PHILOUSOPHE
Va-t-on vers la défaite de l'Occident?
par Jean Luc, suivi de la contradiction aux thèses de Todd par N.Bouzou
On aime bien, à l'heure actuelle, gloser sur l'opposition entre un Occident libéral, dirigé par Washington et cherchant à s'affirmer, face à un Orient despotique, incarné notamment par le Kremlin. On oublie que la Russie post-soviétique avait cherché à s'intégrer à l'Occident jusqu'en 2006; puis elle avait compris que les USA ne cherchaient pas d'allié véritable mais uniquement des exécutants serviles de ses volontés. Un ministre socialiste français, J.-P. Urvoas, n'avait-il pas déclaré, le 22.10.2013, que "les USA n'avaient pas d'alliés, mais uniquement des cibles ou des vassaux"? Il n'aurait pas dû en être étonné. Z. Brzezinski, dans le Grand Echiquier paru en 1997, avait écrit: "Puisque la puissance sans précédent des États-Unis est vouée à décliner, la priorité est donc de gérer l’émergence de nouvelles puissances mondiales de façon à ce qu’elles ne mettent pas en péril la suprématie américaine... une Europe plus vaste permettrait d’accroître la portée de l’influence américaine... L’Europe de l’Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses États rappellent ce qu’étaient jadis vassaux et tributaires d’anciens empires". La vassalisation de l'Europe s'était étendue jusqu'à la Russie durant la période eltsinienne, laquelle avait assumé l'héritage de l'URSS, puis son successeur, V. Poutine, y mit un terme. L'Europe de l'ouest n'a pas voulu suivre ce chemin. Elle est restée coi lorsqu'en 2002, les USA ont dénoncé le traité ABM, interdisant les missiles anti-balistiques qui avait été signé en 1972 par ce pays USA et l'URSS. Elle ne se manifesta pas davantage lorsque les USA, en 2019, dénoncèrent le traité sur "les forces nucléaires à portée intermédiaire" signé en 1987. Entretemps, la crise financière de 2008 avait rendu possible l'émergence de la globalisation financière pilotée depuis les USA. Elle fut malencontreusement soutenue par une Chine encore trop peu sûre d'elle-même et qui avait cru naïvement que les USA pouvaient être un partenaire fiable.
Le $, instrument essentiel de la globalisation, est, depuis les années 1960, la principale monnaie d'usage dans les échanges internationaux. Il allait désormais être le seul, d'autant que, grâce à la crise de 2008, sous couvert de "moralisation du capitalisme", les paradis fiscaux seraient voués à disparaître, à l'exception toutefois de ceux contrôlés directement par les USA. Le $ serait désormais la monnaie de tous les très riches de la planète. Se requalifiant eux-mêmes en philanthropes, ils ambitionnèrent de régner en maître dans un monde globalisé et de régir l'économie, à tout le moins sa financiarisation, en fonction de leurs intérêts. Un système qui se proclama néolibéral, fondé sur les principes de la "société ouverte" (open society), reléguant aux oubliettes les notions de nation, de souveraineté et d'expression populaire. Cette élite financière représente 0,1% de la population US, leur excroissance la plus extraordinaire est ce qui est appelé aux USA, par les Trumpistes notamment, le "blob", du nom d'un organisme unicellulaire d'aspect visqueux. C'est ce "blob" qui gère la politique étrangère; on y cultive l'entre-soi, on fait en sorte qu'une part toujours croissante du budget de l'Etat fédéral soit consacrée à la résolution de questions internationales. Ce blob n'est plus seulement impérialiste, il tend à devenir parasitaire en ce sens qu'il se nourrit de conflits qu'il prend grand soin d'embraser et d'entretenir. Il a réussi à marginaliser la presse d'opinion, celle qui décrit les enjeux et clarifie les débats et qui est à présent qualifiée de complotiste. La raison doit s'effacer devant l'émotion. Que ce fut au Vietnam, en Iran par Irak interposé, à 2 reprises en Irak même, en Serbie, en Libye, en Somalie, en Syrie, en Afghanistan et maintenant en Ukraine, à Gaza et au Yemen, en attendant Taïwan, le "blob" prend bien soin de ne définir aucun objectif de guerre, de n'établir aucun plan d'ensemble établi, de ne rien anticiper sur la fin des guerres ni à quelles conditions, elles pourraient être arrêtées. Tantôt il s'agit d'armer des "rebelles" qui rêveraient de démocratie (Libye, Syrie, Irak, Afghanistan), alors qu'ils ne rêvent en réalité que de califat, tantôt il s'agit de se mettre à la remorque d'ultra-nationalistes radicaux (Azerbaïdjan, Ukraine et Israël). Concernant ce dernier, on nous dit que ce pays a le droit de se défendre, mais alors qu'en est-il de la défense des Palestiniens, victimes de violations du droit international depuis 1947, lesquelles ont été engendrées par la non-application par Israël (avec l'inconditionnel soutien occidental) de dizaines de résolutions de l'ONU? Quant à la Russie, il s'agissait, en se servant de l'appât ukrainien, d'affaiblir l'Etat russe en détruisant son économie par le biais de sanctions. Et ceci, en application de la théorie dite de la "full-spectrum dominance", définie par la Département de la défense US, comme étant "l'effet cumulatif de la domination dans les domaines aérien, terrestre, maritime et spatial et de l’environnement de l’information, y compris le cyberespace, et qui permet la conduite d’opérations conjointes sans opposition efficace ni interférence prohibitive".
L'Europe plus particulièrement, a servi de laboratoire pour mener à bien l'affaiblissement et l'effacement progressif du concept de nation au profit d'une gouvernance mondiale qui reste à définir si tant est qu'elle se réalise un jour. La manœuvre a été initiée et dirigée par les néoconservateurs US. Ceux-ci sont aussi radicalisés politiquement que les néolibéraux le sont économiquement. Le résultat de cette politique a été la lente désintégration de l'ensemble de la zone qu'ils contrôlent, une zone incluant du reste les USA. Ceux-ci ne voulant reconnaître qu'ils se sont fourvoyés en adoptant de telles extravagances, tentent de masquer cet état de fait par un bellicisme de plus en plus outrancier (4% de la population mondiale, mais près de 50% des dépenses d'armement mondiales). Cette politique a mené à la désindustrialisation, prélude à la désagrégation progressive de l'Occident. Une illustration frappante de ceci est le déficit de l’OTAN dans la production d’armes pour le front ukrainien. E. Todd, dans son dernier ouvrage ("la défaite de l'Occident"), considère que la désindustrialisation a été induite en faisant parvenir au "degré zéro" la matrice religieuse de l’Occident, à savoir le protestantisme, dont les exigences furent bien analysées en son temps par Max Weber. Cette religion, bien plus que le catholicisme resté plutôt "bling-bling" dans ses expressions publiques, avait donné aux Occidentaux les outils conceptuels leur permettant de forger un ordre politique favorisant un essor économique vigoureux. L'auteur affirme: "Si le protestantisme a été la matrice de l’ascension de l’Occident, sa mort, aujourd’hui, est la cause de sa désintégration et de sa défaite". Le protestantisme a imposé l’alphabétisation universelle aux populations qu’il contrôlait, "parce que tous les fidèles devaient avoir un accès direct aux Saintes Écritures". Une population alphabétisée devient capable de développement économique et technologique. "Le facteur crucial de l’ascension de l’Occident a été l’attachement du protestantisme à l’alphabétisation" La "religion protestante a modelé, par accident, une main-d’œuvre supérieure et efficace". Et c’est ainsi que l’Allemagne s'est retrouvée "au cœur du développement occidental". L’effondrement du protestantisme aurait donc détruit l’éthique du travail au profit finalement d'une oligarchie s'enrichissant au-delà de toute décence grâce à la dérégularisation financière qu'elle a réussi à imposer. On peut répondre à cela que la méritocratie républicaine à la française, établi sur un fondement de rationalité empreint de laïcité, aurait pu être une solution écartant cette dérive, mais la France a, elle aussi, et surtout depuis 2007, choisi la voie du renoncement et de l'effacement. Moscou l'a bien compris et s'est activé, avec succès, à faire passer ce message dans toute l'Afrique francophone.
Comment de telles évolutions ont-elles pu se faire? L'affaissement de l'éthique protestante aurait transformé le capitalisme patriarcal en ce que l'analyste Michel Glouscard a nommé le capitalisme de la séduction (1); celui-ci aurait ensuite généré, pour s'imposer d'abord, pour survivre ensuite, une création monétaire infinie, laquelle a été rendue possible par des banques centrales indépendantes des Etats. Une création monétaire qui a, pour une grande part récupérée par les classes dirigeantes qui manipulent ces banques supposément indépendantes. Au cours des décennies 1970-1980, l'esprit autoritaire et répressif des "pères fondateurs" du capitalisme aurait été évacué au profit d'un état d'esprit libertaire, lui-même en cours de dissolution du fait de l'apparition de l'exigence libertarienne: tout se monnaye, rien ne doit échapper à la monétisation. Une avalanche de normes fera en sorte qu'il n'existera bientôt plus ni service public ni une quelconque activité échappant à l'emprise des marchés financiers. Le capitalisme patriarcal s'était présenté comme une rédemption, un rachat du péché originel, le capitalisme de la séduction, fondé sur la valorisation des transgressions, a pu se présenter comme étant celui de l'absolution. Avec lui, la culpabilité propre aux monothéismes disparaît. Naturellement, comme il ne saurait être question de richesse pour tous, la classe dirigeante véhiculera l'idée de transgression pour tous, faisant passer auprès de la vile canaille cette lubie pour une liberté permettant l'acquisition de nouveaux droits. Le néolibéralisme peut se définir comme ce qui a altéré et perverti les idées novatrices nées au siècle des Lumières. Elles ont été remodelées pour permettre, après la phase libertaire, l'avènement du libertarianisme, lui-même accoucheur d'un capitalisme qui sera cette fois-ci de surveillance. C'est la nouvelle exigence des marchés financiers mondialisés dirigés par l'"upper-class": la transformation numérique de la société permettra à terme la multiplication de pass rendant à tous la vie infernale; l'évolution du capitalisme se transformera ainsi en un capitalisme disciplinaire. Le but recherché étant la concentration croissante du capital, capital essentiellement créé, répétons-le, par la création ad libitum de la monnaie par les banques centrales et non plus par l'industrie. Bien évidemment, il s'en suivra la militarisation des sociétés, la guerre étant toujours un moyen commode de neutraliser les "classes dangereuses". C'est ce qui explique la montée du bellicisme en Occident. En France a été adoptée, en 2023, une nouvelle loi de programmation militaire. Dans son article L. 2212-6, tiret 1, on peut lire: " Dans le respect du présent titre, peut être soumis à une mesure de réquisition, toute personne physique présente sur le territoire national". On comprend l'enthousiasme de certains politiciens pour la guerre impérialiste...
En attendant l'avènement de la guerre généralisée qui, comme toujours, sera "un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas" (Paul Valéry), la mise en œuvre d'une telle politique a d'ores et déjà des conséquences sociales: aux USA, l'espérance de vie est en recul, 42% de la population est atteinte d'obésité et l'on compte 531 prisonniers par million d'habitants, un record absolu, et qui ne pacifie en rien une société US par ailleurs de plus en plus violente. L'"upper-class" n'a pas hésité, comme la bourgeoisie dans l'Europe des années 1930, à contrer la lutte des classes par la si commode lutte raciale, cette fois-ci derrière un verbiage gauchiste de défense des minorités et de condamnation de l'expression populaire, qualifiée de populiste. Si l'on compare la situation des USA avec la Russie depuis l'accession de M. Poutine au pouvoir, le nombre d'homicides par an dans son pays a été divisé par 4, celui des suicides par 6, le taux de mortalité par alcoolisme par 3, et enfin la mortalité infantile est désormais inférieure à celle des USA. La Russie, dont le peu qui fonctionnait au moment de la chute du communisme, s'était complètement effondrée lors de l'application de la "thérapie de choc" concoctée en Occident. Elle avait alors instauré le "turbo-capitalisme", cher aux Chicago Boys. Celui-ci fut balayé lors de l'accession de M. Poutine au pouvoir; depuis, les résultats sont au rendez-vous: la Russie est à présent devenue exportatrice de produits agricoles à hauteur de 30 milliards de $, alors que depuis l'émergence du néolibéralisme, la production agricole US a baissé d'un tiers. Elle est le premier exportateur de centrales nucléaires avec, à l'heure actuelle, 35 réacteurs en construction à l'étranger. L'Occident pensait mettre la Russie à genoux en la coupant du système interbancaire SWIFT, une mesure qui n'a guère eu plus d'effet que quelques gouttes de pluie sur les plumes d'un canard. Ce qui indique qu'elle a acquis une parfaite maîtrise des systèmes informatiques, lui permettant, ainsi qu'à l'ensemble de BRICS +, de s'affranchir de la pesante et humiliante tutelle occidentale. Les BRICS + regroupant, outre la Russie qui en assure la présidence cette année, la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud, l'Ethiopie, l'Egypte, l'Arabie Saoudite, l'Iran ainsi que les Emirats arabes Unis. Autant de pays qui rejettent l'idée d'un monde unipolaire dirigé par les seuls USA. Ils sont peu ou prou suivis par un nombre croissant de pays de ce qu'on nomme à Moscou, le "Sud global".
La classe dirigeante US et, par-delà, occidentale, a commencé à s'attaquer à la puissance publique autour des années 1980, lors de la mise en œuvre des théories dites néolibérales dont le credo était: "l'Etat n'est pas la solution, il est le problème". Cette fuite en avant vers le "turbo-capitalisme", s'est accompagné d'un "nihilisme impérial exprimé par l’obsession des guerres" pour se donner, à défaut de grandeur, l'illusion de la puissance. Pourtant, en 2021, le PIB combiné de la Russie et de la Biélorussie ne représentait que 3,3% de celui de l’Occident réuni (en l’occurrence la sphère de l’OTAN plus le Japon et la Corée du Sud). E. Todd constate que ces 3,3%, capables de produire plus d’armes que l’ensemble du colosse occidental, non seulement semblent gagner la guerre en Ukraine, mais réduisent à néant les notions dominantes de l’"économie politique néolibérale", laquelle est vue par un nombre croissant de pays comme une charlatanerie. Mais il est à noter que le PIB russe n'inclut que la production industrielle, alors que celui des USA, plus encore que celui des autres pays occidentaux, comprend les salaires mirobolants d'une pléthore d'analystes financiers, de stratèges en optimisation fiscale, d'économistes se gargarisant de théories fumeuses et de nuées d'avocats pour les défendre les uns contre les autres, car tous se combattent vigoureusement par tribunaux interposés. Tout ceci brasse énormément d'argent, mais produit moins de valeur réelle qu'un rémouleur de foire.
Alors que le capitalisme, tel qu'analysé par Max Weber, avait construit le marché, le néolibéralisme détruit l'ensemble de l'économie. Il n'excelle que dans la prédation, d'où son goût pour les aventures militaires car elles permettent le pillage de pays vaincus. Il déclare qu'est haineux quiconque l'analyse objectivement et ce, avant même qu'il n'ait songé à le critiquer. En se voulant non weberien, débarrassé de l'éthique protestante qui lui avait assuré un fondement spirituel, il est devenu non seulement amoral mais également inefficace. La "destruction créatrice", chère à Joseph Schumpeter est devenue la destruction tout court.
La production industrielle US représentait 45% du total mondial en 1945, elle n'en représente plus que 17 % aujourd'hui. Le pays qui avait voulu répandre l'illusion que la modernisation du monde passerait par son occidentalisation, qu'il aurait dirigé, sent le sol vaciller sous ses pieds. L'"ordre fondé sur des règles" devait avoir pour but d'assurer la prééminence US dans les affaires mondiales. N'y étant parvenu, l'Empire se rétracte sur ses protectorats, lesquels représentent la base ultime de sa puissance. Au besoin en les soumettant en usant de brutalité, comme on l'a vu avec le sabotage des Nord-Streams. Agiter l'hystérie antirusse fait partie de leur stratégie, la lutte contre le communisme était si commode que l'on fait comme si celui-ci existait encore. En réalité, la désignation d'un bouc émissaire renseigne toujours plus sur l'accusateur que sur la victime. Celui-ci étale aux yeux de tous, son impuissance a conduire le monde selon ses lubies et son inaptitude à assurer une direction qui ne serait pas humiliante pour ses subordonnés. Il arrive parfois qu'un conflit local échappe à ses radars, celui-ci a alors toutes les chances d'être réglé pacifiquement, comme le divorce Tchéquie-Slovaquie. A n'en pas douter, le conflit, d'abord linguistique, entre l'Ukraine "ukrainophone" et le Donbass russophone aurait pu être réglé de la même manière. Mais l'occasion était trop belle, faire en sorte que s'entretuent entre eux ceux qui furent des Soviétiques permettrait aux USA, en armant l'un des 2 camps, de dézinguer la Russie!
L'Europe, par suivisme et par manque d'ambition, a adopté, après la chute de l'URSS, la feuille de route US. Ce faisant, elle a dû faire le rude apprentissage de la servitude. Elle a accepté d'introduire dans ses credos les divagations américaines sur le sexe et la race. Répétons-le, on est revenu aux années 1930 où les théories raciales étaient alors censées venir à bout de la lutte des classes. Aujourd'hui, c'est la notion de souveraineté qu'il s'agit d'éradiquer. Pour faire du neuf avec du vieux, on saupoudre cela de fantasmagories sexuelles comme la théorie du genre. Un sommet dans ces élucubrations fut atteint avec l'éphémère 1ere ministre britannique, Liz Truss, s'était vantée que 4 des membres les plus importants de son gouvernement n'étaient ni masculins, ni blancs. Pourquoi s'engouffrer dans de telles régressions qui évacuent tout concept politique? De même que les théories marxistes ont fait, tout au long du 20e siècle, la démonstration qu'elles pouvaient être un excellent outil d'analyse, bien que ses finalités (la société sans classes) étaient irréalistes, il apparaîtra bientôt que l'idée de gouvernance mondiale (évidemment sous direction US) n'est qu'une galéjade destinée à masquer la liquidation de l'idée de souveraineté et donc de démocratie. E. Todd parle de l'apparition en Occident d'un "narcissisme idéologique". Celui-ci se déclare génial, porteur de valeurs universelles, alors que le "Sud global" a compris que l'Occident ne savait exceller que dans le vide conceptuel qu'il répandait. Est vilipendé comme complotiste quiconque ne souscrit pas à son délire. Pendant ce temps, sont escamotés les vrais problèmes mais cela permet de masquer l’implosion, étape après étape, de la culture WASP, qui, si elle était critiquable, avait du moins le mérite d'exister. Ce narcissime s'exprime par "une expansion militaire accentuée, dans une phase de contraction massive de sa base industrielle", souligne encore E. Todd.
Les credos que véhiculent à présent le néolibéralisme sont confondants d'infantilisme. Ainsi, on nous serine que "l’individu serait plus grand s’il était libéré du collectif". Le collectif, cad les déterminismes aliénants qu'ils sont supposés véhiculer. Or cela a conduit à une débâcle désolante :" Maintenant que nous sommes libérés, en masse, des croyances d'ordre métaphysiques, fondatrices et dérivées, communistes, socialistes ou nationalistes, nous vivons l’expérience du vide" (Todd). Et c’est ainsi que nous sommes devenus "une multitude de nains mimétiques qui n’osent pas penser par eux-mêmes, mais se révèlent aussi capables d’intolérance que les croyants de l’Antiquité". En effet, qu'est la cancel culture des wokistes sinon une manifestation de gens mentalement déséquilibrés, laquelle manifestation a pris racine sur des litotes du genre: there is no alternative; yes, we can, ou encore: wir schaffen das. Le tout étant transcendé par les merveilleux syllogismes que permet le "en même temps". Tout ce que je fais est bien, mais si, en même temps, je fais l'inverse, c'est bien aussi. Donc, si je dis une chose et je fais son contraire, c'est nécessairement bien.
Et ainsi, affichant leur bonne foi, les dirigeants européens ont abandonné toute volonté à défendre les intérêts de l’Europe. Ils se sont ainsi coupés de l’énergie et des liens commerciaux avec son partenaire naturel, la Russie. Ils se sont ainsi sanctionnés sans même s'interroger si ces actions pouvaient avoir une quelconque incidence sur le front ukrainien. La moraline (les "valeurs" de l'Occident) et le slogan remplacent l'analyse rationnelle; Todd note l'apparition d'un axe Londres-Varsovie-Kiev, remplaçant un couple franco-allemand devenu fantomatique. C'est "la fin de l’Europe en tant qu’acteur géopolitique autonome". Et cela s’est produit 20 ans à peine après l’opposition commune de la France, de l’Allemagne et de la Russie à la guerre néoconservatrice contre l’Irak. La guerre actuelle en Ukraine, s'il est improbable qu'elle finisse par une victoire pour les USA, a du moins permis une nouvelle étape dans la réduction du rôle de l'Europe à un rang de subalterne et donc, pour la puissance impériale, de renforcer le contrôle qu'elle exerce sur elle. Peut-être est-ce là ce qui était vraiment recherché. Après l'affront de 2003, la cheffe de la diplomatie US, C. Rice, n'avait-elle pas déclarée "qu'il fallait punir la France, ignorer l'Allemagne et pardonner à la Russie"? De fait, les 2 premiers ont pensé sauver la mise en faisant assaut de servilité, ce à quoi s'est refusé la Russie.
Le vrai problème, au niveau mondial, n'est pas une supposée volonté de conquête russe, volonté en réalité totalement inexistante puisque la Russie a déjà bien du mal à occuper et à valoriser son immense territoire de 17 millions de km2, mais le vrai problème est le trou noir US, qui, notamment depuis la présidence Biden, se laisse hypnotiser par des ultra-nationalistes qui le manipulent à loisir, tant en Ukraine que, jusqu'à présent du moins, en Israël. L'Occident se considère comme la "communauté internationale", et, au nom de l'unilatéralisme auquel prétend son commandant en chef, s'arroge le droit de déconsidérer tout propos critique concernant son action. Ainsi le fait de chercher à connaître l'évolution de l'Ukraine depuis le coup d'Etat de 2014, coup d'Etat orchestré contre un président démocratiquement élu, est-il stigmatisé comme étant de la "poutinolâtrie". De même, le fait de s'interroger sur la piètre considération qu'éprouve Israël envers les résolutions de l'ONU est-il vilipendé comme étant antisémite. Ce terme, actuellement utilisé en Occident à tort et à travers, illustre d'ailleurs à merveille sa stérilité conceptuelle. Rappelons que le personnage biblique, Noé, avait eu 4 fils. Parmi ceux-ci, il y eut Sem, considéré comme le père des peuples s'exprimant dans des langues dont il aurait posé les premiers fondements. Parmi ces langues "sémitiques", il y a notamment l'arabe et l'hébreu. En aucune manière, le yiddish, longtemps parlé par les Juifs d'Europe centrale, ne peut être considéré comme une langue sémitique. Etre antisémite consiste donc en réalité à s'opposer à la fois aux Arabes et aux Israélites s'exprimant en hébreu, ce qui, on en conviendra, est vide de signification.
Depuis les commencements de l'humanité, il n'y a jamais eu d'empire qui ne fût belliciste. L'Occident, sous domination US, n'échappe pas à la règle. A cette fin, il dévalorise tout, l'économie, la morale, la politique, le sens des mots, et bien évidemment ce qui fait la force d'une nation, à savoir la monnaie. Pour l'heure, l'ensemble occidental reste aveuglé par la puissance du $, puissance due à son statut de monnaie internationale qui, jusqu'à ce jour, a pu être préservé. Mais, tout comme son clone, l'€, cette monnaie ne parvient plus à masquer les performances de plus en plus médiocres de l'économie réelle des pays en question; la réponse par une création monétaire insensée n'aura qu'un temps. Il est certes plus facile, quand on est en situation de monopole, de produire de la monnaie que des biens, mais la monnaie qui couvre les besoins d'un Etat désindustrialisé et endetté à hauteur de 32 000 milliards de $ s'érode inexorablement par rapport à des actifs réels comme par exemple, l'or. Ainsi, il fallait 35 $ pour acheter une once d'or en 1971, année où la valeur du $ a été décorrélée de celle de ce métal, il en faut près de 2.000 aujourd'hui. Ceci explique pourquoi les BRICS + stockent des quantités croissantes d'or. Ils font le pari que lorsque sera venu le jour où le $ s'affaissera pour de bon, leurs monnaies verront leur valeur garantie par les stocks d'or de leurs banques nationales. Naturellement, l'€ suit le $ dans cette dérive et même la si vertueuse mais si docile Allemagne, a considéré comme sensé de jeter aux orties son dogme de "Schuldenbremse" (frein à l'endettement) qu'elle avait fourgué dans sa "loi fondamentale". Le grand retour du "Drang nach Osten", sous direction US, mérite bien que l'on oublie tout ce qui avait fait la prospérité de l'Allemagne, ces 60 dernières années. Militariste un jour, militariste toujours, même quand le commandant en chef est étranger!
L'Occident otanien, fort de 887 millions d'habitants, pense que la Russie, abritant seulement 140 millions d'habitants, est faible tant économiquement que militairement. Nous avons vu que l'Occident s'est fourvoyé en infligeant des sanctions à la Russie, sanctions que ne la perturbèrent en rien, les analystes économiques du "sud global" estimant au contraire que la Russie s'est renforcée depuis le début de l'"opération militaire spéciale". L'Otan est vue par les anti-impérialistes comme un simple instrument de projection de puissance pour opérer les changements de régime voulu par les USA. Il est à souhaiter que les généraux qui la dirigent fassent preuve de plus de lucidité et de clairvoyance que les économistes occidentaux qui pensaient, en usant de sanctions, pouvoir mettre la Russie économiquement à genoux. Le Kremlin a tenu en échec les stratèges de l'OTAN sur le front ukrainien, malgré une injection en moyens occidentaux dépassant les 200 milliards de $. Militairement, la Russie n'est donc en rien une force négligeable. Elle a menacé l'Occident de frappes nucléaires tactiques (en 1er usage) si son intégrité territoriale venait à être menacée. Les Européens doivent prendre l'avertissement au sérieux. Les USA ne se lanceront jamais dans une guerre nucléaire pour "sauver" l'Europe. Aucun acteur puissant, dans l'Histoire, n'a jamais pris le moindre risque pour sauver un valet de chambre. Pour l'Europe, le choix est simple: soit se perdre dans un militarisme à outrance, qui aura pour effet de la ruiner définitivement, soit de retrouver la voie de 2003. Une voie gaullienne s'était alors dessinée: il aurait été possible de créer une Europe de l'Atlantique à l'Oural, indépendante des USA, mais la volonté politique, chez les Européens de l'ouest, a manqué. La Russie, qui préside les BRICS + cette année, a vu sa puissance considérablement augmentée par sa synergie avec la Chine. Elle apparait à présent, après l'élimination de la présence française en Afrique, comme la cheville ouvrière permettant au monde asiatique, au monde islamique-tant sunnite que chiite-, et à l'Afrique noire, de travailler à l'émergence et au renforcement d'un monde multipolaire, tout en approfondissant les différentes complémentarités entre ses membres. Le parti communiste chinois est resté léniniste dans son analyse de l'impérialisme. Celui-ci mène toujours à la guerre, mais une politique fondée sur la coopération et non la confrontation permettrait d'en amoindrir le risque. Encore faudrait-il que la partie occidentale le veuille bien.
(1) https://www.youtube.com/watch?v=dhq5qHKge7g&ab_channel=Paroledephilosophe
Jean Luc
Retour vers l'accueil
***********************************************************************************
La défaite de l’Occident ? Quand Emmanuel Todd prend ses rêves pour la réalité.
Dans son dernier ouvrage, l’essayiste assure que l’Occident va mourir et que la Russie a déjà triomphé. Quitte à triturer les données.
Par Nicolas Bouzou et Pierre Bentata* - Publié dans l’Express, le 27/01/2024 à 08:15
Dans La Défaite de l’Occident (Gallimard), celui qui avait prédit, pour de mauvaises raisons, la chute de l’URSS offre une nouvelle prophétie qu’il pense à contre-courant : l’Occident va mourir et la Russie a déjà triomphé. Evidemment, chacun est libre de prendre ses rêves pour des réalités, à condition de ne pas les présenter comme un travail scientifique. Et c’est là le problème de cet essai. Car Emmanuel Todd a beau rappeler à chaque interview qu’il est statisticien, disciple de l’école des Annales, historien et géographe, son travail reste celui d’un idéologue qui tente désespérément de plier les faits à ses désirs. Sa méthode est la suivante : partir de prémisses fausses pour en déduire une hypothèse fallacieuse, triturer les données pour qu’elles confirment son biais initial et en conclure que la science est d’accord avec son idéologie.
Dès les premières lignes, Todd explique qu’en bon wébérien, il considère que la prospérité de l’Occident tient tout entière dans l’existence et la persistance du protestantisme. Or il observe une chute des mariages et des rituels protestants en Occident et particulièrement aux Etats-Unis. Conséquence : le souffle occidental a disparu. On pourrait s’arrêter là, tant l’argumentation a de quoi faire sourire tout sociologue ou anthropologue avec un minimum d’honnêteté intellectuelle. Aucun chercheur ne saurait admettre qu’un phénomène tel que la prospérité ou la stabilité d’une société ne soit le fait d’une unique variable. D’autant plus que la recherche sur les causes et les origines de la richesse de l’Occident a fait l’objet d’un nombre conséquent de travaux académiques de premier plan. Becker et Woessmann ont montré, dès 2009, que l’éducation pour tous, chère aux protestants, avaient joué un rôle majeur dans le développement de l’Europe et des Etats-Unis. Dans Why Nations Fail, Acemoglu et Robinson observent que les déterminants fondamentaux de la prospérité sont la stabilité juridique, la présence d’un état de droit – rule of law – et l’existence d’institutions économiques favorisant la concurrence. Et plusieurs historiens accordent une grande importance à l’émergence de valeurs bourgeoises, dont les racines sont multifactorielles (McCloskey) et sans doute accidentelles (Davies). Plus important encore, Friedrich Hayek a expliqué que la prospérité et la dynamique d’une société étaient d’autant plus grandes que ses membres partageaient des valeurs et des habitudes dont ils avaient oublié la raison d’être. Dès lors, la disparition des rituels protestants ne saurait être un indicateur d’une quelconque décadence. D’après les travaux académiques, une analyse scientifique de l’évolution des sociétés devrait davantage se fonder sur le niveau d’éducation, la stabilité juridique et politique, l’existence d’un état de droit et la solidité de la démocratie.
La culture mondiale est celle des Etats-Unis
La raison pour laquelle Todd refuse de considérer ces travaux est évidente : ils montrent la force de l’Occident et, en son sein, la résilience des Etats-Unis. Autant cacher la vérité. Sauf que, pour affirmer que les Etats-Unis s’appauvrissent, l’auteur ne peut faire l’économie de la construction d’un indicateur de richesse nationale. Puisque le PIB par tête ne confirme pas sa thèse, il en invente un nouveau, le Produit intérieur réel. On passe alors du sophisme au délire pur et simple. En pseudo-marxiste qui considère que seules les productions matérielles ont de la valeur, Todd décide de réduire drastiquement le poids des services dans le PIB américain. Guérir, éduquer, former, tout cela n’a pas de valeur, pas plus que de défendre les droits des citoyens. Non, ce qui compte, c’est la production d’acier et de boulons. On croirait entendre Ceausescu tentant vainement d’acheter des avions européens avec de la ferraille. A l’appui de sa thèse, Todd invoque les dépenses de santé américaines, trop élevées pour révéler une quelconque valeur. Il décide donc que seuls 40 % de ses dépenses sont valables, et applique ce rabotage à l’ensemble des services. Après ce tour de magie, les Etats-Unis sont devenus statistiquement aussi pauvres que les Russes, l’idéologie anti-occidentale est sauve. Todd ne sait pas que, si les dépenses de santé sont si élevées aux Etats-Unis, c’est en grande partie parce que les Américains déboursent beaucoup plus pour leurs médicaments que partout ailleurs sur la planète car, les prix y étant plus libres, les laboratoires font payer aux Américains les faibles tarifs imposés partout ailleurs. Autrement dit, le poids des dépenses de santé aux Etats-Unis ne révèle pas la décadence du pays mais son extraordinaire richesse et son rôle centre dans le financement de la santé mondiale.
Une fois ces réalités rétablies, que reste-t-il de l’argumentation de Todd ? Rien. Et d’ailleurs, il n’était pas nécessaire de lire ce livre pour se convaincre de l’inanité de sa thèse. Il suffisait de regarder autour de soi. La culture mondiale est celle des Etats-Unis ; tout le monde connaît son système judiciaire, consomme ses films et ses séries sur Netflix, rit de ses comiques et parle globish. Que connaît-on de la Russie, de son humour ou de ses séries ? A la fin d’une récente interview, Todd se demandait : "l’histoire dira si je suis l’héritier de Marx et de Weber combinés ou de Woody Allen". Sans être prophète, on peut déjà lui répondre qu’il restera au mieux un disciple de Lyssenko.
* Nicolas Bouzou, chroniqueur à L’Express, dirige le cabinet d’études économiques Asterès
* Pierre Bentata est maître de conférences en économie à la faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille
Retour vers l'accueil
Quels défis stratégiques pour la France ?
Le directeur de l'Institut français des relations internationales, Thomas Gomart, distingue, dans son ouvrage "les ambitions inavouées", 3 groupes de pays dans le contexte géopolitique actuel. Il y aurait ainsi les puissances terrestres (Allemagne, Russie, Chine), les puissances maritimes (USA, G.B., Inde), et enfin les puissances du ciel, ne dissociant pas leurs ambitions politiques de préoccupations d'ordre transcendantal (Turquie, Arabie Saoudite, Iran). Il ne sera question, dans cette introduction, que du 1er groupe (Allemagne, Russie, Chine), les 2 autres seront traités ultérieurement.
La France, dans ses relations internationales, se trouve ainsi confrontée à ce qui s'apparente à un nonagone, une figure géométrique à 9 cotés au sein de laquelle s'exercent les principaux rapports de force. Dès lors qu'il est question de stratégie, la réalité géopolitique l'emporte sur toute autre considération. Il est alors néfaste de se laisser embabouiner par des discours à prétention éthique, lesquels ne sont jamais rien de plus que de la manipulation. Mais l'Occident en général et la France en particulier, les aime tant au point de se présenter aux yeux du monde sous l'aspect d'irréprochables démocraties. Toutefois, pour prendre un exemple marquant, elles sont restées coi, lorsqu'en 2014, sous la houlette de Mme Nuland, sous-secrétaire au Département d'Etat US, a été organisée l'éviction d'un président élu, Victor Ianoukovytch, qui fut le candidat victorieux de l'élection présidentielle en Ukraine. L'observateur de cette élection, l'OSCE, en fit un rapport sans appel. Le 8 février 2010, Joao Soares, alors président de l’Assemblée parlementaire de cette organisation qui regroupe 57 Etats, déclara: « L’élection a offert une démonstration impressionnante de démocratie. C’est une victoire pour tout le monde en Ukraine. Il est temps maintenant pour les dirigeants politiques du pays d’écouter le verdict du peuple et de faire en sorte que la transition de pouvoir soit pacifique et constructive". Mais, vu de Washington et donc de Bruxelles, la démocratie ne vaut que si elle sert les intérêts de la caste dirigeante US et ses affidés européens et la dictature n'est condamnable que si elle dessert leurs intérêts.
En septembre 2001, lors d'une visite en Allemagne, le président russe, V. Poutine, a appelé de ses voeux "la construction de l'Europe comme un centre puissant et autonome dans la politique mondiale", ajoutant que "la guerre froide était terminée", de sorte que la Russie "serait un noeud intégrationniste spécifique liant l'Asie, l'Europe et l'Amérique". Il était inutile pour le dirigeant russe d'exprimer une telle ambition, l'Allemagne n'était pas et n'est d'ailleurs toujours pas un pays souverain. La politique de guerre froide a donc été maintenue du fait de la volonté de son protecteur US et a fini par déboucher sur un conflit de haute intensité dans lequel s'est impliqué l'ensemble de l'Europe. S'y affrontent à présent, par Ukraine interposée, la Russie et les USA. Autrement dit, une puissance de second ordre, ayant cherché avec constance à faire émerger un monde multipolaire, combat, à ses portes, une puissance impériale qui cherche imposer partout ses règles, celle d'un monde unipolaire qu'il a l'ambition de diriger. Ce qui se traduit notamment par l'obligation de l'usage du $ pour les échanges internationaux et l'acceptation de l'extraterritorialité du droit US.
Les analystes ont longtemps parlé du modèle allemand; en effet, ce pays a su créer une économie prospère, fondé sur l'exportation qui générait de colossaux excédents commerciaux, mais se reposant adroitement sur le partenaire US pour maintenir ses dépenses militaires au plus bas. Sa prodigieuse puissance industrielle a provoqué une appréciation de l'€ sur le marché des changes, lequel € aurait pu devenir une monnaie internationale de réserve s'il y avait eu une volonté politique en ce sens. Cela n'a en fait qu'entraîné des difficultés pour les pays du sud de l'Europe, mais aussi pour la France, qui a stupidement laissé filer son outil industriel. L'Allemagne, s'étant remarquablement bien adaptée à l'environnement mondial bien que s'étant abstenue de faire jouer un rôle à l'€, exerce néanmoins une "semi-hégémonie" de fait en Europe. Ainsi, dans les années 2010, a-t-elle envoyé la France dans les cordes pour son projet d'UpM (Union pour la Méditerranée), qui n'est plus qu'une coquille vide, de même que pour l'"autonomie stratégique européenne" qui, plus que jamais, est une pure fiction. L'alignement sur les USA reste l'alpha et l'oméga de la politique allemande.
Mais voilà, du fait de la guerre contre la Russie en Ukraine, le suzerain US exige désormais de son vassal allemand qu'il crache au bassinet. Cela s'est traduit par 100 milliards d'€ de commandes militaires pour l'industrie US, et rien pour Thales, Dassault-Aviation ou Safran; le couple franco-allemand ou la nouvelle version Thénardier-Cosette. De plus, l'industrie allemande se voit coupée de ses sources énergétiques russes. Pire encore, il lui faut acheter à un prix exorbitant du gaz de schiste US et ce, alors que l'on ne sait rien concernant la durée de vie de ces gisements, ni de leur rentabilité à long terme. La question des Nord-Stream a empoisonné les relations germano-américaines pendant plus de 20 ans; cela s'est terminé de la manière dont on sait...L'Allemagne aurait dû se méfier et prendre plus de précautions face aux menaces US répétées concernant cet investissement qui lui aurait permis d'être le distributeur gazier de toute l'Europe. Le bienveillant allié américain de l'Allemagne n'avait-il pas déjà saboté l'accord initié par 3 pays européens (France, Allemagne, GB) avec l'Iran quant à son programme nucléaire et n'avait-il pas, depuis 2005, obtenu l'appui des pays Baltes, de la Pologne et de l'Ukraine pour contrer le projet Nord-Stream? Certes, Berlin avait fini, en juillet 2021, par obtenir l'accord des USA quant à l'exploitation des gazoducs litigieux, mais les accords, comme les promesses, n'engagent que ceux qui y croient surtout s'ils sont paraphés par un joueur de poker. La guerre en cours a fourni un prétexte commode pour faire plier l'Allemagne au nom d'un fumeux concept de solidarité unissant les démocraties face aux autocraties. On peut considérer, suite à cela, que dans un mouvement d'humeur, le Kremlin ait décidé de faire sauter des installations dont une entreprise russe, Gazprom, est l'actionnaire majoritaire. L'ex-communiste V. Poutine ne sait peut-être toujours pas ce qu'est un droit de propriété! Moscou a toutefois fait savoir que tout cela était réparable, mais il est fort douteux qu'à l'avenir Berlin ose encore contrer Washington. D'autant que les US ont pris la relève de la Russie en vendant aux Européens leur très onéreux et très polluant gaz de schiste, gaz de schiste que les dirigeants européens ont refusé d'exploiter chez eux, sous la pression des écologistes. Ceux-ci n'ont d'ailleurs rien trouvé à redire à la remise en service des centrales à charbon. Pour les écologistes, les gaz à effet de serre sont comme le cholestérol, il y a le bon et il y a le mauvais. De sorte que le gouvernement allemand a fait savoir que le charbon resterait exploité sur son territoire au moins jusqu'en 2038. Mais même ainsi, le patronat allemand, inquiet pour ses profits, a fait savoir qu'il ne voyait de solution que dans une vigoureuse politique de délocalisation, et tant pis pour les millions de migrants censés remplacer une main d'oeuvre que les mères allemandes n'ont plus voulu fournir. Avant sa démission, l'ancien patron des patrons allemands avait dit: "Nous ne pouvons pas nous limiter à être économiquement actifs uniquement avec les démocraties. Cela représente à peine 10 % de la population mondiale". Défendre la démocratie au prix de la servilité, ce n'est pas défendre la démocratie, ce n'est rien de plus que créer des démocraties Potemkine. En tous cas, cette affaire des Nord-stream a bien fait rire en Afrique où l'ancien colonisateur européen a découvert la joie d'être lui-même colonisé. La conséquence en a été un basculement de tout le continent, d'Alger au Cap, vers l'ensemble OCS (Organisation de coopération de Shangaï). C'est à vrai dire cela qui restera comme le fait géopolitique et géoéconomique majeur de cette année 2022.
La soumission volontaire est la voie royale qui mène à l'humiliation. L'Allemagne, 75 ans après la fin de la 2e guerre Mondiale, s'est désormais positionnée comme étant l'ennemie de la Russie, reprenant sa vieille politique inaugurée sous le 2e Reich, de "Drang nach Osten" devant mener à une "Ostkolonisation". Pense-t-elle enfin pouvoir en tirer un bénéfice substantiel maintenant qu'elle s'est totalement placée dans le sillage US? Berlin avait obtenu de Bruxelles la signature de l'Accord global sur les investissements entre l'UE et la Chine (accord signé le 30.12.2020). Mais Bruxelles fit savoir à Berlin que l'Allemagne restait un sous-fifre. La Commission européenne suspendit cet accord peu de temps après au motif que la Chine pratiquerait un génocide à l'encontre de la population ouïghoure, une population génocidée dont le nombre est tout de même passé de 5,5 millions en 1978 à 13 millions en 2020, la politique de l'enfant unique ne lui ayant pas été appliquée (1). En tout état de cause, l'Allemagne, après avoir été privée de l'énergie russe, ne pourra pas se passer du marché chinois, bien que l'économie chinoise risque maintenant de lui faire une sérieuse concurrence. Car en effet, l'an dernier Pékin a su négocier avec Moscou des conditions très favorables quant à son approvisionnement énergétique. Les dirigeants chinois, dorénavant, ne parlent plus de partenariat avec la Russie mais emploie le terme de coordination, ce qui implique, à terme, une coopération militaire. L'Inde et le Pakistan, 2 pays en froid, sont les deux autres grands bénéficiaires de la réorientation des exportations russes. Nul doute que la Chine va s'employer à faire baisser les tensions entre ces deux pays membres de l'OCS et partenaires du programme "routes de la soie". En tout état de cause, le gouvernement allemand, par nécessité, relève le défi et semble vouloir éviter de se faire de la Chine un ennemi. Le récent voyage d'O. Scholz dans ce pays pourrait indiquer que l'Allemagne ne se laissera pas dicter sa conduite avec la Chine de la même manière qu'elle a été contrainte de le faire avec la Russie. L'impression domine cependant que le gouvernement allemand pense sauver sa relation avec la Chine en se soumettant aux injonctions US concernant ses dépenses d'armement. De son maintien avec la relation chinoise dépendra également le cours de l'€ (l'économie allemande représente 1/3 du PIB de la zone €). Le maître mot en Allemagne à présent, est "re-globalisation", ce qui signifie l'acceptation du monde multipolaire réclamé tant par Pékin que par Moscou et par d'autres capitales. Serait-ce enfin le début d'une émancipation? L'avenir nous le dira.
Quels enseignements tirer de tout cela pour la France, suite aux circonvolutions de la politique allemande? L'Allemagne finira peut-être par comprendre qu'elle n'a plus aucun intérêt à se plier aux oukazes US et contraindra l'Europe de Bruxelles de cesser de se considérer comme rien de plus qu'un Hinterland US. La France, "accro" depuis plusieurs décennies à une germanolatrie difficilement compréhensible, devrait alors suivre. Paris et Berlin pensaient pouvoir flouer le "maître du Kremlin" pour faire plaisir à leur maître US qui les surveillait de près (cf les écoutes téléphoniques des dirigeants européens). Cela a permis ensuite aux USA de faire la guerre à la Russie par Ukraine interposée et à affirmer sa mainmise sur l'Europe en lui faisant supporter le coût des sanctions. Le président de l'Ukraine, contrainte de payer le prix du sang, n'a lui aussi aucune marge de manoeuvre comme l'a illustré le refus US d'un plan de paix conclu, en mars dernier, sous l'égide d'Israël et de la Turquie. Refus qui a entraîné la mort de 150 000 soldats ukrainiens (chiffres du Mossad). La France essaie de faire survivre la fiction du couple franco-allemand alors que Berlin n'a nul besoin de la France pour suivre sa route. Berlin, qui ne tient pas à se brouiller avec la Turquie, a ainsi accueilli avec froideur le partenariat stratégique franco-grec signé en septembre 2021. D'autant que si devait intervenir un élargissement de l'UE vers l'Ukraine, Berlin ne voudra y être entravé ni par la France ni par une Pologne ultra-atlantiste et osera peut-être même affronter les USA pour enfin défendre ses intérêts. Ce qui impliquerait pour la France de prendre les devants en reconstruisant une relation avec la Russie. Cela sera d'autant plus nécessaire qu'il n'y a aucun pays pouvant ou voulant remplacer à court terme la fourniture de matières premières russes, car les méthaniers devant approvisionner l'Europe en GNL ne seront pas fonctionnels avant 2 ans. Quelle solution pourront envisager les décideurs européens lorsque les stocks de gaz actuels seront épuisés? Il faudra, d'une manière ou d'une autre, reprendre langue avec le Kremlin et il ne fait aucun doute que celui-ci, pour reprendre ses fournitures, exigera une négociation globale incluant la sécurité à ses frontières.
Ce qui nous amène à voir la situation de la 2e puissance continentale telle que définie par Thomas Gomart, la Russie. Immense territoire de plus de 17 millions de km2, ce pays partage ses frontières avec 14 autres nations. Dès son accession au pouvoir, en 2000, V. Poutine s'est attelé à la reconstruction d'une économie grandement dévastée par les errements de son prédécesseur. Son gouvernement a ainsi réussi à développer la production dans 5 domaines stratégiques assurant de confortables excédents commerciaux (le pétrole, le gaz, le nucléaire civil, les armements et les céréales). Il aurait bien voulu éviter un face-à-face avec une Chine 10 fois plus peuplée que son pays, d'où son offre d'ouverture faite à Berlin en 2001, mais l'Europe, soumise et servile face à son suzerain US, n'a pas voulu répondre à cet appel vers le grand souffle continental comme l'Angleterre l'avait fait en son temps face au grand large océanique. L'ancien chancelier allemand H. Schröder s'y était bien essayé mais son initiative resta vaine. Quant à l'enthousiasme pro-européen initial des dirigeants russes, il a été rapidement refroidi quand, en 2002, les USA se sont retirés du traité ABM, concernant les missiles balistiques et bien plus encore, quand en 2019, ils ont fait de même pour le traité INF concernant les forces nucléaires à portée intermédiaire. Et ce, après un considérable élargissement de l'OTAN, dont la vocation avait été de contrer un Pacte de Varsovie qui avait cessé d'exister en 1989 et qui ne reverra certainement jamais plus le jour.
Nécessité faisant loi, le Kremlin s'est alors essayé à un rôle de chantre de la désoccidentalisation vis-à-vis de son opinion comme du reste du monde d'ailleurs. Ce qui a conduit V. Poutine à réhabiliter le régime soviétique. La "mémoire historique" prônée par les dirigeants s'est traduit par l'échafaudage d'un socle idéologique mêlant les références aux périodes impériales et communistes. L'opinion publique, traumatisée par la quasi-anarchie de la période eltsinienne, a, dans sa majorité, absorbé ce récit et accepté un mode de gouvernement fondé sur ce que l'ancien officier du KGB devenu président a nommé la "dictature de la loi". Le Kremlin, en outre, constatant que la période suivant 1991 (fin de l'URSS) est devenue celle de l'émergence d'une sorte d'anarchie militariste US, a totalement réorganisé l'appareil militaire russe.
Un des auteurs étrangers qui est étudié par les stagiaires de l'Académie militaire russe est l'Américain Z. Brzezinski. Ce dernier a publié en 2017 "le Grand échiquier". Sa thèse était qu'il fallait totalement détacher l'Ukraine de la Russie, de sorte que celle-ci ne parviendrait jamais plus au rang de grande puissance. Cette doctrine venait en complément de celle de Wolfowitz qui justifiait l'unilatéralisme US (Voir café politique précédent). Tout cela se traduisit politiquement par un élargissement constant de l'OTAN qui devait aller jusqu'à inclure l'Ukraine. Toutefois, conscient de ce que son analyse pouvait avoir de provoquant pour le Kremlin, Brzezinki se prononça en fin de compte pour une finlandisation de l'Ukraine, ce qui, il est vrai, aurait vraisemblablement eu pour effet d'éviter la guerre actuelle (pour mémoire, la Finlande, qui avait soutenu le 3e Reich pendant la 2e guerre mondiale, avait, dès 1944, proposé à Staline une stricte neutralité, à vrai dire bienveillante envers l'URSS, en échange d'une non-ingérence soviétique dans ses affaires intérieures. Ce qui était bien joué à une époque où l'on ne parlait pas encore de guerre froide). En 2014, année de l'éviction de V. Ianoukovich, l'Ukraine a délibérément choisi le camp européen, ce que le Kremlin aurait pu accepter, ayant lui-même voulu initialement s'y intégrer. Mais Kiev a aussi affirmé sa volonté d'adhésion à l'OTAN, ce qui, vu l'évolution de l'OTAN, était devenue une ligne rouge pour les dirigeants russes. Les Ukrainiens se sont ensuite amusé à dynamiter tous les monuments et statues de l'époque soviétique qui subsistaient et ont célébré les "combattants pour la libération de l'Ukraine", dont Stephan Bandera (1909-1959). Celui-ci, en son temps un nazi notoire (il en portait l'uniforme), avait participé à la mise en oeuvre de la politique raciale du 3e Reich. Lui et d'autres de ses compagnons rejoignirent les forces US lorsque l'armée allemande commença à vaciller. Ce fut à Munich qu'il fut finalement abattu par un agent soviétique en 1959. Cette glorification des "nationalistes intégraux" ukrainiens parut suffisante aux yeux du Kremlin pour justifier son discours sur la "dénazification" de l'Ukraine lorsqu'il mit en oeuvre son "intervention militaire spéciale". Celle-ci a-t-elle été un échec, comme le proclame à l'envi l'Occident? On remarquera que pour lui, la surprise a été conséquente lorsqu'il constata non seulement l'échec des sanctions, mais leur effet boomerang sur l'économie européenne. La Russie, par contre, a réussi à réorienter son commerce extérieur des "nations hostiles" principalement vers les pays de l'OCS, mais pas uniquement. Le FMI a prévu une croissance de l'économie russe pour 2023, alors que les "sanctionneurs" qui péroraient sur le délitement de l'économie russe se sont retrouvés dans la position de l'arroseur arrosé. Dans ce contexte, la question monétaire prend une nouvelle dimension. Un nombre croissant de pays s'éloigne des monnaies occidentales et commercent à l'aide de leur propre monnaie, sans que les USA ne puissent s'y opposer. La meilleure "prise" pour le camp antioccidental a été l'Arabie Saoudite qui a annoncé son intention d'abandonner ce qu'on a nommé le pétrodollar (depuis la signature du Pacte du Quincy, en 1945, l'Arabie Saoudite, mais à sa suite, toutes les pétromonarchies libellent leurs facturations en $, quel que soit le pays acheteur). Si une telle évolution devait se concrétiser, cela permettra aux petromonarchies de se débarrasser de la tutelle occidentale et de lui faire porter la responsabilité du terrorisme islamique qui a sévi dans les pays arabes laïcs déstabilisés, à grands frais, par l'Occident. Un tel discours est reçu positivement dans nombre de capitales africaines, asiatiques et aussi sud-américaines.
La russophobie affichée par les milieux atlantistes est majoritairement très mal vécue en Russie, et le Kremlin ne se prive pas pour faire l'analogie entre l'Occident décadent et le 3e Reich, entre les manoeuvres de l'OTAN et l'opération Barbarossa décidée en son temps par Hitler. Il peut présenter comme une victoire le fait que l'Ukraine soit devenu un trou noir pour les forces atlantistes. Les USA y ont déjà déversé pour 120 milliards de $ de fournitures et d'armement; tout cela étant, selon la terminologie du Kremlin, ensuite passé à la broyeuse sur le champ de bataille. Divine surprise pour les généraux russes, la machine de guerre occidentale semble déjà être à l'os! Ce qui est, à vrai dire, stupéfiant, lorsque l'on sait que le budget du Pentagone représente 11 fois le montant du budget militaire russe. Dans ces conditions, il semble peu probable que les 4 provinces conquises et annexées par la Russie puissent un jour être à nouveau sous souveraineté ukrainienne.
En réalité, "l'opération militaire spéciale" décidée par le Kremlin n'a fait qu'accelérer une évolution qui avait commencé bien avant, dès la crise financière de 2008. La Russie, qui avait organisé en 2009 la première réunion des BRICS-à l'époque d'ailleurs uniquement les BRIC, sans l'Afrique du Sud- s'était alors tournée vers ces pays mais aussi vers l'ASEAN (association des nations de l'Asie du Sud-Est), anticipant un lent déclassement d'un Occident devenu incapable de maîtriser des marchés financiers qu'il avait lui-même dérégulé. Ne considérant les discours "réchauffistes" comme n'étant que du verbiage de politiciens occidentaux n'ayant plus de prise sur rien, Moscou continue de baser sa stratégie sur une hausse de la consommation de gaz et de pétrole. Le secteur nucléaire est pareillement favorisé, le Kremlin anticipant que ses exportations dans ce domaine représentent 2/3 des revenus de la Russie en 2030. Il est en outre le 2e exportateur mondial d'armes. Enfin, le secteur agricole a connu une remarquable percée, la Russie étant devenu le 1er exportateur mondial de blé. Le tournant anti-occidental amorcé en 2008 s'est amplifié avec la guerre de l'OTAN contre la Libye, au cours de laquelle les Occidentaux se sont livrés à une interprétation très libre des résolutions de l'ONU. Ce qui justifia, aux yeux du Kremlin, son intervention en Syrie destinée à enclencher un reflux des positions occidentales, génératrices de chaos, au Moyen-Orient. Car, contrairement aux USA qui pratiquent des guerres de destruction totale (opérations "choc et effroi" suivies de l'émergence de groupes terroristes), la Russie entre en guerre pour consolider l'ancrage géopolitique régional qu'il parvient à conquérir. Le but étant de favoriser la consolidation d'un monde multipolaire où l'Occident n'aurait plus aucun rôle dirigeant. La convergence des points de vue russe et chinois (plutôt militaire pour l'un, plutôt commercial pour l'autre) est appelée à durer et à se développer au sein de l'OCS.
Loin de se désoler d'une telle évolution, la France serait bien inspirée de renouer avec la vision gaullienne de refus des blocs. Lors des accords de Minsk, elle a accepté, avec l'Allemagne, d'être une marionnette des USA. Au vu des conséquences actuelles de cette posture, cela devrait lui faire comprendre que la servitude volontaire ne mène à rien. Seuls les faibles sont à la recherche d'un tuteur, et seuls les simples d'esprit font la confusion entre un tuteur et un parrain mafieux. Avec la suspension du traité New Start sur les forces nucléaires en février dernier, le Kremlin a fait savoir qu'il ne considérait plus la France comme un pays indépendant, de sorte que toute négociation future avec les USA concernant les armes nucléaires devra inclure les forces françaises. Néanmoins, avec d'autres, Paris peut mettre sur la table l'intégration de l'Ukraine à l'UE, en incitant en parallèle à la reprise des échanges commerciaux avec la Russie et en abandonnant enfin ses hypocrites "valeurs". Dans son édition du 30.01.2003, le Wall Street Journal claironnait, faisant état du soutien européen à la politique US: "Le vrai lien entre les Européens et les Américains, ce sont les valeurs que nous avons en commun: la démocratie, la liberté individuelle, les droits de l'homme et l'Etat de droit" (cité par le monde diplomatique de ce mois: "les médias, avant-garde du parti de la guerre"). 20 ans se sont écoulés, les centaines de milliers de morts en Irak, Syrie, Libye, Afghanistan, Yémen par Arabie Saoudite interposée, illustrent l'inanité d'un tel verbiage, répété ad nauseam depuis des décennies. Ne serait-il pas temps pour la France d'avoir enfin une politique indépendante ?
Il reste à voir la situation de la 3e entité continentale, la Chine, un pays qui représente 18% du PIB mondial. La grande stratégie développée par Pékin et qui consiste à faire d'elle le n°1 mondial en 2050 implique d'une part l'organisation méthodique et rationnelle de la zone OCS qui poussera certainement son pouvoir d'attraction jusqu'en Europe, et d'autre part l'acquisition des attributs de la puissance maritime qui lui permettra de rivaliser avec les USA. A cela s'ajoutera, et c'est le plus important, la dédollarisation de l'économie mondiale qui lui permettra de neutraliser le pouvoir de nuisance des USA, pouvoir exercé par le biais de l'extraterritorialité de son droit, lié à l'usage mondial du $. Pour ce faire, elle déploie un activisme décuplé dans les instances internationales tout en créant de nouvelles structures, dont les plus connues sont la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures et la Belt and Road Initiative (routes de la soie). Les investissements dans 22 pays en Afrique ont dépassé les 110 milliards de $, ayant permis la construction de 13000 km de voies ferrées, de 1000 ponts et de 100 ports (chiffres donnés par l'hebdomadaire Investir). La totalité de l'appareil productif est contrôlé par l'Etat qui coordonne le tout et en fait un ensemble stratégique. L'investissement est par ailleurs massif dans l'intelligence artificielle, ce qui permet le contrôle des citoyens par le biais de crédit social. Les citoyens loyaux sont récompensés alors que les récalcitrants sont sanctionnés. Concernant les Ouïghours, le culte musulman est l'un des 6 cultes toléré par les autorités mais, comme en Occident, le terrorisme est réprimé; quant au parti communiste, il met en avant la "méthodologie du matérialisme dialectique et du matérialisme historique".
La grande hantise des USA est la perte d'influence par la mise à l'écart du $ dans le commerce mondial. Car en effet, en ce qui concerne les paiements internationaux, la Chine a lancé son propre système pour se débarrasser du système occidental SWIFT. Il s'agit du" China International Payments System" (CIPS). Le CIPS relie aujourd’hui environ 1300 banques dans 107 pays, dont la Russie qui a pu ainsi contourner les sanctions occidentales, et gagne en volume chaque année. D'autre part, dans l'appareil productif chinois, sécurité industrielle et sécurité nationale vont de pair, de sorte que la taille des entreprises est volontairement réduite afin que l'actionnariat, notamment étranger, puisse être contrôlé. Bien évidemment, il ne saurait être question d'une banque centrale indépendante échappant à tout contrôle. Les autorités imposent que le yuan, tout comme le rouble d'ailleurs, soient des monnaies fondées sur des actifs réels, comme l'or et les matières premières, alors que l'€ et le $ sont des monnaies-dettes. Elles ne sont garanties que par l'émission monétaire des banques centrales. Ce système peut parfaitement fonctionner (voir café politique sur: le mythe de la dette), s'il finance un appareil productif, créateur de richesses, étant lui-même, in fine, garant de la valeur de la monnaie.
Les guerres menées par les USA contre l'Irak et la Libye avaient, entre autres, pour raison d'être la volonté exprimée par les dirigeants de ces pays de s'affranchir du $. Pékin a fait savoir qu'il allait faire en sorte que les transactions pour le négoce du gaz et du pétrole se déroulent de plus en plus à la Bourse internationale de l’énergie de Shanghai. Le Shanghai International Energy Exchange est opérationnel depuis 2015 et est utilisé par un nombre croissant de pays, y voyant là le moyen de ne pas être importunés par les sanctions, voire les guerres, que décrètent et génèrent à intervalle régulier un Occident qui s'imagine encore, comme au 19e siècle, que le monde a vocation à lui appartenir. Il suffirait, pour cela, d'établir des droits de propriété. Mais d'ores et déjà, les sanctions visant la Russie se sont révélées totalement inefficaces, ce qui indique que la désoccidentalisation du monde menée par les BRICS est sur la voie de la réussite. Les dirigeants chinois ont longuement étudié le processus qui a conduit à la liquidation de l'URSS et en ont conclu que c'est la politique d'ouverture à l'Occident, mené tant par le naïf Gorbatchev que par le fantasque Eltsine qui a conduit à ce résultat. Avec la Russie, ils essaient à présent d'entraîner tout le "sud global" à adopter ses positions antioccidentales et à l'intégrer à son modèle de développement. Au 20e Congrès du PCC, qui s'est tenu en octobre dernier, le président Xi Jinping a présenté son pays comme un modèle, mettant l'accent non sur les "valeurs" mais sur le renforcement idéologique qui devrait se traduire à terme par l'émergence d'un "pays socialiste moderne, prospère, fort, culturellement avancé, harmonieux et beau". Il a aussi insisté sur l'unité du pays, ce qui veut dire l'inclusion à terme de Taïwan dans la République populaire (Xi lorgnant surtout sur l'industrie des semi-conducteurs dont Taïwan assure la moitié de la production mondiale et refuse donc qu'elle passe sous contrôle US). D'autant que la Chine a fait d'énormes progrès dans le domaine technologique au point que de nombreuses entreprises européennes ne s'imaginent pas pouvoir se développer sans une coopération avec les entreprises chinoises qui dominent de plus en plus ce secteur d'activités (2). Enfin, au cours de ce congrès, il a été question du "basculement thalassocratique de la Chine", les dirigeants ayant compris que la puissance globale à laquelle elle aspire passe par la maitrise des mers. Mais contrairement aux USA qui disposent de 800 bases militaires déclarées dans 177 pays à travers le monde, la Chine privilégie la création d'infrastructures économiques notamment portuaires. Toutefois, aucun des membres du cercle dirigeant n'est naïf; les dépenses militaires seront fortement augmentées en prévision d'une guerre avec les USA, hypothèse de plus en plus fréquemment évoquée par les dirigeants (l'éviction publique et spectaculaire de l'ancien président Hu Jintao lors du dernier congrès illustre la volonté des actuels dirigeants de neutraliser tout courant qui serait favorable à l'apaisement avec l'Occident). Naturellement, si une guerre devait advenir, la France aurait à faire en sorte de ne pas se laisser aspirer par un tel conflit, comme elle s'est laissée entraîner dans l'hostilité envers la Russie depuis 2014. Car qu'aurait elle à y gagner? Pourtant Paris, lors du dernier sommet à l'OTAN, en juin dernier à Madrid, a fait savoir qu'il suivrait aveuglément la politique - et donc le déclenchement éventuel de guerres - de l'OTAN. La marine française serait alors en première ligne, notamment du fait de sa présence dans le Pacifique Sud et d'une manière générale de sa "zone économique exclusive" (bande de mer située entre les eaux territoriales et les eaux internationales) qui couvre, du fait de ses ilots dans la zone indo-pacifique, une zone de plus de 10 millions de km2. Quel intérêt aurait donc la France à rester dans la zone d'influence de Washington, elle qui vient d'être exclue de l'Afrique et expulsée de l'AUKUS ? Si d'aventure les USA gagnaient la guerre contre la Russie en Ukraine, nul doute qu'ils se lanceraient dans une opération militaire contre la Chine. C'est ce qui explique le soutien, discret mais réel, apporté par la Chine à la Russie.
Face à cette situation, l'Occident, ou du moins ses classes dirigeantes, s'étrangle de colère. Russophobie et sinophobie se déchaînent sans le moindre complexe. Tant qu'il s'agit de secourir le "bon sauvage" qui risque de se noyer en Méditerranée, les élites font étalage de bons sentiments et s'achètent une bonne conscience à peu de frais. Ce n'est évidemment pas celui-ci qui risque de perturber l'ordre impérialiste, celui "fondé sur des règles". Mais dès lors qu'on ose attaquer ce dernier, tous les coups sont permis. Moscou et Pékin ne sont pas dupes. Leurs historiens multiplient les articles indiquant comment un obscur agitateur de brasserie bavarois a pu sortir de l'anonymat grâce au secours du capital anglo-saxon qui voyait sa domination menacée. A ce sujet, on lira avec profit l'ouvrage de l'historien Jacques Pauwels, "Big business avec Hitler". Les théories fumeuses et totalement irrationnelles qui émergent des milieux progressistes occidentaux, sont-elles de nouveaux écrans de fumée destinés à brouiller les esprits pour leur faire accepter l'idée que l'ennemi est celui qu'on leur a désigné et, de ce fait, considérer comme légitime une nouvelle guerre impérialiste?
On le voit, les tensions vont aller en s'accroissant. En choisissant l'alignement inconditionnel sur les USA, la France se prive de la possibilité d'être un médiateur entre les pays en conflit. Pékin n'a pas rompu avec l'Europe comme l'a fait Moscou et conserve pour l'heure un lien avec Berlin en tant que partenaire économique. Cela aurait pu et dû inciter Paris à jouer la carte dipomatique. On a bien vu le président français jouer les bons offices au début du conflit ukrainien. Mais on ne peut à la fois être juge et partie, vouloir la négociation et armer l'un des 2 camps. De fait, Moscou refuse à présent tout contact avec Paris.
L'Europe n'a jamais voulu se penser comme un ensemble doté d'une volonté politique et disposant d'une autonomie stratégique. Elle s'est laissé aller à l'indolence, certaine que son "protecteur" US la défendrait si on venait à l'importuner. Mais maintenant qu'il y a un conflit de haute intensité à ses frontières, le protecteur en profite pour essayer d'obtenir un retour au moins partiel sur investissement, ce qui, il est vrai, est de bonne guerre ! Il vend ses armes, même non efficaces comme le F 35, son énergie au prix qu'il décide, prend des mesures protectionnistes (Inflation Reduction Act) sans que la France ni aucun pays européen n'ose émettre la moindre protestation. Pourtant une déconvenue états-unienne sur le théâtre ukrainien signifiera la fin d'une époque: celle de l'unilatéralisme américain, justifié par l'exceptionnalisme américain théorisé par les néoconservateurs US et couplé au système dit néo-liberal promu principalement par le Parti démocrate. Lequel a eu pour dogme la dérégulation, au nom de la liberté. Ce qui est particulièrement pittoresque lorsque l'on sait que les théoriciens de cette idéologie, les Chicago boys, ont fait du Chili de Pinochet leur premier terrain d'expérimentation (3). Mais même Pinochet, en laissant la démocratie se rétablir dans son pays, a fini par comprendre que le système néolibéral n'était qu'un système destiné à permettre aux renards de surveiller le poulailler.
Jean Luc
(1) https://oumma.com/les-europeens-les-ouighours-et-les-delires-de-washington/
Café politique du 19 octobre 2017
L'Alsace est morte, vive l'Alsace !
Intervention de Pierre Klein au café politique du 19 octobre 2017.
La chose est établie, les Alsaciens veulent que l'Alsace retrouve une institution politique propre. Ils n'ont strictement rien contre les Lorrains et les « Champardennais ». Ils sont ouverts à toutes les coopérations - et on n'aurait pas eu besoin pour cela de fusionner. L'Alsace ne peut vivre en autarcie, dans l'isolement. Son avenir se situe en forte liaison tant vers l'Ouest que vers l'Est, à 360 degrés.
Les Alsaciens connaissent ce qu'ils partagent avec le reste de la nation, mais en même ils connaissent aussi leurs particularismes, leurs besoins et intérêts propres, leurs potentialités aussi, qu'il soit question de langues et de culture régionales, de formation des formateurs dans ces matières, de droit local, d'économie, de transfrontalier, et estiment qu'ils sont le mieux à même de les définir et de les gérer.
Les Alsaciens veulent que l'Alsace retrouve une institution politique propre et si cela doit avoir du sens en démocratie de respecter la volonté populaire, elle l'aura.
Les élus sont censés représenter le peuple des électeurs, comment justifieraient-ils qu'ils fassent une politique contraire à la volonté populaire. Quelle valeur a le légalisme en démocratie, si la politique conduite n'est pas légitimée par les citoyens.
Les élus qui s'étaient engagés contre la fusion, et qui par la suite travaillent à la mettre en place du Grand Est, ne doivent pas s'étonner, s'ils créent de la déception, voire de la rancœur. Dans la culture politique actuelle des citoyens, ce genre de retournement n'est plus accepté.
Une des conséquences de la réforme territoriale est d'avoir réveillé la conscience politique des Alsaciennes et des Alsaciens et d'avoir installé une contestation sans doute durable. Les Alsaciens sont légitimistes, et bons enfants, mais il y a des choses qu'ils supportent mal, comme
1. En amont de la fusion
réforme menée sans concertation, issue d'un travail bâclé et conduite sans tenir compte de l'identité réelle de la France, notamment géographique,
il n'a pas été tenu compte des vœux des Alsaciens,
les élus du CR et des CG 67 et 68 ont lors d'un vote d'un vote commun en 2014 refusé à 97% la fusion,
aucun parlementaire alsacien n'a voté en faveur du Grand Est,
non-respect de la charte européenne de l'autonomie locale
sondage : 87 % des Alsaciens étaient opposés à la fusion, 84 % veulent que l'Alsace retrouve une institution politique propre,
pétition de M. Rottner contre la fusion : 67000 signataires,
Ils ont été chahutés, réforme menée par le haut sans consultation. La région Champagne-Ardenne n'a été ajoutée à l'Alsace et à la Lorraine que parce que Madame Aubry n'en voulait dans les Hauts de France.
La réforme a été très peu progressiste. Les Régions restent en gros des chargées de missions que leur confie l'État. À vrai dire, on a créé des petites France, plutôt que de créer de vraies régions.
2. En aval de la fusion
Y a-t-il véritablement eu réforme ? Les nouvelles régions disposent-elles des pouvoirs et des moyens dont disposent les régions européennes dont elles sont censées pouvoir être en concurrence. On en est loin, vraiment très loin !
La réforme se traduit-elle véritablement par plus de décentralisation, clairement non !
La Région du GE est trop grande, cela met de la distance entre le pouvoir et celui qui le subit.
Cela crée des problèmes liés aux déplacements, de dossiers mal maîtrisés, des coûts. Comme
le GE est une construction artificielle, on fait des réunions un peu partout pour satisfaire tout le monde.
Ce n'est pas la taille qui donne de la puissance, ce sont les moyens et les pouvoirs. À vrai dire, il n'y a pas eu de réforme véritable. Le GE n'a pas eu véritablement de compétences qui n'existaient déjà, soit dans les anciennes régions, soit dans les départements. En gros les missions sont les mêmes. Ce que les trois régions faisaient seules, elles le font maintenant sur un seul budget, qui au final est une addition des trois anciens.
Qu'a fait le GE que le CR d'Alsace n'aurait pu faire ? Des économies ? La Cour des comptes dit que non. En plus les nouvelles régions, comme d'ailleurs aussi les départements et les communes ont perdu la clause de compétence générale qui leur permettait d'intervenir sur d'autres dossiers que ceux leur étant habituellement confiés.
Exemple. Le GE a-t-il créé des classes bilingues en Moselle ? Les a-t-il augmentées en Alsace ? Non !
Ah, l'argument fallacieux du repli !
Il y aurait repli si les Alsaciens vouaient défaire des liens avec la France. S'ils s'en prenaient à la langue et à la culture française. Cela n'est pas le cas. Arrêtons avec les faux procès. Un Alsacien comme moi est capable de parler en Europe à 70 millions de francophones et à 120 millions de germanophones. Et le bilinguisme alsacien facilite grandement l'acquisition de l'anglais. Où est le repli ?
L'Alsace est au premier rang des régions françaises ouvertes sur l'Europe et le monde. Où est le repli ?
50% de sa production industrielle et plus de 60 % des exportations alsaciennes sont le fait d'entreprises étrangères. Où est le repli ?
C'est un aveu de faiblesse dans l'analyse de la situation de la part de ceux qui dénoncent un repli et un populisme alsaciens qui n'existent tout simplement pas.
Le vrai repli n'est-il pas celui qui refuse la propre diversité française. Le vrai communautarisme n'est-il pas celui qui exclut l'altérité ?
Et maintenant
Le débat actuel offre l'occasion aux Alsaciens de réfléchir quant à une possible et nécessaire nouvelle institution politique. Classe politique alsacienne unanime sur institution politique propre. Des différends subsistent quant à la démarche (sortie ou pas sortie du GE) et quant à l'objectif (simple retour à l'ancien Conseil régional ou Collectivité à statut particulier ). Si déjà nous obtenions des compétences de décision dans des domaines qui nous concernent en particulier, ceux de la langue et de la culture régionales, de l'enseignement de l'histoire et de la culture d'Alsace, ceux de l'économie, ceux du transfrontalier, du droit local... L'Alsace, qui voit ce qui se fait ailleurs, est bien placée pour appeler la France à une régénération de la République fondée sur l'acceptation de la pluralité et de la multipolarité, non pour elle-même, mais pour la démocratie, par impératif catégorique. Il reste aux Françaises et aux Français, et donc aussi aux Alsaciennes et aux Alsaciens, et en premier lieu leur classe politique, à intégrer l'idée que l'union s'enrichit de la diversité et à s'inscrire dans une démarche de rénovation d'un système né de la centralisation monarchique et du raidissement révolutionnaire.
Pierre Klein
Café politique du 19 octobre 2017
L'Alsace est morte, vive l'Alsace !
Pierre Klein nous a présenté son ouvrage récent : L'Alsace est morte, vive l'Alsace !
Le débat s'ouvre.
1) La réforme des régions en France suscite bien des critiques.
La réforme régionale française n'a pas pris en compte les données linguistiques et culturelles des régions antérieures.
Il s'est agi de créer des grandes régions économiquement assez fortes dans un système concurrentiel libéral qui opposerait par exemple le Grand Est au Bade-Wurtemberg. Mais, en fait, il y a des régions européennes qui sont constituées uniquement par des villes. Le Land de Hambourg, celui de Bremen, de la Sarre sont plus petits que le Grand Est ! La question de la taille n'est donc pas un véritable argument de réforme. Par ailleurs, les régions françaises n'ont pas les moyens de se développer alors que le Bade-Wurtemberg dispose d'une banque régionale.
Cette réforme pose aussi la question de la démocratie locale et des différents niveaux démocratiques à mettre en place. Le principe de subsidiarité consiste à ne pas faire passer au niveau supérieur ce qu'on peut décider au niveau inférieur ( principe directeur de l'Europe ). Ce principe se heurte au fait que la France est un vieux pays centralisé qui oppose beaucoup de résistance à toute forme de fédéralisme et de démocratisation des instances locales. Mais, en fait, il faut remarquer que même si la démocratie locale structurelle se développait elle ne serait pas pour autant garante de plus de liberté. L'exemple de la Suisse montre qu'il peut y avoir une sorte de conformisme social, un contrôle des citoyens entre eux. Il peut y avoir le poids d'une mimesis. Le diktat imposé par un groupe peut être très efficace : les nazis le savaient très bien, eux qui avaient placé dans chaque quartier un Gauleiter pour développer cette capacité de mimesis social. Un contre-argument est de dire que le seul mimétisme existant en France est celui du jacobinisme et que ce serait bien de pourvoi donner son avis comme en Suisse sur l'augmentation du SMIC ou sur les questions du rapport homme femme, etc. Evidemment on peut toujours évoquer des baronnies locales, mais le jacobinisme est uniformisateur et impose un certaine manière de vivre ensemble. Il existe une baronnie de cinquante personnes à Paris qui décide pour les Français !
- Les initiatives locales pourraient être « potentialisées » par des institutions locales qui s'en feraient les porte-paroles sans pour autant tomber dans l'anti-jacobinisme. Le jacobinisme est une réalité de fait en France. La question de la décentralisation et de la société civile semblent liées.
2) Peut-on encore parler d'identité alsacienne ?
Il y a un particularisme alsacien lié en partie à son caractère frontalier et à son histoire complexe de changement de nationalité. N'oublions pas cependant que la Moselle est transfrontalière avec l'Allemagne et le Luxembourg et que les Ardennes sont transfrontaliers avec la Belgique. Le Grand Est pourrait voir comme une chance de développer plus largement la coopération avec les pays voisins.
Un intervenant venu du Bade-Wurtemberg pose cette question : est-ce que la langue et la culture alsacienne sont encore une réalité ou ne parlons-nous plus que de folklore avec les cinq C : cathédrale, coiffe, kougelhopf, cigogne... Place Kléber, aujourd'hui, il ne voit plus rien de ces cinq C ! Les Alsaciens ne semblent plus avoir cette spécificité culturelle. Ils sont bien davantage mondialisés et cosmopolites. Pour les Allemands, la France semble uniforme. Cette uniformité passe par la langue française.
A contrario, on pourrait avancer que l'identité culturelle et linguistique passe par une volonté politique et n'est pas seulement une affaire de passé. C'est une volonté pour l'avenir. Les Bretons avaient perdu en partie leur identité régionale et ont réussi à la reconstruire de manière moderne sans recourir à un folklore dépassé. Même si le dialecte alsacien régresse, le bilinguisme présente un grand intérêt pour l'activité économique en particulier ( Notons que dans le Palatinat le français est enseigné dès le plus jeune âge ). Par ailleurs, les accords transfrontaliers que l'Alsace peut conclure sont spécifiques par rapport aux Ardennes et à la Moselle. L'euro-région Strasbourg-Ortenau, région transfrontalière, a le mérite d'exister mais rencontre des difficultés liées à l'organisation politique différente de l'Allemagne et de la France. Les communautés locales allemandes ont des pouvoirs importants alors qu'en France il est obligatoire de passer par Paris pour la plupart des décisions.
Si l'Alsace avait une identité forte l'évolution n'aurait pas été la même. Il n'y a d'identité que personnelle. Les identités collectives n'existent pas en soi : je ne peux pas rencontrer l'Alsace et lui serrer la main ! Il n'y a d'identité collective que si que si les identités individuelles décident de partager quelque chose. Pour partager quelque chose, il faut qu'il y ait une socialisation. Ce qui fait défaut à l'Alsace et aussi à d'autres régions françaises c'est la socialisation-transmission. Le premier « crime » perpétré à l'égard des identités régionales en France c'est d'interdire ou de ne pas enseigner l'histoire et la culture des régions. Les régions ont été désappropriées de leur culture et de leur langue. Si nous n 'avons pas d'identité, nous n'avons pas de revendication linguistique. Ce n'est pas la langue qui fait l'identité, c'est l'identité qui fait la langue. Qu'est-ce qui distingue un germanophone d'un francophone ? C'est la langue. Qu'est-ce qui distingue un francophone suisse d'un francophone français, ce n'est pas la langue. Qu'est ce qui distingue un Suisse d'un Français ? C'est la culture et avant tout la culture politique. L'enseignement généralisé de la langue et de la culture alsacienne serait une nécessité pour construire une identité alsacienne. Dire que c'est la langue qui fait le ciment de la nation pose question. En effet, quelle langue parlait les collaborateurs durant la seconde guerre mondiale ? Quelle langue parlaient les résistants en France ? Ils parlaient la même langue sans être unis sur rien. Personne ne remet en question que le français soit la langue de la France mais pourquoi en serait-elle la langue unique ? En vertu de quoi ? En vertu d'un colonialisme intérieur.
Et pourtant dans les pays du Maghreb la France est promue par la langue française. Dans la langue on trouve tout. La pluralité régionale peut davantage passer par la société civile.
Attention à la question de l'identité. L'identité individuelle n'existe pas vraiment. Aucun individu n'est isolé. Aristote disait : « L'homme est un animal politique ». L'homme est toujours placé dans un groupe et le groupe a un niveau d'existence sans doute important. Ce groupe peut être soudé de diverses manières : ce peut être par la langue, mais pas uniquement. ll y a toujours un groupe formé qui se définit par rapport à une autre groupe. En ce moment l'exemple de la Catalogne illustre cette opposition d'un groupe par rapport à un autre. Il peut y avoir un danger inhérent à l'identité d'un groupe qui peut entraîner une régression vers une exclusion de ce qui n'appartient pas au groupe avec toutes les possibilités de conflit qui y sont liées.
Pourquoi l'alsacien se perd et les familles ne le transmettent plus suffisamment ? L'exemple breton est différent.
L'apprentissage précoce de plusieurs langues est favorable au développement intellectuel de manière générale. En Alsace ce serait l'apprentissage de l'allemand qui serait intéressant. Ce ne serait pas un obstacle à la maîtrise du français. Les Bretons ont leurs écoles Diwan. Le breton n'est pas pour autant beaucoup plus parlé que l'alsacien mais cet apprentissage d'une autre langue favorise le développement de compétences linguistiques générales.
Notons l'exemple du Luxembourg avec l'apprentissage imposé de plusieurs langues à l'école.
Il y a eu historiquement en Alsace l'interdiction de parler le dialecte et l'allemand après la première et la seconde guerre mondiale.
Les différents mouvements d'autonomie qui existent montrent qu'il s'agit d'un nationalisme des régions riches comme la Catalogne, l'Italie du Nord, l'Alsace.
Conclusion par Pierre Klein
Les Alsaciens ont l'intuition de leur identité, mais si l'Alsace a une histoire, elle n'a pas de mémoire. Les Alsaciens n'ont pas pu faire ensemble un travail sur leur histoire. Ils n'ont pas de mémoire comme conscience d'eux-mêmes. Cette absence de mémoire explique en partie la faiblesse de leur identité régionale.
Il n'est jamais trop tard pour agir même si en ce moment dans les maternelles alsaciennes il n'y a plus que 200 à 300 enfants familiarisés au dialecte. Prenons l'exemple du Pays de Galles : sous Blair, grâce à la Dévolution, de larges compétences ont été accordées aux régions de Grande-Bretagne. Le Pays de Galles a mis en place une politique de bilinguisme et aujourd'hui, 15 ans plus tard, 50% de la jeunesse est bilingue anglais-gallois. Autre exemple : Israël, en 1945-1946, parlait en grande majorité yiddish alors qu'aujourd'hui l'hébreu est parlé par toute la population. Quand il y a une volonté politique tout est faisable en matière de langue.
L'individu ne choisit pas sa langue dominante. Elle lui est imposée par la société. La France et la Turquie n'ont pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le Conseil constitutionnel a interdit cette ratification en disant que la France c'est l'unicité de la langue, de la culture et du territoire. La nation française est devenue une « ethnie ».
Avant la Première guerre mondiale les Alsaciens ont fait l'expérience d'un gouvernement, d'un parlement, d'une constitution et même d'une citoyenneté. Tout a été supprimé en 1918. Avant 1939, les Alsaciens ont envoyé à la Chambre des Députés 11 députés régionalistes. Après 1945, quelque chose s'est brisé et les Alsaciens ont alors « courbé l'échine » devant l'Etat français. Sur l'autonomisme, quelques précisions : un premier courant se constitue dans les années 1874. Les Alsaciens se battent dans le cadre du Reich allemand pour obtenir une autonomie dans l'Empire ( voir Constitution de 1911 ). En octobre 1918, l'Alsace -Lorraine est même constituée en Etat de plein droit.
Le deuxième mouvement, en 1925-26, sous Herriot, se manifeste quand il est question de supprimer le droit local. Ce mouvement autonomiste a été « liquidé » par les Allemands : les nazis n'ont reconnu que les autonomistes pro-nazis, en fait ceux qui étaient séparatistes, le nazisme c'était l'antithèse de l'autonomisme et en 1945 l'autonomisme alsacien restant été « liquidé » par l'épuration française. Ce mouvement autonomiste est aujourd'hui quasi-inexistant. Cependant la réforme de régions a entraîné un regain de régionalisme et/ou d'autonomisme puisqu'aux dernières élections départementales le mouvement Unser Land a fait plus de 15% des voix là où il a présenté des candidats.
Café politique du 23 novembre 2017.
"La démocratie n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité"
Albert Camus
La conférence introductive de Mr Bilger est consultable en cliquant sur l'icone ci-dessous:
Le débat
Café politique du 23 novembre 2017.
« La démocratie ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité » nous dit Camus dans ses Carnets III.
Pour introduire cette réflexion, Roland Bilger, ingénieur zurichois d'origine alsacienne, propose une présentation très intéressante de l'esprit et du fonctionnement des institutions suisses vus par les Suisses eux-mêmes. Le débat va permettre à Roland Bilger de répondre aux questions des participants.
En introduction, on peut se demander quel secret possède la Fédération suisse pour fédérer plusieurs peuples de cette manière, demande une ressortissante kurde qui s'interroge à ce sujet étant donnée la difficulté des kurdes à se fédérer aujourd'hui.
Historiquement, au XlIIème siècle, a lieu la réunion des quatre premiers cantons qui signent un premier accord. Puis d'autres cantons ont rejoint la Fédération.
En remarque préliminaire, un intervenant allemand précise que pour lui les institutions suisses ne sont pas si difficiles à comprendre. Il relève deux spécificités suisses dans ce système fédéral : la démocratie directe et le gouvernement fédéral consensuel qui comprend deux représentants de chaque parti. 90% des partis représentés dans l'Assemblée nationale sont ainsi représentés dans le gouvernement. C'est différent du système allemand en recherche aujourd'hui d'une majorité qui soutient le gouvernement. Pour les référendums au niveau fédéral chaque citoyen reçoit chez lui les informations sur les différentes opinions en présence. Les partis politiques ont le droit d'utiliser l'affichage publicitaire pour leur campagne d'opinion.
1 ) De quel peuple parle-t-on quand on parle de peuple suisse ?
- Question : Est-ce difficile pour un immigré d'obtenir la citoyenneté suisse ? Pour pouvoir voter en Suisse que faut-il faire ?
- Réponse : Il ne s'agit pas de la citoyenneté mais de l'établissement en Suisse. Il y a une certaine procédure à suivre en Suisse. Quand quelqu'un est issu de l'Union européenne, il n'y a pas de souci. Il reçoit d'emblée un droit de résidence. S'il s'agit d'un ressortissant qui n'a pas de relation bilatérale avec la Suisse, il passe par différentes étapes. Il a tout d'abord le droit de séjourner à une endroit donné. Si on constate qu'au bout de trois années, il n'y a pas eu de problèmes, la personne reçoit son permis de résidence et elle a le droit de se déplacer dans les cantons. Pour le vote, il faut avoir la citoyenneté suisse. Pour cela il faut aller persuader le conseil communal. Beaucoup de candidats tentent cette démarche mais tous n'obtiennent pas satisfaction. ll s'agit d'une sorte de test concernant la connaissance de la Suisse, de ses institutions, de sa langue, de son histoire. Il s'agit d'évaluer la capacité d'intégration du demandeur.
- Question : Certaines catégories de la population ne votent pas et ont souvent des emplois peu qualifiés et peu payés. On peut s'interroger alors sur ceux que la démocratie directe touche.
En ce qui concerne la démocratie économique, il n'a pas été question de la démocratie syndicale. Elle semble peu avancée. Une grève générale en 1918 à Zurich menée par le comité d'Olten a été réprimée par le Conseil fédéral. Le consensus s'est donc fait surtout à droite au départ. Historiquement la question du consensus n'est pas si simple. Le parti socialiste suisse a dû attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour siéger au gouvernement.
- Réponse : ll faut partir de la perception que les Suisses ont de leur propre système ( voir le constat fait par un Collège de professeurs de l'Ecole Polytechnique tous les dix ans ). Votre perception des choses part de l'extérieur vers l'intérieur. Pour ce qui est de la démocratie directe, telle qu'elle est pratiquée en Suisse, elle n'existe nulle part ailleurs sur notre planète dans le sens de prendre une initiative de loi, d'engagement national ou d'activités intérieures. En ce qui concerne la vie sociale et économique, une des particularités de la Suisse est qu'elle n'a jamais fait la guerre. Cela peut expliquer en partie l'évolution linéaire de son évolution économique, sans sursauts liés aux guerres. La plupart des syndicats ont été créés par le patronat pour avoir un interlocuteur.
2 ) Ce système institutionnel encourage-t-il l'immobilisme et le populisme ?
A la question de la construction possible de minarets dans les localités suisses, les Suisses ont répondu non.
Réponse : Le vote n'a pas été un refus des minarets, donc un refus de l'islam, mais un refus architectural de voir côte à côte des minarets et des clochers dans le paysage. Par ailleurs, il n'est pas possible en Suisse de pratiquer une démocratie directe ségrégationniste. Si une proposition obtient le nombre de signatures pour passer au vote, cette proposition sera présentée au vote.
La participation aux votations se situe entre 30 et 40%. Les Suisses considèrent qu' aller voter est un droit et non un devoir. Les Suisses votent ainsi selon l'importance qu'ils attachent à la question posée. Quand il a été question d'uniformiser la taxation des entreprises le vote a été massif contre la proposition. Toutes les tentatives d'homogénéisation de cette fiscalité se sont heurtées à ce jour à l'adage : une saine concurrence entre les systèmes fiscaux fait baisser les impôts de tous !
3 ) La démocratie directe n'encourage-t-elle pas un certain mimétisme ?
La cohésion sociale passerait ainsi par une sorte d'uniformisation des opinions. La minorité ne serait pas alors bien défendue à cause de la pression sociale plus vive encore dans les petites communautés ( comportement panurgique ). La démocratie c'est aussi savoir organiser le conflit. Il
est donc nécessaire qu'il y ait une opposition et des divergences d'opinions ce que ne favorise peut-être pas un système qui sollicite l'opinion par la démocratie directe.
Réponse : Ce qui est très marquant ces dix dernières années en Suisse c'est l'évolution du nombre des minorités ( personnes désireuses de vivre différemment de la ligne générale ). Ce désir particulier de se singulariser se trouve respecté grâce à la procédure des initiatives populaires. L'uniformité est difficilement imaginable en Suisse. Il est vrai qu'on retrouve une perception de la tradition dans chaque canton, chaque canton différant cependant de son voisin.
4 ) Le système suisse serait-il essentiellement pragmatique et n'offrirait pas une vision globale de la société .
Réponse : Depuis l'extérieur de la Suisse l'accès aux médias est difficile. Il est difficile de regarder la télévision parce que les Suisses n'ont pas les mêmes droits d'auteurs. Les Suisses ne peuvent donc pas transmettre leur manière de vivre à la communauté internationale. Nous avons donc peu d'opportunités de voir vivre la Suisse de l'intérieur. Par contre, en Suisse même, il est possible de recevoir toutes les chaînes de télévision françaises, italiennes, allemandes... Il existe donc un sentiment de « bulle » dont on ne sait si elle a été voulue de l'extérieur vers l'intérieur de la Suisse ou inversement étant donné qu'on impose aux Suisses des droits d'auteur auxquels ils ne veulent pas souscrire. Ils ne peuvent donc transmettre leur télévision non cryptée dans les pays voisins alors qu'en Suisse par le cable, il est possible d'accéder à toutes les chaînes européennes. La plupart des votations sont pragmatiques en Suisse. L'impact idéologique que nous percevons dans les pays voisins de la Suisse y est beaucoup moins sensible. En Suisse, on considère qu'il y a deux types de revenus : le premier est la rente, c'est-à-dire, le salaire, la retraite, par exemple et l'autre provient de son propre patrimoine. Le travail du politique est de trouver une symbiose entre les deux et de leur permettre de coexister. Les théories économiques générales ne semblent pas intéresser particulièrement les Suisses plus tournés vers le travail et la façon dont le travail leur permet de vivre.
5 ) Existe-t-il en Suisse des initiatives populaires pour promouvoir la protection des minorités au sein de l'ensemble confédéral ? Y a-t-il un souci de solidarité entre les personnes qui vivent sur le territoire suisse quelles que soient leurs origines et leurs positions sociales ? Y a-t-il des référendums du type : faut-il être solidaire des Turcs par exemple ?
Réponse : L'action politique n'est pas ciblée. Les nouveaux arrivants qui ont une existence légale sur le territoire en fonction des lois et des accords en cours ont les mêmes droits. Dans la Constitution du canton de Zurich il y a tout un chapitre sur l'action sociale de canton envers ses citoyens et les demandeurs d'asile.
6 ) Question : Aux élections politiques régulières, quel est le taux de participation ? Les cantons alémaniques ont-ils des budgets excédentaires contrairement aux cantons romands ?
Réponse : C'est un peu le cas, sachant que dans la plupart des cantons il est interdit de faire un budget déficitaire
En conclusion : Peut-on parler de démocratie participative en Suisse ?
Les Suisses savent qu'en votant ils influencent leur manière de vivre et les politiciens eux-mêmes
n'échappent pas à cette règle. La stabilité de la société suisse semble basée sur le consensus. Il y
a des Suisses qui rentrent chez eux le soir avec le projet de participer au vote.
On pourrait dire que ce sont les institutions politiques qui ont fait la prospérité de la Suisse et non
l'inverse, sachant qu'il y a 150 ans la disette était fréquente et le développement industriel
croupion.
Le modèle suisse suscite bien des critiques en particulier quand on le replace dans le contexte international mais il nous incite à réfléchir à ce qu'est une démocratie au plus près des préoccupations quotidiennes ce qui paraît assez étranger au système français trop jacobin.
Complément concernant les institutions suisses par Michel Mathien.
La Confédération s’est construite sur l’histoire de populations menacées et qui ont compris très tôt l’importance de s’entendre face à une menace commune. Dans leurs spécificités territoriales, vallées et plateaux entourés de montagnes, et culturelles en rapport. La Constitution qui a conduit à la Confédération est fort ancienne. Donc il en a résulté une « culture politique » spécifique allant vers la démocratie avant les références à des modèles du XVIIIème siècle, les Etats-Unis et la France. Pour information, citons le livre du sociologue genevois Uli Windisch, Le modèle suisse… et sur lequel on dit souvent des bêtises en France…
Retour vers les textes du café politique
Café politique du 11 janvier 2018
Les pays européens face aux guerres du Moyen-Orient: réalité et perspectives.
"L'écart gigantesque entre ce que les dirigeants des Etats-Unis font dans le monde et ce que les habitants des Etats-Unis croient qu'ils font est une des grandes réussites de propagande de la mythologie politique dominante." Michael Parenti, politologue US
Le monde tel qu'il va, résulte au moins autant de l'histoire telle qu'elle fut que des décisions des dirigeants actuels qui la font. De fait, il nous faut admettre que l'histoire des USA, par exemple, influe sur son évolution actuelle. Depuis l'origine datée de ce pays et son accession au rang de nation, ce sont principalement deux forces politiques qui le structurent. Lorsqu'il est "entré" dans l'Histoire, il a été fondé par les "pères pèlerins", ceux du Mayflower, fêtés chaque année lors du "Thanksgiving" mais aussi par les migrants européens qui ont suivi. Pour les premiers, il s'agissait de puritains rêvant de créer une nouvelle Jérusalem qui devait par la suite s'étendre non seulement jusqu'à l'ancien monde, mais jusqu'aux terres bibliques, les seconds n'avaient pour préoccupation que de faire fortune dans une contrée qu'ils imaginaient totalement dépeuplée et régie par aucune loi ; ils étaient évidemment dépourvus d'ambition messianique. Les deux groupes s'estimaient constituer l'élite des WASP (white anglo-saxon protestants). Les puritains rédigèrent la Constitution, les migrants économiques obtinrent le "Bill of Rights", des amendements à la Constitution dont le très controversé second qui énonce: « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, il ne pourra être porté atteinte au droit du peuple de détenir et de porter des armes. »
La Guerre de Sécession vit s'affronter les deux camps et les nordistes, héritiers des puritains, l'emportèrent. La crise de 1929 exigea que fussent repensés les fondements idéologiques du capitalisme ; les thèses keynésiennes connurent leur heure de gloire qui dura près d'un demi-siècle. Toutefois, dès la fin des années 1960, l'école dite de Chicago théorisa sur le thème du dépassement du capitalisme d'entreprise et du rôle inutilement contraignant de l'Etat régulateur. Le terrain d'essai de la nouvelle économie, appelée "thérapie de choc" fut le Chili dès 1973 et l'Argentine, un peu plus tard. On y introduisit ce qu'on appellera plus tard le néo-libéralisme avec au programme, la fin du contrôle des prix, la privatisation des entreprises et des services publics, la suppression des taxes à l'importation et la coupe dans les dépenses publiques. Le succès fut au rendez-vous, mais uniquement pour la frange la plus fortunée de la population. Quant au remake de la thèse marxiste du "dépérissement de l'Etat" au profit de la gouvernance économique, promise par le futur prix Nobel de l'économie, Milton Friedmann, il faudra attendre !
Les mêmes recettes furent reprises et améliorées, ou radicalisées selon le point de vue, par M. Thatcher en GB et R. Reagan aux USA. Coupes budgétaires, baisses des impôts, désengagement de l'Etat de l'industrie furent au programme. Le succès fut foudroyant car, aux USA, par exemple, depuis la période Reagan un PDG du NYSE, qui jusqu'alors gagnait en moyenne 43 fois le salaire de base, vit le rapport passer à 400, les salaires, du moins pour ceux qui en avaient, devant rester ce qu'ils sont au nom du réalisme économique (en 2017, 23% de hausse pour la fortune des milliardaires). Durant les années 1990, ce furent les anciens pays du Comecon et principalement la Russie, ratant, contrairement à la Chine, sa sortie du communisme, qui servirent de cobaye. Tout ceci s'accompagna d'un corps de doctrine, le néo-conservatisme, nouvelle mouture du puritanisme des origines où l'on établit une doctrine "politiquement correcte", destinée non plus à plaire à Dieu mais à son substitut, le $, sur lequel on avait déjà bien avant pris la précaution de préciser : in God we trust. En bonne éthique protestante, il ne doit pas y avoir d'intermédiaire entre l'homme et Dieu. On prit donc soin de délégitimer tout corps intermédiaire entre l'individu et le marché que l'on dérégula prétendument au nom de l'efficacité, en réalité pour assurer de juteux profits aux secteurs financier et militaire, les grands bénéficiaires et donc les grands promoteurs du néo-libéralisme. On s'attaqua aux Etats, partis, syndicats, sociétés, familles et même aux églises, principalement la catholique d'ailleurs, les habitants d'Amérique latine n'adhérant pas ou restant indifférents à la nouvelle idéologie dont ils avaient déjà pu voir les effets délétères. L'islam, mais uniquement sous sa forme sunnite, bénéficiera par contre d'un régime de faveur, car on allait par la suite lui faire jouer le rôle d'"idiot utile". Il est à remarquer que les "néocons", abréviation des "néoconservativs", s'attaquèrent partout à la notion de souveraineté, sauf aux USA, ou au contraire, on théorisa sur l'"american global leadership". Le think tank le plus influent étant celui dit du "project for the new american century" qui fonde sa théorie sur une " politique reaganienne de puissance militaire et de clarté morale ". De fait, il apparut naturel aux nouvelles élites de s'assurer un leadership du moins en Occident, abusivement proclamé "communauté internationale", si ce n'est à un "Moyen-Orient élargi". Celui-ci servira de terrain d'essai pour l'expérimentation du chaos permanent justifiant la guerre perpétuelle qu'il s'agira par la suite d'étendre autant que faire se pourra. En Europe, Bruxelles se chargea d'imposer la nouvelle doxa, notamment par sa condamnation "ex cathedra" des quatre phobies qu'une presse aux mains des magnats des grands groupes capitalistes combattra comme la peste au Moyen-Age (Europhobie, homophobie, xénophobie, islamophobie). On saluera cette nouvelle Pentecôte, où militants LGBT et salafistes se retrouvèrent sous la même couette ! Mais tout allait être bon pour assurer la transformation du citoyen responsable en un simple consommateur abruti et de la sorte manipulable à l'envi. L'anarcho-capitalisme établi par l'oligarchie mondialisée abreuvant les sans-dents déboussolés d'une sorte de narco-capitalisme reposant sur le matraquage publicitaire véhiculé par un soft power de plus en plus envahissant. Les nouveaux censeurs honoreront ceux qui accepteront cette servitude volontaire au nom du refus de la crispation identitaire et relègueront les autres dans la catégorie infamante des complotistes et des populistes.
Venons-en au Proche et Moyen-Orient.
En septembre 1978, le Président égyptien A. Sadate et le Premier ministre israélien M. Begin signèrent deux documents dont la référence est la résolution 242 des Nations unies d'octobre 1967 : le premier, portait sur le « cadre de paix au Proche-Orient », le second scellait la « conclusion d'un traité de paix » entre Israël et l'Égypte. Contre ce traité de paix s'est ensuite constitué un "front du refus" constitué par l'Irak, la Syrie, la Libye, l'Algérie, l'OLP et ce qui était alors la République Démocratique Populaire du Yémen. On remarquera qu'il s'était agi de pays et de mouvements laïcs. Un front du refus dont toutefois la faiblesse est apparue dès 1982 puisque le «cadre de paix au Proche-Orient» a été inauguré par l'Opération Paix en Galilée, déclenchée le 6 juin par Israël et qui s'est conclue par l'occupation du Liban. Mis à part les diatribes anti-israéliennes, les dirigeants arabes restèrent passifs face à l'occupation du Sud Liban, à l'exode de la direction de l'OLP, au massacre dans le camp palestinien de Sabra et Chatila, commis en cette même année. Le retrait israélien de 2002 fut le fruit de la résistance libanaise et non celui du fameux « cadre de paix au Proche-Orient » égypto-israélien. Le fer de lance de cette résistance a été incarné par le Hezbollah, chiite et allié de l'Iran. Un nouveau conflit éclata entre Israël et le Hezbollah en juillet 2006. De cette confrontation, le Hezbollah sortit grandi, augmentant l'inquiétude des dirigeants des pays sunnites.
Depuis les années 1980, Arabie Saoudite, Qatar et quelques autres monarchies sunnites n'étaient pas avares de financement concernant les groupes salafistes ou reliés aux Frères musulmans. Le tout, dans un premier temps, avec la bénédiction de l'Occident qui avait encouragé, voire participé au financement et à l'armement de djihadistes salués comme des "combattants de la liberté" lors de l'invasion de l'Afghanistan en 1979 par ce qui était encore l'URSS. Le très pro-occidental Shah d'Iran refusa d'envoyer des combattants, il en payera le prix ; l'Occident aussi d'ailleurs, ayant cru naïvement que les religieux iraniens qu'ils favorisèrent seraient solubles dans le sunnisme. Depuis cette période, les pouvoirs sunnites persistent dans une lecture religieuse du conflit qui les oppose à l'Iran et à ses alliés, à savoir le Hezbollah et les chiites dans les autres pays arabes, mais aussi la Syrie, seul pays arabe à avoir soutenu l'Iran lors de l'agression irakienne (1980-1988). Cette attitude permet de masquer les véritables enjeux stratégiques qui secouent la région, car il s'agit en réalité de l'opposition frontale entre d'une part des Etats-Nations et des forces politiques qui agissent pour conserver leur souveraineté politique et économique et dont l'Iran est à présent le fer de lance, et d'autre part le projet de formation d'un ensemble régional néo-libéral sous l'égide des USA et dont les chiens de garde seraient à la fois Israël et l'Arabie Saoudite ( le projet "greater middle east initiative" théorisé par G.W. Bush dès 2003). Les Etats laïcs payèrent le prix fort pour leur insoumission (rébellion islamiste en Algérie à la fin du 20e siècle, mais liquidée par l'armée sans intervention occidentale, destruction par l'Occident de l'Irak, de la Libye et tentative de destruction de la Syrie). Le tout, au nom des Droits de l'Homme, bien sûr ! Certes, ces pays étaient des dictatures, mais pour au moins deux d'entre eux, l'Irak et la Syrie, la liberté religieuse était totale. L'ancien président français estimait, par la voix de son ministre des affaires étrangères, que le président Assad ne méritait pas d'être sur terre, mais affichait une extrême aménité lorsqu'il se rendait chez les Saoud, un clan d'illettrés phallocrates, mis solidement et définitivement en place par F. Roosevelt en 1945 (pacte du Quincy) et qui ne se refuse aucune turpitude. Mais, par la grâce de Dieu, le peuple est maintenu dans le droit chemin par la famille "gardienne des lieux saints de l'islam" qui punit d'amputations ou de décapitations au sabre l'homicide, le viol, le vol à main armée, le trafic de drogue, l'adultère, la sodomie, l'homosexualité, le sabotage, l'apostasie et la sorcellerie. Grâce à leur puissant protecteur, ce clan a pu prendre en otage l'un des trois monothéismes, diffuser son interprétation dans un sens ultra-obscurantiste pour in fine, l'instrumentaliser au profit des anciens colonisateurs du monde arabe. L'autre gardien du dogme néo-libéral, Israël, a su habilement profiter de la tétanie qui a saisi le monde occidental concernant le judaïsme, conséquence de son implication dans le génocide nazi, auquel ni les Palestiniens, ni les Arabes n'avaient pris part. Le grand Israël qui est en train de se mettre en place apparaît comme une compensation sur bien d'autrui, plus précisément celui des Palestiniens, des exactions passées occidentales dont on aura pris soin d'entretenir la mémoire pour mieux masquer les dérives qui ont suivi. De fait, depuis sa création en 1948, toute critique des mesures politiques prises par Israël est présentée comme des critiques antisémites et donc d'ordre religieux, ce pays poussant ainsi à son paroxysme la politisation de la religion.
On ne saurait qu'être reconnaissant à Trump d'avoir établi que les conférences sur le climat ne sont que des pitreries médiatiques. En effet, les logiques géopolitique et écologique voudraient que les pays d'Europe s'approvisionnent pour leur énergie en Russie et en Algérie. Mais pour nos chers amis US, il ne saurait en être question, ces deux pays étant en-dehors de l'arc atlantiste. Une fermeture totale du détroit d'Ormuz, par où transitent 90 pour cent du pétrole produit par le Golfe, priverait l'Occident d'une grosse part de sa consommation quotidienne d'énergie ; 20 000 navires empruntent cette autoroute maritime chaque année, assurant ainsi une pollution titanesque. Pour sécuriser la voie, la flotte américaine s'est installée et surveille tout l'Océan Indien. C'est une rente de situation pour le Pentagone qui trouve là une -parmi beaucoup d'autres- justification à son budget de 700 milliards de $ par an. Une opération de contournement du dit détroit par substitution de la voie terrestre à la voie maritime du transport des hydrocarbures du Golfe vers l'Europe serait donc une catastrophe pour le Pentagone mais serait extrêmement bénéficiaire pour l'environnement, un réseau de pipelines polluant bien moins que les supertankers.
Mais ceci n'est qu'un des dispositifs établis par les USA pour s'assurer du contrôle du monde par la maîtrise des voies commerciales maritimes. La Chine a bien compris qu'il lui serait inutile de vouloir établir sa puissance sur les océans, mais s'est donnée comme objectif le projet connu sous le nom de "route de la soie", qui ferait de l'ensemble euro-asiatique, lequel englobe le Moyen-Orient, une zone d'échanges qui lui permettrait d'écouler sa production industrielle sans passer par les océans. L'OCS (Organisation de Coopération de Shanghai et l'UEE (Union Economique Eurasienne) complétant le projet en assurant le développement des pays périphériques qu'il s'agit d'inclure dans le projet. Le bras armé de cet ensemble serait évidemment la Russie. Les USA ne se sont pas encore remis de ne plus pouvoir influer sur la politique de ce vaste pays qu'ils pensaient, du temps d'Eltsine, pouvoir transformer en une république bananière. Les guerres de Tchétchénie, financées, déjà, par l'Arabie Saoudite devaient permettre aux djihadistes de déstabiliser complètement la Russie, les stratèges du Pentagone estimant que cela aurait un effet d'entraînement sur toutes les anciennes républiques soviétiques majoritairement musulmanes et qu'ainsi se créerait un "islam belt" contre Moscou. Mais cela ne s'est pas fait et la Tchétchénie est rentrée dans le rang. La Russie a demandé et obtenu l'adhésion à l'OCI (Organisation de la Conférence Islamique) et peut à présent peser sur ses décisions.
Par ailleurs, le gaz, comme source d'énergie, se révèle bien moins polluant que le pétrole. Les principaux gisements sont situés, outre la Russie, en Iran, au Qatar et....en Syrie où ils sont encore non-exploités. Le chancelier allemand G. Schroeder avait voulu établir un partenariat avec la Russie, mais aux élections législatives de 2005, la CDU mit au devant de la scène, une illustre inconnue, A. Merkel, que l'on présenta comme une pauvre Cosette ayant eu à souffrir dans sa jeunesse du méchant Thénardier soviétique. On pleura dans les chaumières allemandes, celle qu' H. Kohl surnommait la "gamine" fut élue et remit l'Allemagne sur le rail atlantiste. La France se donna, à peu près au même moment, comme président, N. Sarkozy, qui sortit de ses cartons un ambitieux programme nommé "Union pour la Méditerranée". Il reçut le président syrien le 14 juillet 2008 et il lui rendit visite à l'automne de la même année. On fit échange d'amabilités et de courtoisie, les deux écologistes en herbe parlèrent même d'un programme de dépollution de la Méditerranée. Mais Mme Merkel avait d'autant mieux appris son rôle que son allié US surveillait de près ses communications téléphoniques. Elle fit savoir au président français qu'il était hors de question que surgisse des flots de ce qui fut la "mare nostrum" alors l'Amérique n'était encore peuplée que d'Amérindiens, une Union pour la Méditerranée qui risquerait de concurrencer Bruxelles et d'insuffler une dynamique politique indépendante de l'Union Européenne. Notre bon Nicolas n'insista pas et le projet disparut, noyé dans les brumes germaniques. Il faudra attendre octobre 2016 pour que le successeur de Sarkozy exprime sa "profonde réprobation" concernant ces pratiques d'écoute téléphonique.
Mais d'ailleurs on était vite passé à autre chose car firent irruption les "printemps arabes".
V. Poutine, qui n'avait pas oublié les guerres en Tchétchénie, avertit tout de suite qu'il ne s'agissait là que d'une tentative de prise de pouvoir par les Frères musulmans. Mais en Occident, on s'enthousiasma pour le nouveau cours des évènements, l'ours mal léché des steppes asiatiques étant bien incapable de comprendre ce qu'était une "avancée démocratique". La situation évolua rapidement en Tunisie et en Egypte où ce furent effectivement les candidats des Frères musulmans qui remportèrent l'élection présidentielle. Les troubles atteignirent la Libye en 2011 et la Syrie, un peu plus tard. Sarkozy alla guerroyer contre son ancien ami Kadhafi (guerre faite, selon certains analystes assurément conspirationnistes, pour sauver le franc CFA que le Libyen voulait voir disparaître). Il remporta un remarquable succès puisqu'il sut installer dans ce pays le chaos, appliquant la théorie de ses maîtres néocons en qui il s'était finalement reconnu. La situation allait évoluer différemment en Syrie où les premières manifestations furent durement réprimées. Toutefois, et cela a été totalement occulté en Occident, le gouvernement syrien proposa une réforme constitutionnelle assurant une représentativité aux partis d'opposition. L'existence légale de ceux-ci n'aurait été assurée qu'en tant qu'ils ne chercheraient pas à instrumentaliser la religion. La France, ancienne puissance mandataire, aurait été bien inspirée de soutenir cette réforme même si elle ne remettait pas en cause la présidence d'Assad. Hélas, ce pays, jadis si fier de sa politique arabe, en a maintenant perdu jusqu'à son souvenir. Voir interview de l'ancien ministre R. Dumas, donnée en 2011 (https://www.youtube.com/watch?v=BH9-SHxetO1I).
Elle se rangea donc du côté de la coalition formée par les USA, la Turquie, le Qatar et l'Arabie Saoudite, arma et entraîna des milices sunnites. Celles-ci écartèrent l'ASL (Armée Syrienne Libre), qui venait de se constituer et qui était composée de militaires ayant fait défection pour assurer le changement de régime. Détail important, elle se revendiquait non-confessionnelle. Les milices, bien que se proclamant "modérées", ont été encadrées sur place par al Qaïda. Il s'agissait de Jabhat al-Nosra, rebaptisé Jabhat Fatah al-Cham en 2016, groupe à l'idéologie wahhabite soutenu par les Saoud, et d'Ahrar al-Cham, émanation des Frères musulmans soutenue par la Turquie et le Qatar, et donc combattue par les pro-Saoud. Ces milices furent défaites par l'armée syrienne, au prix de terrifiants combats. L'Occident et ses alliés ont alors soutenu les "Forces démocratiques syriennes", dirigées par les forces syriennes kurdes, regroupant diverses composantes dont les YPG (unités de protection du peuple).
Pour la Turquie, il n'était alors plus question d'armer la rébellion car elle considérait ces forces comme une extension du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan, de tendance marxiste). "On" organisa, en 2016, un coup d'Etat à Ankara qui devait amener au pouvoir un islamiste soutenu par les USA, F. Gûlen, mais cela échoua. Etait apparu également sur le champ de bataille l'"Etat islamique", création américano-sioniste selon Téhéran et Bagdad. Lourdement armé (par qui?), son but était de créer un Etat unique regroupant les parties sunnites de la Syrie et de l'Irak, arbitrairement séparées selon eux, par les accords Sykes-Picot de 1916. En 2014, les USA créèrent une vaste coalition de 22 pays, destinée à en finir avec l'"Etat islamique", tant en Syrie qu'en Irak. Mais finalement, c'est l'armée syrienne, aidée de forces iraniennes, de celles du Hezbollah et, à partir de l'été 2015, de l'aviation russe, qui est en train de reconquérir le territoire syrien. Les Kurdes qui, imprudemment, avaient joué la carte occidentale, furent abandonnés à leur sort, aussi bien en Syrie qu'en Irak où le gouvernement central annula le référendum d'autodétermination tenu en septembre 2017 et liquida à la fois le Kurdistan irakien et, avec l'aide US, ce qui restait de l'"Etat islamique". Il aurait pourtant du sembler évident aux Kurdes que les atlantistes ne soutiendraient un mouvement marxiste que tant qu'il servirait leurs intérêts immédiats.
Que sera l'avenir ? Le Kremlin a court-circuité les Occidentaux en mettant en place le processus d'Astana (Kazakhstan) destiné à torpiller les conférences de Genève dans le règlement de la question syrienne. Russes, Syriens, Iraniens et Turcs s'y retrouvent pour dessiner un futur à ce pays. A noter que la Chine vient d'y envoyer un contingent, à noter aussi que les USA, non invités à Astana, y maintiennent une présence militaire, en violation du droit international, mais à cela, ils sont habitués. En tout état de cause, Moscou aurait cependant tort de crier victoire car les USA ne lâcheront pas le morceau et il apparaît de plus en plus que c'est le Pentagone et l'ensemble de "deep state" qui dicte leur politique à D. Trump, malgré ses fanfaronnades de campagne. Pour autant l'axe Washington -Tel-Aviv - Ryad apparaît pour l'heure bancal. Les Saoud, qui ambitionnaient de diriger l'ensemble du monde sunnite, se sont fourvoyés et ont échoué lamentablement. Ils ont maintenant accepté de passer définitivement à la trappe le sort des Palestiniens afin de continuer de bénéficier de la "protection" US. Ryad s'est ridiculisé au Liban par le rapt du Premier ministre, soi-disant otage du Hezbollah, alors même que le président de la République chrétien, M. Aoun, affiche sa solidarité avec son dirigeant, H. Nasrallah, car il sait bien qui est le protecteur des chrétiens. De même, Ryad a voulu jouer au dur avec le Qatar, précipitant cet Etat détenant d'immenses réserves de gaz dans les bras de l'Iran, et enfin il s'est englué dans une guerre sordide au Yémen qui ne lui apportera rien, les USA continuant à contrôler le golfe d'Aden. Donald Trump a testé l'acceptation de la subordination du jeune héritier des Saoud en décrétant que tout Jérusalem serait capitale d'Israël; la seule capitale arabe s'étant abstenue de tout commentaire est Ryad ! Israël aura l'assurance de sa sécurité tant qu'il jouera auprès des USA la carte de la nation biblique. Mais pourra-t-il toujours masquer une stratégie de conquête territoriale derrière la question religieuse? La perfidie et la fourberie des Saoud et des sionistes est manifeste ; à titre de comparaison, imaginerait-on le Vatican être le vassal des USA ?
Mais les voies du Seigneur sont impénétrables. Lorsque les Beach boys californiens surfaient sur leur "sea, sex and sun", ils ne pouvaient imaginer que leurs collègues, les Chicago-boys, allaient réécrire la partition en un "sea, guns and sun" moyen-oriental. Suite à cela, l'axe du monde devrait être, selon le maître du deal de la Maison Blanche, non plus l'alliance du Trône et de l'autel, mais celle de Wall Street (rue du Mur!) et du Mur des Lamentations. L'héritier des Saoud l'a bien compris, et à peine couronné, il s'est offert un western spaghetti à la mode salafiste où oncles, cousins, neveux, invités dans un palace, y furent retenus captifs jusqu'à qu'ils crachèrent au bassinet. Donald Trump a applaudi à l'opération dite anticorruption, ce qui permettra à MBS (Mohamed ben Salman) de construire sa méga cité, nommée Néom, au coût estimé à 500 milliards de $. Située au nord-est du royaume, à proximité d'Israël, ce pays sera convié à la fête et pourra investir tout-à-loisir dans les technologies les plus avant-gardistes. N'est-ce pas Montesquieu qui avait théorisé sur le "doux commerce", permettant de sortir de la barbarie guerrière?
On n'en est pas encore là. Lorsque V. Poutine regarde l'échiquier, il peut considérer qu'il n'a pas vendu son âme au diable. Il a dans son escarcelle l'ensemble du monde chiite (Irak, Hezbollah, Iran, ce dernier pays ayant comme priorité de consolider l'arc Téhéran, Bagdad, Damas, ce qui lui permettra de renforcer le Hezbollah tout en ayant une position géostratégique influente en Méditerranée). Quelle que soit l'évolution future de l'Iran, ce pays ne rejoindra jamais l'orbite atlantiste car il le considère comme responsable de l'agression irakienne suite à l'arrivée au pouvoir de Khomeiny. Le Kremlin dispose également d'une carte sunnite (le Hamas), il a de bonnes relations avec l'Egypte d'al Sissi, qui a renversé le pouvoir détenu par les Frères musulmans, il sonde le Soudan qui a retiré son contingent du Yémen qui y avait envoyé en soutien à l'Arabie Saoudite. Il reconnaît l'un des deux gouvernements de la Libye, celui d'Abdullah al Thanni face à celui de Farrez Sarraj, pro-occidental. Mais le général Haftar, qui contrôle l'essentiel de l'armée, penche pour le pro-Russe. Si on ne sait encore comment va évoluer l'Algérie, quoique les militaires ont depuis le temps soviétique toujours été proches de Moscou, le Maroc a su profiter de l'embargo contre la Russie décrété souverainement par Washington et appliqué servilement par Bruxelles. Le royaume chérifien a ainsi pu réorienter ses exportations agricoles vers la Russie et devenir un partenaire prioritaire pour les économies russe et chinoise. Le président du groupe chinois BYD qui vient de signer, le 9 décembre 2017, en présence du roi Mohammed VI, un accord pour la construction de quatre usines de voitures, batteries, bus, camions, trains électriques, a déclaré: « Nous souhaitons bénéficier de la situation géographique du Maroc, en tant que porte d'entrée pour l'Europe". On ne sera jamais assez reconnaissant envers les gazouilleurs de Bruxelles !!!
Reste la question syrienne. Washington semble déterminé à se tailler sa propre zone d'influence, et un face à face direct avec Moscou n'est pas à exclure d'autant que la Turquie, irritée par le jeu trouble des Occidentaux qui ont essayé de manipuler les Kurdes, s'est tournée vers la Russie et est en négociation pour l'achat de missiles balistiques. La Turquie est membre de l'Otan, mais les Russes n'accéderont à la demande turque que s'ils pourront bénéficier d'une base militaire sur le territoire turc...Il y a aussi la question des réfugiés: l'Allemagne, dont la chancelière avait déclaré en 2010 que le multiculturalisme était un échec complet a, cinq ans plus tard, été sommée par ses maîtres US d'ouvrir ses portes aux "réfugiés", comprendre aux déserteurs auxquels on avait voulu faire croire que la fin du "régime sanguinaire de Bachar" était proche. Une amnistie en ferait rentrer un grand nombre au pays, mais comment réagirait l'armée qui a payé le prix du sang? En attendant, Big Brother continue de nous imposer Big Other, au nom de valeurs qui sont tout, sauf charitables ; la transformation de sociétés relativement homogènes en un agrégat de communautés méfiantes sinon hostiles les unes envers les autres, semblant être le but recherché.
Alors que les USA, dans les années 1990 avaient voulu créé un "muslim belt" pour soumettre la Russie, celle-ci a réussi à totalement renverser la situation et est en train de créer au sud et au sud-est de l'Europe un "muslim belt" anti-occidental. A cela s'ajoute des tensions croissantes sur les 3 voies maritimes vitales pour l'Occident, le détroit d'Ormuz, le golfe d'Aden et le canal de Suez. En Europe même, l'ensemble des pays de l'ex-Comecon est de plus en plus méfiant vis-à-vis de Bruxelles qui n'a que le pauvre argument du "populisme" à faire valoir envers ceux qui contestent son hégémonie.
Suite à la lourde défaite des forces atlantistes sur le théâtre syrien, dont les 400 000 morts s'ajoutent au 1,5 million des guerres précédentes dans la région, la question, à plus ou moins long terme, va inévitablement se poser : faut-il continuer à privilégier l'alliance avec des joueurs de poker comme les USA qui gardent comme objectif la domination du $ dans le processus de mondialisation et ainsi le contrôle de celle-ci, ou ne vaut-il pas mieux essayer de travailler avec les joueurs d'échec russes et chinois qui avancent patiemment et méthodiquement leurs pions ?
Jean Luc
Synthèse du débat sur le Moyen-Orient et l'Europe
Café politique du 11 janvier 2018
Après l'exposé très complet de Jean-Luc, le débat s'ouvre.
1. La complexité de la question actuelle du Moyen-Orient.
A. Des populations multiples.
Les Arabes dans la péninsule arabique.
Les Juifs en Israël.
Les Perses en Iran. Ils ne sont pas des Arabes et ils parlent une langue indo-européenne.
Les Kurdes, répartis sur de nombreux pays, représentent une minorité qui défend une doctrine marxiste, les libertés fondamentales, la laïcité et l'égalité des hommes et des femmes.
B. Des appartenances religieuses nombreuses et divisées au sein de chacune d'elles.
Les chrétiens dont l'existence est menacée de disparaître et qui ont tendance à rejoindre l'Occident en raison des persécutions.
Les Arabes sunnites divisés en groupes qui soutiennent soit les Frères musulmans, soit les Salafistes ou plus précisément les Salafistes saoudiens et les sunnites libéraux de moins en moins nombreux. On peut supposer que dans l'ASL (armée syrienne de libération) il y a aussi des sunnites libéraux.
Les Chiites en Iran, et majoritaires en Irak. Ils sont présents à Bahreïn et lors de soulèvements récents, ils ont été réprimés par l'Arabie saoudite sans que l'Occident ne s'émeuve beaucoup.
Les deux grandes tendances intégristes sont les Wahhabites (intégrisme religieux financé par les Saoudiens) et les Frères musulmans du Qatar (à connotation politique et financés par le Qatar, voir la chaîne de télévision Al jazeera ).
C Des points géostratégiques majeurs.
A l'Est, le Golfe Persique, contrôlé à son extrémité par le détroit d'Ormuz.
A l'Ouest, il y a la Mer Rouge contrôlée par un autre détroit.
Le canal de Suez
2. Le poids de l'histoire.
A. Les conséquences de l'accord Syskes-Picot de 1916.
Cet accord a été signé le 16 mai 1916 par la France et la Grande-Bretagne avec l'aval de l'empire russe et de l'Italie. Il prévoit le partage du Moyen-Orient à la fin de la guerre.
Les promesses d'indépendance faites aux Arabes ne seront pas tenues malgré parmi les quatorze points de Wilson ce qui concernait le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
On peut parler du démantèlement de l'Empire ottoman et d'un double jeu des Français et des Britanniques à l'égard des Arabes.
La France reçoit les mandats du Liban et de la Syrie.
La Grande-Bretagne, ceux de la Mésopotamie agrandie de Mossoul, de la TransJordanie et de la Palestine.
L'Allemagne ayant pris l'initiative de la construction du Bagdad-Bahn avant la première guerre mondiale ne joue plus aucun rôle dans la région après la défaite de 1918.
La partie Nord-Est de la Turquie promise à l'empire russe ne lui sera pas donnée après la révolution de 1917.
La Syrie et l'Irak sont des entités artificielles créées à l'issue de ce découpage et regroupent diverses populations et diverses religions.
La Turquie moderne et l'Arabie saoudite sont alors constituées.
B. La question kurde.
En 1920, le Traité de Sèvres prévoit la possible autonomie des Kurdes.
En 1923, le Traité de Lausanne revient sur cette autonomie.
Les Kurdes luttent encore aujourd'hui pour la création d'un Etat autonome, le Kurdistan. Ils vivent surtout dispersés entre la Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie.
Les Kurdes se sentent manipulés par l'islam et ont un désir profond de paix et souhaitent que l'Occident cesse d'être hypocrite à leur égard.
La question qui reste posée est celle de savoir pourquoi cette indépendance reste aussi problématique.
3.Les enjeux économiques du Moyen-Orient.
• Les ventes d'armes sont un enjeu majeur dans cette région et elles alimentent les conflits. Les cinq puissances qui ont le droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU ( France, Grande-Bretagne, Chine, Etats-Unis, Russie ) sont celles qui vendent le plus d'armes au Moyen-Orient et notamment aux Saoudiens. La question de l'armement de Daech est posée : ils ont pillé Mossoul, mais cela n'explique pas la quantité d'armes dont ils disposent.
Les Allemands vendent des armes aux Kurdes irakiens. On peut légitimement s'interroger sur leur utilisation à l'avenir. On ne peut pas ignorer comment les Talibans armés par les Etats-Unis ont fait usage de leur armement ultérieurement.
Les ressources pétrolières et le gaz, en particulier en Syrie, restent des enjeux importants de contrôle des territoires par les puissances étrangères ( voir le détroit d'Ormuz contrôlé par les Etats-Unis ).
Le béton de Lafarge et la manière dont il est parvenu aux terroristes en Syrie reste un mystère.
Il y a une vraie interrogation sur la création du Louvre à Abu Dhabi et le sens des engagements que la France contracte ainsi avec les Emirats Arabes Unis.
4. Les rapports de force au Moyen-Orient.
Le Pentagone a une influence décisive sur la politique extérieure des Etats-unis, notamment au Moyen-Orient. Il a pour but la conservation d'un leadership américain dans le monde et pour cela, on peut penser qu'il tente de créer le chaos par des conflits consistant à détruire les entités étatiques du Moyen-Orient.
Ls Chinois sont très présents au Moyen-Orient, en Syrie en particulier où ils sont attentifs aux enjeux de la reconstruction. Ils ont envoyé un contingent en Syrie en appui de l'armée syrienne officielle.
Le rôle de Poutine est très important en Syrie.
Les pays du Moyen-Orient peuvent modifier leurs alliances selon les événements ce qui crée une instabilité.
La montée en puissance de l'Iran lui permet de devenir un acteur incontournable sur les questions stratégiques majeures du Moyen-Orient.
Une troisième voie non inféodée aux grandes puissances serait la bienvenue. Nous attendons toujours une politique extérieure européenne commune.
Conclusion.
Un participant parle d'utopie salutaire en évoquant une solution qui permettrait à toutes les ethnies et religions de cohabiter en paix au Moyen-Orient. Il reste que des attitudes identitaires se durcissent partout au Moyen-Orient et ailleurs, qui font craindre la continuation des conflits par ailleurs attisés par les puissances elles-mêmes.
L'information est un premier pas dans la tolérance réciproque. Ce café tente d'y participer à sa mesure tout en ayant une pleine conscience des difficultés majeures que vivent toutes les populations du Moyen-Orient.
Texte de Léa en complément de la synthèse du café du 11 janvier 2018.
« Les guerres du Moyen-Orient sont le fruit de systèmes étatiques en place dans la zone du Moyen-Orient.
Il s'agit du nationalisme turc, du nationalisme arabe et des islamo-fascismes qui se sont emparés de cette partie du monde.
Certes, ces Etats ont évolué économiquement et sont au fait de la technologie des pays développés, mais leur mentalité n'a guère évolué. C'est une mentalité vieille de mille cinq cents ans imposée aux populations.
C'est pourquoi les nouvelles générations se révoltent depuis des décennies. Le peuple kurde en souffre depuis trop longtemps. Son pays a été transformé en terrain de guerre.
Je trouve que les Kurdes font de la résistance pour sauver une humanité prise en otage par des nations dont la mentalité est restée moyenâgeuse.
Rappelons qu'en son temps Danielle Mitterrand, sensible à la cause kurde, avait soutenu Leyla Zana dans son combat pour la liberté de penser et de s'exprimer en kurde alors que celle-ci avait été emprisonnée pour avoir parlé en kurde au cours d'une séance parlementaire à Ankara.
Café politique du 15 mars 2018.
Y a-t-il une origine biologique de la culture humaine ?
La question qui m'amène à vous parler aujourd'hui du dernier ouvrage d'Antonio Damasio, intitulé L'Ordre étrange des choses, La vie, les sentiments et la fabrique de la culture est celle de la destructivité constante des hommes les uns par rapport aux autres depuis le néolithique. Je me demande pourquoi le politique n'a jamais ou si peu réussi à réguler la violence et la prédation. Cette question revêt aujourd'hui un caractère encore plus urgent dans la mesure où nous vivons une crise culturelle majeure : nous possédons objectivement tous les moyens nécessaires à la suppression de notre espèce.
Antonio Damasio, neuroscientifique de renom qui travaille aux Etats-Unis depuis plus de trente ans, établit à partir de ses recherches et de ses observations cliniques, un lien entre « la vie humaine telle que nous la connaissons aujourd'hui et la vie primitive qui aurait vu le jour il y a 3,8 milliards d'années. » Il propose une chronologie du développement et de l'apparition de nos facultés fondamentales ( sentiments, conscience, mémoire, langage, socialité, intelligence créatrice ). Il s'aperçoit que nos représentations de l'esprit et de la culture ne prennent pas en compte notre réalité biologique telle qu'il nous la décrit. Cette réflexion nous intéresse dans la mesure où nous pouvons observer la force de vie qui préside à la reconduction continuelle de l'espèce humaine et les risques que cette même espèce humaine prend et qui pourraient aboutir à son anéantissement. En d'autres termes pourquoi ce qui préside à la conservation de l'individu n'a plus de pertinence quand ce même individu est en lien avec ses semblables ?
La clé de l'ouvrage de Damasio est que le cerveau et le corps sont étroitement liés et que ce que nous appelons l'esprit n'est pas le produit du seul cerveau mais de son interaction avec le corps. Cela tient au fait que le système nerveux, dont le cerveau est l'aboutissement tardif est un coordinateur au service du corps. Damasio fait l'histoire de l'apparition des sentiments qu'il définit comme expressions mentales des émotions, changements produits dans le corps et le cerveau.
Il part des organismes primitifs, premiers organismes monocellulaires ( les bactéries ) pour comprendre les conditions de leur survie. Il constate qu'avant toute émergence d'un système nerveux ces organismes ont survécu grâce aux mécanismes de régulation appelés homéostasie. Certaines conduites des bactéries sont surprenantes : elles cherchent pour survivre la compagnie d'autres bactéries alliées partageant le même but. Elles ont des réactions collectives face aux attaques de tous types et suivent une logique non réfléchie : le groupe cherche automatiquement à dominer par le nombre en adoptant l'équivalent du principe de moindre action. Ainsi, on peut dire que les bactéries observent les principes de l'homéostasie à la lettre. Damasio nous dit : « Certaines bactéries travaillent très dur, mais il y a des bactéries traîtresses, il y en a qui rusent pour ne rien faire et profiter de ce que font les autres... C'est très beau, très étrange parce qu'il n'y a aucune possibilité qu'il y ait une pensée chez elles ». Le livre est né de ce constat : « Il y a chez les bactéries des comportements qui s'apparentent à nos comportements culturels ». Il y a une continuité du désir de durer et d'avancer plus déclaré chez les bactéries que chez l'homme.
L'homéostasie est l'impératif puissant, non réfléchi et silencieux qui assure la persistance et la prédominance de tous les organismes vivants. L'homéostasie génère la survie.
Ce processus est survenu dans les cellules sans noyau et plus tard il a guidé la sélection des cellules avec noyau.
A une période plus récente (environ 500 millions d’années) sont apparus des organismes complexes composés de nombreuses cellules. Ils ont commencé à développer des systèmes s'étendant au corps entier, les systèmes circulatoires, endocriniens, immunitaires et nerveux.
Ils se complexifient suffisamment pour faire naître le besoin d'une coordination d'ensemble. Les premiers systèmes nerveux étaient très modestes : ils assuraient une fonction élémentaire de l'environnement immédiat comme c'est toujours le cas pour le polype d'eau douce appelé hydre dont les contractions musculaires permettent la progression d'un aliment à l'intérieur du tube digestif.
Ce rappel des origines est utile pour bien montrer que le système nerveux et le cerveau auquel il a abouti sont d'abord et avant tout des serviteurs du corps. Pendant longtemps on ne les a imaginés que pour « penser », fonction à laquelle on les résume trop facilement aujourd'hui.
Le cerveau a aidé les humains à inventer les idées et la culture. Il a été assemblé au moyen de l'héritage génétique au fil de plusieurs milliards d'années.
Dans la marche de l'esprit humain les sentiments ont sans doute permis à l'homéostasie de faire de grands pas : ils offraient une représentation mentale de l'état du vivant au sein de l'organisme, sorte d'image multidimensionnelle. Si cet état est plutôt bon, l'homme ressent du bien-être, s'il est plutôt mauvais pour des raisons de maladie ou de tout autre dysfonctionnement, apparaissent le mal-être, la souffrance voire la douleur, qui sont autant d'avertisseurs que quelque chose ne va pas. En cela les sentiments apparaissent bien comme les adjoints principaux de l'homéostasie (Conatus selon Spinoza ou « dur désir de durer » pour Paul Eluard). Ces systèmes de régulation interne détectent que certains paramètres vitaux s'éloignent trop dangereusement de certaines valeurs et déclenchent des mécanismes de correction visant à rétablir l'équilibre.
Nos portails sensoriels nous avertissent aussi de la présence d'un prédateur et nous poussent à la fuite...
L'homéostasie préside ainsi aux destinées du vivant depuis près de quatre milliards d'années.
La recherche de la base matérielle de la conscience ne peut donc plus faire l'impasse du cervelet, du tronc cérébral, de l'hypothalamus, de la moelle épinière. S'intéresser au seul cerveau est bien trop réducteur d'autant que nous savons maintenant qu'il existe un premier cerveau qui joue un rôle primordial : le système nerveux entérique qui contrôle en grande partie sa propre fonction. Le système nerveux central ne lui dicte pas son propre comportement. Les systèmes nerveux entérique et central entretiennent une conversation permanente et croisée. La majorité des communications se fait dans le sens intestin-cerveau supérieur.
Les bactéries de l'intestin se comptent en milliards, nombre supérieur à celui des cellules individuelles de notre organisme dans son ensemble.
Nous ne sommes pas une conscience posée sur la vie biologique, un cerveau en colocation avec des organes. Nous avons peur, faim, mal, nous désirons, nous connaissons le plaisir. Ce sont les « émotions », mouvements élémentaires de la vie. La conscience formalise ces émotions et les transforme en sentiments.
Mais il reste en nous ce vieux monde intérieur, celui des émotions élémentaires ou encore des muscles dit « lisses », par opposition aux muscles « striés » : ceux que nous n'actionnons pas volontairement et qui vivent sans nous leur vie qui se trouve être la nôtre.
Pour que la subjectivité puisse exister il faut que notre sentiment d'ensemble omniprésent accompagne le traitement des images. Ces deux phénomènes proviennent directement du corps proprement dit. Ils résultent de l'activité du système nerveux qui ne cesse de percevoir et de cartographier les événements à l'extérieur comme à l'intérieur de l'organisme.
« Entre le phénomène de la perception cellulaire ( niveau de base de ce processus naturel ) et les états mentaux au sens plein du terme, se trouve un niveau intermédiaire de la plus grande importance, composé des états mentaux les plus fondamentaux : les sentiments. Les sentiments sont des états mentaux centraux qui correspondent à un contenu spécifique et fondamental : l'état interne du corps hébergeant la conscience qui lui est inhérente ». Lorsque les sentiments sont « placés » au sein de la perspective actuelle de l'organisme dans son ensemble, alors la subjectivité émerge.
« La subjectivité a conféré de nouvelles propriétés aux images, à l'esprit et aux sentiments, une impression de propriété attachée à l'organisme dans lequel ces phénomènes surviennent, l'impression que ces phénomènes n'appartiennent qu'à une seule entité, ce qui permet d'entrer dans le monde de l'individualité ».
« La plupart des sentiments provoqués résultent d'émotions non seulement liées à l'individu isolé, mais aussi à l'individu au sein d'un contexte social. » « L'homéostasie fondamentale demeure quelque peu autocentrée, consacrée au temple que la subjectivité humaine a érigé : le « soi ». Elle peut être étendue à la famille et à un petit groupe avec plus ou moins de difficultés. Il est également possible de l'étendre à des groupes plus larges, selon les contextes et au terme de négociations où la puissance et les avantages que peut procurer la situation sont équilibrés. Mais l'homéostasie présente dans chaque organisme n'est pas spontanément orientée vers les groupes de très grande taille, notamment quand ils sont hétérogènes - sans parler des cultures et des civilisations dans leur ensemble. Il serait illusoire de s'attendre à ce qu'une harmonie homéostatique spontanée puisse émerger de collectivités humaines aussi vastes qu'hétéroclites ». Les règles qui régissent l'homéostasie individuelle connaissent aussi de graves manquements ( cancers agressifs, maladies auto-immunes ).
Ce que Freud a appelé la « pulsion de mort » correspond au déclenchement incontrôlé d'émotions négatives, à la perturbation de l'homéostasie qui en résulte et au chaos dans lequel elles plongent les comportements individuels et collectifs ( voir la colère, la jalousie, l'avidité...). Mais le nouveau consiste en nos temps actuels dans le potentiel de destruction massive d'une puissance inégalée.
On pourrait raisonnablement penser que l'équilibre entre la coopération salutaire et la compétition destructrice dépend des garde-fous de la civilisation et d'une forme de gouvernance démocratique et représentative des citoyens. Lorsqu'une civilisation ne fournit pas de tels efforts, les communautés qui partagent une identité culturelle distincte luttent pour obtenir ce qu'elles désirent par les moyens à leur disposition. Cela peut aboutir à une prise de pouvoir despotique d'une communauté sur une autre. Le seul moyen de mettre un terme à ces luttes destructrices est de se montrer coopératif et de résoudre les conflits par la négociation.
« La gouvernance requiert de longs processus de négociation, qui sont directement liés à la biologie des affects, des connaissances, du raisonnement et de la prise de décision. Nous sommes irrémédiablement pris dans les mécanismes des affects et de leur arrangement avec la raison ».
« Nous traversons une crise, mais nous avons des raisons d'espérer. L'une de ces raisons s'avère particulièrement solide : tant que rien ne prouvera le contraire - tant qu'aucun projet éducatif n'aura été mené avec suffisamment de constance, sur une durée raisonnablement longue, et à une échelle assez étendue - nous pourrons continuer à compter sur l'éducation ; à espérer qu'elle fera émerger, un jour, une condition humaine meilleure ».
En conclusion : « La condition humaine embrasse deux univers. Le premier est celui des lois de la régulation vitale établies par la nature et contrôlées par les mains invisibles de la douleur et du plaisir. Nous ne sommes pas conscients de leur structure sous-jacente. La sélection naturelle fonctionne depuis toujours sans nous demander notre avis et sans considération pour autrui. Le second univers est celui qui permet de dépasser les conditions imposées en inventant des méthodes culturelles de la gestion du vivant capables de compléter les mécanismes élémentaires existants ». En connaissant les règles de la régulation vitale, nous pouvons maîtriser en partie nos mécanismes innés. « Culture » et « civilisation » sont les noms que nous donnons à ces initiatives.
Dans l'Ordre étrange des choses, gardons en mémoire que des organismes très anciens ( plantes et animaux ) ont su manifester des comportements sociaux intelligents et ont accumulé des dispositifs biologiques qui leur ont permis d'être plus efficaces. Ils ne disposaient que des précurseurs de l'esprit, de la perception des émotions, de la pensée et de la conscience et non de ces facultés comme telles.
Synthèse du café politique du 15 mars 2018.
Y a-t-il une origine biologique à la culture humaine ?
Après la présentation par Geneviève, du livre de Damasio, L'ordre étrange des choses, le débat commence.
1 ) Quelles influences réciproques du biologique sur la culture humaine ?
- Il faut toujours prendre garde à la transposition de données biologiques à ce qui est de l'ordre du social. Cela s'était déjà produit avec le darwinisme social. Damasio le mentionne lui-même dans son ouvrage. On avait déduit de la sélection naturelle qu'il fallait des sociétés de compétition, comme les sociétés ultra libérales américaines. Sachant que la sélection naturelle n'est pas uniquement concurrence, on sait qu'il y a des formes de sélection naturelles qui développent aussi la coopération et la solidarité. Il faut donc être toujours assez prudent avec la transposition du biologique sur les structures sociales et politiques.
- La notion d'homéostasie est très puissante comme celle de sélection naturelle parce qu'elle est tautologique ( A = A ). C'est redondant. La puissance logique de la tautologie est aussi celle de la sélection naturelle : ce sont les organismes qui survivent qui transmettent leurs caractères. En ce qui concerne l'homéostasie les organismes vivants doivent maintenir un certain nombre de caractéristiques physicochimiques dans des limites assez étroites. Si ces limites sont rompues, c'est la mort. Claude Bernard avait déjà développé cette notion. Canguilhem avait dit que pour cette raison la nature est productrice de normes, les normes étant justement celles de l'homéostasie.
- Ce qui intéresse Damasio c'est de passer de l'homéostasie aux émotions et aux sentiments. Les perturbations de l'homéostasie se traduisent chez les êtres dotés d'un système nerveux central par des émotions, soit une inclination, soit une aversion avec un ressenti de cela pour les organismes dotés d'un système nerveux central suffisamment évolué.
- On est ici dans le domaine de la complexité parce qu'il est bien clair que nous sommes soumis à des désirs, à des peurs, à des aversions, mais le rapport avec la biologie est très modulé par la culture. Par exemple, tous les bébés du monde détestent la sensation d'amer ou la sensation pimentée. On est biologiquement programmé pour détester l'amer et le pimenté. Avec une influence culturelle on finit par aimer l'amertume et le pimenté. On voit bien que dans ce qui est naturel il y a une modulation culturelle qui se fait et qui peut faire évoluer depuis l'origine. Ce n'est pas une loi de causalité simple.
- Par ailleurs nous désirons ce qui est difficile parce que ce qui est difficile est rare ( loi de l'offre et de la demande ). Pourtant ce qui est difficile par définition est ce qui est pénible. Comme nous sommes capables de nous projeter, nous sommes capables de mémoire et d'anticipation, nous recherchons ce qui est pénible dans l'immédiat parce que nous savons que cela va être une source de plaisir ou de satisfaction. On voit que ce qui vient de la biologie et de l'homéostasie peut être modifiée par la culture.
- Damasio évoque cela, mais il convient de mettre l'accent sur la complexité de ce processus de passage du biologique au culturel. Par exemple, dans toutes les sociétés quand la nourriture est abondante nous avons tendance au surpoids parce que nous sommes programmés pour consommer du gras et du sucré parce que nos ancêtres vivaient dans des conditions de pénurie. Les systèmes nerveux se sont organisés pour essayer au maximum de favoriser la prise d'aliments énergétiques parce que c'était quelque chose de rare et de menacé par la dénutrition et la famine.
- En psychologie sociale nous savons que nous avons tendance à favoriser l'endogroupe versus l'exogroupe. Nous cherchons à tisser plus de liens avec les gens qui appartiennent à notre groupe et à rejeter ceux qui sont à l'extérieur de notre groupe ce qui explique beaucoup de phénomènes de racisme et de xénophobie qui se développent partout dans le monde. Il y a ici quelque chose d'assez universel qui nous fait supposer qu'existent des mécanismes biologiques sous-jacents.
- La culture peut modifier ces comportements, mais il convient de se demander de quelle culture nous parlons. Souvenons-nous que le nazisme est apparu dans un pays très développé culturellement : c'était la nation de Leibniz, de Beethoven, de Schiller et de Goethe. La culture en elle-même n'est pas suffisante et non seulement il faut de la culture mais aussi une connaissance de ces mécanismes biologiques et psychologiques pour savoir les exploiter. Par exemple il faut savoir ne pas générer simplement de la frustration mais comme le disait Ruwen Ogien, l'odeur des croissants chauds le matin nous rend quand même plus altruistes. !
2 ) L'utilisation du mot « sentiment » par Damasio.
- Un participant évoque une question de vocabulaire concernant l'emploi du mot sentiment par Damasio, lecteur de Spinoza. Dans les anciennes traductions de Spinoza connues de Damasio ( chez Garnier Flammarion ) le mot latin utilisé par Spinoza est traduit par sentiment. Dans les traductions ultérieures la traduction du même mot est l'affect. Affect paraît plus clair parce que le sentiment en général fait référence pour nous à l'amour, la haine, l'ambition. Or ce que Damasio désigne par sentiment ce n'est pas cela. Ce sont des choses qui nous affectent et qui, soit viennent de l'intérieur de notre corps, soit de l'extérieur. Ce sont des ébranlements dont on prend conscience a posteriori. Nous, les humains, pouvons prendre conscience de nos affects, c'est le redoublement de la conscience.
- Un paradoxe chez Damasio : son monisme matérialiste nie la dualité de l'âme et du corps. Nietzsche nous dit que la conscience est une tard venue et qu'elle nous amène à faire des erreurs par rapport à la santé du corps. Remarquons qu'aucune espèce animale ne se détruit elle-même entièrement ni même ne détruit toutes les autres espèces, ce que les humains sont capables de faire ( voir la question environnementale actuelle et la destruction des espèces ). Est-ce que la conscience ne serait pas un élément de trop qui nous trompe ?
3 ) La question de l'homéostasie : échanges d'arguments sur sa définition et son rôle dans l'évolution.
- Les organismes sont homéostatiques parce que l'homéostasie est biologique, mais l'homéostasie comme son nom l'indique est la reproduction du même. Comment Damasio explique-t-il l'évolution de la vie en montrant les étapes qui passent de la bactérie jusqu'à nous ? Nous ne sommes pourtant pas exactement les mêmes ! L'effort de la vie depuis 4 milliards d'années donne en fait en même temps du même et du différent réussis.
- Parler de réussite est contestable. Aujourd'hui nous arrivons plutôt à mettre en oeuvre une capacité d'anéantissement ! C'est comme quand on dit qu'on réussit un peu notre vie : en ratant, en particulier psychologiquement, nous construisons autre chose. Si on transpose ce modèle on peut se demander s'il n'est pas nécessaire qu'on se « plante » une fois pour toutes pour enfin arriver à faire quelque chose de positif !
- Rater au niveau de 4 milliards d'années ne signifie rien, en fait. On connaît actuellement environ 15 millions d'espèces vivantes sur terre même si nous n'en avons décrit que 2 millions. On pourrait dire que depuis 4 milliards d'années les espèces disparues sont des ratages. Ce n'est pas le cas. Au niveau global de l'évolution de la vie ce ne sont pas des ratages. La peste au Moyen-Âge, la guerre de 1914-1918, pour nous sont des ratages, mais à long terme c'est un nettoyage de la surface terrestre pour faire place à nos descendants !
- La diversité, le polymorphisme et l'évolution des espèces relèvent de la sélection naturelle et du darwini sme. Il faut remarquer que la reproduction sexuée permet à chaque génération de produire un individu totalement nouveau avec des caractéristiques qui ne sont pas simplement de l'ordre du même. Ce sont chaque fois des différences avec une variabilité génétique.
- L'homéostasie permet des multiples possibles.
- Il est intéressant de parler ici de l'épigénétique qui a le vent en poupe aujourd'hui et dont Damasio ne semble pas parler. Il y a une sorte de transmission de la culture à travers l'expression des gènes. L'empathie serait transmissible !
- Notons l'ouvrage de Joël de Rosnay qui vient de paraître : La symphonie du vivant qui explique le rôle de l'épigénétique.
- Dans le cadre de l'épigénétique il peut y avoir une transmission des caractères acquis ce qui n'est pas le cas de la génétique normalement.
4 ) Est-ce que cette connaissance de l'homme que propose Damasio peut avoir un effet sur les relations sociales ?
- On pourrait argumenter cela : on sait que la guerre tue et on continue de tuer. La connaissance d'un élément ne garantit pas un changement de comportement.
- Cela peut permettre une éducation différente des individus : voir l'influence des neurosciences dans l'éducation.
- La connaissance des mécanismes intimes peut contribuer à faire évoluer les comportements. Par exemple pour arrêter de fumer il ne suffit pas de connaître les méfaits du tabac. Il faut ruser avec sa psyché et arriver à être dégoûté du tabac.
5 ) La question de l'existence de l'inconscient.
- Un participant doute de l'existence des phénomènes non conscients en nous qui pourraient avoir des effets. : nous agissons à partir de ce que nous connaissons ! La conscience sert à nous donner des buts. Dans l'ouvrage La vie secrète des arbres les scientifiques avouent ne pas comprendre comment fonctionnent les arbres. Qu'est-ce qui explique que la sève brave les lois de la pesanteur allant des racines à la cime des arbres ? L'arbre n'est pas conscient de ce qu'il fait, mais il le fait ! Mais nous, nous ne nous contentons pas d'être, nous décidons à partir de notre conscience.
- Nous parlons de notre conscience humaine, mais que sait-on de la conscience des fourmis « infirmières » ? Pas plus que nous savons quelque chose de la conscience potentielle des arbres ! On peut se demander si l'évolution de toutes les espèces possède une dimension transcendante qui échappe à la vision mécaniste : l'homéostasie finale consisterait à dire que toute cette lutte serait une lutte opérationnelle de survie des espèces qui se terminera avec l'extinction du soleil. Un moment donné la conscience ne suffit plus : il y a place pour la croyance. Se pose donc à la conscience la question du sens qui détermine notre action et donne une relativité à la temporalité de notre existence et de notre finitude en relation avec l'évolution de la vie qui dépasse nos individus. Aujourd'hui il existe une contradiction majeure entre cette hyperfocalisation sur l'individu qui est une espèce de leurre qui comporte un élément destructeur parce que réducteur et auto-centré. La contradiction est de préserver son individualité dans une vision homéostatique de son existence qui finit par être contreproductive de la civilisation.
- Pourrait-on a contrario penser que l'individualité est une chance de survie sociale ? D'après Damasio nous sommes programmés pour nous protéger individuellement et éventuellement un petit cercle proche de nous. Peut-être que les communications de masse ont fait leur temps et que pour sauver la planète il ne faut plus s'adresser à des pays entiers mais à son voisin et que, de proche en proche, on arrivera à communiquer et à diffuser des idées susceptibles de transformer les choses.
- Les vols d'étourneaux ont un comportement incroyablement commun parce que chaque individu communique avec trois, quatre, cinq de ses voisins et la communication s'étend de proche en proche. La société de vols d'étourneaux a un comportement magnifique, quasiment artistique. Comme dans les réseaux sociaux !
- Pour la prise de conscience des défis humains et environnementaux actuels, voir Anders et son ouvrage sur l'arme atomique : Hiroshima est partout. D'autre part depuis une vingtaine d'années existe une prise de conscience du réchauffement climatique ( voir Bruno Latour ).
- La culture est capable d'évolution depuis 50000 ans. Mais en se développant elle est aussi capable de destruction. C'est inhérent à sa puissance. C'est important de savoir que nous avons un inconscient et que nous ne sommes pas maîtres chez nous ( voir Freud ). D'où tout l'intérêt de connaître les mécanismes secondaires à l'homéostasie comme par exemple dans le domaine politique : il ne faut pas stigmatiser le Front National et la droite parce que cela ne fait que les renforcer. Il est préférable de tenter de comprendre les mécanismes psychologiques qui font aboutir à ce type de position et d'agir autrement.
- Damasio nous explique que avant même que nous décidions quelque chose, des choses se sont passées en amont de notre conscience et nous ne faisons qu'exprimer ces choses. C'est une part de l'inconscient prouvée scientifiquement.
- Une préoccupation : dans les collectivités de travail quels sont les mécanismes en oeuvre ? Quels mécanismes individuels et collectifs existent pour s'opposer à cette marche destructive. Cela semble difficile. Qu'est-ce qui peut s'opposer « au cynisme des milliardaires actionnaires » dont parlait ce jour Attali sur France Culture, eux qui ne se préoccupent pas des employés de base. Que pensent ces personnes en utilisant leur pouvoir de destructivité ? - On pourrait imaginer que ce qui empêche les gens d'agir c'est ce que nous avons en moins en nous par rapport aux animaux ? Ils ont des mécanismes qui les protègent contre l'autodestruction !
En conclusion : « La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort » nous dit un célèbre médecin de la fin du XVIIIème siècle, M. F. Xavier Bichat.
Peut-être peut-on trouver du sens à vivre à l'intérieur de nous-mêmes cette force de vie issue des temps immémoriaux et à partager son expression avec d'autres humains ?
Café politique du jeudi 12 avril 2018.
Présentation par Jean-Luc.
S'imposer par le commerce et le négoce ou par la force et la guerre? La question se pose depuis Sparte et Athènes. La bataille se joue aujourd'hui entre Washington et Pékin, entre l'Etat militariste impérialiste américain et l'Etat-entreprise conquérant chinois.
L'architecture globale du monde contemporain s'est mise en place après l'effondrement de l'URSS, suite auquel les USA avaient cru pouvoir substituer à la "guerre froide" un monde unipolaire qui, sous leur férule, aurait dû fonctionner comme une entreprise-monde. Toutefois, l'échec de ce système se déroule sous nos yeux, la Chine affichant son ambition de prendre la relève en se positionnant comme une nation-entreprise, pionnière d'un monde multi-polaire.
Après la 2e guerre mondiale, un consensus s'était formé, dans la sphère capitaliste, affirmant que les questions politiques et donc économiques relevaient de la souveraineté du peuple. Au sein de chaque nation, cette souveraineté s'exerçait dans le cadre de l'Etat de droit, dénomination permettant de qualifier l'organisation juridique de la société garantissant les droits individuels et la libre expression des minorités politiques. Néanmoins, ce l'on a longtemps appelé le "monde libre" était en guerre idéologique, se traduisant par le concept de guerre froide, contre les pays communistes. Cette guerre froide a permis et a légitimé pour les USA un leadership croissant dans le monde capitaliste grâce aux organismes qu'ils dirigeaient et dirigent encore, FMI, Banque mondiale, OCDE, OTAN, pour les principaux.
Après la chute du communisme, par effondrement, comme dans les pays du Comecon, par sortie organisée directement par le pouvoir politique comme en Chine, les USA, victorieux par défaut de la "guerre froide" ont imaginé un monde unipolaire, où l'économie se substituerait aux questions politiques. Celles-ci, reléguées dans le champ du "politiquement correct" ne devant plus faire débat mais faire uniquement l'objet d'un consensus. Ainsi, le monde pourrait être géré comme une entreprise-monde dont les USA seraient le guide éclairé (pour le fondement idéologique de cette posture, voir mon introduction : « les pays européens face aux guerres du Moyen-Orient"). Cette conception d'un monde-entreprise unipolaire devait s'appuyer non sur la puissance économique des USA, assez faible au demeurant, mais sur la puissance monétaire, complétée par la puissance militaire, destinée à faire des pays récalcitrants, des "ZAP", des zones à piller.
Rapide et très sommaire aperçu concernant le domaine monétaire: en 2008, selon le FMI, le $ représentait 73% des réserves de change en devises dans le monde. Ce pourcentage n'a cessé de décroître depuis, mais jusqu'à cette date, la quasi-totalité du commerce mondial se faisait en $. Pour verrouiller le système, le FMI a créé en 1969, les DTS, "droits de tirages spéciaux", qui permettent à n'importe quel pays de la planète de lier sa monnaie au DTS, lui assurant une stabilité rassurant les investisseurs. Naturellement, le FMI n'accorde sa confiance qu'aux pays qui suivent sa ligne d'ajustement économique. La valeur du DTS est exprimée en $ et fait l'objet d'une cotation quotidienne à la Bourse de Londres bien qu'il soit composé de valeurs monétaires elles-mêmes cotées, à savoir le $ à hauteur de 42%, l'€ à 31%, le yuan à 11%, le yen à 8%, la £ à 8%. Par ailleurs, un pays disposant d'excédents commerciaux au détriment d'un autre, peut voir garantie sa créance par des DTS qui lui sont alloués, le pays défaillant devant alors trouver un "arrangement" avec le FMI. En cas d'échec, le pays est dépecé par les "fonds vautours" dont la prédation se fait sous l'ombre de tribunaux US (extra territorialisation du droit commercial américain) . En 1973, un accord est signé entre l'OPEP et les USA pour le paiement des exportations de pétrole exclusivement en $. Ce système a généré une masse gigantesque de pétrodollars permettant aux USA d'écouler la création monétaire de la FED (banque centrale US), création qui n'est limitée par aucune législation (des esprits "conspirationnistes" se poseraient la question de savoir si le quadruplement du prix du pétrole à la même époque n'avait pas eu pour raison d'être la relance des exportations d'armes vers ces mêmes pétromomarchies). Cette création monétaire illimitée a fini par servir de carburant à une économie parallèle, le marché des produits dérivés, instruments spéculatifs ne reposant sur aucune valeur sous-jacente. Lorsque la machine s'enraye, comme en 2008, la FED, suivie par la BCE, rachète les actifs financiers au moyen de la création monétaire et, pour stimuler le marché, elle permet aux banques d'emprunter à taux 0, mais sans contrôler l'usage que font les banques de cet argent. Parallèlement à cela, comme l'Etat US savait que le monde avait besoin de $ pour commercer, il ne s'est absolument pas soucié de sa dette, qui a dépassé les 21 000 milliards de $. Imagine-t-on une multinationale qui aurait une telle dette? Sa cotation boursière cesserait instantanément. A quoi a servi cette dette? Un rapport de la FED concernant la situation des USA en 2017 donne le chiffre de 54 % de la population en voie de précarisation ou en état de détresse, alors que, selon le FMI, au niveau mondial, le montant total des "produits dérivés", atteint plus de 10 fois le PIB mondial, lui-même étant de 80 000 Md de
Aperçu concernant la question militaire: pour assurer la pérennité de ce système, les USA ont développé une force militaire gigantesque. A tel point qu'on peut se demander si les appréhensions du président Eisenhower en 1961, ne sont pas devenues réalités (le complexe militaro-industriel exerçant la réalité du pouvoir). D. Trump, malgré sa tonitruante campagne sur la relance économique intérieure et ses non moins fracassants propos sur l'"Etat profond" qui ruine le pays, a sagement et docilement doté le Pentagone d'une enveloppe de 640 milliards de $ pour 2018 (en hausse de 65 milliards, soit l'équivalent de la totalité du budget russe). Tant que des petits dictateurs locaux voulaient sortir du système de l'économie-monde version USA, le Pentagone a pu s'en débarrasser rapidement (S. Hussein voulait commercer en € et Khadafi voulait anéantir le franc CFA). On a inventé le concept de guerre préventive pour justifier cet interventionnisme diplomatiquement. Depuis, on l'a greffé partout où surgissaient d'authentiques mouvements ou révoltes populaires et, pour en faire une présentation médiatique avenante, on a saupoudré le tout d'une phraséologie droitdel'hommiste et de lutte pour la démocratie. Les choses ont commencé à changer quand les yeux des Chinois se sont débridés et ceux des Russes se sont décillés. A l'heure actuelle, l'empire-monde semble craindre le duopole Chine-Russie (cf discours de Trump du 18.12.2017 sur la sécurité nationale)
Venons-en à la Chine. La succession de Mao Tsé Toung s'est soldée par la victoire de Deng Xiao Ping, qui décida, après la répression de Tien an Men en 1979, de sortir la Chine du communisme. Sa source d'inspiration a été le mode de gouvernement mené dans ce qu'on appelait les 4 dragons, et plus particulièrement à Singapour. Le 1er ministre de cet Etat, Lee Kwan-Yew, était en fonction depuis 1959. Sous sa direction, ce qui fut un petit avant-poste colonial allait devenir une économie prospère. Dès son indépendance, acquise en 1965, Singapour proclama sa neutralité et son non-alignement. Sur le plan intérieur, sa première grande décision concerna la lutte contre la corruption, il prit des mesures pour limiter la natalité en instaurant des sanctions financières dès le troisième enfant. Mais parallèlement à cela, il modifia le statut de la
2 femme, en faisant d'abord la promotion des femmes diplômées, créant un "réseau des mères diplômées", suivi d'un "programme des mères diplômées", exemptées de la limite à deux enfants. La restriction de la natalité fut levée à la fin des années 90. La politique économique a été tournée vers le secteur bancaire et financier, destiné à alimenter en capitaux l'APEC (Asian-Pacific Economic Cooperation), l'activité portuaire (actuellement, Singapour est le deuxième port au monde après Shanghai) et la construction navale. Parallèlement à cela, fut menée une politique pénale stricte, n'excluant pas les châtiments corporels pour les toxicomanes et les migrants clandestins. Les résultats furent à la hauteur, le pays connaissant une croissance économique soutenue. Cette politique inspira tant Deng Xiao Ping que l'ensemble de ses successeurs jusqu'à Xi Jinping.
La Chine, qui, économiquement ne pesait rien en 1980, ambitionne maintenant de passer d'un statut d'économie au statut de pays émergent au rang de leader mondial, avant d'être le moteur de l'économie-monde (objectif fixé pour 2050).
Il est intéressant de faire un comparatif entre l'évolution chinoise, qui illustre bien le concept de nation-entreprise et celle de l'ensemble anglo-saxon, leader qui se voulait sans concurrent de l'économie mondiale après 1990, mais qui est en train de perdre la main et cherche désespérément des solutions pour garder son leadership, ou retarder sa chute ! Dans ce cadre, il est inutile de parler de l'Europe, qui s'étant arrimée au monde anglo-saxon, et à moins d'un hypothétique réveil, accompagnera les USA et ses proches dans ses égarements, ses errances et certainement son déclin.
Dans l'empire du milieu, il peut sembler étrange que la transition vers le capitalisme se soit faite sous l'égide du parti communiste. Mais pour le camarade Deng "ouvrir les fenêtres fait entrer l'air pur mais aussi les mouches". Aussi les libertés économiques ne sont-elles pas accompagnées de libertés politiques. Mais même les libertés économiques furent rigoureusement encadrées, le gouvernement refusant le turbo-capitalisme à l'américaine. Il a été affirmé que l'économie devait se fonder sur la production de biens réels et non sur des produits spéculatifs, lesquels, il faut bien le dire, sont une des principales causes du déclassement occidental. De plus, pour les dirigeants chinois, il n'y a pas d'économie prospère sans environnement politique stable. Ils considèrent qu'ils leur faut assurer la stabilité des Etats avec lesquels ils traitent, uniquement par le renforcement des liens commerciaux. Il ne saurait être question de transfert de souveraineté vers une instance supérieure, ni bien évidemment de "guerres préventives". C'est là tout le but stratégique de la "route de la soie", initialement prévue pour créer une zone de libre-échange entre la Chine et les pays formant l'UEEA (Union économique eurasienne), à savoir la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et l'Arménie. Cette zone se complète par celle de l'OCS (organisation de coopération de Shanghai (pays précités plus l'Inde et le Pakistan, L'Iran a un statut d'observateur et la Turquie a manifesté son intérêt). D'ores et déjà, l'OCS, créée en 2001, regroupe 43 % de la population mondiale et 1/3 de l'activité économique mondiale. Il s'agit, au sein de ces 2 organisations, non seulement de favoriser le développement de marchés entre les Etats membres mais également de prévenir et d'éviter tout conflit qui pourrait surgir à l'intérieur de la zone. Tout ceci étant théorisé par le camarade Xi sous l'appellation "Nouveau type de relations internationales".
Pour financer le développement économique de ces Etats, a été créé en 2013, la BAII, Banque Asiatique d'Investissement des Infrastructures qui complète la Nouvelle Banque de Développement, laquelle est la banque des BRICS. Le but avoué est de concurrencer le FMI et la Banque mondiale. Mais pour l'heure la devise utilisée pour la capitalisation de ces établissements est encore le $.
Un mot sur la conception idéologique chinoise. Le "nouveau type de relations internationales" se dit reposer sur une "conception bienveillante de la politique", dont l'objectif est de dépasser la civilisation occidentale fauteuse de guerres pour atteindre "la paix universelle". Pour ce faire, il importe de combattre les armes doctrinales de l'Occident que sont la démocratie et les droits de l'homme, car ceux-ci, outre représenter une vision "occidentalo-centrée" du monde, sont le masque derrière lequel s'avance le bellicisme états-unien. L'ambition affichée est de "substituer la compétitivité marchande entre tous à la supériorité militaire d'un seul" et de relier le libéralisme économique à une "conception éthique des relations internationales". Les conflits internationaux qui ont cours ne sont pas des conflits de civilisation, mais des conflits d'intérêt qui ne peuvent se résoudre de manière militaire, mais uniquement par des négociations commerciales. La "pensée Xi-Jin Ping", est en réalité une nouvelle mouture du confucianisme, elle fait du dirigeant un nouveau "fils du ciel", appelé à penser non seulement la Chine, mais le monde entier. Certes, non pour le dominer, mais pour l'ordonner autour du "doux commerce", comme aurait dit Montesquieu.
Les projets chinois suscitent l'inquiétude des USA, qui essaient de contrecarrer par des révolutions dites de "couleur" les rapprochements réels ou supposés avec le dragon asiatique (succès en Ukraine, échec en Egypte et en Iran, situation incertaine au Venezuela), des coups d'Etat (échec en Turquie) ou par des guerres impérialistes (échec en Irak et en Afghanistan - bilan d'environ 4 millions de morts selon le CICR pour un coût total estimé à 4 000 milliards de $ selon Times magazine - et très certainement en Syrie -bilan de 465 000 morts selon le Monde-). On notera la vigoureuse réaction des autorités en Birmanie désamorçant un conflit naissant.
En réalité, le "Projet pour un nouveau siècle américain", théorisé par Bush Jr. a du plomb dans l'aile. Le concept de "full spectrum dominance" qu'ont développé les stratèges de la Maison blanche, s'est appuyé et continue de la faire sur une propagande éhontée destinée à abrutir l'opinion publique tant américaine qu'européenne. Il ne s'agissait de rien de plus que d'une revendication ouverte d'hégémonie au mépris de l'ordre international tel qu'il existait depuis 1945. La mondialisation à l'américaine signifie la liquidation du droit international dans le but de créer des systèmes de protectorat sur les pays disposant des ressources en matières premières sans lesquelles la gigantesque machine de guerre US ne peut fonctionner. Mais la guerre perpétuelle nécessitant des financements toujours plus colossaux, elle n'arrive plus à être payée par "le privilège du $". Elle est l'une des causes de la lente paupérisation de franges toujours croissantes des populations occidentales et les mouvement dits "populistes" n'ont de succès électoraux que parce que l'électorat se sent floué. En France en 2017, le candidat mondialiste n'a dû son succès que grâce à une manipulation mediatico-judiciaire infâme et à l'idiotisme assumé de sa compétitrice.
Le camp occidental s'est toutefois tiré une balle dans le pied en traitant avec les régimes obscurantistes sunnites. La finalité étant que ceux-ci financent l'intégrisme religieux destiné à maintenir les populations agressées dans un état de sous-développement et d'arriération culturelle et qu'en plus elles acceptent de fournir les troupes supplétives via les organisations terroristes afin de venir à bout des Etats-nations là où ceux-ci défiaient "l'hyper-puissance" ( H.Védrine).
Pour faire face à cet environnement dangereux, le camp anti-occidental développe sa coopération militaire, quoique le Pakistan reste pour l'heure lié aux USA. En fait, les deux poids lourds de l'ensemble sont la Chine et la Russie, la puissance économique chinoise soutenant financièrement et diplomatiquement les efforts militaires de la Russie. Le pari chinois et maintenant russo-chinois est qu'un système coopératif, se projetant sur le long terme, fondé sur la souveraineté des nations, le multilatéralisme et le droit international
4 viendra à bout de l'unilatéralisme états-unien, dont, selon H. Védrine, "la suprématie s'exerce aussi bien sur l'économie, la monnaie, la technologie, les domaines militaires que sur les modes de vie, les produits culturels de masse qui submergent le monde, modelant les pensées et fascinant jusqu'aux adversaires des Etats-Unis".
L'avenir dira qui, des constructions supra-nationales agissant en vue de la création d'une zone-monde favorable à la spéculation financière mais destructrice à la fois de l'économie réelle et des sociétés civiles car déconnectée des besoins des populations ou alors des unions reposant sur les souverainetés nationales, l'investissement productif, la mémoire historique et donc la cohésion des ensembles nationaux, dépasseront les questions politiques et feront des pays des entités pouvant être gérées comme des entreprises.
Jean LUC
Café politique du 12 avril 2018. Synthèse des débats.
Peut-on gérer l'Etat comme une entreprise ?
Après l'exposé de Jean-Luc, le débat s'ouvre.
1 ) La spécificité des services publics par rapport à l'entreprise.
-
Du temps de la Royauté on ne parlait ni de management ni d'économie. Il était question de Turgot, de Colbert. La transcendance éloignait le Roi des questions concrètes et de l'argent. Jusqu'à la guerre de 1914 le ministère de l'économie ne tenait pas une place importante dans le gouvernement. Depuis Fukuyama il existe une pensée qui dit que l'univers libéral est la fin de l'histoire. Il n'y a donc plus besoin d'avoir de doctrine politique, ni d'idéologie. Tout se règle comme dans une entreprise. Or quand l'Etat crée une école il sait qu'elle servira aux générations futures. On ne peut imaginer une entreprise qui fabrique une chaîne de montage pour l'utiliser deux générations plus tard.
-
En comparant l'Etat à l'entreprise on s'aperçoit que l'entreprise privée est une entité individuelle qui défend ses intérêts propres et ne prend pas en compte des éléments qui ne lui sont pas utiles alors que l'Etat doit assumer le « tout ». Il doit assumer son environnement. Gérer l'Etat comme une entreprise n'est donc pas concevable. L'Etat a une logique collective, il se doit de veiller à la redistribution sociale.
-
La notion de prix coûtant pour un service public n'a pas plus de sens que pour une entrepris eprivée. C'est une abstraction. Il y a des coûts pour chaque petit produit dans l'entreprise privée et ces coûts varient sans cesse. Les entreprises préfèrent parler de bénéfices. Peut-on évoquer les bénéfices dans le cadre des services publics ? Quel sens cela a-t-il ?
-
Pour espérer des services publics satisfaisants, l'exemple devrait venir du sommet de l'Etat. Dans certains pays nordiques des ministères ne sont constitués que d'une vingtaine de collaborateurs, les autres fonctions étant sous-traitées par des entreprises privées.
- La limite de considérer l'Etat comme une entreprise privée se voit dans l'initiative à laquelle Macron a présidé comme ministre des finances. Les actionnaires d'Alstom ont approuvé à la quasi-unanimité le passage sous pavillon américain du pôle énergie du fleuron industriel. 70% des activités d'Alstom sont vendues au conglomérat General Electric ( G E ). C'est désormais le groupe américain qui décidera à qui et comment vendre les turbines. Par ailleurs notre indépendance nucléaire dans le domaine militaire est menacée : si nous décidons de construire un sous-marin nucléaire, l'accord de la GE est indispensable.
-
Une question se pose à propos du langage « managérial » qui a cours au sommet de l'Etat avec l'utilisation de mots anglais et d'un vocabulaire économique comme la disruption et la libération des énergies. Est-ce que ce vocabulaire ne signe pas un éloignement de Macron et de son gouvernement par rapport à la réalité quotidienne des Français ( voir l'article du Monde en fichier joint ) ?
-
Comment définir l'efficacité des services publics ? Comment mesurer le bien-être des populations que devraient susciter la prospérité et la paix garanties par l'Etat ? Est-ce en faisant la somme de tous les services rendus par l'Etat ?
2 ) Quelles propositions pour des services publics satisfaisants. ?
-
La première condition pour avoir des services publics satisfaisants est que l'Etat soit souverain. L'exemple de la Grèce nous démontre que Syriza avait promis de nationaliser le secteur bancaire, mais une fois au pouvoir, Tsipras a reçu des instructions pour ne pas appliquer son programme. Il est vrai que la Grèce dépend de l'Europe.
-
A contrario, l'Islande, plus endettée encore que les Grecs, a nationalisé ses banques et rétabli son économie. Les spéculateurs étrangers n'ont pas été remboursés. Ce programme s'est accompagné d'une forte austérité que peut-être les Allemands et les Français ne supporteraient pas. Il est vrai que l'économie islandaise s'est rétablie en partie grâce à la géothermie, à son contrat avec la Chine pour la fusion de l'aluminium et à ses terres rares.
-
La question financière et la place de banques dans un pays a une grande importance en ce qui concerne les services publics. Le 10 juin il y aura une votation en Suisse qui mérite notre attention. Il s'agit d'une votation sur « la monnaie pleine » qui suppose que les banques ne délivrent plus de crédits supérieurs à leurs avoirs et abandonnent toute spéculation financière. C'est une initiative intéressante qui est à l'envers de ce que nous connaissons en Europe quand les banques centrales facilitent la fuite en avant des banques privées dont elles couvrent les déficits. En proposant cette votation il est clair que les Suisses pensent qu'il est impossible de prolonger le système de la monnaie virtuelle qui incite les personnes à vivre au-dessus de leurs moyens. L'argent-dette tendrait à disparaître et ce serait un retour à l'argent scripturaire. Le franc suisse a par ailleurs cette particularité d'être le seul à disposer de sa contrepartie en or dans les coffres des banques suisses. La Chine est sur la même voie : il y aura le yuan or.
- Il faudrait proposer aux Français de quoi remédier à leur inculture économique, technologique et géopolitique. Le fait que cette inculture perdure pose question alors que certains pays de l'Est comme l'Estonie ont beaucoup progressé dans ce domaine. Ce serait bien de miser sur l'éducation populaire en France.
-
Comment faire consensus dans une nation en tenant compte des langages si divergents et qui évoluent avec les contextes ? Même si les services publics sont définis dans la Constitution française et au niveau européen, il reste beaucoup de zones d'ombre pour leur mise en oeuvre. L'hôpital public est un bon exemple.
-
Emmanuel Todd écrit dans le Monde diplomatique qu'il existerait un consensus entre l'oligarchie mondiale et les dirigeants politiques comme Macron pour « décerveler » la population. Des éléments de langage seraient ainsi mis en place dans cette visée en particulier par la presse entre les mains de cette même oligarchie. L'Education nationale qui continue sa mission de transmission échapperait à cette intention. Il s'agirait surtout de l'influence des médias informatisés qui privilégient l'aspect anecdotique de l'information et empêchent ainsi la construction d'une pensée.
En conclusion, il semble qu'il subsiste un certain flou sur l'avis des populations par rapport aux services publics. Depuis près de trente ans la société de consommation imprègne une partie de nos vies. Nous recherchons notre bonheur individuel. Où est vraiment la conscience citoyenne ? Existe-t-il la possibilité d'un débat de fond sur les questions importantes ? Macron le proposera-t-il dans un deuxième temps ?
Il reste que la question de la mondialisation et de ses effets est à prendre en compte quand nous évoquons les services publics et leur place dans la nation.
Peut-on gouverner un pays comme une entreprise ?
Extraits d'articles du Monde du samedi 24 mars 2018 intitulé : Macron et les mots choisis de la réforme, le président et sa majorité usent et abusent d'un vocabulaire managérial pour défendre leurs projets de loi.
Premier article :
« Dans le moment actuel, on n'est plus dans le concept, on est dans le « faire », note Mariette Darrigand, auteure d'Emmanuel Macron en dix mots en septembre 2017. Lors de sa campagne le chef de l'Etat avait « réhabilité la dimension conceptuelle du langage politique », n'hésitant pas « à utiliser quelques « gros mots » abstraits, tel progressisme ». Mais le champ lexical « de la technicité et de l'efficacité » a pris le dessus ces dernières semaines....
Damon Mayaffre, chercheur au CNRS et spécialiste de l'analyse du discours politique
décèle les éléments structuraux du discours macronien depuis un an : « Il aime bien le
suffixe « tion » et peu les mots en isme, qui font référence à l'idéologie, à un passé
lointain. Macron les emploie peu, à l'exception notable du « terrorisme ». Transformation,
gestion, innovation... On parle davantage du processus des choses, de la gestion de
l'existant. Il y a un discours managérial, volontairement dépolitisé, qui apparaît »...
Macron utilise une certaine euphémisation, technique très utilisée par les entreprises
confrontées à des décisions douloureuses. Ainsi, en Macronie, la coupe drastique dans le
budget du Grand Paris Express devient une « optimisation » du projet ; la diminution du
nombre des fonctionnaires passe par un «plan de départs volontaires » ; le mots brutal d'«
expulsion » est gommé au profit de ses synonymes administratifs désincarnés, «
éloignement » ou « reconduite ». ... De ce point de vue il y a continuité avec les
précédents quinquennats........
L'irruption d'anglicismes est en revanche une marque de fabrique propre à la Macronie. « En s'exprimant en anglais, il rompt deux tabous : la langue française et la langue de l'entreprise innovante ». Les députés s'en sont fait une spécialité et ne jurent que par le « bottom up », le « team building » et le feed-back.... Cette évolution du discours de la majorité n'est pas anodine pour Emmanuel Macron qui avait lui-même théorisé l'emploi de registres multiples lors de sa campagne. « Je reprends volontiers à mon compte les trois strates du discours politique, expliquait-il à Challenges en octobre 2016. La strate idéologique qui permet de donner du sens et des perspectives ; la strate technocratique qui détaille les moyens techniques d'exécution ; la strate de la réalité et du quotidien, que l'univers politico-médiatique ridiculise et dédaigne. Depuis vingt ans, le champ politique a déserté les première et troisième strates pour s'engouffrer
uniquement dans la deuxième ».........
Article de Nicolas Chapuis.
Deuxième article :
« Camoufler la violence sociale sous des expressions abstraites »
Pour Cécile Alduy ( professeure de littérature à Stanford ) l'euphémisation est une
clé de la rhétorique LRM.
Premier marqueur : la syntaxe est particulière, avec l'emploi intransitif de verbes transitifs comme «faire», «transformer» ou l'usage dans l'absolu de verbes comme « agir » ou « avancer » sans compléments. Avec cet élément de langage répété comme justification de toute mesure : « le président fait ce qu'il a dit ». Deuxième marqueur syntaxique : il découle du mouvement dialectique de la pensée « en même temps », qui suppose de toujours tenir ensemble les deux versants a priori opposés d'un problème ( « liberté et protection », « humanisme et fermeté » ) ... Mais l'équilibre des phrases ne veut pas dire équilibre des politiques entre libéralisation et protection sociale par exemple. Influences de la Macronie dans le choix des mots :
Deux sources au premier abord étrangères : une inspiration littéraire d'une part, une culture d'entreprise d'autre part part. On a deux littéraires à la tête du pouvoir : Philippe un romancier..., Macron, khâgneux et théâtreux, assistant de Ricoeur. Mais tous deux sont passés par le privé ( Areva, Rotschild ) et sa logique de rentabilité et de profit, et sa novlangue du business ). Leur culture littéraire adoucit les propos.
Que recèle le mot « disruptif » ?
Le « et de droite et de gauche » se vante d'être disruptif parce qu'il casse la structuration même du paysage politique pour faire émerger d'autres systèmes de fonctionnement... On ne voit pas encore en quoi cela révolutionne la production des politiques publiques par exemple. En fait les résultats viennent banalement des idées qui existaient déjà ( réforme de la SNCF, des prud'hommes, de l'asile ) mais « disruptif » donne un cachet « start-up ». Que signifie le recours fréquent aux anglicismes ?
C'est la marque d'un langage issu du monde de l'entreprise et des grands groupes internationaux... Mais l'anglais est très peu maîtrisé par les Français et là encore c'est un marqueur de classe à double tranchant. L'euphémisation du discours pour faire passer les réformes.
C'est une tendance du discours managérial, surtout en gestion de ressources humaines. On peut citer « libérer le travail » ou « plan de sauvetage de l' « emploi », qui est un comble d'inversion sémantique puisqu'on parle de plans de licenciement. Cela permet de faire avaler la pilule, de camoufler la violence sociale sous des expressions abstraites.
Troisième article : Quatre mots-clés du lexique LRM.
La disruption : Maître mot du nouveau pouvoir qui sert tout autant à définir une stratégie politique ( « éviter d'avoir à choisir entre une voie ou l'autre et en trouver une médiane » selon le promoteur de ce mot dans les années 1990, le publiciste Jean-marie Dru ) qu'à sortir d'un mauvais pas, en disqualifiant toute critique... Synonyme sarkozyste : rupture. Coconstruction : Méthode d'élaboration des projets de loi avec la participation des syndicats et du patronat. « C'est comme la construction d'une maison : on discute des plans, on demande l'avis de tous, on se laisse convaincre, on trouve une place pour tout le monde, mais c'est quand même le gouvernement qui reste le maître de l'ouvrage »... Synonyme hollandais : concertation.
Libérer les énergies : Il s'agit de supprimer des contraintes, des normes, des dispositions dans la loi pour permettre aux acteurs individuels de l'économie de s'exprimer. La formule « libérer les énergies » se conjugue en général avec son corollaire « protéger les individus », même si ce dernier volet est pour le moment moins visible. Synonyme dans l'ancien monde : libéraliser.
« Bottom up » : Très prisée par les députés LRM, l'expression se traduit par « remonter des idées de la base vers le sommet ». L'élu est ainsi invité à calquer son action sur la démarche d'Emmanuel Macron qui avait lancé sa campagne présidentielle en organisant un grand porte-à-porte national pour consulter les citoyens. Synonyme sous l'Ancien Régime : cahier de doléances.
Peut-on gérer l'État comme une entreprise..?
Depuis l'avènement de l'idéologie néolibérale après la fin des trente glorieuses, on dit qu'il faut moderniser l'État. L'État-providence s'épuisant face à la crise et la mutation de l'économie, l'idée qu'il était mal géré s'est développée en même temps que l'image de l'entreprise se revalorisait, l'entreprise s'impose comme modèle de gestion...
Avec l'accession au pouvoir de chefs d'entreprises comme Berlusconi, le pas est franchi : on va gérer l'État comme une entreprise. Toutefois, la réussite en politique des chefs d'entreprises est plutôt rare. Nicolas Sarkozy avait manifestement ce modèle en tête, avec les rapports sociaux que cela implique : il commande, on obéit ! Emmanuel Macron a la même attitude. Entités individuelles...
Le principe d'efficacité des entreprises repose sur le fait que leurs décisions ne prennent en compte que leur intérêt propre : c'est la condition de leur performance, de leur succès et de leur survie.
Les entreprises sont des « entités individuelles » parce que leur réussite, leur performance et leur survie dépendent de leur capacité à mettre en œuvre, en production, les éléments judicieusement choisis dans l'environnement. Les entreprises prennent les éléments qui les intéressent, qui leur sont utiles, et laissent les autres en dehors d'elles, ne s'en occupent pas, ne s'en chargent pas. Toute charge inutile grève leur performance.
La performance des entreprises tient à la bonne sélection des éléments qui leur sont utiles à leur mise en œuvre judicieuse et productive. Ces éléments sont aussi bien : l'objet de leur production, le capital, l'insertion dans le marché, les effectifs embauchés, etc.
Cette performance tient donc à la non-prise en charge des éléments qui ne leur sont pas utiles.
Cette sélection individuelle des éléments de production et leur mise en œuvre particulière est une source infinie d'innovation dont les autres entreprises vont pouvoir s'inspirer : elle est à la base du dynamisme économique.
Les entreprises sont concurrentes entre-elles, leurs performances ne sont donc pas déterminantes en soi, mais en comparaison avec celles des autres entreprises, et pas seulement nationales.
et entités collectives...
L'État, lui, doit assumer le « tout », c'est en cela qu'il est un État. Il ne peut rien rejeter en dehors de lui. L'État doit assumer tout son environnement, il n'a pas d'en dehors. Si on le faisait fonctionner comme une entreprise, il sélectionnerait les éléments qui lui sont utiles, mais il devrait aussi prendre en charge les éléments qu'il n'aurait pas sélectionnés, contrairement aux entreprises.
Si l'on demandait aux entreprises d'assumer le - tout -, elles y perdraient leur efficacité. Si l'État n'assume pas le tout, il ne remplit pas sa fonction d'État.
Aussi importantes soient-elles, les entreprises demeurent des entités individuelles : elles n'assument pas la responsabilité du tout.
Aussi petits soient-ils, les États demeurent des entités collectives : ils assument la responsabilité du tout.
C'est là, la différence fondamentale entre l'État et l'entreprise.
Gérer l'État comme une entreprise est donc une aberration, et ne peut être accompli qu'en trompe-l'œil, sauf à l'asservir à une catégorie de citoyens particulière, oligarchie ou autres. Les tentatives de gestion entrepreneuriales de l'État essaient de sélectionner les éléments divers, mais voudraient oublier qu'elles doivent intégrer les éléments qu'elles ont écartés... Les entreprises publiques, par contre, peuvent et doivent sélectionner les éléments qui les intéressent, sans intégrer les autres, car leur périmètre d'action est limité. Finalement, leur mode de gestion efficace est le même que celui des entreprises privées. À ne pas confondre avec les « services publics » qui peuvent être assurés soit par des agents de l'État, soit par des entreprises publiques, soit par des entreprises privées. Ce n'est pas le statut des agents qui assurent ce service public qui le définit en tant que service public, c'est le service qu'il rend au public, sans doute hors service marchand, quoique le financement du service public nécessite la participation financière des « usagers ».
et leur articulation
Le fonctionnement d'un pays repose sur ces deux logiques dynamiques : individuelle pour les entreprises et collective pour l'État, et leur articulation.
D'une part, les entreprises doivent sélectionner et animer les meilleurs types d'organisation de la production, puis l'État doit assurer la meilleure distribution et redistribution : ces deux logiques dynamiques doivent être respectées pour qu'elles puissent s'alimenter l'une l'autre. Et elles doivent être équilibrées pour qu'elles profitent à l'ensemble du pays et de la population, facteur déterminant de leur développement.
Jean Jung.
L'Etat et les religions
Café politique du 24 mai 2018!
L’Exposé.
La question des relations entre l'Etat et les religions ressortit du type de légitimation du pouvoir temporel souhaité. Déjà, dans le monde du droit romain, on voulut soumettre la « Potestas » du pouvoir civil à l'«Auctoritas » religieuse et transcendante.
Le siècle des Lumières prôna de substituer au religieux le « contrat social » pour garantir le pouvoir, quand la Révolution mit fin aux privilèges du clergé catholique. Napoléon rétablit les relations entre l'Etat français et la papauté par le Concordat de 1801, que la loi de 1905 abrogea afin d'instituer la séparation de l'église et de l'Etat.
Le lien social laïc semblant montrer son insuffisance, Nicolas Sarkozy souhaita dans son discours du Latran en 2007, remettre la religion au cœur de la vie de la Cité.
Enfin, Emmanuel Macron, dans son discours devant la Conférence des évêques de France le 9 avril 2018, fit repentance et déclara son vœu de rallier l'Etat à l'église ! Quand le cardinal Lavigerie proclama l'inverse en 1890 !
Les relations de l'Etat laïc avec l'église ne doivent pas être en rupture totale, ni faire prévaloir l'influence de l'un sur l'autre pour donner le sens du vivre ensemble. Mais, sous l'égide du Ministre de l'intérieur et des cultes en association avec les organisations religieuses respectives, il doit reconnaître, organiser et garantir la manifestation du sentiment religieux privé (s'il existe encore) dans la sphère publique.
I - L'Auctoritas et la Potestas : Quel type de légitimation pour le pouvoir politique?
Notre démocratie traverse une crise quand le « tout économique » remet en cause la légitimité de l'action politique, et ainsi resurgit la très vieille question du mode de légitimation du politique de l'époque romaine. L'Etat est un ensemble institutionnel et juridique qui reposait sur la « Potestas » du pouvoir politique militaire et romain, lequel s'adossait sur l' « Auctoritas » pontificale qui la transcendait.
L'usage de la force politique était ainsi « civilisé », quand l' « Auctoritas » donnait un sens et des limites à l'exercice de la « Potestas ». La religion chrétienne exerça cette autorité qui donna une sacralité capable d'imposer le respect et l'obéissance dans un monde intelligible qui échappait ainsi au chaos ! Qu'on se rappelle le roi Henri IV à Canossa ! Quand les rois de France se réclamèrent plus tard d'une monarchie de droit divin, en prise directe avec Dieu.
II- L'autorité de l' « Auctoritas » a périclité suite au mouvement des Lumières
A l'époque moderne, le peuple et le « contrat social » se sont substitués à la religion pour reprendre les mêmes prérogatives et garantir les pouvoirs des démocraties ; mais cette autorité-là paraît de nos jours très fragilisée et demande un substitut...peut-être de nouveau avec le soutien d'un levier religieux comme les républiques islamiques ?
Des Lumières, nous sommes passés à la Révolution de 1789 qui mit fin aux privilèges exorbitants du clergé catholique. La nationalisation des biens de l'église eut en contrepartie la Constitution civile du clergé pour l'église constitutionnelle, et rien pour l'église réfractaire qui refusait de prêter serment. Puis la Convention décida de ne rémunérer aucun culte. La séparation de l'église et de l'Etat était en germe qui fut instituée en septembre 1794, préfigurant la loi de 1905 mais en passant par la phase Concordat qui rétablit des liens avec les religions.
III- Le Concordat de 1801 rétablit des liens entre l'Etat et l'église
Bonaparte estima que la religion était nécessaire à la stabilité de l'Etat et, tout en étant partisan du pluralisme religieux ; Talleyrand, évêque suspendu et excommunié, travailla activement à la réconciliation de la République avec le pape, tout en préconisant une « religion de la majorité des citoyens » au détriment d'une « religion d'Etat » ce qui autorisait le gouvernement à ne pas se réclamer d'une obédience quelconque, en s'appuyant sur la tradition du gallicanisme français.
Le concordat est un compromis qui voit la nomination des évêques par le gouvernement mais qui reçoivent l'institution canonique du pape. Cette intervention directe de l'autorité pontificale réintroduit la papauté en tant que source de l'institution canonique, ce qui met fin à la séparation de l'église et de l'Etat d'une part, et au principe de l'église anglicane d'autre part. Evêques et curés recevront un traitement convenable mais devront prêter serment de fidélité au gouvernement.
IV - La loi de 1905 de séparation de l'église et de l'Etat
Cette loi abroge le concordat de 1801 dont elle brise les engagements en inventant une laïcité à la française dans l'ambiance anticléricale de la IIIème République : liberté de conscience, garantie du libre exercice des cultes, séparation de l'église et de l'Etat neutre qui reconnait mais ne subventionne aucun culte. La laïcité n'est pas l'athéisme, elle n'est pas non plus une option spirituelle parmi d'autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, elle fait qu'une option n'est pas privilégiée ni séparée des autres, et cela pour accéder à la globalité de l'expérience religieuse humaine.
Mais l'autorité spirituelle a bien trop de manifestations matérielles avec ses lieux de culte et d'enseignement, alors les biens de l'église sont saisis, la liberté de l'enseignement à son bénéfice est réduite...cette loi est bien sûr violemment critiquée par le pape Pie IX !
Rappelons que le Concordat de 1801 et la loi Falloux de 1850 instaurant la liberté d'enseignement au bénéfice de l'église, sont toujours valables en Alsace. Le président de l'Université de Strasbourg est un religieux, ce qui ferait bondir le petit père Combes s'il revenait !
V- Le discours du Latran de 2007 de Nicolas Sarkozy : une entorse à la séparation de l'église et de l'Etat ?
Le président Sarkozy voulut remettre la religion au cœur de la vie de la Cité, en substituant la laïcité positive à la laïcité à la française de 1905 ! C'était ainsi reconnaître la place de la religion dans la vie publique pour réconcilier la République laïque et l'Eglise catholique, et enterrer le clivage clérical et révolutionnaire ! Une relecture de l'histoire de France qui nous fit lui trouver des racines chrétiennes, notre nation aurait eu dans le passé ce lien particulier à l'Eglise !
Le christianisme a façonné la nation française, sa culture et son éthique, et nous avons causé des souffrances à son église par la loi de 1905, que nous nous devons de reconstruire rétrospectivement ! La religion n'est plus tabou car les Français ne sont pas tous athées et la laïcité positive concourt à la définition d'une morale transcendante pour le pays !
Les pasteurs, les curés et les rabbins ont autant d'importance que les instituteurs « hussards de la République » !
VI- Le discours d'Emmanuel Macron à la conférence des évêques de France du 09 avril
2018 : de l'entorse à la laïcité au cri de ralliement de l'Etat à l'église catholique.
Le Président semble avoir franchi la ligne de démarcation qui séparait l'église et l'Etat depuis 1905 ; encore un acte de repentance qui veut réparer le lien entre l'église et l'Etat qui s'est abîmé. L'Etat ne devrait plus être neutre, s'il l'a jamais été, mais devrait garantir positivement le libre exercice des cultes en finançant les diverses aumôneries et en demandant à l'église de s'engager en politique. Nous passons d'une laïcité laïcarde à une laïcité positive puis franchement coopérative dans le cadre d'une cohésion nationale à retrouver, où le religieux redeviendrait un moyen de pression politique.
VII- Un contrepoint au discours de Macron : le discours du cardinal Lavigerie en 1890 sur le
ralliement de l'église à la République.
La République avait chassé Dieu de la sphère publique, malmené la Vendée catholique, saisi les bien du clergé, restreint l'enseignement religieux...et à la demande du pape Léon XIII, Lavigerie demande aux fidèles français d'être des sujets loyaux de la République pour une cohésion nationale, en dépit du fait que celle-ci ne plaidait pas pour un véritable dialogue ni une réelle collaboration! C'était renoncer à la légitimation du pouvoir par l'église qui devait se soumettre à la simple légalité :
« ... L'union [...] est en ce moment [...] notre besoin suprême, l'union est aussi, laissez-moi vous le dire, le premier vœu de l'Église et de ses pasteurs, à tous les degrés de la hiérarchie. Sans doute elle ne nous demande pas de renoncer ni au souvenir des gloires du passé, ni aux sentiments de fidélité et de reconnaissance qu'honorent tous les hommes.
Mais quand la volonté d'un peuple s'est nettement affirmée, que la volonté d'un gouvernement n'a rien en soi de contraire [...] aux principes qui seuls peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées ; lorsqu'il faut, pour arracher son pays aux abîmes qui le menacent, l'adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement, le moment vient de déclarer enfin l'épreuve faite, et, pour mettre un terme à nos divisions, de sacrifier tout ce que la conscience et l'honneur permettent, ordonnent à chacun de nous de nous de sacrifier pour le salut de la patrie ... »
VIII- L'enseignement du fait religieux à l'école laïque, une entorse nécessaire à la
séparation ?
Le fait religieux est un élément de civilisation et un lien qui structure l'humanité, mais l'enseigner dans les écoles publiques ne serait-ce pas une intrusion du religieux dans la sphère laïque en contradiction avec la séparation de l'Etat et de l'église? Nous devons nous rappeler que les faits cultuels sont à l'origine de maints faits culturels : sinon comment comprendre la Synagogue de la cathédrale de Strasbourg, le sens des jours fériés comme l'ascension ; comment comprendre les pratiques de l'autre, musulman ou juif ?
Ce ne sont en fait que des traditions qui ne sont plus véhiculées par la famille, les coutumes, et qui mèneront à une inculture religieuses certes, mais aussi plus générale.
Les questions à se poser sur cet enseignement :
. L'histoire de la religion comme un moyen de raccorder le court au long terme. Ce ne serait pas ramener Dieu à l'école ni y venir faire le catéchisme par les instituteurs.
. Bien distinguer dans le discours qui dit la foi, décrit les faits ou émet des idées, soit un rapport religieux, magique ou rationnel au monde. Ce sera difficile de réaliser une observation froide d'un engagement religieux vécu de l'intérieur !
. La quête de sens est multiple dont le monopole n'appartient ni à la Raison ni à la croyance, mais doit répondre à l'angoisse métaphysique de l'être humain.
. Mais la philosophie et le café philo donnent du sens, même si les stoïciens n'ont pas érigé de clochers ni généré des jours fériés.
. L'Alsace et la Moselle sont avantagées qui ont des facultés de théologie d'Etat.
Nous ne pouvons refouler le religieux comme un trou noir de la Raison mais articuler la dialectique de Saint-Augustin « Croire pour comprendre et comprendre pour croire »
IX- Ni Etat ni religion organisée en église ?
Le rapport entre l'Etat et la religion se réglerait de lui-même de par l'apparent athéisme ambiant actuel ; mais le sentiment religieux et la foi n'auraient pas disparu et seraient relégués dans le for intérieur de chacun en raison de la fin de l'organisation religieuse de la société.
Ni Etat ni religion, car l'homme se serait émancipé du gouvernement des politiques et des dieux, car nous serions sur le chemin de la sortie de la religion quand le politique ne pourvoit plus à une vision du Monde, et de fait :
. Le rapport de force, Etat-religions s'épuise.
. Le politique fait appel au retour du religieux dans la sphére publique afin de redonner du sens. Ceci, alors que le temporel avait pris le pas sur le spirituel, qui n'avait plus ainsi ni autorité politique ou sociale, pour demeurer dans la sphére privée de chacun (en apparence du moins car le sentiment religieux se vit en communauté).
. Le libéralisme économique est vécu comme une fin de l'Histoire, nous risquons de nous enliser dans cet éternel présent libéral sans début ni fin des temps, un commandement de vivre vite ce qui nous reste de vivre, un temps long particulièrement monotone et insupportable qui nous dirigera jusqu'à la fin des temps ! Nous errons dans un éternel présent aveugle, fait de consommation sans mémoire ni projet, un culte de l'instant épars et singulier, en recherche des pires archaïsmes identitaires, bien piètres substitutifs d'espérances éteintes.
Nous serions en apparence à la fin de l'Histoire accomplie comme si nous baignions dans la Révélation messianique, mais c'est un échec car les utopies sociales n'offriraient plus ce salut qu'on avait copié sur la religion.
En fait, il n'y aurait plus ni transcendance ni immanence, nous n'aurions plus rien à attendre d'une fin céleste ni terrestre, maintenant que nous sommes libérés par notre acte de libération. Nous avons une liberté qui ne se définit plus en « contre », et elle est à elle-même sa propre fin, sans plus être au service d'un devenir plus haut et elle ne sait plus à quoi elle sert !
Nous n'aurions plus l'attente de lendemains meilleurs, d'apocalypse, afin d'agréger le collectif et le social ; il n'existerait plus de fins dernières, ni chrétiennes, ni marxistes, ni autres programmatiques à long terme...nous devrions donc nous fixer des buts simplement humains, sans eschatologie ni révolution, tous mouvements qui poussaient pourtant le flux du devenir.
X- Ni Etat ni religion : Fin du salut collectif
Il n'existerait plus de salut collectif, comme prescrit par Saint-Paul avec son souci de réussite d'un défi collectif et égalitaire, il nous faut revenir au salut et à l'émancipation individuels, au repli sur soi-même en notre libre arbitre.ou avec l'aide de coachs du développement personnel ! Ni l'Etat ni les religions ne nous tiennent plus ensemble, nous sommes ramenés à nous-mêmes, tout simplement ; le but transcendant de l'église ou immanent de l'Etat n'est plus, et nous devons nous déterminer nous-mêmes.
Rien ne nous sera plus assigné du dehors et nous devrons nous appuyer, chacun, sur notre ressort intérieur sans attendre aucune organisation civile ou religieuse de la société.
Conclusion : Il semble impossible de reléguer la religion au seul domaine privé, l'Etat ne peut pas tendre à en être séparé, mais il lui incombe d'intervenir afin de garantir le libre exercice des cultes, cela pour organiser et encadrer l'islam ignoré de la loi de 1905, juguler la montée de radicalismes confessionnels et des sectes qui pourraient infléchir le politique (CF : influence des chrétiens fondamentalistes des USA dans la décision de Trump d'établir Jérusalem comme capitale d'Israël en contrevenant aux traités internationaux). Mais il conviendra de ne pas confondre la laïcité avec l'athéisme ni l'instrumentaliser contre l'islam que l'on accuse de vouloir casser le vivre ensemble avec son voile, car la loi de 1905 n'interdit pas la visibilité publique des divers cultes.
Il pourrait advenir également que le politique actuel ne puisse plus offrir de vision à long terme, non plus la religion chrétienne ou l'Islam. mais le sentiment religieux et le besoin d'une transcendance demeurera dont on ne sait quelle forme privée ils prendront, ni quelle autorité sociale ou politique, ils revêtiront. Prenons patience jusqu'à la prochaine Révélation !
Documents consultés
. Marcel Gauchet : « Désenchantement et sortie de la religion », Les éditions de l'atelier, 2004.
. Régis Debray : « Enseignement du fait religieux dans les écoles laïques », Rapport au Ministre de l'éducation nationale.
. Discours du Latran 2007, Nicolas Sarkozy.
. Discours aux évêques de France 2018, Emmanuel Macron
********************
Café politique du 24 mai 2018!
L’Etat et les religions.
Après l’introduction de Gérard, le débat s’ouvre. !
1 ) Les Etats européens et les religions. !
- « Sept Etats européens connaissent un régime de religion d’Etat dans lequel une religion se voit accorder un statut de culte officiel. C’est le cas du Danemark, de la Finlande, de la Norvège, de la Suède (pour le luthéranisme), de la Grèce ( pour l’orthodoxie ), de la Grande-Bretagne ( pour l’anglicanisme ) et de Malte ( pour le catholicisme ). Sept autres Etats professent la séparation des Eglises et de l’Etat, la Hongrie, la Lettonie, le Portugal, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, et la France. Une quinzaine de pays ont signé des concordats ou accords bilatéraux avec le Saint-Siège pour régir les relations entre l’Eglise catholique et l’Etat. Seule la France se proclame laïque dans sa Constitution » (tiré de l’ouvrage Etat et religions de Xavier Ternisien paru chez Odile Jacob en 2007 ).
- Depuis 2007 le luthéranisme a quitté le statut de religion d’Etat au Danemark et en Norvège. A noter que depuis ces changements les ministres du culte danois auraient tendance être plus rigoristes et plus conservateurs.
- Le cas de l’Allemagne est intéressant : le financement des Eglises se fait en partie à partir de l’impôt collecté par L’Etat et redistribué aux Eglises. Cet impôt acquitté par ceux qui déclarent appartenir à une religion ouvre droit aux cérémonies religieuses. L’Etat n’exerce aucune pression morale sur les citoyens. Il se contente de son rôle de collecteur d’impôts. Il reste que le poids social d’appartenance à une religion joue encore un certain rôle en Allemagne.
!
2 ) La question des rapports de pouvoir entre les Etats et les Eglises.
- Avant la période de la religion d’Etat dans l’Empire romain, la religion gréco-romaine se présente comme une religion civique. Les magistrats de Rome ont à la fois une fonction religieuse et civique. Le Pontifex ( le Grand Prêtre ) est aussi un magistrat aux pouvoirs civiques.
De même les magistrats romains ont aussi pour compétence de prendre les augures avant une action importante comme de déclarer la guerre par exemple. Certains d’entre eux ont été critiqués pour avoir omis de prendre les augures avant de déclencher des hostilités. Ils ont été accusés de ne pas avoir pris l’avis des dieux. La religion gréco-romaine n’est pas monothéiste.
Elle se manifeste surtout par l’application des rites. Elle accepte les dieux des contrées conquises par Rome sauf le monothéisme qui refuse ce syncrétisme (ici la religion juive ). Les rites ont une vocation de cohésion sociale.
- Actuellement, la difficulté souvent rencontrée avec les religions monothéistes est leur intolérance que ce soit avec Sens commun ou les Salafistes. Les religions ont une expression sociale, mais cela ne signifie pas que les religieux puissent exiger l’exclusivité de leur foi et que leur loi religieuse devienne la loi de l’Etat.
- Dans la France actuelle le nombre de croyants chrétiens et juifs qui pratiquent leur religion est de plus en plus faible. En 1960, près de 45% de catholiques fréquentaient leur église contre moins de 5% actuellement. Le fait religieux semble perdre de l’importance, mais n’omettons pas que des minorités fondamentalistes peuvent avoir un grand impact politique. Par exemple Sens commun au moment des manifestations contre le mariage homosexuel ou d’autres mouvements catholiques autrefois contre la légalisation de l’IVG, le service unique d’éducation ou le PACS!
- Une participante fait état que dans le cadre de sa pratique professionnelle elle a été confrontée à une forme de prosélytisme musulman difficile à supporter et à contenir ( irruption de versets coraniques enregistrés lors d’un entretien professionnel ).
3 ) La laïcité à la française et ses ajustements permanents.!
- La séparation de l’Eglise et de l’Etat en France subit des modifications importantes depuis les années 1970. L’Etat français apparaît moins fort. Philippe Portier, dans la conclusion de son ouvrage l’Etat et les religions, paru en 2016, parle « d’une deuxième modernité qui remet en cause la fonction messianique du politique. On connaissait à l’Etat hier, d’« être la conscience claire » de la société à partir de laquelle, demain, s’opérerait pour le bien de chacun, la rationalisation des existences individuelles et collectives. Or cette idée s’est trouvée frappée de décroyance : dans un monde cosmopolitique, où la nation se trouve sans cesse exposée à des flux exogènes - économiques, juridiques, sociaux - que ses frontières ne peuvent plus arrêter, la sphère étatique accuse un impotence inédite, qu’on ne connaissait nullement dans le régime antérieur ».
- La laïcité française, en dépit de sa proclamation d’attachement à l’ordre séparatiste, n’a cessé de multiplier les interactions entre les deux pôles ( Eglises et Etat ). Cela fait dire à un participant que cette pratique de la laïcité serait une forme d’hypocrisie.
- C’est la question de l’islam en particulier, mais pas seulement, qui ces derniers temps a conduit l’Etat à des interactions plus fréquentes. Citons la loi « en application du principe de laïcité » promulguée le 15 mars 2004 et qui statue essentiellement sur la question du « signe religieux ostensible » à l’école qui attenterait à la liberté de conscience, à l’égalité des filles et des garçons, à la mixité de tous les enseignements. Citons l’arrêt de la Cour de Cassation dans l’affaire de la crèche Baby Loup qui contribue à déplacer les frontières de la laïcité en confirmant le licenciement d’une employée portant le foulard en raison de la tâche à accomplir ( éducation de la petite enfance ). Le droit du travail est ainsi mis à mal. Il y a recomposition de la relation entre le public et le privé que l’on retrouve aussi dans la question des mères voilées en sortie scolaire.
- On pourrait évoquer avec Philippe Portier une « inflexion sécuritaire » de la laïcité comme réponse à l’islamisme par le contrôle et l’éducation.
- Se trouvent posées les relations entre les pétromonarchies sunnites et l’Occident. Bien des mosquées françaises sont financées par elles et cela crée une forme de dépendance de fait.
4 ) Vers une nouvelle définition des relations Etat-Eglises ?
Ernest Winstein présente l’Union Protestante Libérale dont il est le Président.
L’UPL n’a pas de lien avec les églises. C’est une association qui se situe dans la mouvance protestante dans la mesure où le protestantisme invite à une réflexion libre sur l’autorité des textes bibliques. C’est un mouvement assez global issu du mouvement des Lumières du XVIIIème siècle.
Dans un ouvrage de 2015 intitulé Religion et pouvoir politique, co-écrit en particulier par Ernest Winstein et Frédéric Ruscher, Frédéric Ruscher nous invite à réfléchir prioritairement à la fonction du politique alors que la question des relations de l’Etat et des religions est généralement posée en termes de conséquences de ma foi sur mes choix politiques. Dans son article intitulé L’autonomie du politique, un défi pour les religions, il évoque la nécessaire autonomie du politique et le fait que les citoyens n’ont aucun compte à rendre à aucune religion.
Dans un Etat laïc comme la France il est logique que le pouvoir politique reconnaisse l’existence des religions, voire entre en dialogue avec elles. Mais la gouvernance revient au pouvoir politique.
Frédéric Ruscher nous dit que la politique a un but propre, la paix civile et un niveau propre, la liberté civile. L’Etat est ainsi le garant que nos libertés puissent s’exercer et les limites de ces libertés sont bien évidemment l’objet d’un dialogue permanent. Dans ce dialogue nous pourrions dire avec Jacques Maritain que l’engagement des chrétiens doit se faire en chrétiens mais non en tant que chrétiens. « En d’autres termes dit Frédéric Ruscher, le chrétien qui s’engage, s’engage en exerçant au profit du débat les vertus qu’ils a reçues dans sa communauté ».
Notons que la loi de 1905 a été fortement promue à l’époque par le protestantisme notamment libéral car il permettait de mettre toutes les religions sur un plan d’égalité.
Conclusion.
Certains comportements comme celui du port du voile intégral peuvent apparaître comme des provocations et remettre en cause l’aspect démocratique et pluraliste de nos sociétés occidentales. Ils sont l’expression de minorités qui incitent à une vigilance permanente sans oublier que la grande majorité des croyants pratique sa religion dans la tolérance et le respect des institutions républicaines.
Vers la guerre froide ?
Café politique du 29 juin 2018.
L'expression « guerre froide » s'était appliquée principalement aux relations entre les USA capitalistes et l'URSS communiste durant la période 1945-1991.
La Chine, moins concernée, s'est orientée dès les années 1980, vers une sortie du communisme qui la propulsa en quelques décennies au rang de super-puissance économique. L'URSS allait connaître une agonie plus douloureuse. La nomination, en 1985, de Mikhaïl Gorbatchev à la tête du pays, se traduisit par un essoufflement de la peu performante économie soviétique et le résultat en fut l'écroulement à la fois du système communiste et de l'Union Soviétique. L'ancien apparatchik du PCUS, Boris Eltsine, en profita pour décréter la fin officielle de l'URSS et prit la direction de ce qui serait dorénavant la Russie, anciennement « République socialiste fédérative soviétique de Russie ».
Mais Boris Eltsine ne connaissait strictement rien à l'économie de marché. Il voulut brûler les étapes et fit appel à des « Chicago boys », des intégristes de la dérégulation ( les Chinois ayant opté pour le modèle « singapourien », le développement de l'économie et son financement par des capitaux privés restant strictement sous le contrôle de l'Etat ). Le résultat en Russie fut l'apparition d'une économie mafieuse et l'effondrement d'un niveau de vie qui était déjà bien bas.
1 ) Sur le plan international, l'invasion du Koweït par l'Irak en août 1990, entraîna dans un premier temps une entente soviéto-américaine, car l'URSS accepta, d'une part, de dévoiler au Pentagone le type d'armes que Moscou avait antérieurement livré à l'Irak, et d'autre part, soutint la résolution de l'ONU condamnant l'Irak. De façon extrêmement naïve Gorbatchev pensait que l'Occident le soutiendrait dans ses réformes s'il affichait une volonté d'entente. Pour prouver sa bonne foi, il abandonna les partis communistes de l'Europe de l'Est à leur sort et se mit à rêver d'une « maison commune européenne ». Mais Washington en profita pour exiger la réunification de l'Allemagne et l'appartenance de ce nouvel ensemble ainsi constitué à l'OTAN. Gorbatchev n'insista plus car on lui avait fait miroiter une aide économique, qui, pensait-il, arrimerait la Russie à l'Europe. Pressentant la fin du Pacte de Varsovie, l'OTAN se tint tactiquement en retrait et chercha à promouvoir le rôle de la CSCE ( Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe ). Finalement, seule l'Allemagne aidera financièrement l'URSS, les autres membres de l'OTAN ayant vite oublié leurs promesses.
2 ) L'Histoire poursuivit son cours et la brève entente entre Washington et Moscou durant la première guerre du Golfe ne résista pas à la fin de l'Empire des Soviets.
Bien au contraire, deux théoriciens américains, le politicien Paul Wolfowitz et le Général Colin Powell, entreprirent de définir la nouvelle politique militaire états-unienne, dite « doctrine Wolfowitz ». Celle-ci aboutira au PNAC - project for a new american century -, dont l'effet sera la prétention à l'unilatéralisme américain et la vassalisation des alliés. L'ancien ministre français Hubert Védrine, parlant des USA, nommera cette entité « l'hyper-puissance ». Car, il s'agira maintenant, selon ces deux doctrinaires de bâtir « une force militaire suffisante pour dissuader n'importe quelle nation ou groupe de nations de défier la suprématie des Etats-Unis ; de même il s'agira de faire en sorte que « les nations industrielles avancées soient découragées de défier le leadership américain ou de chercher à mettre en cause l'ordre économique et politique établi ». Et ceci, parce que « l'ordre international est en définitif garanti par les Etats-Unis « . En clair, il s'agissait d'organiser le monde en fonction des intérêts américains. Alors même que la Russie sombrait, ces idéologues théorisaient sur « les risques pour la stabilité en Europe d'un regain du nationalisme en Russie ou d'une tentative de rattacher à nouveau à la Russie des pays devenus indépendants ». L'on ne parlait pas encore de la Chine et l'obsession américaine restait la résurgence de l'URSS. D'ailleurs pour que les Européens ne s'imaginent pas que la guerre froide d'avant était terminée, il est précisé : « Nous devons agir en vue d'empêcher l'émergence d'un système de sécurité exclusivement européen qui pourrait déstabiliser l'OTAN » . De sorte qu'il est spécifié que 180 missiles nucléaires basés en Europe occidentale y resteront.
Au cynisme allait s'ajouter le mensonge. Alors que Bush Sr avait promis à Gorbatchev que, certes l'OTAN serait maintenu, mais que jamais elle ne chercherait à s'étendre à l'Est, dès janvier 1994, l'administration Clinton proclama une volonté contraire. En 1997, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie intégrèrent l'OTAN dont on profita pour y réaffirmer le leadership américain.
3 ) La question du Kosovo.
Ce leadership s'affichera sans fard lorsqu'il s'agira de démanteler la Fédération yougoslave. Des violences y avaient éclaté, notamment entre les Serbes et la minorité kosoware habitant au sud de la Serbie. Une conférence réunit les protagonistes en 1999 à Rambouillet en France, et durant laquelle le président serbe S. Milosevic accepta l'envoi sur place d'observateurs de l'OSCE ( Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe ) et de la Commission européenne, mais non de l'OTAN dont il mit en cause l'impartialité ( on apprendrait d'ailleurs par la suite le rôle de désinformation mené par l'Allemagne durant cette conférence ). Prenant prétexte de ce refus, les USA, la GB et la France entamèrent, sans mandat de l'ONU, une campagne de bombardements qui aboutit à la capitulation de la Serbie et à la création de l'Etat du Kosovo. La Russie ne put s'opposer aux bombardements sur la Serbie dont elle se sentait proche et elle ne fut pas conviée lorsque les Occidentaux imposèrent à ce pays l'amputation de son territoire afin d'y créer le nouvel Etat du Kosovo. L'ONU ne donna pas son aval à cet acte de piraterie puisque sa charte précise que les Etats membres doivent respecter l'intangibilité des frontières et refuser, sauf en cas de vote en assemblée générale des 193 membres, le démantèlement d'un Etat membre. Mais au sein de cette instance internationale, on imagina alors un nouveau concept, aussi pur moralement que flou dans son application, à savoir la « responsabilité de protéger ». Si un Etat y déroge la « commnnuuté internationale » peut le lui imposer manu militari. Toutefois, l'invocation de la responsabilité de protéger n'incluait pas, selon ses concepteurs, la possibilité de renversement d'un pouvoir politique en place, comme cela fut le cas pour la Libye en 2011, où les Etats qui intervinrent au nom de la responsabilité de protéger, outrepassèrent le mandat de l'ONU.
4 ) L'affaire ukrainienne.
En octobre 2013, une mission du FMI s'était rendue à Kiev et accepta une assistance de 15 milliards de dollars, moyennant un programme draconien d'austérité. La Commission Européenne promit 840 millions d'euros supplémentaires en cas de signature de l'accord ( elle en versera finalement 2,5 milliards... dont nul ne sait ce qu'ils financèrent ! ). Mais, un mois plus tard, le président ukrainien de l'époque, V. lanoukovitch, le suspendit et manifesta son intérêt pour l'Union économique eurasiatique, regroupant notamment d'anciennes républiques soviétiques. Cela déclencha les évènements spontanés de la place Maïdan ( en réalité téléguidés depuis Washington comme le reconnut la secrétaire d'Etat assistante pour l'Europe, V. Nuland ) et en février 2014, la démission du président en place. Son successeur, P. Porochenko, reprit langue avec les Occidentaux et réprima la rébellion dans la partie orientale de l'Ukraine, le Donbass, peuplé de russophones favorables à la coopération avec Moscou. La situation s'envenima au point de craindre l'irruption d'un conflit de grande ampleur, car les USA livraient des armes à Kiev tandis que le Donbass était soutenu militairement par la Russie. Il a fallu l'intervention de la France et de l'Allemagne en 2015, pour essayer de tempérer les ardeurs bellicistes de part et d'autre. La situation semble pour l'heure figée à défaut d'être stabilisée, d'autant que l'Occident s'est irrité de l'annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014. Mais le Kremlin ne considère pas qu'il a violé le droit international puisque le changement a été entériné par un référendum, ce qui n'avait pas été le cas au Kosovo ( sans même parler de Chypre, illégalement occupé par la Turquie depuis 1974 ). En réalité, Moscou craignait que l'important port militaire de Sébastopol, situé en Crimée, ne tombe entre les mains de l'OTAN.
5 ) Pourquoi la Russie se méfie-t-elle autant de l'OTAN ?
En 2002, les Etats-Unis ont unilatéralement dénoncé l'accord ABM ( Anti-Ballistic Missile ) signé en 1972 avec l'Union Soviétique. Ce traité impliquait une limitation des armes nucléaires offensives. Les Etats-Unis ont de plus annoncé vouloir annuler le traité de Start ( stratégie arms réduction treaty ), signé en 2010 avec la Russie. La propagande hystérique anti-russe qui sévit en Occident souligne la prétendue agressivité de la Russie, mais ce n'est pas celle-ci qui annule les traités précédemment signés. De plus, elle ne dispose que d'une seule base militaire à l'étranger, en-dehors du territoire de l'ex-URSS, alors que les USA ont déployé 200 000 hommes dans 800 bases militaires réparties dans 177 pays. Cette unique base est située à Hmeimim, en Syrie.
6 ) La question de la Syrie.
Tant que la France avait une diplomatie indépendante, elle tenait à garder le contact avec la Syrie, Etat certes dictatorial mais cependant laïc, assurant la liberté religieuse. J. Chirac fut le seul chef d'Etat occidental à s'être déplacé pour les obsèques d'Hafez-al-Hassad, en 2000. Son successeur, Bachar el-Assad avait été reçu en grande pompe par Nicolas Sarkozy en 2008 et 2010, car il pensait faire de la Syrie une pièce maîtresse de l' « Union pour la Méditerranée », qui se voulait être le grand oeuvre sarkozien. Mais cette union a été torpillée par l'Allemagne qui craignait que sa suprématie en Europe ne soit mise en cause et par les USA qui voyaient d'un fort mauvais oeil les bonnes relations de la Syrie avec l'Iran ( la Syrie avait été le seul pays arabe à avoir soutenu l'Iran lors de la guerre des années 1980 déclenchée par l'Irak, alors soutenu par les Etats-Unis ). La Syrie sombra dans la guerre civile à partir de 2011, l'Occident en général et la France hollandaise en particulier observant comment les djihadistes ( Frères musulmans soutenus par la Turquie et le Qatar d'une part, wahhabites soutenus par l'Arabie saoudite et les E.A.U de l'autre ) allaient autant déchiqueter le pays que s'entre-dévorer entre eux. En septembre 2015, la Russie, initialement méfiante envers le gouvernement syrien qu'elle avait accusé de complaisance à l'égard des rebelles tchétchènes, décida d'intervenir directement aux côtés de l'armée syrienne. Le Kremlin avait finalement tranché en faveur d'Assad, ne voulant pas voir se reproduire le scénario irakien ou libyen qui aurait pu mettre en cause sa présence en Syrie. Par la force des choses et du fait de ses alliances avec les pétro-monarchies sunnites, le camp occidental s'est retrouvé être l'allié tacite de Daech. Brillant résultat ! C'est ce que ne manquèrent pas de souligner le gouvernement syrien, la Russie de même que l'Iran et le Hezbollah, alliés locaux de Damas. Pékin soutint Moscou discrètement mais efficacement, la raison en est que l'une des deux « routes de la soie », la voie sud, devait déboucher en Méditerranée par la Syrie et la Chine restait persuadée que les Etats-Unis et leurs séides n'intervenaient en Syrie que pour empêcher ce projet d'aboutir. Et comme par hasard, la voie nord devait passer par l'Ukraine... On apprendrait par la suite que la France, si encline à la repentance, aura grandement contribué à l'installation d'un pouvoir esclavagiste en Libye. Forte de ces soutiens, l'armée régulière syrienne réussit à reconquérir au prix d'une guerre particulièrement cruelle du fait du fanatisme de ses ennemis ( 500 000 morts ), l'essentiel du territoire syrien. La Russie a alors lancé un processus de règlement politique, dit « Astana » car c'est dans cette ville kazakh qu'il s'y tient, incluant la Syrie, le Liban, l'Iran, la Russie, la Turquie, mais aucun pays occidental. C'est un échec cinglant de la politique américaine de remodelage du Moyen-Orient dont la conséquence est l'union de tous les pays non sunnites autour de Moscou, la Turquie restant pour l'heure hésitante.
6 ) La bataille idéologique de la guerre froide.
Actuellement, du fait de la vogue des fake news ( en bon français, des bobards ) et de leur dénonciation, l'impression domine qu'il s'agit d'un phénomène récent. Mais durant tout le XXème siècle les régimes totalitaires s'étaient illustrés par un usage immodéré de la propagande. Aussi, dès les années 1960, l' « United States Information Agency » avait mis au point ce qu'elle avait nommé la « public diplomacy ». Autrement dit, il fallait présenter la politique américaine sous un jour favorable sans que cela n'ait l'air d'être de la propagande. Le but était de communiquer directement avec les populations par la voie des médias afin de promouvoir « l'américan way of life ». Le pari était de pouvoir contrôler l'action des gouvernements en influençant l'opinion publique. C'est le fameux « sott power » que son théoricien principal, Joseph Nye, a défini comme étant « la capacité à influencer autrui par l'attraction plutôt que par la contrainte ou la rétribution ». En 2004, au plus fort de la guerre d'Irak ( opération dite « choc et effroi » ), l'un des conseillers de Busch annonça : « Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité - judicieusement, à votre façon - nous agissons à nouveau, créant d'autres réalités nouvelles, que vous pourrez étudier également, et c'est ainsi que les choses se passent. Nous sommes les acteurs de l'Histoire et vous, vous tous, ne pourrez que vous contenter d'étudier ce que nous faisons » (1).
Actuellement, un grand nombre de pays ont leurs médias, cherchant par ce biais à défendre leur action politique. Ces efforts, notamment pour les Etats-Unis, ont fini par porter leurs fruits car les principaux médias occidentaux répètent les points de vue américains. Actuellement s'est ouvert un nouveau front sur le net, cet instrument étant devenu un champ de bataille privilégié. En 2008, l'équipe d'un candidat parfaitement inconnu aux primaires démocrates eut l'idée de collecter sur les réseaux sociaux des données personnelles de ceux qui étaient susceptibles de voter pour les démocrates. Et puis, on les bombarda de « messages taillés sur mesure ». La persuasion via les réseaux sociaux fonctionna et le candidat Obama fut élu. Mais en 2016, rien ne fonctionna comme prévu pour les démocrates, les algorithmes n'ayant pas anticipé la tornade Trump. L'occasion fut trop belle pour tenter de reprendre le net en main et l'on accusa des fossoyeurs de la démocratie d'avoir perturbé la vertueuse démocratie américaine. Pour donner toute la crédibilité à cette « salade » l'acte d'accusation fut porté contre la Russie, car cela permit surtout de totalement décrédibiliser les révélations d'Edward Snowden, concernant le fonctionnement de l'Etat américain. Le Pentagone en profita pour exiger et obtenir une rallonge budgétaire de 60 milliards de dollars.
Tel un troupeau bêlant, les membres de l'OTAN répétèrent la fable du « Deep state » américain. C'est que l'oligarchie qui dirige les affaires de l'Occident semble disposer d'une puissance de feu remarquable. Tout comme la France qui dut annuler son référendum en 2005, Tsipras qui dut se renier, Trump, trop hésitant à ses débuts, dut opérer un virage à 180° et faire peu ou prou ce que le « Deep state » lui ordonna de faire, il semble à peu près certain que G. Conte en Italie aura à subir des pressions conséquentes ( « les marchés vont apprendre aux Italiens comment bien voter » ) -2 -. Il est déroutant de constater, suite à l'affaire iranienne, qu'en Europe, personne ne conteste l'application extraterritoriale des lois américaines. Pourtant, ce fut R. Reagan qui, le premier, eut en son temps des exigences de cet ordre. Qui s'y opposa avec succès ? La Grande-Bretagne, qui pressentant ce qui allait advenir, avait fait voter en 1980, le « protection of trading interest act » et la France dont le ministre de la recherche et de l'industrie de l'époque, J.-P. Chevènement s'appuya sur une ordonnance de 1959 pour ordonner en 1982, à une société française, filiale d'un groupe américain, de passer outre aux injonctions de Washington. En 1996, l'Empire voulut récidiver dans le but d'isoler Cuba d'une part, l'Iran et la Libye de l'autre. L'Union Européenne répliqua en saisissant l'Organe de règlement des différends de l'OMC pour y déposer une plainte. Les Etats-Unis n'insistèrent pas. Mais en octobre 2001, la loi dite « USA-Patriot » établit que toute transaction en dollar, peu importe où elle intervient, devient passible des tribunaux américains en cas de manquement aux lois américaines. A l'heure actuelle, suite à l'annulation par ce pays de ce traité de 2015 concernant le nucléaire iranien, nos gouvernants étalent leur servilité. Ainsi, le président français affirma à Sofia, le 17 mai dernier : « Je le dis très clairement : on ne va pas sanctionner ou contre-sanctionner des entreprises américaines ». L'idiotisme de cette posture est totale. Peugeot avait 40% du marché automobile iranien et anticipait son développement. Le chinois Donfeng a immédiatement annoncé qu'il prenait la place laissée vaquante !
Conclusion : quel sera l'avenir ?
La priorité absolue pour Pékin et Moscou est de briser l'unilatéralisme américain que la démentielle idéologie néo-conservatrice qui l'anime dont l'une des conséquences en Europe est la mise sous tutelle du débat public par l'imposition du « politiquement correct ». Le but de ces idéologues est la mise à l'écart de ceux qui ne sont rien ( l'immigration massive doit agir dans le sens de la paupérisation généralisée des populations ) et la centralisation du pouvoir mondial par les élites, sous le prétexte de gouvernance mondiale ( la destruction des Etats devant être accélérée également par l'immigration, le droit d'installation primant sur toute autre considération juridique ). En réalité, la bataille qui s'annonce se jouera plus sur le terrain monétaire que dans le domaine militaire, bien qu'il semblerait que la Russie y dispose d'une solide avance. Pékin travaille à la création d'un yuan « off-shore », qui sera coté à Londres et garanti par une contrepartie en or physique. La Chine, pour garantir ces échanges, dispose d'un stock d'or de 4000 tonnes et la Russie, 1800. On comprend, dans ces conditions, pourquoi le cours de l'or (coté à Londres au London Metal Exchange ), a été multiplié par quatre depuis le début du siècle. De sorte que la rumeur qui dit que c'est Pékin qui a financé la campagne du Brexit n'est pas totalement infondée, car pour les stratèges financiers chinois Bruxelles est totalement inféodé à Washington, il fallait donc que Londres en soit libéré. A terme, Chinois et Russes estiment être en mesure d'intégrer la Grande-Bretagne dans l'UEE ( Union eurasiatique ), d'où l'agitation anti-russe des politiciens anglais qui voient l'herbe se dérober sous leurs pieds. D. de Villepin, mais il est hélas bien seul, estime que la France devrait se rapprocher de cette structure. L'adhésion de l'Iran en est prévue pour 2021 et les Chinois sont déjà à pied d'oeuvre en Syrie ( allié historique de l'Iran ) pour y reconstruire l'infrastructure militaire portuaire, en attendant la reconstruction des villes détruites dont le coût total est estimé à 200 milliards de dollars. Toutefois la vraie guerre froide qui risque de se transformer en conflit à couteaux tirés se trouve au sein même de l'Etat des Etats-Unis.
Depuis la présidence Clinton la globalisation devait avant tout être financière et la priorité allait au démantèlement des Etats, au besoin par la guerre et par le soutien discret au terrorisme, la caste parasitaire globalisée ne reculant devant rien pour pouvoir piller l'économie mondiale à son profit. « Permettez-moi d'émettre et de contrôler les ressources monétaires d'un pays et je me moque de celui qui écrit ses lois « Rothschild, cité par Mediapart ( E. Macron, lauréat 2012 de la French American Foundation, était salarié de cette banque... ). Le « moment Trump » devait être un retour au capitalisme d'entreprise, la priorité restant toutefois à la domination américaine, mais par le biais d'artifices juridiques permettant d'affaiblir voire d'éliminer les concurrents internationaux. Mais Trump a largement sous-estimé la puissance du « Deep state » qui lui a fait renoncer à ses projets d'accommodement avec la Russie, de mise en sourdine de l'OTAN et de la fin des interventions impérialistes à l'étranger de l'armée américaine ( Irak, Libye, Yémen, Afghanistan, Somalie ). La lutte est âpre, elle ouvre temporairement une période de grande incertitude, mais se conclura inéluctablement par la fin de la tentative de domination de l'Occident militariste et belliciste sur le reste du monde. On sait le rôle d'aiguillon qu'a eu Singapour dans la résurrection chinoise. Son ancien ambassadeur à l'ONU ( 3 ) vient de publier un ouvrage dans lequel il écrit : « L'ère de la domination occi dentale touche à sa fin. Les élites occidentales... devraient se concentrer sur les grands défis mondiaux. Au lieu de cela, ils accentuent, de diverses manières, leur insignifiance et leur désintégration ».
***********************
1 - New York Times du 17 octobre 2004 : « Without a Doubt - Faith, Certainty and the Presidency of W. Bush ».
2 - Déclaration du commissaire européen Gunther Oettinger.
3 - Kishore Mahbubani, Has the West lost it ?
**************************
Synthèse du café politique du vendredi 29 juin 2018.
Vers une nouvelle guerre froide?
Après l'exposé introductif de Jean-Luc, le débat s'ouvre.
1 ) La fin de la guerre froide.
- La guerre froide se définit comme l'affrontement de deux blocs économiques et idéologiques : le bloc communiste avec une économie étatisée et le bloc occidental capitaliste libéral. Elle dure de 1947 à 1991. Elle se termine avec la dislocation du bloc communiste en décembre 1991.
- Pendant la guerre froide les conflits entre les deux blocs sont nets et clairs : citons par exemple le blocus de Berlin, la crise de Cuba, Budapest.
- Le dernier conflit bipolaire est l'Afghanistan de 1979 à 1989. Les Russes et les Etats-Unis tentent de tirer à eux le conflit.
- Gorbatchev espère la fin de l'OTAN mais la déception des Russes est grande quand ils s'aperçoivent qu'ils ont dissous le Pacte de Varsovie le 1er juillet 1991 mais que l'OTAN subsiste. Le mythe d'une « maison commune européenne s'effondre ». Il est vrai que l'ex-URSS est en position de faiblesse dans le rapport de forces international.
2 ) L'état des relations internationales depuis la chute de l'URSS.
- Aujourd'hui il semble difficile de parler de guerre froide. De nombreux conflits de nature différentes se déroulent en-dehors de la crispation de deux blocs antagonistes depuis
1991.
- Il semblerait que la première guerre d'Irak de 1990 manque le changement de nature des conflits. Ce sont des conflits bien plus par « foyers » que bipolaires comme avant
1991.
- L'Europe a une responsabilité certaine dans ce processus complexe d'éclatement des blocs. Elle n'a pas réussi à s'organiser pour créer une gouvernance politique commune et aménager un début de défense européenne qui aurait fait contrepoids à l'OTAN. L'OTAN a pu s'infiltrer facilement en Europe d'autant que les Etats baltiques avaient besoin d'être protégés.
- La Russie a compris qu'il y avait des opportunités ce qui lui a permis d'annexer la Crimée dont le référendum s'est déroulé hors de toute surveillance des instances internationales. La Crimée n'était pas à l'origine un territoire russe ou turc. Elle est peuplée en partie de Tatars dont personne ne parle.
1
- Par ailleurs, l'effondrement économique de l'URSS avant sa chute n'est pas dû à Gorbatchev. Il s'est préparé progressivement ( voir les ouvrages sur l'URSS de Hélène Carrère d'Encausse ). Le bloc soviétique était déjà en situation de faiblesse.
- La dislocation de la Fédération de Yougoslavie pose aussi problème : pourquoi les différents partenaires de cette Fédération se sont-ils trouvés aussi peu autonomes ? Il semblerait que la Serbie, militairement plus puissante ait tenté d'établir sa domination.
3 ) La guerre froide cède la place au capitalisme mondialisé et à la financiarisation.
- Le capitalisme s'est répandu sur l'ensemble de la planète même s'il y a des axes particuliers comme l'axe Iran-Syrie-Russie, ou l'axe Union Européenne-Etats-Unis. Ce sont les conséquences des anciennes stabilités économiques de la guerre froide.
- La financiarisation de l'économie s'est dévoilée au grand jour lors de la crise de 2008. Celle-ci a coûté près de 7000 milliards de dollars au monde et c'est beaucoup par rapport à ce que l'Afrique nécessiterait ( 600 milliards de dollars comme aide en raison de son expansion démographique ) pour élaborer notamment un plan d'éducation des femmes pour faire diminuer la natalité. Le destin de l'Europe semble lié à celui de l'Afrique ( voir la question de plus en plus importante des migrations ) et non à un conflit avec la Russie dans lequel les Etats-Unis voudraient nous entraîner.
- Ces 7000 milliards de dollars incluent la BCE, la FED, la Banque Centrale d'Angleterre et la Banque Centrale du Japon. Il y a eu une création monétaire de ce montant qu'on a demandé ensuite aux citoyens de rembourser, les Grecs notamment.
- On ne peut séparer la financiarisation du capitalisme. Le retour à un système d'Etats Nations semble peu probable puisque l'évolution même du capitalisme va dans le sens de la concentration du capital. L'explosion des profits génère une financiarisation.
- La financiarisation de l'économie a commencé avec Clinton. Les Etats en difficulté financière ont demandé de l'aide aux banque privées qui, elle-mêmes en 2008 se sont retournées vers les Etats.
- Le retour à une Europe des Nations pourrait créer davantage de misère. L'exemple de l'Angleterre actuelle avec le Brexit nous montre que les exportations françaises vont mal.
4 ) Il y a des éléments qui montrent la fin de cette bipolarité.
- Notons le rôle de la Chine qui n'est pas complètement dans l'appartenance à un axe russophone.
- La stratégie chinoise est de créer un grand ensemble économique qui irait de la Mer de Chine jusqu'à l'Ouest de l'Europe. Le programme dit des « routes de la soie » consiste à intégrer l'Eurasie et l'Europe occidentale à cet ensemble gigantesque. Il s'agirait donc de décrocher l'Europe des Etats-Unis. Pour les Chinois le marché européen est plus intéressant que le marché américain parce qu'il est plus important en termes de chiffre d'affaires.
- Par ailleurs, que ce soit la Russie ou les Etats-Unis, le pouvoir économique est aux mains d'une bourgeoisie mondiale.
- En Ukraine, par exemple, des tensions se sont multipliées avec la Russie avant l'affaire Maïdan sur la question du gaz en particulier. En effet, 80% des gazoducs ukrainiens transportent le gaz russe vers l'Europe. Il y a des liens entre les multinationales ukrainiennes et russes. Gazprom possède 50% des gazoducs. L'enjeu de la Russie dépasse la question de la Crimée.
- Il est difficile de dire que les Etats-Unis sont les instigateurs de la révolte de la place Maïdan dans son ampleur. Ils ont peut-être joué un rôle déclencheur ( en particulier en utilisant internet ) mais ensuite c'est la population elle-même qui s'est emparée de la révolte élargie après la dure répression du gouvernement ukrainien.
- En ce qui concerne la Syrie, on pourrait penser que la Russie et les Etats-Unis ont eu peur des révolutions arabes à partir de 2011, comme celle qui a eu lieu en Syrie. Les Etats-Unis ont pu craindre pour les intérêts de leurs entreprise sur place et les Russes pour leur zone d'influence.
- Chaque puissance, Etats-Unis ou Russie, a trouvé son « cheval de bataille » pour contribuer à « casser » les révolutions arabes. On peut même se demander si les Etats-Unis ne sont pas si mécontents que cela de l'action russe en Syrie qui rétablirait le pouvoir de El-Assad ce qui garantirait les intérêts économiques américains.
- Ce qui est intéressant historiquement c'est de se demander ce qu'auraient pu devenir ces révolutions arabes si elles avaient pu aller au bout de leur expression.
- Trump veut sortir de l'OTAN qui coûte trop cher aux Américains et pour ce faire il a l'intention de « briser » l'Allemagne qui détient un marché important en Iran. Il va finir par taxer l'industrie automobile ce qui nuirait gravement à l'Allemagne.
Conclusion
Il y a actuellement une grande instabilité internationale liée à de nombreux foyers de tension. La guerre froide n'a plus cours dans son sens classique d'opposition des blocs. Il semble que la financiarisation de l'économie ait pris une place prépondérante au niveau planétaire et que les Etats-Unis restent la puissance hégémonique sur bien des plans même si des puissances montantes comme la Chine tracent leur sillons, sans oublier le poids de l'Afrique en devenir sur les équilibres mondiaux.
*****************************
Et en complément toujours du café, voici la contribution d'Ernst Winstein.
Voici un texte sur la défense européenne que j'ai commis récemment et mis sur ma page politique Alsace région d'Europe et celle d'Objectif Eurorégion Alsace (https://www.facebook.com/pg/ObjectifAlsace/posts/?ref=page_internal).
Ernest Winstein, Défense européenne : un mythe ?
L’Europe de la défense, dont la France a sabordé la gestation en 1954, reste d’une brûlante actualité. Lorsque l’on envisage des négociations sur l’évolution de l’Union Européenne, il faut consentir à le placer sur la table.
Des engagements armés de la France, en commun avec d’autres pays, ont lieu en différents endroits de la planète. L’actualité - des exercices militaires sur Quiberon - vient de nous rappeler qu’entre la Grande Bretagne et la France il existe un accord de coopération militaire.
On sait que les deux pays ont bombardé, le 14 avril, des installations chimiques du régime syrien. L’envoi par Londres et Paris de bâtiments militaires en mer de Chine méridionale est moins médiatisé - l’objectif serait de dissuader Pékin d’y étendre sa souveraineté.
Le Corps européen, initiative franco-allemande qui rassemble des forces militaires d’Etats européens consentants, a davantage pignon sur rue. Ses interventions extérieures supposent l’accord des états partenaires. Accord implicite, lorsqu’il s’agit d’opérations menées par l’Otan? Pas très clair, en tout cas.
Le président Macron va lancer fin juin une «initiative européenne d’intervention (IEI)», dont la Grande Bretagne sera partie prenante. Cela suppose un accord multilatéral, mais non de l’Union Européenne en son entier.
Toutes ces évocations montrent qu’une véritable défense européenne est nécessaire.
Cependant, une telle défense commune supposerait un commandement commun dépendant d’un gouvernement européen, une gouvernance politique émanant démocratiquement du Parlement européen. Or, de cela, nombreux sont ceux, de droite ou de gauche, qui n’en veulent pas. Pourquoi? Du fait de l’existence d’une force de frappe nucléaire française? Sujet tabou? Le député européen « Les Républicains » , Arnaud Danjean, a affirmé lors d’un débat organisé à Strasbourg par le « MESA » le 29 mai 2018, qu’un commandement militaire commun à l’Union Européenne est un mythe, donc que l’Europe fédérale est un mythe.
La conclusion s’impose d’évidence : à défaut de défense européenne intégrée à l’UE, on se contente d’accords entre Etats européens.
Une telle façon de procéder répond certainement à des besoins définis. Cependant, elle ne favorise pas la construction d’une Europe où tous les pays sont placés sur un dénominateur commun. Comment les petits pays ne seraient-ils pas tentés par des replis sur leur identité propre? Mais cette question-là aussi reste taboue.
Ernest Winstein
(Auteur d’un travail universitaire sur « L’Allemagne et la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) », Centre d’Etudes Germaniques / Université Robert Schuman ; Président de l’association politique Objectif Eurorégion Alsace)
P.S. Un de nos correspondants a attiré l’attention sur le statut des pays européens dits neutres. On constatera que certains d'entre eux sont déjà liés à l’Otan par des partenariats (L'Irlande est partenaire de l'OTAN depuis les années 1990). Et qu’ils sont de facto sous la protection du parapluie américain.
Déjà en 2008 la Finlande et la Suède s’inquiétaient « d’une éventuelle menace russe » (Cf. Le Monde / 2008/09/10). Serait-il plus difficile pour ces pays de rattacher à une défense européenne que de s’intégrer à l’Otan? Une Europe fédérale devra de toute façon, définir les latitudes dont dispose chacun des pays fédérés par rapport au pouvoir européen intégré? EW
*******************
Jean-Luc a transmis un article qui complète son exposé et qui donne des éléments complémentaires intéressants.
Trump, ou le syndrome de la balle dans le pied
Bruno GUIGUE
Les Etats-Unis qui jettent le « multilatéralisme » aux orties, le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, la guerre commerciale qui pointe à l’horizon, le G7 qui tourne à la foire d’empoigne, l’Union européenne réduite à l’impuissance : ce qui pourrait passer superficiellement pour une série de mini-crises est révélateur de tendances profondes. C’est comme un foisonnement de signes cliniques. Il y a ce que l’on voit - de simples péripéties, dirait-on -, et puis, sous cette apparence, comme un délitement souterrain des structures.
Pour brosser le portrait d’un monde occidental à la dérive, il faut naturellement partir d’une analyse de ce qui se joue aux USA. D’abord parce que le poisson pourrit toujours par la tête, et ensuite parce que Trump contribue à ce pourrissement en s’ingéniant précisément à le conjurer. Le système politique américain étant ce qu’il est, la nouvelle administration, en effet, a les mêmes objectifs que les précédentes. Héritière d’un empire surdimensionné, elle s’efforce d’en maintenir l’hégémonie en pratiquant le déni de réalité.
Son premier cheval de bataille, celui sur lequel Trump joue sa crédibilité, c’est la lutte contre le déclin industriel. Il doit son succès électoral du 8 novembre 2016 au ralliement des cols bleus ruinés par le libre-échange. La guerre commerciale entamée avec la Chine, l’UE et le Canada n’est pas une lubie : elle accomplit une promesse de campagne. Les USA sont le premier importateur mondial, et leur déficit avec la Chine dépassait en 2017 les 345 milliards de dollars. Il faut donc enrayer l’effondrement progressif des capacités productives américaines.
Mais pour y parvenir, l’administration Trump est confrontée à un choix de méthode. Les USA ont connu une prospérité sans précédent en misant sur une mondialisation dont ils tiraient profit. Ce règne des multinationales est loin d’être achevé, mais elles produisent de moins en moins sur le sol américain. Pour conserver sa position dominante, le capitalisme américain, en réalité, a sacrifié sa propre classe ouvrière. Remplacée par des Chinois ou des robots, elle vient grossir les rangs des miséreux qui campent dans les faubourgs des grandes villes.
A l’autre bout de l’échelle sociale, en revanche, tout va pour le mieux. Tandis que les pauvres sont de plus en plus nombreux, les riches sont de plus en plus riches. Contrairement aux emplois, qui sont délocalisés, les bénéfices réalisés à l’étranger sont rapatriés. Aggravée par une financiarisation débridée, cette distorsion entre la richesse et l’emploi ruine le consensus social américain. L’intelligence de Trump est de l’avoir compris et d’en avoir fait un argument électoral. La limite de cette intelligence, c’est qu’il s’y prend très mal pour résoudre le problème.
Lorsque les règles du jeu deviennent défavorables à celui qui les a inventées, il a la tentation de vouloir les changer. Manifestement, c’est ce que fait Trump. Le libre-échange réduisant au chômage les ouvriers de la « Rust Belt », il veut instaurer des protections qui font fi des accords commerciaux internationaux. Or cette démarche représente la quadrature du cercle pour un pays comme les Etats-Unis. Ayant mondialisé son économie sous la pression des multinationales, il leur fera payer cher le moindre retour en arrière. En clair, le protectionnisme est à double tranchant, et c’est ce qu’ont montré les réactions chinoises, européennes et canadiennes.
A supposer qu’elle ait lieu - ce qui n’est pas sûr - , la guerre commerciale sera au pire un désastre, au mieux un jeu à somme nulle. Trump le sait, et c’est pourquoi sa politique néo-impériale se contentera sans doute dans ce domaine de proclamations inoffensives. Il n’entend pas passer à la postérité comme celui qui a ruiné les fondements de la puissance américaine. Il préfère nettement ouvrir d’autres fronts où il pense pouvoir obtenir l’avantage. Et l’incohérence - ou l’imprévisibilité - qu’on lui prête souvent ici n’est probablement qu’apparente.
Le meilleur exemple est celui de sa politique en matière nucléaire. En pratiquant le grand écart entre l’Iran et la Corée du Nord, Trump montre que le nucléaire, précisément, n’a aucune importance. D’abord parce que la nucléarisation de la Corée du Nord est un fait accompli - et irréversible - et qu’il n’y a rien d’autre à obtenir de ce pays - du point de vue américain - qu’un réchauffement diplomatique destiné à rassurer Séoul dans le but d’alléger la charge du parapluie militaire US. Ensuite, parce que l’Iran au contraire, bien qu’il n’ait aucune arme nucléaire, est un adversaire systémique des Etats-Unis et qu’il s’agit bel et bien de l’affaiblir par tous les moyens.
De la Syrie au Yémen en passant par l’Irak, le Liban et la Palestine, Téhéran est une épine colossale dans le pied de Washington. Chef de file de l’axe de la résistance, il est la bête noire d’Israël, Etat-colon expansionniste auquel Trump s’est empressé de faire allégeance en remerciement de la neutralisation du lobby pro-israélien durant la campagne présidentielle. En isolant l’Iran, Trump fait coup double : il satisfait Tel Aviv - et Ryiad - tout en provoquant l’étranglement économique dont il attend un « regime change » par inanition, à défaut d’un soulèvement armé piloté de l’étranger sur le modèle syrien.
Mais la partie n’est pas gagnée. Car en coupant ce grand pays des circuits économiques et financiers occidentaux, il l’ouvre à d’autres influences. Ce n’est pas un hasard si l’Iran vient d’adhérer à l’Organisation de coopération de Shangaï au côté de la Russie, de l’Inde et de la Chine, cette organisation représentant désormais 40 % de la population et 25 % du PIB mondial. Le retrait américain de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, de plus, génère une série de dommages collatéraux. Il provoquera le départ de ce pays de nombreuses entreprises européennes, et notamment de Total, première capitalisation boursière du CAC40.
Entreprise multinationale dont 30% du capital est détenu par des actionnaires américains, Total devait participer à l’exploitation du gisement gazier offshore « South Pars », le plus grand au monde, situé dans le golfe Persique et les eaux territoriales iraniennes. C’est fini. Le projet passe dans d’autres mains, et pas n’importe lesquelles. Poussé au départ par Washington, Total cédera la place au géant chinois des hydrocarbures CNPC, ravi d’emporter le morceau. En voulant punir Téhéran, Trump a fait un cadeau de choix à la Chine, principal concurrent des USA à la tête de l’économie mondiale et premier responsable du déficit commercial américain. C’est un comble.
A l’entendre, Trump rêve de restaurer « la grandeur de l’Amérique ». Il a porté le budget militaire US à des sommets inégalés (700 milliards de dollars) et poursuivi une confrontation avec la Russie dont le seul intérêt - à courte vue - est de couper la Russie de ses partenaires européens, ce qui explique le rôle actif du Royaume-Uni, voltigeur de l’empire US, dans la diabolisation de Moscou. Il n’est pas néoconservateur à la façon de George W. Bush ni interventionniste à la sauce humanitaire comme l’étaient les démocrates. Mais comme il s’est fait élire pour conjurer les affres du déclin, il entretient le mythe d’une Amérique renaissante qui croit qu’il suffit d’aligner des porte-avions pour dominer le monde.
Heureusement, cette ambition démesurée rencontre le principe de réalité sur tous les fronts. Le Moyen-Orient est l’épicentre d’une confrontation où Moscou s’est placé au centre du jeu, condamnant Washington à faire tapisserie pendant que les Russes mènent la danse. En dents de scie, la politique américaine en Syrie est vouée à l’échec. L’armée syrienne reconquiert le territoire national, et le dernier carré des supplétifs lobotomisés va rendre les armes. Tandis que Moscou et Damas célébreront les 50 ans d’une alliance désormais adossée au géant chinois, le mariage de Washington avec Riyad et Tel Aviv apparaîtra peut-être un jour comme une erreur de casting.
En matière géopolitique, les apparences sont trompeuses. L’excès de puissance ne transfuse pas nécessairement en intelligence stratégique. Les Américains dépensent 2187 dollars par an et par habitant pour leur défense, contre 154 dollars pour les Chinois. On n’observe pas la même proportion dans les résultats. Les menaces proférées simultanément contre Moscou et Pékin sont à l’opposé de la stratégie - payante à l’époque de Kissinger - qui consistait à trianguler la Russie et la Chine afin de diviser les puissances continentales. Trump, lui, semble vouloir en découdre avec tout le monde (Chine, Russie, Iran, Syrie, Corée du Nord, Cuba, Vénézuéla) et - fort heureusement - il n’affronte personne pour de bon.
L’Amérique de Trump croit qu’elle peut pratiquer la politique de celui qui retire l’échelle après l’avoir utilisée pour grimper au sommet. Mais la réalité, c’est qu’elle n’est plus vraiment au sommet. La politique néo-impériale de Donald Trump enrichira comme jamais les marchands d’armes et les magnats de la finance. Le paradoxe, c’est qu’elle contribuera aussi à l’hégémonie mondiale de ceux qui, loin des Etats-Unis, investissent dans les infrastructures et non dans les industries de l’armement, et qui combattent la pauvreté au lieu de l’entretenir. Inutile de préciser qui détient les clés du futur. La politique de Trump, pour l’Amérique, c’est le syndrome de la balle dans le pied.
Bruno GUIGUE
URL de cet article 33537
https://www.legrandsoir.info/trump-ou-le-syndrome-de-la-balle-dans-le-pied.html
Café politique du 13 septembre 2018
Les « brassages planétaires ».
A partir du colloque qui s’est déroulé au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle du 1er au 7 août 2018.
La question des « brassages planétaires » concerne les végétaux, les animaux et les migrations humaines depuis la nuit des temps.
Nous ne pouvons prendre pour modèle les brassages des végétaux et des animaux pour les humains et faire de l’anthropomorphisme, mais le concept de « brassages planétaires » créé par Gilles Clément peut alimenter notre réflexion concernant les migrations humaines.
Après une analyse des brassages des végétaux, il sera intéressant de se demander ce qu’il en est des migrations humaines aujourd’hui, pourquoi elles focalisent tant les débats des pays européens en particulier. Pour la France, il est surtout question de l’immigration du Maghreb, du Proche-Orient ou du Moyen-Orient, de l’Afrique subsaharienne ou de la corne de l’Afrique, en majorité musulmane, et jugée en cela trop éloignée de nous culturellement. En 1975, 20% seulement des immigrés vivant en France venaient du Maghreb ou du reste de l’Afrique. Au recensement de 2012, le pourcentage atteint 43%.
Dans le même temps la part des origines européennes parmi les immigrés a reculé de 66 à 37%, du fait surtout du tarissement des migrations espagnole et portugaise.
Comment s’effectue le « brassage » de ces nouveaux immigrés avec les « natifs » français ?
Au niveau mondial la question des frontières réapparaît avec force avec la construction ou le renforcement des murs de séparations entre les nations. Ces murs sont conçus pour être étanches, comme le mur qui sépare le Mexique des Etats-Unis. Le collectif, aussi, peut passer par la démarcation comme en Italie aujourd’hui avec la réaffirmation des frontières.
Nous allons suivre la pensée de Gilles Clément, créateur du concept des « brassages planétaires » pour comprendre ce que ce concept recouvre pour les végétaux dans un premier temps.
1 ) Gilles Clément et son concept de « brassages planétaires ».
Gilles Clément est un jardinier paysagiste qui a enseigné à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. Il a créé plusieurs concepts comme le « jardin en mouvement », le « jardin planétaire » et le « Tiers-paysage ». Ces concepts découlent de l’observation qu’un paysage naturel n’est jamais figé, que les espèces et les gènes circulent. Les plantations des jardins naturels se redessinent au long de la succession des saisons. Le « métissage » des espèces, le « brassage » s’est tissé au fil du temps. D’où cette idée de jardin planétaire. Gilles Clément intègre la globalisation du monde actuel par la « planétarisation » de la terre comme jardin, comme lieu de vie.
Ses réalisations sont connues : le parc d’André Citroën, les jardins de l’Arche à la Défense, le parc Matisse à Euralille, le jardin du château de Blois, le jardin du Musée du Quai Branly à Paris par exemple…
Voici quelques lignes de l’introduction de l’un de ses derniers ouvrages paru en 2014 :
Eloge des vagabondes, qui donne bien la tonalité de cette immense liberté des végétaux dans le monde. Certaines phrases ont été rajoutées à cette introduction en lien avec le colloque de Cerisy présidé par Gilles Clément lui-même.
« Les plantes voyagent. Les herbes surtout.
Elles se déplacent en silence à la façon des vents. On ne peut rien contre le vent.
En moissonnant les nuages, on serait surpris de récolter d’impondérables semences mêlées de loess, poussières fertiles. Dans le ciel déjà se dessinent d’imprévisibles paysages.
Le hasard organise les détails, mobilise tous les espaces possibles pour la distribution des espèces. Tout convient au transport, des courants marins aux semelles des chaussures. L’essentiel du voyage revient aux animaux. La nature affrète les oiseaux consommateurs de baies, les fourmis jardinières, les moutons calmes, subversifs, dont la toison contient des champs et des champs de graines. Les plantes ne se gênent pas pour franchir les obstacles du relief et des océans. Les chênes que l’on croit avoir toujours occupé nos contrées ont stabilisé leur progression depuis le Sud voici seulement 4000 ans ….
Au cours de son histoire l’homme, animal agité de mouvements incessants, devient libre échangeur de la diversité… L’évolution trouve son compte dans les mécaniques incessantes du brassage planétaire….
Sans le savoir, à tout moment, nous pratiquons l’art du brassage planétaire ordinaire et domestique : nous cuisinons les plats savants de l’histoire à partir d’espèces venues des quatre coins du monde… La fraise vient du Chili, on n’y pense pas en la mangeant au dessert car elle pousse dans le jardin juste derrière la maison. La nutrition est une expression obligatoire du brassage planétaire. Le petit jardin, le premier jardin, celui de la première sédentarisation, est le lieu initial du brassage planétaire sous l’influence humaine. Les plantes qu’on y cultive, principalement vivrières, viennent d’ailleurs. On les importe des territoires de cueillette rencontrés lors du nomadisme ancestral. Le potager semble figé sur son terrain mais il est partout. Il peut même devenir nomade au fil des transhumances imposées par les changements climatiques, les guerres ou par le simple désir de voyage.
Sommes-nous capables d’accepter que notre jardin, la planète, ne nous appartient pas, mais que c’est bien nous qui lui appartenons ? …
L’ouvrage, Eloge des vagabondes, s’en tient au jardin : à la planète regardée comme telle.
Au jardinier, passager de la Terre, entremetteur privilégié de mariages inattendus, acteur direct ou indirect du vagabondage, vagabond lui-même.
Oui, tout peut évoluer à la condition d’accepter l’imprévisible invention du vivant… ».
A cette idée de jardin planétaire, Antoine Kremer, directeur de recherche à l’INRA de Bordeaux apporte un éclairage très intéressant concernant les arbres et plus précisément les chênes.
Ses travaux portent sur la biologie évolutive des arbres en réponse aux changements environnementaux. Il constate que les arbres couvrent l’ensemble de notre planète depuis les tropiques jusqu’aux régions boréales. Ce succès évolutif interroge sur les stratégies biologiques, écologiques et génétiques qui ont contribué à l’expansion de ces espèces et à leur adaptation à des environnements très contrastés. Il prend comme exemple le genre Quercus ( les chênes, présents dans tout l’hémisphère Nord), et constate le rôle déterminant des échanges génétiques ( flux géniques ), par graines et par pollen, dans la colonisation des territoires par ces espèces. Si cette colonisation a réussi c’est grâce à l’hybridation entre espèces qui a enrichi la diversité génétique et a facilité l’adaptation à des milieux nouveaux.
Nous connaissons les chênes anciens aujourd’hui grâce aux restes fossiles en nombre qui subsistent comme les feuilles et les grains de pollen. Les chênes européens sont soit pédonculés soit sessiles. Ils sont apparus il y a 5 à 6 millions d’années. A cause des changements climatiques comme l’alternance de périodes glaciaires et interglaciaires au quaternaire, ces espèces de chêne migrent d’Europe du Sud vers le Nord, mais disparaissent au Nord lors des glaciations. Elles subsistent au Sud. Les populations sources se situent en Italie, Espagne et dans les Balkans. Ainsi, à mesure que le climat se réchauffe les espèces migrent.
Comment les brassages se sont faits et ont permis ce succès ?
Le brassage chez un arbre comprend le mouvement des gènes et leur croisement. Les gènes bougent par la dispersion du pollen ( gamète mâle ). Le croisement permet la redistribution de l’information génétique, donc la constitution d’un individu nouveau qui lui-même va migrer.
Le brassage se fait en plusieurs étapes :
- par la dispersion des graines ( colonisation comme migration dans un espace libre ) et par une vitesse de colonisation rapide. Quelquefois des glands sont dispersés à 100km par exemple par les hommes qui se déplacent ( l’homme se nourrissait de glands ).
- par le croisement intraspécifique mais aussi avec d’autres espèces. L’hybridation des chênes date de 15000 ans au temps de la colonisation post-glaciaire. Les deux espèces sessile et pédonculé migrent et s’hybrident. Cette hybridation est asymétrique plus importante d’une espèce à l‘autre.
- par les flux de pollen qui font que les pollens se répandent par le vent le plus souvent.
Tous ces éléments démontrent que le brassage planétaire des espèces a toujours été nécessaire et vital.
2 ) Le brassage planétaire des animaux.
Il en est de même pour le brassage des animaux. Serge Bahuchet, directeur du laboratoire Eco-Anthropologie et Ethnobiologie du Musée de l’Homme nous parle de ce phénomène grâce aux données génétiques récentes.
Il évoque l’ADN de chiens au néolithique issus de chiens orientaux transportés à l’Ouest et qui remplacent les chiens paléolithiques. Le chien serait issu du loup et aurait été domestiqué en Asie et en Europe. Il y a eu de nombreux mélanges entre chiens domestiqués et entre des chiens et des loups. Les chiens américains ne sont pas issus de domestications des loups américains mais sont les descendants de chiens asiatiques arrivés avec les hommes qui migraient.
La plupart des animaux domestiqués en Europe sont issus du Proche-Orient. Ils sont capturés à l’état sauvage et mis en captivité vers 11000 ans, puis 2000 ans plus tard ils sont complètement domestiqués, ce sont les chèvres, les moutons, les vaches et les porcs.
Les poules sauvages viennent d’Asie du Sud-Est et arrivent en Chine vers 6000 ans, puis en Grèce vers 700 avant JC.
Le buffle est un des derniers animaux orientaux qui arrive en Europe vers le VIème siècle avant JC.
Sur le continent américain les lamas, alpagas, cochons d’Inde, le dindon et le canard musqué restent locaux et ne se diffusent pas dans l’Amérique précolombienne, contrairement aux plantes, maïs, haricots, piments qui se sont répandus du Nord au Sud du continent.
A l’arrivée des Espagnols au XVIème siècle le cheval est introduit en Amérique. Les colons vont apporter des plantes européennes pour nourrir les troupeaux comme le trèfle.
Les Espagnols relâchent les chevaux qui se multiplient et sont capturés par les Indiens.
Inversement plusieurs types d’animaux migrent vers l’Europe : le dindon, le cochon d’Inde devenu animal d’agrément.
De nombreux autres exemples végétaux et animaux illustrent ce « brassage planétaire » qui a abouti à notre réalité contemporaine.
Qu’en est-il des migrations humaines ? Le brassage s’est-il effectué sur ce modèle de liberté que décrit Gilles Clément en nous disant que seules des conditions climatiques extrêmes peuvent le contrarier ?
Pour esquisser des éléments de réponse je m’appuierai sur François Héran, titulaire d’une Chaire sur les migrations créée récemment au Collège de France. Il s’attelle à nous décrire le cas français, lui qui a présidé l’INED ( Institut National d’Etudes Démographiques ) de nombreuses années.
3 ) L’immigration en France, « brassage humain « ?
Partons d’un tableau de cette immigration.
Chaque année depuis 15 ans la France accueille une immigration légale extracommunautaire de 200 000 personnes environ ( 65000 étudiants installés en France pour une durée de moins d’un an, 50000 personnes ayant migré en France parce que leur conjoint a le droit d’épouser un étranger ou une étrangère, 33000 personnes venues au titre du regroupement familial, 18000 personnes ayant reçu le titre officiel de réfugié ou l’autorisation de suivre un traitement médical de longue durée, 17000 personnes entrées directement au titre du travail non saisonnier. Le tableau se complète par une rubrique « autres » regroupant 12000 personnes dont les mineurs isolés et les « visiteurs » ( des proches ayant promis de ne pas travailler sur place ).
Pour un pays de près de 65 millions d’habitants cette immigration légale extracommunautaire représente 0,3% en proportion et se situe dans la moyenne de l’Union européenne.
L’opinion française a été frappée par le phénomène de l’engorgement du Calaisis par les migrants. Mais il est difficile de faire croire que ce dossier est au coeur de la politique migratoire française. La migration de transit représente jusqu’en 2015 un flux annuel de 2000 à 4000 personnes soit cinquante fois moins que le nombre de titres de séjour délivrés chaque année aux migrants des pays tiers.
Cette migration de transit convertie en migration de refuge a masqué l’accueil très timide des réfugiés syriens en France ( en 2015, 3400 demandes d’asile contre 5100 pour les soudanais ). Pressé par Bruxelles le gouvernement français a accepté d’accueillir 24000 Syriens en deux ans soit finalement dix fois moins que l’Allemagne.
Nous sommes loin d’une France de 42 millions d’habitants en 1939 accueillant 700000 personnes fuyant Franco.
Le poids total de la population issue de l’immigration en France est le signe d’une forme de brassage au cours du temps depuis le XIXème siècle. Pour l’INSEE les immigrés avoisinent 10% de la population vivant en France ( personnes nées étrangères à l’étranger et venues s’installer pour une durée légale d’au moins un an qu’elles aient ou non acquis la nationalité française par la suite ).
A la génération suivante les personnes nées en France de deux parents immigrés ou d’un seul parent réunissent environ 12% de la population. Cela signifie que plus d’un habitant sur cinq en France est immigré ou enfant d’au moins un immigré.
L’acquisition de la nationalité ne change rien ces chiffres : la qualité d’immigré est permanente : elle ne s’efface que si la personne quitte le pays. Plus de 40% des immigrés sont naturalisés et sont à la fois français et immigrés.
La grande majorité des migrants extra-européens s’installe durablement dans le pays d’accueil. Ils contribuent à le peupler.
Le mécanisme est connu : les enfants grandissent, de nouvelles attaches se nouent au fil du temps avec la société d’accueil. Les parents découvrent que le retour au pays devient plus problématique que l’intégration sur place. La migration de travail se double d’une migration familiale et tourne à la « migration de peuplement ». Pour le démographe, peuplement ne veut pas dire remplacement mais complément car les deux populations s’additionnent.
Il est essentiel de lier les deux volets de la migration : circulation et peuplement.
La greffe prend malgré les difficultés de socialisation, de marché du travail, de discrimination. Le huitième de la population immigrée a une origine musulmane, sans pour autant pratiquer toujours la religion. C’est absurde de dire que cette partie de la population n’est pas intégrée. La société française étant inégalitaire et divisée l’intégration dépend de multiples facteurs de génération, de genre, d’origines sociales, d’habitat, de religion…
Etre pour ou contre l’immigration n’a plus de sens alors que près d’un quart de la population française comprend des immigrés et leurs enfants nés en France. Cela incite à ouvrir le débat public sur d’autres bases que celle de la peur et du rejet, du grand remplacement et autres…
Conclusion.
Il faut cependant réfléchir à la question d’une migration mondiale « sans frontières » qui libérerait totalement le droit de s’installer dans le pays de son choix.
« Sans la liberté d’émigrer ou de ne pas émigrer, les courants d’émigration forcée qui sillonnent le monde se heurtent à des contradictions majeures comme on l’a vu dans la crise de 2015-2016 : personne ne sait comment concilier la juste répartition avec le fait que les exilés ont eux-mêmes des préférences pour tel ou tel pays. Immigration zéro ou drastiquement réduite, d’un côté ; immigration sans entraves, de l’autre : ce sont là deux formes de déni de la réalité » nous dit François Héran.
La France se doit de réfléchir à l’échelle de l’accueil des exilés du Proche-Orient quelle que soit leur religion. Le concept de « brassage planétaire » a ainsi le mérite d’amorcer la réflexion sur la question de la migration mondiale.
**************
Café politique du 13 septembre 2018
Les brassages planétaires.
Après l’exposé de Geneviève concernant le colloque de Cerisy-la-Salle sur les brassages
planétaires, le débat s’ouvre.
1 ) Réflexions à propos du concept de « brassages planétaires ».
- L’exposé introductif met en lumière le caractère interactif ou interactionniste des éléments vivants de notre monde. Cette approche se différencie de la construction de la pensée à l’occidentale qui se fonde sur une ontologie essentialiste. Le jardin, par exemple, est un écosystème dans lequel les différents éléments interagissent. Des espèces apparaissent du fait de ces interactions. Dans les systèmes naturels il y a toujours des évolutions mais dans ces évolutions tout n’est pas toujours favorable notamment en ce qui concerne les espèces invasives. Du fait des échanges plus nombreux, favorisés par des transports de plus en plus rapides, ces espèces invasives peuvent faire des dégâts. Citons la renouée du Japon, la berce du Caucase, les écrevisses américaines, les abeilles africaines. Chez les animaux, citons les pigeons ramiers. Du point de vue des migrations humaines, nous savons que celles-ci peuvent être facteurs de croissance économique, mais il reste qu’il existe une résistance psychologique à l’immigration ( voir la Suède, le Brexit, le Rassemblement National en France ). Même si rationnellement nous pensons que l’immigration peut avoir du bon, nous ne maîtrisons pas totalement le fonctionnement de notre esprit d’autant que certaines populations ne font pas toujours les efforts suffisants pour s’intégrer dans le pays d’accueil. Des processus d’hégémonies peuvent se dérouler de la part des « souchiens » comme des immigrés.
- Un participant nous fait part de son approche subjective de l’exposé sur les brassages planétaires. « Je relève des informations que je n’avais pas et qui m’ont surpris. Quand la nature agit seule cela donne des choses assez surprenantes qui sont plutôt positives. Il y a aussi des statistiques démographiques qui établissent clairement des faits en termes de migrations humaines. C’est une invitation à une approche bienveillante et heureuse du phénomène de l’immigration. Avant de venir à ce café politique je relisais une interview de Pierre Rosanvallon publiée dans Le Monde il y a une semaine environ : ce que dit Pierre Rosanvallon pourrait se conjuguer assez heureusement avec cette approche tout-à-fait subjective que je viens d’énoncer.
Rosanvallon dit que la gauche est impuissante aujourd’hui. Cette impuissance vient de l’impensé. Que faut-il penser aujourd’hui ?Jusqu’ici il y avait trois phases en terme d’idées de gauche :
• l’esprit des Lumières
• les réalisations de cet esprit par la démocratie chrétienne et les idéaux de la Résistance comme la gratuité de la santé et de l’école, ce qu’on a nommé traditionnellement la République
• et maintenant nous abordons la troisième phase : notre liberté à nous exprimer dans notre individualité en tant que nous sommes pluriels.
Rosanvallon rappelle que le visage en latin signifie le masque que nous portons, ce que nous affichons pour pouvoir jouir de cette liberté. L’immigration, telle qu’elle est possible, réglementée bien entendu, peut être regardée comme une virtualité d’un supplément de liberté et d’émancipation au sens où Rosanvallon le préconise ».
L’intérêt du débat de ce jour est de se séparer de la doxa sur l’immigration qui n’est pas le terrible phénomène tant décrié.
- L’enrichissement des brassages se traduit aussi dans nos langues et nos pratiques culinaires. Une partie de ce que nous mangeons et disons vient du Moyen et Proche Orient : le café, le sucre candi, les épinards, les mots comme le zéro, l’algorithme…
2 ) Une vision négative du brassage humain.
- Le poids des médias est important. Ils diffusent de fake news, il y a le storytelling, en résumé la diffusion d’idées fausses. Le savoir sur l’immigration n’a pas beaucoup de place dans ces « informations ».
- Les médias renforcent les peurs. Nous restons dans les ressentis et dans l’affect et peu dans la pensée. La société française souffre de cet état de choses.
- Les politiques ( de droite et de gauche ) ne font pas état des vrais chiffres de l’immigration et ont des propos démagogiques quand ils projettent de faire diminuer l’immigration légale extra-européenne en France. Depuis plus de quinze ans, cette immigration tourne autour de 200 000 personnes par an, compte tenu du respect des Conventions internationales auxquelles la France a adhéré et qui autorisent les regroupements familiaux par exemple. L’immigration choisie de Sarkozy n’a pas abouti, comme elle a été plutôt un échec dans d’autres pays qui ont tenté de l’adopter comme le Canada ou la Suisse.
- Gilles Clément, pour sa part, a pris position en 2007 par rapport au sarkozisme en refusant tout contrat avec l’Etat à partir de cette date pour se désolidariser de cette pensée de l’immigration. Il s’est présenté aux élections législatives d’Ecologie-les Verts en Creuse à Crozant où il vit.
- La vision bienveillante de l’immigration pose la question de savoir comment la transmettre. Les phénomènes affectifs et psychosociaux vont en sens contraire de cette bienveillance. Il y a tout un travail à faire sur cette transmission. L’idée simpliste qui consiste à attribuer ces phénomènes aux « fascistes » ne suffit pas.
- Les pays qui connaissent une immigration importante comme la Suède et l’Allemagne sont en ce moment en proie à des flambées d’extrême-droite parfois plus virulentes que celles du Rassemblement National en France.
- La peur de l’autre, la peur du différent, existent dans la nature humaine de tous temps.
Il semble difficile de changer les choses.
- Le cerveau reptilien nous guide jusqu’à âge de cinq ans et nous permet de vivre jusque là : nous ne sommes pas alors en mesure de verbaliser nos émotions. Le deuxième cerveau, le cortex nous permet plus tard de formuler ce que nous vivons. On pourrait dire que nous agissons quelquefois sous l’emprise du cerveau reptilien quand nous avons peur de l’inconnu et que nous n’arrivons pas à prendre en compte les éléments objectifs d’une situation comme le bilan clair de l’immigration en France. Cette peur existe, mais elle est irraisonnée et souvent infondée. Il semble donc nécessaire de la réinterroger en permanence pour qu’elle ne nous déborde pas, qu’elle ne nous submerge pas, surtout quand il est question de l’autre dont nous savons qu’il nous met en difficulté mais que nous ne pouvons vivre sans lui. Que les autres soient nos voisins ou qu’ils viennent de loin, ils ont en commun d’être autres. Il est nécessaire de parler de ces réactions et d'accepter de les exprimer.
- Nous pouvons aussi prendre en compte le facteur stress ( culte de la performance ) de plus en plus important dans nos vies professionnelles en particulier. Ce stress ne favorise pas vraiment l’accueil de l’autre.
• Les facteurs géopolitiques jouent un rôle important dans les causes de l’immigration.
• Le budget du Pentagone est de 700 milliards de dollars par an. Il crée le désordre actuel au Moyen-Orient et face à cela il y a le phénomène de financiarisation de l’économie qui détruit le système capitaliste et qui précipite des millions de personnes dans la pauvreté. Il faut s‘attaquer au système qui produit ces désordres. Les migrations ne seront plus des migrations par nécessité quand le développement économique et humain des pays d’origine sera effectif.
- La question qui se pose est le devenir de ces brassages humains. Si Bouteflika décède des millions de jeunes chercheront à partir d’Algérie vers la France… Que ferons-nous ?
3 ) Un autre discours sur l’immigration.
- Roosevelt a dit : « Il n’y a qu’une seule chose dont nous devons avoir peur, c’est de la peur elle-même ».
- Nous devons nous poser la question suivante : comment nous pouvons et nous devons vivre ensemble. Le fait politique c’est cela : être dans une cité. Il faut un sursaut démocratique qui doit se faire sur la base notamment d’une rigueur vis-à-vis de nous-mêmes. La vie en cité n’est possible et, c’est un historique constant depuis que les cités existent, que par la sublimation du ressenti et non pas des partages de ressentis de surface qui prennent de l’ampleur. Cela finit par ne plus « passer » comme un bol alimentaire bloqué en nous.
- L’accueil heureux des immigrés peut se réaliser grâce à une meilleure connaissance de leurs pays, coutumes, idées, ce qui réduirait la part de crainte de l’inconnu. Notons le travail des associations qui mettent en contact les accueillants et les arrivants.
- Le travail à l’étranger pour les étudiants après leur diplôme pourrait ouvrir l’esprit des jeunes à l’autre.
- La question de la submersion de l’Europe à venir par les populations africaines en expansion est très largement contrée par François Héran. « Si l’on intègre la croissance démographique projetée par l’ONU, c’est-à-dire le passage de 970 millions d’Africains en zone subsaharienne à 2,2 milliards en 2050 (…), les immigrés subsahariens installés dans les pays de l’OCDE pourraient représenter en 2050 non plus 0,4% de la population mais 2,4%. » C’est une hausse importante mais qui ne permet pas de parler d’invasion même en ajoutant la seconde génération. A l’heure actuelle « sur les 420 millions d’habitants de l’Europe de l’Ouest, 5,3 millions sont nés en Afrique du Nord, et 4,4 millions dans le reste du continent africain ». En France ces taux sont de 4,3% pour les natifs d’Afrique du Nord et de 1,5% pour les Subsahariens. Il faudrait un saut en matière de développement pour que l’émigration africaine fasse un bond tant il est vrai que plus un pays est pauvre, moins ses habitants ont de chance de migrer loin. S’ils émigrent c’est d’abord dans les pays limitrophes.
Conclusion
Les politiciens ont développé en nous des passions tristes comme dirait Spinoza. Les réactions qui en découlent peuvent aboutir au communautarisme et il y a une spirale infernale : communautarisme, réaction de la population majoritaire avec encore plus d’hostilité qui favorise encore le communautarisme. Nous arrivons ainsi à la radicalisation.
Il devient urgent de casser ce cercle vicieux en développant un accueil des immigrés digne de ce nom.
Nos gouvernements devraient éviter de soutenir les chefs d’Etat étrangers corrompus.
Retour vers les textes du café politique
Texte de Jean-Louis Goepp en introduction au Café du mardi 23 octobre
L’Europe, une utopie nécessaire ?
« L’utopie est le rêve nécessaire, et la réalité le défi permanent ». ( Daniel Cohn-Bendit ).
L’utopie c’est réfléchir aux caractères moraux d’une société qu’on essaie de transformer.
Dans la mondialisation qui va gagner encore, dans l’Europe, l’Allemagne aura l’importance du Luxembourg aujourd’hui et la France qu’à Malte aujourd’hui.
Votre projet de civilisation est-il de vivre pépère comme le Luxembourg et Malte ?
Si on a un projet de civilisation on ne peut le faire que par l’Europe.
C’est en définissant le rêve qu’on définit la direction. C’est en définissant la direction qu’on peut définir le changement.
Marcel Duchamp appelait les tableaux les « retards ». Le délai est d’une génération pour l’élite, de deux générations pour le public cultivé, de trois générations pour le grand public. Un siècle se passe avant que la foule s’assemble dans l’unanimité ou l’événement inventé par la narration historique.
L’Europe est une oeuvre d’art inachevée ( « inachevé » est le propre de toute œuvre d’art ). Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons mais de ce que nous sommes.
Nous avons ici un devoir de regard et de lecture pour dire ce qu’est l’oeuvre aujourd’hui et ce qui manque. Notre regard désirant cherche et invente autre chose derrière ce qu’il voit.
Ce que nous voyons de l’Europe.
C’est l’Europe de pères fondateurs : celle de la paix, des Droits de l’Homme, de la solidarité, de la gratuité des soins pour tous, de l’accès à l’instruction pour tous.
L’Europe est exemplaire aux démocraties. Elle n’est pas offensive, elle est universelle. A la libéralisation mondiale des marchés elle oppose une sage régulation. L’individu a sa place dans nos lois qui lui permettent de s’épanouir.
L’Europe a identifié ses ennemis : nationalisme et populisme et Haro sur l’immigration.
Aux détracteurs opposons ce qu’est l’immigration, elle n’est pas ce diable qui nous donne l’effroi.
L’oeuvre de l’Europe.
Elle se présente comme unique au monde et unique dans l’histoire des civilisations. Elle est première puissance économique et commerciale au monde. Il lui reste à s’instituer comme puissance politique.
Vision à long terme.
Il faut une planification fédérative sur la base d’une vision lointaine du devenir idéal de l’Europe.
Il faut une politique qui se libère des pouvoirs de la finance. Il faut prendre à bras le corps les questions environnementales, de régulation économique et sociale ainsi que la gestion monétaire.
Vision à moyen terme.
Il faut constituer des entités régionales homogènes. Vivre ensemble différemment, consommer différemment, surmonter l’affrontement entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud. Se faire entendre au niveau mondial.
Devant nous.
Dire non à l’absence de réglementation sur les contenus internet.
Sortir définitivement de la crise financière. Dire non à la possibilité pour les groupes internationaux d’engager des procès contre les Etats. Faire la zone euro.
Les prochaines élections européennes.
Ne faisons pas la fine bouche, sachons distinguer. La partie n’est pas le tout. Face au populisme et au nationalisme il n’y a que deux camps : on est pour l’Europe, si on est pour l’Europe on ne nuit pas à l’Europe.
Nous sommes à pied d’Oeuvre :
- D’un côté nationalisme et populisme
- de l’autre côté, l’Europe instituante et constituante comme un accès au bien vivre ensemble.
Il faut une Europe fédérale au service des citoyens. Il faut adopter une logique fédérale. Il faut approfondir la réflexion pour une description exacte de la réalité que nous voulons changer. Exactitude du diagnostic = critique radicale.
Il faut changer le modèle économique et social, sortir de l’égoïsme qui motive le choix économique, sortir de l’échange marchand pour une économie du partage ; décorréler le bonheur de la richesse, militer pour une utilisation collective des biens, passer de l’enrichissement sans limite à une société solidaire.
Il faut donner un agenda à l’Europe, planifier, fédérer. Il faut un espace public, un budget, un modèle social européen ; un service public européen à socle éducatif commun ; une agriculture écologique ; un système financier régulier, une fiscalité améliorée.
Groupons-nous pour une mobilisation citoyenne : débats, symboles, pétitions, moments forts.
C’est du Parlement européen que viendra le changement. Que les citoyens marchent sur le Parlement.
* * * *
Synthèse du café politique du 23 octobre 2018 L’Europe, une utopie nécessaire ?
Après l’exposé de Jean-Louis, le débat s’ouvre.
A L’utopie mise à mal dans l’Union européenne. 1 ) La question de l’utopie.
A l’origine de l’utopie il y a souvent le désir d’une société plus juste et plus libre.
Thomas More, philosophe, théologien et humaniste anglais du XVIème siècle, était le grand ami d’Erasme. C’est lui qui a écrit un ouvrage intitulé Utopia ( d’après la racine grecque c’est un « lieu qui n’est nulle part »). Après lui les utopistes auront tendance à proposer des systèmes assez rigides et même quelquefois militaires pour mettre en oeuvre leurs idées. L’utopie européenne ne se serait-elle pas dissoute dans une forme de rigidité, de bureaucratie et d’uniformisation ? On peut penser que cette rigidité n’est pas forcément utile. L’exemple de la Suisse nous montre un système où la fiscalité change selon les cantons sans que cela nuise à l’esprit fédéral.
Ce qui est utopie pour les uns peut être dystopie pour les autres.
Les valeurs de l’Union européenne sont celles proclamées par la Charte des droits fondamentaux, selon laquelle « l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe d’Etat de droit ». Par certains de ses aspects, l’utopie européenne semble trompeuse :
Article 63 du TFUE ( Traité sur le fonctionnement de l’UE ) : « Toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ». Cet article interdit toute politique visant à limiter les délocalisations.
Article 48 du TFUE : pour toute modification des traités européens l’unanimité des 28 membres de l’UE est requise. Comme l’unanimité est très difficile à obtenir, il semble très compliqué d’imaginer des changements dans l’orientation de l’UE, d’où un déficit flagrant de démocratie.
Les multiples cessions d’actifs comme celles d’ADP et de la Française des jeux en France, le projet de privatisation de la SNCF, sont des manières de renflouer la dette à la demande de l’UE.
Le fait d’uniformiser les règles des différents régimes de retraite va dans le sens de ne pas les aligner sur le système le plus favorable aux retraités.) Les contraintes de la géopolitique sur l’UE.
La position américaine par rapport à l’Europe prête à réflexion. L’OTAN reste un instrument de domination américaine sur l’Europe. Les Américains oeuvrent pour éviter tout rapprochement de l’UE et du Kremlin qui l’a proposé à plusieurs reprises.
La question d’une forme de retour à la guerre froide se pose actuellement.
Les différents Etats européens ont des histoires spécifiques : les pays de l’Est récemment intégrés dans l’UE sont encore marqués par leurs 70 ans de communisme et ont découvert difficilement la question du chômage, inconnue sous le régime du socialisme d’Etat. Renan prônait déjà la nécessité d’être attentif aux réalités du
« terrain » et de signifier ces réalités aux « transcendants de la politique ». Dans son discours sur Qu’est-ce qu’une Nation ?, prononcé en 1882 à la Sorbonne, Renan nous dit : « Laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être après des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques ».
Par ailleurs peut-on parler d’une culture commune européenne ?
De manière générale la question de l’évasion fiscale au niveau européen continue de poser problème
) Le déficit démocratique de l’UE.
Il y a au Parlement européen des députés anti-européens. Que penser de cette contradiction en termes démocratiques ? On pourrait dire avec Churchill que « la démocratie est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres ».
La question de la lisibilité et du fonctionnement des institutions européennes se pose.
Les véritables organes dirigeants de l’UE ( Commission, Cour de Justice, Conseil, Banque Centrale ) se trouvent hors de portée de voix électorale.
Les citoyens, privés d’expression politique n’ont dès lors plus le choix que d’être pro ou anti européens et cela enflamme les débats nationaux.
Il est difficile de parler d’« un espace public européen » de débats même si le Parlement européen a vu récemment ses pouvoirs se renforcer.
Il semblerait que dans l’Histoire il y ait eu peu d’exemples d’Unions qui se seraient construites démocratiquement.
Les députés européens sont les représentants de partis ce qui interroge toujours sur leur représentativité.
Le trop grand nombre d’Etats intégrés trop rapidement dans l’UE, sans donner à cette UE une direction claire, nuit à la démocratie.
B Vers une Europe des citoyens ?
Faire un état des lieux plus positif :
Certains Etats comme la Roumanie ont vu leur économie s’améliorer avec l’entrée dans l’UE.
L’Europe ne prône pas la dérégulation.
L’Europe des Pères fondateurs a une certaine réalité par son ambition culturelle ( Erasmus et autres initiatives..), la place qu’elle donne à l’individu, l’encouragement à l’art, les actions de solidarité.
Dès les années 1980 l’Europe a affirmé les principes d’égalité des chances et des hommes et des femmes. Les mouvements citoyens ont à leur disposition les canaux médiatiques pour tenter d’infléchir les processus de décision.
Les projets
La question du modèle économique et social reste à définir, mais c’est le propre de la démocratie que de se construire en avançant.
L’UE n’a pas besoin d’être d’emblée un « objet politique » défini, mais gageons que peu à peu elle trouvera son identité : Europe des nations ou Europe fédérale ?
Certains pensent qu’en revenant à une simple coopération des nations, ce serait la fin de l’UE mais aussi la renaissance d’une autre forme de coopération. Les meilleurs réalisations semblent être celles d’Airbus et d’Erasmus et sont des projets intergouvernementaux.
La diversité des cultures peut être un vrai moteur pour une culture européenne respectant les originalités de chaque Etat tout en les mettant en synergie.
Conclusion.
Certains pensent revenir à un état d’avant l’UE dans lequel les traités bilatéraux reprendraient leur place et où chaque nation serait souveraine.
Il ne faut cependant pas oublier que chaque fois qu’il y a eu des nations indépendantes en Europe le nationalisme a rôdé et a provoqué des guerres comme la guerre de Trente ans, les guerres de religions, les deux conflits mondiaux. L’UE est un gage de paix depuis 70 ans.
Cette élection semble être un tournant citoyen important par rapport à l’Europe, celui du désaveu profond où celui d’un espoir réaliste d’avancer ensemble malgré toutes les difficultés. Il semble difficile de nier qu’une culture commune européenne est en train de s’élaborer.
Reste la question brûlante de l’économie et d’une éventuelle crise financière à venir qui risquerait de compromettre les élans de construction d’un espace public européen dont les citoyens s’empareraient de manière plus explicite.
* * * * *
Article du Monde du 23 septembre 2018 Dans Débats et Analyses
Il est encore possible de réanimer l’Union européenne
Par un collectif d’universitaires issus de différents pays de l’Union.
Extraits de l’article.
L’état des lieux.
« Depuis 2005 et l’échec de projet de traité constitutionnel, des craquements de plus en plus inquiétants se font entendre sans que rien ne semble devoir tirer les dirigeants de l’Union européenne de leur sommeil dogmatique. Ni les désaveux électoraux répétés, ni la fracture économique entre pays de la zone euro, ni le renflouement par le contribuable de banquiers irresponsables, ni la descente de la Grèce aux enfers, ni l’incapacité à trouver une réponse commune aux flux migratoires, ni le Brexit, ni l’impuissance face aux diktats américains imposés au mépris des traités signés, ni la montée de la pauvreté, des inégalités, des nationalistes et de la xénophobie n’ont permis d’ouvrir à l’échelle de l’Union européenne un débat démocratique sur la crise profonde qu’elle traverse et les moyens de la surmonter.
Il est vrai qu’en l’absence d’espace public européen, la question des politiques de l’Union ne peut être débattue qu’au niveau des Etats membres. Or le niveau national n’étant pas celui où ces politiques sont définies, on ne peut y débattre que du point de vue de savoir si on doit la « supporter » telle qu’elle dysfonctionne, ou bien en sortir…
Les « débats » nationaux sur l’Union européenne se réduisent ainsi de façon caricaturale à une joute entre pro et antieuropéens. Tous ceux qui critiquent le fonctionnement de l’UE se trouvant qualifiés d’ « anti », le nombre de ces derniers ne cesse de grossir et, avec eux, celui des partis et des gouvernements adoptant vis-à-vis d’elle un point de vue ethnonationaliste.
La trahison des valeurs.
La raison première de la désaffection croissante pour l’Union européenne est le divorce entre les valeurs dont elle se réclame et les politiques qu’elle conduit. Ces valeurs sont celles proclamées par la Charte des droits fondamentaux selon laquelle « L’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’Etat de droit. » Leur trahison concerne au premier chef le principe de démocratie, mais il est aussi évident s’agissant du principe de solidarité.
Le danger que la construction européenne faisait courir à la démocratie avait été dénoncé dès 1957 par Pierre Mendès France : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une « politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale »….
L’Union ne connaît pas d’élections permettant à une opposition se structurer et d’accéder au pouvoir sur un programme de gouvernement.
Dans un livre récent, un ancien membre de la Cour constitutionnelle allemande, l’éminent juriste Dieter Grimm, attribue ce défaut de démocratie à l’inscription dans les traités de choix de politiques économiques qui devraient normalement relever de la délibération ( et de l’alternance politique ) …
Ce régime est celui qu’appelait de ses voeux dès 1939, l’un des théoriciens du néolibéralisme, Friedrich Hayek, selon lequel une fédération d’Etats fondée sur « les forces impersonnelles du marché » serait l’institution la mieux à même de mettre ces forces à l’abri des « interférences législatives » des gouvernements démocratiques élus dans ses Etats membres…
De fait, la corrosion des systèmes de solidarités, qu’il s’agisse des services publics, du droit du travail ou de la sécurité sociale, est l’un des effets les plus visibles de l’intégration européenne, et le premier facteur de sa désintégration. L’Union européenne trahit là aussi les valeurs dont elle se réclame, puisque la proclamation du principe de solidarité étendu à la protection de l’environnement, a été l’aspect le plus novateur de la Charte des droits fondamentaux de l’UE…
D’autant plus soumise aux lobbys qu’elle échappe au contrôle démocratique, l’UE poursuit ainsi sa course au moins-disant social, fiscal et écologique entre les Etats….
La seule solidarité qui semble fonctionner efficacement en Europe est celle qui a permis de sauver, sans le réformer sérieusement, un système bancaire en faillite en l’inondant de liquidités, en transférant ses pertes sur les contribuables européens et en plongeant des pays entiers dans la misère. Sans qu’à aucun moment on semble n’avoir songé à demander des comptes à celle ( Goldman Sachs ) qui, dans le cas grec, avait contribué au maquillage des comptes publics. Il est vrai que nombre de dirigeants européens de premier plan sont issus de cette banque qui s’est assurée en retour les services d’un ancien Président de la Commission européenne …
Faute d’être instituées démocratiquement, les solidarités ressurgissent sur des bases identitaires, ethniques ou religieuses, ouvrant la voie aux démagogues et aux violences.
L’UE ne retrouvera son crédit et sa légitimité que dans la mesure où elle s’affirme comme une Europe de la coopération plutôt que de la compétition.
Propositions.
Une Europe prenant appui sur la riche diversité de ses langues de ses cultures, au lieu s’employer à les araser ou les uniformiser.
Une Europe des projets, ouvrant à la solidarité continentale.
Lutter contre ce que Roosevelt nommait « l’argent organisé » en séparant les banques de dépôt et d’investissement et en limitant leur pouvoir de création monétaire.
Imposer aux opérateurs économiques de toutes nationalités qui opèrent sur le continent des règles à la hauteur de la gravité des périls écologiques, de la flambée des inégalités, de la concurrence fiscale mortifère qui conduit à la dégradation des équipements et services publics et des infrastructures routières et ferroviaires.
Créer un cadre juridique commun favorisant l’essor entre les Etats et le marché, de l’économie sociale et solidaire, des biens communs et des multiples formes de la solidarité civile.
Lutter contre les monopoles exercés aujourd’hui par les GAFA ( Google, Apple, Facebook, Amazon ) et demain par des entreprises chinoises.
Se doter d’un parquet ayant les moyens de répliquer à l’imposition extraterritoriale du droit américain aux entreprises européennes.
Répondre de façon équilibrée à la question migratoire.
Restaurer la démocratie.
Une telle refondation de l’Union a pour condition non seulement une restauration mais aussi un approfondissement de la démocratie à tous les niveaux de la délibération politique, local, national et européen.
Il serait possible de doter l’Union de ressources budgétaires propres ( notamment par une taxation des transactions financières ) allouées à des objectifs de développement durable et contrôlées par le Parlement européen, et de rendre symétriquement aux Etats leurs propres capacités budgétaires, sans lesquelles leur vie démocratique est privée de substance.
Cette perte de substance affecte aujourd’hui toutes les formes de démocratie locale et de démocratie sociale dont les ressources sont asséchées par des gouvernements n’ayant pas d’autre boussole que la gouvernance par les nombres qui régit l’Eurozone.
Il faudrait une véritable renaissance de la démocratie sans laquelle les « élites dirigeantes » continueront de se couper de l’expérience infiniment riche et diverse de la vie des peuples et d’en faire la proie des démagogues.
Extraits de l’article du Monde du 5 octobre 2018, évoquant le dernier ouvrage : L’Europe. Encyclopédie historique, sous la direction de Christophe Charles et Daniel Roche, Actes Sud, 2018.
Toute l’histoire de l’Europe le montre : chaque fois qu’elle a été au bout de la désunion, elle s’est enfoncée dans des catastrophes en chaîne. Il suffit de penser aux guerres de religion, à la Guerre de Trente ans ou aux deux conflits mondiaux. L’histoire ce sont toujours des choix négatifs. Un unité fragile, incertaine, pleine de tensions n’est pas entièrement satisfaisante, mais le contraire est pire.
Dans sa forme actuelle l’Europe n’existe que depuis 60 ans pour les fondateurs. Il faut un vaste investissement intellectuel et culturel pour reconnecter les gens à l’identité européenne et leur faire comprendre qu’elle n’abolit pas les identités locales ou nationales. Elle est un complément, un ajout, elle peut être une force pour aller vers l’avenir.
Texte de Jean-Luc pour le café politique du 21 février 2019
: Quelle issue pour le match Trump-Xi Jinping.
> En Occident, le discours officiel veut nous faire croire que la stabilité du monde serait menacée par la prétention, dénigrée comme relevant du "populisme", de certains Etats à vouloir garder leur souveraineté. En réalité, il y a dans le monde un Etat, les USA, qui vit dans l'obsession de sauvegarder la suprématie qu'il a réussi à acquérir dans les affaires mondiales. Les instruments en sont la projection militaire (800 bases militaires US à travers le monde, dont 40 autour de la Chine), le
$ comme monnaie de réserve mondiale et l'extra-territorialisation du droit US. B. Obama faisait passer cela pour du "progressisme", mais D. Trump, plus direct, considère que tout baratin justificatif est inutile: à ses yeux, la volonté de la Chine à vouloir non seulement, protéger sa souveraineté mais se créer une zone d'influence par le biais des "routes de la soie" est inacceptable. Cela doit donc être contré car ce serait susceptible de constituer une remise en cause de la suprématie US.
> L'angle d'attaque est le commerce, les USA affirmant être victimes de concurrence déloyale et de vol de propriété intellectuelle. En 2017, ils ont importé de Chine pour 505 milliards de $ de marchandises, mais ce chiffre comprend les importations de produits faits par les firmes US installées dans ce pays. Lequel a importé la même année pour 130 milliards de $ de marchandises US. Les USA ont instauré en 2018 des taxes pour 200 milliards de marchandises et la Chine pour
60. Mais pour la Maison Blanche, ce n'est à vrai dire, pas tant l'équilibre commercial qui est cherché que d'empêcher la Chine de devenir une puissance comparable aux USA.
> Le PIB chinois en 2016 a été de 11 200 md $, le chiffre US étant de 18 570 md $, et de fait, de nombreux économistes pensent que la Chine, à terme, dépassera les USA. Y avait-il une fatalité que ce développement se fasse au détriment de l'Occident, comme il s'en afflige à présent? Y avait-il une fatalité que des millions de travailleurs US et au-delà, occidentaux, soient précipités dans la précarité? A l'évidence, non, puisque "rien n’obligeait les dirigeants occidentaux à ouvrir leurs pays à tous les vents commerciaux, à encourager les délocalisations et à supprimer un à un leurs instruments d’intervention économique sous la pression des multinationales — lesquelles se sont ruées sur le territoire chinois. Aujourd’hui encore, plus de quatre exportations « chinoises » sur dix (42,6 %) sont effectuées par des entreprises étrangères qui maîtrisent la totalité de la chaîne du produit (de la conception à la vente) et engrangent le maximum de profits" écrit Martine Bulard dans le Monde diplomatique de novembre 2018.
> Et en effet, contrairement aux pays dits libéraux, en Chine, les différents gouvernements qui se sont succédés, sans être dirigistes, ont gardé le contrôle de l'activité économique et de son financement. Le résultat a été qu'en 30 ans, le PIB a été multiplié par 17, l'espérance de vie a été augmentée de plus de 30 ans et 700 millions de Chinois ont été extraits de la pauvreté. En 1950, le PIB de l'Inde et de la Chine étaient comparables. A l'heure actuelle, malgré l'effroyable période maoïste, le PIB de la Chine, restée souveraine dans ses choix, est égal à 4,5 fois celui de l'Inde dont les dirigeants ont cru à la fable de la concurrence libre et
parfaite et de l'ouverture des frontières que cela impliquait. Si l'Inde continue à se débattre avec des problèmes tels que l'illettrisme, l'insalubrité et la mortalité infantile, c'est en outre que, par dogmatisme libéral, elle n'a pas fait les investissements nécessaires destinés à permettre à la puissance publique d'assurer un relatif mieux-être pour la population. Mais cela, les droitdel'hommistes occidentaux ne veulent pas le voir; à leurs yeux, la Chine est une dictature et à ce titre mérite l'opprobre. Soyons direct, car le sujet l'autorise: le droitdel'hommisme n'est que le masque moral qu'exhibent les manipulateurs de la prédation financière lesquels sont en train de transformer la France en victime de ce qu'on a pu désigner par l'oxymore de "fascisme libéral".
> Afin de contrer les USA, les autorités chinoises ont lancé le plan "made in China 2025" basé sur l'innovation et l'autonomie dans le processus de production, de sorte que plus aucun composant fabriqué par une entreprise US ne soit utilisé. Les dirigeants chinois préparent intensément la phase qui suivra la période d'échanges commerciaux avec les USA; leur ambition étant de devenir le principal partenaire commercial des pays en voie de développement dont les besoins sont immenses. Le but n'est pas seulement commercial mais aussi monétaire puisqu'il s'agira d'établir avec chaque pays un cadre financier bilatéral afin d'éviter toute transaction en $. Les USA ont réussi à verrouiller le FMI qui était le seul organisme à prêter de l'argent aux pays ayant besoin d'assistance. Mais ces prêts étaient toujours en $ et les pays débiteurs devaient se soumettre à des conditions d'"assainissement" très strictes (en général la vente de ce qui est rentable et le délaissement des services publics). La "main invisible" du marché, chère à A. Smith, devant être guidée par la main bien visible des institutions supra-nationales. La Chine prête sans conditions d'où la colère des USA, puisque la défense des droits de l'homme, entendre par là le respect du dogme de la concurrence libre et non faussée, n'est dès lors pas assurée. Mais Pékin, qui sait bien à quels incontinences cérébrales peut mener une posture idéologique, affirme ne plus avoir aucune préoccupation de cet ordre et ne veut limiter sa coopération qu'à des questions économiques et aucun cas politiques. Pour renforcer la crédibilité de sa monnaie, elle a opéré des achats réguliers d'or et déclare en détenir officiellement 1853 tonnes. Evidemment, les Chinois rient "jaune" lorsque Washington parle de "révisionnisme". Selon Washington, d'autres capitales n'ont pas à vouloir remettre en cause l'ordre international tel qu'il a été conçu par ses doctrinaires. On remarquera toutefois que la "pax americana" se traduit par des conflits incessants, justifié par la "guerre contre le "terrorisme" lequel, de fait, s'avère bien utile.
> La politique de l'Empire du Milieu en Orient est de promouvoir un "partenariat économique régional intégral" intégrant d'ores et déjà la Birmanie, Brunei, le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. Elle cherche à y adjoindre le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Inde et la Corée du Sud. Ce partenariat régional vise à compléter le programme dit des "routes de la soie" pour lequel 64 pays en Asie mais aussi en Afrique ont déjà apporté leur soutien.
> En 2014, Xi Jinping a créé la Banque Asiatique d'Investissements pour les Infrastructures. Elle associe actuellement 86 Etats (dont certains Etats européens, l'Allemagne ayant un représentant permanent mais pas l'Union européenne en tant
que telle). Elle prévoit un investissement de 26 000 milliards $ jusqu'à l'horizon 2030. Les zones d'investissement prioritaires sont en 2019 le Pakistan, le Tadjikistan, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, l'Inde, le Bengladesh, la Birmanie, l'Indonésie, les Philippines, l'Egypte et Oman. Sont favorisés les transports terrestres (ce qui irrite les US qui ont le contrôle du transport mondial maritime), les secteurs hydraulique, solaire, gaz et pétrole (pas l'éolien).
> La question se pose de savoir pourquoi les USA veulent contrer cette émergence de la Chine sur la scène mondiale. Une situation de concurrence est l'essence même du capitalisme et les positions perdues peuvent toujours être reconquises. En réalité, l'oligarchie US est divisée entre les néo-libéraux du Parti démocrate dont le thème de prédilection est la lente liquéfaction des Etats au profit d'une gouvernance mondiale (Soros et l'Open Society), cad en réalité au profit des multinationales épaulées par un système financier mondialisé, et les néo- conservateurs républicains, dont le plus virulent est D. Trump, et pour qui il est essentiel que les USA gardent le leadership politique, économique et militaire dans les affaires mondiales (Trump pensait que le business suffisait mais le Pentagone semble lui avoir fait part qu'on ne saurait se passer de ses services!). De fait, le président US considère qu'il n'est pas nécessaire pour les USA d'avoir des alliés mais ceux qui profitent de l'ordre américain doivent l'accepter comme suzerain et payer pour leur vassalisation (Union européenne, Japon, Corée, monarchies sunnites, Israël étant quasiment le 51e Etat des USA, jouit d'un statut d'exception). Quant aux autres, il faudra les déstabiliser, au besoin par la guerre, au nom de l'assistance humanitaire bien entendu. On ne peut que s'étonner devant l'extraordinaire stupidité de l'Union européenne qui a fermé les portes à une Russie qui ne demandait qu'à coopérer avec elle (voir le Monde Diplomatique, septembre 2018, "Quand la Russie rêvait d'Europe"). Mais la condition que celle-ci avait posée était l'acceptation d'un monde multipolaire, ce qui était et reste inenvisageable pour le "parrain" US qui, toutes tendances confondues, veut en rester au monde unipolaire. A l'heure actuelle, tous les pays européens, y compris l'Italie, sont sur cette ligne et le resteront tant que ce que les historiens du futur appelleront peut-être le nouvel Anschluss allemand, réalisé grâce à l'€, ne sera pas remis en cause. Après le retrait US du traité ABM sur les missiles balistiques, en décembre 2001, le Kremlin avait compris que les USA allait relancer la course aux armements pour transformer la Russie en une gigantesque Tchétchénie et pour pouvoir la piller à loisir. Elle s'est donc réarmée, non pour agresser qui que ce soit, comme l'affirme la propagande atlantiste, mais pour assurer sa défense. Le prétexte pour le Pentagone de sortir du traité sur les missiles de portée intermédiaire, était donc trouvé. C'est ce qui vient d'être fait mais maintenant, la Chine assure un soutien sans faille à la Russie et espère que la réciproque sera vraie lorsqu'il s'agira pour elle d'expulser l'US Navy de la Mer de Chine, ambition qu'elle ne masque plus.
> Mais revenons-en à la question monétaire. Aucun politicien ne sait de manière précise combien représente la masse monétaire contrôlée par les banques centrales "indépendantes", comprendre hors du contrôle des Etats, à savoir, dans la sphère atlantiste, essentiellement la FED et la BCE et si, à terme, la thèse, pour l'instant encore dénoncée comme conspirationniste, de prise de pouvoir planétaire
par la finance mondialisée repose sur un fondement réaliste. On constate quand même que l'ensemble des Etats de l'univers atlantiste se sont enfoncés dans une spirale de l'endettement, ce qui a pour effet de les déposséder de leur raison d'être au profit d'institutions financières qu'ils ne contrôlent pas. Celles-ci, par l'octroi du crédit à ces mêmes Etats, par la fixation des taux d'intérêts et par l'émission monétaire, manipulent à leur guise la puissance publique, réduite quant- à-elle au formatage de l'opinion publique par l'élaboration d'un discours politiquement correct destiné à la fois à masquer cette soumission et à la justifier. Le but du jeu est d'endetter les Etats afin de s'assurer une rente, financée par l'impôt que prélève ces Etats. Il faut donc suffisamment les affaiblir pour leur ôter toute velléité de contrôle de l'activité bancaire mais leur garder assez de puissance pour lever l'impôt qui finance le placement sans risque que font les banques auprès des Etats (50 md d'€ d'intérêts par an pour la France). C'est donc l'impôt qui fournit la garantie pour l'impression des billets de banque par les banques centrales. A. Greenspan, ancien président de la FED, a constaté, dans "L'or et la liberté économique":"Le déficit budgétaire n‘est rien d‘autre qu'une combine pour confisquer la richesse".
> IL y a donc une véritable fracture entre le monde atlantiste dont les monnaies reposent sur la dette et le monde eurasiatique dont la monnaie repose sur le capital que représente l'or. L'un cherche et cherchera de plus en plus à enrayer son inéluctable déclin par la guerre, l'autre, s'il veut survivre et s'imposer, devra rendre coup sur coup.
> La mondialisation, qu'on a voulu nous présenter comme heureuse et donc désirable, est une construction entièrement idéologique dont le credo est: l'Etat a un rôle politique, il doit produire un discours justifiant qu'il est au service de la sphère économique, sans pour autant chercher à la contrôler en quoi que ce soit. Celle-ci, d'ailleurs, étant elle-même de plus en plus inféodée à la sphère financière. Cette praxis a été élaborée dès les années 1910 et elle a abouti à la création en 1913 de la FED. Le stratège de cette opération fut un banquier londonien, Alfred de Rothschild (voir :https://www.fichier-pdf.fr/2014/11/19/2-la-guerre-des- monnaies-hongbing-song/2-la-guerre-des-monnaies-hongbing-song.pdf
> Tout comme la Banque d'Angleterre, la FED, dont 6 banques privées en étaient les actionnaires principaux, a obtenu alors les pleins pouvoirs sur l'émission de la monnaie. Les banquiers qui y investirent firent une bonne affaire, ses actifs passant de 143 millions de $ en 1913 à 45 milliards en 1949.
> Le 1er grand coup que réussit la FED fut en 1929: les banques empruntaient à cet établissement à un taux de 5% puis elle prêtaient aux traders à 12 %, Wall Street n'exigeant presque pas de couverture pour les achats d'actions; lorsque toute l'épargne disponible aux USA se fut envolée à Wall Street, la FED, en août de cette année remonta ses taux et les banques firent passer le taux pour les traders à 20 %; les plus avisés vendirent à ce moment là mais ceux qui attendirent trop furent déplumés. Ils ne purent rembourser les banques et ce furent 8 812 d'entre elles qui firent faillite, assurant ainsi aux grands établissements de la Cote Est le monopole du crédit.
> En 1930 est créé la BRI (Banque des Règlements Internationaux), située à Bâle; elle est une sorte de Réserve Fédérale élargie. Banque centrale de toutes les banques centrales, elle ne peut recevoir de dépôts que de celles-ci. Les
transactions entre la BRI et les banques centrales, qui dispose d'une totale immunité juridique, se fait à l'aide de DTS (droits de tirages spéciaux), le DTS regroupant diverses monnaies($,£,€, yen et yuan), mais contrairement à celles-ci, ne peut être dévalué.
> Après 1945 et surtout après 1991, il s'agira de faire du dogme de l'indépendance des banques centrales la clef de voute du "monde libre" d'abord, de la mondialisation ensuite. L'objectif ne variant pas, consistant dans l'affaiblissement et le démantèlement de la puissance des Etats au profit du seul Etat US afin que celui-ci assure au $ le rôle de monnaie mondiale. Ce narcissisme monétaire a pour fonction d'écouler sur la planète entière la gigantesque manne monétaire créée par la FED pour éponger la dette toujours croissante de l'Etat fédéral US et le financement de sa présence militaire sur les 5 continents. C'est ce qui forme l'unilatéralisme US, théorisé dans un document appelé le PNAC (program for a new american century) en 1992 qui énonce notamment: “Notre objectif premier est d’empêcher l’apparition d’un nouveau rival sur la scène internationale. Nous devons dissuader les concurrents potentiels, ne serait-ce même que d’aspirer à jouer un rôle plus important au niveau régional ou mondial”. Peu de temps après, Bush senior glosera sur "le nouvel ordre mondial". Le but est la création d'un système monétaire mondial unifié, l'€ étant, par Allemagne interposée, lui aussi un des piliers assurant la transition vers le nouvel ordre mondial post-national dominé par la finance.
> Au sein du Parti démocrate US, cette prétention à l'unilatéralisme des USA est en train de se muer en une recherche de la liquidation progressive des Etats, y compris l'Etat US, afin d'assurer un contrôle des affaires du monde par une ploutocratie aussi puissante que discrète. Même les banques centrales seront sur la sellette, leur prérogative étant la création monétaire, la suppression du cash parfois envisagée préluderait à la suppression des monnaies nationales, ce qui aboutirait à un contrôle total de tous les moyens de paiement, de crédit et de tous les mouvements de capitaux par la caste formée par l'oligarchie. La monnaie post- nationale serait alors vraisemblablement le DTS. On souvient d'un certain discours du candidat Hollande: "Je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature. Il ne sera pas élu. Et pourtant, il gouverne. Mon adversaire, c'est le monde de la finance...Les banques, sauvées par les Etats mangent la main de ceux qui les ont nourri. Ainsi la finance s'est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle". Il avait bien compris qu'il fallait à la fois être démagogue pour être élu, et dénoncer comme populistes ceux qui resteraient méfiants envers cette démagogie; évidemment il fit allégeance à l'intransigeante Allemagne, le soir même de son intronisation. Paroles et paroles et paroles....
> Mais finit toujours par apparaître un grain de sable, qui enraye les machineries les mieux huilées. La mutation du monde atlantiste vers un ordre post-politique qui devait finir par emmener dans son sillage la planète entière se retrouve devant 2 redoutables écueils. Lesquels donc? Qui ose défier l'auto-proclamé empire du bien? Coucou, les revoilà, les anciens ennemis de la guerre froide, Chine et Russie, qui n'entendent pas se contenter du rôle de faire-valoir du néo-libéralisme qu'ils considèrent à juste titre comme une doctrine agressive et belliciste.
> Lorsque, vers le milieu des années 1980, la Chine sortait du communisme, l'Occident, USA en tête, n'imaginait pas que ce pays-continent ne s'orienterait pas vers une économie capitaliste. Les uns lorgnaient sur son immense masse de travailleurs que l'on pourrait certainement contenter avec des salaires de misère, l'autre voulait attirer les investissements étrangers pour commencer à développer son immense territoire et l'insérer dans l'économie mondiale. L'optimisme régnait et la Chine fut admise à l'OMC en 2001. Elle posa ses conditions qui furent acceptées: le protectionnisme, mais que pourrait-on vendre à des gens misérables qui, de toutes façons ne sauraient produire que des produits bas de gamme, et la non-cotation du yuan sur le marché des changes, mais on estimait alors qu'il s'agissait d'une monnaie de singe et nul ne se souciait d'une éventuelle cotation!
> Pour assurer au yuan une assise, les Chinois achetèrent des obligations US. Ils ont actuellement un trésor de guerre de 1 200 milliards de $ qui risque de peser lourd dans la balance lors des négociations à venir avec les USA. Une vente immédiate de ces titres provoquerait une onde de choc planétaire car tous les pays créanciers voudraient s'en débarrasser. On se demande d'ailleurs pourquoi la France est le seul pays à avoir massivement acheté de ces titres en 2018?
( ticdata.treasury.gov/Publish/mfh.txt).
Les Chinois, en 30 ans, ont fait du chemin. En 1980 le PIB des États-Unis représentait un tiers du PIB mondial, celui de la Chine un vingtième. Aujourd’hui tout deux comptent pour un quart. 40% de tous les brevets dans le monde sont chinois, soit plus que les trois pays suivants ensemble : États-Unis, Japon et Corée du Sud.
> Mais 5 millions d'emplois industriels US ont migré vers la Chine, d'où l'ire de Trump qui d'ailleurs ne veut pas entendre parler de la dilution des USA dans un grand marché mondial. Il est soutenu en cela par la "rust belt". Mais dans les faits, également par la Silicon Valley, politiquement proche des Démocrates, qui constate qu'il y a 802 millions d'internautes chinois, mais la Chine a su développer un réseau internet qui lui est propre et au sein duquel, les Gafa ne peuvent récolter aucune donnée. On s'émeut, à Washington, que "le parti communiste n'a pas été dompté par le commerce", officiellement parce que le parti en question peut surveiller ses opposants, ce qu'il fait, mais en réalité parce que l'énorme marché publicitaire chinois est fermé aux GAFA.
> On le voit, dans tous les domaines, ce sont 2 conceptions du monde qui s'affrontent. Dans les années 1990, Pékin avait conclu que l'empire soviétique s'était effondrée à cause de ses dépenses militaires insensées. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l'empire US survivra-t-il à sa fuite en avant dans le militarisme? Pour la Chine comme pour la Russie, la question se pose de savoir comment éviter l'onde de choc qui suivrait un effondrement US. Cette question concerne naturellement également les Européens et il serait peut-être souhaitable qu'ils en prennent conscience.
* * * * * * * * *
Trump et Xi Jinping, quelle issue pour ce duel ?
Café politique du 21 février 2019.
Après l’exposé de Jean-Luc, le débat s’ouvre.
Dans la lutte pour le leadership mondial entre les Etats-Unis et la Chine, il est intéressant d’analyser qui est le Président chinois et quels sont ces modes d’action.
LA CHINE
-
) Qui est Xi Jinping ?
-
Xi se considère comme l’héritier des Empereurs qui ont fait l’Histoire de la Chine. Il succède à Deng pour qui l’efficacité économique était un axe essentiel ( peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, disait Deng, pourvu qu’il dévore les souris ! ).
-
Xi accède au pouvoir en mars 2013. Il devait initialement gouverner pour dix ans avant qu’il n’obtienne, à l’issue de son premier mandat, en mars 2018, la suppression de la limite des deux mandats, règle inscrite jusque là dans la Constitution chinoise.
-
Ce vote fait aussi entrer la « pensée Xi Jinping » dans l’article premier de la Constitution, ce qui permet de casser toute opposition doctrinale. Ne pas appliquer cette pensée devient un motif d’exclusion du Parti.
-
Il renforce le contrôle de la population chinoise par le processus du contrôle social : les individus bien notés ont le droit d’apparaître à la télévision locale pour se montrer en exemple. Ils obtiennent de nombreux avantages comme des facilités de crédit.
-
Xi veut donner à la Chine une place centrale dans un monde qui mettrait l’Occident en périphérie. Il propose une nouvelle cartographie mentale, contraire à celle qui a longtemps fait de l’Atlantique un espace central.
-
) Les atouts économiques de la Chine dans la lutte pour le leadership mondial.
-
Il est étonnant de constater que la Chine, Etat communiste, soit devenu la deuxième puissance capitaliste mondiale. La question de la « croyance » en économie mérite d’être posée !
-
La Chine étend son influence économique au monde entier ou presque. Elle chasse progressivement les Etats-unis et la France du continent africain. Environ 10000 entreprises chinoises contrôlent près de la moitié des grands chantiers de travaux publics en Afrique. La Chine profite du pétrole et des matières premières africaines même si elle n’est pas toujours perçue positivement par les Africains eux-mêmes.
-
La Chine pénètre les marchés de l’Union européenne. Elle achète de nombreuses entreprises dans les secteurs qui l’intéressent comme la robotique, l’électronique sans parler des ports et des aéroports.
-
La Chine est en pointe dans le domaine de l’innovation numérique : l’iconomie. Elle détient actuellement 40% des brevets mondiaux et est particulièrement performante dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la 5G et de la voiture autonome.
-
En Europe pour aller sur le net on ne peut échapper aux Gafam américains alors que ce n’est pas le cas en Chine où Baidu, créé en 2000, est le plus utilisé. Il est le quatrième site internet le plus visité au monde.
-
L’enjeu de la Chine comme celui des Etats-Unis est de conquérir le marché numérique du milliard d’hommes susceptibles de se connecter bientôt au numérique.
-
) La stratégie chinoise en termes de géopolitique.
-
La Chine privilégie une stratégie d’alliances fondée sur l’investissement. L’exemple des relations avec l’Iran le démontre : quand Trump dénonce en 2018 l’accord sur le nucléaire iranien, la Chine continue ses investissements en Iran et en Israël pourtant son ennemi direct. Elle escompte ainsi que des relations commerciales atténueront les divergences.
-
L’entrée de la Chine à l’OMC lui a ouvert les marchés des pays développés sans qu’elle ne s’ouvre elle-même.
-
Les relations sino-indiennes restent difficiles à tel point que l’Inde se rapproche des Etats-Unis et du Japon.
-
La Chine veut reprendre le contrôle de Taïwan sous la protection des Américains.
-
Elle augmente fortement son effort militaire et réorganise ses dispositifs de défense.
-
Elle développe des missiles porte-avions pour contester la suprématie navale des Etats-Unis dans le Pacifique.
-
Sa politique en Mer de Chine vise au contrôle cette mer où passe un cinquième du trafic mondial.
LES ETATS-UNIS.
Ce qui apparaît de plus en plus est que Trump mène une politique difficile à saisir dans le sens des intérêts de son pays.
-
) Dans le domaine économique.
-
En dénonçant l’accord avec l’Iran Trump a mis en place le principe d’extraterritorialité qui frappe les investissements de nombreux pays qui réagissent en développant des stratégies de contournement des Etats-Unis. Ils espèrent ainsi créer une monnaie
globale avec des chambres de compensation indépendantes, des agences de notation, des bourses de matières premières, des compagnies maritimes. La Chine ainsi que la Russie et un noyau d’Etats européens se tournent vers cette alternative au pouvoir américain.
-
La difficulté pour l’économie américaine réside en partie dans le fait que toutes les délocalisations d’entreprises américaines en Chine entrent en concurrence avec les entreprise installées aux Etats-Unis.
-
Trump a déclaré une guerre économique à la Chine en taxant les exportations chinoises vers les Etats-Unis en 2018.
-
La fragilité de la dette américaine pose souci. La Chine détient à la mi-2018 environ 1100 milliards de dollars de titres de dette émis par le Trésor américain. La Chine commence à vendre ces avoirs. Si elle accélérait ces ventes, les taux d’intérêt américains remonteraient
-
) En politique étrangère.
Malgré une puissance militaire hors pair, les Etats-Unis se fragilisent par une politique belliciste. Trump doit justifier les 700 milliards de dollars annuels d’investissement dans le Pentagone et ouvrir toujours d’autres fronts. En ce moment c’est le Vénézuela, plus tard peut-être la Chine. Les Etats-Unis disposent de quarante bases militaires en Mer de Chine. Elles entourent la Chine du Tadjikistan jusqu’au Japon. Cette situation est insupportable pour la Chine d’aujourd’hui.
Conclusion.
Les décisions de Trump sur la guerre commerciale, la sortie de l’accord de Paris sur le climat et le refus de l’accord iranien ont cassé une alliance anti-chinoise possible au moment où elle serait très utile à Trump. Les forces militaires des deux géants n’augurent rien de bon si elles se mobilisent dans un avenir qui peut être assez proche.
Café politique du 9 avril 2019
Thème : Antisionisme et antisémitisme, un amalgame dangereux
La présente intervention va interroger les propos récents du chef de l’État français, à savoir :
« […] nous ne céderons rien aux messages de haine, nous ne céderons rien à l'antisionisme car il est la forme réinventée de l'antisémitisme. » (16 juillet 2017, 75ème anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv’) et « […] l'antisémitisme se cache de plus en plus sous le masque de l'antisionisme. […] et, donc, « l'antisionisme est une des formes modernes de l'antisémitisme. »1 (20 février 2019, au dîner du CRIF).
Pour comprendre les implications de ces affirmations présidentielles, il nous faut interroger les mots, les événements historiques qui les ont introduits et l’actualité qui en découle.
1.(Anti)sémitisme / sionisme
De nos jours, les termes « sémite » et « antisémite » sont essentiellement connectés au mot
« juif ». Pourtant, lorsque l’adjectif « sémitique » est entré dans le lexique européen en 17812, c’était pour qualifier une communauté de langues différentes de celles qu’on a appelées « indo- européennes » (l’hébreu, l’arabe, l’éthiopien, pour celles encore parlées de nos jours).
Le mot « antisémitisme » est né, lui, en 1879 en Allemagne sous la plume du journaliste Wilhelm Marr pour nommer l’hostilité portée aux juifs : cet « Antisemitismus » est évoqué à l’occasion de la fondation de la Ligue des antisémites (Antisemitenliga), et s’imposera.
L’hostilité envers les juifs est d’abord de l’« antijudaïsme » : dès le IIème siècle, on les accuse d’être « déicides »3. Au Moyen Âge, ils sont marginalisés dans nos sociétés (« juiveries » / les ghettos), deviennent des boucs émissaires commodes accusés de tous les fléaux et crimes (peste4, meurtres d’enfants…), et souvent massacrés en nombre. Mais, surtout, ils sont accusés d’être cupides et de se prêter à l’usure et sont donc jugés et condamnés comme hérétiques.
On les estime différents et on leur demande d’afficher cette différence (Louis IX impose la rouelle jaune en 1269). À la fin du XVème siècle, ils sont considérés comme non fiables car n’ayant pas la « pureté de sang » des chrétiens.5
Grâce aux philosophes des Lumières, la perception du juif change : pour la première fois en Europe, est formulé le principe de l’égalité de droit des juifs et leur citoyenneté.6 Au cours de la première moitié du XIXème siècle, leur émancipation se confirme et s’impose à peu près partout en Europe. Mais c’est dans ce même siècle que s’élabore aussi la théorie de la race appliquée à l’homme sur le modèle des classements par genres, espèces et races entrepris par les naturalistes Buffon et Linné au siècle précédent.7 Dans un vaste ouvrage au titre sans appel, Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), Gobineau, le premier, théorisera ce qui permet de distinguer la race supérieure (la blanche) des deux autres, la noire et la jaune, races inférieures, à coloniser, exploiter ou faire disparaître. Dans La France juive (1886), Drumont explique le péril sémite : les Juifs cherchent à dominer le monde et, étant répartis planétairement, composent une « internationale juive » qui complote la destruction de la civilisation chrétienne8. C’est dans ce contexte antisémite qu’éclate, en 1894, l’Affaire Dreyfus fortement alimentée par Drumont. Celui-ci est l’inventeur du mot « racisme », apparu sous sa plume en 1897, dans son journal « la Libre Parole ».9
Puis le principe discriminatoire sera mis férocement en application : pogroms (« destruction, pillage », en russe) dans la Russie tsariste et dans l’Europe de l’Est et, au cours de la seconde guerre mondiale, élimination programmée de la « race juive » par le nazisme qui a activé le concept de « race aryenne », supérieure : ce sera l’Holocauste, la Shoah.
De nos jours, l’antisémitisme se nourrit encore de stéréotypes et de préjugés à l’encontre des Juifs autour de l’argent, du pouvoir et de la volonté de dominer10 (LES Juifs / DES Juifs : article à valeur générique / article partitif à quantité indénombrable). L’antisémitisme est un délit et, à ce titre condamnable. L’État français est doté d’un arsenal de lois pour la protection du citoyen contre tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.11 Or, pour éviter une condamnation, la tendance actuelle est de remplacer le mot « juif » de l’insulte par celui de « sioniste » : c’est le
« nouvel antisémitisme ». Depuis quelque temps, on constate une recrudescence des actes de racisme antimusulman ou antisémite. En forte augmentation, les actes antisémites s’expriment désormais en des termes d’une grande violence de plus en plus décomplexée.
Mais, l’actualité récente nous oblige aussi à examiner un aspect caché des discours : comme le dit Michèle Sibony, « L’antisémitisme n’est pas le racisme le plus virulent, mais le plus manipulé12 ».
Le « plus manipulé » ? Et là, il sera question de sionisme, donc de Sion, la colline sur laquelle fut construite Jérusalem. David, le roi de Juda, s’en empare et en fait la capitale à partir de laquelle il règne sur le vaste territoire des douze tribus, et son fils Salomon après lui. [Cartes 1 et 2] Le nom Sion, désignant à la fois Jérusalem et la terre d’Israël, a servi à forger le terme
« sionisme » qu’inventa le juif autrichien Nathan Birnbaum en 1890 (Zionismus dans sa revue
« Auto-Émancipation »).
Au XIXème siècle commence à s’imposer nettement une tendance nationaliste des peuples. À la fin du siècle, les grands empires connaissent de fortes crises et les volontés d’émancipation par la création de « communautés de destin » deviennent de plus en plus vives. En Russie et en Europe de l’Est, les juifs sont dans ce cas et, estimant avoir les caractéristiques d’une nation, visent à créer un État : c’est l’objet du sionisme.
Les juifs de l’Empire russe, qui vivent dans le Yiddishland, connaissent une misère noire. Avec, en plus les facteurs aggravants de la discrimination raciale et de l’antisémitisme. C’est dans ce climat, de tensions et de bouillonnement révolutionnaire, que naît à Vilnius le Bund, le parti ouvrier socialiste juif (1897). Comme les libertaires juifs, organisation universaliste parallèle, ce puissant mouvement de gauche auquel adhèrent beaucoup d’intellectuels juifs refuse d’envisager la solution du problème juif autrement qu’en développant une autonomie culturelle qui pourrait s’épanouir dans tout État où est implantée une communauté juive. C’est ce que Nathan Birnbaum avait appelé le « sionisme culturel ». Laïcs, le Bund et les libertaires luttent contre la tradition religieuse ; révolutionnaires, ils s’opposent au capitalisme et au colonialisme et, donc, parce que cette idéologie-là en est le corrélatif, au sionisme. Quant aux juifs traditionnalistes de cette partie orientale de l’Europe, ils refusent eux aussi de quitter le pays, mais pour des raisons religieuses qui leur enjoignent d’endurer sur place ce malheur voulu par Dieu jusqu’à ce que le Messie vienne les en délivrer (à Jérusalem à la fin des temps). Et les juifs d’Europe de l’Ouest, citadins cultivés plutôt laïcisés, intégrés – ou en voie de l’être –, ne voient pas l’intérêt d’aller vivre de l’autre côté de la Méditerranée orientale.
Pour qualifier l’idéologie du mouvement qu’il a créé (premier congrès à Bâle en 1897), Herzl adopte le mot de son compatriote : ce sera le « sionisme », mais le « sionisme politique ». Herzl estime que les Juifs constituent un peuple, qu’il est inassimilable aux pays dans lesquels sont établis ses ressortissants et que, donc, il y a lieu de créer un État juif indépendant et souverain. L’antisémitisme ambiant le convainc de la nécessité de trouver « un abri permanent pour le peuple juif » pour résoudre la Judenfrage, la « question juive ».13 Il envisage plusieurs options : en Palestine (1901) ; dans la région d’Al-Arish du Sinaï égyptien (1903) ; en Argentine ; au Congo ; au Kenya actuel (« Projet Ouganda »). Aucune n’aboutit, mais en 1903, le Congrès sioniste décide que l’implantation de l’« État juif » se fera en « Terre d’Israël », – « la terre de nos pères » 14 écrira Herzl –, autrement dit en Palestine alors ottomane.
2.Un boulevard vers l’antisionisme
L’histoire est en marche : dès 1882, des terres sont achetées en Palestine par le banquier anglais Rothschild et le Fonds national juif créé en décembre 1901. Les terres acquises sont « propriété inaliénable du peuple juif » et ne peuvent être ni revendues ni louées aux Arabes. Et, plus tard, les terres des réfugiés « absentéistes » seront déclarées disponibles tout comme celles des
« présents-absents ».
Le sionisme commence par la dépossession des Palestiniens. À compter de 1882, du fait des immigrations successives, la population juive en Palestine passe de 4% de juifs (autochtones) en 1849 à 17% en 1931. Venus surtout de Russie et d’Europe de l’Est, ils installent des colonies agricoles (les premiers kibboutzim15). Lors du Mandat Britannique sur la Palestine (1922) [Carte 3], la promesse faite par Balfour en 1917, de l’établissement d’un « foyer national juif » est activée 16. L’implantation juive s’appuie sur des milices et des organisations militaires sionistes, telles que la Haganah (créée en 1920), l’Irgoun (1931), le groupe Stern (1940. Begin et Shamir, futurs premiers ministres, en sont membres) particulièrement offensives, qui organisent des attentats contre les civils arabes et/ou les Britanniques. Lorsque l’immigration vers les États-Unis se ferme et qu’en Europe s’installe le fascisme avec ses persécutions, l’immigration vers la Palestine reprend : la population juive y sera de l’ordre de 31% en 1947. C’est une colonisation (avec des colons-soldats), mais que l’on prétend différente, ce qu’énonce le slogan de propagande : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». [Carte 4]
La grève, les émeutes, la révolte arabes exigeaient déjà une réponse urgente : en 1936, c’était le plan de partition Peel (un État arabe et un État juif), qui n’a satisfait personne. [Carte 5]. Le 29 novembre 1947, par la résolution 181 (II), l’ONU pense mettre fin au conflit par le partage de la Palestine en un État juif (70% de la Palestine mandataire), un État arabe et une zone internationale (Jérusalem) sous contrôle de l’ONU [Carte 6], avec une union économique. Les Juifs acceptent, les Arabes refusent. Le nouvel État juif – qui, lors de la déclaration d’indépendance17, le 14 mai 1948, prendra le nom d’Israël –, fera sauter toutes les restrictions à l’immigration juive en promulguant la loi du retour (juillet 1950) qui permet à tout juif, d’où qu’il vienne, de venir s’installer dans « son » pays et d’obtenir immédiatement la citoyenneté israélienne. Arrivent ainsi, à la faveur de l’éclatement du bloc communiste, des milliers de juifs soviétiques18 et d’Europe de l’Est (années 1989-1990). Le rêve sioniste semble donc accompli et le problème de l’antisémitisme résolu.
Mais, en réalité, le rêve sioniste tourne au cauchemar pour les Palestiniens. C’est le refus de la colonisation et des méthodes employées et le mépris de plus en plus marqué de cet Autre palestinien que les opposants appelleront « antisionisme » et qui leur donnera le nom d’« antisionistes ».
Car commence alors la grande dépossession des Palestiniens, planifiée et organisée : rien qu’en 1948, 418 villages sont rayés de la carte19 (Deir Yassin, attaqué le 9 avril 1948, est le plus emblématique) [Carte 7]. Plus de 750 000 Palestiniens sont jetés sur les routes et, désormais apatrides, doivent (sur)vivre dans des camps de réfugiés (Création de l’UNRWA20) ou dans les pays arabes voisins [Carte 8] : c’est la Nakba (« catastrophe » en arabe). Et, bien sûr, la loi du retour sur leurs terres et dans leurs maisons spoliées ne leur est pas applicable. En 1949, la délimitation entre les deux est la ligne de cessez-le-feu, la « Ligne verte » [Carte 9].
Après la guerre dite « des Six jours » (juin 1967), Israël quadruple son territoire par l’occupation de la Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-Est et celle de deux atouts stratégiques : le Sinaï égyptien et le Golan syrien [Carte 10]. Les nombreuses colonies implantées par l’État ont une vocation stratégique et, pour contenter les religieux, vont aussi englober les lieux bibliques et s’étendre vers le sud jusqu’à Hébron. Le sionisme religieux va plus loin : cette terre ne devant être occupée que par des juifs, il y a lieu d’accélérer la colonisation de Cisjordanie (la Judée- Samarie) [Carte 11]. Lorsque le Likoud accède au pouvoir (1977), les « territoires occupés » sont considérés comme « récupérés » par ses propriétaires légitimes et sont judaïsés pour pouvoir recomposer, un jour, le Grand Israël.
En 1981, Israël annexe le Golan (reconnu récemment comme israélien par Trump), mais, en 1985, restitue le Sinaï à Égypte. [Carte 12] Les accords d’Oslo (1993) puis surtout d’Oslo II (1994), donnent à l’Autorité palestinienne l’administration de Gaza et de parties de la Cisjordanie divisée en trois zones21 : la zone A est sous contrôle palestinien ; dans la B, le pouvoir civil est aux mains de l’AP, la sécurité militaire à celles d’Israël ; la zone C est entièrement sous contrôle israélien et de nombreuses colonies vont s’y implanter [Carte 13]. Bien sûr, cette répartition est dite provisoire… A l’heure actuelle, Netanyahou, qui en a toujours refusé le gel, est en train d’étendre les colonies (en démolissant des villages bédouins22) et envisage de les annexer après sa réélection. Des « zones tampons » sont créées ainsi qu’un
« mur de sécurité » (730 kms) [Carte 14] : ils empiètent sur le territoire palestinien. La construction de ce mur, contraire au droit international, est un élément supplémentaire qui entrave un peu plus la possibilité d’un règlement du conflit.23 Les colonies implantées en territoire occupé disloquent les zones d’habitat palestinien ainsi que les routes qui les relient (interdites aux Palestiniens). La Cisjordanie est hérissée de check-points [Carte 15] où le passage des Palestiniens est autorisé par les Israéliens … ou ne l’est pas !
La Palestine est devenue une « peau de léopard » et la solution à deux États une presqu’utopie… L’apartheid24 et la discrimination sont des moyens de domination largement utilisés.
En 1948, sont restés dans le nouvel État 156 000 Arabes (« Arabes israéliens »), Israéliens de
seconde catégorie qui forment maintenant 20% de la population. Les premiers immigrants juifs étaient surtout des ashkénazes. Les communautés juives maghrébines, sépharades, sous- prolétariat dont on se méfiait25, ont été casées dans le désert du Néguev, face à Gaza. Les Juifs venus d’Éthiopie, les Falashas, noirs, souffrent toujours d’un racisme et d’une discrimination accrus.26
Avec le postulat de départ (Jahvé, Son « peuple », le don de la terre), la Bible hébraïque devient un livre d’histoire qui légitime la reprise de la terre ancestrale.27 C’est une conviction du croyant comme de l’athée (ou, peut-être pour celui-là une justification). Les fondateurs d’Israël, athées,
– David Ben Gourion en tête – l’ont utilisée et l’universitaire Amnon Raz-Krakotzkin, militant en faveur d’un État binational, a cette formule percutante « Dieu n’existe pas, mais il nous a promis cette terre.28 » L’historien israélien Shlomo Sand a détricoté pas à pas ce qui, sur ce qu’il appelle un « mytherritoire », constitue une … « mythistoire ». Rien n’y fait : le 19 juillet 2018, la Knesset adopte la loi fondamentale qui, définissant Israël comme l’« État-Nation du peuple juif », lui donne l’outil légal pour agir contre les non-juifs, autrement dit les Palestiniens. Et créer ainsi, légalement – et ouvertement –, une réalité irréversible, un État d’apartheid.29
Non seulement le pays ne sera jamais binational (israélo-palestinien) ou démocratique incluant tous ses ressortissants sur une base d’égalité citoyenne (un « État juif démocratique » est un
« oxymore », dit Michel Warschawski), mais cela semble préfigurer l’annexion de la Cisjordanie où habitent deux millions de Palestiniens. C’est dans cette partie convoitée qu’est située Jérusalem pour le moment encore divisée (quoique annexée), selon un consensus international, en Jérusalem-Ouest et Jérusalem-Est, mais vivement convoitée en son entier par Israël pour en faire la capitale « complète et unifiée » de l’État (en mai dernier, Trump y a fait transférer l’Ambassade américaine). Si le territoire « biblique » est intégré à Israël, les Arabes palestiniens composeront 40% de la population ! D’où la nécessité d’une discrimination actée légalement. En outre, cette nouvelle loi fondamentale enterre la possibilité de l’existence de deux États souverains vivant côte à côte.
L’antisionisme repose aussi sur le refus d’éléments de l’idéologie sioniste : le caractère ethnico- religieux de l’État et la politique israélienne jugée inacceptable, humainement et légalement.
Les stratégies d’éviction des Palestiniens sont connues. On ne les développera pas ici. Mais on doit souligner la facilité avec laquelle Israël arrête et emprisonne hommes, femmes et enfants (plus de sept cents enfants) et use et abuse de la « détention administrative » qui peut être prolongée arbitrairement, sans qu’elle débouche sur un procès équitable. Les interventions à balles réelles font de nombreuses victimes, dont beaucoup de jeunes.
Vol de la Terre et de terres ; destruction ou appropriation des sources de vie30 et 31 ; bouclages des territoires occupés ; sièges cruels, attaques et guerres multiples contre Gaza32 ; destructions des infrastructures (y compris celles financées par l’UE) ; violences et agressivité ; disproportion effarante des équipements militaires ; apartheid décomplexé ; presse internationale timide (c’est un euphémisme !) et orientée, … : il y a largement matière à alimenter l’antisionisme de gauche, humanitaire.
Les opposants sionistes et ceux qui se disent antisionistes luttent contre ces dérives multiples.
C’est un mouvement de solidarité qui milite contre l’impunité d’Israël. Notons aussi que, parmi les Israéliens, des jeunes gens refusent de faire leur service militaire : ce sont les Refuzniks. Certains vétérans de l’armée sont devenus des activistes contre l’occupation. L’ONG Breaking the silence recueille les témoignages des soldats intervenus dans les territoires occupés, pour forcer la société à réagir. Une autre ONG, B’Tselem, enquête et informe sur les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés. Qu’ils se disent antisionistes ou non, ces groupes agissent dans la société israélienne comme tous ceux qui s’expriment sous ce qualificatif.
3.Un amalgame dangereux
L’antisémitisme est un délit, l’antisionisme une opinion. L’antisionisme est condamnable lorsqu’il est une tactique verbale pour cacher l’antisémitisme (« un antisionisme de circonstance »). Vu l’aggravation du conflit israélo-palestinien et l’interventionnisme tous azimuts des groupes pro-israéliens, l’antisionisme étant le refus d’une politique discriminatoire, il relève de la saine liberté d’expression et, à ce titre, est tout à fait légitime. D’autant plus que, de par le monde et même en Israël, de très nombreux juifs, parmi lesquels des personnalités, n’hésitent pas à s’affirmer antisionistes.
Mettre sur le même plan un délit et une opinion relève, pour le moins, d’une erreur de jugement ou d’une acrobatie « intellectuelle ». C’est, dans une situation de flou conceptuel et légal, un amalgame dangereux susceptible d’ouvrir la porte à tous les extrêmes, y compris ceux qu’on cherche à combattre.
Le 16 juillet 2017, Emmanuel Macron dit : « […] nous ne cèderons rien à l'antisionisme car il est la forme réinventée de l'antisémitisme. ». Le 16 février 2019, Alain Finkielkraut subit une agression antisémite et Sylvain Maillard, député LREM, vice-président du Groupe d’amitié France-Israël, veut aussitôt proposer « une initiative forte […] pour que l'antisionisme soit reconnu et puni en France pour ce qu'il est : de l'antisémitisme ! ». Et d’ajouter que « la haine d'Israël est une nouvelle façon de haïr les Juifs ». Ce à quoi Macron répond le 19 février, dans une conférence de presse : « Je ne pense pas que la pénalisation de l’antisionisme soit une bonne solution. » Mais le lendemain, lors du dîner du CRIF, le discours de Macron change : il rappelle que la France « mettra en œuvre la définition de l'antisémitisme adoptée par l'Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah », l’IHRA (International Holocaust Remenbrance Alliance) dont l’UE est devenue partenaire en novembre 201833.
Selon l’IHRA, « [l]’antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer par la haine envers les Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre des personnes juives ou non-juives et/ou leur propriété, contre les institutions de la communauté juive ou les lieux religieux. » Elle est floue et n’ajoute rien de nouveau (à part « contre les personnes non-juives »), mais l’Union européenne en propose l’adoption (non contraignante juridiquement) telle quelle. Sans les exemples. En effet, la définition est assortie d’exemples, certains relevant nettement de l’antisémitisme (propos haineux, stéréotypes, fantasmes, négationnismes), mais aussi d’autres qui orientent clairement la définition vers l’antisionisme (Israël est cité 9 fois). En décembre 2018, la définition a été adoptée sans les exemples. Et, pourtant, en février 2019, Macron dit que la France choisira la définition élargie, reposant sur un amalgame qui essentialise les Juifs, les associant formellement à l’État d’Israël et donc à sa politique.34
Une première question alors nous taraude : le président de la République serait-il influençable et manipulable ? Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Francis Kalifat (issu du parti d’extrême-droite sioniste Betar), l’aurait fortement incité à transposer le texte dans le droit français35. Or, le CRIF prend systématiquement fait et cause pour Israël.36 On peut noter aussi que, derrière l’IHRA se trouvent le lobby israélien JCPA (Jerusalem Center for Public Affairs) et des groupes de pression et d’influence inconditionnels extérieurs à Israël, particulièrement des lobbies américains37. Sans compter l’aide substantielle apportée par les Évangéliques américains, antisémites, mais sionistes.
Il est vrai que Macron a affirmé qu’« […] il ne s'agit pas de modifier le code pénal », mais de
« […] préciser et raffermir les pratiques de nos forces de l'ordre, de nos magistrats, de nos enseignants […]. » Mais, au vu des jugements qui ont été émis, on peut douter de la nécessité de « raffermir » ces pratiques. Il ajoute qu’il ne s’agit pas « d'empêcher ceux qui veulent critiquer la politique israélienne de le faire, non […] », mais de « permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent derrière le rejet d'Israël la négation même de l'existence d'Israël. La haine des Juifs la plus primaire. » Décodons : « critiquer la politique israélienne » actuelle serait possible : c’est effectivement ce que font ceux qui se disent antisionistes. Le « rejet d’Israël » signifie-t-il « la négation même de l'existence d'Israël » ? Ce n’est pas le cas des antisionistes, mais la négation de l’existence d’Israël a toujours été une arme de propagande du gouvernement israélien et de ses thuriféraires. Là, Macron marche carrément dans les pas (de l’extrême-droite) de Netanyahou38. Rappelons à tous deux que le Conseil national palestinien a reconnu l’existence de l’État d’Israël (24 avril 1996) ainsi que le Hamas (27 juin 2006). Et, si l’on comprend bien, cette « négation » est l’expression de la « haine des Juifs la plus primaire. » En quelques mots, deux éléments sont associés : une population de religion juive et l’État qui s’est constitué autour d’elle. Un amalgame certes primaire, mais alarmant et perfide !
Puis on peut aussi s’interroger sur la référence à l’Holocauste pour la définition de l’antisémitisme. Il est évident que ce long moment particulièrement douloureux est une constituante de la mémoire juive et qu’il a été une expression ignoble de l’antisémitisme nazi. Mais on constate aussi qu’on s’y réfère constamment dès qu’il s’agit d’émettre une critique à l’égard de l’État d’Israël et que son instrumentalisation39 – « une obscénité » écrit Pierre Stambul – est censée mettre au pas tous ceux qui s’avisent de critiquer sa politique et donne aux gouvernants israéliens une sorte d’impunité morale.40
Le président Macron rappelle aussi combien l’Éducation nationale est active dans l’enseignement de la mémoire de l’Holocauste et promet un soutien plus grand. On ajoutera que, si cet enseignement est nécessaire, celui de la catastrophe palestinienne – la Nakba –, qui est corrélative de la création d’Israël, l’est tout autant : l’histoire de la Nakba ne peut donc être refoulée et doit être traitée parallèlement, ne serait-ce que pour désamorcer des relents antisémites islamistes qui sont nés de la situation catastrophique en Palestine.
Exercer sa critique vis-à-vis de la politique d’un État, quel qu’il soit, est un droit fondamental et nécessaire. En ce qui concerne Israël, l’amalgame est : antisionisme = antisémitisme, donc racisme. À ce propos, Michel Warschawski est clair : « L’antisionisme de gauche […] est par essence antiraciste. L’assimiler à l’antisémitisme est, dans le meilleur des cas, une imbécillité et, dans le pire des cas, une grossière calomnie qui instrumentalise l’antisémitisme pour neutraliser les voix critiquant la politique israélienne ou le régime colonialiste.41 » Israël qui se veut la « seule démocratie au Moyen-Orient » (une « démocratie fictive » accuse Gideon Levy) ne fait pas exception à la règle : sa politique critiquable peut/doit être critiquée. Or, amalgamer la critique à du racisme, en l’occurrence de l’antisémitisme, c’est faire un déni de démocratie.
« Faire preuve d'un double standard en exigeant de sa part [d’Israël] un comportement qui n'est attendu ni requis d'aucun autre pays démocratique » est l’un des exemples de la définition de l’antisémitisme par l’IHRA. Ce qui est justement reproché au gouvernement israélien : en pratiquant ouvertement le deux poids-deux mesures, il refuse de se conformer aux standards requis42 en démocratie. Il existe dans cet État qui se veut une démocratie à l’occidentale une situation humanitaire que nul État démocratique occidental ne saurait tolérer.
Les opposants dits antisionistes refusent également le non-respect des lois internationales auquel Israël s’adonne depuis des décennies43 – sans que cette pratique suscite autre chose que des « inquiétudes » ou des « condamnations » des gouvernements ou des instances internationales qui sont « profondément préoccupés ». L’État prend appui, à l’occasion, sur un contempteur des lois et droits internationaux comme Trump et recherche ostensiblement l’alliance de gouvernements de droite, voire d’extrême-droite, fussent-ils antisémites ou ayant un passé de pogromistes (les pays de Visegrad, Brésil). L’orientation de la loi sur l’antisémitisme telle qu’elle est vue par Macron ne peut que rendre l’État israélien intouchable, le confortant dans cet irrespect institutionnel et dans sa politique actuelle de fuite en avant. Ce qui ne rend service ni à Israël ni aux Israéliens. Et, par ricochet, ni aux juifs. Ni à l’État français le soutenant dans ce saut périlleux.
Pour obliger le gouvernement israélien à respecter le droit international, s’est imposée l’idée du boycott, initiée le 4 juillet 2005 par plus de 170 organisations civiles palestiniennes, et qui a été développée dans de très nombreux pays. Pour un maximum d’efficacité, la campagne BDS (Boycott, désinvestissement, sanction) privilégie un boycott large concernant les produits israéliens, mais elle incite aussi les entreprises à ne pas investir dans le pays ou à s’en retirer et les artistes et les athlètes à ne pas s’y produire. Et cela a des effets : inquiet, le gouvernement israélien utilise le chantage de l’antisémitisme dans lequel Macron s’est engouffré : « De la même manière, il n’y aura aucune complaisance à l’égard des pratiques de boycott et du BDS plusieurs fois condamnées en France et qui le seront à nouveau. » Il marche ainsi dans les pas du président du CRIF dont l’une des priorités est, justement, l’interdiction de cette campagne en France.
Par ces propos, Macron fait de la France la seule démocratie où l’appel au boycott par des associations afin de dénoncer la politique condamnable d’un État devient un délit. La circulaire Alliot-Marie de février 2010 avait déjà pénalisé le boycott, mais elle est appliquée sans grande vigueur. Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, reste intransigeante sur la liberté d’expression et d’association inscrite dans la Convention européenne des droits de l’homme (article 10) applicable aussi aux actions BDS.44 Ainsi, si la loi annoncée par Macron entre en application, elle restreindrait gravement la liberté d’expression et ferait entrer notre pays dans une régression institutionnelle difficilement acceptable. Et il serait en situation d’incompatibilité avec la vision européenne du droit au boycott !
Le mouvement BDS n’étant ni violent, ni raciste, il n’est en rien antisémite. D’autant plus que de nombreux juifs, dont des Juifs israéliens, et des associations juives y sont particulièrement actifs.45 Exigeant d’Israël, par ce biais, l’arrêt de l’occupation, celui de l’apartheid, la possibilité de retour des Palestiniens expulsés et la nécessité de se conformer enfin au droit international, le mouvement milite pour la justice et le droit fondamental de tout être humain, qui sont aussi ceux des Palestiniens. Établir l’équation antisémitisme = antisionisme est donc une imposture intellectuelle inacceptable … qui contribuerait alors à faire condamner comme antisémites les Juifs antisionistes qui n’acceptent pas la politique de leur pays / de « l’État juif ». Le boycott est une arme efficace parce que pacifique qui a déjà eu raison, en son temps, de la politique d’apartheid en Afrique du Sud, par exemple. Le fameux « deux poids-deux mesures » s’insinue alors dans les esprits : autres temps, autres mœurs politiques ? Israël serait donc nécessairement une exception ? Doit-il le rester ?
C’est aussi vouloir faire oublier l’indéfectible conscience nationale des Palestiniens et leur volonté de rappeler régulièrement leurs droits par la « Journée de la terre » (30 mars), commémorée chaque année depuis 1976 ; la première Intifada (« insurrection » en arabe) de 987 à 1991 ; la seconde (2000 - 2005) ; et, depuis 2018, la « Marche du retour » qui commémorera désormais la Nakba). Et notre devoir à leur égard…
On peut se demander alors quel est l’objectif de Macron… Serait-il électoral ? A-t-il des visées économiques ? Sûrement, mais on est en droit de penser que cela devrait s’accompagner d’un respect minimal des droits humains. Une coopération militaire accrue ? Si c’est l’amitié pour ce pays qui le pousse, il serait bon de lui rappeler que la meilleure preuve d’amitié est celle qui aide à éviter de graves écueils. La France cherche-t-elle à renforcer sa politique proche-orientale en tablant exclusivement sur Israël (dont les interventions militaires de toutes natures46 – souvent des « attaques préventives » – déstabilisent encore plus le Proche-Orient), avec le risque, comme le soulignent de plus en plus de personnes, que cela développe en France l’antisémitisme au lieu de l’estomper, et la violence qui va avec ? Même en politique étrangère, éthique et équité devraient être les deux valeurs sur lesquelles reposent les relations internationales.
Judaïsme et sionisme ne sont pas interchangeables : en faire l’amalgame, c’est boucler la boucle de l’antisémitisme, c’est-à-dire aller dans le sens contraire de ce qu’il est urgent de faire en France (et ailleurs) : lutter contre cet antisémitisme et, partant, contre toute forme de racisme. Il est certain qu’avec un tel amalgame, on aide Israël à aller droit dans le mur !
Les antisionistes se battent contre la politique désastreuse à tous points de vue des gouvernements israéliens. Des juifs israéliens en sont conscients et, par leur contestation dite
« antisionisme » cherchent à endiguer l’irrémédiable. Concernant ce pays, il y a lieu de citer le titre de l’ouvrage de l’un des siens, particulièrement actif dans la campagne antisioniste, le juif franco-israélien Michel Warschawski : Israël : chronique d’une catastrophe annoncée … et peut-être évitable. Pour ce qui concerne la France, il devrait suffire de rappeler qu’elle a inventé un jour les Droits de l’homme, qu’elle en a exporté l’esprit (Déclaration universelle des droits de l’homme), qu’elle en rappelle de temps en temps la substance dans les discours et qu’elle devrait se souvenir que l’esprit et les articles de cette Déclaration valent pour l’humanité entière. L’oublier est une faute morale.
Si le mot « antisioniste » blesse, … qu’on en trouve un autre. Mais que le droit de vivre librement et dignement en Palestine et en Israël l’emporte, et rapidement.
Pour aller plus loin :
Pierre Stambul, La Nakba ne sera jamais légitime, Acratie, 2018.
Dominique Vidal, Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron, Libertalia, 2019. Michel Warschawski, Israël : chronique d’une catastrophe annoncée … et peut-être évitable, Syllepse, 2018.
Alain Gresh, Israël, Palestine. Vérités sur un conflit, Fayard, 2007.
Gideon Levy, Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique Éditions, 2009. Vera Baboun, Pour l’amour de Bethléem, ma ville emmurée, Bayard Éditions, 2016.
Bernard Ravenel, La résistance palestinienne : des armes à la non-violence, L’Harmattan, 2017. Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé. De la Bible au sionisme, Champs Essais, 2010. Shlomo Sand, Comment la terre d’Israël fut inventée. De la Terre sainte à la mère patrie, Champs histoire, 2012.
NOTES
1 Les deux discours sont disponibles sur le site de l’Élysée.
2 Le terme est forgé par le philologue orientaliste allemand August Ludwig Schlözer à partir du nom d’un des
fils de Noé, Sem, dont la descendance (qui occupe à peu près l’espace indiqué ci-dessus) est mentionnée dans le chapitre 10, 22-30 de la Genèse. Le choix semble déterminé par le verset 31 : « Tels sont les fils de Sem, suivant leurs familles, dans leurs pays et dans leurs nations […]. » Schlözer pensait que « de la Méditerranée à l'Euphrate et de la Mésopotamie à l'Arabie ne régnait qu'une seule langue » et donc que « Syriens, Babyloniens, Hébreux et Arabes n'étaient qu'un seul peuple », ce que les chercheurs ont réfuté.
3 Les polémiques théologiques incriminantes n’ont été abolies officiellement que le 28 octobre 1965 par la
déclaration Nostra Ætate (« À notre époque ») du concile Vatican II sous l’égide du pape Paul VI. (*) [Le signe (*) indique que le document est en ligne.]
4 Le 14 février 1349, 2000 juifs ont été brûlés à Strasbourg, victimes de la révolte des corporations et accusés
d’empoisonner les puits et de propager la peste (qui n’avait pas encore atteint la ville…).
5 Le concept de « pureté du sang » (limpieza de sangre) qui distingue les vieux chrétiens des nouveaux chrétiens
– les juifs et les musulmans convertis (les marranes, les conversos et les morisques), a été imposé par les autorités espagnoles et portugaises au XVème siècle.
6 « Loi relative aux Juifs » adoptée par l’Assemblée nationale le 27 septembre 1791, promulguée par Louis XVI
le 13 novembre de la même année. Il y a eu bien sûr des accrocs, sous la Terreur et sous le Premier Empire notamment. Pour l’Alsace, par exemple, voir l’article de Jean Daltroff, « Les Juifs de Haguenau à l’époque de la Terreur ». (*)
7 Nicole Savy, « Le racisme à travers l’histoire : choses, mots et idées », « Hommes et libertés » n° 172, décembre 2015, pp. 35-38.
8 En 1901, est rédigé à Paris à l’intention du Tsar Nicolas II un opuscule appelé Protocole des Sages de Sion dont
le sous-titre est Programme juif de conquête du monde.
9 Ce même journal organise en 1896 un concours qui vise à trouver « […] des moyens pratiques d’arriver à l’anéantissement de la puissance juive en France, le danger juif étant considéré au point de vue de la race et non au point de vue religieux. ». Drumont est présenté comme le président du « Comité national antijuif ».
10 Selon une enquête d’IPSOS, « 53 % des sondés pensent que « les juifs sont plus attachés à Israël qu’à la France », 52 % que "les juifs ont beaucoup de pouvoir", 51 % que "les juifs sont plus riches que la moyenne des Français" et 38 % que "les juifs sont un peu trop présents dans les médias". Dominique Vidal, « Contre l’antisémitisme, avec intransigeance et sang-froid », 15 février 2019. (*)
11 Notamment, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme (26 août 1789) ; l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (adoptée le 10 décembre 1948) ; la loi Gayssot (loi n°90-615 du 13 juillet 1990, loi mémorielle ; le protocole additionnel à la convention sur la cybercriminalité « relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques » dont l’article 6 est intitulé
« Négation, minimisation grossière, approbation ou justification du génocide ou des crimes contre l’humanité », entré en vigueur le 1er mars 2006 ; et celle à venir (de l’IHRA) dont on reparlera plus loin.
12 Michèle Sibony, « L’antisémitisme n’est pas le racisme le plus virulent, mais le plus manipulé », UJFP (Union
juive française pour la paix), 19 février 2019. (*)
13 Dans son livre : Der Judenstaat (« L’État des Juifs »), 1896, dont le sous-titre est Versuch einer moderner Lösung der Judenfrage (Recherche d’une solution moderne pour la question juive (ou : la question des Juifs).
14 « C'est la volonté de Dieu que nous revenions sur la terre de nos pères, nous devrons ce faisant représenter la
civilisation occidentale, et apporter l'hygiène, l'ordre et les coutumes pures de l'Occident dans ce bout d'Orient pestiféré et corrompu. […] C'est avec les Juifs, un élément de la culture allemande qui va aborder les rivages orientaux de la Méditerranée […]. Le retour des Juifs semi-asiatiques sous la domination de personnes authentiquement modernes doit sans aucun doute signifier la restauration de la santé dans ce bout d'Orient négligé. ». Journal de Theodor Herzl, cité par Reuven Snir, Who needs Arab-Jewish identity ?; Brill, 2015, p. 126.
15 L’Aliya (« montée » en hébreu) désigne l’immigration juive en Terre sainte. Le kibbouz est un village
collectiviste. Sur les 2 367 000 juifs qui ont quitté l’Europe, 2 022 000 se sont établis aux États-Unis.
L’immigration juive vers la Palestine représente 3%, mais, en 1931, elle se monte à 15%. Le socialiste Ben Gourion, ardent sioniste, futur Premier ministre, y arrive en 1906.
16 « Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un Foyer national
pour les Juifs et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et aux statuts politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays.
Je vous serais obligé de porter cette déclaration à la connaissance de a fédération sioniste. » Publié dans le
« Times » de Londres du 9 novembre 1917 sous le titre : « Palestine for the Jews. Official Sympathy. »
17 « L’État d’Israël sera ouvert à l’immigration juive et aux juifs venant de tous les pays de leur Dispersion ; il veillera au développement du pays pour le bénéfice de tous ses habitants ; il sera fondé sur la liberté, la justice et la paix selon l’idéal des prophètes d’Israël ; il assurera la plus complète égalité sociale et politique à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe ; il garantira la liberté de culte, de conscience, de langue, d’éducation et de culture ; il assurera la protection des lieux saints de toutes les religions et sera fidèles aux principes de la Charte des Nations Unies. Nous tendons la main à tous les pays voisins et à leurs peuples et nous leur offrons la paix et des relations de bon voisinage ; nous les invitons à coopérer avec le peuple juif rétabli dans sa souveraineté nationale. » Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël (1948)
18 Notamment de la République autonome juive (le Birobidjan) de l’ex-URSS. Jean-Marie Chauvier, « Où est passé le Birobidjan ? », Le Monde diplomatique du 26 mars 2008. (*)
19 L’application iNakba pour smartphone a été créée par l’ONG israélienne Zochrot pour sensibiliser le public israélien à cet aspect de la Nakba : « L'objectif est de faire prendre conscience aux Israéliens de ce qu'est
la Nakba, on veut qu'ils apprennent le nom de ces villages. Il faut qu'ils sachent où ils vivent. Parfois ils sortent s'amuser dans des parcs, des forêts, font des barbecues tout près d'un cimetière palestinien sans le savoir. Car c'est ça la politique d'Israël. Effacer toutes traces de ces anciens villages palestiniens. Les rendre invisibles. » (Omar al Ghubari)
20 L’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East (« Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient ») est actif dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie et dans les pays-refuges : Syrie, Jordanie, Liban.
21 Zone A : 3% du territoire / 20% de population ; zone B : 27% / 70% ; zone C : 70% / 10%.
22 Journal israélien « Haaretz », 1er avril 2019, cité par « Le Brief du Monde » du 4 avril 2019 sous le titre
« Chronique de la mort d’un village bédouin en Israël).
23 Anne-Marie Chaigne-Oudin, « Mur de séparation », « Les clés du Moyen-Orient », 15 juillet 2010. (*)
24 Les dirigeants israéliens, encouragés par les ardents défenseurs de sa cause, les juifs et les rabbins sionistes sud- africains, ont flirté avec l’apartheid sud-africain tant qu’un boycott international ne l’a pas mis à bas (1994). Lors de sa visite en octobre 1969, Ben Gourion fit « […] l’éloge des supériorités de la technique israélienne d’expulsion de la population indigène et déclara que, si elle avait été appliquée par la communauté sud-africaine, elle aurait
"garanti l’Afrique du Sud contre toute subversion intérieure". » Rosa Amelia Plumelle-Uribe, « Le sionisme est- il synonyme de racisme ? », 5 mars 2019, publié sur le site de l’UJFP. (*)
25 « Les Juifs de certains villages s’habillaient comme des Arabes, parlaient leur langue, mangeaient comme eux.
Ils étaient donc des ennemis, comme les Arabes. » dans « Salah, voici la Terre d’Israël », documentaire de David Deri, Ruth Yuval et Doron Glazer (2017).
26 Doute des rabbins sur leur judaïté, leurs enfants refusés dans des écoles religieuses, les femmes soumises à la politique de stérilisation de l’État.
27 Par exemple, dans le « Livre de Josué » : « Je vous conduisis dans le pays des Amoréens, qui habitaient de
l'autre côté du Jourdain, et ils combattirent contre vous. Je les livrai entre vos mains; vous prîtes possession de leur pays, et je les détruisis devant vous. / […] / Vous passâtes le Jourdain, et vous arrivâtes à Jéricho. Les habitants de Jéricho combattirent contre vous, les Amoréens, les Phéréziens, les Cananéens, les Héthiens, les Guirgasiens, les Héviens et les Jébusiens. Je les livrai entre vos mains, /et j'envoyai devant vous les frelons, qui les chassèrent loin de votre face, comme les deux rois des Amoréens: ce ne fut ni par ton épée, ni par ton arc. / Je vous donnai un pays que vous n'aviez point cultivé, des villes que vous n'aviez point bâties et que vous habitez, des vignes et des oliviers que vous n'aviez point plantés et qui vous servent de nourriture. » Josué, 24, 8 et 24, 11-13.
28 Cité in Shlomo Sand, Comment la terre d’Israël fut inventée, Flammarion, Champs histoire, p. 108.
29 « Pourtant, une telle législation a aussi un côté positif : ces lois et celles à venir arrachent le masque. Une des
plus longues mascarades de l’histoire va s’achever. Israël ne pourra plus se définir comme une démocratie, "la seule au Moyen-Orient". Avec des lois comme celles-ci, Israël ne sera plus à même de rejeter le label d’apartheid. Le chéri de l’Occident révélera son vrai visage : ni démocratique, ni égalitaire, ni le seul au Moyen-Orient. Finis les faux-semblants. ». Gideon Levy, « En 2018, le masque d’Israël tombe enfin », Haaretz, 2 janvier 2019. (*)
30 « À Gaza, les paysans confrontés à la pollution de leurs terres », Le Monde, 3 avril 2019.
31 Cette pratique est maintenant mondialement connue depuis l’affaire Ahed Tamimi dont la famille manifeste pacifiquement depuis dix ans tous les vendredis pour obtenir le droit d’accéder à la source d’eau de leur village, Nabi Saleh, qui se trouve de l’autre côté de la rue. Les excès de violences de l’armée israélienne en font réfléchir plus d’un : « […] c’est à Nabi Saleh que j’ai perdu les derniers vestiges de ce que j’appellerais "mon sionisme" – vu l’absence de vocable pour décrire ma nostalgie vis-à-vis de l’idée d’un État pour les Juifs. », Lisa Goldman,
« C’est à Nabi Saleh que j’ai abandonné le sionisme », article publié le 27 décembre 2017 sur le site « Pour la Palestine. Les droits du peuple palestinien dans le respect du droit international ». (*)
32 1956 ; occupation 2002-2005 ; juin 2006 : offensive aérienne et terrestre ; février-mars 2008 ; 27 décembre
2008-17 janvier 2009 : opération « Plomb durci », novembre 2012.
33 Résolution du Parlement européen du 1er juin 2017 sur la lutte contre l’antisémitisme (2017/2692(RSP) qui invite les « États membres et les institutions et agences de l’Union à adopter et à appliquer la définition opérationnelle de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), afin de soutenir les autorités judiciaires et répressives dans les efforts qu’elles déploient pour détecter et poursuivre les attaques antisémites de manière plus efficiente et efficace […]. » (*)
34 François Dubuisson, « La définition de l’antisémitisme par l’European Monitoring Centre on Racism and
Xenophobia (EUMC) : vers une criminalisation de la critique de la politique d’Israël ? », Centre de droit international, ULB, Juillet 2005. (*) On trouve la traduction de la liste des exemples sur le site du Centre communautaire laïc juif, dans l’article de Nicolas Zomersztajn, « Une définition actualisée de l’antisionisme », 1er février 2019 et dans « La "Définition IHRA" de l’antisémitisme : amalgame et manipulations » du site
« Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale ». (*)
35 Avant l’intervention du Président Macron, le président du CRIF en fait (réitère ?) la demande en ces termes :
« À l’unisson des autres pays européens, la France a voté en faveur de cette définition lors de son adoption par l’IHRA en 2016 et encore tout récemment fin 2018 dans la résolution du Conseil européen sur la lutte contre l’antisémitisme. Conformément aux recommandations du Parlement européen et du Conseil européen, plusieurs États membres l’ont déjà intégrée dans leurs propres textes de référence. »
36 « On en vient à se demander si le CRIF n’est pas plutôt le porte-parole d’Israël en France, comme une
seconde ambassade de ce pays. Il y a un siècle, ce qui aurait passé pour de la double allégeance s’appelle aujourd’hui soutien à Israël. » Esther Benbassa, « Le CRIF, vrai lobby et faux pouvoir », Libération du 17 février 2010. (*) Esther Benbassa est directrice d’études à l'École pratique des hautes études (EPHE) et sénatrice EELV.
37 Par exemple, l’AJC (American Jewish Commitee) et l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee).
38 Lors de la cérémonie du Vél d’Hiv’, il l’a remercié pour sa mise au point, précisant qu’« on ne peut pas dire "je n’ai rien contre les juifs, mais je ne veux pas que leur pays existe". »
39 Discours de Netanyahou à la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv’ : « Des cendres de la destruction, nous avons fondé l’État juif. Et c’est la force d’Israël, qui est la seule garantie certaine que le peuple juif ne subira plus une autre Shoah. Plus jamais. Nous ne laisserons jamais cela se produire. »
40 Pierre Vidal-Naquet écrit : « Le génocide des Juifs cesse d’être une réalité historique vécue de façon
existentielle, pour devenir un instrument banal de légitimation politique, invoqué aussi bien pour obtenir telle adhésion politique à l’intérieur du pays que pour faire pression sur la diaspora et faire en sorte qu’elle suive inconditionnellement les inflexions de la politique israélienne. Paradoxe d’une utilisation qui fait du génocide à la fois un moment sacré de l’histoire, un argument très profane, voire une occasion de tourisme et du commerce ». Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la Mémoire, 1987, Éditions La Découverte, p. 130.
41 Michel Warschawski, Israël : chronique d’une catastrophe annoncée … et peut-être évitable, p. 29. Michel
Warschawski est le fondateur de l’AIC (Alternative Information Center), organisme antisioniste qui milite pour la paix.
42 Voir notamment : Nadine Marroushi, « 50 ans d’occupation israélienne ; quatre réalités scandaleuses à propos
de l’ordonnance militaire 101 », 25 août 2017 sur le site d’Amnesty international ; et « Le système des lois d’apartheid d’Israël », 1er août 2018, sur le site de l’UJFP. (*)
43 Voir notamment les articles suivants : « Résolutions de l’ONU non respectées par Israël », Le Monde
diplomatique de février 2009 et celui de Jean-Claude Woillet, ancien expert consultant des Nations Unies,
« Israël, l’éternel dissident international », Mediapart, 12 août 2014. (*)
44 « L’UE se situe fermement dans le soutien à la liberté d’expression et d’association conformément à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui s’applique sur le territoire des États membres de l’UE, y compris en ce qui concerne les actions BDS menées sur ce territoire ».
45 On peut citer, par exemple, Pierre Stambul, Dominique Vidal, Michel Warschawski, Gideon Levy et, pour les
associations, le Collectif judéo-arabe et citoyen pour la Palestine (CJACP), le Réseau juif international antisioniste (JIAN), l’Union juive française pour la paix (UJFP), l’américaine Jewish Voice for peace (JVP).
46 Guerre des Six jours (juin 1967 contre la Syrie et l’Égypte) ; Opération Litani au Sud-Liban (mars 1978) ; invasion du Liban (massacre de Sabra et Chatila dans lequel Israël porte une responsabilité indirecte (Commission Kahane) / directe (Commission indépendante Mc Bride) en 1982 ; deuxième guerre du Liban (juillet-août 2006) ; depuis le début de la guerre en Syrie, des interventions dans sur le territoire syrien et dans l’espace aérien syrien des règlements d compte avec l’Iran.)
* * * * *
Synthèse des débats du café politique du 9 avril 2019.
Antisémitisme-antisionisme, un amalgame dangereux.
Après un exposé très approfondi de Michèle Abbas, applaudie par les participants du café, le débat se propose de s’attacher à la politique actuelle d’Israël.
1) Quelques remarques sur les notions d’antisémitisme et d’antisionisme.
L’antisémitisme est un racisme. Il est possible néanmoins d’utiliser des insultes antisémites envers des personnes qui ne sont pas juives. L’antisémitisme s’oppose à
l’antisionisme qui est une opinion politique assez vague. Par exemple : être contre Netanyahou et sa politique ne signifie pas forcément être favorable à la suppression de l’Etat d’Israël. Cette dernière opinion ne ferait qu’amplifier la haine entre Israéliens et Palestiniens. Le conflit actuel est une source d’escalade dans la violence, une source de haine, de maintien de la haine des deux côtés. Cette haine est malheureusement exploitée par les deux camps, par Netanyahou d’une part, et les extrémistes arabes de l’autre qui ont un certain intérêt à ce que le conflit s’enlise.
-
Les Juifs sont rejetés comme étrangers mais aussi comme étrangers trop semblables.
Delphine Horvilleur, femme rabbin de France, dit qu’il y a des points communs entre ce qu’on attribuait aux Juifs et ce qu’on attribuait aux femmes. Dans les deux cas il s’agit de catégories subalternes caractérisées par la lascivité et la cupidité !
-
Israël a une responsabilité dans le développement du racisme antijuif et du racisme anti
arabe. Par ailleurs le fait de parler d’Israël, comme Etat des Juifs, peut pour certains être une cause d’agressivité dans le monde, en France en particulier. Une participante du café qui se déclare juive et antisioniste raconte ce vécu. Lors d’une manifestation pour les Palestiniens en France elle se trouve entourée de pancartes : Mort aux Juifs ! En discutant avec les manifestants et en disant qu’elle est organisatrice de la manifestation et qu’elle est juive, elle suscite la réflexion autour d’elle.
-
Le sionisme est une idéologie qui date de la fin du XIXème siècle au moment de la
montée des nationalismes. C’est une idéologie nationaliste et colonialiste. Israël aujourd’hui est un pays nationaliste et colonialiste. Par ailleurs, avant la deuxième guerre mondiale, les sionistes avaient des relations avec des mouvements d’extrême droite comme les mouvements d’apartheid d’Afrique du Sud. Tom Segev, historien israélien, raconte que les sionistes cultivaient des relations avec l’Allemagne nazie. En
1933 le baron nazi Leopold Itz von Mildenstein est venu en Palestine et a fait l’éloge des kibboutz. Il dirigeait le bureau des affaires juives dans lequel siégeait Adolf Eichmann.
-
Aujourd’hui encore les gouvernements d’extrême droite soutiennent l’antisémitisme en
pensant que les Juifs iront en Israël pour fuir l’antisémitisme. De là à penser qu’Israël cultive l’antisémitisme par intérêt… Voir sur le site Orient 21 les informations suivantes : Il existe aux Etats-Unis des organisations israéliennes en lien avec Israël qui travaillent à déligitimer toute critique à l’égard d’Israël. Ces forces s’attaquent aux étudiants solidaires des Palestiniens dans les universités américaines. Les attaques se multiplient sur les réseaux sociaux à l’encontre de ces étudiants. Traités d’antisémites, ils ont de la peine à trouver du travail. Cette enquête a été réalisée par un jeune anglais introduit clandestinement jusqu’au sommet de terre organisation.
-
Historiquement, l’idée de foyer juif viendrait d’Angleterre, pays en grande partie à
l’origine du conflit actuel. Herzl à qui on attribue généralement cette idée a renforcé son opinion en constatant que l’affaire Dreyfus était un signe d’échec d’intégration des Juifs dans le cadre des Etats nations.
-
Le sionisme a évolué de manière assez proche du communisme. Issu d’une belle idée
au départ, le sionisme s’est transformé. Nathan Birnbaum est le premier à employer le terme de sionisme. Il rejoint avec l’apparition de Herzl les rangs du mouvement sioniste. Mais il s’en éloigne à partir de 1898 pour rejoindre les courants orthodoxes religieux juifs ( retour en Israël à la fin des temps sous la conduite du Messie ).
-
Il existe des antisionistes religieux en Israël et dans le monde, à Strasbourg par
exemple. Ils attendent l’arrivée du Messie qui réunirait tous les Juifs. En Israël même, ils sont antisionistes et vivent en communautés.
-
Au début le sionisme était un mouvement de libération. Puis il y a eu occupation des
terres. Les Juifs en ont acheté aux féodaux absents et les fellahs palestiniens ont perdu leur travail.
-
La communauté juive actuelle est cependant loin d’être homogène : s'il y a toujours eu
des Juifs d’extrême droite, n’oublions pas que Ben Gourion était connu pour ses idées socialistes. Il a fondé l’Etat d’Israël avec ses idées et notamment les kibboutz. Des associations israéliennes et palestiniennes travaillent de concert dans le sens de la paix même si ces initiatives sont très peu connues et très peu diffusées dans la presse.
-
L’Etat juif sans les travailleurs arabes du bâtiment et de l’agriculture aurait des
difficultés importantes.
2) Israël aujourd’hui.
-
Il est possible de critiquer l’existence d’un Etat sioniste sans vouloir la disparition de l’Etat d’Israël.
-
Depuis deux ans Netanyahou fait voter par la Knesset des lois. Il dit officiellement : nous ne sommes plus un Etat juif et démocratique. Israël est l’Etat des Juifs, ce qui inclut potentiellement tous les Juifs du monde.
-
L’Etat d’Israël aujourd’hui impose l’apartheid entre Juifs, entre Juifs et Palestiniens d’israël et plus encore entre Juifs et Palestiniens de Cisjordanie qui ne sont pas reconnus comme citoyens d’Israël.
-
Netanyahou cultive des relations avec des régimes d’extrême droite comme la Pologne, les fascistes belges. Ses meilleurs alliés en Europe sont de cette tendance.
-
L’ONU n’a jamais dénoncé la politique d’apartheid de Netanyahou malgré la Déclaration des Nations Unies concernant les peuples autochtones en 2007. Parmi les pays qui ont voté contre cette Déclaration, citons les Etats-Unis, l’Australie, le Canada
et Israël.
-
La première grave incohérence de l’action onusienne est bien le partage territorial qui a abouti à la création de l’Etat d’Israël en 1947. Il porte en lui le germe de bien des conflits ultérieurs.
-
Le Monde diplomatique de février 2009 recense les nombreuses résolutions de l’ONU non respectées par Israël. Depuis, le relais a été pris par un journaliste de Mediapart, ancien expert consultant aux Nations Unies qui en fait la liste jusqu’en 2014.
-
La Shoah est souvent instrumentalisée y compris par l’IHRA. Il semble bien difficile d’imposer quoi que ce soit à Israël.
-
En France il existe toujours une déduction fiscale liée aux dons faits à l’armée israélienne.
-
Madame Merkel a déclaré devant la Knesset récemment : la raison d’être de l’Allemagne c’est l’existence d’Israël.
-
L’UE affiche des valeurs communes avec Israël. Que dire alors de la politique colonisatrice d’Israël ?
3) Pistes de réflexion sur le conflit israélo-palestinien.
-
L’Union européenne pourrait faire pression sur Israël. Elle en a les moyens légaux. Israël est membre de l’OCDE. Le pays est un Etat européen du point de vue des liens économiques. Elle pourrait suspendre l’accord qui permet à Israël d’exporter avec des
droits de douane assez bas ses produits et ceux qui viennent des territoires occupés. Il existe un article économique sur l’accord UE-Israël qui dit que si les droits de l’Homme sont violés, il est possible de suspendre un accord économique.
-
La vie en Israël n’est pas possible dans un Etat nommé Etat des Juifs qui offre la
nationalité à tout juif du monde. Ou bien Israël devient un pays unifié avec des droits démocratiques égaux pour tous, ou bien ce sera le massacre.
-
Une autre piste est celle de l’abandon d’un Etat unifié qui n’est pas prévu par l’ONU.
-
La piste des deux Etats semble être un moyen crédible pour faire cesser la violence.
-
Ce pourrait être par le biais d’une médiation, étant entendu qu’elle devrait être à l’initiative d’Israël considéré comme première puissance colonisatrice des terres des Palestiniens.
Conclusion.
Nous apprenons aujourd’hui 10 avril que Netanyahou a de fortes chances de pouvoir prolonger son action à la tête d’Israël malgré les charges judiciaires qui pèsent contre lui liées à l’exercice de sa fonction de Premier Ministre. Un des arguments ultimes de sa campagne électorale a été le projet d’annexion de la Cisjordanie. Netanyahou n’a jamais fait de propositions de paix.
Café du 18 juin 2019
A partir des témoignages de Gilets jaunes de l’Est.
1) Témoignage d’Isabelle.
Le mouvement des gilets jaunes a surgi de façon inédite, essentiellement « prolo » mais hors des entreprises, à une échelle extrêmement large puisque nationale.
Dès le début, Macron et ses amis n’ont cessé de marteler dans les médias que les Gilets jaunes n’étaient qu’une masse confuse, désorganisée, aux revendications inaudibles. Les directions syndicales le pensaient aussi, estimant qu’elles seules étaient rodées à l’organisation et surtout aux négociations.
Un mouvement désorganisé ? Pas tant que ça pourtant…
En réalité, l’explosion du 17 novembre, toutes et tous ensemble un même jour, a montré dès le début que le mouvement était organisé à sa façon, via les réseaux sociaux qui ont conduit aux ronds-points, et à des réunions.
Les premières journées manifestations nationales ont été impulsées d’en haut, mais non sans échos avec les volontés de la base, par le groupe de la France en colère (les Gjs à l’origine du mouvement) et répercutées régionalement par des représentants (non-élus) des ronds-points (Qgs) locaux en lien avec elle. On pourrait revenir sur le rôle très important joué par les réseaux sociaux. En particulier ceux liés à la France en colère.
Mais cela n’empêchait pas d’agir dans ce mouvement par des réunions et coordinations
« physiques ». Pour nous à Strasbourg et dans le Grand-Est, tout a vraiment commencé avec la manifestation du 1er décembre, où étaient annoncées une manif de gilets jaunes mais également une manif de la CGT. Evidemment pas au même endroit ! 600 GJs étaient venus de plusieurs ronds-points d’Alsace, des Vosges ou de Lorraine, à l’appel d’« organisateurs » en lien avec la France en colère qui, au point d’arrivée déclaré en préfecture ont demandé de se disperser. Mais des GJs voulaient continuer et rejoindre la manifestation de la CGT (un tract écrit par nous avait circulé sur les réseaux évoquant cette jonction). Malgré la pression contraire, nous avons réussi à entrainer 400 GJs à se réunir sur la place de la République toute proche et à voter à main levée de rejoindre en cortège la manifestation de la CGT. A partir de là, nous avons décidé d’appeler via une page Facebook à une Assemblée générale le samedi, sur la place de la République à Strasbourg. Notre idée étant donc de construire les bases d’une forme démocratique de discussion pour que les GJs soient maîtres des décisions de leur propre mouvement, qu’ils se voient physiquement, discutent et échangent leurs expériences. Le samedi suivant 8 décembre, 350 GJs venus de différents QGs d’Alsace répondaient présents à l’appel à cette assemblée générale. L’habitude était prise d’une réunion tous les samedis, regroupant sur la durée du mouvement de 350 à 80 personnes selon les semaines.
Deuxième étape, qui en a découlé assez naturellement : les GJs les plus impliqués dans le succès de cette AG ont eu envie de se réunir pour la préparer. D’où la naissance de ce « QG République », une réunion hebdomadaire regroupant bientôt entre 40 et 60 GJs. Elle se tient jusqu’à aujourd’hui. Depuis 6 mois, c’est là que nous discutons, analysons la situation, élaborons nos tactiques pour les manifestations, actions,
interventions en direction de travailleurs d’entreprises, puis envisageons la coordination avec d’autres gilets jaunes d’autres villes voire régions.
Dans le cadre de la réunion hebdomadaire préparatrice à l’AG, nous avons mis en place une commission « entreprises » qui s’est adressée aux travailleurs des boîtes par des tracts et discussions (Usocom, GM, Punch... une boîte en lutte). Des liens ont été pris avec des GJs d’entreprises mais aussi avec certains syndiqués.
L’AG du samedi, elle, est devenue un véritable lieu de discussions politiques, d’élaboration d’une plateforme de revendications - adoptée par un vote. Des militants syndiqués, mais aussi des mouvements écolos, l’ont rejointe, pour être partie prenante des actions GJs ou pour y proposer des convergences (manifs syndicales, marche pour le climat).
De l’Assemblée de la place de la République à la Coordination des GJs du Grand Est
L’Assemblée de Strasbourg et le noyau dur de son QG, sont devenues alors une base à partir de laquelle se sont tissés des liens avec les autres QGs, ronds-points d’Alsace mais aussi de Lorraine. Dont le fonctionnement certes était tout autre, plutôt autour de petits chefs non élus - ce qui ne veut pas dire qu’ils n’étaient pas reconnus. Notre QG de Strasbourg a été invité à participer à des réunions de « représentants » de ronds-points, autant d’occasions de se connaître, travailler jusqu’à un certain point ensemble mais aussi de s’apercevoir que le mode de discussion démocratique que nous construisions sur Strasbourg restait une exception dans la Région. Les discussions sur les ronds-points, ou discussions par sondages sur les réseaux sociaux ne manquaient pas, mais manquait une coordination permettant de décider démocratiquement à partir de ces discussions.
Dans ce paysage déjà riche de multiples formes de coordination d’actions, est arrivée l’initiative des GJs de Commercy (en Lorraine), d’une première Assemblée des Assemblées. Elle a réuni les 26 et 27 janvier plus de 350 GJs, 75 délégations venues de toute la France. L’expérience prouvait - si besoin était - qu’il était possible de discuter en AG de manière démocratique à l’échelle nationale. Dommage que la rencontre suivante n’ait été programmée que deux mois plus tard, à Saint-Nazaire.
Mais l’exemple de Commercy, et les contacts que nous avons pu prendre d’une ville à l’autre, entre gjs ayant pris l’habitude de bouger d’une ville à l’autre pour manifester le samedi, nous ont donné l’idée de tenter une coordination des Gilets Jaunes de l’Est. Un gros boulot bien sûr. Plus d’une centaine de coups de téléphone, d’aventures multiples pour trouver une salle. Cette coordination des GJs de l’Est a eu lieu le 24 février. Plus de 250 GJs, après échanges et discussions, ont voté une plate-forme de revendications communes, élu une équipe d’organisation régionale, et mis en place une page Facebook de la Coordination. Si vous avez vu cette banderole géante « Coordination des Gilets Jaunes de l’Est », trimballée beaucoup ensuite, et jusque sur les Champs-Elysées, c’était nous ! Elle fut le point de départ de nouvelles formes de discussions entre Gjs de la Région et de nouveaux échanges. Les GJs du Haut-Rhin s’appuyèrent sur cette expérience pour lancer une « Assemblée générale des GJs du Haut-Rhin » (150 GJs à la première réunion, puis 80 à la seconde).
Et pourquoi ne pas tenter une Coordination nationale ?
Nous avons décidé, entre GJs de la coordination de l’Est et Gjs d’autres régions avec lesquels nous avons pris contact, d’organiser une coordination nationale, lors de la montée nationale à Paris le 16 mars. Celle-ci a eu lieu à la Bourse du Travail de Paris, réunissant 450 Gilets jaunes de 71 villes qui ont voté un appel à se coordonner nationalement et à préparer dans ce sens la prochaine AdA de Saint-Nazaire.
Cette coordination n’a pas eu le pouvoir de décider pour toute la France. Mais ce n’était pas une impossibilité et le contre-pouvoir que représentaient les Gjs face à Macron n’en aurait été que plus fort. Car il s’agissait d’appeler d’autres catégories de travailleurs à rejoindre les Gjs.
L’AdA qui s’est réunie à Saint-Nazaire aurait pu aller dans ce sens. Elle a réuni 800 GJs, ce qui était un succès et la preuve que les Gjs aspiraient à se coordonner. Mais ses initiateurs, par choix politique « municipaliste », se sont cantonnés à un
« horizontalisme » empêchant toute émergence d’une direction à l’échelle nationale.
Ces tentatives n’ont pas dépassé un certain cap, mais elles nous ont conforté dans notre conviction que c’était bien la tâche de révolutionnaires, d’aider les Gilets jaunes à se donner leur propre direction et se coordonner démocratiquement.
2 ) Témoignage de Jean-Claude.
Au début je n’étais pas dans le mouvement. J’ai vu rapidement que ce mouvement était atypique. En mai 68 il y avait les étudiants, puis les ouvriers. Dans les Gilets jaunes il y a des ouvriers, des retraités, des petits patrons, des artisans, des chauffeurs routiers, des femmes seules avec enfants qui vivent avec moins de mille euros par mois. Une de ces femmes me dit un jour : « Moi, je suis là parce que mon frigo est vide le 20 du mois ». Par ailleurs le mouvement permet à beaucoup de casser la solitude et de créer une forme de fraternité.
Derrière la question de la taxe gasoil qui a déclenché le mouvement, c’est la misère ordinaire qui apparaît ( en-dessous de mille euros ) en regard des dividendes très élevés versés aux actionnaires des entreprises du CAC 40.
Quelles sont les revendications de ce mouvement ?
• Il faut augmenter les salaires, les petites retraites.
• La question de la fiscalité ressentie comme injuste. Le kérosène des avions n’est pas taxé, par exemple, alors que le gasoil des véhicules est taxé. Il faudrait une fiscalité très fortement progressive surtout pour les hauts revenus. Ne parlons pas de ceux qui ne paient pas d’impôt du tout comme le propriétaire d’Auchan qui habite en Belgique. L’ascenseur social est bloqué pour nos enfants.
• La critique de la démocratie représentative. L’élu l’est pour 5 ans et il n’est plus contrôlé dans des décisions durant ce temps.
3) Témoignage d’Octave.
J’ai rejoint le mouvement dès le début de manière virtuelle sur les réseaux sociaux parce que je travaillais. J’ai apprécié le fait que ce mouvement recréait du lien entre les gens un peu comme ce soir dans ce café où ont lieu des échanges entre les personnes.
Une des initiatives sympathiques du mouvement a été la fondation de maisons du peuple nées un peu partout en France. Il y en une à St Nazaire actuellement, à Montpellier, à Belfort. Ces lieux permettent des rencontres quotidiennes pour partager un repas, une discussion, faire des projections de films, proposer des pièces de théâtre.
Par ailleurs il faut parler du caractère inédit de la répression du mouvement. Dans un premier temps la répression policière, puis dans un second temps une répression judiciaire.
La répression policière a débuté le 24 novembre alors que le 17 novembre s’était plutôt bien déroulé. Il y a eu des mains arrachées, des yeux perdus des mâchoires brisées. Il y a eu plus de 400 blessés graves. A Strasbourg par exemple un jeune de 16 ans a eu la mâchoire explosée alors qu’il passait près des manifestants sans participer à la manifestation.
La répression judiciaire s’est manifestée d’abord par l’interpellation préventive de plus de 2000 personnes le 1er décembre. Puis il y a eu d’autres interpellations qui vont donner lieu à Strasbourg à une trentaine de procès concernant des personnes qui n’ont jamais été violentes et n’ont jamais été condamnées. Certaines personnes ont été condamnées à de la prison ferme ce qui est rare dans les mouvements sociaux.
4)Témoignage d’Alain.
Pour compléter ce témoignage il faut dire que la répression judiciaire a aussi pour but de faire peur aux jeunes qui n’ont pas l’habitude des mouvements sociaux contrairement aux syndiqués habitués à manifester et que la police a peu de chance d’intimider.
Pour ma part, je travaille dans la métallurgie et j’ai constaté que si des ouvriers ont participé au départ au mouvement, ils ont ensuite eu peur d’être inquiétés. La peur s’est installée au fur et à mesure des semaines.
Pour ma part, j’approche de la retraite et j’ai rejoint le mouvement pour la question des petites retraites. Pour l’instant les salariés ont eu quelques améliorations, ( prime de pouvoir d’achat, heures défiscalisées prévues en 2020 … ) mais le combustible continue d’augmenter. Pour les retraités il n’y a aucune avancée.
5 ) Témoignage d’une Gilet jaune de Perpignan.
Je suis venue au mouvement par l’appel sur Facebook d’Eric Drouet. Je suis descendue dans la rue à Perpignan, j’étais bien, je vivais un mouvement populaire de fraternité. Toute personne seule chez elle, qui n’osait pas parler de sa misère, de ses fins de mois, de ce qu’elle vivait, d’un seul coup quand elle est sortie, elle a trouvé des gens qui pouvaient s’identifier les uns aux autres. Les tabous sont tombés et les gens ont fraternisé.
J’ai fait plusieurs manifestations plutôt joyeuses. Je monte à Paris le 15 décembre, je me trouve à la station Champs Elysées et je vois une manifestation bon enfant. Moi qui suis une « femme à faciès », je me suis sentie appartenir enfin au peuple. Puis, d’un seul coup, la police nous a chargés et a envoyé des LBD sans sommations. J’ai fui.
Quand je suis arrivée à Strasbourg j’ai porté un drapeau tricolore parce que je ne trouvais plus de Gilet jaune ! J’ai écrit sur le drapeau la devise de la République. Puis j’ai eu un Gilet jaune sur lequel j’ai marqué : je suis Gilet jaune, je suis le peuple, je suis
le pouvoir ! Avec mon drapeau tricolore sur moi j’ai mené une partie de manifestation devant la cathédrale où nous avons chanté la Marseillaise et j’ai été chargée par la police. A Bruxelles j’ai manifesté et j’ai été arrêtée par la police et mise en garde à vue administrative 12 heures alors que la manifestation était pacifique dans la capitale européenne.
6 ) Apport de Jean-Brice.
Je voudrais apporter un regard plus théorique en me fondant sur les idées du philosophe allemand Peter Sloterdijk qui a écrit à propos de la colère. Cela s’applique à la colère des Gilets jaunes qui vient très clairement d’un sentiment de déclassement de catégories sociales qui constatent qu’elles ne sont pas du tout écoutées et encore moins entendues par les pouvoirs publics ou par le patronat.
Autrefois, dit cet auteur, il y avait des « banques de la colère », des dispositifs qui permettaient d’accumuler et de diriger cette colère comme le Parti communiste et l’Eglise catholique par exemple.
Dans les Gilets jaunes il y a des prolétaires et des petits patrons qui ont parfois des intérêts assez divergents mais qui ont en commun le fait de se considérer comme non pris en compte par le pouvoir dans leur impossibilité de « finir leur mois » . La taxe carbone a généré cette colère.
Un autre aspect est le phénomène des réseaux sociaux qui permet de mettre en relation beaucoup plus rapidement les personnes entre elles et de former des groupes. Il y a eu ainsi la création de forums informatiques électroniques.
Denier point, c’est la solidarité.
7 ) Témoignage d’une historienne franco-allemande.
Je suis en désaccord avec la notion de catégorie sociale dans ce mouvement. C’est une mentalité française qui s’exprime ainsi. Pour moi, les Gilets jaunes démontent cette notion à Strasbourg. Autour d’un rond point j’ai trouvé des personnes de toutes origines pas seulement des pauvres, mais réunies autour de revendications très politiques. Je suis historienne et j’ai quatre enfants qui ont fait des études supérieures poussées et qui vivent aujourd’hui aussi mal que des gens qui n’ont que le RSA. Les catégories sociales me semblent être une représentation imposée aux personnes pour les diviser.
Je suis éditrice pour un site de géopolitique et je suis sensible à la construction par les médias et le pouvoir d’’une représentation des Gilets jaunes comme un mouvement violent. J’ai constaté qu’il y avait une stratégie policière pour mener à la violence et que les personnes qui sont arrêtées sont souvent des personnes qui n’ont pas l’expérience des manifestations.
QUESTIONS AUTOUR DES TEMOIGNAGES.
1 ) Pourquoi les Black Blocs ne sont-ils pas arrêtés par la police ?
Les Black Blocs n’existent pas en tant que tel comme un groupe de personnes déclarées. Il s’agit de personnes qui se regroupent lors d’une manifestation et qui adoptent une stratégie qui est de s’habiller en noir, d’avoir du matériel défensif ou offensif. Ce sont souvent des militants révolutionnaires. Parmi les blessés et les manifestants judiciarisés, personne s’est revendiqué des Black Blocs parce que pénalement ils n’ont pas intérêt à se déclarer comme tels.
2) Que penser des militants radicaux dans les manifestations des Gilets jaunes ?
Un intervenant fait remarquer que ces militants passent d’un pays à l’autre. Ce sont comme des troupes d’élite. Ils ont aussi été présents en Allemagne récemment à Hambourg, cela ressemblait à une guerre civile. Néanmoins la presse en rajoute en passant en boucle leurs voies de fait et leurs destructions.
Si les Gilets jaunes ne les désapprouvent pas toujours c’est que ces militants radicaux répondent par une violence émeutière à une violence sociale vécue au quotidien par eux ( licenciements, procès de France Telecom en ce moment, morts au travail, plus faible espérance de vie du monde ouvrier … ). Les syndicats n’ont pas obtenu grand chose depuis des décennies.
3) En Allemagne, des manifestations non déclarées sont impensables.
Pour les Gilets jaunes qui n’ont pas de porte parole, la déclaration des manifestations n’a pas de sens. La déclaration d’une manifestation, en effet, impose de donner un trajet de cette manifestation et il n’est pas possible d’aller où l’on veut. Le cas des Champs Elysées est intéressant à ce sujet. Ce lieu n’est pas autorisé pour une manifestation syndicale. Les Gilets jaunes l’ont imposé par la force. Malgré une répression sévère les Gilet jaunes ont pu chaque samedi imposer leur présence dans ce lieu.
4 ) Quelles suites pour le mouvement ?
Sur les suites du mouvement il faut tenir compte des trois éléments qui le freinent :
• la répression du gouvernement
• le grand débat
• la direction des syndicats, en particulier la direction de la CGT. Il y a eu au mois de décembre une fenêtre dans le mouvement, mais la direction a appelé à une grève un vendredi 14 décembre alors que les Gilets jaunes se retrouvaient le samedi 15 décembre. Des militants syndicalistes se sont battus pour participer au mouvement des Gilets jaunes en revendiquant leur appartenance syndicale. La CGT a même diffusé des textes parlant du racisme des Gilets Jaunes, de leur poujadisme.
Le bilan est qu’il subsiste un noyau dur de Gilets jaunes actifs dans le pays.
Par ailleurs il ne faut pas voir ce mouvement uniquement par le nombre de manifestants. Ce mouvement c’est aussi des réunions sur le RIC, des réunions sur les ronds points, des actions diverses et variées.
Il y a différentes suites possibles comme celle de construire des structures municipales, de préparer les municipales dans la perspective de construire des contre pouvoirs locaux. D’autres proposent en parallèle du mouvement de développer le RIC.
Dans la perspective des réformes de Macron, le mouvement des Gilets jaunes reste présent et il devrait être capable de développer les liens avec les travailleurs dans les entreprises et les syndiqués de la base pour créer des contre pouvoirs aux directions syndicales.
Alain W. chante en conclusion la chanson Les Gueux, Chanson, Gilets jaunes Détournement de « Mon Vieux » de Daniel Guichard - Musique originale de Jean Ferrat Réécriture Gaëtan Thomas et David B.
*****************************************************************************************************************************************************************
TEXTE de Jean-Luc sur le mouvement des Gilets jaunes.
Le pouvoir en place cherche à délégitimer ce mouvement et ne sait comment s'y prendre. A l'heure où, dans les milieux dits progressistes, la question de l'émancipation ne fait plus recette, ce qui est mis en avant est la question de la victimisation. Mais, seuls ont le droit de se déclarer victimes, ceux qui entrent dans le champ de la mondialisation en contribuant à décrédibiliser les Etats (minorités sexuelles et ethniques, naufragés du réchauffement climatique). Les autres n'ont qu'à bien se tenir, car par leur mécontentement, ils manifesteraient avant tout leur égoïsme, autant dire leur populisme, et donc leur extrémisme droitier.
Cette pseudo-morale, affichée par les gens du pouvoir, masque le fait que ce sont eux, les véritables extrémistes. Le parallèle avec les années 1930 est pertinent. L'Allemagne était dans une misère noire sans les années 1920 et 10 ans plus tard, disposait d'un armement flambant neuf et performant. Le NSDAP, parti prétendument ouvriériste, s'était appuyé et avait été soutenu par les milieux d'affaires car le secteur de l'armement semblait financièrement le plus profitable. La ReM qui gouverne la France actuellement, s'est mis dans le sillage de la politique belliciste US. Après une campagne ouvriériste, Trump a porté le budget du Pentagone à près de 700 milliards de $ pour cette année. De l'argent public qui va assurer des profits considérables au secteur privé de l'armement. Mais le militarisme qui s'en s'en suit va bien devoir trouver un débouché. Pour l'heure, on est à la multiplication des foyers de tension (Vénézuela, Moyen-Orient en général et Iran en particulier, en attendant la Chine et la Russie). Le droit international, patiemment élaboré après 1945, est foulé aux pieds par la puissance qui se veut dominante sans que nos élites ne trouvent à y redire. Ah, l'esprit munichois n'est pas mort !
Alors évidemment, le parti au pouvoir, dans son assaut de servilité car il espère bien récupérer quelques miettes, ne veut pas être gêné par des manifestants qu'il cherchera toujours à présenter comme des attardés, des demeurés, ne comprenant rien à rien.
Il s'agira au contraire d'être lucide et de dénoncer les néo-vichystes pour ce qu'ils sont: des collabos.
Café politique du 19 Septembre 2019
A quoi sert l'OTAN?
(Organisation du Traité de l'Atlantique Nord)
Texte de présentation de Jean Luc
Les questions essentielles concernant la vie des citoyens, dans l'Occident "démocratique", ne sont abordées que sous le prisme déformant de la propagande. Ainsi, nous assure-t-on, il y aurait, non loin des steppes asiatiques, un ennemi quasi-héréditaire, dont l'existence justifierait la dépense annuelle de 260 milliards de $ en armements au niveau européen, dépense qui, selon notre allié mais néanmoins suzerain US, serait d'ailleurs notoirement insuffisante. Or, n'importe quel quidam que l'on croise dans la rue, sait que les problèmes auxquels est confrontée l'Europe, se situent au sud et non à l'est. Les "progressistes" pleurent les pauvres migrants qui se noient, alors que les 260 milliards de dépense annuelle précédemment évoqués seraient bien plus utiles à créer une économie performante en Afrique, ce qui éviterait que des dizaines de milliers de ressortissants de ce continent soient prêts à risquer la mort par noyade en ayant pour seule perspective de devenir le sous-prolétariat de l'Europe.
Pourquoi un tel aveuglement au niveau de nos dirigeants?
Lors de la chute de l'URSS, événement certes heureux vu ce qu'était cet ensemble, les commentateurs parlaient de dividendes de la paix, car il allait de soi alors que la guerre froide allait cesser. Mais c'était compter sans la voracité de l'un des protagonistes de cette guerre froide, les USA, pour qui il allait devoir s'agir maintenant de créer un monde unipolaire dont ils seraient à jamais le chef incontesté. A un Gorbatchev en difficulté, les USA avaient promis, à la fin des années 1980, que l'élargissement de l'Otan à l'est relevait de la paranoïa. Le Kremlin considéra alors que le Pacte de Varsovie était un encombrant héritage du passé et que le mieux était de s'en débarrasser. Les élites US, oubliant vite leurs promesses car faites à l'URSS en faillite et non à la Russie, ont alors élaboré la théorie dite de "full spectrum dominance". Il s'agissait de faire en sorte, moyennant un budget annuel actuellement de 700 milliards de $, d'assurer à l'armée US une suprématie totale, aussi bien terrestre que maritime, qu'aérienne mais aussi le contrôle de l'espace, du "cyber-space" et enfin à mener une efficace guerre de l'information. Pourtant le successeur de Boris Eltsine semblait, au début de sa présidence, convaincu de pouvoir établir une coopération avec les pays européens (voir à ce sujet: Quand la Russie rêvait d'Europe, le Monde Diplomatique, septembre 2018). Encore eut-il fallu que ceux-ci fussent indépendants.
La première guerre d'Irak resta conduite sous l'égide du droit international, mais ce qui allait se passer ensuite mènerait à sa progressive liquidation. Le "Monde Diplomatique" d'avril 2019, établit que la guerre menée par l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999 a été entièrement menée à partir de bobards (à l'époque, on ne parlait pas encore de fake news). Bobards établis par les services secrets bulgares et complaisamment relayés par le gouvernement allemand. Nos brillantes élites participèrent donc à une guerre contre un Etat qui n'en avait menacé aucun autre et qui ne faisait d'ailleurs pas partie de l'alliance. Guerre qui n'a pas eu l'aval de l'ONU, et dont les concepteurs invoquèrent simplement des principes "humanitaires" dont on sait à quelles distorsions leur interprétation peut conduire. Il fut ensuite établi une base permanente de l'OTAN au Kosovo nouvellement créé, Etat qui ne sera jamais reconnu par l'ONU, mais on put vite passer à autre chose du fait des actes du 11-9-2001 et la guerre contre le terrorisme qui, nous assurait-on à l'époque, serait rondement menée. Avec le recul du temps, on s'aperçoit qu'il a surtout fallu définir une nouvelle cause sacrée à défendre, maintenant que le communisme avait rendu l'âme, communisme qui avait justifié la création de l'Otan en 1949 au nom de l'endiguement de l'URSS. Il fut donc décidé à l'époque d'attaquer l'Afghanistan et l'OTAN se trouva impliquée dans ce conflit situé pourtant bien loin de l'Atlantique Nord ! Pour autant, la prétendue guerre contre le terrorisme ne se termina jamais et aurait déjà fait selon les estimations, entre 5 et 7 millions de morts dans les pays arabes(1).
Malgré ce bilan, il ne saurait être question de dissoudre cette si peu efficace OTAN, d'autant que les belles âmes ne trouvent rien à redire à ce qui s'apparente à un terrorisme de masse occidental. Mieux, à la même époque, on l'élargit à la République tchèque, la Hongrie et la Pologne. Celle-ci saura se montrer très reconnaissante en voulant maintenant faire de son pays un "fort Trump", ce qui ne peut que faire saliver l'impétueux homme d'affaires US. Comme si on pouvait solder des traumatismes passés par un conflit actuel ! De fait, on gardera le cap sur l'objectif final, la mise au pas de la Russie dont il faudra coûte que coûte s'en faire un ennemi. Les masques sont tombés: à l'ancienne guerre froide contre le communisme s'est substituée la guerre contre le "terrorisme", qui est le masque derrière lequel se cache ce qui est tout simplement une guerre impérialiste.
Terrorisme ou pas, les USA et à leur suite les pays membres de l'OTAN, ne perdirent donc pas de vue l'essentiel. Ainsi, ils annoncèrent le 13.12.2001, leur retrait du traité ABM (relatif aux missiles antibalistiques). Ce traité avait été signé en 1972 par Nixon et Brejnev, 2 personnages qui n'étaient en rien des utopistes mais qui avaient compris que la course à l'armement ne menait nulle part. A cela suivit la 2e guerre contre l'Irak, menée sur la foi de grossiers mensonges. On remarquera que l'Irak faisait partie d'un "front du refus", hostile à la politique US au Moyen-Orient et donc à Israël, et qui outre l'Irak, comprenait l'OLP, l'Algérie, la Syrie, la Libye et ce qui était alors le Yémen du Sud. Tous seront, peu ou prou, plongés dans le chaudron du diable.
Avec l'élargissement de l'Union Européenne aux pays anciennement occupés par l'URSS, ce furent l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, la Slovaquie qui furent progressivement intégrés à l'OTAN. Enfin, ce fut le tour de l’Albanie et la Croatie. En 2014 eurent lieu les événements d'Ukraine dont l'une des conséquences fut le retour de la Crimée à la Russie, motif rêvé pour diaboliser l'ogre russe car l'on put parler d'annexion. Il est établi que les USA ont financièrement soutenu les opposants au président ukrainien de l'époque (2). La Crimée d'ailleurs avait été russe jusqu'en 1954 et suite à un décret de Khrouchtchev, rattachée à cette date à l'Ukraine. En 1991, lors de la dislocation de l'URSS, la Crimée s'est proclamée « république autonome de Crimée », puis « république de Crimée» l'année suivante. Elle avait proclamé son indépendance le 5 mai 1992, mais a ensuite accepté d'être rattachée à l'Ukraine à la suite d'un accord entre les deux Parlements et en échange d'une large autonomie au sein de ce pays. Suite aux émeutes à Kiev, le parlement de Crimée proclama l'indépendance le 11.03.2014. Il affirma ne pas être en violation avec le droit international, puisqu'il prenait exemple sur la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo, laquelle fut proclamée par son propre parlement le 17.02.2008. Enfin, un référendum fut organisé le 16.03 de la même année; le choix proposé était soit le rattachement à l'Ukraine, soit celui à la Russie. La seconde option l'emporta avec 97 % des suffrages. L'Occident vitupéra contre ce qu'il considéra comme un coup de force alors qu'il avait salué comme une victoire pour la démocratie la création du Kosovo. Celui-ci est avant tout un territoire où l'OTAN a pu créer sa 2e plus grande base militaire en Europe. De plus, l'Occident n'a jamais rien trouvé à redire à l'occupation de la moitié nord de Chypre par la Turquie, ni bien sûr, à l'annexion du Golan syrien par Israël. Dans la foulée, elle établit un régime de sanctions contre la Russie, ce qui entraîna le rapprochement de plus en plus étroit de ce pays avec la Chine. Les stratèges impérialistes, dans leur aveuglement, ont estimé qu'ils pouvaient à nouveau, comme dans la période Eltsine, diviser les PIB russe par 2. Mais c'est qu'entretemps, il y a l'émergence de la Chine et il se pourrait bien que dans le futur, l'Europe ait amèrement à regretter l'incitation US à retourner à la Guerre Froide. Ses dirigeants eussent été bien mieux inspirés d'exiger de l'Ukraine l'application des accords de Minsk qu'eux-mêmes avaient négocié.
Venons-en à la Syrie: un mouvement de contestation sociale apparu en 2011 a été rapidement transformé en une guerre civile avec d'un coté l'Etat syrien appuyé par le Hezbollah libanais et l'Iran et de l'autre, la rébellion islamiste soutenue par l'Arabie Saoudite, la Qatar et la Turquie et donc implicitement par l'Occident dont la propagande a inventé l’appellation de "rebelles modérés". Comme s'il y avait eu une manière "modérée" de faire la guerre! A cette fin, a été montée l’opération secrète « Timber Sycamore », à laquelle ont participé les services secrets occidentaux ainsi que leurs homologues des pays du Golfe. Dotée d’un budget de 1 milliard de $ par an, elle a fourni des armes à ces rebelles "modérés", et qui sont d'ailleurs souvent tombées en d'autres mains (le Monde diplomatique, septembre 2019). Ce n'est donc en rien une guerre de religion, comme se l'imaginent les esprits crédules: la Syrie est une mosaïque religieuse mais le parti Baas est laïc, le Hezbollah et l'Iran, ses alliés, sont chiites, alors que le Qatar qui a depuis changé son fusil d'épaule est sunnite comme l'est majoritairement mais pas entièrement l'Arabie Saoudite. Quant à la Turquie, membre de l'Otan, elle est obsédée par la question kurde et pensait s'en débarrasser en créant un Kurdistan...en Syrie. En 2015, la Russie décide d'intervenir aux cotés de l'armée syrienne, pour éviter à ce pays le sort de la Libye, ce qui fut l'occasion pour la propagande russophobe de se déchaîner en Occident.
On aurait pu espérer qu'avec la présidence Trump, et l'accession à la Maison Blanche d'un business man, la propension à la conflictualité inhérente à l'empire états-unien allait s'atténuer. Le Pentagone peut se rassurer, il n'en sera rien, mais la question se pose, depuis la fin de la présidence Eisenhower, en 1961, de savoir qui dirige réellement les USA, car ce président fut le premier à avoir posé cette question, occultée depuis. Il est en effet souvent question d'un "deep state", mais cette approche est dénoncée comme conspirationniste par les tenants du politiquement correct. On peut toutefois constater que ce pays considère de plus en plus ses alliés de l'OTAN comme de simples vassaux. Non seulement ceux-ci n'ont pas été consultés lorsqu'il s'est agi de déchirer le traité signé en 2015 avec l'Iran concernant son potentiel nucléaire, traité que l'Iran avait jusqu'alors respecté, mais ils ont été sommés de suivre la politique de sanctions décrétées à Washington. L'extraterritorialité du droit américain et la prééminence du $ dans les échanges internationaux permettent de mettre au pas les récalcitrants. Le président russe dans un discours prononcé en juin dernier a déploré la "dégénérescence du modèle de mondialisation universaliste et sa transformation en une parodie, une caricature d’elle-même, où les règles internationales communes sont remplacées par les lois, mécanismes administratifs et judiciaires d’un pays ou d’un groupe d’États influents. Je regrette que c’est ce que les États-Unis font aujourd’hui lorsqu’ils étendent leur juridiction au monde entier". Mais le Kremlin aurait tort de se plaindre de cette évolution: les récents développements concernant la situation iranienne indiquent que c'est la Russie qui pourrait bien être la grande bénéficiaire de cette crise voulue par les USA. En réalité, toutes les guerres que les États-Unis et leurs alliés ont mené au Moyen-Orient, tant d'abord contre l'Iran par Irak interposé (1980-1988) que contre l’Afghanistan (2001), que contre l’Irak (2003), le Liban (2006), la Syrie (2011) et l’Irak à nouveau(2014) par Daech interposé et le Yémen (2015) ont toujours fini par renforcer l’Iran et ses alliés.
Le 02.08 dernier, les USA, sans consulter qui ce soit, ont décidé de se retirer du traité sur les Forces Nucléaires Intermédiaires (FNI), signé en 1987 par Gorbatchev et Reagan, au motif, selon Pompéo, que la Russie l'aurait “délibérément violé, mettant en danger les intérêts suprêmes des USA”. Ceci, naturellement sans en apporter le moindre commencement de preuve. Il convient de garder à l’esprit le facteur géographique : tandis qu’un missile nucléaire USA à portée intermédiaire, basé en Europe, peut frapper Moscou, un missile analogue basé par la Russie sur son propre territoire peut frapper les capitales européennes, mais pas Washington. Si l’on inverse le scénario, c’est comme si la Russie déployait des missiles nucléaires à portée intermédiaire au Mexique. C'est finalement comme pour les sanctions, les USA décident mais c'est l'Europe qui en subit les conséquences! Il est affligeant et désespérant que personne, rigoureusement personne, dans la classe politique européenne, ne relève cette incohérence et cette lâcheté. Au contraire, a déclaré Pompéo dans son annonce, "les États-Unis apprécient grandement la constante coopération et détermination des alliés de l'OTAN dans leur réponse à la violation russe du Traité". Il est vrai que les stratèges politiciens occidentaux sont parvenus à créer une fausse opposition, les fameux populistes, qui n'ont d'autres rôles que d'être les fous du roi (voir le Monde Diplomatique, septembre 2018: Libéraux contre populistes, un clivage trompeur). Quant à la gauche, elle en est réduite à suivre les menées communautaristes de quelques groupuscules se prétendant "racisés" ou en cours de "racisation". La gauche a plongé dans la schizophrénie quand elle a accepté le néo-libéralisme moyennant quoi, elle est en recherche obsessionnelle de groupes à victimiser; c'est ce qu'appelle le Monde diplomatique d'août 2019, une "gauche cannibale".
La Russie a prévenu que si de nouveaux missiles nucléaires devaient être positionnés en Europe, elle pointera ses propres missiles sur les territoires où ceux-ci seraient stockés. On notera qu'à l'Assemblée Générale de l'ONU du 21.12.2018, l'Union Européenne a rejeté la résolution proposée par la Russie destinée à préserver le traité FNI par l'établissement de mécanismes de vérification. De plus, l'histrion qui sévit actuellement à la Maison Blanche a déclaré que de tels missiles seraient également déployés en Asie, menaçant directement la Chine. On rappellera que la Chine n'a pas tiré un seul coup de feu à l'extérieur de ses frontières depuis 1979. On espère surtout que le Japon n'oubliera pas qu'il a servi de cobaye pour l'expérimentation nucléaire en 1945. En réalité, Trump fait tout ce qui lui est possible de faire pour contrer le nouvel ordre mondial, non celui voulu par les néo-conservateurs US, mais le «partenariat stratégique et global de coordination pour la nouvelle ère», concocté dans les 2 anciennes capitales du communisme. On notera la passivité de la presse et des faiseurs d'opinion en général qui ne trouvent jamais rien à redire aux décisions unilatérales des USA, lesquelles peuvent avoir des répercussions sur l'ensemble du monde occidental mais qui montent au créneau pour défendre les "valeurs" à Hong-Kong. Mais tout porte à croire que l'Occident cherche à y promouvoir une guerre des civilisations pour affaiblir médiatiquement la Chine.
Alors évidemment, il convient de se demander au service de quels intérêts ont été élaborées en Occident ces politiques démentes. L'ancien candidat F. Hollande, pour une fois d'une éblouissante audace, à moins qu'il ne s'était agi que d'un moment d'inconscience, avait déclaré : "Je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature. Il ne sera pas élu. Et pourtant, il gouverne. Mon adversaire, c'est le monde de la finance... Les banques, sauvées par les Etats mangent la main de ceux qui les ont nourri. Ainsi la finance s'est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle". Ah, comme cela fut très vite oublié !
Mais enfin, ce n'est pas F. Hollande qui allait défier ses maîtres. Finalement, de quoi s'agit-il quand on parle du monde de la finance?
Un peu d'histoire: en 1625, en GB, le roi est désargenté. Un banquier, du nom de William Paterson, eut l'idée suivante: la banque prêterait au gouvernement une somme de 1,2 million de £. Il s'agirait d'un prêt perpétuel, assorti d'un taux d'intérêt annuel à 8%, et de l'agrément national exclusif d'imprimer les billets. Ainsi le capital ne serait jamais remboursé moyennant un paiement d'intérêts annuel. Les espèces réunies, sous la forme d'un "tonnage act" pour le prêt, restent dans les coffres de la banque, qui remet à la Couronne leur équivalent en billets transférables dûment munis de son sceau. Cette dernière lui retourne des reconnaissances de dette, également transférables. Donc l’idée de base de Paterson était que la dette privée du Roi et des membres de la famille royale se transforme en dette nationale perpétuelle, garantie par les impôts levés sur le peuple, et que la banque d'Angleterre émette elle-même la monnaie nationale fondée sur la dette. Les banquiers dégageraient ainsi d’énormes crédits et obtiendraient tous les revenus dont ils avaient rêvé grâce à des intérêts très élevés. On aurait pu croire qu’il s’agissait d’une situation gagnant-gagnant, si ce n’est que les impôts prélevés sur le peuple servaient de garantie. Par la suite, le système sera affiné, notamment par la banque Rothschild, dont l'un des stratèges, écrivait en 1863: "les quelques personnes qui comprennent ce système seront soit si intéressées par ses profits, soit si dépendantes de ses faveurs, que cette classe ne montrera aucune opposition, alors que la grande masse du peuple, intellectuellement incapable de comprendre les avantages que tire le capital du système, portera son fardeau sans se plaindre et peut-être même sans se douter que le système va à l‘encontre de ses intérêts" (3).
La dette n'a jamais été remboursée, et son accroissement, de 1,2 million de £ au 17e siècle à plus de 2.100 milliards aujourd'hui, assure de confortables revenus à la Banque Centrale d'Angleterre qui, avec ou sans Brexit, restera indépendante. La fille aînée de la GB, les USA, adoptèrent le même système en 1913, et l'endettement du gouvernement US passa de 0 à 21.000 milliards de $. La France suivit le chemin en 1971, son endettement passa de 0 à 2.400 milliards d'€ et le contribuable voit chaque année filer plus de 45 milliards d'€ de paiement d'intérêts à "ce qui n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti et ne présentera jamais sa candidature".
Qu'est-ce qui assure le plus de revenus à la ploutocratie? La guerre et les crises qui sont pour les Etats des moments de fort accroissement de la dépense publique et donc de transfert de la richesse publique vers le secteur privé, lui-même soumis à cette camarilla financière parasitaire. Ainsi l'endettement US est passé de 16 à 269 milliards de $ entre avant et après la 2e guerre mondiale. La crise de 2008, une crise engendrée par les produits spéculatifs bancaires anglo-saxons, a coûté à la France 1.541 milliards d'€ de PIB perdu en 10 ans(4), augmentant la dette publique de 360 milliards d'€ tout en laissant sombrer ses fleurons industriels (Pechiney, Arcelor, Alstom, Technip, Lafarge, Alcatel et tant d'autres). Mais il n'y a pas que des perdants: alors que durant cette décennie, 72% des ménages au sein de l'OCDE ont vu leurs revenus baisser, 82% de la richesse produite est allée enrichir le patrimoine des 1% les plus fortunés(5). Le néo-libéralisme a transformé la théorie du ruissellement keynésien en théorie de l'évaporation en faveur des premiers de cordée et on comprend son obsession à vouloir réduire sans cesse le rôle de la puissance publique, sauf bien évidemment pour les questions militaires. Les traités de libre-échange, dont l'une des fonctions est de dépouiller encore plus les Etats au profit des multinationales par le biais des tribunaux d'arbitrage, vont dans ce sens également.
Dans un tel contexte, on ne peut que s'attendre à un accroissement des dépenses militaires et donc au renforcement du rôle de l'OTAN, les ennemis désignés étant la Chine et la Russie qui n'ont jamais accepté et n'accepteront jamais le système de banque centrale indépendante couplé à la dérégulation bancaire et à l'obsession des flux (des personnes, des marchandises, des capitaux) plutôt que le développement fondé sur l'investissement productif. Un succès économique de ces pays serait une catastrophe pour les USA et leurs vassaux, mais entraînera peut-être une salutaire prise de conscience pour les populations de ces pays. Le bruissement pré-totalitaire en cours, où la dérégulation financière s'accompagne d'une régulation de plus en plus contraignante de la vie des citoyens, quotidiennement sommée de se conformer aux oukases du politiquement correct, servira peut-être de détonateur. Plus que jamais, la marche du monde est régie par l'opposition entre le camp des déstabilisateurs des Etats et celui de la défense des indépendances et des souverainetés nationales.
-----------------------------------
(2)https://www.zeit.de/2015/20/ukraine-usa-maidan-finanzierung/seite-2
(3)https://ne-np.facebook.com/groups/1604241563192668/permalink/2391336194483197/
(5)https://www.youtube.com/watch?v=W7OY8TeglnM
Résumé de la discussion
Dans l'ensemble, les intervenants se sont déclarés favorables à la pérennité de l'OTAN, bien qu'on soit resté au niveau des idées générales.
L'OTAN devrait avoir un rôle d'endiguement vis-à-vis de la Russie sans qu'il n'a été précisé en quoi la Russie constituait une menace pour l'Europe. L'annexion de la Crimée par la Russie a été considérée comme illégale au regard du droit international, ce que conteste le Kremlin, mais des membres de cette organisation ont eux-mêmes participé à des guerres illégales menée sous l'égide des seuls USA, comme si ce pays était le propriétaire légitime de l' OTAN.
Il a été question des Tatars de Crimée sans qu'il fut précisé en quoi et de quelle manière ils sont opprimés.
De même pour les pays Baltes: ils seraient sous la pression du Kremlin mais il n'a pas été précisé de quelle nature seraient ces pressions.
L'Europe devrait être reconnaissante vis-à-vis des USA pour son rôle durant la 2e Guerre Mondiale et participer davantage au financement de l'OTAN. Mais les USA sont intervenus après la bataille Stalingrad et suite à Pearl Harbour. Le 3e Reich était déjà condamné.
Il ne peut y avoir d'armée européenne, car il serait impossible de déterminer qui la commanderait. En général, nécessité fait loi, et si la nécessité d'une armée européenne sous commandement européen n'apparaît pas, c'est qu'il n'y pas d'ennemi et donc pas de menace.
De façon un peu cavalière, il a été affirmé la continuité entre l'URSS de jadis et la Russie actuelle. On peine pourtant à voir de quel messianisme révolutionnaire est porteur la Russie d'aujourd'hui.
La question de la finance mondialisée qui serait le véritable maître d'œuvre des politiques menées en Occident a été effleuré.
L'extraterritorialité du droit étatsunien (1)
> L'Etat US aime à se présenter, aux yeux du monde, comme étant le défenseur à la fois des libertés publiques et des droits individuels. Mais en n'oubliant pas que "charité bien ordonnée commence par soi-même". Ainsi n'a-t-il jamais voulu reconnaître la compétence de la CPI, bien qu'étant, en ce XXIe siècle, la nation guerrière par excellence.
> Pour faire triompher le droit, ou du moins la conception qu'il s'en fait, l'Etat US a su mettre au point une véritable "machine de guerre juridico-administrative", officiellement pour moraliser la vie des affaires, en réalité pour servir les intérêts propres à sa puissance. Car, évidemment, ni l'ONU, ni l'OMC, ni aucune institution multilatérale ne sont consultées lorsque la Maison Blanche décrète des sanctions contre un pays. Terme que récuse d'ailleurs un grand nombre de juristes internationaux, préférant parler de " mesures unilétales de contrainte économique". Les victimes sont tout autant les pays désignés comme ennemis que les pays alliés aux USA, qui subissent de fait une véritable vassalisation de leur économie. De même, c'est en fonction de principes propres à leur juridiction que sont lancées des procédures aboutissant à de lourdes amendes contre des entreprises qui violeraient leurs lois, comprendre par là, qui nuiraient à leurs intérêts.
Lorsque, dans les années 1970, éclate l'affaire du Watergate, la corruption des entreprises apparaît au grand jour et ne peut plus être occultée. En 1977, le congrès vote la loi dite FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), première loi US d'application extra-territoriale. Cette loi fut violemment critiquée par des associations d'actionnaires, car elle ne concernait que les entreprises américaines. Pour rendre cette loi applicable aux entreprises de toute nationalité, le président Carter soumet alors l'affaire au Conseil économique et social de l'ONU qui crée un "Comité spécial sur les paiements illicites". Les travaux sont suspendus en 1979, faute d'accord. L'affaire est alors portée par les USA devant la Chambre de commerce internationale, qui se contentera de rédiger un ensemble de règles de bonne conduite dont auront à s'inspirer les entreprises de tous pays. Après un très long travail de lobbying, ce fut finalement l'OCDE qui, en 1997, adopta un texte reprenant les termes du FCPA. Celui-ci, dans son article 5 déclare: "les enquêtes en cas de corruption d'un agent public étranger...ne seront pas influencées par des considérations d'intérêt économique national". Le gouvernement US peut donc légitimement soutenir qu'en cas de corruption, le droit US s'applique, et par voie de conséquence, les autorités judiciaires US seront compétentes. Restait ensuite à faire en sorte que seul le droit US s'applique.
> Parallèlement au FCPA est édicté en 1992 le "Cuban democracy act", puis en 1996 le "Cuban liberty and democratic Solidarity Act", plus connu sous le nom de loi Helms-Burton. Selon les termes de cette loi, toute relation commerciale d'une firme US avec Cuba est interdite, et cela vaut également pour n'importe quelle entreprise étrangère dès lors que celle-ci a des relations, si ténues soient-elles, avec les USA. Le législateur US mit au point la notion de "fraude comptable", un terme suffisamment vague pour justifier toute sortes d'investigation dans les comptes d'une entreprise.
> En 1996, est voté dans les mêmes termes par le Congrès US, l'"Iran and Libya Sanctions Act", connu sous le nom de loi d'Amato-Kennedy, et ce, au nom de la lutte contre le terrorisme.
> Il est à noter que ces lois furent acceptées par les Européens, alors que rien ne les y contraignait. Ils n'auront pas d'autre ambition que de vouloir négocier des exemptions pour leurs entreprises. Pourtant, en 1982, la France et l'Allemagne s'étaient opposées à la prétention des USA à imposer un embargo qui devait s'appliquer aux filiales européennes de multinationale US suite à la décision de construire un gazoduc où l'URSS serait un partenaire des Occidentaux. Mais Mitterrand et Schmidt avaient dénoncé "l'extension extraterritoriale de la législation américaine" et les travaux purent être menés à leur terme. Mais à cette époque, en Europe, on raisonnait encore en terme de souveraineté nationale.
> En 1996 encore, le ministre français des Affaires Etrangères, H. de Charrette, considère que ces lois US "sont une violation caractérisée des règles du commerce mondial et n'ont rien à voir avec la lutte contre le terrorisme"; il pousse Bruxelles à agir! Bruxelles porta l'affaire devant l'OMC et...retira sa plainte l'année suivante tout en enjoignant aux Cubains à démocratiser leur régime. Les USA avaient gagné mais ils n'oublieront pas la fronde. En 1997, un homme d'affaire espagnol qui passait ses vacances en Floride, est arrêté pour "commerce avec l'ennemi". Le commerce en question consistait en la vente de couche-culottes. La sanction fut de 16 mois de prison. Le Canada s'insurge alors car il s'agit selon lui d'une violation du droit international, d'autant que le gouvernement des USA laisseront ensuite leurs compagnie de téléphone s'installer à Cuba. La France s'engage au niveau gouvernemental à protéger ses entreprises. Un accord est signé avec le gouvernement cubain, et les USA laisseront faire, exhortant Paris à être vigilant sur la question des droits de l'homme. Mais ni les Espagnols, ni les Italiens, ni les Allemands n'oseront suivre la France qui dut faire cavalier seul. Ce qui réjouit le CNPF de l'époque qui déclara que les lois d'extra-territorialité sont "absurdes politiquement et inacceptables dans leur principe". Etait-ce ce qui allait irriter le gouvernement US? En 2000, une plainte fut déposée contre la SNCF au nom du "Foreign Sovereign Immunities Act", un texte datant de 1976 dont la particularité est de ne pas reconnaître l'immunité juridictionnelle des Etats. Le président Chirac avait reconnu publiquement la responsabilité de la France dans la rafle du vel d'Hiv en 1942. Cela pouvait se justifier moralement, mais c'était une faute politique. Les USA avaient reconnu diplomatiquement le gouvernement de Vichy et y avaient envoyé un ambassadeur. Y avait-il eu une protestation US au moment où les faits se sont déroulés, et ce alors que l'ambassadeur était en poste? Y en avait-il eu en 1940, lorsque les premières lois anti-juives furent promulguées? En tout état de cause, la République française accepta de verser 60 millions de $ aux victimes et à leurs descendants. Juste réparation ou extorsion légale de fonds? C'est à chacun de se faire son opinion, mais comment peut-on justifier, sur la base du droit, l'application rétroactive d'une loi?
> On mettra cette affaire en parall&e