n'avons jamais vue. C'est la prostitution du corps fécond des femmes. Ces femmes sont entourées d'un réseau d'avocats, de médecins, de toute une chaîne d'exploitants qui se font des « couilles en or », si j'ose dire, sur cette exploitation des femmes qui étaient utilisées auparavant dans le textile par nos marques françaises qui vendent très cher les vêtements qu'elles fabriquent.
Ainsi, l'emprise sur les femmes change de niveau. Ce n'est plus le patriarcat traditionnel. Nous sommes face à d'autres pouvoirs.
Malgré ma vision assez crue de la situation des femmes dans le monde, je crois qu'une décolonisation autogérée par les femmes est possible.
Je suis en train d'écrire ces propositions méthodologiques et d'action. Je vous donne un exemple que je trouve encourageant même si c'est un exemple très particulier, en Inde, dans l'ancienne ville de Bombay, où il y a de grands bidonvilles.
Il y en a à Bombay car, comme dans toute l'Inde, il y a d'énormes problèmes de logement. Le seul fait d'avoir quelques bouts de mur pour se mettre à l'abri, se cacher du regard des autres et vivre un peu une intimité, cela reste inaccessible à beaucoup. Les promoteurs sont très avides des grands terrains des bidonvilles. Ils souhaitent « éjecter ces abcès de fixation » de la pauvreté. Les politiques considèrent aussi que cette image d'insalubrité ne fait pas « bien dans le tableau ».
Donc, il y a une volonté et une pression terrible pour expulser les gens des bidonvilles, qui eux ne possèdent que leurs trois tôles, leurs casseroles et leurs lieux de vie. S'ils sont expulsés, ils se retrouvent encore plus éloignés de la ville et dans une plus grande pauvreté. Les femmes de ces bidonvilles de Bombay se sont auto-organisées pour améliorer un peu leur habitat par accumulation de toutes petites sommes entre elles. Puis elles ont pratiqué ce qu'elles ont appelé la « politique de la merde ». En effet, le politiques leur disaient qu'il n'était pas possible de laisser exister ces bidonvilles parce qu'il y a des déjections humaines partout qui sont vectrices de maladie. Ces femmes ont décidé de construire des toilettes. Elles ont également amélioré les habitats. Elles ont ainsi commencé à se saisir de leur situation et se sont imposées. Ces femmes sont très souvent des prostituées parce que presque toutes les familles n'arrivent pas à vivre sans prostitution. Elles se sont quand même imposées comme interlocutrices par rapport à la ville. Elles ont réussi à avoir une existence sociale et à négocier avec les autres partenaires. Elles ont aussi réussi à s'associer à d'autres groupes même politiquement différents, sans que cela leur pose problème. Ce qui leur importe c'est la sauvegarde et l'amélioration de leur habitat. Elles se sont ensuite coordonnées à d'autres femmes des bidonvilles en Afrique du Sud et en Amérique du Sud. Elles sont dans un réseau international des femmes pauvres des bidonvilles. Je ne dis pas que c'est ce que nous avons à faire, mais je trouve que c'est déjà extrêmement frappant de voir des femmes qui n'ont absolument rien, qui n'ont pas pu être scolarisées, arriver à avoir une analyse de la situation dans laquelle elles sont et commencer à construire des stratégies d'auto-organisation pour défendre le minimum vital de leur propre vie et de celle des autres.
Dans une action collective comme celle-là, les femmes se grandissent parce qu'elles se créent une existence sociale qu'on ne leur accorde jamais. Elles peuvent nous enseigner des stratégies d'action.
Pour ma part, je suis dans le mouvement autogestionnaire depuis toujours. J'étais au PSU quand j'étais jeune. Je suis plutôt anarchiste c'est-à-dire contre un pouvoir central, mais je suis pour l'auto-organisation et la coopération. Je pense que notre façon d'agir contre la colonisation ne sera pas semblable à la forme de Révolution qu'on nous a dit qu'il fallait faire. Dans le mouvement autogestionnaire, on disait que la base allait prendre le pouvoir. Mais la base, c'est qui? Il y avait un espèce de mythe sur qui était la base et qui devait se mobiliser. Il faut partir d'un autre vision des réalités des situations.
Dans la sociologie critique allemande se posait toujours la question de savoir qui a le plus intérêt à changer la société dans la recherche de savoir qui a les intérêts révolutionnaires. Actuellement, les femmes, ici ou ailleurs étant au bout de la chaîne d'exploitation sont celles qui ont le plus intérêt à changer la société. Je ne crois pas que nous ferons table rase de quoi que ce soit. Cela n'existe pas. «Du passé faisons table rase», c'est une pure fiction. Cela n'existe pas.
Nous sommes dans des traditions, dans des filiations, nous avons des héritages, mais il faut réfléchir à comment défaire les stratégies d'annexion, comment défaire le pillage, comment désactiver l'humiliation dont j'ai peu parlé malgré son importance.
La question de la lutte contre l'humiliation est très importante. Tous les humiliés ont tendance à réagir contre l'humiliation. On le voit au Maghreb ou ailleurs, il y les humiliations qui empoisonnent à long terme les rapports humains. Mais souvent les réactions à l'humiliation passent par une nouvelle action d'humiliation qui augmente encore la dose générale d'humiliation. Ma thèse a traité de la crise de l'habilitation intersubjective à l'existence sociale, ce qui signifie que actuellement les êtres humains ne sont plus en état de se donner une place, de donner place à la génération qui vient, de reconnaître la compétence, la dignité humaine les uns des autres. Tout le monde attend d'être reconnu et personne n'est plus en état de produire de la reconnaissance. Nous sommes dans un système de pénurie de reconnaissance qui est extraordinairement grave. Cela crée des fanatismes et des réactions à l'humiliation. Dans ce contexte, même nous, devons cesser de réclamer de la reconnaissance. Il faut commencer à penser comment nous nous en donnons. Pour les femmes, c'est capital, parce que souvent nous allons demander la reconnaissance à nos colonisateurs, c'est ce que font tous les colonisés. Par exemple en Guadeloupe, quand deux Guadeloupéens parlent, ils s'écoutent à peine. Si un blanc arrive et dit la même chose, on le reconnaît.
Souvent quand je réunis des femmes et qu'il y a quelques hommes avec elles, elles disent: aujourd'hui, on a de la chance, il y a des hommes. Elles se trouvent évidemment insuffisantes et pensent que ce qu'elles ont à dire n'est pas intéressant. Nous avons, entre femmes, à nous reconnaître mutuellement, à nous donner valeur, à nous donner la parole mutuellement. C'est tout-à fait important. C'est aussi important intergénérationnellement. Le fait d'être colonisé fait qu'on coopère à son propre asservissement et à celui de ses semblables. Cela fait partie de la colonisation de finir par être annexion, pillage, humiliation puis assujettissement. On devient coopérant à son propre assujettissement quand la colonisation est bouclée.
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Restitution des échanges entre Nicole Roelens et les participants du café politique de Strasbourg
le jeudi 15 janvier 2015 sur le thème de la colonisation de l'humanité femelle par les mâles.
1) D'où parle Nicole Roelens?
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Un participant se demande si la méthode de Nicole Roelens ne fait pas référence à Lévi-Strauss. Nicole parlerait ainsi à partir d'une sorte d'essentialisme féminin dans le sens où le seul fait de la femellité expliquerait toute la femme. Ces propos seraient trop réducteurs et structuralistes. Par ailleurs, le fait d'avancer que la femme est le fer de lance d'une Révolution fait appel à des références marxistes. Le prolétariat serait remplacé par les femmes.
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Nicole Roelens répond:
Je relie l'analyse structurelle et l'analyse dynamique, l'histoire de vie, l'histoire des peuples, les évolutions et les structures. Mais il y a une structure qui me paraît particulièrement intéressante (en référence à Lévi-Strauss), celle qui s'appelle l'inconscient structural. C'est tout ce qu'on ne sait pas, qu'on ne pense pas, mais qui conditionne le comportement. Pour moi, dans cet inconscient structural, il y a tout le refoulé par rapport aux rapports de sexe. Il y a aussi un déni de la condition humaine. Ce refoulé et ce déni constituent le socle de méconnaissance sur lequel repose l'ordre sexiste. Cet inconscient structural nous détermine et structure notre rapport au monde. Les femmes, par le fait qu'elles participent à la translation des générations, charnellement, ont une position de refoulement moins facile que les hommes par rapport à ce réel. Elles sont percutées directement par ce réel de la condition humaine dans leur chair et cela leur donne la possibilité d'une conscience du réel de la vie humaine beaucoup plus grande. C'est un moyen pour moi de « soulever » ce socle de méconnaissance.
Je pense donc d'une manière systémique, mais dynamique aussi. Il y a dans l'analyse marxiste des situations, des outils que je ne rejette pas, tout en me réclamant davantage d'une culture autogestionnaire. Il est vrai que quand une femme de ménage noire se fait violer, elle cumule les discriminations de sexe, de race et de classe. Il y a des féministes marxistes comme Paola Tabet qui font remarquer que les hommes se sont toujours réservé le monopole des armes et des outils. Quand nous nous interrogeons pour savoir comment les femmes vont se protéger de la violence des hommes armés, il y a là une vraie difficulté et il n'est pas ici vraiment question de marxisme. Il convient de regarder objectivement qui fait le commerce des armes et qui les détient.
Un intervenant propose de réagir sur le plan systémique et sur le plan de l'analyse structurelle: plutôt que d'utiliser le terme de colonisation, ce serait plus juste comme modèle de parler de classe sociale. En effet, la part féminine de l'humanité a de nombreuses analogies avec une classe sociale, ne serait-ce que parce que cette division en masculin et féminin est très liée à la plus ancienne division du travail. Dès le paléolithique, il y avait une division du travail entre les hommes et les femmes. Cela a toutes les caractéristiques d'une classe sociale, cela peut aussi parfois s'appliquer indifféremment du sexe parce que nous constatons que dans certaines populations au Mexique et en Inde certains hommes sont pris dans un habitus socio-culturel de femme et se trouvent infériorisés de ce fait. Il semblerait plus opportun de voir la féminité et l'oppression qui y est liée comme celle d'une classe sociale.
Nicole Roelens: il y a souvent pour les femmes un cumul des discriminations sexuelle, raciale et sociale. Il ne s'agit pas pour moi de féminité mais de femellité (la moitié sexuée femelle de l'humanité). Les féministes noires américaines ont attiré l'attention des féministes blanches en leur disant qu'il y a aussi des discriminations de classe. Entre les féministes, il y a des divergences de classe. Il y de nombreuses tensions et difficultés qui suscitent la réflexion. Cependant il existe des faits comme la violence exercée à l'égard des femmes et leur infériorisation systématique, le fait que les femmes soient réifiées, c'est-à-dire transformées en objets de convoitise interchangeables. C'est une violence extraordinaire. Ces faits concernent toutes les femmes de toutes les conditions sociales. Cette réification comme simple objet de convoitise vole aux femmes leur singularité et leur présence au monde. Quand les filles s'habillent en Lolita, elles ont déjà assimilé leur réification, leur réduction comme objets de convoitise. Il y a une autre violence qui conditionne beaucoup les femmes: le fait qu'elles servent de bouc-émissaire d'usage courant ce qui régule un peu la violence collective dans la mesure où ces attitudes se déploient dans l'intimité. D'autre part, le meurtre social de la mère a une grande importance. Quand une femme enfante, elle est d'une certaine façon retirée de l'espace public, elle est recluse. Au niveau mondial, c'est sensible. Cette puissance femelle extraordinaire d'enfantement, sans quoi personne n'existerait, est retournée contre les femmes en termes d'asservissement, de domestication. Il y a aussi cette violence visible dans les spirales collectives à savoir les femmes comme exutoires, comme victimes sacrificielles de la destructivité collective.
Une participante fait remarquer que la réification dans l'entreprise par des hommes chefs d'entreprise peut rendre les femmes violentes. Ces hommes auraient tout à gagner à un changement d'attitude.
2) Les quatre opérations de colonisation.
Nicole Roelens précise quelles sont les quatre opérations de colonisation à la demande d'une participante:
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l'annexion,
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le pillage,
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l'humiliation
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l'assujettissement.
L'humiliation sert à faire « avaler » le pillage. Après l'humiliation les colonisés ont bien du mal à être solidaires entre eux parce qu'il est très difficile d'être solidaires avec des personnes humiliées. Souvent les colonisés s'identifient à des gens non-humiliés, c'est-à-dire à leurs propres colonisateurs ce qui empêche la solidarité entre colonisés. Il est donc nécessaire que les femmes cessent de coopérer à leur propre asservissement et qu'elles remédient elles-mêmes à leur humiliation, qu'elles la soignent parce qu'elles l'ont intériorisée.
Ce sont des processus très profonds, plus profonds qu'il n'apparaît. En effet, l'humiliation est intolérable à penser ce qui fait qu'on la fuit et qu'on s'identifie à ceux qui vous humilient. Il faut arriver à l' « éveil des humiliés » comme disait Gandhi, qui a lutté pour que les Intouchables, caste méprisée, retrouve sa dignité. C'est un processus qui permet de remédier à l'humiliation par l'habilitation mutuelle. Pour les humiliés, l'enjeu est de reconquérir une existence sociale et la dignité humaine par la solidarisation entre eux.
Une participante fait remarquer que certaines femmes de la génération des trentenaires sont dans le déni de l'humiliation parce qu'elles souhaitent « arriver » professionnellement quitte à subir des situations aliénantes.
L'assujettissement: l'aliénation a pour visée finale que le colonisé soit en accord avec sa propre colonisation. Certains opposent que ce sont les femmes africaines elle-mêmes qui brisent leurs petites filles et les asservissent en pratiquant l'excision notamment. En effet, ce n'est pas niable, mais, il faut se demander au profit de qui. Ces femmes cultivent la terre sans jamais avoir la propriété de ces terres transmises de père en fils. En cas de divorce, elles ne disposent en aucune manière de ces terres qu'elles ont cultivées.
Pour être reconnues par le colonisateur, les femmes sont parfois prêtes à beaucoup de compromis. C'est cela l'aliénation profonde.
Il faut aussi noter que bien des hommes dans les entreprises sont des « esclaves ». Il n'y a pas que des femmes qui reproduisent leur asservissement.
3) Comment penser la décolonisation après ces constats d'aliénation?
Plusieurs participants évoquent les difficultés d'une éventuelle décolonisation: L'un d'entre eux évoque trois questions:
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Peut-on parler d'une humanité femelle homogène? Il semble qu'il y ait de très nombreuses humanités femelles, alors quel comportement adopter pour la décolonisation? Quand on pense décolonisation politique, la décolonisation en Tunisie a été très différente de la décolonisation en Algérie en raison des éléments spécifiques à chaque colonisation.
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Dans cette décolonisation de l'humanité femelle est-il possible de compter sur l'alliance de l'autre partie de l'humanité? Peut-il y avoir des réseaux Jeanson qui viendraient à la rescousse de la décolonisation de l'humanité femelle?
• Quel rapport y a-t-il entre la colonisation femelle, le machisme et l'écologie? Nicole Roelens:
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Le fait de faire un combat collectif n'empêche pas la diversité et la singularité de chacun. Je suis « allergique » à l'homogénéisation. Mais il se fait que toutes les femmes subissent un certain nombre de choses. C'est devant ces faits collectifs qu'il est possible d'agir.
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Par rapport à l'écologie, le rapport d'hégémonie que les hommes ont par rapport aux femmes, ils l'appliquent de la même manière par rapport à la question de la nature, c'est-à-dire qu'ils sont dans un rapport d instrumentalisation et que la nature est là pour les servir. Je m'inscris dans un courant écoféministe bien représenté par Maria Mies en Allemagne et Vandana Shiva en inde et je fais une critique radicale de la technodictature et de l'obsession de la croissance qui détruit l'écosphère et les sociétés humaines.
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Par rapport à l'alliance des hommes et des femmes pour l'entreprise de décolonisation: je pense qu'il est nécessaire que les femmes cessent de demander la décolonisation et qu'elles la fassent elles-mêmes. En effet, souvent quand les hommes viennent dans les mouvements féministes, ils ont tendance à vouloir donner des directives d'action et peuvent empêcher les femmes de faire aboutir leur réflexion. Si les hommes veulent être utiles à la décolonisation de l'humanité femelle, il serait important qu'ils se réunissent entre eux pour voir ce qu'ils ont à changer sachant qu'ils ont beaucoup de difficultés à parler de leur propre vie. Ce serait bien qu'ils arrivent à parler de leur propre expérience. Pour illustrer mon propos, je peux vous dire que j'ai eu connaissance en RDC d'un médecin qui pratique la chirurgie réparatrice et qui s'occupe des femmes. Il vient de lancer un mouvement entre hommes pour le respect des femmes. ( ces temps de réflexion entre femmes d'une part et entre hommes d'autre part sont tout à fait compatibles avec une coopération dans la lutte pour le bond civilisationnel que j'ai évoqué dans la première parti).
Un autre participant évoque la grande difficulté pour les femmes d'acter leur décolonisation sans d'aucune manière en faire la demande étant donné que certains contextes nationaux sont très difficiles pour elles. Penser la décolonisation comme praxis met en lumière tous les obstacles au niveau des contraintes objectives.
Une autre intervenante objecte à Nicole Roelens le caractère artificiel de groupes séparés de paroles d'hommes et de femmes. Elle pense, au contraire, que les échanges entre les sexes permettent davantage d'élaborer des solutions. Par ailleurs, elle met en doute le bien-fondé du rapport privilégié fille-mère dans la perspective transgénérationnelle, en avançant que souvent cette relation est loin d'être épanouissante.
Nicole Roelens répond que dans son esprit il n'est pas question de minorer la place et le rôle du père par contre l'identification fréquente au père pour se défendre d'une identification à une mère asservie et humiliée est en soi aliénante. La reconnaissance par les femmes de leur héritage et de leurs filiations maternelles est indispensable à l'affirmation de leur existence symboliques
Elle rajoute qu'elle n'est en rien sexiste et que son objectif est la vie bonne, qu'elle travaille très souvent avec les hommes dans des réseaux divers notamment associatifs. Elle maintient cependant que des moments spécifiques entre femmes sont nécessaires à l'expression propre des femmes et à la construction d'une stratégie collective décolonisation. Par exemple Microsoft propose la congélation des ovules à ses employées pour qu’elles puissent procréer tardivement et propose la congélation des ovules à ses employées pour qu'elles puissent procréer tardivement et se consacrer à leur travail préalablement! Ce modèle mimétique de libération amène les femmes à se nier dans tout ce qui est vie sensible et vie charnelle.
Nicole Roelens donne comme exemple de décolonisation l'action menée par des femmes pauvres et généralement prostituées du Bangladesh pour se créer des espaces d'habitat décents dans un bidonville et les liens que ces femmes commencent d'établir avec d'autres habitantes de bidonvilles d'autres pays.
En conclusion.
L'oeuvre de Nicole Roelens se différencie de certains courants féministes qui tiennent peu compte de la femellité. Elle rend hommage à Simone de Beauvoir qui en son temps a eu un rôle d'éveil des consciences important, mais qui était encore dans un alignement sur la hiérarchie des valeurs et la pensée phallocentrée ; Elle est plus proche de la pensée de Sylviane Agacinski, tout en étant plus internationaliste, plus écologiste et plus radicale quant aux transformations sociales à mener Lors des débats, un participant a émis quelques réserves sur le fait qu'une fois décolonisées, les femmes pourraient bien elles-mêmes faire subir l'oppression aux mâles et que souvent l'éducation qu'elles donnent aux garçons ne va pas dans le sens de la décolonisation. Il avance l'idée que les hommes ont intériorisé une obligation de réussite sociale à laquelle les femmes ne sont pas étrangères. Ces remarques auraient mérité un échange mais le temps était écoulé
La question qui reste en suspens est de savoir si c'est par le biais de la décolonisation femelle que le monde sortira de la prédation généralisée du capitalisme financier même si la colonisation femelle a préexisté à la venue de ce capitalisme.
Nicole Roelens répond que le système de prédation a continué sous les régimes socialistes, que la réflexion politique doit tenir compte que le pouvoir est désormais infra-institutionnel et qu'il faut reprendre la question politique en la regardant par en dessous pour réinventer l'action. Rendons hommage à l'immense travail d'expression de la vie charnelle des femmes initié par Nicole Roelens qui à coup sûr ouvrira à d'autres échanges au sein de notre café, lieu de parole pluraliste.
La contribution de Jacqueline.
Pour compléter la synthèse des échanges avec Nicole Roelens, Jacqueline nous fait parvenir un texte.
Les exemples d'engagements collectifs que Nicole a cités, en particulier de femmes très pauvres, sont importants à souligner, et ils contribuent à renverser l'échelle des valeurs qui prédominent actuellement où la recherche du profit se déploie sans limites tout en appauvrissant davantage les gens et des femmes qui vont jusqu'à «l'usine à bébés » pour « gagner leur vie »...
Mais nous qui ne sommes (heureusement) pas dans ces situations extrêmes, avons du mal à admettre que nous sommes « colonisées » parce que le processus de colonisation passe par des situations de dépendance et d'humiliation. Et qu'au plus intime de notre vie, dans «le réel prosaïque que de la vie humaine », en particulier au moment de l'enfantement dont l'extraordinaire expérience de translation des générations est tue, se rejoue «la colonisation de l'humanité femelle ». Et que cela se répercute dans la vie sociale et économique (prédation ou lieu de partage).
Comment ne pas coopérer à son propre asservissement? Comment réfléchir à son assujettissement au processus de colonisation? Nicole Roelens suggère aux femmes de se rencontrer pour se donner la parole mutuellement, étape importante de prise de conscience partagée. Et elle encourage les hommes à faire de même. Car il ne s'agit pas de séparation, mais d'arriver à une coopération pour une « vie bonne ».
La contribution de Gérard à notre réflexion lors de la conférence de Nicole Roelens au café du 15 janvier
Juste pour mettre en parallèle le discours de Mai 68 et l’approche par la notion de femellité (Extrait de mon livre, « Philosopher en Mai »)
En mémoire d'Antoinette Foulque décédée en 2014, elle fut pionnière du Mouvement de Libération de la Femme lancé le 26 août 1970.
.............Il est de toute première instance, que même autorisée à prendre la pilule gaullienne délivrée en 1967, quand même, par Lucien Neuwirth décédé en 2013, la femme, n’a obtenu le droit de vote qu’en 1944, ne pouvait ouvrir un compte sans l’autorisation de son mari, ne pouvait exercer une profession sans l’accord de son mari, ne pouvait choisir le lieu d’installation de la famille, ne pouvait s’affranchir de la puissance paternelle, n’avait pas l’exercice de l’autorité parentale, ne pouvait pas avorter, ne pouvait pas divorcer par consentement mutuel, ne pouvait pas toucher un salaire identique à l’homme, n’avait pas accès à certaines professions.......une litanie négative, un portrait en creux dessiné par accumulation des traits de ses incapacités juridiques !
Oh ! Tableau sinistre de la vieille aliénation féminine, éternelle mineure civile, qui parle cependant de libération avec la logique et l’intonation de l’esclavage !Vocation de saintes laïques qui s’affermissent d’en passer par la pauvreté, les déclassements et les diminutions de salaire, vous aurez la lenteur objective d’une masse compacte de volonté contre la force tranquille des fortifications capitalistes et bourgeoises.
Car femmes vous n’êtes pas des « de Beauvoir » ou des « Sagan », vous restez ce corps discret, presque muet même si le désir de parler affleure, déjà, retenu encore par une timidité , le poids de la vie domestique, la vie pas facile, la manière de concilier la vie de femme et de mère pour se résoudre à l’action et obéir ainsi à l’impératif catégorique d’exister vraiment et de s’inscrire dans un principe de réalité et de plaisir.
Mouvement irréversible pour sortir de vous –même comme on naît au monde, et vous êtes sur un chemin qui a du cœur, car finalement le destin ça s’invente très bien ! Mai 1968 risquait de refermer son interstice sans elles, elles avaient pu croire que c’était leur fête et leur libération qui commençait, mais le système avait déjà récupérer les slogans qui leur était favorables pour clore cette issue à leur oppression. Marx n’expliquait pas tout de la domination et Freud pouvait être un recours contre la domination des pères, et pourquoi soumettre le statut des femmes à des théories déjà constituées ? Il n’y aurait donc personne pour imaginer un nouveau langage, les savoirs demeureraient-ils inchangés ? La révolte des femmes aurait le destin d’une question culturelle non avenue ou tout juste réductible aux discours savants ambiants mais plus très frais.
Le mouvement de mai avait quelque chose de révolutionnaire, mais ceux qui prétendaient le gouverner ont laissé échapper cette opportunité, à trop vouloir combattre de front et globalement un système, alors que les prolongements efficaces de mai prendront en compte les prisons, les asiles, les communautés et étrangement les femmes ! Mai 1968 a vu l’éclatement du pouvoir en micro-politiques sans toujours remettre en question l’autorité du maître, les femmes seraient-elles péjorées derrière la reconduction des dernières instances de la primauté de l’économique du culturel et de l’origine ?
La femme et son corps ne sont-ils pas exploités de manière singulière par son appropriation par les hommes-pères qui en fondaient leur propriété, leur économie et leur discours ; être révolutionnaire c’était aussi remettre en cause le pouvoir patriarcal qui organisait la société. Une exploitation insidieuse, matérielle et symbolique fait de l’usage et de l’échange de leur corps qui sous-tend notre organisation socioculturelle ; elles sont quasiment un moyen de production et de reproduction sans rétribution, à moins que la subordination sociale et symbolique soit cette rétribution !
Il n’y a pas plus inconnu que la femme du soldat inconnu dirent-elles en août 1970 ! Elles se devaient d’inventer d’autres formes d’intervention politique pour un terrain commun à toutes les luttes des femmes, hors les catégories de femmes célibataires, violées, avortées ! Le dénominateur commun n’était-il pas de retrouver leur corps et leur sexualité avec la liberté de contraception et d’avortement, pour leur permettre de s’affranchir de ces pesants lois et déterminismes de la nature. Une subversion des pratiques politiques par des révoltes qui explosaient en danses et chansons, en un plaisir d’être ensemble pour vivre et créer, elles ne militent pas pour les autres ni pour l’universel mais pour elles-mêmes, ni avant-garde ni masse pour s’affranchir de la vulgate marxiste.
Elles se joignent aux mouvements contre les prisons mais spécifient leur objet de lutte que sont les prisonnières de droit commun pour avortement ou prostitution, qui peuvent s’ériger en prisonnières politiques !
Les objets de leurs débats deviennent des sujets de perturbation dans les colloques de spécialistes de la question des femmes pour souligner que se pencher sur l’objet-femme c’est se pencher sur l’amélioration de leur conditionnement et de son emballage ! Juste un signal pour affirmer que d’autres ne parleront pas pour elles ! Depuis longtemps on se méfie du pouvoir des femmes, et à travers les sorcières qu’on brûlait à Bergheim sur sentence du bourreau de Colmar !
Elles ne s’enfermaient pas dans une organisation, mais constituait un mouvement vivant et non soumis à une orthodoxie, cependant le risque était grand d’élaborer une morale totalitaire et totalisatrice sur les femmes, ceci par tentation d’une prise de pouvoir et d’une légitimation ; le sexe n’est-il pas d’entrée l’enjeu de leur lutte afin de prendre de front la censure de la société sur le sexe et la culture, l’oppression sexuelle serait un fonctionnement normal du pouvoir. Mais ironie de l’Histoire, la libération sexuelle entraîne une plus grande répression de la sexualité par la pornographie de notre système marchand, pratique de la pornographie qui serait indispensable à la levée des refoulements pour la sexualité masculine, où le corps sexué de la femme est le lieu du pouvoir phallocratique !
La question est posée de leur participation au capitalisme et au système patriarcal afin d’y retrouver leurs bien ; se libérer serait alors participer au pouvoir du père, du Roi et du capital, mais il est dit que sans l’exploitation de leurs corps sexués, sans la constitution de ceux-ci en infrastructure de la socialité même et de ses modes de production et de reproduction, le pouvoir des pères et des rois n’aurait pas cours ! Une vision freudienne qui tourne autour du sexe, mais le droit à la vie sexuelle peut-il s’exercer sans indépendance économique ? Mais à quoi servirait cette dernière si leur sexualité restait, de part en part, soumise aux systèmes de représentation d’échanges masculins ?
Elles risqueraient de se retrouver dans la position paradoxale de posséder des biens quand dans le même temps leur corps demeurerait le bien des autres ! Comment la femme peut-elle sortir du statut d’objet d’usage ou bien d’échange pour les hommes ? Une solution radicale consisterait à créer une société des femmes entre elles qui pourraient se soustraire peu à peu au commerce et à l’usage ; les productrices et reproductrices de la force de travail prétendraient en outre produire elles-mêmes les marchandises qui échapperaient aux besoins, aux désirs, aux transactions des consommateurs marchands, en restant entre elles qui refuseraient d’être en rapport concurrentiel en se suffisant à elles-mêmes !
Mais n’est-ce pas un modèle bien utopique qui n’aurait d’utilité que de remettre en cause le fonctionnement du système ! Selon cette même logique, toutes les victimes de l’exploitation capitaliste pourraient songer à s’ériger en unités autarciques, d’où nous devons lister exhaustivement toutes les catégories qui y seraient éligibles, et nous serions bien en peine de mettre ces nouveaux microcosmes en relation les uns aux autres afin de maintenir un système ou une société ensemble et viable............
Toutes des indigènes...
C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai pris connaissance du compte rendu de la conférence de Mme Nicole Roelens au café historique strasbourgeois du 15 janvier dernier. Les arguments présentés sont irréfutables et je n'ai nullement l'intention de les discuter. Il me vient cependant quelques petites réflexions à propos du vocabulaire employé, notamment pour le terme de colonisation.
En caractérisant l'exploitation des femmes comme une colonisation, il me semble que Mme Roelens ne tient pas compte de toutes les composantes du terme. Il y en a deux, en particulier, qui ne semblent pas convenir tout à fait à la situation des femmes. Tout d'abord, pour l'historien ou l’amateur d'Histoire, la colonisation s'applique à un territoire géographique précis. Que ce soient les colonies grecques de l'Antiquité, celles des puissances ibériques au XVIème ou celles des pays européens au XIXème, il est aisé de cartographier et de délimiter des territoires. Les guerres entre puissances impérialistes furent suffisamment nombreuses pour illustrer cette lutte pour la conquête de territoires. La même remarque peut aussi s'appliquer aux sciences naturelles puisqu'on parle de colonisation d'un territoire par une plante ou une espèce animale. Il y a donc un paradoxe à utiliser ce terme qui porte en lui une limitation géographique pour souligner, justement, le caractère universel de la domination masculine, même si Mme Roelens prend soin de préciser que les femmes voient leur territoire envahi jusque dans ses parties les plus intimes et qu'il ne leur reste aucun espace propre.
Dans le mot de colonisation, il y a ensuite l'idée d'un processus. Après la conquête vient la mise en place progressive de la volonté « civilisatrice » du colonisateur et de sa soif d'exploitation économique et humaine. On frémit à l'idée que, concernant l'asservissement des femmes, le processus puisse n'en être encore qu'à ses débuts! Il est vrai que nous n'avons pas encore tout vu...
Pourquoi parler alors de colonisation? N'y a-t-il pas urgence à trouver le mot juste, quitte à l'inventer? Un mot spécial, rien que pour les femmes.
Pour désigner l'exploitation systématique des territoires occupés par les vainqueurs lors des guerres non coloniales (si tant est que cela puisse exister) les historiens, anglo-saxons en tête, ont annexé le terme mathématique d'exhaustion qui montre bien l'idée d'exploitation exhaustive jusqu'à l'épuisement. Je ne suis hélas ni linguiste, ni scientifique, et ne saurais suggérer le néologisme adéquat mais il y a urgence à l'inventer pour que les femmes sortent de ce statut d’indigène que leur confère l'idée de colonisation et qu'elles puissent enfin être caractérisées de manière spécifique.
Voilà bien longtemps qu'elles sont les indigènes de...Justement, de qui, de quoi, les femmes sont-elles les indigènes, puisque leur femellité est colonisée? Les organisations des sociétés, les traditions, les religions, la culture dominante ont suffisamment asservi également bon nombre d'hommes dans ce qu'ils avaient de plus intime, leur interdisant de pleurer, les obligeant à faire les fanfarons , quand ce n'est pas la guerre, leur imposant des prouesses sexuelles dont ils n'éprouvaient pas forcément le désir, pour qu'on ne les accable pas de toutes les responsabilités.
Mais ça, c'est une autre histoire !
Café politique du 12 février 2015
Qu'est-ce que la liberté d'expression?
Suivi de "Refonder la pensée théologique islamique" par Ghaleb BENCHEIKH
1) Définition et limites de la liberté d'expression en France.
La liberté d'expression est un principe absolu en France et en Europe, mais ce principe est encadré par la loi.
Les textes qui fondent la liberté d'expression en France sont :
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L'Article 11 de la Déclaration des Droits de l'homme de 1789: «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme: tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
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La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en France qui est le texte de référence actuel sur la liberté d'expression.
Les limites de cette liberté d'expression figurent dans la loi de 1881 :
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ne pas appeler publiquement à la mort d'autrui
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ne pas faire l'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
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ne pas appeler à la haine contre un groupe ethnique ou national donné
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ne pas appeler à la haine ou à la violence envers un sexe, une orientation sexuelle ou un handicap.
- L'apologie du terrorisme est plus durement sanctionnée depuis la loi de novembre 2014
sur la lutte contre le terrorisme. Le texte mis en application ces derniers jours prévoit que les propos d'apologie du terrorisme, jusqu'ici couverts par la loi de 1881 sur la presse, feront l'objet d'une infraction spécifique: ils seront condamnés en comparution immédiate, les peines encourues seront renforcées et le fait que ces propos soient tenus sur internet est considéré comme un fait aggravant. Cette même loi introduit la possibilité d'un blocage administratif - sans validation par un juge - des sites de propagande djihadiste. Cette mesure est contestée par les défenseurs de la liberté d'expression.
- Le droit d'expression est placé sous un régime « répressif » : on peut réprimer les abus constatés, mais pas interdire par principe une expression avant qu'elle ait eu lieu. Si une personne, une association ou l'Etat estime qu'une personne a outrepassé sa liberté d'expression et tombe dans un des cas prévus par la loi, elle peut poursuivre en justice. Ce sont les juges qui apprécieront ce qui relève de la liberté d'expression et ce qu'elle ne peut justifier au cas par cas.
Aux Etats-Unis, le Premier amendement stipule que « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu'a le peuple de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs ».
La seule limite posée depuis 1969 par l'arrêt de Brandebourg dit ceci: « Si un discours contient une menace directe, crédible, contre une personne, une organisation ou une institution identifiables, il se transforme alors en conduite criminelle et n'est plus protégé par le premier amendement ».
Les Etats-unis reconnaissent la liberté d'expression avec interdiction presque totale de restriction par la loi contrairement à la France qui reconnaît la liberté d'expression sauf restriction par la loi. Les Etats-Unis ne peuvent comprendre les infractions prévues par l'article 24 de la loi de 1881 en France concernant les provocations non suivies d'effets comme les apologies des crimes et autres...
2) La liberté d'expression et la question de l'injure.
(Citations tirées de l'ouvrage de Sylvia Preuss-Laussinotte, La liberté d'expression, Ellipses, avril 2014).
L'injure raciale.
« Prenons l'exemple de Dieudonné poursuivi plusieurs fois pour injure raciale pour des propos tenus dans le journal Lyon capitale. Il s'exprime en réponse à la question: «Que pensez-vous de la montée de l'antisémitisme parmi certains beurs?». Il déclare : «Le racisme a été inventé par Abraham. «Le peuple élu», c'est le début du racisme (.) personne n'est juif ou alors tout le monde, je ne comprends rien à cette histoire. Pour moi, les Juifs c'est une secte, une escroquerie. C'est l'une des plus graves parce que c'est la première. Certains musulmans prennent la même voie en ranimant des concepts comme la « guerre sainte ».
Les juges du fond vont relaxer Dieudonné, mais la Cour de cassation réunie en assemblée plénière, donc pour énoncer un principe, va prononcer la cassation le 16 février 2007: « L'affirmation « les Juifs c'est une secte, c'est une escroquerie » ne relève pas de la libre critique d'un fait religieux participant à un débat d'intérêt général mais constitue une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine ».
Dieudonné sera condamné de nombreuses reprises pour injure raciale à la suite de propos jugés antisémites tenus notamment dans le cadre de vidéos postées sur son blog ».
L'injure religieuse.
« Cette question prend une ampleur importante depuis l'affaire des caricatures de Mahomet publiées pour la première fois au Danemark en septembre 2005. L'UOIF et La Grande Mosquée de Paris vont poursuivre Philippe Val, directeur de publication de Charlie Hebdo qui avait reproduit les caricatures, pour «injure publique à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur religion». Le TGI de Paris va relaxer Philippe Val, relaxe confirmée en cassation, indiquant que même si le dessin représentant Mahomet avec une bombe dans son turban était, « pris isolément, de nature à outrager les adeptes de cette religion (l'islam) (...) le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal Charlie Hebdo, apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d'offenser directement et gratuitement l'ensemble des musulmans (.) les limites admissibles de la liberté d'expression n'ont donc pas été dépassées ».
En fait, Charlie Hebdo a fait l'objet d'une cinquantaine de procès depuis 1992. Il en a perdu certains. Depuis le début des années 2000 les plaintes s'espacent et le journal gagne ses procès dans les trois quarts des cas.
La question du blasphème est présente quand on parle de liberté d'expression. Ce délit n'existe pas en France sauf dans le droit local d'Alsace-Moselle1, hérité du code pénal allemand mais il n'a jamais été activé depuis 1918. Catholiques, protestants, juifs et musulmans font la proposition d'abroger ce délit le 6 janvier 2015, veille des événements sanglants, lors d'une audition commune à Paris devant l'observatoire de la laïcité.
L'évolution de la question du blasphème au XXème siècle.
Le blasphème a eu une actualité historique lourde pendant le XVIème siècle durant les guerres de
religion au cours desquelles les protestants étaient considérés comme blasphémateurs. Ils ne
reconnaissaient pas le culte marial, la transsubstantiation. Mais les catholiques et les protestants
se retrouvent pour traiter les juifs de blasphémateurs parce qu'ils ont condamné le Christ.
Le blasphème a perdu de son importance peu à peu jusqu'au XVIIIème siècle, mais avec l'idéal
républicain naît une autre sacralité susceptible d'être blasphémée à son tour.
Aujourd'hui le blasphème ressurgit et même s'il ne tombe pas sous le coup de la loi, il interroge
l'homme au plus profond de ses valeurs intimes, c'est pourquoi la question n'est pas close.
Note sur le blasphème :
Au XXème siècle, il y a un désintérêt apparent de l'église chrétienne pour le blasphème. Plusieurs faits démontrent l'atténuation de la place du blasphème dans l'espace public:
• La dépénalisation civile suit l'application de plus en plus rare de la loi à rencontre des fautifs
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La déchristianisation et l'indifférence croissante aux religions rend l'anticléricalisme militant moins efficace.
Cependant le blasphème ne disparaît pas pour autant, en voici quelques exemples:
• La condamnation à mort de Salman Rushdie par une fatwa de 1989
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La version intégrale des Mille et une nuits publiée en 1985 jugée «pornographique et blasphématoire » par l'Université al Azhar du Caire.
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Le catholicisme condamne La dernière tentation du Christ de Scorsese. Le film, Le Jardin des délices de Carlos Saura avait été interdit en 1970 par la direction générale de la Culture populaire pour «présentation irrévérencieuse des pratiques, croyances, et cérémonies religieuses avec une intention maligne qui confine au blasphème ».
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Les autorités catholiques allemandes et autrichiennes ont récemment intenté des procès contre des personnes ou des associations ayant dénoncé ouvertement le christianisme et ses ministres, en s'appuyant sur la législation en vigueur.
La parole impie renvoie aujourd'hui moins au religieux qu'au sacré en dépit de la confusion que celui-ci entretient avec le christianisme dans nos civilisations occidentales depuis des siècles.
D'autres valeurs, hier tenues pour profanes, ont acquis aussi une charge sacrée par un processus de profanation. On a analysé, pour la révolution française, ce transfert de sacralité qui fit de la Patrie, du Peuple, de la République des références interdites au sacrilège de la langue.
Plus récemment, en 1979, certains ont ressenti la version de La Marseillaise chantée par Gainsbourg comme blasphématoire.
L'homme lui-même n'est-il pas objet de blasphème lorsqu'il est atteint dans son intégrité, son image, sa dignité parce que désormais les « Droits de l'homme » sont aussi autorisés à fonder la sacralité?
L'histoire du blasphème renvoie à la part la plus fragile, la plus secrète de nous-mêmes et la plus humaine.
(Paragraphe tiré de l'ouvrage de Alain Cabantous, L'histoire du blasphème en Occident, XVIème -XIXème siècle, publié chez Albin Michel en 1998).
Synthèse du café politique du 12 février 2015.
Qu'est-ce que la liberté d'expression?
Après un exposé sur la liberté d'expression, le débat s'ouvre.
1) Quelques précisions sur la liberté d'expression aux Etats-Unis et en France.
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Les caricatures de Charlie Hebdo ne pourraient pas être diffusées aux Etats-Unis. Elle auraient été considérées comme blasphématoires même si le blasphème n'est pas légalement sanctionné. Des poursuites légales pourraient être engagées contre elles pour diffamation. En effet, la poursuite pour diffamation est assez courante aux Etats-Unis. Par exemple, si quelqu'un dit que telle société n'est qu'un ramassis de voleurs, la société en question engagera sans doute des poursuites judiciaires. Il y a donc des restrictions à la liberté d'expression aux Etats-Unis contrairement à ce que nous présente l'exposé introductif. Ces restrictions se font par autocensure souvent et même si les restrictions ne figurent pas dans la loi, il reste une possibilité d'accéder à la justice par des procédures anti-diffamatoires. Par ailleurs, il y a aux Etats-Unis une adhésion assez importante à certaines doctrines religieuses ou non, en particulier à la question du sublime au sens du sacrificiel (le sublime est ce pour quoi on pourrait se sacrifier et qui s'oppose au consumérisme et au confort de jouissance). Le sublime est ce qu'il convient de défendre au péril de sa vie et qui a quand même une capacité de mobilisation et d'adhésion assez importante, (voir pendant les Révolutions française ou russe par exemple).
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Facebook et Apple sont des entreprises états-uniennes qui ont une conception très particulière de la liberté d'expression. Facebook censure le sein féminin, l'allaitement et le tableau L'origine du Monde alors qu'il tolère l'expression des groupes nazis.
2) La contextualisation de la liberté d'expression.
L'Etat aurait tendance à juguler la liberté d'expression en fonction de ce dont il a besoin pour se protéger.
• En 1881, par exemple, la République française s'affermit et s'oppose clairement aux catholiques et aux monarchistes. Les lois de 1881 comme les lois sur l'école disent qu'il est enfin possible d'exercer une certaine liberté d'expression après de nombreux aller-retour monarchie-République au cours du XIXème siècle. Dans cet ordre d'idée, nous pouvons nous interroger aujourd'hui sur ce que signifie cette loi contre l'apologie du terrorisme. Nous pensons tous au djihadisme, mais le jour où nous souhaiterons critiquer certains aspects de l'Etat comme l'ont fait certains révolutionnaires en 1789, ces actions seront-elles terroristes, et vues comme des atteintes à l'Etat?
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En reprenant les deux exemples de l'exposé introductif concernant Dieudonné et Charlie Hebdo, il apparaît que Dieudonné représente une forme de menace bien plus importante que Charlie Hebdo qui est institutionnalisé et lu par un lectorat plutôt bourgeois et peu susceptible de «lever des masses» négatives alors que Dieudonné a un impact sur les milieux populaires (ces propos n'en sont pas justifiables pour autant).
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La liberté d'expression serait ainsi au service des gouvernants et de leurs intérêts propres « au nom du peuple ».
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Aux Etats-Unis aussi, l'Etat peut brider certaines opinions s'il le décide (voir le maccarthysme autrefois).
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Plus près de nous, en 2001, les Etats-unis ont voté le Patriot Act. Il a été reconduit par Obama. Il permet de ficher de nombreuses personnes comme terroristes.
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En France aussi le fichage a pris de l'ampleur. Récemment deux fichiers de police ont été fusionnés avec un fort taux d'erreur. En fonction des dirigeants de l'Etat, l'utilisation de ces fichiers peut devenir dangereuse pour le citoyen.
Il y a une vraie difficulté à définir le terrorisme (voir la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale).
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La loi contre l'apologie du terrorisme en France semble présenter des dangers. Elle vient d'être appliquée et en fait les personnes incriminées sont des provocateurs dont les propos ne présentent aucun danger réel. Cela nous mène à penser qu'une expression uniquement constatative ne devrait pas être censurée, mais s'il s'agit de quelque chose de performatif qui vise à développer une action comme un appel à la haine, cela peut alors donner lieu à des poursuites pénales. L'expression d'une opinion, aussi choquante qu'elle soit, devrait avoir droit de cité à condition qu'elle ne soit pas une incitation à des actions pénalement répréhensibles.
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Par exemple: Dieudonné a été condamné parce qu'on soupçonne que ses propos peuvent créer un mouvement de haine raciale alors que Charlie Hebdo n'a pas vocation à créer un mouvement particulier.
- A propos d'apologie du terrorisme, il faut savoir qu'il y a trois ans un vendredi de prière a été organisé à Puteaux pour glorifier Mohammed Merah. L'imam, à l'origine de ce prêche n'a pas été inquiété.
3) Diverses lectures des libertés d'expression en France.
Le vécu de la liberté d'expression en France peut être très divers en France selon l'endroit où nous nous nous situons:
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Charlie Hebdo et d'autres journaux pourraient être pensés comme des porte-parole d'une majorité blanche européenne qui se moque un peu des minorités sans défense que sont les immigrés. (Il n'y a pas de melting-pot en France comme aux Etats-Unis). Les banlieues sont susceptibles et prêtes à se vivre comme les objets d'une agression sociale.
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La marche du 11 janvier avait pour but de soutenir la liberté d'expression comme si on était dans un pays qui ne la respecte pas, comme si nous étions en Egypte ou en Iran.
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La culture de la dérision existe en Occident. Pour nous les croyances religieuses et un verre de bière, cela peut paraître équivalent. Nous croyons « avoir le nec plus ultra » de la pensée universelle et pensons que tout le monde devrait y adhérer.
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Charlie Hebdo s'est posé en martyr plus ou moins prévisible de la liberté de la presse. Ses locaux avaient été déjà incendiés.
- Si nous nous servons mal de cette liberté d'expression, au lieu de créer une transparence, cela peut produire une méfiance qui favorise les préjugés plus que la compréhension réciproque. Le film sur le procès de Charlie montre que gagner le procès permet au journal de continuer la satire de l'Islam à répétition. Cela peut créer un malaise.
4) La question de la satire et de ses cibles.
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Il faut rappeler l'histoire des caricatures telle que la raconte Philippe Val dans son ouvrage « Reviens Voltaire, ils sont tous devenus fous! ». Ces caricatures ont été publiées pour la première fois au Danemark et sont passées à ce moment-là totalement inaperçues. Puis dans certains pays arabo-musulmans, des émeutes orchestrées ont fait des morts pour des intérêts identifiables. Enfin, c'est dans un deuxième temps que Charlie Hebdo a publié ces caricatures.
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Il circule une idée que si on fait ce type de caricature sur l'Islam on attaque une catégorie sociale qui serait opprimée. C'est vrai en partie parce qu'il est difficile d'ignorer qu'une partie de l'immigration maghrébine appartient à la classe populaire et en même temps, Charlie Hebdo n'attaque pas les musulmans, il attaque la religion.
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Il faut peut-être se poser la question de la responsabilité du rédacteur en chef quant il publie les caricatures et qu'il peut ainsi donner une mauvaise image du pays et de ses représentants (voir les immenses manifestations en Tchétchénie à propos des caricatures).
Question soulevées par les événements.
L'histoire et le contexte géopolitique.
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On occulte la politique de l'Etat français au niveau international. Par ailleurs, depuis la fin de la guerre de 1914, les Etats européens ont eu une politique impérialiste au Moyen-Orient, ils ont eux-mêmes dessiné les contours des Etats qui sont à la source de bien des conflits.
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Les Américains ont largement financé dans leur lutte en Afghanistan contre les Russes un certain nombre de filières qui sont maintenant des filières terroristes. D'autre part, les Français continuent d'aller en Centre-Afrique et au Mali, et personne ne s'interroge sur la nature de cette politique unitaire et sur notre intérêt d'aller dans ces contrées.
La prise de conscience de la diversité de la religion musulmane.
Plusieurs manières de comprendre la religion musulmane et sa pratique émergent après les événements:
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Il y a un Islam radical illustré par les événements récents et par l'assassinat de Théo Van Gogh en Hollande. On lui a mis un texte sur la poitrine expliquant qu'il avait été condamné à mort par fatwa pour avoir collaboré à un film fait par une autre personne, l'écrivaine Ayaan Hirsi Ali, condamnée elle aussi par fatwa et qui en a réchappé. Cet auteur a dit des choses très importantes sur cette fraction de l'islamisme radical.
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Dounia Bouzar décrit le recrutement des jeunes djihadistes dans son livre publié récemment: « Ils recherchent le paradis et ils sont en enfer ». Cet ouvrage est le récit d'un phénomène dont on parle assez peu, qui est le recrutement et le lavage de cerveau pratiqués sur des adolescents à partir de 12-13 ans, qui se convertissent à l'Islam, puis partent en Syrie. Ces adolescents ne sont pas des musulmans pour la plupart. Ce sont des enfants de familles laïques comme les autres, (recrutés par la voie de Facebook selon les parents interrogés) et auxquels on fait croire que l'Islam c'est le djihad. Cette définition actuelle du djihad a en fait été politiquement mise en avant de façon très récente. L'ignorance totale de ces jeunes et des jeunes musulmans aussi est ainsi utilisée pour leur inculquer un pseudo-islam qui est une couverture pour des intérêts de pouvoir et des intérêts politiques.
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Une autre vision de l'islam est traduite par le texte d'un auteur musulman publié après les attentats. Cette personne, Ghaleb Ben Cheik, parle de l'intérieur du monde musulman. Ce n'est pas un intellectuel occidentalisé qui questionne un certain nombre d'idées. Il pense que la théologie de l'Islam est à revoir par les musulmans eux-mêmes, qu'il ne s'agit pas d'apporter des réformettes, qu'il ne s'agit pas de protester en disant que l'Islam est une religion de paix, de tolérance et de fraternité. Il s'agit de « balayer devant sa propre porte ».
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Il y a aussi un poète musulman d'origine syrienne qui dès le Xlème siècle a tenu des propos très critiques par rapport à l'Islam de son époque.
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Le monde arabo-musulman est en fait très divers dans sa perception du Coran et dans son application.
La question de l'identité.
Certains musulmans se sentent avant tout musulmans avant d'être français. L'Islam en deviendrait presque une nationalité.Il est vrai que la ségrégation sociale renforce la ségrégation religieuse. Une certaine aigreur se développe parce que ces populations sont partiellement stigmatisées, rejetées du courant principal de la société et relégués dans les banlieues. La question se pose aussi pour les juifs. Être juif n'est pas une nationalité dans le monde d'aujourd'hui. Les Juifs se définissent très clairement comme juifs et français ou comme français et juifs. Les juifs sont ancrés dans deux identités ou dans trois ou quatre et l'une n'est pas exclusive de l'autre.
En conclusion, nous pouvons nous interroger sur la vulnérabilité de notre société face au terrorisme. Nous constatons l'ampleur du choc émotionnel et observons les essais de pensée en réaction aux événements. Cela met en évidence un des points essentiels de notre vulnérabilité: l'absence d'anticipation. Le débat devrait se situer dans tout ce qui est éducatif et sensibilisation culturelle. C'est un des points sur lesquels nos politiques ont une responsabilité majeure et qui fait que l'identification subite à Charlie peut sembler avoir été récupérée dans le sens du dédouanement et du maintien des dirigeants aux affaires. Dans une émission récente des spécialistes du djihadisme disaient que les autorités ont été alertées depuis bien longtemps et n'ont pas suffisamment réagi. Comment réussir alors à inverser une dynamique de nature préventive?
Les événements récents ont comme conséquence de nous mettre en face de ce qui fait société en France et de nous renvoyer à ce que nous faisons chacun à notre place pour aller vers davantage d'ouverture à la différence de l'autre.
Refonder la pensée théologique islamique
Ghaleb BEN CHEIKH
Notre nation a connu une terrible épreuve. L'ignominie et le terrorisme abject ont frappé au cœur de Paris. Un véritable carnage. Et nous ne pouvons pas nous contenter seulement de dénoncer ces actes qui nous révulsent et de condamner leurs auteurs, sans réserve, ni nous résoudre dans une résignation morose à subir la prochaine attaque... D'ailleurs, qui dit dénoncer entraîne aussitôt qu'il faut annoncer : clamer haut et fort qu'aucune raison, si légitime soit-elle, ne saurait justifier le massacre des innocents et aucune cause, si noble soit-elle, ne prépose la terreur aveugle. Nous scandons jusqu'au ressassement ce que nous avons toujours proclamé : on ne peut pas et on ne doit pas se prévaloir d'un idéal religieux pour semer la haine.
Il se trouve que des individus fanatisés affiliés à des groupes islamistes djihadistes ont décidé de déclencher une conflagration généralisée s'étalant sur un arc allant depuis le nord Nigéria jusqu'à l'Île de Jolo. Et, l'élément islamique y est franchement impliqué. Chaque jour que Dieu fait, des dizaines de vies sont fauchées par une guerre menée au nom d'une certaine idée de l'Islam avec toutes les logorrhées dégénérées qui usurpent son vocabulaire et confisquent son champ sémantique, devenus anxiogènes. Les exactions qui sont commises nous scandalisent et offensent nos consciences. L'incendie ne semble pas fixé, bien au contraire, ses flammes voudraient nous atteindre en Europe et nous brûler, chez nous, en France.
Nous ne céderons jamais à la psychose. C'est une déclaration de résistance et d'insoumission face à la barbarie.
Cette guerre réclame de nous tous, qui que nous soyons, hommes et femmes de bonne volonté, mais surtout de nous autres musulmans de l'éteindre. Il est de notre responsabilité d'agir et de nous opposer à tout ce qui l'attise et l'entretient. Nous ne le faisons pas pour obéir à telle injonction ni parce que nous sommes sommés de nous « désolidariser ». Nous agissons de la sorte, avec dignité, mus que nous sommes par une très haute idée de l'humanité et de la fraternité.
Nous ne céderons jamais à la psychose. C'est une déclaration de résistance et d'insoumission face à la barbarie. C'est aussi notre attachement viscéral à la vie, à la paix et à la liberté. Après l'affliction et la torpeur, il est temps de reconnaître, dans la froideur d'esprit et la lucidité, les fêlures graves d'un discours religieux intolérant et les manquements à l'éthique de l'altérité confessionnelle qui perdurent depuis des lustres dans des communautés musulmanes ignares, déstructurées et crispées, repliées sur elles-mêmes.
En effet, le drame réside dans le discours martial puisé dans la partie belligène du patrimoine religieux islamique - conforme à une vision du monde dépassée, propre à un temps éculé - qui n'a pas été déminéralisée ni dévitalisée. Des sermonnaires doctrinaires le profèrent pour « défendre » une religion qu'ils dénaturent et avilissent. Plus que sa caducité ou son obsolescence, il est temps de le déclarer antihumaniste.
Au-delà des simples réformettes, par-delà le toilettage, plus qu'un aggiornamento, plus qu'un rafistolage qui s'apparentent tous à une cautérisation d'une jambe en bois, c'est à une refondation de la pensée théologique islamique qu'il faut en appeler, je ne cesse pour ma part, de le requérir et je m'étais égosillé à l'exprimer. En finir avec la « raison religieuse » et la « pensée magique », se soustraire à l'argument d'autorité, déplacer les préoccupations de l'assise de la croyance vers les problématiques de l'objectivité de la connaissance, relèvent d'une nécessité impérieuse et d'un besoin vital. L'on n'aura plus à infantiliser des esprits ni à culpabiliser des consciences. Les chantiers sont titanesques et il faut les entreprendre d'urgence : le pluralisme, la laïcité, la désintrication de la politique d'avec la religion, l'égalité foncière entre les êtres, la liberté d'expression et de croyance, la garantie de pouvoir changer de croyance, la désacralisation de la violence, l'Etat de droit sont des réponses essentielles et des antidotes primordiaux exigés.
Face à la barbarie, il vaut mieux vivre peu, debout, digne et en phase avec ses convictions humanistes que de vivre longtemps en louvoyant, en étant complice, par l'inaction, de ce qu'on réprouve.
Ce n'est plus suffisant de clamer que ces crimes n'ont rien à voir avec l'islam. Le discours incantatoire ne règle rien et le discours imprécatoire ne fait jamais avancer les choses. Ce n'est plus possible de pérorer que l'islam c'est la paix, c'est l'hospitalité, c'est la générosité... Bien que nous le croyions fondamentalement et que nous connaissions la magnanimité et la miséricorde enseignées par sa version standard, c'est bien aussi une compréhension obscurantiste, passéiste, dévoyée et rétrograde d'une partie du patrimoine calcifié qui est la cause de tous nos maux. Et il faut tout de suite la dirimer. Nous ne voulons pas que la partie gangrène le tout. Les glaciations idéologiques nous ont amenés à cette tragédie généralisée. Nous devons les dégeler. La responsabilité nous commande de reconnaître l'abdication de la raison et la démission de l'esprit dans la scansion de l'antienne islamiste justifiée par une lecture biaisée d'une construction humaine sacralisée et garantie par « le divin ». Il est temps de sortir des enfermements doctrinaux et de s'affranchir des clôtures dogmatiques. L'historicité et l'inapplicabilité d'un certain nombre de textes du corpus religieux islamique sont d'évidence, une réalité objective. Nous l'affirmons. Et nous en tirons les conséquences. Je regrette que nous ne l'ayons pas fait dans notre pays, en France. Aucun colloque de grande envergure n'a pu se tenir, aucun symposium important n'a été organisé en vue de subsumer la violence « inhérente » à l'islam ; pas la moindre conférence sérieuse n'a été animée pour pourfendre les thèses islamistes radicales. Il est vrai que la pusillanimité et la frilosité de nos hiérarques nous ont causés beaucoup de torts. Leur incurie nous laisse attendre, tétanisés, la tragédie d'après. Face à la barbarie, il vaut mieux vivre peu, debout, digne et en phase avec ses convictions humanistes que de vivre longtemps en louvoyant, en étant complice, par l'inaction, de ce qu'on réprouve.
Encore de nos jours, dans de nombreux pays, à populations musulmanes, des régimes politiques sévissent sans légitimité démocratique. Ils gouvernent en domestiquant la religion et en idéologisant la tradition. Ils manipulent la révélation pour des fins autres que spirituelles. Quel crédit peut-on accorder à leur participation à la coalition qui bombarde le prétendu « Etat islamique » alors que les criminels fous furieux du califat de la terreur appliquent leurs doctrines et soutiennent leurs thèses ? La monstruosité idéologique de l'EIIL, dénommée Daesh, c'est le wahhâbisme en actes, rien d'autre. C'est le salafisme dans les faits, la cruauté en sus.
Nous sommes encore, dans des contrées, sous « climat » islamique, à l'ère de la criminalisation de l'apostasie, des châtiments corporels, de la minoration de la femme, de la captation des consciences et de la discrimination fondée sur la base religieuse. Et cela au vingt-et-unième siècle, après en avoir « mangé » une décade et demie ! Or, on ne jauge le degré d'avancement éthique d'une société qu'à l'aune du sort des minorités en leur sein. Même si, in fine, dans une société libre, laïque et démocratique, il n'y a de majorité et de « minorité » qu'au Parlement. Parce que le citoyen y est appréhendé in abstracto de l'appartenance confessionnelle ou d'autres spécificités singulières...à quand la citoyenneté pour tous, chrétiens, yézidis, bahaïs, juifs, athées ?
Un corpus polémologique virulent a existé dans la tradition islamique classique. Il est le véritable et le seul référentiel des groupes djihadistes. Il doit être totalement proscrit. Nous avons la responsabilité et le devoir de combattre la réactivation de tous les processus qui l'installent et l'érigent en commandements célestes. Il incombe aux dignitaires religieux, aux imams, aux muphtis et aux théologiens de décréter plus que son inconvenance, mais le reconnaître comme attentatoire à la dignité humaine et contraire à l'enseignement d'amour, de bonté et de miséricorde que recèle grandement la Tradition. Renouer surtout avec l'humanisme d'expression arabe qui a prévalu en contextes islamiques à travers l'histoire et le conjuguer avec toutes les spiritualités et les conceptions philosophiques éclairées du progrès et de la civilisation. Il est consternant que cet humanisme soit oblitéré, effacé des mémoires et totalement occulté. Les noms d'al-Asma 'i, de Tawhidi, de Miskayawayh sont méconnus à cause d'une présentation de l'histoire atrophiée et mutilante. C'étaient eux et leurs émules qui avaient assis les fondements d'une civilisation impériale à l'architecture palatiale défiant l'éternité. Il est plus affligeant encore que, dans la régression terrible que nous connaissons, ces grands noms soient ignorés de leurs propres et lointains descendants.
L'extrémisme est le culte sans la culture ; le fondamentalisme est la croyance sans la connaissance ; l'intégrisme est la religiosité sans la spiritualité.
Savoir endiguer la déferlante extrémiste, ravaler le délabrement moral, guérir du malaise existentiel, en finir avec l'indigence intellectuelle et la déshérence culturelle. Aller vers l'universel. Ne pas s'arcbouter sur les particularismes irrédentistes. Telle est la vision programmatique pour sortir de l'ornière dans laquelle nous nous débattons. L'extrémisme est le culte sans la culture ; le fondamentalisme est la croyance sans la connaissance ; l'intégrisme est la religiosité sans la spiritualité.
L'éducation, l'instruction, l'acquisition du savoir, la science et la connaissance sont les maîtres-mots combinés à la culture et l'ouverture sur le monde avec l'amour du beau et l'inclination pour les valeurs esthétiques afin de libérer les esprits de leurs prisons, élever les âmes, flatter les sens, polir les cœurs et les assainir de tous les germes du ressentiment et de la haine.
Gageons qu'après cette terrible tragédie, il y aura un véritable éveil des consciences afin de conjurer les ombres maléfiques de l'intolérance et du rejet pour construire ensemble, chez nous, en France, une nation solidaire et fraternelle avec un engagement commun au service de la justice et de la paix. Cette nation reconnaîtra tous ses enfants sans exclusive, sans ostracisme. Notre modèle de vie dans une société ouverte, libre et démocratique, respectueuse des options métaphysiques et garante des orientations spirituelles de ses membres, pourra être transmis ailleurs et devra inspirer davantage les sociétés majoritairement musulmanes. Pour peu, surtout, que les rapports internationaux ne soient plus empreints de realpolitik ni d'indignations sélectives, ni de complaisance vis-à-vis des autocrates, ni de compromission avec des Etats « intégristes ». Faisons de cet événement tragique un avènement spécifique : un moment historique, inaugural d'une ère promise d'entente et de paix entre les peuples et les nations.
Ghaleb BENCHEIKH 11 janvier 2015
Introduction au café politique sur la violence en politique.
Introduction.
La violence semble être une structure constante du phénomène humain. Il n'est de vie en société qui ne puisse ignorer le rapport ami/ennemi à tel point que l'ennemi est celui qui me met en question et qui me permet d'être!
La vie réelle repose sur un tragique structurel qui apparaît dans les récits fondateurs comme celui du christianisme pour lequel la « croix » va servir de signe de ralliement. Pour Freud, c'est bien le « meurtre du père », individuel et collectif, qui est à l'origine de la civilisation. Enfin, Marx fait de la « lutte des classes » le moteur essentiel de l'histoire » nous dit Maffesoli dans ses Essais sur la violence. La vie quotidienne n'est pas en reste avec son cortège d'agressivités de tous ordres. Dans son dernier livre intitulé le Sacrifice inutile - Essai sur la violence politique, Paul Dumouchel se penche sur ce qui est souvent apparu comme l'horizon indépassable des Etats, la violence. La politique se définirait à partir de la confrontation qu'elle entretient avec la violence. Il existe différentes formes de violence, mais ce qui leur semble commun c'est qu'elles comportent une part d'inhumanité et sont destructrices et autodestructrices selon les cas. Leur manifestation la plus visible est la guerre. Hobbes nous fournit la version la plus radicale de cette thèse en disant que naturellement les hommes sont portés à se faire la guerre les uns aux autres. Il convient donc de trouver des moyens pour parer à ces dérives et protéger l'humanité contre elle-même. C'est à la politique d'inventer les manières de vivre pour contrer ces tendances qui sinon entraîneraient l'humanité à sa perte.
Mais le paradoxe c'est que pour lutter contre la violence, la politique peut être amenée à utiliser la contrainte, sous la forme d'une violence rationnelle retournée contre la violence première et pulsionnelle.
La fonction de l'Etat moderne serait d'assurer la protection de ses propres citoyens, de les protéger les uns contre les autres et de les défendre contre les ennemis extérieurs. Le problème réside dans le fait que nombre de violences se produisent à l'égard des populations civiles, les génocides, les nettoyages ethniques ou les massacres organisés. Ils sont pour l'essentiel perpétrés par les Etats eux-mêmes (voir les exemples récents du Rwanda avec le massacre des Tutsis par les Hutus, le Cambodge, la Russie, l'Argentine). Comment comprendre que l'Etat entreprenne ainsi de détruire ceux qu'il est censé protéger? Par ailleurs un « état de violence » se répand internationalement, le terrorisme islamiste, face auquel les Etats sont très démunis. Qu'en penser en terme d'avenir? 1
1) L'Etat moderne détenteur du monopole de la violence légitime.
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L'Etat a pour mission de protéger les citoyens. D'après Hobbes (1588-1679, dans Le Léviathan), en renonçant à notre droit à la violence et à la vengeance, nous conférons à l'Etat le monopole de la violence. Nous lui transférons ce à quoi nous avons renoncé, c'est-à-dire notre propre violence. Ce transfert unanime métamorphose la violence, il la rend légitime. Max Weber définit l'Etat comme l'institution qui détient le monopole de la violence légitime. Dès lors, la puissance coercitive de l'Etat ne semble plus tout-à-fait une violence, ou plutôt elle devient une bonne violence dont le but est la paix, en opposition à la mauvaise violence qui engendre le désordre. L'Etat moderne détenteur du monopole de la violence légitime possède ainsi une autorité morale.
- On peut définir comme politique toute violence qui se légitime elle-même.
- Cet Etat moderne a remplacé des liens de dépendances et de solidarités anciens qui exigeaient des personnes des dons et des contre-dons. Il a remplacé ce système par l'échange qui devient une règle de comportement dans laquelle nous ne sommes plus redevables de rien à personne quand l'échange est terminé.
- L'Etat moderne rend tous les citoyens solidaires par leur appartenance à la nation et remplace les attachements par une solidarité au niveau national. Les liens affectifs restent alors dans le domaine privé et sont abandonnés au libre choix des sujets. L'Etat moderne s'institue dans un territoire où cette solidarité nationale a cours. Cependant, cette solidarité n'empêche pas une forme d'indifférence entre les citoyens qui ne dépendent plus des liens traditionnels. Les transformations du lien social qui limitent l'emballement de la violence ne sont cependant pas sans relation avec les excès meurtriers de la violence politique moderne.
- Dumouchel décrit l'épisode du 16 juin 1870 dans la commune de Hautefaye en Dordogne où un jeune noble, Alain de Monéys est supplicié pendant deux heures puis brûlé vif, accusé à tort d'être un mauvais patriote à la solde des Prussiens. « 800 personnes sont présentes à la foire ce jour là et environ 200 participent au massacre. Les autres sont soit des spectateurs plus ou moins intéressés, soit des individus qui continuent tout bonnement à faire ce qu'ils faisaient » nous dit Dumouchel. Cette indifférence des lyncheurs tient au fait que la nouvelle société d'échange est une société où les individus peuvent ne pas participer à la violence fondatrice (autrefois le sacrifice avait une utilité comme nous le dit Girard). Cette façon de prendre part aux massacres collectifs de façon passive nous apprend beaucoup sur nos Etats modernes et nos sociétés individualistes. La figure du « traître » prend une nouvelle forme et permet de rejoindre ce que dit Arendt sur la « banalité du mal », cette possibilité de « faire son travail » au temps des meurtres de masse, comme Eichmann dont la préoccupation majeure était d'être bien noté par ses supérieurs.
- L'exemple du génocide au Cambodge dans le contexte proche de la guerre des Américains au Vietnam peut nous éclairer sur la façon dont le délitement des liens traditionnels imposé par l'Etat peut faciliter une telle destruction radicale et méthodique d'un groupe ethnique en si peu de temps.
L'exemple du Cambodge.
Les Khmers rouges prennent le pouvoir en 1975, après cinq années d'une guerre civile au cours de laquelle les Américains font pleuvoir près de trois fois plus de bombes qu'il en était tombé au Japon pendant la deuxième guerre mondiale. Il s'ensuit deux millions de réfugiés internes soit plus du quart de la population totale en majorité près de Phnom Penh. Les Khmers rouges ordonnent à la population de quitter les villes en espérant ainsi encore davantage désarticuler les liens fondamentaux de la société précédente. Ils veulent transformer les citadins en paysans, mais aussi détruire la religion et la famille et briser tous les réseaux anciens de dépendance. Pour consolider leur régime « égalitariste », les Khmers rouges exécutent sommairement ceux qu'ils considèrent comme traîtres. Se met en place l'institutionnalisation d'un aveuglement volontaire qui annule la différence morale entre celui qui est supposé traître et celui qui a véritablement trahi.
Cet aveuglement va jouer un rôle important dans le développement du génocide. Aucun génocide ne peut se dérouler sans la participation passive d'une grande partie de la population. Cette participation peut aussi être active quand certains prennent part aux tueries. Comment est-il possible d'obtenir l'assentiment de la population?
Les tortionnaires dans les prisons sont excessivement violents à l'égard des « traîtres » en partie parce qu'ils déchargent la peur qu'ils ne peuvent exprimer contre les victimes. Ils craignent à leur tour d'être identifiés comme « traîtres ».
Par ailleurs, cette situation permet aux rivalités et aux conflits mesquins qui opposent les hommes ente eux de se transformer en dénonciations.
La violence politique semble être plus forte quand les conflits interpersonnels se confondent avec l'antagonisme politique.
Plus l'exploitation de la violence politique à des fins privées augmente, plus la violence politique perd de sa fonction proprement politique qui est de rassembler et d'unifier la communauté pour ne plus être un chaos destructeur, la guerre de tous contre tous. Pendant la seconde guerre mondiale près de 50% des dénonciations à la Gestapo étaient fausses et avaient comme source des conflits relationnels...
Dans les années qui suivent la chute du communisme après 1990, les Etats modernes n'ont plus vraiment d'ennemis à l'extérieur et vont avoir tendance à se retourner contre des ennemis intérieurs. Cela va être le cas des guerres internes de l'ex-Yougoslavie et de la lutte contre l'ennemi intérieur qui apparaît sous la forme du terrorisme islamiste dont les caractéristiques sont inédites.
2) Les Etats face au terrorisme islamiste.
Le terrorisme islamiste ne dépend pas d'une nation particulière. Il a un caractère international.
Il exprime un idéal non territorialisé, l'Islam ou la communauté des croyants. (Al Qaeda par exemple ne correspond à aucun territoire particulier).
Le terrorisme islamiste nous apparaît comme le plus étranger à cause des violences extrêmes dont il est capable et comme le plus proche de nous parce qu'il est invisible à tout un chacun. Les Etats modernes sont démunis face à cette menace dont ils ne voient pas d'issue par une éventuelle victoire.
Ils comprennent qu'il est impossible de re-territorialiser la figure de l'ennemi. Le terroriste n'est pas extérieur à nous puisqu'il n'y a plus d'extérieur dans le contexte de la mondialisation. Le terrorisme islamique dit vrai quand il se présente dans le cadre d'une opposition entre le monde chrétien et l'Islam.
La dissuasion nucléaire perd de son sens face à un réseau terroriste international. Un tel réseau peut utiliser l'arme nucléaire, mais il ne peut en être la cible.
Les Etats actuels démunis utilisent des moyens de lutte qui appartiennent au registre du non-droit en contradiction avec la Convention de Genève qui règle les conflits armés. Ils arrêtent des « présumés terroristes » en prévention d'actes non encore perpétrés. Ils détiennent des prisonniers sans les juger. Ils violent l'espace aérien d'Etats indépendants pour attaquer des installations terroristes ou supposées telles. La guerre contre le terrorisme ne reconnaît pas le bien-fondé des frontières entre les Etats (voir les pratiques des Etats-Unis, de l'Angleterre en Afghanistan, de la Russie dans les ex-répu-bliques de l'URSS limitrophes, Israël dans les pays arabes...).
Conclusion.
L'ordre politique moderne est né de la territorialisation des relations de solidarité et d'hostilité. L'Etat moderne détenteur du monopole de la violence légitime et l'expansion coloniale européenne ont été ses deux institutions fondamentales.
L'impossibilité de re-territorialiser ces relations face au terrorisme islamiste nous menace gravement, comme jamais auparavant. Elle ouvre la voie à des développements politiques que nous sommes incapables d'imaginer. Nous sommes devant des « états de violence » qui constituent des trous dans le tissu des relations internationales et dans le territoire des nations.
Synthèse du café sur la violence en politique du 19 mars.
Après une introduction de Geneviève centrée essentiellement sur les rapports de l'Etat et de la violence, le débat s'ouvre.
1) Les causes de la violence peuvent être diverses.
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La propriété peut être à la source du développement de la violence. Souvent la violence est déployée pour protéger la propriété. A contrario le peuple Bushmen, peuple indigène d'Afrique australe, vivant de chasse et de la cueillette dans le Kalahari, n'a pas le sens de la propriété. Il vit en harmonie et n'a pas les mêmes besoins que nous. Il n'existe pas de hiérarchie dans ce peuple qui ne connaît pas le poids des chiffres. Tous les soirs ont lieu des « réunions » de régulation du groupe, modèles d'intelligence collective où l'individualisme n'a pas cours. La survie du groupe dans des conditions difficiles (il fait très froid la nuit et très chaud le jour) tient au sens du partage et à l'absence de violence qui animent ces hommes. Les Bushmen ne sont plus que quelques milliers. Ils ont été persécutés en particulier par les Boers et le choc de la modernité les atteint de front (alcoolisme par exemple...). Il semblerait, d'après les archéologues, que c'est à partir du néolithique, avec le début de l'agriculture, que la violence s'est davantage installée. Les Bushmen vivent en fait sur un mode antérieur au néolithique, l'époque des chasseurs-cueilleurs.
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L'inégalité sociale peut être aussi considérée comme un facteur de violence. Elle s'exprime en France dans les zones de non-droit des quartiers défavorisés en particulier. Au sein de l'Europe l'exemple encore actuel du Kosovo démontre la place de groupes mafieux qui terrorisent une partie de la population. Les consultations des demandeurs d'asile en France en font foi. Les désastres écologiques et le non-respect de la planète sont aussi vecteurs de violence par la pauvreté qu'ils font vivre aux populations.
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L'inégalité sociale s'enracine en partie dans le rôle destructeur de la finance aujourd'hui. Quand Nixon, le 15 août 1971, abroge la convertibilité du dollar en or, il entraîne une dérégulation massive de l'économie mondiale. Il dira plus tard que cette dérégulation pourrait bien être à l'origine d'un troisième conflit mondial. Par cette décision, en effet, certains pays producteurs de pétrole vont considérablement s'enrichir tout en marginalisant bien des territoires comme une partie de l'Europe. En France nous tablerons alors sur l'inflation pour sortir de la crise alors qu'il aurait été plus judicieux de créer de la valeur ajoutée.
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Pour Freud, l'humain éprouve le besoin de donner une voie au désir de meurtre. La violence politique peut être regardée comme l'expression collective de cette pulsion. La violence peut aussi être générée par un désir de reconnaissance.
2) Les aspects de la violence.
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Nous avons le sentiment que globalement la violence a régressé entre les hommes. Un historien nous dit qu'au XVIIème siècle les altercations meurtrières étaient monnaie courante. Nous constatons que les violences physiques ont tendance à diminuer. Mais il faut tenir compte d'une violence qui se situe à tous les niveaux (voir Foucault), peu visible et peu bruyante, celle qui s'exprime dans les rapports de domination de l'Etat sur les citoyens, au sein de la famille et dans le cadre du travail. C'est comme avec l'autorité, elle apparaît de moins en moins officielle, mais n'en existe pas moins.
- la violence politique peut se décliner de bien des manières:
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quand l'Etat fait prévaloir l'intérêt général sur l'intérêt particulier
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quand le scrutin électoral établit la « dictature » de la majorité sur la minorité
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quand l'Etat représente surtout les intérêts d'une classe sociale en occultant les intérêts des autres citoyens.
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Il existe aussi une contre-violence, moteur du changement, il s'agit de la violence révolutionnaire qui à certains moments de l'Histoire est dans le refus du statu quo social et le conteste par la force. Par exemple, en 1787, certains pouvaient penser que la présence de Privilégiés allait de soi alors que les révolutionnaires ne voyaient pas d'autre issue que de renverser l'ordre social existant. De même pendant la guerre d'Algérie, les colons dans leur ensemble ne sentaient pas la nécessité de donner davantage de droits aux indigènes.
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Il existe comme une analogie entre la contrainte morale et la violence politique. En se rebellant contre l'Etat, les révolutionnaires se rebellent contre la violence légitime de l'Etat, tout comme les Immoraux quand ils se rebellent contre la contrainte morale. Etat et Dieu même combat, il y a là une résonance particulière dans ces temps contemporains!
3) La violence du terrorisme islamiste et ses spécificités.
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Nous pouvons tenter de décrypter les enjeux du terrorisme islamiste en nous demandant si son intention n'est pas de créer une déstabilisation mondiale. L'exemple récent des assassinats au Musée du Bardo peut le laisser penser. La Tunisie étant une démocratie naissante, s'attaquer à elle peut aviver en son sein des tensions politiques et la fragiliser.
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De manière générale la stratégie de ce terrorisme semble être celle de la création de tensions entre les ethnies et les communautés. Pourrait-on aller jusqu'à imaginer que les terroristes disposeraient d'un « logiciel » de révolution globale? La meilleure manière de répondre à cette stratégie ne semble, en tous cas, pas être celle de Bush après le 11 septembre, en envahissant l'Irak. Cette action a eu davantage de conséquences néfastes qu'elle n'a été fructueuse dans le sens même de la lutte anti-terroriste.
- Les attaques terroristes peuvent avoir un effet de sidération sur les populations.
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L'après 7 janvier 2015 en France démontre les multiples tensions qui s'expriment encore plus à découvert comme l'antisémitisme, l'islamophobie...Il devient même difficile pour certains d'accepter de côtoyer des femmes voilées parce qu'elles suscitent une forme de haine en lien avec les récents attentats.
Est-il possible que le Front National utilise ces situations terroristes en en dramatisant les faits pour donner du sens à notre destin?
En conclusion, plusieurs questions:
- Pourquoi certains pays apparaissent comme moins violents que d'autres?
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La solution face à ce terrorisme mondial serait-elle que l'ONU renouvelle le droit international pour faire face à cette nouvelle donne tout en se dotant de moyens militaires adaptés?
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Dans le cadre de la lutte anti-terroriste, est-il possible d'imaginer une collaboration entre Etats démocratiques et dictatures avérées (exemple de la Syrie)?
Nous sommes actuellement très démunis face à cette forme de violence internationale qu'est le terrorisme qui remet en cause les fondements mêmes de nos choix démocratiques. L'antidote serait peut-être de retrouver un idéal commun qui ne soit pas un dogmatisme sans cela il serait à son tour générateur de violence.
Par ailleurs, nous aurions pu élargir notre débat en analysant davantage les processus de violence qui touchent d'autres domaines que la territorialité ou les personnes physiques: par exemple les modes de fonctionnement institutionnels et les modes de lutte pour la répartition des pouvoirs. Ces modes de lutte semblent faire référence au fonctionnement même de l'individu en terme pulsionnel.
* * * *
La mention, par Geneviève, de systèmes politiques dont la violence par destination était de règle à provoqué la réaction de Gérad Chabanne:
La violence peut être intrinsèque au système politique dont le projet est de changer radicalement l’Humanité pour faire advenir un Homme nouveau :
. Moïse par procuration de Dieu veut changer le peuple juif et le remplacer par une génération sans mémoire qui n’aura pas connu la servitude de l’Egypte ! Tous ceux qui ont connu la privation de liberté devront mourir au désert, aucun esclave ne verra la terre de la liberté de Canaan !
. La Révolution française veut mettre en musique les « Lumières », et pour cela veut gommer le passé et les superstitions. Un projet radical afin d’établir une société neuve qui implique d’expulser ou de guillotiner l’ennemi intérieur qui n’avance pas assez vite ou s’oppose.
. La révolution bolchévique veut agir sur les structures et influer sur les superstructures pour qu’advienne le nouvel Homme soviétique débarrassé de toute aliénation économique. Le projet nécessite des dépossessions et un nettoyage de printemps dans les esprits, avec violence évidemment.
. La Révolution nationale fasciste veut gommer le passé afin de retrouver une race pure de seigneurs qui vont dominer le Monde en agrandissant leur espace vital. Pour cela la propagande nazie s’insinue dans la chair et le sang du « Peuple allemand » ; l’intérêt général devient l’intérêt du parti nazi, qui commande d’éradiquer les impuretés de la société et du peuple ; la violence politique est légitime car elle est un commandement de la race et de l’espèce. (idem au Rwanda) "
Débat à l'issue de la conférence du jeudi 16 avril 2015
par Xavier Nast Des atomes et des hommes. Fukushima! Fessenheim?
1) La question des déchets nucléaires.
- Quels sont les déchets nucléaires stockés à Bure? S'agit-il de plutonium?
• Xavier Nast: Ce sont des déchets inutiles dont on ne sait pas quoi faire. Pour simplifier, je dirais que ce n'est même pas du plutonium parce que le plutonium est réutilisé. Le plutonium est fait en bombardant de l'uranium dans un réacteur classique. 0,23% de l'uranium est transformé tous les ans en plutonium et la Hague sert à extraire chimiquement le plutonium.
• Le plutonium est réutilisé dans les réacteurs au MOX. Quand une partie est transmutée en plutonium 240,241,242, on ne peut rien en faire. Ces éléments sont alors très radioactifs encore plus dangereux que le plutonium 239. Mais aussi les éléments de fission du plutonium 239 tels que le Césium 134, l'Iode 131, le Baryum et des centaines d'autres radionucléides bêta et gamma émetteurs.
- Pourquoi les territoires de Nagasaki et de Hiroshima sont aujourd'hui urbanisés alors qu'on les disait interdits à l'habitat humain pour un millénaire?
• Xavier Nast: Après l'explosion d'une bombe atomique il ne reste que quelques milligrammes de déchets radioactifs alpha émetteurs et quelques grammes de bêta et gamma émetteurs. 2200 bombes ont à ce jour explosé sur la terre entière. Une bombe atomique est infiniment moins dangereuse qu'un accident nucléaire qui dégage des actinides, alpha émetteurs, dangereuses poussières émettant des particules alpha en permanence.
- Est-il possible de confiner les déchets des centrales au MOX de manière efficace?
• Xavier Nast: Le site de Bure a été choisi parce que si de l'eau devait s'infiltrer elle partirait dans les pays frontaliers du nord de la France!, mais en fait la nappe phréatique est proche de Paris! Le risque de Bure est qu'en cas d'infiltration d'eau, les radionucléides hyper toxiques vont se retrouver dans la nappe phréatique et dans les eaux de consommation courante (eau potable et eau destinée à l'agriculture).
- Que faire de ces matières fissiles?
• Xavier Nast: Les enfouir dans des endroits dans lesquels l'eau ne peut remonter, ce qui est très difficile à trouver sur terre (souvent à plus de trois kilomètres de profondeur). A une certaine époque ces déchets ont été enfouis dans des fosses marines recouvertes de sédiments. Ces tonneaux sont toujours dans l'eau à l'heure actuelle.
- Certains auteurs s'y opposent parce qu'ils disent que s'il y a enfouissement des déchets il faut que cela soit réversible.
• Xavier Nast: Les déchets (poussières) descendent d'un cm par an dans la terre. Aujourd'hui il y a 600 tonnes de plutonium sur terre. Il y a deux endroits de dépôts de déchets nucléaires importants: c'est La Hague et en Angleterre, Sellafield où se trouvent environ 20% du plutonium mondial. 60 et 100 tonnes de plutonium sont concentrés entre l'Angleterre et la France. A La Hague, il y a une piscine qui nécessite une haute protection (système anti aérien) en raison de l'immense danger que représenterait une fuite quelconque.
- Comment expliquer le reportage qui montre que la nature semble reprendre ses droits sur le territoire contaminé de Tchernobyl?
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Xavier Nast: J'ai rencontré le docteur Michel Fernex qui a 86 ans aujourd'hui. Il connaît la question et il explique que pour la propagande soviétique ou toute autre propagande pronucléaire, des déchets de nourriture sont apportés à Tchernobyl et des mouettes viennent les manger. C'est une illusion de vie parce que nous savons que la population animale a fortement chuté dans ces contrées.
• Les poussières radioactives finissent par toucher de nombreuses personnes.
On compte un milliardième de gramme de poussière de plutonium 239 au mètre carré sur terre et vous pouvez ne pas en être victime. C'est la loi du hasard.
Les conséquences de Tchernobyl sont sensibles en particulier dans les parties montagneuses de Suisse et d'Autriche. Quand il y a montagne, il y a plus de condensation autour des poussières, il y a des pluies et toutes les montagnes ont récupéré plus de radioactivité dans les sols. Dans les parties montagneuses, dans les Alpes, en Corse, en Suisse, en Autriche, en Suède, l'eau s'écoule et se répand. Dans les Vosges, il y a plus de cas concernant Tchernobyl qu'en Alsace au début de la contamination. Puis, avec le temps, la pollution se dilue progressivement.
2) La dangerosité du nucléaire en Alsace.
- Strasbourg serait un des endroits les plus menacés au monde?
• Xavier Nast: 80% des réacteurs au MOX se situent en France, Allemagne, Suisse, Angleterre et Benelux. (Voir les prises de position de Bernard Laponche, physicien du CEA, qui explique les dangers liés au plutonium et au MOX. Il a tenté de mettre en garde les députés français sans succès).
- Quelle est la probabilité d'un accident majeur dans notre région?
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Xavier Nast: Les calculs théoriques situent ce risque entre 0,5 et 0,8. Dans les dix prochaines années il y aurait deux chances sur trois qu'un accident nucléaire advienne. Ce risque augmente régulièrement parce que les centrales elles-mêmes « fatiguent ». On peut les comparer à des moteurs de véhicules qui après 300 000 kilomètres sont sujets à des pannes multiples.
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Dans la région, il existe une centrale suisse de 45 ans d'âge qui fonctionne toujours (Beznau). C'est une vieille centrale classique transformée au plutonium. C'est la centrale la plus dangereuse du monde à nos portes, à 150 km d'ici, (Strasbourg), sur le Rhin. Si elle devait devenir défaillante, c'est toute la vallée du Rhin qui serait contaminée comme l'est aujourd'hui une partie du Pacifique avec Fukushima. Les gens les plus âgés vont survivre à un accident nucléaire (cela est lié au temps de développement des tumeurs cancéreuses plus long chez les sujets âgés que chez les individus jeunes).
- Les riverains de Fessenheim sont-ils informés de manière démocratique des risques qu'ils encourent?
• Xavier Nast: L'information sur le nucléaire a toujours été difficile à obtenir. En effet, le nucléaire civil est lié au secret défense. Une centrale est en fait une distillerie de plutonium au service du militaire. Fessenheim a produit depuis son ouverture 11 tonnes de Plutonium 239. Autour de Fesssenheim vit environ un million d'habitants dans un rayon de trente kilomètres. En cas d'accident nucléaire il faudrait faire évacuer ces habitants du territoire contaminé. Si chacun dispose d'une maison ou d'un appartement pour 200 000 à 300000 euros, le coût du déplacement de ces personnes devient exorbitant. C'est pourquoi sur tous nos contrats d'assurance nous constatons l'exclusion du risque nucléaire.
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Cela est valable dans tous les pays du monde. Si les habitants avaient conscience qu'en cas d'accident leur seule issue est de quitter l'hémisphère Nord pour l'hémisphère Sud, ils seraient étonnés de devoir continuer à financer une maison qu'ils ne peuvent plus habiter. Les dettes continueraient de courir.
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Le nucléaire civil et militaire sont en fait inséparables. Pendant des années, la course aux armements a été la règle. La contamination a été mise sous silence malgré les alertes données par des hommes comme Oppenheimer qui a averti Eisenhower des dangers du nucléaire, vecteur d'une mort totale possible à la surface de la terre.
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Signalons que dans la téléphonie mobile les assurances se dédouanent également des risques encourus par les utilisateurs.
- Existe-t-il un plan ORSEC pour Fessenheim?
• Xavier Nast: Le plan ORSEC de Fessenheim est sans intérêt dans la mesure où donner de l'iode ne protège pas vraiment du césium et du plutonium. La durée de vie de l'iode est par ailleurs très courte, elle est de 8 jours. L'iode permet de dire qu'en cas de problème, nous avons la solution de la pastille d'iode. Mais il existe beaucoup d'autres isotopes (plus de 1900) pour lesquels nous n'avons pas de solution.
- Le progrès technique apporte-t-il des réponses à la dangerosité du nucléaire?
• Xavier Nast: Entre 1970 et 1980, le nucléaire a continué ses recherches, mais dès le premier accident nucléaire aux Etats-Unis, la recherche a commencé de stagner. Aujourd'hui certaines centrales sont « rafistolées » avec des produits qui normalement n'auraient plus droit à l'existence. Beaucoup de réacteurs sont usés. Autrefois les petites barres étaient entièrement étanches. Aujourd'hui, avec la corrosion on sait que presque toutes les barres fuient et cela signifie que l'eau primaire est contaminée par des actinides, donc par du plutonium, par de l'uranium et du césium... Quand une soupape s'ouvre parce qu'il y a une surcharge, des actinides de l'eau contaminée sont lâchés. La situation empire avec le temps.
- Quel risque pour Fessenheim par rapport au danger sismique et à sa localisation près du Rhin?
• Xavier Nast: Une centrale nucléaire produit un tiers d'électricité et deux tiers de chaleur. Ce processus chauffe deux fois plus le Rhin qu'il ne produit d'énergie. Une centrale nucléaire est une machine thermique. Toutes les centrales nucléaires sont au bord d'un fleuve ou au bord de la mer.
Le 26 décembre 1999, la France est passée à côté d'une catastrophe majeure à Bordeaux. Lors de la tempête, les ingénieurs ont sauvé de justesse la situation à 3 minutes près. A Bordeaux aujourd'hui, il y a quatre réacteurs au MOX (au plutonium). Même si Bordeaux n'est pas dans une zone sismique comme Fessenheim, la centrale est située au bord de la mer et, subsiste le danger d'une grande marée conjuguée à une tempête. A Fessenheim nous sommes sur une faille hydraulique sismique. Toutes les failles hydrauliques sont aussi sismiques comme à Beznau. Au Portugal, le 1er novembre 1755, il y a eu à Porto, un immense tremblement de terre. Ce genre d'événement se produit environ tous les 500 ans à 1000 ans. Comment exclure cette éventualité dans un avenir proche à Bordeaux par exemple? Pour la faille sismique de Fessenheim: le 18 octobre 1356, il y a eu un tremblement de terre à Bâle, de puissance 7,5, et en 250, il y a eu un tremblement de terre encore plus puissant qui a détruit la ville d'Augusta Raurica près de Bâle.
En plus de ce danger sismique la vétusté des centrales est un facteur aggravant. Avant un accident d'avion, 15000 incidents se produisent. La plupart du temps ils ne portent pas à conséquence grâce aux triples systèmes de sécurité.
Pour une centrale nucléaire et en particulier pour celle de Fessenheim, il faut se représenter qu'elle comporte de multiples tuyaux dont l'étanchéité est indispensable. Les joints d'étanchéité sont des polymères qui ont tendance à se désintégrer sous l'effet des rayonnements. Il est donc nécessaire de changer de plus en plus fréquemment ces joints quand un réacteur devient plus vétuste. La corrosion, la poussière s'accroissent. La poussière s'introduit dans l'eau. L'eau se met dans les interstices et attaque les joints de pompe. Il y a 15000 robinets par réacteur et chaque robinet comporte des joints. Il y a ainsi des fuites en permanence. On peut dire que la centrale fuit. Au début, c'est de l'eau qui fuit, puis quand la corrosion agit, le « produit » sort. C'est là que se pose le vrai problème. Aujourd'hui les mesures montrent que cette eau qui fuit est bien contaminée par des poussières d'uranium et de plutonium et de nombreux radionucléides de fission.
3) La fermeture des réacteurs nucléaires
- Que faire pour répondre à la dangerosité du nucléaire?
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Xavier Nast: Le nucléaire représente seulement 2% de l'énergie mondiale. la France met en péril la population mondiale alors qu'elle ne représente que 0,9% de cette population.
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En Chine, avant Fukushima il y avait un grand programme comportant la mise en service de 60 réacteurs. Depuis Fukushima les Chinois constatent une dépopulation dans le nord de leur pays. La Chine a modifié son projet pour ne construire plus que 15 réacteurs. Elle passe à l'éolien et au solaire de façon rapide. La Chine fabrique aujourd'hui 80% du solaire et plus de 50% de l'éolien du monde.
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La Chine a conclu que le nucléaire comportait des risques trop importants pour ne pas modifier sa politique de l'énergie.
- La Chine a subventionné le photovoltaïque à hauteur de 35 milliards de dollars alors qu'en Allemagne les subventions se tarissent dans ce domaine.
• Xavier Nast: En Chine, il y a actuellement un grand problème de pollution générale, comme je vais souvent en Chine, je constate qu'un jour sur deux ou trois nous sommes dans une espèce de brouillard qui en fait touche tous les habitants, riches et pauvres. Les dirigeants en concluent qu'il convient de fermer les centrales au charbon progressivement et les transformer en centrales au gaz. Le gaz provient en partie de Russie en échange d'Audi et de Mercedes fabriquées en Chine.
- Une participante souligne la difficulté pour les citoyens d'agir face aux lobbies en particulier dans l'espace européen et évoque les négociations autour du TAFTA qui ne laissent pas d'inquiéter sur ces sujets.
Il semblerait que dans la loi en passe d'être votée au Parlement français en ce moment sur la surveillance des citoyens, une disposition interdirait d'attaquer les intérêts économiques de l'Etat. Nous pouvons considérer que le nucléaire représente un intérêt économique majeur pour l'Etat français. Corinne Lepage a écrit un excellent ouvrage concernant cette question: l'Etat nucléaire dans lequel elle montre que ce n'est même pas un lobbie nucléaire qui règne en France, c'est un Etat nucléaire parce que à tous niveaux les dirigeants sont dans leur majorité pour le lobbie nucléaire. 6
- Quelles sont solutions énergétiques de remplacement? L'Allemagne a remis en fonction ses centrales au charbon qui augmentent le réchauffement climatique et font fondre la calotte arctique.
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Xavier Nast: Aujourd'hui le soleil produit 15000 fois plus d'énergie que ce que nous consommons sur toute la terre.
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Le nucléaire au niveau mondial en énergie globale consommée représente moins de 2%. Pour 2%, nous prenons des risques considérables. Aujourd'hui de nombreux pays abandonnent le nucléaire: l'Italie, l'Espagne, les pays nordiques, l'Autriche. Les Etats-Unis refusent le plutonium jugé trop dangereux sur leur territoire. Ils encouragent les Indiens et les Chinois à utiliser du MOX pour répondre à l'augmentation de leur consommation d'énergie. Il faut prendre en compte que seuls 3,5% de la population mondiale consomment 25% de toutes les énergies et des matières premières au monde. Si tous les pays se mettaient à consommer de l'énergie au niveau des Etats-Unis il y aurait un gros problème. Certains Américains proposent des solutions comme Jeremy Rifkin qui prône le développement de l'énergie renouvelable. Il faut savoir aussi que 50% de l'énergie utilisée sert à chauffer et à refroidir les bâtiments. En Alsace dans ce sens nous gaspillons 95% d'énergie par ces pratiques. Il est possible de n'utiliser que du solaire pour sa propre maison ( et un peu de bois par très grand froid).
Si les Américains réduisaient de 10% leur consommation d'énergie, alors qu'ils sont d'énormes consommateurs, la diminution de ce gaspillage aurait de grandes conséquences. ( 10% de 25%= 2,5%, plus que la production mondiale de tout le nucléaire mondial).
En Chine des efforts sont faits dans ce sens. Les radiateurs électriques sont interdits. Ce sont des pompes à chaleur. Les LED sont obligatoires.
Les seuls pays qui restent dans le nucléaire sans diminution sont l'Angleterre (qui commence à bas bruit cependant une certaine décrue), la Belgique et la France. La France est le seul pays au monde qui a autant de centrales nucléaires. 80% de l'électricité française est issue du nucléaire, mais seulement 17 % de l'énergie en général. Au Japon après Fukushima, sur les 54 réacteurs nucléaires, 50 ont été arrêtés et 4 complètement détruits. Le Japon, dont 30% de l'électricité était issue du nucléaire, a changé ses choix. Il a réduit la consommation d'électricité partout : une lampe sur deux dans les métros,...Les Japonais font marcher leurs centrales au gaz actuellement de manière plus importante. Ils utilisent des piles à combustible pour fabriquer l'électricité à partir du gaz. Ils se sont aussi lancés dans l'éolien et le solaire. 7
Conclusion.
Xavier Nast: Je comprends que beaucoup, comme moi il y a peu, ne sentent pas le danger massif que représente le nucléaire. Tout est fait pour nous détourner de cette réflexion. L'éducation en général nous présente les aspects positifs du rayonnement. Chaque personne rayonne en elle à 8000 Becquerels. Nous avons 0,011% de Potassium 40 qui lui, rayonne. Nous pouvons donc vivre avec certains types de rayonnement.
Mais il se trouve qu' il existe des atomes, dont des particules alpha massives (hélions) partent à 20 000 km par seconde c'est-à-dire à 54 millions de km à l'heure. Cette énergie cinétique fait que l'atome frappe d'une autre manière. Même si l'iode fait des dégâts, nous oublions souvent d'évoquer le plutonium. Peu ont le courage d'en parler comme Jacques Attali qui parle de la bombe sale. Ce sont les poussières qui rayonnent et que l'on respire.
Beaucoup de personnes réputées au début comme étant des défenseurs du nucléaire comme Bernard Laponche, polytechnicien, et Naoto Kan, premier ministre du Japon ont changé d'opinion. Naoto Kan fait campagne à travers le monde depuis Fukushima pour expliquer la folie du nucléaire. Il a hésité à faire évacuer Tokyo (35 millions d'habitants). L'essentiel du message ne porte pas sur la question de la radioactivité mais bien sur la contamination de petites poussières qui se fixent dans le corps humain. Aujourd'hui chacun de nous a en lui environ 20 microgrammes d'uranium dont 66% se trouvent dans les os. L'uranium est cependant moins violent que le plutonium (183 000 fois moins à masse égale).
Si nous avions la même dose mais en plutonium les dégâts seraient 183 000 fois plus importants en nous.
Madame Helen Caldicott, femme médecin australienne, pédiatre évoque les effets du nucléaire sur les personnels qui y travaillent et sur les personnes contaminées à la suite des accidents nucléaires.
La grande question qui se pose par rapport à l'information sur le nucléaire est que souvent les personnes refusent de connaître la réalité du danger par peur.
• Jean-Paul Klee
Pour Fessenheim étant donné ce que nous savons, il faut demander une fermeture immédiate. Il y a une manifestation le 26 avril devant la centrale. Il faudrait aller plus loin que l'information et que cela se transforme en action civique. Aux Etats-unis il y a de grands résistants qui ont été jusqu'à occuper le terrain de longs jours.
Si la grande Solange Fernex était encore parmi nous, elle serait déjà devant la centrale en train de faire un jeûne illimité et j'ai proposé à Monsieur André Hatz qui fait un travail remarquable sur Stop Fessenheim, que le 26 avril prochain, date anniversaire de Tchernobyl, tous les manifestants qui le souhaitent puissent devant la centrale déchirer publiquement devant les télévisions leur passeport. C'est la moindre des choses. Il y a 102 incidents par an à la centrale de Fessenheim, presque un tous les 4 jours! Brûlons nos passeports, on peut les remplacer! Brûlons nos feuilles d'impôt, on peut les remplacer!
Les Allemands n'en peuvent plus. Ils sont en train de fermer tous leurs réacteurs d'ici 2022. Madame Merkel en a fermé huit d'un coup. Gloire à elle sur ce sujet!
Pour ma part, je travaille ce sujet plusieurs heures par jour. Je collectionne les informations. Je vais faire publier, pardon de le dire, un livre entier sur ce sujet bientôt.
Nous n'en pouvons plus devant de simples fournisseurs d'énergie. Si au XIXème siècle des fabricants de bougie avaient menacé la vie de 500 personnes, Napoléon III faisait fermer la fabrique de bougies. Fournisseurs, regagnez vote rang! Vous n'êtes rien!
AREVA a fait une banqueroute historique confirmée par France Inter aujourd'hui pendant cinq à six minutes: le réacteur non encore en fonction de l'EPR de Flamanville s'enfonce dans un ridicule sans nom puisque on vient de découvrir par des tests que le réacteur lui-même est totalement fissuré et qu'il est impossible de remplacer ce réacteur. On ne peut que le démolir et augmenter ainsi l'énorme dette de Flamanville qui sans doute ne fonctionnera jamais puisque Flamanville qui devait coûter au départ 3 milliards et demi revient aujourd'hui à huit milliards. Si on refait ce réacteur la facture s'élèvera à dix ou douze milliards.
Sur Cadarache, je viens d'apprendre qu'il y a un réacteur expérimental pour reconstituer les
réactions nucléaires de l'intérieur du soleil !
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Xavier Nast: depuis de longues années l'éducation concernant le nucléaire est un cumul de vérités qui cumulées ne donnent pas la vérité réelle. Le plus important reste la question de la contamination des poussières. La définition de cette contamination est celle que j'ai entendue quand je me trouvais à la COGEMA en 1998 et qui décrit le danger de respirer ces poussières.
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En cas d'explosion des lieux qui fabriquent le plutonium, les physiciens eux-mêmes parlent de fin du monde... La seule solution serait alors de quitter la terre!!
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Après l'explosion du 14 mars du réacteur numéro 3 à Fukushima, ces mêmes physiciens de la COGEMA, chez AREVA, à Cadarache, n'ont plus répondu aux appels de Xavier Nast pendant une semaine.
La question démographique.
Au-delà des questions liées aux agitations permanentes et répétées de l'espèce humaine, se pose la question liée à son accroissement en nombre et aux conséquences néfastes sur le reste du monde biologique dont pourtant elle dépend entièrement puisqu'elle en fait partie. La population mondiale a mis 125 ans pour passer de 1 milliard d'individus en 1800 à 2 milliards autour de 1927 environ, puis est passée à 7,8 milliards en 2019. Toutefois, le taux annuel de croissance, qui a culminé à 2,1 % en 1968, est redescendu à 1,05% actuellement et devrait continuer à décroître selon les prévisionnistes. De sorte que, en l'absence de guerres, le chiffre de la population totale devrait tout de même atteindre 11 milliards de personnes vers 2100.
Cette évolution a été rendue possible par la mécanisation de l'agriculture, la chute de la mortalité infantile et des maladies infectieuses, l'allongement de la durée de vie (25 ans en moyenne mondiale depuis 1950). Mais ceci est contrebalancé, avec des effets plus tardifs il est vrai, par l'évolution de la fécondité résultant de l'utilisation de moyens contraceptifs et de la planification des naissances. Car en effet, le déclin du taux de mortalité, surtout infantile, précède toujours, là où il a été constaté, celui du taux de natalité. Cette évolution diffère selon les pays et l'obstacle que représentent les comportements traditionnels est loin d'avoir été surmonté partout. La transition n'est qu'embryonnaire dans des pays comme le Pakistan, l'Egypte et la quasi-totalité de l'Afrique sub-saharienne. Mais ici comme ailleurs, ce sont les progrès de l'éducation et surtout de l'instruction des filles qui permettront de vaincre les préjugés et les archaïsmes.
Toutefois l'éducation n'est pas tout, c'est également là où l'activité économique est la plus faible que les taux d'accroissement démographique restent les plus importants. Le problème est que le système d'économie développée semble avoir atteint ses limites du fait des menaces qu'il fait peser sur l'écosystème: pollution des terres, de l'air, des eaux douces et des océans, épuisement des terres dû à l'usage immodéré d'engrais chimiques et de pesticides, urbanisation galopante et déforestation effrénée, alors que l'on connait le rôle des forêts dans la circulation atmosphérique et la distribution des pluies. Il est également question du réchauffement climatique qui serait dû aux émissions de CO2, mais cela reste du domaine de l'hypothèse, car cela fait depuis 2 siècles que les températures évoluent à la hausse et l'évolution du taux de CO2 dans l'atmosphère n'a augmenté que de 0,01 % durant cette période. Les effets supposés du CO2 pourraient d'ailleurs être facilement contrés par une politique de reforestation (le végétal absorbant le carbone pour le transformer en oxygène). Encore faut-il le vouloir...
Et pourtant, l'essor économique, là où il n'a pas encore eu lieu, est nécessaire. C'est la quadrature du cercle ! Les sociologues insistent sur le fait que le désir volontaire de limiter les naissances dépend d'un niveau de vie décent et surtout stable, de sorte qu'il ne soit plus nécessaire de faire naître de nombreux enfants dont la survie est aléatoire. La hausse du niveau de vie s'accompagnant de la création d'une sécurité sociale prenant en charge les aléas de la vie, lequel sera complété par une planning familial informant les femmes et les filles des méthodes contraceptives en cours, est la meilleure garantie contre la croissance démographique. La hausse du niveau de vie est la condition sine qua non permettant de sortir les populations de l'arriération mentale qui accompagne toujours le sous-développement économique. Dans l'Afrique sub-saharienne, qui concentre l'essentiel des problèmes, il n'y a que 20% des femmes qui utilisent une méthode moderne de contraception (ce taux est de 55% au Maghreb et de 60% en Afrique du sud). Facteur aggravant, les filles sont mariées très tôt par leurs familles, elle ne peuvent évidemment pas se plaindre du viol conjugal dans une société encore très machiste et patriarcale. Cela se traduit par l'absence totale d'autonomie morale des femmes mariées qui restent totalement dépendantes de maris qui en outre, peuvent les répudier. Naturellement pour les plus pauvres, le voudraient-elles, il leur est impossible d'accéder aux moyens contraceptifs. Autant d'éléments qui retardent la transition démographique et par là annulent les effets de la croissance économique qui est pourtant de 3,5% annuellement pour l'ensemble du continent noir. Mais si le volet éducatif fait défaut, la croissance démographique "mange" la croissance économique. Cette situation dramatique perdure du fait du considérable retard dans l'éducation des filles, près de 40% d'entre elles n'ont bénéficié d'aucune éducation ou alors simplement d'un cycle primaire très sommaire. A cela s'ajoute la persistance de conflits ethniques qui est un frein à l'investissement. Enfin l'absence de système de retraite, due à la carence de lois sociales, tend à faire des enfants une garantie de ressources pour les vieux jours. La part que peut verser chacun d'entre eux étant faible, leur multiplicité garantit les ressources.
Toutefois, au milieu de cet océan de misère apparaissent des pôles de changement de comportement et de fait, la situation est très inégale. Par exemple, le contraste est saisissant entre le Niger et le Botswana: Au Niger : 7 enfants par femme, 1 sur 2 ayant déjà procréé avant l'âge de 19 ans, victime le plus souvent d'un mariage forcé, 1 sur 3 l'étant avant même l'âge de 15 ans, la moitié d'entre elles n'ayant jamais été scolarisée. Enfin, durant leur vie de femme, seules 12% d'entre elles utiliseront un moyen contraceptif. Le pays, naturellement, reste dans le même état de pauvreté qu'il l'était en 1950. Le niveau de vie du Botswana était comparable à celui du Niger à cette date, mais les élites politiques de ce pays ont cherché à développer le pays et à éduquer sa population, de sorte que le taux de natalité a baissé à 2,9 enfants par femme; 88% des filles étant scolarisées. Il est en tête, juste derrière les Seychelles dans le classement fait en fonction de l'indice de développement humain dans l'Afrique sub-sahariennes. Ce qui signifie bien que s'il y a une volonté politique, rien ne relève de la fatalité.
L'obstacle religieux est surmontable, tant il est vrai que la religion dépend de la représentation que l'on s'en fait et de l'interprétation qui en découle. Ainsi l'Iran, qui est une théocratie, a toutefois vu son taux de natalité baisser de 6 enfants par femme en 1980, à 1,9 aujourd'hui. Malgré l'agression impérialiste dont ce pays est actuellement la victime, il est fort probable que ce taux n'évoluera que très peu, d'autant qu'il est en train de sceller une alliance solide avec la Chine.
L'Inde a raté la démarrage qu'a connu la Chine, mais son intégration en cours à l'OCS (Organisation de Coopération de Shangaï) lui permettra certainement de combler ce retard. D'ores et déjà, le taux de fécondité est de 2,2 enfants par femme. C'est l'Etat du Kerala qui a enregistré les meilleurs résultats, mais c'est également dans cet Etat que la lutte contre la mortalité infantile, le recul de l'âge de mariage, l'élévation du niveau d'éducation, l'égalité hommes-femmes et son corollaire, la baisse de la violence contre les femmes, l'information concernant la contraception ont été menées avec le plus de vigueur. Le résultat ne s'est pas fait attendre, le revenu moyen par habitant est passé de 5 000 rials en 1992 à 40 000 20 ans plus tard.
On voit que les solutions existent, mais il importe aux pouvoirs politiques de chercher à les mettre en oeuvre. L'Europe, celle de l'impuissance bruxelliste organisée, au lieu de dépenser 260 milliards de $ par an, pour une alliance militaire qui va finir par se disloquer (on en voit les prémices actuellement), serait bien plus avisée d'utiliser tout ou partie de ces ressources dans le soutien aux forces démocratiques et progressistes africaines qui manquent cruellement de moyens. La solidarité ne pouvant être assimilée au colonialisme.
Autre problème: en attendant la décroissance démographique envisagée seulement à la fin de ce siècle, la question se pose de savoir si les terres cultivables supporteront le choc de devoir nourrir 11 milliards de personnes. L'écosystème des sols est, à l'heure actuelle, déjà éreinté dans de nombreux pays pratiquant l'agriculture intensive. Qu'en sera-t-il dans le futur? Par ailleurs, les pays en développement pourront-ils adopter ce système? On sait bien que non, les contraintes physiques (pollution, épuisement de ressources, en plus de l'irrégularité des pluies dans de nombreuses zones inter-tropicales) sont trop nombreuses. Quant à l'Occident, il est plus qu'impératif qu'il réduise son matraquage publicitaire en faveur de la sur-consommation et du gaspillage que cela induit, car cela génère une prédation sur les matières premières qui ne peut qu'attiser la haine des laissés pour compte. L'Occident n'a aucune obligation d'accueillir ceux qui veulent s'y installer, le droit à la migration ne pouvant être assimilé à un droit à l'installation, mais doit comprendre que sa survie à long terme dépend d'une coopération avec des populations qui, à juste raison, ne se sentent pas la vocation de vivre toujours dans la pauvreté, voire le dénuement. On sait que la production d'une calorie de viande rouge entraîne la destruction de 10 calories combustibles; une limitation drastique de la consommation de viande permettrait, dans l'état actuel des rendements agricoles en culture intensive, de nourrir jusqu'à 12 milliards de personnes, l'inconnu réside dans la durabilité de ceci car les sols supporteront-ils à long terme une telle charge? Ce qui est possible un jour le sera-t-il toujours? D'autre part, sachant que seul 1/3 des surfaces émergées sont en réalité cultivables de manière intensive, se pose la question des transports, et de l'énergie qu'il faudra. Qui la fournira et sous quelle forme, qui la paiera? De surcroit les zones urbaines et leurs infrastructures grignotent années après années ces zones fertiles (construction aberrante du GCO autour de Strasbourg). La guerre pour la nourriture va-t-elle se transformer en guerre de tous contre tous?
Le fort accroissement démographique a également comme conséquence néfaste une urbanisation accélérée, les villes ayant semblé pendant longtemps plus prometteuses quant à la création de richesses que les campagnes. Mais les communautés rurales vivaient en osmose avec la nature. Alors qu'en 1800, seulement environ 3% de la population mondiale était urbanisée, ce chiffre dépasse 50% à l'heure actuelle. L'environnement urbain contemporain développe une frénésie de consommation par un matraquage publicitaire incessant mais de celle-ci sont exclues les populations des bidonvilles elles aussi en expansion continue. Cela entraîne la création de ghettos où règnent la violence et la consommation de stupéfiants, alors que dans les quartiers où vivent les populations solvables, l'obésité, le gaspillage et la consommation d'anti-dépresseurs sont en hausse constante. Il y a bien longtemps que les villes ne sont plus des espaces d'intégration, voire de solidarités, au moins entre individus d'une même classe sociale; elles ont au contraire évoluées en des espaces de désintégration sociale, encore amplifiée par la hausse continue du foncier dans les centre-villes qui forme le maillage de l'économie-monde (les mêmes produits y étant vendus partout à travers le monde). Le processus de "gentrification" créant des ghettos de bobo-ne-s, pourvoyeurs de cet enfumage qu'est le verbiage "politiquement correct". Il est bien loin, le temps où la ville était la matrice de la civilisation et du politique, le creuset où se créait l'identité d'un pays par la culture qui y était promue. A l'heure actuelle, les villes tendent surtout à accroître la proportion de populations insolvables, qui n'intéressent pas le marché.
Les exclus sont alors des proies faciles pour les fanatiques de toutes sortes, des pervers recrutés par la haute finance internationale pour créer le chaos servant à justifier des dépenses militaires en croissance constante car source de profits croissants. L'islamisme promu par les monarchies obscurantistes du Moyen-Orient, ne rencontre d'écho que chez les illettrés. Même l'Etat français a laissé se développer ce qu'il appelle lui-même des "zones de non-droit", alors que rien ne l'y obligeait et que rien ne l'obligeait à laisser s'installer l'illettrisme. Le "Grand Remplacement" en cours concerne d'abord les élites dont on peut légitimement se demander quels intérêts elles servent. En réalité, on le sait très bien, les obscurantistes étant les principaux clients des gangs militaristes impérialistes qui ont fait main basse sur l'Occident, les uns sont le complément des autres. Dès lors, on ne peut que regretter l'abandon du politique dans un grand nombre de pays occidentaux, rôle qui est d'assurer la cohésion sociale et qui, pour ce faire, doit intervenir en complément du marché qui ne peut évidemment satisfaire que les populations solvables. Cela suppose la sortie du système néolibéral occidental qui vise la destruction des Etats au profit d'oligarchies. En ce sens, on ne peut que saluer les efforts de la Chine et de la Russie dans la création de l'OCS, actuel fer de lance dans la lutte contre l'idéologie néolibérale impérialiste. Il y a fort à parier que la militarisation actuelle d'un Occident volontairement soumis à cette oligarchie n'entravera pas cette évolution, mais au contraire accélèrera le basculement géostratégique du monde en faveur des deux anciennes capitales du communisme. Celles-ci savent d'expérience à quels errements dramatiques peut conduire l'obéissance aveugle à une idéologie. L'histoire de la Chine, ces 40 dernières années, illustre à merveille la corrélation entre la maîtrise démographique et le développement économique, il reste cependant à résoudre la question de l'énergie, mais ceci est un autre sujet.
Jean Luc
Pour résumer le débat : La question de la démographie se résume finalement à décrire ce qui est et ne se prête pas au développement de longs commentaires. Toutefois, ce qu'il est ressorti des discussions est que les problèmes liés à cette question sont nécessairement à mettre en corrélation avec les questions économiques. L'accent a été mis sur le considérable accroissement des inégalités qu'entraîne la financiarisation de l'économie et le chaos qui en résultera nécessairement. Cependant, à supposer même que le pouvoir politique arrive à nouveau à réguler l'économie, la croissance de celle-ci se heurtera à de nombreux obstacles du fait que les ressources de la Terre sont, dans l'état actuel des connaissances, limitées. La production intensive de denrées alimentaires n'est pas soutenable à long terme et d'ailleurs n'est même pas souhaitable en ce qu'elle entraîne l'extrême standardisation des produits.
Dès lors se profile la question de la transition écologique, qui sera le sujet traité le 21.11
Une ambition chinoise: les nouvelles routes de la soie (1).
En 2019, la Chine a fêté en grande pompe le 70e anniversaire de la révolution de 1949, alors que la Russie avait, en 2017, totalement ignoré le centenaire de sa propre révolution. Le maître soviétique de 1949 se moquait des "communistes de margarine" (Staline), or ceux-ci ont su par la suite transformer leur parti communiste en un instrument de conquête, mais non de domination, se voulant tri-continental, alors que le parti soviétique, éreinté par sa propre folie, avait fini par dérouler le tapis rouge au néolibéralisme le plus débridé.
La Chine, durant des siècles, avait été le fier et autosuffisant Empire du Milieu, ayant inventé entre autres la soie, la porcelaine, le thé. Pour se procurer ces produits de luxe, l’Europe du XVIIe siècle, avait ouvert un long corridor terrestre: la Route de la soie.
> Au début du XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne importa une quantité toujours croissante de thé, de soie et de porcelaine. Elle réglait ses achats en or et en argent métal, les Chinois ne voulant pas d’autres moyens de paiement. Les Anglais voulurent ensuite vendre aux Chinois des marchandises pour équilibrer leur balance commerciale, mais ils ne trouvèrent aucun acheteur sur place, le pays étant alors auto-suffisant.
> Furieux, les Britanniques décidèrent de créer de toutes pièces un marché local, qui regroupait à cette époque 400 millions de consommateurs potentiels. On choisit l'opium pour créer ce marché. L'Inde voisine était déjà une colonie britannique, et le pavot, à partir duquel l'opium est fabriqué, y poussait à foison.
> A partir des années 1830, les Britanniques écoulèrent en Chine jusqu'à 1,4 tonnes d'opium par an, mais en 1839, l'empereur prit la décision de stopper net ce trafic. Les canonnières britanniques bombardèrent alors les ports chinois et prirent possession de Hong Kong. En 1843, parut le numéro 1 de la revue "the Economist" qui constate fièrement: "Le libre-échange fera bien plus que n'importe quel autre agent visible pour répandre la civilisation et la moralité".
> L'empereur chinois n'avait pas les moyens militaires pour défendre son pays et dut signer, en 1842, le Traité de Nankin, qui céda Hong Kong aux Britanniques, ouvrit cinq ports au libre-échange et à la libre entrée de l’opium qui inonda encore davantage le pays. Les États-Unis, la France et une douzaine de pays prédateurs profitèrent de cette brèche ouverte par l’Angleterre pour s’y engouffrer et prélever chacun sa part du butin. En 1860, Anglais et Français bombardèrent Pékin et détruisirent le palais de l'empereur, ce qui provoqua la colère de Victor Hugo.
> Le traité de Nankin, le premier des traités inégaux imposés à la Chine, entama pour celle-ci un siècle entier d’humiliations. Elle resta dominée par les puissances étrangères jusqu’en 1949. Aujourd’hui encore, les Chinois appellent cette période coloniale, qui a duré de 1839 à 1949, «le siècle de l’humiliation». En Chine, nombre de livres d’histoire divisent l’histoire du pays en deux grandes époques; non pas celles d’avant et d’après Mao, mais celles d’avant et d’après les "Guerres de l’opium".
> Ce bref rappel historique est important car les décideurs chinois contemporains fondent leur stratégie sur le long terme et préparent dès à présent la réalité de la Chine de 2050. Ce qu'ils n'ont pas oublié de l'Occident, est sa soif de profits immédiats. Patiemment, avec une retenue toute confucéenne, ils surent l'utiliser pour lui subtiliser toute sa technologie et en faire la base de son développement actuel et à venir. L'Occident, tout à sa lubie néoconservatrice, nouvelle mouture US de l'impérialisme et du militarisme, ne s'étant aperçu de rien!
Dans cette optique, quels sont les buts recherchés et en quoi, les Nouvelles Routes de la Soie, sont-elles l'élément moteur de la croissance de la Chine?
> -Il s'agit de s'affranchir définitivement de toute dépendance envers les pays étrangers, au premier rang desquels, les USA. Comment? Par une montée en puissance dans les domaines économiques, militaires et de projection géographique au-delà des frontières du pays pour pouvoir contrer l'adversaire là où il se trouve. Mais aussi en maîtrisant les filières technologiques les plus avancées dans tous les domaines. Le fer de lance, emblème de cette politique, c’est Huawei, une compagnie privée devenue le premier fournisseur mondial d’équipements pour les entreprises de téléphonie et d’internet. Elle détient une avance notable dans le développement de la téléphonie mobile de cinquième génération : le 5G. De quoi affoler les élites états-uniennes qui considèrent la haute technologie numérique comme la ligne de front dans la guerre pour l’hégémonie mondiale.
> -Il s'agit ensuite pour ce pays de prendre sa place au centre des affaires du monde. Derrière la guerre commerciale en cours se profile une guerre de pouvoir. Mais contrairement à l’URSS qui, au temps de la guerre froide, visait à renverser les États-Unis et le système capitaliste, la Chine ne vise pas le renversement des États-Unis, ni la destruction de l'idéologie néo-conservatrice, bien que celle-ci, risque bien de transformer les USA et son arrière-cour européenne en tigre de papier. Alors que L’URSS boudait les organisations internationales, la Chine y adhère de plain-pied… à sa manière. Elle s’inscrit dans la globalisation capitaliste, tout en maintenant son indépendance.
> -Enfin, la Chine cherche à affirmer sa prééminence sur toute l’Asie du Sud-Est. Pour ce faire, elle parraine deux imposantes organisations:
> Le Partenariat économique régional global (carte 1) lancé en 2012, qui regroupe 15 pays; un accord de libre-échange qui laisse toute leur autonomie aux gouvernements nationaux, contrairement au néolibéralisme occidental qui fait primer le marché tel qu'il le conçoit sur le politique, vidant ainsi la démocratie de son sens, et dont la puissance tutélaire impose et fait imposer des sanctions aux pays dont les dirigeants ne leur conviennent pas.
> L’Organisation de Coopération de Shanghai (carte 2), créé en 1996, qui regroupe six pays : La Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghzistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan. Il s’agit d’une alliance politique, économique et militaire eurasienne, les dirigeants de Pékin ayant à cœur d'arrimer la plus grande partie de ce qui composait l'URSS à leur univers. Ils ont en cela, été grandement aidé par l'aveuglement des dirigeants européens qui n'ont pas compris ce que pouvait leur apporter une politique reposant sur un principe d'égalité et de non-ingérence avec leur ancien adversaire.
Pour couronner tout ceci, le président Xi Jinping a annoncé en 2013 un projet pharaonique, les "Nouvelles Routes de la Soie", dont le but est de relier la Chine, par voie terrestre, à l’Europe d'une part, à l’Afrique par voie maritime d'autre part. L'investissement total avoisinera les 1 000 milliards de $, ce qui représente moins de la moitié des sommes engagées par les USA au XXIe siècle dans leurs guerres (carte 3).
> Les Européens, pour un grand nombre d'entre eux, considèrent cette initiative comme une menace et non comme une opportunité. Mais il faut voir les choses dans leur réalité. La menace pour les Européens, comme nous l'avons vu lors du dernier café politique, vient davantage des USA que de n'importe quel autre pays (extraterritorialité de leur ordre juridique, extension de l'OTAN, guerres d'agression au Proche-Orient) . Ceux-ci viennent, une fois de plus, d'exercer le droit qu'ils se sont attribués d'intervenir directement dans les affaires européennes, en tentant de saborder le projet "North stream II". Ils s'arrogent le droit d'intimider et de rançonner les pays européens afin de poursuivre leurs guerres impérialistes (les Européens étant "invités" à acheter du gaz de schiste liquéfié US plutôt que du gaz russe). La prétendue "construction de l'Europe", initiée en 1949 également, n'ayant débouché que sur la complète vassalisation des pays européens, tant économique et diplomatique que militaire.
> Alors que la Chine est le seul pays des membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU à n'avoir tiré aucun coup de feu à l'extérieur de ses frontières ces 30 dernières années. Les USA, en 2016, alors pourtant dirigés par un prix Nobel de la paix, ont, durant cette seule année, largué 26 000 bombes sur 7 pays. De même, la propagande occidentale se désole du sort des musulmans du Xingjang (Ouighours), mais le récent sommet islamique du Kuala Lumpur, en Malaisie, où une Arabie Saoudite de plus en plus servile vis-à-vis des intérêts des USA était absente, n'en a pas fait état. On peut subodorer que le camp impérialiste aimerait bien créer une nouvelle Tchétchénie en Chine et se sert pour cela de la propagande wahhabite qui fonctionne si bien en d'autres lieux (Sahel - Proche-Orient en général et Syrie en particulier). Le terrorisme en Chine est traqué sans relâche, mais les 35 000 mosquées ouvertes dans le pays fonctionnent sans problème, du moins lorsqu'elles ne se préoccupent que de questions relatives au culte.
> Enfin, est-il sensé de ne pas suivre avec intérêt l'évolution d'un pays dont les habitants, en 1950, avaient un niveau comparable à celui de l'Inde ou encore de l'Afrique subsaharienne. En quelques décennies, il est devenu le premier partenaire commercial de 130 pays, a contribué à 30% de la croissance mondiale au cours des dix dernières années et réalise 41% du commerce mondial (en croissance de 119 md $ rien qu'en 2019). En 20 ans, le salaire moyen a doublé (il a stagné en Occident), le taux de pauvreté passant de 95% de la population en 1980 à 3% aujourd'hui (chiffres de la Banque mondiale). Le PNB par habitant a été multiplié par 17 en 40 ans.
> La Chine est le premier investisseur mondial dans les énergies renouvelables. Elle possède 60% des panneaux solaires et 50% des éoliennes de la planète. 99% des bus électriques en service dans le monde sont fabriqués en Chine et elle fournit 50% des véhicules électriques en circulation dans le monde.
> La Chine a aussi le réseau ferré à grande vitesse le plus grand de la planète (28 000 km actuellement contre 0 aux USA). 10 000 autres km sont prévus ainsi qu'une ligne Pékin-Moscou nécessitant un investissement de 200 Md de $ (la vitesse de ces trains étant de 350 km/h). L’entreprise publique chinoise CRRC est numéro un mondial de la construction de TGV : elle fabrique 200 trains par an et travaille pour 80 pays. Enfin, la Chine a engagé la plus grande opération de reboisement de la planète (35 millions d’hectares). Prenant au sérieux la pollution de l’atmosphère dans la région de Pékin, elle a réussi à y réduire de 50% les émissions de particules toxiques en cinq ans.
> Tout ceci, l'Occident, si sûr de ses valeurs, ne veut pas le voir, ne voulant retenir qu'il ne s'agit que d'une autocratie soumise à la dictature d'un parti unique. Peut-être, mais les Chinois qui peuvent se le permettre, voyagent librement à l'étranger et reviennent ensuite chez eux. Et de toute façon, l'Occident n'a ni la possibilité, ni surtout la légitimité pour imposer des changements de régime dans d'autres pays; qu'il se contente donc de ses abstractions théoriques!
Il s'est donc agi, pour le parti unique, le PCC, de réaliser un "compromis acrobatique" avec le capitalisme que n'a, dans un premier temps, pas su faire la Russie, laquelle a failli être engloutie dans l'impasse néo-libérale avant que l'équipe de Poutine n'y mette un terme...pour revenir, suite à la reprise par les manœuvriers du Pentagone et du Département d'Etat de la guerre froide, à une stratégie post-soviétique de priorité absolue accordée au développement des forces armées. Ce qui a failli l'engloutir à nouveau en 2014, n'eut été l'intervention salvatrice de la Chine pour sauver sa monnaie. Jusqu'en 2015, la majeure partie des investissements, en Russie et provenant de la Russie, se réalisait avec les pays européens. Le "partenariat stratégique" avec l'Europe que cherchait à promouvoir le Kremlin au début des années 2000 est désormais mort et enterré. A la grande satisfaction de Pékin, les conditions ont donc été réunies pour un décentrage de la politique étrangère russe par rapport au monde occidental, décentrage que Pékin met dorénavant en avant auprès de l'ensemble des pays qu'elle veut associer à son projet. L'argument choc étant la protection offerte contre la politique de sanctions conduite par les USA et suivie servilement par les pays européens.
> Pour autant, le Chine ne se contente pas d'intégrer progressivement toute l'Asie centrale et méridionale à sa sphère d'influence économique, son ambition concerne également l'Afrique et l'Europe. Le but est d'écouler sa surproduction, quitte pour cela à financer l'infrastructure ferroviaire, autoroutière et portuaire des pays contactés. Bien évidemment, avant d'accorder des prêts, elle prend des garanties, c'est ainsi que le Sri-Lanka, ne pouvant rembourser les sommes avancées, a dû transférer à la Chine la propriété d'un port que celle-ci venait de construire. L’Asie centrale et ses ressources en hydrocarbures en font une région privilégiée par Pékin pour développer son expansion économique et compenser ainsi une croissance intérieure à l'heure actuelle en baisse. Pour assurer le financement de l'ensemble, elle a créé la Banque Asiatique d'Investissement pour les Infrastructures dont le but affiché est de contrer le FMI et l'hégémonie du $. Ce qui ne l'empêche pas de revendiquer et d'obtenir d'être intégré aux "droits de tirages spéciaux", qui est en quelque sorte la monnaie du FMI et dont le rôle a été de remplacer l'or physique dans les échanges entre banques centrales. D'ores et déjà, des accords de financement ont été conclus entre différents pays européens, notamment d'anciens pays de l'Est, mais aussi les pays baltes, ceux de l'ancienne Yougoslavie, la Grèce et, en 2019, l'Italie (1ere puissance du G7 à l'avoir fait). L'Allemagne, un des principaux destinataires finaux principaux de la route continentale, laisse faire, ne pouvant exercer sa tutelle sur toute l'Europe. Elle appelle les pays d'Europe à être vigilants quant à la transparence des appels d'offre mais n'acceptera toutefois pas de financement chinois sur son territoire. La position de la France reste calquée sur celle de l'Allemagne.
> À l’automne 2013 le président Xi Jinping dévoilait son intention de mettre en œuvre simultanément les projets transcontinentaux par voie terrestre et ceux intercontinentaux par voie maritime, étant établi que l'intégration progressive d'un nombre toujours croissant de pays africains ne pourrait se faire que par ce biais. Pour sécuriser celle-ci et faire face à une éventuelle menace militaire US, la Chine a considérablement augmenté ses dépenses militaires, privilégiant la marine; celles-ci cependant représentent moins du tiers des dépenses US.
> Les bons chiffres alignés par l'économie chinoise sont le fruit d’une politique délibérée de massifs investissements publics. Renforcée au lendemain de la crise financière de 2008, cette politique a contribué à sauver une croissance mondiale malmenée par l’irresponsabilité de Wall Street, l'autre vecteur de sortie de crise étant l'endettement massif des Etats occidentaux pour soutenir la création monétaire unilatéralement décidée par les banques centrales "indépendantes". La ploutocratie occidentale, qui exerce la réalité du pouvoir dans les pays concernés, n'a cependant aucune volonté de travailler de concert avec la méritocratie chinoise alors que celle-ci a contribué à la sortie d'une crise dont elle n'était en rien responsable. Mais l'une ne vise que la concentration du capital entre une oligarchie de plus en plus resserrée alors que l'autre veut accélérer la marche du pays vers la « société de moyenne aisance » qui est l’objectif affiché par les dirigeants du pays. Pour franchir cette nouvelle étape de leur développement, les Chinois comptent bien évidemment également sur le dynamisme d’un vaste secteur privé, mais qui reste sous le contrôle de l'Etat. Le puissant réseau d’entreprises d’État qui ont bénéficié de la taille considérable du marché intérieur chinois ayant vocation à rester opérationnel. Le meilleur exemple est sans doute celui de l’entreprise de construction ferroviaire CRRC, devenue numéro un mondial pour la production de trains à grande vitesse. Active dans 102 pays, cette entreprise compte 180 000 salariés. On rappellera qu'elle construit 200 trains par an, contre 35 pour le duo Siemens-Alstom qui, même unifié en une seule entreprise, ne pourra, sans un investissement massif public ou privé, concurrencer CRRC. Cette réussite d’un mastodonte public a de quoi faire réfléchir les tenants du néolibéralisme concernant les paramètres de la croissance économique, mais il y a peu de chance qu’ils en tirent les conclusions qui s’imposent, leur but n'étant pas la croissance économique, qu'elle verte ou non, mais la poursuite de la dérégulation financière et l'instauration du droit mis au service des multinationales, de la financiarisation et du démantèlement des Etats (sauf celui des USA, puissance initiatrice et tutélaire de l'idéologie de la dérégulation).
> Dès 2011, le train chinois « Yuxinou » reliait Chongqing, ville de plus de 30 millions d'habitants surgie "ex nihilo" de la campagne chinoise, au port fluvial allemand de Duisbourg, ville située dans le bassin industriel de la Ruhr et premier port intérieur mondial. Depuis, la fréquence atteint entre 3 et 4 départs hebdomadaires. Le trajet de 11 179 km prend entre 13 et 16 jours, à comparer aux 36 jours nécessaires aux bateaux porte-conteneurs. Le train Yuxinou est cogéré par Trans Eurasia Logistics, une coentreprise entre la Deutsche Bahn, la Kasachstan Temir Scholy, la China Railway Corporation et la Compagnie des chemins de fer russes. Ce sont des trains de 70 wagons roulant à 100km/h, pouvant transporter 4000 tonnes de marchandises). A distance égale, ce type de train consomme 2,5 fois moins d'énergie que la voie maritime, 5,5 fois moins que les camions poids lourds et 24 fois moins que l’avion, le problème, à l'heure actuelle, restant celui des formalités douanières entre les différents pays traversés.
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> Maintenant, la Chine doit s'appuyer sur l'international pour poursuivre son développement. Regroupant 18% de la population mondiale, elle ne dispose que de 7% des terres agricoles fertiles et extrait seulement 5% du pétrole mondial. Proportionnellement les Etats-Unis ont 8 fois plus de minerai et la Russie 31 fois plus. En outre le pays produit beaucoup plus de biens qu’il n’en consomme lui-même. Le président US, D. Trump, constatant qu'en 2018, la balance commerciale des USA accuse un déficit de 317 milliards de $, s'en irrite et lance sa guerre commerciale pour faire plier la Chine et l'obliger à augmenter ses importations. Trump obtint un accord et cria victoire, mais quand on regarde en quoi il consiste, on voit que la Chine s'est engagée à augmenter ses importations...de produits agricoles et d'énergie, ce qui signifie qu'à terme, le pouvoir de nuisance des USA va progressivement s'amenuiser. Trump peut jouer au matamore de corrida, mais le taureau chinois pourrait bien finir par l'encorner. Il resterait bien la solution militaire, mais l'Occident ayant poussé une Russie, disposant d'une avance technologique dans les armements reconnue par les experts en la matière, dans les bras de la Chine, cette solution ne dépassera pas le stade d'hypothèse farfelue.
(1), les chiffres indiqués sont issus de différents numéros du "Monde diplomatique" et du site "mondialisation.ca"
Jean-Luc