PHILOUSOPHE
La Grèce en Europe aujourd'hui.
Texte de Jean-Luc.
« Commençons par rétablir une évidence. La crise de la dette dans les pays ne résulte pas d'erreurs économiques, mais d'une décision politique.
- En France, la réforme de la Banque de France de 1973 a interdit que celle-ci prête de l'argent à l'Etat à taux zéro. L'Etat est donc allé emprunter avec intérêt sur les marchés privés. Si le pays en était resté au système précédent qui permettait à la Banque de France de prêter à l'Etat à taux zéro, la dette, selon une interview donnée par Michel Rocard récemment, serait de 16 ou 17% du PIB, soit insignifiante.
- Ce qui veut dire que la France ou d'autres n'ont pas vécu « au-dessus de leurs moyens », mais qu'ils ont dû débourser, alors qu'aucune nécessité économique ne l'exigeait, des centaines de milliards d'euros constants au profit des marchés financiers. Pour la Grèce, le fruit de cette politique, par la suite officialisée et imposée par Bruxelles, s'est concrétisé en une récession la plus sévère jamais connue par un pays européen en temps de paix. Le préjudice, pour ce pays, s'élève à 320 milliards d'euros.
Au début des années 2000, c'est au sein de la zone euro, en Grèce que le taux d'intérêt servi aux créanciers est le plus élevé, le pays étant en effet peu développé. Les banques françaises et allemandes s'engouffrèrent dans ce marché, inondèrent de liquidités les banques grecques quand elles ne créèrent pas elles-mêmes des filiales. Les crédits explosèrent, ceux octroyés aux ménages furent multipliés par 7, ceux aux entreprises par 4. Tout ne fut que spéculation effrénée, car on ne se soucia que de rentabilité immédiate, la solvabilité étant affirmée comme assurée par de rémunérateurs financements sans fin. Alors que le métier de banquier consisterait avant tout à s'assurer de la solvabilité du client auquel il prête. Et, lorsqu'éclata la crise des subprimes en 2008, ce fut un coup de tonnerre sur toute la planète Finance, lequel jeta une suspicion sur l'ensemble du système bancaire occidental. Pour éviter la faillite des banques grecques, le gouvernement les renfloua à hauteur de 25 milliards d'euros. C'en était trop pour les agences de notation qui dégradèrent la note de l'Etat grec, ce qui eut pour effet une hausse considérable des taux pour ses emprunts. Pourtant, à la même époque, la Réserve Fédérale US injecta 29 000 milliards pour soutenir les banques US, tandis que la Banque Centrale Européenne (BCE) intervint à hauteur de 5000 milliards d'euros.
« Malgré ces mesures, l'économie grecque entra dans une phase de récession. Le gouvernement de ce pays ne voulut pas s'adapter à la nouvelle donne et falsifia ses comptes dans le but d'obtenir une meilleure notation. Le pot aux roses fut découvert, et le FMI, de même que la Commission européenne, commencèrent à s'en mêler. On nomma des experts, la fameuse Troïka, qui concoctèrent deux plans d' « aide », respectivement de 110 et 130 milliards d'euros. La quasi-totalité de ces sommes fut captée par les banques étrangères qui voulurent être remboursées de leurs prêts, tandis que l'on commença à imposer des mesures d'austérité à la population.
- Le pays verra alors, entre 2008 et 2015, son PIB baisser de 42%, son taux de chômage grimper à 27% de la population active, ses salaires et retraites baisser jusqu'à 70% de ce qu'ils étaient. Evidemment, la population exsangue ne pourra rembourser que des miettes et, par le jeu des intérêts cumulés, la dette atteindra le niveau de 320 milliards en juin 2015.
- Qu'a pu faire le gouvernement? Rien, n'étant plus maître chez lui.
• Il s'est en fait agi d'un véritable hold-up, les banques ayant privatisé leurs profits jusqu'en 2008, puis ont réussi, par le biais des prêts octroyés, à se rembourser avec intérêt (minoré, il est vrai) et refourguer leurs pertes aux Etats après cette date. Dans le cas grec, avant 2008, la dette était de 80% dans les mains des banques privées. Après cette date et la récession qui a suivi, c'est le secteur public qui détient dans la même proportion la dette qui a par ailleurs explosé, les marchés exigeant par la suite des intérêts usuraires. Des économistes américains cités par Mediapart constatent: « Nous n'avons pas connaissance dans toute l'histoire des dettes souveraines d'un autre cas de migration de crédit du secteur privé vers le secteur public aussi énorme. » Le Président de la Commission des budgets du Parlement européen, Jean Arthuis, fera, ingénument ou cyniquement, la même constatation dans le journal Libération du 11/05/2015.
* ll ne s'agit donc pas d'une crise des finances publiques grecques, mais bien d'une crise bancaire qu'il faut replacer dans le contexte de crise généralisée des années 2008 et 2009,
dont l'effet sur les finances publiques a été amplifié par la décision politique de financement budgétaire des Etats par les marchés financiers.
- La Grèce s'est en outre trouvée piégée par l'euro. Lorsqu'un Etat est endetté, il peut pour soulager sa dette, créer un peu d'inflation par de la création monétaire, de sorte qu'ainsi l'économie ne soit pas étouffée. La Grèce, ayant perdu sa souveraineté monétaire ne put évidemment se rallier à cette solution.
- D'ailleurs, dans l'économie néo-libérale qui, contrairement à l'économie capitaliste traditionnelle, est une véritable économie de casino, ce sont les banques qui en multipliant les instruments spéculatifs, les produits dérivés, créent de la fausse monnaie. Et, ceci, par la création de produits ne reposant sur aucun actif réel. Ce sont des échafaudages de «pyramides de Ponzi » (il n'y a des gagnants que tant qu'il y a des entrants sur le marché) qui, régulièrement s'effondrent, sauf qu'en 2008, l'effondrement a été tel qu'il a affecté l'économie réelle. Le marché des subprimes ayant capté une bonne part de l'épargne disponible pour finalement la détruire intégralement.
- Mais il y a plus grave: lors de la présentation du rapport pour la vérité sur la dette publique au Parlement grec le 17/06/2015, ont été produits des documents du FMI datés du 25/03/2010 où l'on constate que la Grèce avait servir de laboratoire à une politique néo-libérale de contraction de la dépense publique par la baisse des salaires et des retraites et par la hausse de l'endettement public.
- Le but étant d'expérimenter une politique économique tournant le dos à l'économie de redistribution et de « droits acquis » pour les salariés. Ceci, présenté comme une spécificité européenne, est qualifiée de source de gaspillage et de blocage pour les grands financiers de la planète. Le prétexte pour ce faire était tout trouvé, puisqu'il fallait « rétablir l'équilibre des comptes publics ! » Cette « thérapie de choc » n'est pas sans rappeler celle mise en place en Russie dans les années 1990 et brutalement interrompue par Poutine, ni celle mise en place au Chili de Pinochet qui devait servir de galop d'essai à la mise en place des théories monétaristes, lesquelles théories serviront par la suite de cadre à la déréglementation financière de Reagan et Thatcher. De plus, ce fut dès 2010, que la BCE menaça la Grèce de ne plus approvisionner ses banques en liquidité si elle se montrait indocile.
- Bref, la Troïka se mua en super-Thatcher et signifia à la Grèce: There in no alternative... La seule solution eut été de sortir de la zone euro et de s'inspirer de l'exemple islandais. Dans ce pays, les trois principales banques s'étaient elles aussi engagées dans le jeu risqué de la spéculation. Elles avaient attiré des fonds d'épargne étrangers avec des taux d'intérêt surévalués et investissaient les sommes ainsi collectées dans des placements financiers risqués, mais dans un premier temps très rémunérateurs. Tout s'écroula, tel un château de cartes en 2008, et l'Islande se retrouva avec une dette non pas de 175% du PIB comme la Grèce, mais de 900%.
- L'Etat islandais refusa d'injecter la moindre couronne dans ses banques, elles firent donc faillite et furent immédiatement nationalisées. L'Etat se borna à ne protéger que les dépôts de ses ressortissants. Toutes les opérations effectuées en monnaie étrangère furent déclarées illégales tant et si bien que l'Angleterre fit savoir qu'elle voulut inscrire l'Islande dans la liste des Etats terroristes. Mais le gouvernement islandais resta de marbre, les directeurs des banques, non seulement ne reçurent aucune retraite chapeau, mais furent condamnés à cinq ans de prison, ce qui effectivement aux yeux de certains peut apparaître comme une mesure terroriste.
- L'Islande retrouva le chemin de la croissance et annula sa demande d'adhésion à l'Union européenne. Au vu de cet exemple, on peut se demander pourquoi les partis politiques grecs -Syriza inclus - ont accepté ce qui est devenu pour ce pays un régime colonial? La réponse, en réalité, n'est pas à chercher du côté de l'économie, mais se trouve dans le domaine politique. Celui qui a été le plus clair a été l'ancien conseiller US, Z. Brzezinsky qui a déclaré ce printemps « qu'une Grèce amie de la Russie pourrait paralyser la capacité de l'OTAN à réagir à l'agression russe ». Il est vrai que Tsipras avait dans un premier temps critiqué les sanctions occidentales à l'égard de la Russie et s'était rapproché de Moscou. Le gouvernement, issu des élections de janvier 2015 et donc démocratiquement élu, avait contacté la Banque pour le Développement, banque créée par les BRICS et la Banque d'investissement pour les infrastructures asiatiques, dirigée par la Chine et dont l'ambition est à terme, de supplanter le FMI.
* Moscou avait conseillé des solutions radicales comme la réquisition de la banque centrale d'Athènes et la nationalisation du secteur bancaire grec. Mais Juncker et ses séides, agissant en fidèle affidés des intérêts de leurs maîtres à Washington, ont dû exercer les pressions les plus vives sur Athènes ( « il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les Traités européens ») et ont dû rappeler à son bon souvenir l'opération «Prométhée » qui avait vu l'instauration du régime des colonels en 1967 pour prévenir alors toute tentative de rapprochement avec l'URSS de jadis. Et, pour bien signifier aux Héllènes leur devoir d'obéissance, le FMI, dans un accès de bonté, accorda un « hait-cut », une remise de dettes à l'Ukraine, mais pas à la Grèce! Bien au contraire, le pays est devenu maintenant un protectorat ne pouvant agir que sous la férule de Bruxelles. L'accord inique du 05/09/2015 stipulant que Bruxelles pourra rédiger tous les projets de loi pour tous les secteurs, de l'impôt sur le revenu et le marché du travail à la politique de santé en passant par le système de protection sociale ». Autant dire que la Grèce va devenir le laboratoire néo-libéral que concocte Washington pour l'Europe... En outre, la Grèce, vu sa position géographique au coeur de la Méditerranée, est, pour les stratèges de l'Otan, une pièce essentielle. Face à une Turquie instable et qui s'est de surcroît faite le parrain des « Frères musulmans », il est hors de question pour Washington de laisser filer la Grèce alors que parallèlement se rallume la guerre froide, l'empire US ne s'étant jamais consolé de n'avoir pu faire de la Russie son « Hinterland », comme cela lui avait semblé possible du temps d'Eltsine.
Après une introduction de Jean-Luc sur l'état actuel de la Grèce, le débat s'ouvre.
1) Eclairages sur l'état économique et financier de la Grèce aujourd'hui. Recherche des causes de cet état de crise.
• Les rentrées fiscales de la Grèce sont insuffisantes depuis de longues années: les hauts revenus pratiquent l'évasion massive de leurs capitaux, il existe des régimes d'exception pour les grosses fortunes, en particulier pour les armateurs. Les professions indépendantes qui représentent un tiers de l'emploi total ne déclarent pas la totalité de leurs revenus. Même si les deux tiers des contribuables sont prélevés à la source, l'impôt ne rapporte pas ce qu'il devrait rapporter.
• Le 1er janvier 2001, la Grèce rejoint la zone euro. A cette fin une partie de la dette et du déficit public est sciemment dissimulée. Les comptes de la nation ont été maquillés dès 2001-2002, sous majorité Pasok avec l'appui des conseillers de Goldman Sachs. La dérive financière a continué sous les deux gouvernements Karamanlis, de 2004 à 2009. La Nouvelle Démocratie va creuser de dix points de PIB le déficit structurel du pays toujours sous la supervision de Goldman Sachs.
• On ne peut ignorer la part de responsabilité du capitalisme financier international dans la dérive financière de la Grèce. L'Europe s'est elle-même mise sous la dépendance des établissements financiers qui ne pratiquent plus le capitalisme traditionnel, du temps où les Bourses finançaient les entreprises. Depuis la dérégulation il y a une multiplicité de produits dérivés qui font de l'économie une économie casino. Il y a une opération boursière tous les cinq millièmes de seconde. 90% des opérations boursières concernent les produits dérivés et non l'économie réelle. La Chine a interdit ce système: la Bourse ne doit financer que les entreprises. L'Europe serait bien avisée de faire la même chose. La volonté politique manque pour cela et l'Europe fédérale n'est pas d'actualité, semble-t-il.
• Par ailleurs, lors de la crise de 2008 il y a eu une spéculation démentielle. Les Etats ont décidé de racheter les dettes faites par les banques privées tant aux Etats-Unis qu'en Europe. Depuis rien n'a réellement changé. Le système spéculatif continue de s'emballer ce qui fait craindre une nouvelle crise dans un avenir relativement proche. Cette crise risque d'être d'une telle ampleur que les Etats auront du mal à racheter les dettes des banques. On peut imaginer une fin à l'islandaise: les banques feraient faillite et les Etats les nationaliseraient. Ce qui permettrait peut-être de repartir sur les bases d'un capitalisme assaini.
-Il y a une véritable asymétrie de l'information dans le domaine financier, en général dans le monde, comme le souligne Stiglitz, prix Nobel d'économie. A cause de ce phénomène les marchés ne permettent pas d'aboutir à un équilibre. Il est possible de penser, sans preuve absolue cependant, que les politiques grecs ont un accès à l'information plus limité que l'exécutif allemand par exemple. Le marché n'est pas régulateur notamment parce qu'il y a une asymétrie d'information.
- Les opérations financières à l'échelle mondiale échappent aux gouvernants en général. Mais la spéculation ne peut exister sans économie réelle. Si l'économie réelle fait défaut il n'y a plus de spéculation possible. On « met le stress » sur les financiers, puis sur les politiques, puis on voit que derrière la finance il y a l'économie réelle. Tout est interconnecté. En ce qui concerne la Grèce, ce qui reste essentiel c'est que l'économie grecque doit repartir, or elle est trop faible. Déjà au moment dans son entrée dans la CEE, le tableau économique de la Grèce posait problème: plus de 26% des actifs étaient dans le secteur primaire contre 8% alors dans le reste de l'Europe. Certains produits agricoles grecs comme l'huile d'olive, le vin, les fruits et légumes allaient concurrencer des produits déjà excédentaires en Italie ou en France dans le cadre de la politique agricole commune. Le secteur secondaire grec est alors peu développé et peu compétitif. La Grèce obtient alors une période de transition de cinq années pour réformer son économie. L'état actuel de l'économie grecque reste manifestement très fragile aujourd'hui encore.
Dans ce contexte financier international qui a pour effet un alourdissement de la dette grecque, quel rôle le politique joue-t-il ou peut-il jouer?
2) Les difficultés des politiques dans la crise grecque.
* Les institutions européennes n'ont pas joué le rôle attendu:
- Alors que l'union monétaire nécessite une cohérence supranationale, chaque membre de la zone euro a fait valoir ses intérêts en fonction de son agenda électoral (Merkel a attendu ses propres élections pour faire avancer les négociations de la Grèce en 2010 par exemple).
- La gestion de la crise a révélé le rôle secondaire et même conflictuel joué par la France dans le couple moteur franco-allemand en partie à cause de ses propres difficultés économiques.
- L'Allemagne est un leader réticent: elle est rétive à s'engager dans une solidarité qui pourrait régler la crise des dettes souveraines
- Le Parlement européen, seul organe élu directement, n'a pas été consulté. La Commission européenne a partagé la table des négociations avec le FMI et seule la BCE a joué un rôle actif après juillet 2012. Mais cela a conféré un rôle technique et non démocratique à la résolution de la crise. La BCE n'est responsable devant personne de ses décisions.1
• Tsipras a tenté par le référendum du 5 juillet 2015 de donner la parole aux Grecs en ce qui concerne la gestion de la crise. Le vote massif en faveur du non n'a pas été pris en compte par l'Europe. De ce fait, plus rien ni personne ne porte plus officiellement la position alternative aux mesures d'austérité et aux réformes structurelles depuis 2010. L'alternative politique consistant en une restructuration ordonnée de la dette grecque et plus généralement des dettes européennes n'a jamais été portée politiquement. Comme le dit Emmanuel Todd dans son ouvrage, Après la démocratie, le peuple n'a plus la parole. Et quand le peuple tente de s'exprimer il est taxé de populisme. Ce qui aurait pu forger le début d'une citoyenneté européenne a été étouffé. L'accord d'un troisième plan de sauvetage est assorti de mesures d'austérité encore plus sévères signées après le référendum. On a le sentiment d'une Grèce humiliée.
• Cette crise de défiance des Grecs à l'égard de leurs élites politiques est en résonance avec la défiance de plus en plus généralisée des électeurs européens à l'égard de leurs représentants.
3) L'éclairage géostratégique de la crise grecque.
» Les Etats-Unis ou la Russie n'ont pas tellement intérêt à l'existence de l'Europe. Il y a une hypothèse que la Grèce pourrait tomber dans l'orbite de la Russie. Il y a une recomposition avec la Russie qui intervient en Syrie. « Israël se rapproche actuellement de la Russie et des chiites liés aux Russes. Voyant cela, Tsipras a conclu une alliance militaire entre la Grèce et Israël. Israël bénéficie maintenant d'une base militaire en Crète.
En conclusion, la question de la nature de l'Union européenne est posée. Sa taille devenue très importante semble être une cause de la paralysie décisionnelle. L'Europe ne présente pas d'unité économique, politique ou militaire. Cette division permanente fait penser que le nombre de pays intégrés dans l'Union européenne en réduit l'efficacité. Entre la Grèce et l'Europe les torts semblent être partagés.
Ces éléments sont tirés de la Revue Esprit N°417, Août-Septembre 2015, pages 198-199.
L'hypothèse fédéraliste européenne serait une solution. Si les peuples européens refusent ce projet, l'Europe est bel et bien remise en cause.
Par ailleurs, les habitudes financières spéculatives des banques sont destructrices au niveau international. Il conviendrait de revenir à un capitalisme investisseur dans l'économie réelle. Varoufakis, ancien ministre des finances de Tsipras, propose sa solution dans ces termes: « Nous sommes à un tournant de l'Histoire, d'une part le chemin de continuité lié à l'euro, c'est l'acceptation de la fin de la démocratie, de la classe moyenne et de l'Etat providence, un équilibre précaire de sous-emploi et de colère sociale menacé par des risques très élevés de ruptures nationalistes et xénophobes. De l'autre, une décision partagée, sans actes unilatéraux, à aller au-delà de la monnaie unique et du cadre institutionnel actuel pour fixer la responsabilité démocratique de la politique monétaire, une solution mutuellement bénéfique malgré un chemin incertain, avec des conséquences douloureuses au moins pour la période initiale.
Il y aurait une solution qui pourrait permettre une sortie de crise: un accord multilatéral disant aller au-delà de la monnaie unique comme illustré par la proposition de GREXIT assisté (proposition du ministre des finances Schàuble et approuvé par Merkel dans un premier temps avant d'être renié), serait de ne pas abandonner la Grèce à elle-même mais d'opérer une sortie accompagnée par la décote de la dette publique. Cela est actuellement impossible à réaliser dans le cadre actuel des traités qui erraient être renégociés. Cette route de la discontinuité peut être la seule pour sauver l'Union européenne, revitaliser les démocraties bourgeoises et inverser la tendance de la dévaluation du travail. Pour une désintégration gérée de la monnaie unique on pourrait imaginer une large alliance de fronts de libération nationale à partir des zones euro de la périphérie méditerranéenne composées de forces progressistes ouvertes à la coopération avec l'aile droite démocratique des partis souverainistes. Le temps disponible est de plus en plus court ».
Commentaire de la synthèse du café du 8 octobre 2015 sur la Grèce par Jean-Luc.
1) L’effondrement du PIB grec est postérieur à l’entrée dans la zone euro. Ce ne sont donc pas les armateurs et autres margoulins qui en sont responsables.
2) Si la bureaucratie de Bruxelles n’a pas pu déceler la falsification des comptes opérée par Godman Sachs moyennant rétribution, à quoi sert-elle? A-t-elle été incompétente, négligente ou complice? On attend en vain des explications de leur part.
3) C’est la « spéculation démentielle » qui a déclenché la crise, l’une étant la conséquence de l’autre. 4) Les marchés ne créent du désordre que quand ils sont livrés à eux-mêmes. C’est le rôle du politique de définir les objectifs en terme d’investissements, d’emplois, de développement économique et de veiller par une fiscalité incitative, de faire en sorte que les marchés financent ces objectifs clairement définis. Mais cela suppose une vision à long terme, ce que les politiciens semblent avoir oublié. L’exemple le plus caricatural est le ministre français, Michel Sapin, dont toute prévision est abandonnée au profit de prédictions régulièrement démenties par les faits. Autant nommer des astrologues…
Commentaire de Gérard sur la Grèce humiliée.
« Après le référendum, le mémorandum », la Grèce a dit non à l’austérité, mais Tsipras a signé le mémorandum imposé par l’Europe et les créanciers. C’est en fait un renoncement déguisé en plébiscite, un retournement libéral après avoir été une protestation. On a le sentiment d’une Grèce humiliée qui qui devient le symbole de ce qui peut arriver aux autres pays devant la tendance libérale affirmée de l’Europe:
- Il ne semble plus y avoir d’alternative au libéralisme: la France socialiste favorise plus le capital que le travail, l’Espagne et le Portugal qui avaient les moyens de former des gouvernements de gauche suite aux dernières élections ne le font pas! Et cela, bien que nous constations l’échec patent des politiques d’austérité actuelles, quand les créanciers fabriquent de la désunion européenne.
- Le conflit capital-travail est trop souvent arbitré au profit du capital. On privatise toujours les gains et on socialise les pertes. - Le discours dominant idéologique est toujours de favoriser les politiques de consolidation budgétaire, mais en traquant la dette au lieu d’insister sur les difficultés de faire rentrer les recettes fiscales dues par les multinationales.
- L’Europe du capital ne prend plus l’avis des gens. Nous sommes en situation post démocratique.
1 - Or le cas de la Grèce devrait nous inciter à saisir cette opportunité de changer le rapport des forces politiques en Europe. Nous devons aider la Grèce car son plan d’austérité qui pourrait s’étendre à d’autres pays, dont la France, dont l’économie réelle est fragilisée, est néfaste tant sur le plan économique (obère toute relance satisfaisante), mine la démocratie et même provoque un désastre humanitaire le plus élémentaire (dégradation des soins dans les hôpitaux qui ferment…). En quelque sorte nous sommes en présence d’une violation de la Charte européenne des droits fondamentaux!! En quelques années nous risquons d’annihiler 70 ans de solidarité sociale, d’intégration économique et de protection des droits de l’Homme. Avant que le syndrome de la Grèce ne nous atteigne en même temps que d’autres pays, nous devons soutenir les mouvements comme Podemos et Syriza car:
- Ce sont de véritables pôles de résistance à l’ultra-libéralisme ou à l’ordo-libéralisme allemand. La même énergie pourra être utilisée pour atténuer l’accord TAFTA (ou TTIP), et même montrer que la social-démocratie est bien en crise en Europe quand ces accords transatlantiques conduits à huis clos sont prometteurs de menace pour les services publics européens, nos normes sociales et environnementales; les accords de libre-échange, ALENA, devaient créer 20 millions d’emplois, et en ont détruit en fait 900000! Nous nous plaignons déjà de l’affaiblissement de la démocratie, mais que sera-ce à l’avenir avec l’arbitrage commercial privé international qui a permis à Philip Morris de traduire le gouvernement australien en justice? Nous voyons que la Grèce n’est pas protégée par l’Union européenne et qu’en sera-t-il de la France demain?
- La Grèce doit nous permettre d’inverser un peu le message libéral et ses trois slogans habituels: il faut baisser les charges, baisser le coût du travail et baisser les impôts, même si on détruit du travail et on met à genoux une partie du peuple grec. Des victoires sont possibles avec l’adoption possible d’une directive contre « l’optimisation fiscale » des groupes multinationaux, et ainsi avec une nouvelle assiette consolidée, des recettes supplémentaires pourront rentrer en Grèce comme ailleurs en Europe. Au final, la Grèce est symptomatique de l’état de l’Union européenne. Tout élargissement doit être stoppé afin d’intensifier l’intégration économique. Et de promouvoir une véritable réponse institutionnelle afin de régler les questions fiscales (concurrence fiscale absurde entre les Etats de l’Union et manque à gagner de 1000 milliards d’euros qui pourraient étoffer le budget éthique de l’Union), on doit étudier sérieusement la question du principe de l’unanimité au Conseil afin de garantir plus de démocratie et de pallier les risques de repli national sur des thèmes nationalistes. L’hypothèse de sortie de l’euro ne doit plus être éludée afin que les Etats en difficulté retrouvent des marges de manœuvre quand ils ne peuvent trouver de secours dans leur seule adhésion à l’Union.
2- Pour l’anecdote, un « GREXIT » a déjà eu lieu : en 1908 où la Grèce, était membre de l’Union latine, une communauté monétaire constituée en 1865 par Napoléon III. La Grèce avait diminué la part d’or de sa monnaie et on lui demanda de sortir de l’Union dans laquelle elle reviendra en 1910! Cela doit constituer une belle parabole pour la situation d’aujourd’hui!
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USA : l'empire fracturé.
Le sujet, qui a fait l'objet d'un n° spécial du « Monde diplomatique », pose 2 questions : y a-t-il un empire états-unien ? Celui-ci est-il en voie de fracturation ?
Il est difficile de contester le fait que les USA sont un pays aux ambitions impériales cherchant à imposer à un nombre toujours croissant de pays un « ordre fondé sur des règles ». Et ce, quelqu'en soit le prix. H, Kissinger avait l'habitude de dire : « L'illégal, nous le faisons immédiatement, l'inconstitutionnel nous prend un peu plus de temps ».
Mais une fracture serait apparue au sein de la société US entre une classe dominante qui définirait ces règles et un magma populaire, qualifié avec mépris de populiste et qui ne verrait aucun avantage à soutenir une telle politique.
Cette fracture, du reste, n'est pas qu'états-unienne. Elle se constate au niveau mondial. Une division existe entre un Occident dont les élites veulent voir dans les USA, un pays juste et généreux, défenseurs de la démocratie dont ils sont le modèle. Tandis que le Sud global et plus encore, les pays membres des Brics+, ne voient dans les USA qu'une gigantesque machine de guerre dont le but est de défendre les privilèges de l'oligarchie financière au détriment de la paix mondiale et même au détriment de son propre bien commun national. Plus précisément, la fracture semble être entre l'upper class occidentale et le reste du monde (appelée ainsi aux USA) ou majorité mondiale (dénomination employée par les pays des BRICS +).
Comment, aux USA, cette upper-class est-elle apparue ? Comment a-t-elle pu mener à la fracture du pays qui l'a vu naître ?
Pour prendre la mesure de l'événement, il est utile de poser quelques jalons historiques. Ils permettent de comprendre comment est né et s'est consolidé l'empire US, et comment une caste, également appelé le deep state, l'utilise à son profit.
Andrew Jackson (le 7e président des USA) avait en son temps lutté contre l'idée d'une banque centrale indépendante. Les milieux financiers parviendront néanmoins à sa création, puisque la FED (Réserve fédérale) voit le jour en 1913. Le pouvoir monétaire est délégué à une banque privée, dont les concepteurs avaient pour devise : « There is nothing money can't buy ». Pour avoir de l'argent, il suffit de le créer et de reléguer l'Etat fédéral au rang d'emprunteur perpétuel. Ainsi, par le paiement d'intérêts toujours croissants, cette première mouture de l'oligarchie a pu s'assurer, par le financement de l'endettement de l'Etat, des ressources financières constantes.
La première guerre mondiale a permis de multiplier la dette par 8. Le pays renforce ensuite sa puissance en promouvant le libre-échange au niveau transatlantique tout en appliquant un protectionnisme rigoureux chez lui. Les exportations de biens manufacturés sont en hausse constante jusqu'en 1929. Comme 60% de la population US reste sous le seuil de pauvreté, elle ne peut absorber la production alors qu'est intervenu une baisse des exportations.
Pour faire face à la crise, un nouveau président, Roosevelt se comporte en chef d'Etat souverain et annule 40% de la dette de l'Etat fédéral. Toutefois, ce n'est qu'avec une nouvelle guerre européenne que les USA retrouvent toute leur puissance, du fait d'un budget militaire est multiplié par 7.
Le nazisme vaincu, c'est l'ancien allié, l'URSS qui sera désigné comme le nouvel ennemi. Il ne s'agira pas de l'abattre, mais de le contenir, par une politique dite de « containment ». Cela aboutira, contrairement à 1918, à une occupation permanente des pays où l'armée US s'est investie pendant le précédent conflit. De la sorte, la production d'armements continue à représenter 45% du PIB US. Les USA contrôlent en outre 50% de l'économie mondiale et disposent de l'arme nucléaire. Comme après 1918, ce qui va être l'alliance du sabre et du dollar ne profitera qu'à un petit nombre. Parmi les actionnaires US, 1% d'entre eux possède 60% des actions des sociétés cotées.
Les accords de Bretton Woods sont signés en 1944. Les USA, disposant de 75% des réserves d'or mondial, imposent le « Gold exchange standard ». Toutes les monnaies sont convertibles en $, mais seul le $ est convertible en or, autrement dit les USA peuvent imprimer autant de $ qu'ils le veulent, les autres pays seront obligés d'en acheter s'ils veulent commercer avec les US, ou payer leurs factures d'entretien des troupes US sur leur sol. Le Plan Marshall de reconstruction de l'Europe contribue également à la consolidation du rôle du $ dans les échanges transatlantiques.
En 1948 est créé, l'American Comittee on United Europe. Il est alors question d'ériger une communauté supranationale européenne. Z. Brzezinski décrira ultérieurement, dans « le Grand Echiquier », la situation telle qu'elle est vue à Washington : « L'Europe de l'ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses Etats rappellent ce qu'étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires ».
Les USA mettent unilatéralement un terme aux accords de Bretton Woods en 1971. Le montant des $ en circulation dans le monde représentant 5 fois le montant du stock d'or détenu par les USA, cela commençait à susciter de la méfiance.
En 1975, Washington obtient de l'OPEP que le $ soit la seule monnaie utilisée pour le commerce du pétrole, quel que soit le pays acheteur. L'or noir verra en 1973 son prix flamber après la guerre du Kippour. Ce qui générera une masse considérable de $ ne coûtant que le prix de l'impression aux US mais qui seront reconvertis par les pays exportateurs de pétrole en bons du trésor US ainsi qu'en achats d'armemements US. Les pays européens n'auront d'autre solution que de s'adapter. Le Secrétaire du Trésor, John Conally déclara cyniquement à des diplomates européens: « le $ est notre monnaie, mais c'est votre problème ».
En 1973 également, la monarchie est renversée en Afghanistan. Un régime républicain est mis en place dans ce pays auquel s'oppose les islamistes. Une situation de guerre larvée se poursuit jusqu'en 1979, année où l'URSS décide d'intervenir. Les USA soutiennent les islamistes en les armant, ceci au nom de la lutte contre le communisme et de la liberté. Le piège US fonctionne et contribue à l'écroulement de l'URSS. En 1992, il ne reste plus que l'hyperpuissance US, laquelle pense être en mesure de pouvoir créer un nouvel équilibre mondial. Certains commencent à croire que la pax americana générera la « fin de l'Histoire ». D'autres, comme l'ancienne première ministre pakistanaise B. Bhutto avaient compris que les USA, en finançant le jihaddisme, avait créé un « Frankenstein ».
Mais, forts de cette nouvelle mission, les élites US veulent donner un contenu concret à la devise apparaissant sur le $ : « Novus ordo seclorum », un ordre nouveau pour les siècles. Comme apparaît également la devise « in God we trust », l'Etat US, va, de plus en plus se comporter, non pas comme une puissance d'équilibre entre différentes forces géopolitiques, mais comme une sorte de théocratie, où la loi, telle qu'ils l'écrivent, doit être considérée comme une vérité. Alors que dans un Etat de droit, une règle de droit, résultant d'un compromis entre différentes analyses, est toujours suceptible d'évoluer. Les USA élaborent ainsi le concept de « full spectrum dominance », la domination tous azimuts. Un article du New York Times du 8.3.1992, émanant du Pentagone, signé Paul Wolfowitz précise : « Notre premier objectif est d'enpêcher la réémergence d'un nouveau rival, sur le territoire de l'URSS, qui représenterait une menace ». Les dés sont jetés, le suprémacisme l'emporte dorénavant sur toute autre considération. Il faut pourtant remarquer que les USA n'ont pas vaincu l'URSS, mais que celle-ci s'est effondrée d'elle-même.
De nouveaux doctrinaires font leur apparition, ils seront appelés « néoconservateurs ». Leur but est d'infiltrer autant le parti républicain que le parti démocrate . Leur credo est que le leadership US doit s'exercer partout où se trouvent des richesses naturelles. L'objectif de Wolfowitz est repris par Dick Cheney (vice-président de 2001 à 2008). S. Huntington, le théoricien du Choc des civilisations, se range lui aussi à cette vision. Dans un document du Pentagone (daté du 16,04,1992, dans defense planing guidance), il assène :« Un monde sans la primauté US sera un monde avec plus de violence et de désordre qu'un monde où les US continueront à avoir plus d'influence que tout autre pays pour façonner les affaires mondiales ».
A l'aube du XXIe siècle, les USA, dans le concert des nations, semblent être en capacité de donner le « la » et de battre la mesure. La Russie avait totalement sombré, la Chine ne s'était pas encore réveillée, et l'Europe voyait dans un partenariat transatlantique la garantie de sa sécurité. D'autant plus que, malgré la fin officielle de la « guerre froide », les troupes US restent sur le sol européen. En 2001, H, Kissinger publie : la nouvelle puissance américaine ; il écrit : « A l'aube du nouveau millénaire, les USA jouissent d'une prééminence avec laquelle les plus grands empires du passé ne sauraient rivaliser». Brzezinki, toujours dans le Grand Echiquier, a pu noter avec satisfaction : « Les tributaires des USA , dont certains poussent les marques d'allégeance jusqu'à souhaiter des liens encore plus étroits avec Washington, sont répartis sur l'ensemble des continents ».
Un peu auparavant, en 1997, a été fondé le Thinh Tank « Project for the new american century ». Il est dirigé par le vice-président Dick Cheney, qui affirme que le leadership américain, fondé sur « la puissance militaire et la clarté morale », est légitime. Il publie en septembre 2000 un document intitulé : « Reconstruire les défenses américaines ». La puissance US doit être basé sur la défense et cela nécessitera du temps, se lamente le document, « sauf s'il se produit un événement catastrophique et catalyseur, comme un nouveau Pearl Harbour ». Ce sera le cas le 11,09,2001. Un nouvel ennemi est né, le terrorisme islamiste qui prendra la relève de l'URSS évanouie. Le Watson institute, de l'université Brown à Providence (Rhode Island) a estimé le coût de la guerre à la terreur à environ 8,000 milliards de $ depuis 2001. A cela s'est ajouté un bilan de plus de 4,5 millions de morts et environ 38 millions de personnes déplacées.
Il s'est agi d'une politique impériale, les USA n'ayant eu aucun mandat international pour agir de la sorte. En 2003, celui qui fut secrétaire général de l'ONU de 1992 à 1996, B. Boutros-Ghali, écrit que celle-ci « est juste un instrument au service de la politique américaine ».
Les interventions US ne créent en fin de compte qu'un chaos générateur de nouvelles guerres. Mais cela profite au complexe militaro-industriel, le Pentagone ayant à l'heure actuelle un budget avoisinnant les 1000 milliards de $ par an, financé principalement par une création monétaire illimitée rendue possible par l'indépendance de la FED et le statut du $. Ce complexe militaro-industriel deviendra-t-il l'organe dirigeant du pays ? Déjà, en 1938, Roosevelt avait fait le constat que : « La liberté d’une démocratie n’est pas en sécurité si le peuple tolère l’accroissement de la puissance privée jusqu’à un point où elle devient plus forte que l’Etat démocratique lui-même. Cela, en essence, c’est le fascisme – l’appropriation du gouvernement par un individu, par un groupe ou par une quelconque puissance privée ».
F.Hollande constate, dans : Devoirs de vérité : « des hommes, issus de la haute fonction publique, d'une culture de service public, accèdent au statut de nouveau riche, parlant en maîtres aux politiques qui les avaient nommés ».
Le président qui dirigea les USA de 2017 à 2021 avait bien compris que les grassroots, les white griveance, les hillbillies, les rednecks en avaient plus qu'assez du coûteux interventionisme des néoconservateurs. Pour eux, ce qui importe est la défense de la Constitution et de ses amendements, le refus de la destruction des valeurs traditionnelles par une bourgeoisie urbaine qui s'identifie à l'upper class, celle qui n'a d'autre horizon que de maintenir un état de guerre permanent pour assurer sa mainmise sur les affaires du monde.
Les prémices établis par Trump en 2016 semblaient positifs : il s'agissait de repenser prioritairement aux USA, à son économie réelle, à abandonner les aventures militaires à l'étranger et à négliger le wokisme. Dans son esprit, le slogan Make Americ great again, ne signifiait nullement que les USA devaient être « la nation indispensable », assumant « une destinée manifeste ». Sa priorité a été de reconstruire un tissu industriel. Pour cela, il s'est basé sur un vote populaire, qui n'a pas oublié l'esprit des pionners et qui voit en l'Etat ce qui est nécessaire mais qu'il faut néanmoins contrôler. Ce président s'opposait à un vote bourgeois urbain, qui voulait mener une politique à la fois militariste et wokiste. La bourgeoisie urbaine a essayé de brouiller les pistes en racialisant et en sexualisant sa loghorrée. Une sociologue à l'université Columbia note : « Les élites blanches définissent le racisme selon des critères qui correspondent à leurs préférences et à leurs priorités ». Il a été établi qu'en 2020, le vote Trump dans l'électorat noir et latino a été plus important qu'en 2016. C'est donc bien, au sein de la société américaine, d'une opposition de classe dont il s'agit et non de race ou de « genre ». Marx, en son temps, avait déjà écrit : « La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle essentiellement révolutionnaire. Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds (les relations qui existaient précédemment)... Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange. Elle a substitué aux libertés si chèrement conquises l'unique et impitoyable loi du commerce ». Ce à quoi, le milliardaire Warren Buffet avait répondu : « Il y a une lutte des classes aux USA, mais c'est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner ». Finalement Trump n'a été ni le Lénine, ni l'Eltsine des USA. En échouant à « vider le marigot » comme il s'y était engagé, il fait davantage penser à Kerensky. Le « deep state » fera néanmoins l'impossible pour empêcher son retour au pouvoir.
Celui-ci reste puissant. Après la crise de 2008, due à une spéculation effrénée, aucun de ses responsables n'a eu le moindre ennui judiciaire. Au contraire, tous ont pu largement profiter de la considérable création monétaire qui s'en est ensuivie. Il est vrai que les USA ont un des taux d'incarcération les plus élevés au monde, ceci expliquant peut-être cela. Est-ce à dire qu'il y a dans ce pays une justice où la notion d'équité est absente? Aucune sanction n'a jamais été prononcée contre les conspirateurs du « Russiagate », où l'on a voulu faire croire que Trump aurait été un agent du Kremlin. Il s'agissait bien évidemment de désinformation pure, mais qui a tenu les medias en haleine pendant 3 ans et entravé l'action du président.
Le pays n'a jamais cru aux discours des socialistes, voyant en ceux-ci des marchands d'illusion. Mais que dire du succès considérable des conférences faites par Mme Obama, autour de son livre « Becoming ». Il suffirait pour connaître le succès « de trouver sa voix et de croire en soi ». De la sorte, « quand nos adversaires s'enfoncent, nous nous élevons ». Rien de plus qu'un bel emberlificotage bourgeois destiné à gruger les gogos ! Avec ce genre de fadaises, le vote dit « populiste » trouve du carburant. A moins que l'on préfère acheter des armes, 23 millions d'armes à feu ont été vendues en 2023, et la moitié des acheteurs furent des acheteuses. Bien qu'il y eut 20 390 morts par arme à feu en cette année-là, on assiste à une prolifération des « gun clubs ». L'ancien président de la National Rifle Organisation a affirmé récemment : « assurer sa propre sécurité est un droit fondamental donné par Dieu ». Dieu se mange décidément à toutes les sauces aux USA.
Que conclure de tout cela ? Il y a bien d'un coté un néoconservatisme impérial, adepte de « culture forming », un façonnage culturel composé d'un ordre fondé sur des règles, sans qu'on ne précise jamais de quoi il pourrait s'agir, et composé d'un impérialisme de la vertu. Celle-ci, à l'heure actuelle, développe des thèmes liée à l'idéologie LGBT et de celle dite du genre. Elles ont l'avantage de permettre plus facilement la manipulation de l'opinion que l'exigente morale liée au respect des droits humains. C'est la politique de la bourgeoisie, une classe à la fois cynique et naïve, qui croit que le reste du monde, si on le formate bien par des « story-tellings » est prêt à ingurgiter son brouet.
Face à elle, se dresse la catégorie que l'on a pu qualifier de « déplorables », et qui se moque bien de l'aventurisme militaire à l'étranger et de la mayonnaise wokiste. Si l'on veut être optimiste, on peut espérer que de ses rangs émergera une personnalité qui sache faire de la politique, qui aura compris que celle-ci ne se cantonne pas à la polémique ou au conditionnement mental, mais qu'elle permet de développer l'art du compromis. C'est la voie de la sagesse. Pour terminer, un texte de B. Dylan, dans Masters of war :
Vous, maîtres de ces guerres, vous qui n'avez jamais fait que construire pour mieux détruire. Vous vous amusez avec ma planète comme s'il s'agissait de votre petit jouet.Vous m'avez mis une arme dans la main et vous avez disparu pour vous planquer bien loin quand les balles commencèrent à siffler.
Comme Juda, jadis, vous mentez et vous trompez. Nous gagnerons cette guerre mondiale, voulez vous me faire croire. Mais je vois dans vos yeux et je lis dans vos pensées aussi clairement que dans l’eau trouble des égouts.
Vous tendez l’arme aux autres, pour qu’ils tirent à votre place. Et confortablement installés,
vous contemplez les morts s’entasser. Bien à l’abri, dans vos demeures cossues, pendant que le sang de la jeunesse ruisselle de son corps et se mêle à la boue.
Vous avez commis la pire horreur qu’on puisse imaginer : mettre au monde des enfants
pour menacer celui qui portera mon nom. Vous ne méritez pas le sang qui coule dans vos veines
Puis-je vous poser une question ? Votre argent suffira-t-il pour racheter votre pardon ?
Croyez-vous cela possible ? Je pense que vous réaliserez quand la mort vous demandera de rendre des comptes, que tout le fric que vous avez amassé ne suffira pas pour racheter votre âme.
Je souhaite votre mort et j’espère qu’elle est proche ! Je suivrai votre cercueil,
par une pale après-midi. Et lorsque l’on vous portera dans votre ultime demeure,
je me tiendrai là, au-dessus de votre tombe , pour m’assurer de votre mort.
Jean Luc
La Syrie aujourd'hui.
Texte de Jean-Luc pour le café politique du jeudi 26 novembre 2015.
1) Historique avant 2011.
« Depuis la seconde guerre mondiale, quelques-unes de nos erreurs les plus coûteuses sont venues, non pas de notre retenue, mais de notre tendance à nous précipiter dans des aventures militaires, sans réfléchir à leurs conséquences », a déclaré le Président Obama lors d'une de ses dernières interventions.
Ces aventures militaires, dont la sanglante aventure syrienne, sont également le produit d'une faiblesse de l'analyse de la part des dirigeants des pays de l'Europe.
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En 1979, lorsque l'Empire soviétique, encore debout mais déjà vacillant, envahit l'Afghanistan, les djihadistes qui s'opposaient à l'armée soviétique étaient catalogués dans le camp du «Bien » par l'Occident et obtenaient des USA, notamment, de nombreuses fournitures militaires. Des milliers de combattants furent formés par l'Arabie Saoudite (AS) et le Pakistan, deux théocraties obscurantistes, mais néanmoins très liées aux Etats-Unis car s'affichant résolument antisoviétiques. Ce fut à ce moment que fut fondée l'internationale islamiste qui trouvera bien plus tard son achèvement dans la création de « l'Etat islamique » (El)
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Durant la même période, l'Occident en général et les Etats-Unis en particulier, laissèrent tomber le Shah d'lran, pensant qu'une théocratie dans ce pays serait une re-création des régimes saoudien ou pakistanais. Ils allaient rapidement déchanter, l'Iran se plaçant immédiatement sur une orbite anti-américaine sans cependant s'inféoder à une URSS déclinante. Saddam Hussein, le raïs d'Irak, crut à ce moment-là qu'il pourrait facilement venir à bout de l'antique Perse, éternelle rivale des Arabes, et se lança dans une guerre de conquête. L'Occident et la France, en particulier, affichèrent à l'encontre de l'Irak, une neutralité parfois extrêmement bienveillante. Toutefois ce qui ne devait être qu'une promenade militaire pour l'armée de Saddam Hussein, se solda par un match nul, après huit années de combats acharnés.
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Depuis, l'Occident, entièrement à la remorque des pétromonarchies, n'eut de cesse de qualifier le monde chiite d'«axe du mal» et maintiendra l'Iran sous un régime de « sanctions » du fait de sa volonté - réelle ou supposée - d'anéantir Israël et accessoirement, bien que ce fût le prétexte officiel, de vouloir se doter de l'arme nucléaire. On notera toutefois que les Etats-Unis se sont toujours opposés aux résolutions de l'ONU concernant Israël, usant à onze reprises depuis 1967 de leur droit de veto pour bloquer toute initiative pouvant potentiellement contrarier les intérêts de l'Etat hébreu. Dans le même temps, la Corée du Nord put développer en toute quiétude un arsenal nucléaire. Deux poids, deux mesures!
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La calamiteuse guerre américaine contre l'Irak, déclenchée en 2003, en violation du droit international, aboutira paradoxalement au renforcement de l'axe chiite, comprenant, outre l'Iran, la partie de l'Irak contrôlée par le gouvernement syrien, le Hezbollah libanais, le tout étant activement soutenu par la Russie. On notera que la partie irakienne non contrôlée par l'Etat irakien pro-chiite l'est par l'Etat islamique et l'on mesurera à quel point la guerre états-unienne contre ce pays a été un non-sens absolu. Les centaines de milliers de morts - y compris par armes chimiques comme à Falloudjah en 2004 - n'ont en réalité fait que créer un profond sentiment anti-occidental sur lequel surfe actuellement l'Etat islamique.
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2) En Syrie, la guerre civile éclata en 2011, à la suite de la violente répression de manifestations anti-gouvernementales. Après deux ans de combats acharnés, l'Arabie Saoudite réussit à fédérer les sunnites sous la bannière de ce qui deviendra, en 2014, l'Etat islamique. Celui-ci échappa alors complètement à ses parrains saoudiens et se rapprocha de la Turquie dont le Président Erdogan comprit rapidement qu'il pourrait négocier son soutien moyennant la lutte de l'Etat islamique contre les Kurdes. La Turquie s'est donc bien gardée d'intervenir lorsque l'Etat islamique s'appropria les champs pétrolifères jusque-là aux mains des Kurdes irakiens. Au contraire, Ankara se chargea de l'exportation du pétrole extrait par son allié de fait.
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Pendant longtemps, l'Arabie saoudite avait semblé être un partenaire fiable aux yeux de Washington, le pays étant son principal fournisseur de pétrole depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et étant de surcroît un bénéfique client pour le Pentagone. Toutefois Ryad et, à sa suite les pétromonarchies sunnites, s'étaient engouffrées elles aussi, comme la Turquie, dans l'indescriptible chaos laissé par l'intervention des Etats-Unis en Irak.
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Pourtant pour Washington, la prise de contrôle de larges portions de territoires en Syrie et en Irak par l'Etat islamique (fruit maudit du wahhabisme et financé par les pétromonarchies à hauteur de 90 milliards de dollars, selon un Edito de France Culture du 15-11), fut d'autant plus une surprise qu'elle venait d'équiper l'armée irakienne de matériels neufs, matériels qui passèrent du côté de l'Etat islamique sans même qu'aucun combat ne fût mené et qui rend le groupe terroriste propriétaire de plus de chars que n'en dispose l'armée française. N'ayant plus d'appui en Irak et l'alliance avec Damas étant hors de question, Obama se résolut à armer en Syrie des rebelles « modérés » qui, une fois en possession des armes, les firent passer également du côté de l'Etat islamique, encaissant au passage de fructueux gains. Beaucoup de « résistants » au « régime de Bachar », dont ceux d'al Nosra, proches d'Al Qaeda, se firent passer pour modérés dans le but d'obtenir des armes de l'Occident.
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La position de la France : elle a estimé, par la voix de son ministre des affaires étrangères qu'ai Nosra «faisait du bon boulot » et ne s'est pas privée de lui fournir des armements. On peut se demander ce qui a motivé l'évolution de la politique française. On se souvient qu'en 2008 Bachar al Assad avait été reçu avec tous les honneurs de la République française, le Président de l'époque saluant les « progrès démocratiques » de son invité. A en croire les déclarations de l'ancien ministre des affaires étrangères, Roland Dumas, c'est dès l'année suivante qu'ont été conçues par les Etats-Unis l'attaque simultanée de la Syrie et de la Libye par le trio Etats-Unis-Grande-Bretagne-France. La France ayant entre-temps rejoint le commandement intégré de l'OTAN, voulut en être un disciple zélé et participer à cette nouvelle guerre. Les Etats-Unis, à l'époque, en étaient restés à leur analyse qui consistait à considérer les Etats nationalistes du Proche et du Moyen-Orient comme le danger principal et non les théocraties sunnites. En réalité, l'Arabie Saoudite avait réussi à convaincre Washington qu'il fallait frapper l'Iran, et pour cela il fallait commencer par anéantir ceux qui pouvaient en être ses alliés. Le but ultime de l'opération était l'attaque de l'Iran, qui serait alors isolé. Mais Nicolas Sarkozy, se voyant en grand chef de guerre, se précipita dans l'affaire libyenne, avant que le feu vert de Washington ne fût donné. Les Etats-Unis, irrités de l'impétuosité de leur nouveau partenaire, auraient alors annulé la suite de l'opération.
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En 2013 eut lieu l'attaque chimique de la Ghouta (Syrie), immédiatement attribuée à l'armée d'al Assad, mais selon certains analystes perpétrée par la Turquie. La France, encore enivrée de son succès en Libye et au Mali, dont pourtant les djihadistes avaient pu profiter du saccage de l'arsenal libyen et porter la guerre dans ce pays, voulut immédiatement que soit déclenchée une intervention contre la Syrie. Obama assura Hollande de son soutien avant de se rétracter. La France commit alors la folie de se mêler d'une guerre civile dans un pays étranger, elle soutint al Nosra, lié à al Qaeda. Selon le Canard enchaîné du 21.01.2015, Paris a livré des armes à cette organisation, au moins jusqu'à la résolution n°2165 du Conseil de Sécurité de l'ONU qui condamna explicitement les actions d'al Nosra comme étant de nature terroriste.
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La création de l'Etat islamique en juin 2014 avait provoqué la stupeur des Etats-Unis et l'inquiétude des saoudiens et des Qataris. L'Etat islamique ayant juré la perte de ceux qui collaboraient avec les « croisés ».
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Une coalition internationale fut constituée avec l'insuccès que l'on sait. Washington comprit qu'il lui fallait trouver des alliés sur place... sans heurter Ankara qui redoute plus que tout la création d'un Etat kurde sur son territoire, mais dont il accepterait l'existence sur le territoire syrien. C'est là la raison de son soutien à toute initiative contre le régime d'al Assad.
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En juillet 2015, les Etats-Unis levèrent les sanctions contre l'Iran bien que ce pays soit l'allié de la Syrie, le Guide Suprême iranien ayant considéré les insurgés de l'Etat islamique comme des apostats. En riposte, Ryad arma le gouvernement pro-sunnite au Yémen, ce qui provoqua une intervention iranienne en faveur des rebelles Houthis pro-chiites dans ce pays où, toutefois, la guerre ne semble pas intéresser ce que par euphémisme on nomme «la communauté internationale», comme si la concorde y régnait de façon naturelle. C'est que ce revirement des Etats-Unis a fortement irrité les pétromonarchies déjà échaudées par l'attitude désormais hostile de l'Etat islamique et de la Turquie, qui ne purent que constater et déplorer le considérable renforcement de l'axe chiite.
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Le revirement français. Obama avait dû longuement méditer l'échec cinglant qui a résulté des brouillonnes interventions occidentales en Irak et en Libye, ainsi que, l'enlisement en Afghanistan. Son revirement de 2013, laissant Hollande et Fabius dans le désarroi, ne pouvait que préluder à un renversement d'alliances. La France a longtemps refusé de combattre l'Etat islamique en Syrie, avant de retourner sa veste en juillet dernier, suite à l'accord des Etats-Unis et de l'Iran, résultant du renversement d'alliances provoqué par l'administration Obama. Paris argua alors du concept de « légitime défense » pour justifier son revirement et combattre l'Etat islamique. « La virtuosité sémantique ne peut être le paravant éternel de la vacuité stratégique », telle est la lapidaire sentence du Monde Diplomatique, constatant ce suivisme. Il est vrai qu'on ne peut qu'être stupéfait de l'erratique politique étrangère français depuis sa réintégration dans l'OTAN. En quelques années, elle a dynamité le capital de sympathie dans le monde arabe, que les politiques suivies depuis De Gaulle jusqu'à Chirac avait patiemment su accumuler. On ne saurait dire si Hollande saura maintenant concevoir une évolution stratégique où s'il ne va qu'exceller dans l'art de la litote. On constate toutefois une inflexion de la politique menée après l'accord Etats-Unis-Iran suivi de l'accord Syrie-Russie pour une intervention russe, Hollande recevant Poutine le 4 octobre, lui « rappelle » qu'il faut combattre Daech! « Il n'y aura pas d'autre Kadhafi « avait cependant tenu à préciser auparavant M. Lavrov, chef de la diplomatie russe dont le pays joue en Syrie, pour l'heure, la carte d'Assad. La doctrine russe est d'ailleurs limpide de simplicité: ne pas soutenir le pouvoir des Etats revient à transférer la réalité du pouvoir aux terroristes religieux. Il convient, en conséquence, de soutenir en Syrie le pouvoir en place puisque la Russie intervient à la demande du gouvernement légal syrien.
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3) Après les attentats du 13 novembre. La position française changera à nouveau du tout au tout. C'est dorénavant la lutte contre l'Etat islamique qui est absolument prioritaire et Paris veut désormais être un élément déterminant de cette nouvelle coalition. Se voyant maintenant être la nouvelle tête de pont entre Moscou et Washington, Paris se revendique d'être un élément essentiel de cette nouvelle entente qui est toutefois un bien curieux attelage dont on peut, dès à présent, s'interroger sur les conséquences en cas de victoire. Car, à l'intérieur de celle-ci deux camps se font face. D'un côté, les Etats-Unis et leurs encombrants alliés du Golfe dont rien ne dit qu'ils arrêteront leur double jeu. De l'autre, l'axe russo-chiite. Il serait hautement souhaitable que la France clarifie sa position vis-à-vis, à la fois des monarchies du Golfe et de la Turquie, et vis-à-vis de la chaotique politique états-unienne. Paris est déjà occupé par une guerre au Mali qui est la conséquence directe de la brouillonne et inachevée guerre de Libye, elle est obligée maintenant de se rapprocher de la Russie et d'apparaître comme le supplétif d'une armée de « croisés », Poutine prenant soin de faire bénir en sa présence les Sukkoï avant leur envol vers la Syrie par le grand métropolite de Moscou. Il eût été bien plus cohérent de se joindre à la Russie en 2013, au moment de l'affaire de l'attaque chimique de la Ghouta où Moscou avait proposé un contrôle international pour assurer la neutralisation de l'arsenal chimique syrien. Au lieu de cela, Hollande, suivant en cela l'exemple de son prédécesseur, voulut « coller » à la position des Etats-Unis et participer à l'attaque contre la Syrie. Mais au dernier moment, Obama se rétracta.., et Paris n'osa aller seul à l'aventure.
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La position russe. Moscou n'a jamais partagé les rêveries occidentales concernant un « printemps arabe ». Pour les dirigeants russes, celui-ci n'était qu'une tentative de prise de pouvoir par les Frères Musulmans. La suite des événements allait leur donner en partie raison et leur clairvoyance leur permit de nouer de solides alliances avec la Jordanie, l'Irak, l'Iran, l'Egypte où un coup d'Etat militaire mit fin au pouvoir des dits-Frères.
• Même l'Arabie saoudite, de plus en plus perplexe devant l'irrésolution des Etats-Unis, se rapproche actuellement du Kremlin... qui en profite pour faire financer les achats d'armes du Caire par Ryad.
• Poutine, qui commence à abattre ses cartes, n'acceptera de discuter d'une transition du pouvoir à Damas, que si l'Occident lui assure qu'il ne gênera en rien sa présence militaire en Syrie et s'il se montre compréhensif envers le Donbass ukrainien. En ce cas, il pourrait faire pression pour que les sécessionnistes de cette région mettent en oeuvre les accords de Minsk. D'un autre côté, la Russie qui a déjà dû intégrer la Crimée, n'a aucune envie de prendre économiquement en charge un Donbass dévasté par la guerre civile.
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D'autre part encore, les stratèges de Moscou se souviennent de l'Afghanistan et ne veulent s'embourber seuls dans une guerre au sol au Moyen-Orient. Leur souhait est de créer une coalition aussi vaste que possible. De ce point de vue l'attaque terroriste de Paris va dans le sens de leurs intérêts.
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Le but géostratégique de la Russie est surtout de stabiliser et de retrouver son influence au sein des Républiques ex-soviétiques de l'Asie Centrale. Moscou rêve d'un partenariat privilégié avec la Chine. Sa position lors de négociations avec Pékin serait naturellement renforcée si elle parlait au nom d'un vaste ensemble euro-asiatique.
En conclusion, on peut dire qu'on ne peut évidemment rien conclure concernant l'avenir de la Syrie, le jeu étant plus ouvert que jamais. Giscard d'Estaing, retiré depuis bien longtemps des affaires, pense que le rôle de la France qui dispose d'un siège au Conseil de Sécurité de l'ONU, eût été de proposer que le pays soit placé sous mandat de l'ONU et que la direction des affaires militaires soit confiée à la France. Une telle solution ne ce serait pas vue opposer de veto de la part des autres membres du Conseil et aurait évité bien des massacres. Pour M. Dumas, l'ahurissante erreur de la France a été de réintégrer l'OTAN et de là ont découlé:
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La guerre brouillonne et inachevée menée en Libye et décidée par les Etats-Unis, la recrudescence de l'activité terroriste au Mali et en Centre-Afrique où se trouve entraînée la France, en est une des conséquences.
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L'intervention dans la guerre civile syrienne en soutenant l'une des factions terroristes, les attentats de Paris en sont la conséquence.
Le suivisme à l'égard des Etats-Unis et de leur désastreuse politique qui a conduit la France à entretenir des alliances privilégiées avec les monarchies obscurantistes du Golfe tout en devenant un élément actif de la reprise de la guerre froide qui risque bien, à long terme, de tourner à l'avantage de la Russie. Mais cela, Paris semble l'avoir compris, du moins les attentats semblent en avoir favorisé la prise de conscience, le rapprochement actuel avec Moscou en est la conséquence.
Synthèse du café politique sur la Syrie aujourd'hui.
26 novembre 2015.
1) Le poids de l'histoire au Moyen-Orient.
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En 1916, les accords Sykes-Picot divisent le Proche-Orient contre la volonté des populations. Cette opération très discutable a entraîné un mélange de toutes les confessions dans les Etats concernés. Par exemple, en Irak les Kurdes sont au Nord, les Chiites au Sud et les Sunnites au centre du pays. La question de l'accès au pétrole devient dominante en 1918 et semble bien conditionner les accords territoriaux. Le Liban, bénéficiait de la protection française depuis 1867, en particulier la communauté des chrétiens maronites. Depuis l'extension du territoire libanais, au lendemain de la Première guerre, le Liban abrite 55% de musulmans.
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La déstabilisation de l'Irak après l'intervention américaine peut être considérée comme une des causes de la création de Daech, Etat transnational à cheval sur l'Irak et la Syrie. Par ailleurs, en ouvrant ses prisons pour des raisons tactiques, Bachar-al-Assad aurait permis à de nombreux terroristes, anciens combattants en Irak, de rejoindre Daech.
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L'ouvrage de l'ancien otage Nicolas Henin, Jihad Academy: nos erreurs face à l'Etat islamique éclaire le rôle des Occidentaux dans l'origine du conflit syrien, en particulier celui de la France. L'auteur nous explique que par l'invasion de l'Irak en 2003 et par la non-intervention en Syrie depuis 2011, l'Occident a alimenté la radicalisation. Nous continuons de la nourrir par notre incapacité à produire un contre-discours et par nos compromissions diplomatiques avec des dictateurs. Il pose la question de la responsabilité de nos sociétés dans la fabrique de nouveaux djihadistes.
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Une opinion avance l'idée que malgré ses imperfections, la société française offre à sa population le minimum vital et qu'il est difficile d'argumenter de la misère comme terreau du terrorisme. L'islamisation de la radicalité n'aurait pas de manière majeure une cause sociale.
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Nous avons sous-estimé la force de la résistance syrienne en demande de démocratie en 2011. Le peuple semblait, en effet, souhaiter une démocratisation pour secouer le joug de la dictature. Cela va à l'encontre des opinions qui disent que dans les pays du Moyen-Orient, seule la dictature serait le modèle politique souhaité
2) La responsabilité de Bachar al-Assad dans l'état actuel de la Syrie.
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Bachar al-Assad est responsable des massacres dans son propre pays, plus de 200 000 morts à ce jour. Il pourrait être traduit pour crimes contre l'humanité. Il est par ailleurs aussi responsable d'un flux d'émigration sans précédent. Ces mouvements de population ne sont pas sans inquiéter l'Europe même si Madame Merkel tente d'en minimiser l'importance.
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En termes comparatifs, autant que faire se peut, les morts provoqués par le régime syrien sont à mettre en parallèle avec le million de morts lié à l'intervention américaine en Irak, qui avait succédé à un terrible embargo qui aurait, selon les estimations fait environ 500 000 morts dont de nombreux enfants à cause de la pénurie des denrées de première nécessité. Cet embargo avait surtout touché les civils. Madame Albright, secrétaire d'Etat des Etats-Unis de 1997 à 2001 (équivalent du ministre des Affaires Etrangères) a jugé acceptable le résultat obtenu au vu de la « stabilisation » du pays. Nous pourrions considérer que si Bachar al-Assad doit comparaître devant la Cour de La Haye, Madame Albright et Bush devraient subir le même sort.
3) Les différents protagonistes du conflit syrien.
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Les Kurdes ne se définissent pas religieusement. Le PKK est un parti marxiste. Les Kurdes sont davantage intéressés par la création d'un Etat kurde promis lors des accords de Sèvres en 1920 et qui n'a jamais vu le jour, que par la lutte contre Daech. Erdogan redoute cette création sur son territoire et souhaiterait que cet Etat kurde soit mis en place en Syrie. Au départ, la Turquie s'entendait assez bien avec la Syrie, mais depuis que la Syrie a refusé la création d'un Etat kurde dans son pays, le dissensions se sont amplifiées avec la Turquie. Par ailleurs, il y a des divisions entre les Kurdes irakiens et syriens.
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La Turquie joue un double jeu. D'une part elle soutient Daech en acceptant que l'exportation du pétrole de l'Etat islamique transite par son pays, ce qui alimente les caisses de Daech, d'autre part elle voudrait entraîner l'OTAN, dont elle fait partie, dans une guerre contre la Russie dont elle serait le pivot central.
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Israël, en général prompte à réagir, reste l'arme au pied. On ne sait s'il y aurait eu un deal entre Israël et Bachar al-Assad: Israël garderait le Golan à condition de ne pas s'opposer au régime syrien. Ce qui est certain c'est que le Hezbollah et l'Iran sont des ennemis sérieux d'Israël et dans cette mesure Israël est prêt à accepter tout ce qui peut s'opposer au Hezbollah y compris Daech. La position israélienne reste très attentiste et très floue. Il reste que spéculer sur le terrorisme pourrait s'avérer dangereux.
3) Les issues possible du conflit syrien.
a) Les combats
- Les bombardements qui ont eu lieu depuis 2014 semblent avoir eu peu d’effets en particulier venant des Etats-Unis dont la stratégie est relativement illisible. Les bombardements russes sont plus destructeurs mais leurs cibles ne se limitent pas à l’Etat islamique.
- Des observateurs de la situation pensent que ce sont le habitants de la Syrie qui seraient en mesure de combattre L’Etat islamique et que seuls des combats au sol seraient efficaces.
- Au sol, pour le moment, les Kurdes et le Hezbollah sont présents. Les Kurdes ont gagné trois batailles récemment: celles de Kobané, de Tikrit et de Sinjar. Il y a aussi des Iraniens, et en très grand nombre, qui envoient en Syrie des réfugiés afghans à qui ils ont promis un salaire et une carte de séjour en Iran s’ils allaient combattre en Syrie pour le compte du régime.
b) Les solutions diplomatiques
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Il semble de plus en plus improbable de négocier une issue avec Bachar-al-Assad qui apparaît de plus en plus affaibli, la preuve en est, ses demandes réitérées de soutien à la Russie.
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Renverser Bachar-al-Assad pourrait amener à une situation encore plus explosive (voir l'exemple libyen).
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La Russie n'est pas hostile à une transition du pouvoir et au départ de Bachar al-Assad, mais on ne sait qui le remplacerait. L'opposition muselée depuis fort longtemps ne semble pas en mesure de proposer un leader consensuel.
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Giscard d'Estaing pense que placer la Syrie sous mandat de l'ONU pourrait être une possible ouverture vers un règlement du conflit.
- Aider au sol l'armée syrienne libre (ASL) qui se bat contre Bachar al-Assad et contre Daech est également évoqué par un syrien présent au café.
- Le rôle décisif de l'Iran est plausible, mais ce pays n'est pas très intéressé par une pacification de la Syrie et serait peut-être favorable stratégiquement au maintien d'une situation chaotique.
En conclusion, l'Etat islamique essaime à travers de nombreux pays comme l'Egypte, l'Algérie, le Liban et même Israël sans compter les terroristes installés dans les pays européens. Il dispose d'une couverture médiatique très efficace grâce à la maîtrise des réseaux sociaux, même de manière très fugitive. Les Tweets qu'il diffuse finissent par intéresser des jeunes en perte de repères. Le conflit syrien a toutes les chances de perdurer et ses effets terroristes mettent les pays occidentaux en difficulté.
Il convient donc de se préoccuper de ce que la novlangue appelle le « soft power » par opposition au « hardpower », c'est-à-dire ce qui relève du symbolique, des convictions et des idées, dont la puissance peut se révéler plus déterminante à long terme que les armes. Cela implique de pouvoir s'opposer à la rhétorique des djihadistes en objectivant leur ignorance, notamment théologique et en montrant leur propension à exploiter les nouvelles recrues. Cela peut aussi se faire sous forme d'une défense et illustration de la démocratie. Par ailleurs une bonne connaissance des réseaux sociaux est requise.
Ce débat peut sembler insuffisamment étayé à certains et une participante évoque le fait qu’il reste difficile de percevoir en profondeur la Syrie et son régime, ainsi que le ressentiment profond du peuple syrien massacré dans un silence assourdissant
La Syrie, L’Etat Islamique et la France
Michel Onfray écrit « La France a internationalement semé la guerre contre l’islam politique, elle récolte nationalement la guerre de l’islam politique » « Bombarder l’Etat Islamique ne permettra pas de calmer les jeunes soldats qui sont dans nos banlieues »
Et souvenons–nous que le 17 avril est le jour de la fête nationale syrienne, soit la date anniversaire de son indépendance arrachée à la France le 17 avril 1946 sous la pression et l’ultimatum de la Grande-Bretagne ; nous la lui avons accordée tout en laissant le pays libre mais exsangue !
Brève histoire du conflit syrien
En Syrie, se déroule une guerre par procuration entre l’Arabie saoudite et ses alliés sunnites du golfe soutenus par les occidentaux, et l’Iran chiite soutenu par les Russes.
On est passé d’une divergence doctrinale et religieuse entre chiite et sunnites à un conflit géopolitique, ce qui a facilité la montée en puissance de l’Etat Islamique. (Le conflit Chiites-Sunnites : Pour les chiites, Mahomet n’est pas le dernier prophète et on attend l’imam caché ; les chiites ont un clergé d’ayatollah mais pas les sunnites.)
Au départ, les printemps arabes de 2011 étaient sociaux et politiques hors de toutes revendications religieuses. Le souffle du printemps arabe gagne la Syrie, sous la tyrannie des El Assad, la foule pacifique dénonce dans la rue la mainmise du clan alaouite au pouvoir, héritier d’une dissidence de l’islam chiite. La répression aveugle et féroce dans la ville de Deraa, bombardée à l’arme chimique, radicalise la contestation. D’abord incarnée par l’armée syrienne libre qu’encadrent des officiers déserteurs, la rébellion modérée perd du terrain, et dès lors des combattants préfèrent rallier les milices islamistes plus pugnaces et plus pures : C’est le cas du front d’Al Nosra, la franchise syrienne d’Al –Qaeda ; nos tergiversations intensifient cette djihadisation de l’insurrection et Obama refuse d’intervenir contre l’usage d’armes chimiques par les troupes d’Assad ; cela incite la propagande islamiste à dénoncer la duplicité des croisés ; l’entrée en lice de l’E.I, la force militaro-terroriste sunnite née dans le brasier irakien achève la dérive islamiste. Il prétend ré-instaurer un califat avec Raqqa comme capitale (puis Mossoul dans le nord de l’Irak) au mépris des frontières tenues pour un legs colonial impie. Assad ne règne plus que sur un tiers du pays !
La confessionnalisation de la contestation a commencé au Bahrein et en Syrie où les révoltes ont été écrasées. L’Arabie saoudite joue donc sa partition avec le soutien actif des occidentaux contre l’Iran chiite :
. Les Saoudiens, le Qatar et la Turquie arment les rebelles salafistes opposés à Assad, mais Daech est un monstre qui leur a échappé.
. L’Iran arme les milices chiites en Irak et le Hezbollah au Liban, pour venir en aide à Assad.
La fracture paraît claire entre l’Occident et le monde sunnite d’une part, et le tandem irano-russe d’autre part. Poutine et l’islam : cela permet à la Russie de reprendre pied au Moyen-Orient, en Syrie notamment, en soutenant Bachar el Assad ; la Russie pratique une diplomatie de la malveillance pour embêter l’Occident, et cela en réponse à l’action des Etats-Unis qui provoquent la baisse du prix du pétrole pour affaiblir l’économie russe déjà bien mal en point.
Un axe Téhéran-Moscou s’est créé: L’Iran et la Russie ne lâcheront par Assad car Téhéran ne peut se passer de son seul allié arabe tout en défendant le Hezbollah, et la Russie attend de voir ses intérêts tout en bombardant les opposés modérés et préservant Daech !
La France devient une cible idéale : elle est intransigeante quant au départ d’Assad mais n’en reçoit pas l’indulgence de Daech, car la France a commis le péché originel d’avoir combattu le djihad en Irak dès septembre 2014 puis en Syrie, au Mali et au Nigéria. La France bombarde Daech et Assad déclare « Les politiques erronées de la France dans la région, ont contribué à l’essor du terrorisme !!! Et donc vous méritez le terrorisme à Paris »
Ce glissement religieux aurait sa source dans la révolution iranienne de 1979 et le renouveau chiite, cela a favorisé la radicalisation sunnite surtout qu’avec l’accord sur le nucléaire qui fait grandir l’Iran au rang de puissance influente régionale.
La France a choisi le camp sunnite car l’Iran ne semblait pas très clair. Nous avons cru que la révolte en Syrie en 2011 était sociale, mais si Assad s’est maintenu au pouvoir et a écrasé la révolte c’est parce qu’il avait des soutiens dans le peuple syrien, et en l’ignorant nous nous sommes placés hors-jeu.
La lutte pour le contrôle de la sphère musulmane s’ajoute celle du contrôle des ressources pétrolières.
Faire la guerre contre Daech en France ?
Devons-nous lutter seuls ou relancer une action géopolitique et recréer une alliance avec les Russes pour intervenir au sol avant que ne tombent Damas puis Beyrouth et enfin Istanbul ?
Devons-nous aussi identifier la menace sur notre sol ? Car Daech nous renvoie ses soldats techniquement prêts à la guerre, ces soldats qui étaient avant des citoyens français que nous lui avons fournis psychologiquement disponibles ! Notre bouclier s’avère inefficace depuis les deux attentats de janvier et novembre.
Nous devons éviter la guerre civile que veut nous imposer Daech qui rêve que la France impose le couvre-feu dans les banlieues, instaure un contrôle au faciès et décrète une suspicion généralisée contre les musulmans.
Selon Finkielkraut, nous devrions faire pièce à l’islamisme et à l’islam avec des mesures originales adaptées à la situation présente et non bâties à partir de nos souvenirs des stigmatisations dont nous invoquons la mémoire, celle de l’antisémitisme des années trente pour ne pas voir sa version contemporaine « l’antisémitisme islamiste » L’islamisme nous a désigné comme son ennemi car il ne partage ni les mêmes principes, ni les mêmes traditions, ni le même idéal. Sinon, nous irons vers un sécessionnisme culturel et territorial. Et tout ne serait pas lié aux seules inégalités économiques qui peuvent apporter le bonheur individuel. L‘islamisme serait faussement le fruit d’un apartheid, dans cette croyance que « s’ils n’étaient pas chômeurs et en difficulté d’immigration, tout irait bien » c’est le logiciel de pensée de la majorité mais il doit être remis en cause !
Nos démocraties pacifiques sont incapables de penser qu’elles peuvent avoir des ennemis, on ne peut plus se demander pourquoi et dans quel but des gens qui nous ressemblent nous haïssent, alors on cherche à rationaliser du côté de la colonisation, de l’exploitation et de la discrimination négative de nos concitoyens issus de l’immigration; on ne veut pas voir nos ennemis poursuivre une autre idée de l’humanité, de la société, en fonction d’une religion et d’un héritage culturel, nous ne voyons qu’une lutte d’une minorité de citoyens contre l’ humiliation coloniale et la situation de dominé ; or ce serait secondaire et ne viendrait que se surajouter à cette visée fondamentaliste, cœur de la question.
Face à une nouvelle catégorie politique que nous ne savons pas nommer, on préfère dire qu’on a affaire avec des fous et des malades car on ne peut plus penser que les gens normaux, qui sont comme nous, ne puissent avoir l’idée de tuer quelqu’un pour faire triompher leurs idées. Cette conception de la religion fut celle de notre Occident chrétien qui s’en est débarrassé. Les djihadistes ne sont pas si loin de nous car nous provenons de la même histoire, sauf que nous sommes à une étape de cette histoire très éloignée de la leur
C’est une nouvelle forme de colonisation mais sans projet de domination, mais nous avons la conviction que le reste du monde cherche à s’approprier ce que nous sommes, quand ces djihadistes pensent que les bienfaits de l’Occident n’en sont pas et ils nous en veulent au point de souhaiter notre mort. Les attaques ont frappé les symboles de ces bienfaits, foot, bistrot et concerts, c’est-à-dire la liberté et le bonheur individuels ; ils visent ainsi ce qu’ils détestent, qu’ils connaissent bien car pour eux c’est à la fois une tentation et une horreur absolue.
Syrie et islamisme et islamisme en France : La naissance d’une haine.
Une petite généalogie de l’islamisme aujourd’hui en France: cette histoire n’est pas trop étrangère à ce qu’on vit actuellement ; l’islamisme est né vers 1920, quand le Califat fut aboli par Mustapha Kemal qui voulait imiter la modernité de l’Occident et surtout la France et sa Révolution, et cela a créé une haine des musulmans contre l’Occident ! Il a voulu copier la séparation du religieux et du politique, comme dans les Etats-nations d’Europe sans laisser subsister de commandement des croyants.
Puis vinrent les années 1950-60 avec la décolonisation et l’installation de régimes militaires dont Nasser en Egypte, puis l’Irak et la Syrie avec le parti Baas (laïc). Un cas particulier avec l’Egypte qui veut s’occidentaliser et qui se tourne vers l’URSS, le barrage d’Assouan d’abord dévolu aux USA sera réalisé par les Russes.
Avec le réveil du Tiers-Monde, l’URSS veut s’implanter dans ces pays émergents qui ont un langage antiimpérialiste et de non-aligné ; mais ces pays sont aussi très autoritaires et la « respiration » de la population se faisait dans les mosquées avec les Oulémas.
Mais les régimes arabes nationalistes faillissent avec la chute du panarabisme et les peuples se tournent vers la religion comme un ciment national possible.
Un phénomène déclencheur, L’Iran : Le Shah veut moderniser le pays et chasser le clergé, et en 1979, il s’exile au profit de l’imam Khomeiny réfugié en Irak puis en France.
Puis vint les guerres d’Israël contre les pays arabes et qui les ont perdues grâce à l’appui des USA, cela produit un surcroît de haine antioccidentale.
Avec cette république islamique en Iran il y a une compétition entre Chiites et sunnites, une véritable guerre interconfessionnelle. Le conflit Chiites-Sunnites : Pour les chiites, Mahomet n’est pas le dernier prophète et on attend l’imam caché ; les chiites ont un clergé mais pas les sunnites.
Intégrer un islam en France ou un islam de France : en répercussion de notre géopolitique en Syrie, Mali...
On ne devrait pas stigmatiser les musulmans mais on ne devrait pas laisser en l’état l’islam de France, peu et mal organisé et qui s’offre à l’intégrisme ; le Conseil du culte musulman doit reconquérir les mosquées et autres lieux de culte pour que la religion puisse y être pratiquée en toute liberté et sécurité ; et surtout il faut que la République y entende professer ses valeurs et y voie assuré leur respect. Si l’Etat ne guide pas l’islam, les jeunes suivront d’autres mauvais bergers, l’Etat doit cesser un temps d’être laïque et manifester son devoir d’ingérence pour préserver les musulmans de France de l’islamisme et de l’islamophobie. Cet islam de France dont ne veulent pas les salafistes ou autres fondamentalistes qui n’imaginent pas que naisse un autre islam que l’originel ; car l’islam de France est celui de la modernité et il serait hérétique ; il faut donc le combattre avant qu’il ne fasse miroir aux musulmans du sud et éventuellement les amène à réfléchir sur la modernisation de l’islam (déjà entamée avec la théologie de la liberté, le Mutazilisme qui voulait introduire en 827, la notion de liberté et l’exigence rationaliste, courant battu en brèche par la théologie sunnite).
On dit que la menace viendra des convertis de fraîche date en Europe qui ont l’ardeur des néophytes devant cet islam qui exalte les choses en profondeur, ces jeunes qui veulent retrouver cette vie de conquête comme au temps des prophètes, cette quête vers la pureté, l’absolu, l’exaltation de la mort, l’héroïsme guerrier qui se répand un peu partout dans le monde musulman. L’islamisme vient en partie de cette énorme blessure que fut pour le monde musulman d’avoir perdu le Califat, fin proclamée par la révolution kémaliste en 1924, d’où le désir de vouloir reconstituer ce califat par des fanatiques en 2014;
Les Français dans le djihad, inimaginable !
Al-Baghdadi s’est proclamé calife sur la terre de Schâm en cette grande Syrie mythique, sur un territoire musulman conquis en Syrie et en Irak, terres historiques de l’islam ! D’aucuns rêvent de se rallier au drapeau noir du djihad ou encore du retour vers la terre d’islam et les préceptes originels de la religion (hijra) ; parmi ces apprentis djihadistes on peut les classer en trois catégories :
. Les Utopistes qui veulent changer le monde
. Les haineux qui veulent se venger de la France
. Les psychopathes qui veulent exterminer les mécréants sur le sol français et américain.
L’E.I voue aux gémonies l’attachement français à la laïcité qui a conduit à l’interdiction du voile dans les écoles en 2004, puis du voile intégral dans les lieux publics ; et cette haine est attisée par l’engagement de l’armée française contre les djihadistes du Sahel et contre Boko haram. De tels franchisés peuvent se lever n’importe où et sans coup férir !
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Impossible de conclure, mais peut-on dans un contexte de mondialisation économique d’échange de biens matériels, proposer encore le modèle français d’assimilation avant même de réussir l’intégration ? Nous voudrions proposer un type de réflexion « à nouveaux frais », sans avoir fait la part de ce que nos politiques depuis un demi-siècle, voire un siècle, nous ont légué. La concurrence des mémoires en France nous fait insister sur la Shoah mais dénient toute importance aux conséquences lointaines de la colonisation, voire de l’esclavage.
Poser ces questions-là serait faire preuve d’une culpabilité, d’un passéisme incongru, d’une paresse de la pensée, voire d’un masochisme moralisateur !
Face à ces jeunes nés en France, citoyens français, et porteurs des souffrances de leurs parents venus travailler en France et ont contribué pour 40 % à l’effort de reconstruction de notre pays après la guerre, sans compter leur contribution à notre décollage économique au siècle précédent, nous ne savons leur adresser qu’un message : Nous vous offrons l’hospitalité et vous devez nous dire si vous vous déclarez Français ou non, quand bien même vos parents seraient morts sous l’uniforme français. Vous devez vous assimiler et intégrer les valeurs de la République, oublier vos traditions, en un mot « Vous êtes nos hôtes et nous sommes en droit de vous demander des efforts dans une République une et indivisible qui supporte mal la diversité » Aucune discrimination positive ne doit être de mise, l’adhésion à nos valeurs et coutumes n’est pas négociable ni susceptible d’accommodements dans nos écoles, tous écarts doivent être sanctionnés selon une morale de la responsabilité. L’identité nationale commande que l’on examine au cas par cas l’acquisition de cet avantage, même si les aïeuls d’enfants de l’immigration étaient déjà français au XIX ème siècle et avaient combattu et étaient morts pour la France!!
Des enfants de la République deviennent des envahisseurs qui procèdent d’un grand remplacement ethnique et s’arrogent le droit de changer notre civilisation en nous islamisant ave leurs mosquées à minaret, en nous barbarisant, comme si nous n’étions pas en train de nous déchristianiser volontairement ! Le peuple de France, bien de chez nous, qui souffre par l’économie, est prêt à suivre ce rejet de populations depuis longtemps intégrées, car selon Régis Debray, « On a abandonné l’économie du salut en cherchant son salut dans l’économie, mais un salut qui ne vient pas !»
Nous ne voulons pas voir les effets de notre politique, en Afrique et au Moyen-Orient, sur notre territoire ; nous sommes un Etat multiculturel qui ne veut pas écouter une fraction de sa population s’émouvoir du sort injuste des Palestiniens, de notre soutien aux pays arabes totalitaires, aux monarchies pétrolières qui préfèrent acheter le magasin « Le printemps » à Strasbourg plutôt que d’investir dans le développement de leur propre pays. En puisant les richesses dans ces pays nous provoquons des migrations de populations qui viennent compliquer le sort de nos nationaux issus d’une immigration lointaine, et relançons les idées de la droite extrême sur la protection de nos égoïsmes !
Nous ne voulons pas voir notre ostracisme à l’égard d’une fraction de notre population, qui se rendent compte que la Belgique ou le Canada leur accordent leur chance sans se poser de questions sur leur ascendance ; sans compter des chasseurs de tête américains qui viennent dans nos banlieues rechercher des compétences que nous négligeons ou méprisons.
Quoiqu’on en dise, un fossé se creuse entre notre République une et indivisible et certains de ses enfants qui se sentent en décalage et sont prêts à trouver dans des idéologies dangereuses un genre de salut et d’identité, voire une radicalité. Mésestimés, malgré leur intelligence et leur bagage intellectuel, ils retrouvent du prestige sous le statut de djihadistes et sont persuadés de participer aux premiers combats de la grande bataille annonciatrice de la fin des temps, l’apocalypse au sens littéral du mot : ces élus auront le privilège d’assister au dévoilement de la vérité divine dans une reconstitution fantasmatique de la communauté musulmane originelle du VII ème siècle. Les djihadistes sont convaincus de participer aux premiers combats de la grande bataille annonciatrice de la fin des temps ! Cela peut nous paraître aberrant, mais n’avons-nous pas nous-mêmes créé cette notion d’apocalypse quand les Juifs ou les premiers Chrétiens n’en finissaient pas de subir le joug d’une domination romaine sans issue possible ? Certains mettent en parallèle leur situation ou celle, humiliante, des pays arabes actuels avec l’époque de la Renaissance arabe qui vit les érudits de Bagdad d’Ispahan ou de Cordoue, irriguer le monde de leur savoir avant de sombrer dans un genre d’obscurantisme.
Que faire ? Comme disait Lénine. Aider au développement des pays que fuient les populations menacées, au lieu de continuer à faire pression à la baisse des ressources naturelles, métaux, pétrole et gaz. Même si les entreprises seront tentées de réviser les salaires à la baisse en employant ces populations réfugiées et de bon niveau professionnel.
Pour nos nationaux, l’intégration doit être évidemment continuée en provoquant un réel débat sur leur place, au lieu d’un débat sur l’identité nationale à mériter. Réorienter nos efforts dans le partage du travail sans mention de l’origine des candidats (Du 9-3 ou non) ; Et surtout nous devons dépister et arriver à sauver des jeunes arrivés au stade de la pensée sacrificielle. On doit leur faire comprendre conscience que derrière leur enrôlement ils désiraient en fait se suicider. Ce ne sont pas que des fous, des malades ou des gens pas comme nous, nous devrons chercher à les comprendre avant de les sanctionner.
Retour vers les textes du café politique
Café politique du 17 décembre 2015.
Les migrants et l’Europe aujourd’hui.
Les migrants et l’Europe (texte d’Isabelle).
Nous allons parler de ce que les media appellent la crise des migrants, c’est-à-dire l'arrivée aux portes de la forteresse Europe depuis plusieurs mois de vagues successives de migrants. En effet, selon les dernières estimations du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, 705 200 migrants ont traversé la Méditerranée depuis le début de l’année. 562 355 personnes ont rejoint la Grèce et 140 000 l’Italie. 3 210 sont morts ou portées disparues.
Un peu plus de la majorité de ceux qui arrivent viennent de Syrie (ils représentent jusqu’à 64 % des arrivées en Grèce) d'où ils ont été chassés par la guerre civile, et où les bandes armées qui s'autoproclament « État islamique » ont pu prospérer grâce au soutien de l’État – bien en place celui-là – de Turquie, entre autres… En réalité, toute la région paie le prix du dévoiement des révolutions arabes par les milices et l'islamisme. Ce dévoiement a été voulu aussi bien d'un côté par le clan d'Al Assad, qui a ainsi ressoudé, au moins en partie, les minorités religieuses autour de son régime chancelant, que de l'autre côté par les monarchies du Golfe inquiètes de voir le printemps arabe éclore dans leur pays.
Enfin, les puissances occidentales elles-mêmes ont joué au mieux de leurs intérêts dans la région. Elles ont tantôt appuyé des factions militaires fraîchement basculées dans l'opposition, comme en Libye, tantôt retenu leurs bombardiers alors qu'elles avaient menacé de frapper, par exemple contre Al Assad en cas d'emploi par ses troupes d'armes chimiques contre les populations révoltées. Les États-Unis et la France n'ont jamais exercé la moindre rétorsion contre le Qatar, la Turquie ou l'Arabie Saoudite lorsque ces pays finançaient ou épaulaient l’une ou l'autre des milices islamistes.
Ces derniers mois, voire ces dernières années, le flux médiatique a ainsi été rythmé par les drames humains successifs de ces milliers de personnes qui, cherchant un avenir meilleur, ont péri aux portes d’un continent qu’ils considéraient comme un « Eldorado ». Bateau surchargé coulant au large de la Sicile avec ses 800 passagers, réfugiés étouffés dans les cales d’un autre bateau laissé à l’abandon par ceux qui s’enrichissent sur la misère ou camion transformé en charnier sur une autoroute autrichienne. On peut ajouter à ces exemples les migrants morts en tentant de traverser à pied le tunnel sous la Manche ou ceux frappés par les CRS et militaires à la frontière entre la Macédoine et la Serbie, entre la Serbie et la Hongrie ou entre la France et l’Italie à Vintimille. L’horreur a presque fini par se banaliser pour les « spectateurs » européens.
L’objectif du café de ce jour est de tenter de décortiquer, collectivement, ce qui se joue aujourd’hui en Europe et au-delà. Il ne s’agit pas de simplement s’émouvoir – à juste titre d’ailleurs – devant la photo d’un enfant de trois ans mort sur une plage de Turquie. Il ne s’agit pas seulement d’exprimer des émotions face un drame humain d’une telle ampleur. Notre objectif est de l’analyser politiquement. Et cela dans le but de ne pas rester soit dans l’indifférence coupable soit dans la compassion oiseuse, mais bel et bien pour avoir des clés de compréhension.
I – Un flux migratoire inédit ?
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Tout sauf une invasion !
Avant de revenir sur l’actualité de ces derniers mois afin de comprendre la nature du flux migratoire en direction de l’Europe, je souhaiterais mettre en relation quelques chiffres, qui permettent de briser d’emblée certaines idées reçues sur lesquelles surfent les politiciens.
Aujourd'hui, des centaines de milliers de personnes fuyant non seulement la guerre civile syrienne, mais aussi l’Érythrée, le Soudan, ou encore l'Afghanistan se pressent aux portes de l'Europe. Ainsi, l'immigration dite « clandestine », désignant les migrants entrant sur un territoire donné sans passeport en règle, ou avec des faux papiers, et dont la part dans le total des migrants est par nature difficile à évaluer, a considérablement augmenté ces derniers mois. Tout d’abord, même en prenant une marge d'erreur importante, elle portait avant le début de la crise, pour l'ensemble de l'Europe, sur des nombres à 4 ou 5 chiffres, c'est-à-dire moins de 100 000 personnes par an dans une zone de 500 millions d'habitants, soit une arrivée nouvelle pour 5 000 Européens. Depuis janvier dernier, ce serait donc 705 200 migrants qui ont traversé la Méditerranée selon l’ONU. Cependant, même si ce chiffre témoigne d’une augmentation importante, il pourrait être multiplié par 8 qu'on en serait seulement à environ 1 % de la population de l'UE. Et pour l'instant, la répartition décidée par les politiciens européens ne concerne que 120 000 migrants, c'est-à-dire à peine plus que le nombre qui parvenaient chez nous jusqu'à présent. Ces chiffres permettent de remettre à sa juste place la « vague » : il y a bien un afflux, mais il est loin de submerger l'Europe, et encore plus de « noyer » sa population.
Seulement une petite partie arrive jusqu’en Europe
En effet, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, la grande majorité de ceux qui tentent de fuir les guerres, la misère ou encore la dictature, n’arrive pas jusqu’en Europe. Lorsque migrer est une question de vie ou de mort, celui qui part s’arrête dès qu’il peut, d’abord faute d’avoir de quoi poursuivre sa route, mais aussi afin de rentrer plus facilement chez lui quand cela lui sera possible. Ainsi, sur les 22 millions d’habitants que comptait la Syrie avant le début de la guerre en 2011, le HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés) estime que près de 5 millions de personnes ont été déplacées par le conflit. Sur ces 5 millions, moins de 10% se déplacent vers l’Europe. Le Liban, la Turquie et la Jordanie se partagent 4,5 millions de réfugiés syriens. Plus d’un million pour le seul Liban, ce qui représente le quart de sa population. Et pour ceux qui tenteraient le tout pour le tout pour rejoindre l’Eldorado européen, c’est bien trop souvent la mort en mer ou la rétention dans des centres qui attendent les migrants, victimes de la panoplie des politiques sécuritaires des Etats européens.
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Retour sur l’actualité de ces derniers mois…
En effet, depuis l’automne dernier, les naufrages en Méditerranée se sont multipliés mais ce n'est pas une affaire nouvelle. Le nombre de morts croît en réalité depuis une bonne décennie.
Avant le dévoiement des révolutions arabes, et les conflits au Moyen-Orient que cela a engendré, la route qui venait de l’Afrique noire vers l’Espagne en passant par le détroit de Gibraltar, les îles Canaries et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla a longtemps été la principale route migratoire. Mais les changements de la situation politique au Moyen Orient, ainsi que les conséquences de la crise de 2008 qui touche fortement l’Espagne, en particulier dans le bâtiment (secteur embauchant un grand nombre d’immigrés) ont changé la donne. En effet, les flux de migrants se sont déplacés du détroit de Gibraltar vers l'île de Lampedusa et la Sicile d'une part, et vers la frontière gréco-turque, non seulement sa partie terrestre mais aussi l'entremêlement des îles des Cyclades d'autre part.
Merkel partage notre sympathie
Mais cet été, alors qu'elle était prise à la gorge par la Troïka avec qui elle tentait de renégocier sa dette, la Grèce a décidé de laisser passer les migrants. Elle leur menait jusque-là une chasse assez brutale. Et ce revirement a précipité plusieurs dizaines de milliers d'entre eux vers les frontières orientales de l'Europe. C’est alors que la Hongrie, dirigée par le réactionnaire Viktor Orban, décide pour sa part d'ériger un mur à sa frontière. Il s'attire les foudres des autres dirigeants européens, mais sans doute moins pour sa gestion des flux migratoires que parce qu'il est déjà en bisbilles avec eux sur nombre d'autres sujets.
Pendant deux ou trois semaines en septembre, la tonalité des médias a quelque peu changé. Les migrants parvenaient aux portes de la riche Europe de l'ouest, et une partie de l'opinion publique, prenant conscience de leur courage tout autant que de leur détresse, s'est solidarisée d'eux. Ainsi en Autriche par exemple, des gens prennent leur voiture pour aller chercher en Hongrie les réfugiés que la police tabasse dans les gares. Sur le passage des migrants, les uns apportent de la nourriture, les autres des vêtements, à tel point qu'un Syrien confie à un journaliste du Monde qu'il doit jeter ce qu'on lui offre car il est déjà trop chargé, mais qu'il le fait le plus discrètement possible afin de ne pas décevoir la bonne volonté de ces généreux anonymes.
C'est alors qu'intervient Angela Merkel. En quelques jours, ses prises de position lui valent une popularité sans égale dans les colonnes de migrants. Elle en profite pour imposer le schéma de répartition que le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker tentait désespérément de mettre en place depuis le printemps afin que l'ouest de l'Europe prenne en charge une partie des nouveaux venus à l’est.
Mais pas longtemps… Renforcement des politiques sécuritaires
Sur le plan médiatique, l'éclaircie n'aura duré qu'un temps. Confrontée à un afflux de migrants qu'elle n'avait pas anticipé, Merkel fait machine arrière dès la mi-septembre. Tout d'abord, le quota de migrants accueillis est limité à 120 000, soit 15 % des migrants déjà arrivés en Europe, si on se fie aux chiffres de Frontex. Ensuite, la lutte contre les filières de l'immigration clandestine est renforcée. Il ne s'agit pas pour nous de prendre la défense des passeurs. La plupart sinon la quasi totalité d'entre eux opèrent aujourd'hui au sein de réseaux mafieux très bien structurés et doués d'un mépris absolu pour leurs clients, qu'ils confient à des embarcations au mieux en fin de vie, au pire pas faite pour affronter les dangers de la navigation au large. Mais l'UE ne se préoccupe pas davantage du sort des migrants.
Ainsi, dès l'été, certaines voix s'élevaient pour réclamer le droit de détruire tout navire « susceptible d'être utilisé par les passeurs » sur les côtes libyennes. Et le 10 octobre, l'ONU accorde aux marines de l'UE le droit d'arraisonner (c'est-à-dire inspecter, saisir et détruire) les bateaux dans les eaux internationales alors qu'elles devaient jusque là attendre qu'ils entrent dans l'espace maritime national (la ZEE) pour intervenir.
Les attaques d’embarcations se doublent de la création de « hotspots » sur les rives sud de la Méditerranée. Ce mot « hotspot », remplace l'ancien mot « centre de rétention ». Il est censé aseptiser la sordide réalité : il s'agit ni plus ni moins de prisons pour migrants. Des prisons qui posent un problème même dans le droit bourgeois car la migration illégale ne constitue pas un crime. En Libye, par exemple, les centres de rétentions sont l'héritage du dictateur déchu à l'automne 2011 Khadafi. Sarkozy, alors président de la République avait, on s'en souvient peut-être, « libéré » des infirmières bulgares accusées d'avoir empoisonné des enfants. À cette occasion, un vaste accord commercial prévoyait l'achat par la Libye d'avions Airbus, de navires de guerre, et en échange de son retour dans les bonnes grâces de l'impérialisme, l'ouverture de ces centres. Pas un migrant passé par ces geôles n'a échappé aux mauvais traitements : tabassage, racket, viol étaient monnaie courante. De temps en temps, les portes s'ouvraient pour laisser une partie des détenus tenter leur chance à travers la Méditerranée. Le régime prélevait sa commission au passage, et se servait de ces passages comme d'éléments dans la négociation en cours avec l'UE : vous êtes gentils, on ferme les frontières, vous êtes méchants, on les rouvre. La chute du dictateur a ainsi été précédée d'une ouverture générale des prisons. Les bateaux remplis de migrants étaient censés, dans la stratégie du régime, détourner les navires de guerre occidentaux opérant près des côtes libyennes pour appuyer la rébellion. Cet été, certains à droite ont réclamé que le gouvernement français reprenne cette politique. Ils anticipent sur le règlement du conflit entre les diverses bandes armées, principalement celle de Tobrouk, reconnue comme gouvernement légitime par la plupart des Etats du monde, et celle de Tripoli, l'ancienne capitale. Sous la pression de l'UE, un accord pourrait intervenir dans les prochaines semaines, rapportait Le Monde.
Ainsi, l'UE compte bien multiplier hors de son territoire ces « hotspots » afin de sélectionner les migrants qui l'intéressent le plus avant leur arrivée dans l'eldorado européen. C'est la politique dite de « l'immigration choisie », que Sarkozy opposait à « l'immigration subie ».
Et enfin, pour ceux qui sont déjà sur le sol européen ou qui y parviendraient dans les prochains temps, il leur faut affronter ces murs qui s’érigent un peu partout en Europe. Si le mur de Berlin, au XXe siècle, choquait tant les « humanistes » occidentaux, que dire aujourd’hui de la barrière de barbelés construite par la Hongrie sur ses 175 kilomètres de frontière, du mur construit par la Grèce à la frontière avec la Turquie, de celui à la frontière Bulgaro-serbe ou encore des grillages de six mètres de haut, surplombés de barbelés, qui encerclent les enclaves de Ceuta et Melilla sur la côte marocaine. Et récemment, c’est au tour de l’Autriche, qui a annoncé mercredi dernier que son pays s'apprête à construire une barrière à sa frontière avec la Slovénie afin de contrôler le flux de migrants remontant de la Grèce vers le Nord de l’Europe, flux dont l’itinéraire a été déplacé suite au blocage par la Hongrie de sa frontière avec la Croatie. Si cette surenchère continue, toutes les frontières auront bientôt l’apparence de prisons !
Les politiques réellement mises en place ont donc bien peu à voir avec les annonces humanistes dont se sont fendus nos dirigeants.
II – Une politique dirigée contre les travailleurs
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Hollande et Merkel : une fausse solidarité ou comment satisfaire aux exigences du patronat
En France, comme en Allemagne, les patrons n’ont pas eu l’air de considérer l’arrivée des migrants aux portes de l’Europe comme une crise. Bien au contraire, en Allemagne, ce sont eux qui ont poussé Merkel à ouvrir les frontières. En effet, le vieillissement du pays, dû à une natalité en berne, impose de trouver de jeunes adultes pour cotiser pour le système de retraites et les autres caisses sociales. Les patrons allemands ont besoin de main-d’œuvre et voient dans l’arrivée des migrants une aubaine pouvant combler ce déficit, et le tout à bas coût. "Les entreprises doivent s’occuper des migrants, pas seulement pour des questions humanitaires mais aussi par intérêt économique. Nous avons beaucoup de difficulté à trouver des personnels qualifiés, comme des poseurs de voies ferrées ", a déclaré Ulrich Weber, chef du personnel de la Deutsche Bahn, qui vient de lancer un programme de formation pour les réfugiés. De son coté, la poste allemande (Deutsche Post) promet d’embaucher des réfugiés dès que leur situation juridique le permettra : «Accordez des permis de travail plus rapidement», implore au gouvernement Frank Appel, le président de Deutsche Post. «Nous avons actuellement 500 000 postes vacants!».
Les patrons allemands se mettent même ainsi à demander la suppression du principe «préférence nationale» qui oblige les agences pour l’emploi à chercher si un Allemand (ou un membre de l’Union européenne) ne peut occuper le poste réclamé par un demandeur d’asile, veulent des cours d’allemand pour tous, etc. Mais les patrons sont loin d’être devenus des philanthropes et comme le précise bien la fédération du patronat (BDA) allemand, les migrants constituent un «réservoir à exploiter». Comme en écho, Pierre Gattaz, le «patron des patrons», le président du MEDEF s’exprime dans les colonnes du Monde du 08 septembre : «l’accueil des migrants est une opportunité pour notre pays, accueillons-les, et sachons tirer profit de leur dynamisme : ils ont souvent un fort niveau d’éducation, sont la plupart du temps jeunes, formés et n’ont qu’une envie, vivre en paix et pouvoir élever une famille ». En résumé, nous pourrons tirer du profit de cette main-d’œuvre que nous n’aurons pas besoin de former, efficace, et normalement docile et encline à rentrer dans le rang ! Et Emmanuel Macron, ministre de l’économie, d’ajouter : «si l’accueil des migrants est fait dans le bon ordre, de manière intelligente, c’est une opportunité pour nous».
Ainsi, début septembre, Merkel, comme nous l’avons déjà vu plus haut, s’est, dans un premier temps, empressée de satisfaire aux exigences du patronat, tout en en profitant pour apparaître comme la «Mutter Merkel», surnom que ne tarde pas à lui donner Der Spiegel, ouvrant grand ses frontières et annonçant vouloir accorder le droit d’asile à 800 000 migrants. Mais l’affaire n’a duré qu’une semaine avant que l’Allemagne ne réinstaure un contrôle strict à ses frontières. Et le tour était joué. La manœuvre permettait de jouer sur plusieurs tableaux à la fois : outre le signe fait aux patrons et la mise en place de mesures en leur faveur, la Chancelière en profitait pour redorer son blason et mettre la pression sur les autres pays européens qui refuseraient d’accueillir des réfugiés, le tout en ménageant son image de fermeté afin de garder les faveurs de l’aile droite de son parti, la CDU. La solidarité affichée de «Mutter Merkel» apparaît alors bien moins sincère, servant d’étendard à une politique en faveur des patrons et du gouvernement.
En France, comme pour apparaître aussi généreux que sa voisine allemande, Hollande annonçait début septembre que la France accueillerait 24 000 réfugiés sur les deux prochaines années (sur les 120 000 que la Commission européenne propose de répartir) : « C’est le devoir de la France », a justifié le chef de l’État, qui a invoqué « l’histoire » du pays, « marquée par des générations de réfugiés, d’exilés qui sont venus » participer à sa construction. Rappelons que la France accorde déjà le droit d’asile à 20 000 personnes par an, c’est-à-dire seulement 17% des demandeurs. Au total, selon les chiffres de l’Insee, un peu moins de 200 000 étrangers extra-européens sont autorisés chaque année à s’installer sur le territoire, un chiffre aussi stable (le total des étrangers, légaux plus illégaux, vivant en France reste très stable : 8% aujourd’hui contre 7,5% au lendemain du premier choc pétrolier de 1973) qu’il est dérisoire rapportés aux 65 millions d’habitants du pays. De plus, en concédant l’accueil de 24 000 réfugiés, Hollande est en réalité bien loin ne serait-ce que de « l’histoire » du pays dont il se réclame.
À titre de rappel, la France a accueilli près d’un million de réfugiés Catalans à la fin de la guerre civile espagnole, en 1939. Ils étaient certes très mal accueillis, parqués dans des camps de concentration sur les plages du Roussillon (il faut dire qu’ils étaient communistes pour la plupart...). 607 000 sont restés durablement en France. Elle a accueilli 750 000 Portugais qui ont fui la dictature de Salazar et 15 000 Chiliens qui fuyaient Pinochet dans les années 60 et 70. Et elle a surtout accueilli près de deux millions de Pieds-noirs à la fin de la guerre d’Algérie, cela en moins de trois ans et fait venir des centaines de milliers de Maghrébins pour reconstruire, à faible coût pour le patronat, un pays ravagé par le second conflit mondial. On pourrait encore ajouter les 120 000 réfugiés du sud-est asiatique, les fameux Boat-people, arrivés en France entre 1979 et 1985.
Ainsi, au regard de ces chiffres, ceux annoncés par Hollande en disent finalement long sur la politique anti-immigrés de ce gouvernement, dont Valls se présente à la fois comme le porte-parole et le meneur depuis le début de la crise. Il a même tenté un partage des rôles : aux maires, élus locaux et de proximité, la solidarité, organisée avec le concours de militants associatifs, et bien dispersée sur le territoire pour essayer de rendre les migrants invisibles. Cambadélis, le secrétaire du PS, est à la manœuvre car cela doit être une initiative volontaire. Hors de question d'imposer l'accueil aux édiles qui n'en voudraient pas, et pourraient le faire savoir bruyamment. Certains ont d'ailleurs alors réclamé le droit de trier les migrants : oui aux Syriens chrétiens, non aux musulmans. Comme quoi la solidarité peut aussi servir à exprimer ses préjugés racistes… Au sein du PS, l'initiative a fait un peu flop. Les « grands » maires, ne se sont pas bousculés au portillon, certains se contentant de déclarations platoniques (Hidalgo à Paris...), les autres critiquant ouvertement le projet (Collomb à Lyon, Rebsamen à Dijon). A voir Strasbourg La palme revient à la maire de Rennes, qui affirme sa solidarité le samedi 5 septembre dans l'après-midi… alors qu'elle vient de faire mettre à la rue une vingtaine de Soudanais le matin même manu militari.
Mais alors, finalement, on peut se demander : Si le patronat a tant besoin des immigrés alors pourquoi cette politique anti-immigrés de la part du gouvernement français, mais aussi des autres gouvernements européens ? Pourquoi le gouvernement Hollande, depuis qu’il est au pouvoir, surpasse largement ses prédécesseurs avec 90 000 reconduites à la frontière en trois ans ? Pourquoi a-t-il délogé manu militari les migrants à la Porte de la Chapelle, à Paris, en juin ? Pourquoi Merkel referme-t-elle ses frontières ? Et l’on pourrait continuer la liste, tant celle des formes que prennent les politiques anti-immigrés est infinie…
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Diviser les travailleurs entre eux : un objectif?
En fait, si le patronat voit dans les migrants une aubaine pour ses profits, c’est qu’il peut, entre autres choses, laisser à l’Etat le soin de les accueillir, c’est-à-dire de prendre en charge le coût de l’accueil mais aussi de faire le tri ! La politique de tri et de terreur menée par les Etats européens joue alors en effet un rôle indispensable : celui de rendre la main d’œuvre immigrée la plus vulnérable possible, donc la plus exploitable, et d’opérer une division supplémentaire dans la classe ouvrière.
Il s’agit donc de trier. Ainsi, le jeudi 3 septembre Hollande et Merkel ont envoyé une lettre commune aux autorités européennes où ils prétendent faire la distinction entre les «réfugiés» qui doivent bénéficier du droit d’asile, et les «migrants irréguliers», qui doivent être systématiquement expulsés. Une manière donc de préconiser une politique de tri entre les bons et les mauvais migrants, entre ceux réfugiés qui auraient la légitimé à être accueillis et les autres simples migrants économiques qui ne seraient qu’un poids supplémentaire pour le pays qui les accueille. Et l’idée étant lancée, Sarkozy annonce, en jouant à la surenchère, que la droite, revenue au pouvoir, ferait la distinction entre les réfugiés politiques, qui parviennent à prouver qu’en tant qu’opposants à des dictatures ils risquent leur vie en retournant dans leur pays d’origine, et les réfugiés de guerre, qui devraient rentrer chez eux une fois l’ordre revenu…fût-il dictatorial. Ces distinctions sont iniques et absurdes.
En distinguant causes économiques et causes politiques des migrations, les chefs d’Etat européens veulent faire penser que fuir la misère n’est pas une raison valable pour émigrer. Non seulement misère, guerre et dictature sont bien souvent liées dans la plupart des pays qui connaissent d’importantes vagues de départs, de l’Irak au Mali, en passant par l’Erythrée ou le Soudan, mais si l’on considère également les risques encourus par ces hommes, ces femmes, ces familles entières pour atteindre l’Europe, on mesure le désespoir qui est à l’origine de ces mouvements de population, quelles qu’en soient les raisons au cas par cas. Enfin, il s’agirait de ne pas oublier que guerre, misère et dictature ont la même origine. Ainsi, l’on pourrait reprendre une à une les guerres qui sévissent dans les pays du Moyen Orient et faire le même constat : l’une comme l’autre ne sont que le produit d’une même cause, l’avidité des puissances impérialistes occidentales dans la région . L’on pourrait également remonter l’histoire jusqu’à l’issue de la Première Guerre mondiale (Accords Sykes-Picot, mai 1916), où la France et le Royaume-Uni se sont partagé une partie du Moyen Orient en y instituant des protectorats, faisant fi des réalités sociales, politiques et culturelles de ces populations, allant jusqu’à instrumentaliser la différenciation entre sunnites et chiites dans l’objectif de mettre la main sur les ressources en pétrole de la région et de les contrôler. En réalité, le drame migratoire, on le voit bien, n’est que la résultante de la politique impérialiste, prédatrice, des grandes puissances qui n’ont pour but que de piller les régions du monde sur lesquelles elles exercent leur domination ou de les étrangler économiquement pour pérenniser la domination de la bourgeoisie occidentale.
Ainsi, la politique du tri a non seulement le mérite d’entretenir une propagande voilant cette analyse, mais aussi de justifier les politiques sécuritaires et anti-immigrés des gouvernements européens. Il s’agirait soi-disant à coup de réduction du périmètre de sauvetage, de renforcement du dispositif de contrôle des frontières maritimes, ( objectifs de l’Opération Triton lancée en 2014 - 3 millions d'euros par mois- confiant la crise humanitaire à Frontex - police européenne de surveillance des frontières), de mises en place de nouveaux centres de rétention, d’augmentation des expulsions et de durcissement de l’accès au séjour, de pouvoir contrôler les frontières en les rendant hermétiques aux migrants que l’on jugerait indésirables. Mais les gouvernements, et les patrons avec eux, savent bien que l’on ne peut ni rendre une frontière hermétique, ni expulser tous les sans papiers d’un pays.
Et ces politiques ont en réalité au moins un avantage fondamental pour la bourgeoisie : diviser les pauvres entre eux. D’une part, elles permettent la création d’une catégorie de travailleurs sans papier susceptibles d’accepter n’importe quel boulot, à n’importe quel prix. Il n'est pas rare en France, de travailler pour moins de 2 euros de l'heure quand on n'a pas le passeport adéquat. En région parisienne par exemple, la quasi totalité des manœuvres sur les chantiers, des plongeurs dans les restaurants sont des sans papiers. Ils occupent les postes les plus pénibles, ceux dont les autres ne veulent pas, sont payés moins que les autres, cotisent comme les autres mais n'ont droit à rien. Pour eux, il n'y a ni droit du travail, ni normes de sécurité, ni prud'hommes ni aucune forme de protection. Et l’on peut bien dire que, grâce à cette politique de terreur, les migrants sont depuis bien longtemps une opportunité pour les employeurs. D’autre part, elles contribuent à creuser les divisions dans la classe ouvrière en entretenant des idées, reprises allègrement par les partis d’extrême droite : il y aurait de mauvais migrants venant piquer le travail aux bons travailleurs locaux ou à ceux qui méritent d’en avoir un, ou d’autres encore qui viendraient prendre les logements des pauvres nationaux. Pour preuve et exemple que ça marche, bien des milieux ouvriers, souvent eux-mêmes tiraillés par la peur du licenciement, relaient en ce moment le fameux «On ne peut pas accueillir toute la misère du monde», ou encore, même des militants associatifs, relaient parfois l’idée selon laquelle les réfugiés viendraient concurrencer les pauvres « bien français » : Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL (Droit Au Logement) expliquait dans les colonnes du Monde du 19 septembre : « C’est quand même curieux, ce traitement des priorités en fonction de l’actualité médiatique ! Les sans-abri à la rue depuis des mois ressentent une profonde injustice ». Christine Lacombre, directrice du SAMU social de Paris avait les mêmes propos : « nos salariés ne s’expliquent pas pourquoi cette énergie, cette solidarité n’étaient pas là pour répondre à la montée du nombre de sans-abris ».
Et ce sont bien ce type d’idées qui font, par excellence, le terreau du Front National… Ainsi, les propos de Michel Rocard, Premier ministre de Mitterrand en 1988, sont repris jusqu’à la nausée par toute la classe politique. À son « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », il avait ajouté, rappellent parfois ceux qui veulent atténuer la portée de ses propos : « mais chacun doit prendre sa part ». Comme si les immigrés étaient un fardeau !
Je vais maintenant revenir plus en détails sur ces préjugés anti-immigrés agités pour diviser la classe ouvrière et donner des arguments pour les combattre en me référant essentiellement à la situation en France, avant de montrer en quoi les migrants sont une chance supplémentaire pour les travailleurs de renforcer politiquement et socialement leur camp.
III - Toute la misère du monde ?
Revenir sur les préjugés anti-immigrés.
Dans la panoplie des préjugés anti-immigrés, alimentés non seulement par la propagande du FN, mais aussi par les arguments avancés par tous les partis de la droite jusqu’au PS pour justifier la chasse aux mauvais migrants et la limitation du nombre des acceptables, comme nous venons de le voir, nous avons : les immigrés coûtent cher à l’Etat français sur nos impôts, ils jouissent des prestations sociales, font concurrence aux travailleurs français sur le marché du travail, font augmenter le chômage ou encore baisser les salaires en période de crise.
Même pour ceux qui sont les plus dénués de préjugés voire qui regardent les migrants avec sympathie, ces questions reviennent et les arguments de la générosité ne suffisent pas toujours à entraîner l’adhésion.
Tout d’abord pour ce qui est de l’accueil immédiat des migrants eux-mêmes. Ce sont les chaînes de télévision qui ont fait le calcul : 12 000 réfugiés entièrement pris en charge pendant un an (le faible nombre que Hollande propose d’accepter) coûteraient environ 120 millions d’euros… Rapporté au budget de l’État, 373 milliards d’euros de dépenses en 2015, cela représente 0,03 %.
Pas assez de logements pour accueillir 12 000 migrants ? Alors que, disent certains, nous avons déjà tant de SDF et de mal-logés ? L’Adoma, ex-SONACOTRA (Société nationale de construction de logements pour les travailleurs), a fait savoir qu’elle disposait de 20 000 logements libres sous six mois (AFPA, Ministère de la défense, SNI). Les dirigeants du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées proposent 77 650 logements HLM vacants. On pourrait ajouter à cela les milliers de logements vides dans la seule ville de Paris du fait de la spéculation immobilière. De quoi loger donc non seulement les migrants, mais aussi 150 000 SDF et même les 700 000 personnes hébergées dans des conditions précaires par la famille ou les amis. Et si l’État ne le fait pas, c’est qu’il se fiche de tous les pauvres : français ou étrangers.
Il est donc possible de les accueillir, mais si nous le faisions, cela nous coûterait vraiment trop cher, et puis ils prennent nos aides sociales : disent les propagateurs de préjugés. C'est exactement l'inverse ! Selon une étude publiée en 2010 par un prof d'université de Lille, Xavier Chojnicki, auteur du livre L’immigration coûte cher à la France, Qu’en pensent les économistes ?, les immigrés reçoivent de l’État et de la Sécurité sociale 47,9 milliards d’euros de prestations et allocations, mais ils reversent à l'un et l'autre 60,3 milliards de cotisations diverses. Autant dire un solde positif de 12,4 milliards d’euros pour les finances publiques, qui ne représente pourtant que la part monétaire de transferts bien plus importants, puisque par leur consommation, les immigrés contribuent à faire tourner l'économie du pays où ils sont établis. Ils versent ainsi 18,4 milliards d'euros de TVA, ce qui laisse imaginer le montant de leurs dépenses
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Je prends une nouvelle fois la voix du propagateur de préjugés : Même s’ils nous coûtent rien à proprement parler, ils nous coûtent parce qu’ils nous volent nos emplois !
Mais, pour qu’il y ait concurrence, il faudrait que «Français» et immigrés se disputent les emplois dans les mêmes secteurs d’activités. Cependant, de nombreux métiers, en particulier dans les services, ne fonctionnent en France que grâce à l’immigration. Plus de la moitié des médecins hospitaliers dans les banlieues sont étrangers ou d’origine étrangère. Pas moins de 42 % des travailleurs des entreprises de nettoyage sont des immigrés. Plus de 60 % des ateliers de mécanique automobile de Paris et de la région parisienne appartiennent à des mécaniciens et petits entrepreneurs d’origine étrangère.
90 % des autoroutes ont été et sont construites et entretenues avec de la main-d’œuvre étrangère. Sans immigrés, les prix à la consommation (produits agricoles et autres) seraient bien plus élevés, la main-d’œuvre étrangère étant bien moins payée. Ainsi ces migrants doivent accepter les boulots les plus mal payés, ceux dont les travailleurs natifs du pays d'accueil ne veulent pas, pas parce qu'ils feraient la fine bouche, mais bien parce que les conditions de travail sont particulièrement dures et/ou dégradantes.
C’est ce qu’exprimait crûment André Daguin, président de l’Union des Métiers et des Industrie de l’Hôtellerie en 2007. Sortant d’une rencontre au ministère de l’Intérieur sur « l’organisation de l’immigration pour motif professionnel », il déclarait : « il nous manque 50 000 mecs. Certes on pourrait taper dans le tas des chômeurs, mais les mecs ne veulent pas se mettre dans la tête qu’on mène une vie à l’envers dans ses métiers…. On travaille quand les autres se reposent. La moitié des mecs peuvent pas le supporter » .
Eh oui, ils le disent eux-mêmes : si les patrons de l’hôtellerie et la restauration, comme ceux du BTP ont du mal à trouver du personnel, comme ils le répètent en boucle, c’est parce que les conditions de travail y sont exécrables. C’est pourquoi ils embauchent des immigrés. Entre 20 et 30 % des ouvriers du bâtiment ou de la confection, des employés des hôtels ou de la restauration, du gardiennage ou de la sécurité… sont des immigrés. Et s’ils n’en trouvent assez sur le marché légal du travail, les patrons embauchent des sans-papiers.
Enfin dernière chose, pour ce qui est du chômage, ce sont en dernière instance les immigrés et leurs enfants qui en payent le prix fort, « selon l’Insee, le taux de chômage moyen était en 2010 de 8,8 % pour les personnes dont les parents étaient nés en France, de 16 % pour les immigrés proprement dit et de 24 % pour les enfants d’étrangers d’origine non européenne ». Mais ce chômage, ce ne sont pas les immigrés qui le créent, mais bien les patrons par, entre autres recettes, l’augmentation du temps de travail et des cadences, faisant faire dans plus en plus d'entreprise par une personne le boulot potentiel de trois personnes. L'exemple récent de de la mise en œuvre de cette logique par l'entreprise Smart en Moselle-Est n’est qu’un parmi tant d’autres. Plutôt que d'embaucher, il faut trimer plus. La direction de Smart, dont les bénéfices atteignent 3,8 milliards au second trimestre, fait ainsi du chantage à l’emploi : le "pacte 2020", que voudrait faire passer la direction, prévoit notamment un retour aux 39 heures, payées 37, et une diminution des jours de RTT pour les cadres, en échange d'un maintien de l'emploi jusqu'en 2020. Mais le calcul peut être fait : si les 800 salariés bossent 4 heures de plus, c’est 100 nouveaux postes qui ne sont pas crées.
Synthèse des débats du café politique du 17 décembre 2015.
Les migrants et l’Europe aujourd’hui.
Après l’état de la question proposé par Isabelle, jugé par certains très partisan, le débat s’ouvre.
1) Quelques faits complémentaires sur les migrants.
- Plus de 80% des réfugiés se trouvent dans les pays du Sud, les pays pauvres, et non pas dans les pays occidentaux ce qui évoque un certain refus d’accueillir les migrants de la part des pays riches. Parmi les pays du Sud notons le Soudan qui accepte des réfugiés du Nigeria et du Centrafrique alors que le niveau de vie de sa population est bien inférieur au nôtre. De même pour le Liban.
- De nombreuses personnes deviennent des « sans-papier » en France à cause de la complexité des formalités administratives. La dernière régularisation massive date parce qu’elle a été effectuée sous la présidence de Mitterrand. Seuls 15% des demandeurs d’asile sont reconnus comme réfugiés alors qu’il y a 20 ou 25 ans plus de la moitié des demandeurs d’asile obtenait satisfaction. Il y a donc bien un durcissement des lois et des pratiques.
- Des démographes et des sociologues du CNRS disent que l’ouverture des frontières ne poserait pas problème parce que cela mettrait fin au trafic qui spolie les demandeurs d’asile. D’autre part les migrants, voyant que leur situation se dégrade dans le pays d’accueil ne peuvent plus rentrer chez eux s’ils le souhaitent parce qu’ils ont vendu tous leurs biens aux passeurs. Rappelons le mythe du plombier polonais qui ferait une concurrence sauvage à l’artisan français quand la Pologne est entrée dans l’Union Européenne. Cette situation ne s’est pas concrétisée!
- Les Africains souhaiteraient rester chez eux mais même dans un pays riche comme le Congo les habitants émigrent. Cela est du aux problèmes économiques et politiques qui les poussent à partir.
2) L’immigration, chance ou problème pour le pays qui les accueille?
- Il existe un consensus chez les économistes, ce qui est assez rare, pour affirmer que l’immigration est une chance pour le pays d’accueil du point de vue économique. Il y a bien une croissance économique liée à l’immigration c’est pourquoi le patronat soutient l’immigration. Cependant l’opinion refuse cela. Pour comprendre cette distorsion il faut faire appel à la psychologie sociale. Pourquoi ce rationnel n’est-il pas audible?
- Il semblerait qu’il y ait un phénomène de conflit entre l’endogroupe et l’exogroupe, entre une communauté et une communauté extérieure pour des raisons anthropologiques: quand une communauté est confrontée à une autre communauté, peuvent se développer des phénomènes de rejet (voir les études de psychologie expérimentale à ce sujet). Nous pouvons également constater cela dans les différents conflits qui ont opposé des peuples différents mais proches comme les Hutus et les Tutsis, les Palestiniens et les Israéliens. Ce serait intéressant de se pencher sur des méthodes éducatives qui permettraient de dépasser cette hostilité pour aboutir à une tolérance plus importante des divergences sociétales. Pour compléter cette analyse psychologique, il est possible de faire appel à la thèse du bouc-émissaire développée par René Girard. Ce rôle est semble-t-il bien occupé par les immigrés.
- Les immigrés sont-ils concurrentiels des nationaux sur le marché du travail? Cela ne semble pas être le cas. Ils sont le plus souvent employés pour des tâches que refusent les nationaux. La patronne d’un café, présente ce jour, évoque la difficulté de recruter des employés français qui se plient aisément aux contraintes horaires de la restauration. Elle signale qu’elle a dans son personnel plusieurs employés étrangers qui bénéficient des mêmes salaires que les Français selon la législation en vigueur.
- Il reste que bien des sans-papiers sont employés dans l’hôtellerie et le BTP à des salaires bien inférieurs à ceux des employés déclarés. Les contrôles de l’inspection du travail ne sont pas assez fréquents pour éviter cette forme d’exploitation. L’Allemagne qui s‘apprête à accueillir de nombreux migrants les paiera moins que ses nationaux dans un premier temps.
3) Les fantasmes autour des migrants.
- Une information datée du 17 décembre 2015 est parue dans un journal danois consultable sur internet et qui paraît en français en France, le journal Slate. Elle relate les propos du ministre danois de l’immigration qui trouverait juste de voter une loi qui autoriserait de prendre aux migrants toute somme dépassant 300 euros. Il décrit la situation imaginaire d’un migrant qui demanderait l’asile au Danemark avec comme bagage une besace pleine de diamants. Cela lui paraît éminemment injuste de l’accueillir au Danemark dans ces conditions!
- Une deuxième idée très fréquente concerne les vagues déferlantes d’Africains d’Afrique noire pour des raisons politiques et écologiques. Avec l’assèchement progressif du Sahel, plus de 60 millions de personnes pourraient à terme arriver en Europe et créer une sorte d’ «invasion » à laquelle nous ne sommes pas préparés. La population africaine va doubler d’ici peu à cause d’un taux de natalité encore très élevé dans certains Etats.
- Le discours politique ambiant saisit si mal ce phénomène tellement nouveau et important que nous avons bâti des mythes de défense ( à court d’arguments) qui semblent se fonder actuellement sur quatre principaux grands mythes qui aliment des fantasmes autour de l’afflux des immigrés:
- Le mythe du grand remplacement soutenu par Renaud Camus. Les réfugiés ajoutés aux enfants de la République d’origine maghrébine, deviennent des envahisseurs qui procèdent au grand remplacement ethnique et s’arrogent le droit de changer notre civilisation.
• Le problème de l’identité malheureuse: on fait peur à l’opinion en lui faisant croire que l’Etat va donner des avantages aux migrants qui ne les méritent pas alors que les nationaux eux-mêmes n’en bénéficient pas.
• L’idée que l’Europe risque de n’être plus chrétienne et va devenir musulmane. Le multiculturalisme auquel nous avons cru est une illusion; nous nous attendions à l’idylle avec la diversité, or nous sommes entrés dans un climat de plus en plus dur de confrontation!
• Comme nous sommes d’incorrigibles « droit-de l’hommistes » et de naïfs anti-racistes, les migrants qui ne s’encombrent pas de ces freins vont nous dominer, ainsi nous nous priverions des armes qui pourraient protéger les atteintes, extérieures et intérieures, par d’autres qui ne s’en priveraient pas. Ce serait donc plus efficace de revenir à des valeurs de protection que d’aucuns qualifient de néo-réactionnaires (vichystes).
En surfant sur ces peurs,
• la manipulation des statistiques est très aisée: ces rumeurs accréditent l’idée qu’il y aura depuis trois ans une invasion monumentale alors qu’il n’y a pas plus de 20 000 (personnes) réfugiés prévus sur 3 ans, soit pas plus d’une personne par commune pour les 36000 existant en France!
• Les (personnes), citoyens déboussolés, en arrivent ainsi à penser contre eux-mêmes et entrent dans une forme d’irrationalité ( par exemple, fermer les frontières quand des Alsaciens vont ravailler chaque jour en Allemagne).
• Cette évolution va alors dans le sens d’un pragmatisme cynique. On délocalise de la fabrication sans que les usines ne quittent le territoire en faisant venir la main-d’oeuvre d’ailleurs! Certaines grandes entreprises vont ainsi au bout de la logique libérale en faisant pression sur les salaires, en mettant en concurrence la main-d’oeuvre ainsi importée. Une forme de dérégulation s’installe qui consiste non pas à supprimer les règles, mais à ne pas les appliquer. Le pétrole nous revient ainsi moitié moins cher et nous fait économiser 20 milliards d’euros chaque année en France. Notre croissance à la marge s’enracine ainsi en partie dans la misère que nous contribuons à créer en Syrie, Irak…
4) Témoignage d’un réfugié Syrien, une réalité difficile (témoignage recueilli à Dresde récemment).
Les Syriens ne voient pas l’Europe comme un Eldorado. Ils cherchent seulement à survivre. Voici le périple d’un jeune ingénieur agronome de 30 ans environ.
Il est parti d’une ville syrienne située à environ 100km de la côte. Il est allé jusqu’à Tartous, le port où les Russes possèdent depuis longtemps une base navale
- Il est parti pour Mersin, grand port turc. Il a pris un bateau régulier après avoir dû donner de l’argent aux douaniers syriens. Par le bus il est allé de Mersin à Izmir. Il a voulu prendre une embarcation pour aller en Grèce par la Méditerranée. Sa première tentative échoue. Pour sa deuxième tentative, le bateau est intercepté par la police.
- A la troisième tentative un navire suédois lui porte secours et le dépose sur la première île très proche de la Turquie. Il est alors alors emmené en Grèce où il est enregistré à un poste de police. De Mytilène à Athènes, il prend le ferry. Il arrive en Macédoine qui interdit son territoire aux réfugiés.
- Il arrive à passer sous les barbelés de la frontière et marche à travers la forêt toujours de nuit. Il prend le train et est arrêté et déféré devant la police. Il y découvre d’autres Syriens. Ils sont tous diplômés, avocats, ingénieurs et médecins. Le policier macédonien est très impressionné et les laisse partir.
- Ils repartent à pied et arrivent à la frontière serbe, prennent le bus jusqu’à Belgrade où un taxi les trompe: au lieu de les déposer à l’hôtel demandé par les Syriens qui savent que cet établissement ne relève pas les identités, il les dépose au centre ville devant un hôtel de luxe qui leur refuse l’entrée. Ils dorment à la belle étoile.
- Un passeur les convoie en charrette jusqu’à la frontière hongroise (le passeur a regroupé une vingtaine de personnes). Il les abandonne devant un village frontière: le village voisin, hongrois est situé à 500 mètres de la frontière. A la police des frontières serbe, ils doivent escalader une montagne et la redescendre (5 km à pied, de nuit).
- En Hongrie. Ils traversent le pays à pied ou par le train. Un contrôleur leur dit de descendre à l’arrêt sinon ils seraient interceptés par la police. Ils se remettent en marche en suivant les rails durant trois jours sans manger ni boire, dans le froid et sous une pluie diluvienne. Ils arrivent à la frontière. La police les arrête et ils paient pour pouvoir reprendre leur route. Ils modifient alors leur itinéraire mais sont repérés à nouveau par une patrouille de police (policiers armés avec des chiens). Ils courent à travers la forêt. Ils étaient 4, deux d’entre eux se perdent. Avant de passer en Aurtiche, ils jettent tout leur matériel pour ne pas se faire repérer comme réfugiés (sacs à dos, sacs de couchage…). Ils ne gardent sur eux que leur téléphone et leur argent.
- En Autriche. Ils passent sous les barbelés de la frontière entre Hongrie et Autriche. 15 personnes sont convoyées en pick-up (par un passeur) jusqu’à Vienne. Ils se cachent et dorment dans une Mosquée, se chauffent, font leurs ablutions (prières), et participent à la prière comme des citoyens ordinaires. Puis le groupe se défait, Mustapha reste seul. Il ne lui reste que 200 euros en poche.
- En Allemagne. Pour atteindre la frontière allemande notre homme prend le train de Vienne à Francfort. Il est réveillé par un contrôleur qui le prend pour un Roumain. Comprenant qu’il est syrien, il le fait conduire au centre de contrôle de Passau. On lui prend ses papiers, il est déshabillé, examiné, puis assigné au poste de police. Il ne lui reste plus que 99 euros.
- Une traductrice lui explique qu’il n’a pas le droit de sortir du Land de Bavière. La police le met dans un train pour Munich: il est hébergé dans un camp militaire très strict durant 7 jours, puis transféré dans un camp militaire à Halberstadt où se trouve le tribunal de contrôle des réfugiés.
- Au bout d’une semaine, il est convoqué devant le tribunal pour enquête. Après un mois d’enquêtes, les Syriens sont répartis entre différentes villes, lui est envoyé près de Dresden.
De la ville de départ jusqu’au camp de Passau il s’est passé 42 jours de novembre à début décembre 2014. Le coût de ce « voyage » a été de 7000 euros essentiellement destinés au paiement des passeurs.
5) Le rôle de l’Europe dans la situation des migrants.
- Certains pays comme la Turquie et la Grèce se sont sentis abandonnés devant le flux importants de migrants.
- La crise des migrants révèle le manque d’Europe politique. Plusieurs Etats de l’Espace Schengen résolvent à leur manière la question de leurs frontières. S’il existait une véritable gouvernance politique européenne, on eût été à même de définir une politique commune pour l’accueil et le contrôle des flux nécessaire en raison de la menace terroriste. Ce n’est pas à un pays en particulier de résoudre ces questions. Elles concernent tous les habitants de l’Espace Schengen.
- Il faut cependant remarquer que les institutions européennes ont fait l’effort de quantifier les flux de migrants en avançant le nombre de 120 000 à se répartir entre les différents Etats qui n’en sont pas toujours d’accord.
En conclusion.
Il reste difficile de voir clair entre ce que nous appelons migrants et demandeurs d’asile. Cependant la plupart des migrants sont contraints de quitter leur pays pour un ensemble de raisons qui mêlent la guerre et son cortège de difficultés économiques et d’atrocités en tout genre. Ils n’ont souvent aucun autre choix et ne réagissent qu’en tentant de sauver leur vie.
Les fantasmes ressentis par l’opinion à propos des vagues migratoires sont d’autant plus forts que la situation économique des pays d’accueil est difficile pour les nationaux. Une des solutions serait une forte mobilisation des populations contre l’exploitation des grands intérêts financiers qui entraînent des baisses de salaires et des cadences infernales au travail.
La part irrationnelle véhiculée par les fantasmes d’invasion est très difficile à contre argumenter dans un discours politique clair.
Commentaire de Jean-Luc à partir de l’exposé d’Isabelle.
1) Il est singulier de constater qu’il reste des personnes s’inspirant de thèses marxistes pour décrire une situation alors que la mise en oeuvre de ces thèses a toujours conduit à des échecs. Il faut certes distinguer la théorie de son application, mais lorsque l’application échoue toujours, c’est que la théorie n’est pas pertinente.
2) Si les migrations n’étaient à considérer que sous l’angle de l’augmentation des profits par les employeurs (thèse défendue lors de la présentation), pourquoi les pétro-monarchies, si peu socialistes, n’ouvrent-elles pas leurs portes aux réfugiés?
3) Il est amusant de constater que la finance internationale et l’extrême gauche défendent les mêmes thèses de suppression des frontières: les uns au nom du libre-échange, les autres au nom du dogme de l’effacement de toute identité (le référent identitaire étant proclamé comme étant par nature, réactionnaire).
4) Il y a bien sûr à distinguer entre les demandeurs d’asile et les migrants:
- Les demandeurs d’asile et réfugiés de guerre proviennent principalement des pays victimes des guerres impérialistes menées par les USA et leurs séides (Arabie saoudite, Qatar, Turquie et par voie de conséquence la nébuleuse terroriste dont le soi-disant Etat Islamique). Ces guerres, qui ont commencé avec l’effondrement de l’URSS, ont pour but d’assurer aux USA une position hégémonique en s’attaquant aux pays qui refusent leur leadership (pays nationaux laïcs - Irak, Syrie, Libye), au nom des « Droits de l’Homme », droit à géométrie extrêmement variable… C’est la version « hard » du positionnement hégémonique, la version « soft » étant l’Europe de Bruxelles, dont le but est d’assurer la servilité des populations européennes au Diktat US. La grande crainte états-unienne étant le rapprochement des pays européens avec la Russie, ce qui mettrait définitivement à terre le plan US d’hégémonie. La résolution de cette question ne peut être que politique et doit déboucher sur l’acceptation par les USA d’un monde multipolaire.
- Les migrants: l’anarchie démographique règne dans toute l’Afrique noire, le Monde Diplomatique de novembre dernier y a consacré un dossier. La population de ce continent passerait de 1 milliard actuellement à 2,4 milliards en 2050, y ruinant toute possibilité de progrès économique. Une « révolution contraceptive » est impérativement nécessaire pour endiguer ce fléau. Mais aura-t-elle lieu? En attendant, il est nécessaire pour les pays européens de se protéger par des frontières sûres. Schengen est un échec et il faut en sortir, sinon, effectivement, nos pays seront balayés par un tsunami migratoire.
- On le voit, les problématiques sont complexes et ne peuvent trouver de solutions qu’au sein de forums internationaux.
Réponse de Jean-Brice aux arguments de Jean-Luc.
- Les thèses de Marx ne sont pas univoques et ne peuvent en aucun cas être assimilées à celles des régimes communistes. Elles conservent, pour certaines d’entre elles, un caractère prédictif de l’évolution du capitalisme, notamment en ce qui concerne l’accroissement des inégalités et les ravages de la spéculation. Cela est d’ailleurs reconnu par de nombreux penseurs et économistes non marxistes (Piketty…).
- Les régimes politiques quel qu’ils soient, mais encore plus particulièrement les monarchies du Golfe, ne suivent pas la rationalité économique mais plutôt la doxa, les principes religieux et la démagogie. Leur attitude ne peut donc être érigée en exemple.
Café Politique du 21 Janvier 2016
Vers le tripartisme ?
La constitution de la Vème république institue formellement le rôle des partis politique dans l’expression de l’opinion même s’ils sont dénoncés comme facteurs d’instabilité, Mais il est précisé qu’en dernier ressort la souveraineté appartient au peuple qui peut s’exprimer directement par référendum et sans représentation.
Définition
Le tripartisme signifie la possibilité pour deux au moins des partis partenaires en présence de gouverner ensemble. Mais en l'absence de toute alliance entre les trois forces majeures actuelles, Parti Socialiste, Les Républicains et le Front National, ces trois partis peuvent demeurer des pôles en situation de tripolarisation.
Sous la Cinquième République,leTripartisme exista, avec les communistes puis les centristes :
. Années 1960, autour de trois familles, gaullistes, socialistes, communistes.
. Années 1970 (centristes, gaullistes, socialistes). Ces situations n'ont pas duré très longtemps.
I-Evolution des partis dans un contexte spécifique depuis 40 ans
Nous assistons depuis 40 ans, au déclin des partis de masse de militants au profit de partis d’électeurs avec des professionnels à demeure de la politique. Les mass média favorisent la personnalisation du pouvoir et amènent une dépolitisation et une désidéologisation. Davantage de souci des contingences électorales plutôt que des vastes ambitions d’autrefois. Les partis ont une structure souple, une doctrine vague pour attirer des électorats divers.
Mais le Front National est devenu apparemment un parti de masse d’électeurs depuis 1980, qui semble être la réponse au déclin de notre modèle républicain. Dorénavant, pour décrire le paysage politique du pays, nous allons devoir nous familiariser avec un nouveau mot : tripartisme.
II-Le contexte des modes de scrutin de la Vème République : tripartisme ou bipartisme ?
Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, qui ne qualifie que les deux candidats aux scores les plus élevés au second tour, contraint les forces politiques à se rassembler en deux camps, imposant par là un bipartisme. Mais l'émergence du Front national conduit à évoquer le tripartisme, ou a minima une tripolarisation.
Les trois forces qui dominent actuellement n’ont pas l’intention de gouverner ensemble. Chacune considère les deux autres comme des adversaires avec lesquels aucun accord n’est encore possible. Mais aucune, pour autant, ne peut prétendre être majoritaire à elle seule, sauf à siphonner les voix des autres formations.
La Vème république n’aime pas le tripartisme ! La gauche devrait regarder du côté de la mondialisation, et la droite ne pas jeter l’Etat providence par-dessus bord, alors on pourra construire ce pôle républicain pour contrer le FN : Hubert Védrine travaille à créer cette convergence momentanée en fonction du contexte de l’opinion.
III- Un contexte de peur qui génère un néofascisme, sinon un déclin démocratique
Le contexte évolue pour les partis en raison de la montée de la violence, du terrorisme et de la menace immigrée d’une part, et d’autre part selon la demande de protectionnisme et de la tentation sécuritaire avec la réduction des libertés publiques.
Le néofascisme naît qui est un produit de crise et de la peur : Peurs de la mondialisation, du chômage, de la précarité et de la pauvreté, du déclin... Elles poussent au repli sur soi, au nationalisme, à la haine de l’autre, aux postures autoritaires...
La solution néofasciste veut écarter le néolibéralisme discrédité et la sociale démocratie à bout de souffle, qui en sont réduits à reprendre et donc à cautionner les thèmes de l’extrême droite ! Aucune véritable alternative traditionnelle ne semble crédible.
IV- De nouveaux clivages dans la société
La fracture se fait moins par rapport au FN sur l’identité, l’immigration ou le rapport à l’islam, mais sur des problématiques de l’interventionnisme public et le libéralisme économique sur la question de l’Etat.
Partisans d’une société ouverte à l’Europe et à la mondialisation.
Partisans des interventionnismes étatiques de régulation.
Partisans d’un recentrage national et repli identitaire pour une vraie bataille des patriotes contre les mondialistes, contre l’Europe où l’on se méfie des frontières perméables, des migrations incontrôlées, la concurrence effrénée sur le marché du travail et la dérégulation, et accessoirement contre l’islam dont on craint le grand remplacement.
En raison du contexte économique, de la peur générée par le terrorisme, la mondialisation, la crainte du grand remplacement et de la perte d’identité, les trois partis en présence et en compétition n’ont pas d’idéologie absolument fixe. Des blocs de tendances se font jour que peuvent partager l’une ou l’autre des formations qui sont en recomposition permanente selon l’évolution de l’opinion aussi, au terme tripartisme, convient-il de préférer celui de tripolarisation.
V-Recomposition de la droite
Après les élections régionales décevantes de mars-décembre, Sarkozy, en prévision de 2017, court après les électeurs du FN en raison de la droitisation de la société française et propose une révolution réactionnaire suite aux régionales : manif pour tous et projet de revenir sur le mariage pour tous, polémiquer sur les migrants, dénoncer l’insécurité de politique pénale pour nourrir la fièvre identitaire d’un pays déboussolé.
Il absout le FN qui ne serait, selon lui, ni antirépublicain ni immoral ! Il confond ici « républicain » qui est le respect des valeurs résumées par liberté, égalité et fraternité, et « démocrate » qui est la participation de tous aux élections ; de plus il confond « moral » qui recouvre le Bien et le Mal avec « légal » qui est le rejet de l’insurrection ou du coup d’Etat !
VI-Recomposition de la gauche
Le PS est associé aux mouvements de gauche pour se dresser contre la droite et le FN ! Mais sa ligne politique est ambigüe qui empiète sur la droite jusqu’à l’extrême : le programme de Macron, la constitutionnalisation de l’état d’urgence, la réforme du code du travail, vont accentuer cette indifférenciation gauche-droite.
L’important est de se qualifier pour le second tour de la présidentielle de 2017, alors les réformistes du PS veulent mordre sur le Centre ! Mais souvenons-nous d’Antonio Gramsci qui fait de la victoire idéologique le préalable de toute victoire électorale, sauf à perdre la bataille des idées ! Une gauche coupée de sa base et sans propositions, est condamnée à disparaître.
VII- Composition évolutive du FN
Son noyau d’électeurs vote peu sur son programme, mais va sur ses perceptions du monde en trompe-l’œil ; la jeunesse, en colère contre la crise, veut faire exploser le système, et désire un homme fort avec un parler « vrai » et des solutions radicales de retour à l’ordre et à l’espérance! Ces électeurs du FN sous l’emprise du populisme ne sont plus à l’écoute de l’argumentation rationnelle.
Les transfuges votent pour le FN, car il est le seul à être sur une ligne étatiste antilibérale que le PS ne prône plus ! Ils entrevoient la fin de l’ultralibéralisme, le patriotisme économique, la priorité nationale, l’endiguement de l’immigration massive et la sécurité comme première liberté !
Le FN peut-il gagner ? Aucun parti sous la Vème n’a été assez fort pour conquérir le pouvoir et gouverner seul. Le FN s’est enfermé dans une culture de l’ennemi et ne peut encore trouver de compromis avec d’autres forces politiques d’appoint.
La Droite est tiraillée entre le rapprochement avec le FN et le refus, sans oser afficher de position commune. Hollande fait semblant de parler comme la droite sarkozyste pour s’attirer le centre-droit ; Marine Le Pen grignote la droite pour la faire exploser. La tripolarisation a bien remplacé le tripartisme !
VII- Quelle réaction au brouillage du tripartisme classique ?
Toiletter les partis traditionnels et contrer les tendances néofascistes.
Le citoyen ne veut plus de ce mode binaire « droite » contre « gauche » dans un Etat qui ne gouverne plus démocratiquement. Non plus des partis traditionnels au pouvoir en délégation permanente et soumis au diktat des lois de la mondialisation libérale. Le citoyen déboussolé cherchent des lignes de fuite, en récriminations, désertions, rancœurs, repli sur soi, et vote en faveur de l’extrême droite !
Un exercice de refondation pour contrer « néofascistes » des discours xénophobes à base de pulsion identitaire et religieuse, notamment sur « l’islamisation de l’Europe » C’est dorénavant une opposition entre « eux » et « nous » au nom de laquelle doit être conduite l’action violente pour éliminer l’autre !
Réagir et résister en recouvrant la citoyenneté.
Le souhait est de recouvrer une liberté d’action citoyenne pour provoquer une mobilisation rapide, afin de faire face aux catastrophes présentes ou annoncées : Tel est le dessein du Forum citoyen lancé à Strasbourg « Et maintenant ? » (1)
La démocratie est à refonder qui doit redevenir un objet de lutte pour promouvoir le débat, la délibération et la critique de la domination. Résister, c’est donc agir pour de nouvelles solidarités et c’est penser à neuf l’altérité et la mondialisation comme un dialogue entre les cultures et les civilisations, et non opposer les civilisés aux barbares. En fait, ce serait casser les monopoles afin que de nouvelles forces s’engouffrent dans ce nouvel espace politique créé, à la manière de l’essaimage de Podemos avec une nouvelle offre politique!
VIII- Vers une « Union nationale » ?
Un gouvernement d’union nationale ? Ou une coalition momentanée d’une partie de la gauche et d’une partie de la droite afin de lancer de grandes réformes ? Mais la compétition politique et la pression électorale poussent à mettre en avant ce qui les sépare et les oppose et obère la constitution d’un gouvernement d’union nationale impossible !
Une bataille front contre front va-t-elle avoir lieu et selon quelles modalités ? :
. Ce peut-être la victoire combinée du regroupement gauche-droite au nom d’un « Front républicain », qui ne garantirait pas contre le danger « césariste ». Nous avons déjà l’exemple de la gestion de l’Etat d’urgence, le gouvernement a interdit toute mobilisation réelle, même sur des sujets n’ayant rien à voir avec le terrorisme, comme la COP 21. Le gouvernement ne fait qu’épouser la ligne autoritaire de la droite extrême !
. Ce peut être une coalition des Républicains « droitisés » avec le Front National comme cela a déjà eu lieu en Italie : Alleanza Nazionale fut dédiabolisée puis visa une alliance avec les composantes de la droite, Berlusconi et la Ligue du nord xénophobe, afin d’accéder au pouvoir et favoriser un « césarisme régressif » (système autoritaire), comme le nommait Gramsci, pour gérer la crise économico-sociale.
En conclusion nous pouvons dire que la tripolarisation du monde politique doit s’achever par recompositions des blocs d’opinions, avant d’envisager le tripartisme réel et des gouvernements tripartites d’alliance.
Citoyen, « Et maintenant ? » lancé à Strasbourg après les élections régionales qui ont vu la, poussée du vote FN, cette initiative citoyenne se propose de fonctionner en cercles thématiques indépendants en s’adressant directement aux citoyens sur les marchés, à la manière de « Podemos » en Espagne. La méthode est, au sein de groupes de débats démocratiques, de casser d’emblée les revendications corporatistes, de fédérer les mécontentements plutôt que de les sectoriser, non pour qu’advienne la révolution violente mais pour empêcher les violences à venir. Le système des partis traditionnels à « décitoyenné » les gens, et cette coordination spontanée vise à créer du lien « horizontal », de l’intelligence collective par le débat, le partage d’expériences locales, afin d’échapper aux logiques d’appareil qui mènent aux catastrophes dans les urnes, au repli dans les têtes et aux impasses démocratiques. Retrouver les solidarités et offrir une véritable alternative à l’enfermement de l’extrême droite, tout en luttant contre le nouveau totalitarisme éradicateur.
Gérard
LE TRIPARTISME EN EUROPE
PREAMBULE
DOUBLE REVOLUTION, DOUBLE CONSEQUENCE ELECTORALE : LE TRI PARTISME POUR LONGTEMPS
POUR EVITER LA CRISE POLITIQUE : 2 SOLUTIONS
LE SYSTEME MAJORITAIRE GARANTIT LE POUVOIR AUX PARTIS DEMOCRATES
OU
LA GOUVERNANCE INTELLIGENTE ENTRE TOUS LES DEMOCRATES
deux exemples sous nos yeux
ALLER PLUS LOIN : DEFINIR UN NOUVEAU PACTE SOCIETALE ECONOMIQUE ET POLITIQUE, VITE !
CONCLUSION
IL EN VA DE LA RESPONSABILITE DE CHACUN : engagez vous !
PREAMBULE
Avant de commencer, je souhaite juste aborder un sujet d’actualité : le port de la Kippa.
Devant la montée des intégrismes, je veux juste dire qu’il ne faut pas confondre le rejet de l’intégrisme avec l’expression légitime des identités. Etre contre l’intégrisme, ce n’est pas effacé notre identité, c’est l’affirmer.
Ainsi, je critique les juifs qui enlèvent la kippa car ils ont peur. Même sous l’occupation, le grand Rabin GUTMAN l’a redit, on n’a pas demandé aux juifs de l’enlever. Ainsi, puisque nous sommes dans un café politique, que la politique consiste à agir au service de valeurs fortes, je me dois de mettre ma kippa, celle de mon père qui plus est, pour montrer que je n’ai pas peur d’affirmer qui je suis. C’est un petit acte politique personnel que je tenais à faire ici !
DOUBLE REVOLUTION, DOUBLE CONSEQUENCE ELECTORALE : LE TRI PARTISME POUR LONGTEMPS
Après l’exposé de Mr CHABANE, je souhaite faire de la prospective. C’est plus aléatoire bien entendu mais nous essayons de traiter de politique, or, la politique c’est envisager des solutions concrètes aux problèmes qui sont devant nous. La connaissance historique est importante, la justesse du constat politique aussi mais ensuite il faut sauter le pas et agir au risque de se tromper, mais agir absolument. C’est le devoir du politique surtout lorsque les enjeux sont si lourds qu’aujourd’hui. L’émergence du tripartisme partout en Europe, sujet de ce soir, ne déroge pas à ce besoin d’actions. Si nous voulons une gouvernance cohérente, assumée par des partis démocrates, anciens ou nouveaux, les politiques vont devoir agir vite et en profondeur. Il ne s’agit plus de changer le pansement mais d’innover, innover et innover dans la pratique politique.
Donc, traiter du tripartisme doit amener à la question incessante et incontournable de savoir que faire pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui ?
Il y a aujourd’hui une double révolution que doivent traiter tous les partis politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, socialistes, socio démocrates, libéraux, centristes ou extrémistes.
Cette double révolution est unique dans l’histoire :
-d’abord une révolution technologique qui touche toute la société, tous les métiers, toutes les strates du corps social, toutes les générations et ceci même dans leur quotidien ; c’est une révolution des modes de production mais aussi des systèmes de communication entre les gens, qui réduit le temps, qui permet à toutes les sciences d’accélérer leurs connaissances ; c’est une révolution enfin du savoir qui peut rendre tout citoyen acteur de son propre avenir. Cette révolution rend ainsi possible la mise en relation d’individus en contournant les partis classiques et le pouvoir en place qui a du mal a maîtriser le phénomène.
-puis, il y a une deuxième révolution, celle de l’idéologie où tous les dogmes, tous les grands principes politiques sont remis en question, et face à cette remise en question, il y a pour l’instant le néant. Cette révolution idéologique est dans sa première phase de destruction douce des anciens idéaux.
Les deux révolutions sont liées bien entendu mais elles ont des conséquences immenses sur le corps électoral et on voit surgir partout en Europe l’émergence de courants politiques qui se servent de cette double révolution. Ils remettent donc en question pour longtemps le bipartisme:
-
Emergent ainsi de vieux courants extrémistes basés sur la peur du vide, la peur de l’autre : ces courants sont liés à l’abandon de ces dogmes qui ont laissé un espace vide dans lequel se sont engouffrés les partis politiques l’extrême droite et d’extrême gauche.
-
Emergent aussi de manière plus positive des mouvements plus ou moins éphémères comme PODEMOS et SYRIZA, plutôt de gauche qui rejettent les partis de gouvernement.
Les deux se servent aussi bien entendu de cette révolution de l’information pour accroître leurs mouvements.
Ainsi, au-delà des partis classiques de gauche et de droite, ont surgi partout en EUROPE des partis alternatifs qui ont tous un point commun … ils sont avant tout, dans leurs gènes, dans leurs fondations, l’expression d’une crise économique et politique et d’un rejet de l’autre et/ou d’un rejet du système mais sans proposer de projet global de société !
Or, on ne construit pas un projet politique à mon sens sur le rejet de quelque chose mais sur des valeurs fortes, sur des fondations qui rassemblent ! On ne rassemble pas des millions de personnes pour des décennies en réaction négative mais sur des idées positives et humanistes.
On ne fait pas de politique CONTRE … on fait de la politique POUR !
Que ce soit les partis d’extrême droite ou d’extrême gauche, que ce soient les nouveaux partis, ils ont ce point commun.
Ainsi, ce qui est clair, c’est que les partis classiques ayant perdu beaucoup de crédibilité mais pas encore les leviers du pouvoir, les extrêmes jouant sur les peurs mais ne pouvant empêcher l’information de circuler contrairement aux années 30, les nouveaux partis type PODEMOS ne proposant pas de pacte politique suffisamment rassembleur, cela aura pour conséquence une énorme instabilité et le fait que les électeurs vont continuer à « zapper » au moment des votes. La conséquence est évidente … nous allons vers l’apparition non pas d’un Tripartisme mais d’un QUADRIPARTISME … d’un émiettement du corps électoral !
POUR EVITER LA CRISE POLITIQUE : 2 SOLUTIONS
LE SYSTEME MAJORITAIRE GARANTIT LE POUVOIR AUX PARTIS DEMOCRATES
OU LA GOUVERNANCE INTELLIGENTE ENTRE TOUS LES DEMOCRATES
deux exemples sous nos yeux
Il faut dire ici que le système politique français avec son système majoritaire dans toutes les élections essentielles (présidentielle, législative et municipale) est remarquable dans sa stabilité politique ! Le système majoritaire est une garantie contre les extrêmes. Qu’est-ce que la proportionnelle si ce n’est le pouvoir donné aux minorités d’influer et de tenir les majorités électorales !
L’exemple d’ISRAEL est le plus parlant ! Au lendemain de la création d’Israël, les idéaux de gauche ont dicté les lois fondamentales et les enjeux ont rassemblé tous les citoyens derrière le Likoud et les Travaillistes qui se partageaient le pouvoir pendant 40 ans. Après avoir réalisé leur rêve, des minorités religieuses ont profité du manque d’enjeux politiques (plus d’enjeux si ce n’est gérer les acquis) pour occuper la scène politique émiettant le corps électoral … De 2 partis, nous sommes passés à une bonne dizaine de partis se partageant les 140 sièges de la Knesset. La conséquence est terrible : depuis 20 ans, le Likoud a toujours dû gouverner avec des partis ultra minoritaires extrémistes imposant leur folie à la majorité et prenant en otage l’ensemble du système politique.
Cet exemple montre que le système majoritaire est synonyme de stabilité démocratique ! Et oui, une voix n’est pas égale à une voix ! Car on fait de la politique avec du pragmatisme et pas avec de l’idéologie ! Dans l’histoire de l’humanité, l’idéologie a toujours été destructrice car totalitaire par essence (c’est un sujet pour le café philo).
Ainsi, la 5° république a été basée sur un système majoritaire qui donne le pouvoir au parti leader ou à une alliance de partis démocratiques (les socialistes avec les écologistes ou les Républicains avec le centre-droit). Face à l’extrême droite, le système tripartite peut ainsi
fonctionner en restant dans les mains des démocrates. Qu’est-ce que cela serait si la proportionnelle intégrale régissait notre système ?…nous aurions l’extrême droite au pouvoir, car plus mobilisatrice et ainsi premier parti en termes de voix ! Celui-ci devrait alors former un gouvernement avec des alliances et ce serait le début de l’instabilité politique de la 4° République.
Donc le système majoritaire est un rempart contre le tripartisme, il ne l’empêche pas d’exister, mais il empêche ses effets néfastes !
Au-delà du système majoritaire, une autre solution consiste à faire appel à l’intelligence politique et à l’innovation. L’EXEMPLE DE L’EUROPE juste à deux pas d’ici devrait nous rendre plus indulgents et réalistes sur la critique européenne. L’Europe est gouvernée sur la base de la concertation permanente entre les Etats, la Commission et le Parlement, la Présidence alternée entre la gauche et la droite démocrate … un exercice complexe mais qui pour moi montre la stabilité et l’intelligence du système. Critiquer pour critiquer, exercice délicieux très français, ligne éditoriale permanente de tous les médias repris en permanence par les Français sans réfléchir une seconde à ce que l’Europe nous apporte tous les jours, nous fait oublier que le tripartisme à l’échelle européenne n’a pas encore pour conséquence de remettre le pouvoir aux mains des extrémistes. L’intégration entre les Etats est là encore un rempart contre les dérives ! La Pologne va vite revenir en arrière lorsque les Polonais vont se rendre compte qu’ils risquent de perdre leur intégration européenne.
Encore plus près d’ici, un autre exemple d’intelligence et d’innovation politique est l’exercice du pouvoir dans l’EUROMETROPOLE, anciennement CUS où la gauche et la droite municipale se sont alliées pour travailler ensemble. Elles ont redéfini le premier PLU métropolitain qui fixe pour toute l’Eurométropole le plan de développement du territoire pour les décennies futures.
Cet exercice innovant, d’inspiration allemande ?, peut être un modèle pour nos partis démocratiques qui doivent arrêter de se regarder en chiens de faïence. Gérer notre société exige de se rassembler et de travailler ensemble. Les clivages nés dans la première moitié du 20° siècle sont aujourd’hui complètement dépassés.
Je me suis permis d’écrire au Président de l’Eurométropole, Mr Robert HERRMANN pour lui poser 4 questions d’actualité sur le Tripartisme. Il a bien voulu y répondre, je le remercie et je me permettrai de vous donner lecture de cette interview après mon intervention.
ALLER PLUS LOIN : DEFINIR UN NOUVEAU PACTE SOCIETALE, ECONOMIQUE ET POLITIQUE, VITE !
Il faut d’abord insister ici sur le caractère profondément démocratique de cette révolution technologique. Les nouveaux partis PODEMOS et SYRIZA, dans la manière et la rapidité fulgurante où ils sont apparus, prouvent ce caractère démocratique car ils se sont réunis grâce à des échanges d’idées, la création de communautés en contournant les partis politiques qui monopolisaient le débat depuis 50 ans.
Ils ont pu débattre, faire de la politique dans toutes les villes, villages, quartiers grâce à ce partage d’information. Après la tenue de milliers de cercles de débats et de prises de décision démocratique, ils ont squeezé les partis impuissants à contrôler le mouvement. Il y a cinq ans, c’eût été impossible ! La révolution technologique l’a permis !
Ainsi, un nouveau parti est apparu et a pris le pouvoir à BARCELONE et dans d’autres villes !
Mais, comme je l’ai dit plus haut, ils se sont formés principalement sur le rejet des partis classiques. C’est ce rejet qui a été le ciment friable de leur apparition. Donc ils ne tiendront pas aussi longtemps que les partis classiques et l’exemple grec en est la preuve. Depuis que SYRIZA est arrivé au pouvoir et qu’ils ont trahi leur engagement, il y a déjà eu une scission qui était inévitable.
Leur programme consistait à rejeter la classe politique corrompue et le système européen vérolé par les banques mais une fois cette conquête réussie, il n’y avait plus assez de valeurs communes pour exercer le pouvoir dans la durée. Donc aux prochaines élections en Grèce, c’est un quadripartisme qui sera proposé aux Grecs et donc l’incertitude totale.
Il y a là cependant une source d’espoir car chacun est aujourd’hui informé et peut devenir acteur politique comme PODEMOS l’a démontré ! Cette révolution technologique est le cœur des transformations de notre organisation politique. C’est le cœur de l’avenir démocratique !
Mais aussi démocratique et politique soit elle, la révolution de l’information sera inutile si assez vite elle ne se traduit pas dans un nouveau pacte républicain qui soit à la hauteur des bouleversements sociaux et économiques ; un pacte qui exige un courage politique énorme et qui redéfinisse par exemple les relations du travail, les critères de réussite sociale !
Or, rares sont les hommes politiques capables de courage car leur logiciel n’est plus le bon ! Ce sont les citoyens qui doivent repenser le pacte par un mécanisme d’échange d’idées à définir : je le redis, PODEMOS a prouvé que c’était possible à grande échelle.
Il faut donc insuffler un nouveau mouvement, au-delà des partis bien entendu, pour définir un nouveau pacte social juste, courageux, fondé sur la réalisation de chacun (selon ses mérites) et le partage intelligent des richesses. Un pacte qui invente un nouveau curseur de réussite ! L’argent ne sera plus la seule preuve de réussite mais plutôt la création de richesse dans le sens profond du mot. Un professeur, un artiste auront autant de retour sur travail qu’un notaire ! Ce n’est qu’une question de répartition de richesse et d’intelligence. Nous sommes assez riches pour cela !
Il y a là du travail aussi pour nos philosophes contemporains, nos économistes, nos politologues … redéfinir un pacte de société, n’est-ce pas aussi leurs rôles ?
Un pacte social qui ne soit ni la traduction d’un système communiste qui sclérose tous les individus, ni celui d’un système capitaliste qui accapare les richesses entre quelques uns !
Ainsi, les citoyens doivent s’organiser grâce à la révolution technologique pour créer un nouveau pacte sociétal et ensuite un nouveau parti politique, qui s’inscrive dans ce cadre de la 5° république où le système majoritaire, par son pragmatisme, garantit le pouvoir aux démocrates. Enfin, ce nouveau parti doit être constitué par tous les démocrates, dits de gauche et de droite pour reprendre les anciens clivages, sans exclusive.
CONCLUSION
IL EN VA DE LA RESPONSABILITE DE CHACUN : engagez vous !
Grâce à la révolution technologique, grâce à la conscience politique partagée par le plus grand nombre, UN SEUL MOT D’ORDRE, engagez vous dans ce mouvement! L’accès au savoir de chacun, certaines idées comme celle de Mr PATRICE qui définit chaque citoyen comme sa « propre élite » dans sa singularité (un garagiste aujourd’hui fait parti d’une élite à condition qu’il en prenne conscience et qu’il le décide, c'est-à-dire qu’il s’engage) me font penser qu’aujourd’hui nous pouvons collectivement repenser un pacte SOCIETAL où chacun aura sa place ! Le parcours de Mme Ada COLAU, maire de Barcelone est un exemple qui doit parler à tous les citoyens et qui est la démonstration de la théorie de Mr PATRICE.
Il faut arrêter d’avoir peur, être conscient de nos valeurs, mais il faut prendre le pouvoir démocratiquement et intelligemment. PODEMOS a montré la voie … mais son programme était trop « gauchiste » pour faire adhérer plus de monde, ce n’est pour moi qu’une pâle copie d’une vieille idéologie.
OPPOSER LE CAPITALISME ET LE SOCIALISME N’EST PLUS D’ACTUALITE ! Il y a un autre modèle de répartition des richesses à inventer dont de nombreuses expérimentations apparaissent (société coopérative, uberisation, partage de services, de biens, troc …). Tous doit être redéfini et avec tout le monde !
C’est cela qui est nouveau, que tout le monde peut participer à la double révolution douce de notre modèle et pacte collectif.
Les transformations profondes de la société, l’accès au savoir, l’intelligence, les transformations du statut du travail dans des formes qui n’existaient pas il y a à peine 5 ans auront très rapidement des traductions politiques en terme de parti de masse, et bien plus vite que nous ne le soupçonnons aujourd’hui !
Pour finir, on peut s’amuser à un prochain café politique à redéfinir un pacte sociétal, politique et économique … que chacun vienne avec 5 propositions de réforme, listons 50 propositions rassembleuses et courageuses, créons une page Facebook et nous verrons bien si ce travail collectif peut faire des émules politiques comme à BARCELONE !
Daniel
Café politique du 21 janvier 2016 Le tripartisme aujourd'hui en France et en Europe.
Après deux exposés sur le tripartisme et la nouvelle place du FN dans le paysage politique français, le débat s'ouvre.
1) La question européenne divise la gauche et la droite en profondeur. Pour certains il n'y a pas de bipartisme en France. Il y a ceux qui sont pour l'Europe de Bruxelles et ceux qui s'y opposent.
- La question de la financiarisation: pour l'économiste Jacques Sapir, il conviendrait de créer une union de tous les Fronts pour abattre le « système de Bruxelles ». Pour lui, ce système se définit comme la dictature des marchés financiers : en 2013, les transactions par système offshore ont concerné 70 000 milliards de dollars. Ces transactions ont été effectuées par 1% de la population mondiale (qui détient autant de richesses que les 99% restants). Ce 1% concerne des personnes totalement « apatrides ». Le seul moyen pour réguler cette situation pourrait être d'en revenir aux Etats-nations ( sans Etat-nation il y a soit la dictature des marchés soit le retour du religieux). Les Etats-nations pourraient coopérer entre eux quand les problèmes se posent (c'était le système proposé par Fouchet sous De Gaulle en 1962, qui malheureusement n'a pas été réalisé parce que les autres pays européens l'ont refusé).
• Contre-argument concernant la financiarisation : « N'oublions pas qu'il est difficile de brandir le Paris national contre le Bruxelles financier. Par exemple, Londres n'est pas Bruxelles, c'est un Londres national et il y a également la finance. On voit bien que Washington n'est pas Bruxelles, mais c'est également un Washington national qui a également la finance et la religion. Il n y a pas plus religieux que la nation des Etats-Unis. Le non-Bruxelles ne semble donc pas être la solution à la finance et à la religion » répond un intervenant.
- La paix en Europe peut-elle être un argument en faveur de l'Europe?
Bruxelles ne s'occupe pas que de finances. Elle a garanti une paix durable entre l'Allemagne et ses anciens ennemis. Ce n'est pas l'opposition des blocs qui a obtenu cela, mais bien l'intégration des Etats en Europe en prenant des décisions communes. Le système européen au quotidien fonctionne de manière très complexe.
Contre-argument: depuis 50 ans a régné l'équilibre de la terreur dans le monde. Il y avait deux blocs, le bloc soviétique et le bloc américain, les deux étant de force à peu près équivalente, l'un ne pouvait attaquer l'autre
Actuellement nous allons vers un monde multipolaire. Après la chute du Mur de Berlin, les Etats-Unis pensaient créer un monde unipolaire. Ils se voyaient le gendarme du monde et pensaient que leur système serait accepté par tous.
Le premier Etat à vouloir refuser cela a été la Russie de Poutine. Les Etats-Unis ont alors tenté d'affaiblir Poutine. Cependant force est de constater que l'ordre américain est allé d'échecs en échecs. Economiquement parlant, Obama a été élu en 2008 pour réguler la sphère financière ce qu'il n'est pas parvenu à faire.
- L'Europe n'a pas réussi à créer une armée commune. Dans le contexte actuel, nous pouvons considérer que la planète entière est en crise contrairement à d'autres périodes historiques où seulement certains Etats ou continents vivaient des difficultés majeures. Pour ce qui concerne l'Europe elle n'est pas mieux lotie, elle est très divisée. Au moment où elle devrait avoir une attitude commune contre le terrorisme international, il n'est pas question d'armée commune. Il est par ailleurs difficile pour les non-européens de négocier avec la nébuleuse européenne et, après les attentats, Hollande s'est déplacé comme chef de l'Etat français pour voir d'autres chefs d'Etat dans le monde. Il représentait à ce moment là la France, ce qui laisse à penser que l'Etat-nation a encore une certaine existence. De même les Etats-nations existent quand les premiers ministres ou les chefs d'Etat européens se réunissent sur des sujets particuliers. Bruxelles est ainsi un mauvais mot qui ne représente que des bâtiments alors que les autorités de chaque Etat sont bien les représentantes de leur pays respectifs dans le cadre européen. Cela arrange en fait les Etats-nations qui ont tendance à rejeter la responsabilité des décisions prises sur l'Europe pour se justifier devant leurs syndicats nationaux par exemple...
2) Les partis sont tous divisés à l'intérieur d'eux-mêmes.
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On n'est pas tellement dans le tripartisme. Les dernières élections, au second tour l'ont montré. On est dans un bipartisme: d'un côté il y a le PS et les Républicains. Le PS a appelé à voter pour Les Républicains et de l'autre côté il n y a que le Front National.
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Les partis sont assez « morts » en ce moment en France. Ils n'ont plus la place d'exister dans le système médiatico-politique. Les politiques passent par dessus eux. Les partis se vident peu à peu de leurs militants.
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Il est difficile de penser que Les Républicains et le PS vont fusionner, mais ce qui peut arriver, et nous en voyons déjà les linéaments, c'est que ces deux ex-gros partis connaissent des scissions. Au PS, il y a des militants qui sont devenus des libéraux, des capitalistes, contre les syndicats, pour la loi Macron pour détruire le Code du travail etc. Les militants qui restent vraiment à gauche pourraient rejoindre ce qui reste du Front de Gauche et constituer une force politique différente, à gauche du PS actuel.
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Ce pourrait être la même chose pour l'ex-UMP. Il y a des militants identitaires qui pourraient se retrouver avec le FN et il y a des militants de la droite humaniste et qui seraient plutôt centristes ou proches du PS actuel qui est devenu libéral. Il peut ainsi se faire une recomposition par scissions des partis et se constituer un véritable tripartisme: le FN, une vraie gauche, et une partie de la droite et du PS actuel qui serait en fait la droite.
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Le tripartisme dans l'histoire du monde a toujours eu peu d'avenir (voir les expériences de triumvirat). Mais y a-t-il vraiment tripartisme en France aujourd'hui? En fait tous les partis sont divisés de l'extrême gauche à l'extrême droite. Même le Front national est divisé entre les nostalgiques de l'extrême droite et dure de Jean-Marie Le Pen, et un certain progressisme incarné par Marine Le Pen et Florian Philippot. Le grand inconnu: on ne sait si Les Républicains vont se diviser en deux ou trois tendances, l'une volontiers centriste avec une alliance Jupé-Bayrou, une autre qui serait orientée vers l'extrême droite, peut-être Sarkozy, peut-être Fillon, et une dernière orientée vers une certaine alliance occulte avec les socialistes.
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De la même manière les socialistes sont partagés entre la droite libérale incarnée par Macron et Hollande et certains socialistes de l'Assemblée qui sont des opposants parce qu'ils ne se reconnaissent plus du tout dans cette gauche au gouvernement. Quand on pense que le terme de « gauche socialiste » est maintenant employé! Les écologistes eux-mêmes sont partagés comme l'extrême gauche également. Quelle va être la recomposition? Cela va être la grande énigme à venir!
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Face au FN s'est constitué en 2002 un Front Républicain, Chirac contre Le Pen. Cette situation risque de se retrouver en 2017. Mais ce système peut devenir rapidement délétère car il apparaîtra comme une combine de plus pour détourner l'opinion des vrais problèmes qui poussent nombre d'électeurs à voter FN. Il faudrait élaborer des propositions communes style Macron, mais il semble difficile de demander des efforts aux salariés alors que l'économie est dirigée de manière assez souvent irresponsable (voir l'affaire Kerviel).
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- Par la demande d'Hollande de voter contre le FN en 2015, le FN a gagné sa traduction politique et est devenu le seul parti d'opposition.
3) Le mode de scrutin qui favorise le bipartisme pose question aujourd'hui.
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Le scrutin proportionnel favorise l'éclatement. Il y a une position par électeur! Quand le scrutin est de type majoritaire, les électeurs savent qu'il va y avoir deux blocs qui in fine vont s'affronter et que c'est celui qui aura la majorité qui va le remporter. Il y a aussi le système britannique où le scrutin est à la majorité relative où le parti qui a relativement le plus de voix l'emporte. Cela modifie la stratégie des électeurs. Dans l'exemple français, avec le système électoral majoritaire à deux tours, au premier tour il y a une dispersion plus importante de l'électorat en fonction du parti dont il se sent le plus proche et au deuxième tour les électeurs se reportent sur le moins mauvais candidat selon eux.
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Ce qui apparaît nouveau n'est pas tant le passage d'un bipartisme à un tripartisme, mais une modification des lignes de force et des équilibres. Il y a peu il y avait une opposition droite-gauche. Aujourd'hui, au deuxième tour, au moment du choix majoritaire, les électeurs se divisent en votant pour ou contre le FN. On retrouve un bipartisme contre le FN, quelque chose d'assez hétérogène qui correspond à d'anciens électeurs à la fois de droite et de gauche. Il s'agit bien d'une recomposition du paysage politique, plus que d'un passage d'un bipartisme à un tripartisme.
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Une solution serait un scrutin proportionnel avec une barre à 2 ou 3%. Sinon c'est un scandale de constater qu'un parti qui a des millions d'électeurs n'a que deux députés. En 1986, sous Mitterrand, la proportionnelle avait eu pour effet que 30 députés FN avaient été élus. Par principe c'est une meilleure chose que les électeurs soient représentés plutôt qu'il ne leur reste plus que la rue comme lieu d'expression.
4) Le nouveau paysage politique s'accompagne d'un changement idéologique. Autrefois la
gauche prônait la lutte des classes et recrutait le prolétariat qui venait s'opposer aux nantis et au
patronat censé représenter les possédants. Dès que les gens possédaient un peu de bien, ils
avaient tendance à voter à droite par peur d'être spoliés. Ceux qui espéraient obtenir plus de bien
votaient à gauche en général.
L'aspect idéologique s'est affaibli: les partis traditionnels sont considérés comme inefficaces. Le vote FN est un vote protestataire qui n'est pas forcément en accord avec tous les éléments du programme de ce parti. C'est une vraie désespérance qui s'exprime dans ce vote. Il reste cependant des clivages dans l'opinion entre les démocrates et les anti-démocrates. Contre le Front National, il y a une grande partie de démocrates qui pensent qu'il reste encore une lutte des classes même si les possédants sont finalement ce 1% dont on parle beaucoup et que les capitalistes sont réduits à une frange minime de la population. 4
Il y encore des clivages idéologiques qui ne sont plus des adhésions absolutistes à des idéologies, mais il reste cette opposition entre démocrates et anti-démocrates. Il y a aussi des catégories sociales qui apparaissent comme les « bobos », une classe sociale qui possède un certain patrimoine culturel et qui est favorable à la diversité, à la multiplicité des idées, à la cohabitation entre des origines culturelles et ethniques diverses par opposition à une autre catégorie sociale plus traditionnelle qui adhère aux valeurs soit d'une communauté donnée soit aux gens qui habitent dans les zones oubliées de la République comme le sont les zones rurales ou semi-rurales où vivent les « petits blancs » qui ont tendance à s'agripper leur identité. Ils ont peur d'être dégradés socialement et de tomber dans la misère et la pauvreté.
5) La financiarisation semble rester au coeur du débat politique.
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Le système qui a entraîné la crise de 2008 perdure (dérégulation).
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Nous sommes dans une nouvelle phase du capitalisme qui a retiré beaucoup de pouvoir aux Etats-nations. Il y a 62 familles qui possèdent la moitié de la richesse mondiale, parmi lesquelles il y a Madame Bettencourt.
-
Un petit groupe de firmes multinationales sont plus riches que bien des Etats-nations. Elles dictent leur politique de profit aux Etats. La politique est donc en crise parce que le vrai pouvoir n'est plus entre les mains des Etats. Ces firmes n'ont pas l'équivalent au niveau politique.
-
La députée Karine Berger se bat au PS contre le pouvoir de l'argent. Elle a tenté de faire passer une loi contre la financiarisation. Cette loi a été présentée à l'Assemblée à minuit il y a deux mois. Les 20 députés présents la votent. Le gouvernement demande alors une suspension de séance. Le texte revient devant l'Assemblée peu de temps après, et le gouvernement s'y oppose. La loi a été renvoyée. Il reste donc une possibilité démocratique de se battre contre la financiarisation ( création d'un parti qui porterait ces idées par exemple).
-
La financiarisation est attribuée à l'international, mais quand il s'agit de voter la taxe Tobin, le gouvernement socialiste français s'y oppose parce que le secteur bancaire français est encore en partie détenu par l'Etat. Les banquiers sont souvent des haut-fonctionnaires qui ont pantouflé.
Il est curieux de constater que les Anglais, souvent qualifiés d'ultra libéraux, ont mis en place des barrières entre les banques d'affaires et les banques de dépôt. Cela est impossible à faire en France. A Londres la régulation financière se fait mieux! 5
6) L'évolution du travail aujourd'hui.
- L'évolution technologique est en marche.
- Il faut réaliser qu'il n'y aura plus jamais de plein-emploi et qu'il convient de changer l'économie et la manière de voir le travail.
- En robotique, toute la recherche vise à faire diminuer le temps de travail. L'intérêt serait d'arriver à un salaire minimum pour garantir que tout le monde puisse vivre de manière décente.
- Les personnes qui veulent devenir aujourd'hui travailleurs indépendants le font souvent par défaut pour créer leur propre emploi.
-
L'uberisation est une autre manière d'asservir ceux qui travaillent. Le capitalisme actuel peut ainsi détruire le salariat et ses avantages (retraites, assurances sociales..) pour faire tout reposer sur l'individu seul qui perd au change.
-
L'uberisation reste pour certains un dernier espoir. Ces travailleurs sont souvent éreintés et n'ont plus l'énergie pour aller voter.
-
Les jeunes ne cherchent pas l'uberisation de l'économie. Leur réalité est qu'ils n'ont pas de travail et qu'ils recherchent d'autres solutions.
Conclusion.
Reprendre le pouvoir pour les populations pourrait sembler une réponse à cette crise comme le pratique Podemos en Espagne (notons ici le travail effectué par la maire de Barcelone qui a milité pour les personnes exclues de leur logement pour des raisons économiques avant d'être élue maire de la ville).
En France cette voie ne semble pas utilisée parce que nous avons peut-être encore un niveau de vie supérieur à celui de l'Espagne.
En partant de l'analyse du tripartisme, nous sommes arrivés à des questions sociales et à la nécessité d'une redéfinition des choix politiques. Les derniers sujets abordés sur la question du travail et du revenu minimum sont en effet peu traités au sein des partis traditionnels. Nous ne savons qui permettra leur expression dans le champ politique.
INTERVIEW ECRITE
de Monsieur ROBERT HERRMANN – Président de l’Eurométropole
21/01/20016
Le tripartisme est installé durablement dans la vie politique française et européenne. Il est représenté aujourd'hui par les extrêmes ou les partis alternatifs style PODEMOS ...
D.T. Pensez-vous, Monsieur le Président, que votre gouvernance à l'EUROMETROPOLE représente une réponse DURABLE ET PERTINENTE à ce tripartisme (source d'instabilité) ?
R.H. La gouvernance innovante que j’ai voulue pour l’Eurométropole partait d’un constat politique et d’une volonté. Le constat c’est qu’après les élections municipales de 2012 la Gauche socialiste et les Ecologistes disposaient d’une majorité, mais d’une majorité faible. Gouverner durant six ans dans un climat où plus de 20 communes sur les 28 de notre agglomération s’opposeraient par principe idéologique à une Majorité regroupant 5 ou 6 d’entre elles me paraissait malsain. A tout moment la collectivité aurait risqué d’être bloquée dans la mise en œuvre de ses actions. La volonté portait sur ma conviction que face à la situation économique et sociale il fallait dépasser les postures afin de regrouper les forces pour des priorités que tout le monde s’accorde à juger indispensables : le développement économique afin de favoriser la création d’emplois et de la prospérité, le logement et les transports, la transition énergétique, la nécessaire maitrise de la dépense publique. Contenir nos dépenses de fonctionnement afin de conserver des capacités d’investissements pour financer ces priorités et les services aux habitants demande beaucoup de travail. En évitant de perdre notre temps dans des querelles politiciennes il nous est plus facile de nous mobiliser sur cet objectif et, je l’espère, par ce travail, de faire reculer les extrêmes qui se nourrissent de l’impuissance des politiques et du spectacle qu’ils peuvent donner en s’entre déchirant sur tout.
Cependant mon ambition n’est pas d’être un modèle pour les autres mais de faire modèle pour construire une Eurométropole où les grands enjeux sont partagés. Je pense que revenir dans l’avenir sur cette forme de gouvernance serait une erreur.
D.T. Ne pensez-vous pas que cela correspond mieux aux attentes profondes des électeurs ?
R.H. Scrutin après scrutin, via l’abstention, le zapping électoral, la montée des extrêmes, les Français témoignent d’une volonté de voir les Partis et les responsables politiques faire de la politique autrement. Face aux échecs en matière de lutte contre le chômage, face aux difficultés sociales, face aux enjeux environnementaux et face aux attaques terroristes dont notre pays est victime ils sont remarquablement lucides et savent que le bloc contre bloc n’est plus la réponse adaptée. Ils font aussi très bien la différence entre les discours et les actes et ils attendent sur ces grands sujets, non pas une Union Nationale, mais que les responsables se mettent d’accord sur l’essentiel. Ils veulent aussi et surtout des résultats et pour cela une certaine continuité de l’action publique est nécessaire. L’époque où les nouvelles majorités passaient leur temps à défaire ce qui avait été réalisé par les anciennes est à mon sens dépassée et ne correspond plus aux attentes de nos concitoyens.
D.T. Cette gouvernance entre des élus démocrates de tous bords, peut-elle être reproduite dans des scrutins directs, élections municipales et législatives par exemple ?
R.H. Ce ne peut pas être un but en soi. L’idée d’Union Nationale, ou locale, ne peut se concevoir que dans des circonstances exceptionnelles. Pour exister et vivre la Démocratie représentative a besoin d’une majorité et d’une opposition. Le rôle de cette dernière est fondamental. Elle est à la fois un garde fous, un recours et une richesse pour le débat public. La laisser aux mains des extrêmes serait une erreur qu’il ne faut surtout pas commettre. Mais voir des élus de bords politiques différents travailler ensemble au bien commun en dépassant les postures est incontestablement une idée d’avenir à laquelle je crois.
D.T. Les électeurs cherchant une nouvelle offre politique, devez-vous traduire cet exercice du pouvoir politique par la création d'un nouveau parti dépassant les clivages classiques ? Êtes-vous prêt à allez aussi loin avec Monsieur Yves BUR ?
R.H. Je suis au Parti Socialiste depuis longtemps. J’y suis bien, en connaissant les qualités et les défauts de ma famille politique. Yves Bur a choisi de quitter l’UMP pour des raisons qui lui appartiennent mais je n’imagine pas une seconde qu’il souhaite me rejoindre au PS. La différence entre lui et moi c’est qu’il est de Droite, et que je suis de Gauche. C’est même la raison qui fait que nous arrivons à bien travailler ensemble. Ce qui fait la richesse de la Gouvernance de l’Eurométropole c’est justement que nous venons d’horizons divers, élus de Droite, de Gauche, Ecologistes. Nous débattons, décidons, tout en gardant nos identités et nos sensibilités et en nous enrichissant de celles des autres. Ce n’est pas en nous fondant dans une formation nouvelle, forcément attrape tout, que nous répondrons aux vœux des électeurs. Eux aussi sont divers et se réclament de courants de pensées politiques différents. S’ils doutent de la politique, ils n’en réclament pas la fin. La Grande formation politique qui regrouperait tout le monde ou presque je n’en veux surtout pas : elle aurait un goût de Parti Unique qui n’a jamais laissé dans l’Histoire que ruines et grandes catastrophes humaines.
Les nouvelles technologies et les changements sociaux.
Café politique du 25 février 2016.
La robotique : introduction des risques et enjeux relatifs aux nouvelles technologies.
1 L'évolution naturelle des technologies : travail, énergie et organisation de la société humaine
Aristote dans "La Politique" imagine un monde où chaque "instrument" serait capable, sur une simple injonction d'accomplir la tâche qui lui est propre, ce travail effectué par les "instruments" rendant l'esclavage obsolète. Une autre thématique de la robotique actuelle, à savoir l'aide à la réhabilitation se retrouve également dans les mythes antiques grecs. Ainsi, selon la légende, Hephaïstos symbole de l'inventeur qui a souvent été représenté sous les traits d'un forgeron boiteux aurait bâti des servantes d'or pour l'aider à marcher.
La société humaine a toujours cherché à diminuer sa charge de travail indispensable, celle qui est nécessaire à sa survie en bonne santé. Le besoin de base est l'alimentation. Le chasseur-cueilleur devait d'abord travailler tous les jours beaucoup, et en prenant des risques. Puis, certaines peuplades se sont mises à chasser les gros animaux, qui permettaient de manger pendant plusieurs jours, et ont permis probablement de développer art et spiritualité (faire de jolis dessins aux murs). Ensuite vint l'agriculture et l'élevage qui demandaient de nouveau pas mal de travail, mais diminuaient la mortalité par une amélioration de la sécurité, alimentaire entre autres. On a alors cherché à diminuer la charge de travail issue de l'agriculture. A ces fins et pour augmenter la richesse matérielle se sont développées nombre de technologies comme la roue, le moulin, la voile.
De façon globale, les technologies ont été développées pour diminuer la charge de travail de l'humain. Cette décharge de travail "de survie" permet de se consacrer à d'autres activités comme la science, le spirituel, la culture, la médecine et la guerre. Beaucoup de grandes civilisations se sont organisées de manière à ce que cette libération profite à une minorité de personnes, considérées comme des élites (les pharaons, la noblesse, le clergé, les castes supérieures en Inde,...). Le succès de ce type d'organisation peut probablement s'expliquer par son efficience quand le temps libéré par personne est faible. En effet imaginons que chaque personne libère 1 minute par jour. Cette personne n'aura pas le temps de se former suffisamment aux mathématiques pour pouvoir faire avancer cette science (on estime à 10 000 heures le temps nécessaire pour devenir un « génie » dans un domaine). Par contre si on mutualise le temps gagné entre peu de personnes qui consacreront leur vie à des travaux plus « élevés » on garantit un progrès rapide.
Ainsi deux problèmes doivent être posés : à quoi sont consacrés ces excédents de temps et à qui profitent-ils (Marx ?) ?
Pendant toute cette période, on avait une croissance modérée de la production, qui s'accompagnait d'une croissance modérée de la population. Les excès de l'un ou l'autre étant rapidement éliminés par les maladies, catastrophes naturelles (périodes de gel,...), l'épuisement des ressources. Des historiens de l'économie ont établi que la plupart des empires se sont effondrés par manque de ressources. Par exemple l'empire romain aurait épuisé les ressources en bois disponible, les Mayas épuisé les sols par une agriculture trop intensive...
La nature peut dès lors être vue comme une immense technologie développée pour fournir à l'homme des conditions de vie favorables. En particulier grâce à l'énergie disponible sous des formes variées et complémentaires, celle-ci étant un élément indispensable, incontournable de nos productions. Tout est énergie. L'homme a vécu d'énergies renouvelables jusqu'au 17ème siècle. Les énergies éoliennes, hydraulique, biomasse, animale et humaine sont toutes dérivées de l'énergie solaire. Tout le vivant est dérivé du solaire. L'esclavage était la force de travail la moins chère et la plus adaptable jusqu'à l'avènement des énergies fossiles puis de la robotique. Les énergies fossiles ont changé le paradigme. Elles ont fourni une telle quantité d'énergie que l'homme a pu s'affranchir de sa dépendance en énergie et en ressources (plastique et chimie organique) à la nature.
Paradoxalement, on n'a probablement jamais autant travaillé qu'à l'ère industrielle où est apparue la notion de chômage. Mais la plupart des emplois actuels est très déconnectée du travail indispensable tel qu'on pourrait l'envisager. Comme si l'homme ou la société capitaliste cherchait à tout prix à occuper ses journées par l'emploi. Cependant même ce phénomène d'emploi « pour occuper les gens » plutôt que « pour fournir un travail indispensable » semble atteindre ses limites. Un chercheur américain a récemment montré que d'ici 2030, le taux de chômage pourrait être de 50%. Avec principalement les créatifs et les manuels épargnés, mais la plupart des métiers de gestion, comptabilité supprimés.
1.1 La robotique dans le cadre général des nouvelles technologies
La robotique c'est la technologie de transformation intelligente d'énergie en mouvement (industrie). Dans le langage courant elle est associée à l'ajout d'"intelligence" qui se traduit souvent en l'automatisation du traitement de l'information. Par exemple on ne parle plus de robotique médicale mais de chirurgie assistée par ordinateur : le robot n'est plus qu'un actionneur dans un système comprenant des capteurs, une visualisation par réalité augmentée, un système intelligent, qui par exemple va fournir des images de précédentes opérations au chirurgien pour qu'il ne se trompe pas. Aujourd'hui, les robots chirurgicaux sont vendus comme des assistants au geste du chirurgien, mais les premiers exemples de robots pouvant opérer sans geste du chirurgien commencent à apparaitre.
La robotique est donc un exemple de nouvelle technologie. Ces nouvelles technologies apportent en général une automatisation d'une tâche/travail préalablement réalisée dans le cadre d'un emploi.
On peut se demander si la robotique se cantonnera à l'assistance au travail ou finira bel et bien par remplacer le travailleur. La réponse ne devrait pas être apportée par les scientifiques, mais par la société dans son ensemble.
2 Problématiques inhérentes à la robotique et aux nouvelles technologies de l'information.
2.1 Robotique et travail : Les nouvelles technologies comme libératrices de l'homme ?
On peut voir les nouvelles technologies et le remplacement de l'homme par la machine d'un point de vue positif : diminution de la charge de travail, prolongation de l'espérance de vie en bonne santé. Cependant, les améliorations faites grâce à la robotique sur le corps humain soulèvent de nombreux problèmes éthiques.
2.1.1 Travail
De nos jours on oppose travail/emploi et chômage, alors qu'au Moyen-Âge, c'est le labeur et l'ouvrage, ou encore la vie active et la vie contemplative qui étaient distingués. L'automatisation semble pouvoir libérer l'homme du labeur : d'un travail aliénant, non-désiré, réalisé à des fins de survie "pour gagner sa vie". Je pense que beaucoup de gens de nos jours voient leur emploi sous cet aspect.
Ainsi plutôt que de voir l'automatisation comme supprimant des emplois, il faudrait la voir comme supprimant du travail/labeur, pour laisser libre l'homme à l'ouvrage (art, artisanat) ou à la vie contemplative. Dès lors c'est toute la société qui doit accepter ou refuser ce changement, les mentalités s'adapter, des réformes mises en place.
Pour cela je pense que le revenu de base peut être une solution. Pour rappel, il s'agit de fusionner toutes les prestations sociales pour fournir un revenu de base à tout citoyen. Le montant serait plus ou moins suffisant pour survivre. Tout travail salarié supplémentaire apporterait un supplément de salaire permettant de vivre au rythme désiré. La liste des atouts d'une telle réforme est longue, des études très sérieuses sont disponibles, et la Finlande est en passe de l'expérimenter. Notons que la simplification administrative mettrait nombre de gens au « chômage ».
2.1.2 Santé et augmentation
Pour être sûr de ne pas passer sa mort, mais bien sa longue vie en vacances (encore mieux que Brassens à Sète) et en bonne santé, la robotique propose de nombreuses innovations. Coeur artificiel, exosquelette ou encore prothèse robotisées sont parmi les innovations les plus abouties ou en phase de l'être.
Mais au-delà du "simple" maintien en bonne santé, la question de l'utilisation des nouvelles technologies pour l'amélioration physique ou mentale de l'être humain pose de nombreuses questions éthiques. Quid par exemple des google glass, et à l'avenir d'un cerveau connecté d'une manière ou d'une autre au réseau pour avoir un accès permanent à l'information. Ces améliorations vont- elles améliorer le bonheur de l'Homme ? Seront-elles réservées à une élite ? Qu'en sera-t-il de la nature humaine ?
2.2 Technologies de l'information et liberté/démocratie : Aspects éthique, contrôle de l'information, google et big brother
Les innovations en matière de technologies de l'information permettent un savoir accessible à tous, tant sur le plan des médias d'information que de l'éducation. Or l'accès libre et gratuit à l'information et à l'éducation sont des fondements de la démocratie. Les nouvelles technologies de communication pourraient donc faciliter le maintien (l'établissement) durable d'une réelle démocratie.
Mais une mauvaise utilisation des nouvelles technologies pourrait également mener à une destruction de l'humanité au sens physique ou spirituel du terme, cf. 1984 (Big brother), Matrix, Irobot, Terminator,...
2.3 Robotique et environnement/énergie
Avec une énergie et des ressources illimitées, on peut imaginer une utopie où tous les hommes pourraient vaquer librement à leurs occupations favorites. Mais les problèmes de pollution de l'environnement relativement récents dans notre histoire nous montrent que ce n'est pas le cas. Notons que des problèmes d'environnement dégradé (épuisement des sols, des forêts,...) ont été courants dans l'histoire. De même les taux de carbone dans l'atmosphère ont beaucoup varié sous le règne des vertébrés. Ces problèmes sont plus facilement réversibles (la nature peut s'y adapter) que la pollution, qui plus est radioactive.
3 Quelques pistes de résolution
3.1 Réformes profondes nécessaires
Pour le problème de l'énergie : Sortir du modèle de croissance ultra-productiviste pour limiter la consommation à sa raison d'être originelle : vivre en bonne santé le plus longtemps possible. Le bonheur par la consommation est une aberration dans un monde aux ressources finies, il faut se tourner vers l'autre plutôt que vers l'objet.
Pour le problème de l'emploi : Il faut que les politiques prennent en compte la fin du plein emploi. Pour cela il faut déstigmatiser les chômeurs afin qu'ils pensent sereinement à comment ils peuvent apporter un « plus » à la société. Il faut réformer profondément l'éducation pour arrêter de préparer nos enfants à l'emploi, mais les préparer à la vie de citoyen indépendant, formé, avec un libre arbitre. Il faudra en orienter de plus en plus vers les métiers créatifs (et non plus productifs) comme la recherche, l'art, ou les métiers sociaux.
3.2 Ouverture : la biologie
La robotique pourrait déjà être obsolète dans l'évolution des sciences et techniques car les très récents progrès en biologie, génie biologique sont extraordinaires. Mieux que la main robotique de Luc Skywalker, imaginez une main qui repousse, ou de manière plus réaliste, qu'on cultive à partir de cellules souches et qu'on vient greffer. L'avenir c'est de mettre le vivant tout entier au service de l'humanité. La vie a développé des technologies si sophistiquées qu'on est encore loin de les rattraper par l'innovation. Le vivant ne pollue pas, le vivant est très efficace énergétiquement, le vivant se répare tout seul,... Le problème est que les questions éthiques (clonage, manipulations génétiques, sélection,... ) et les risques (propagation de virus,...) pour l'humanité sont encore plus grands.
4 Conseils de visionnage
Sur l'énergie : https ://www.youtube.com/watch ?v=MULmZYhvXik
Sur l'innovation technologique et scientifique : https ://www.youtube.com/watch ? v=BTR0gu1LyW0
Sur le revenu de base : http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/la-finlande-envisage-le-lancement-d-un-revenu-de-base-de-800-euros-mensuels-534377.html
Intelligence artificielle et chômage : http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/les-robots-intelligents-vont-ils-creer-un-taux-de-chomage-record-951542.html
Les nouvelles technologies et les changements sociaux. Café politique du 25 février 2016.
Après l'exposé de Gauthier et quelques informations de Geneviève, le débat s'ouvre.
1) Les effets des nouvelles technologies sur l'humain.
Effets controversés des effets des technologies sur l'humain.
La technologie est une production humaine. Mais ce qui nous échappe depuis la maîtrise du feu et depuis la révolution néolithique ultérieurement, ce sont les modifications que créent ces changements technologiques. L'illusion serait de penser que nous serions maîtres de la technologie. En fait, nous sommes autant modifiés par elle que nous la produisons, ce qui s'avère complexe. Depuis l'aube de l'humanité nous créons des outils (Homo Faber), qui ensuite modifient notre mode de vie. Ces outils peuvent être détournés de leur vocation première. L'arrivée du numérique et des technologies de l'information a amplifié ce mouvement. Il semble important de prendre en compte cette interaction de l'humain et de la technologie. Par ailleurs la révolution néolithique n'a peut-être pas été si favorable que cela à l'humain qui a subi une diminution staturale et a vu son état physique se détériorer d'après les derniers constats des archéologues.
Les nouvelles technologies permettent une « augmentation » de l'individu. Mais de quoi s'agit-il en fait ? On pourrait soutenir que dans le passé, déjà, il s'est joué une sorte d' « augmentation » à travers les liens sociaux et la mise en commun des intelligences individuelles. Actuellement, on semble faire un retour sur l'individu seul qu'il faudrait encore « augmenter ». Métaphoriquement, nous pensons aux greffes d'ajouts électroniques et mécaniques pour « augmenter » le cerveau ou compenser un handicap, mais peut-il y avoir d'autres perspectives notamment par rapport aux enjeux collectifs comme le développement d'Internet ? Se pose alors la question du sens qui serait donné à cette « augmentation » technologique. Dans le passé ce sens paraissait s'inscrire davantage dans des valeurs et des repères collectifs alors qu'actuellement nous avons l'impression que plus cette technologie d' « augmentation » se développe, moins nous en maîtrisons le sens.
Effets « positifs » des nouvelles technologies.
La révolution industrielle a créé les possibilités du développement de la démocratie.
Une des finalités de la technologie serait de libérer l'homme du travail et qu'il puisse consacrer une partie de son temps à des activités différentes du travail, à se cultiver et à augmenter son niveau de connaissance grâce à Internet.
La numérisation, en permettant l'archivage dans les bibliothèques, est devenu un instrument de mise à disposition démocratique de la culture.
- Nous ne sommes pas dans l'obligation d'être asservis par la technologie. Nous pouvons décider d'utiliser « intelligemment » notre smartphone, d'éteindre la télé, etc.
- Au niveau politique ces technologies pourraient permettre de faire émerger un statut de citoyen indépendant et de libre arbitre, le salariat ne répondant pas à ce statut.
2) Les nouvelles technologies et la question de la démocratisation.
Dans le domaine médical, la démocratisation est à nuancer. A l'IRCAD, à Strasbourg, des médecins sont formés pour leur permettre d'opérer dans des secteurs géographiques de la planète où il n'y a pas de technologie suffisante. La robotique peut ainsi devenir accessible à des médecins africains. Le robot servirait d'outil à ces opérations.
C'est malheureusement ignorer que les chirurgiens d'un site européen sont déjà très surchargés et donc, le plus souvent dans l'incapacité de répondre à des demandes issues des pays pauvres. Il reste que l'avantage de la robotique réside dans le fait qu'il est possible d'opérer plus rapidement en Occident et ainsi de gagner du temps d'opération. Les travaux de recherche qui se font dans une équipe à l'IRCAD de Strasbourg visent à analyser le geste chirurgical, à fournir à un chirurgien novice des images et des informations sur des opérations réalisées par des chirurgiens expérimentés pour lui permettre un meilleur apprentissage, voire à terme pour utiliser ces informations en vue d'automatiser les gestes chirurgicaux grâce à l'intelligence artificielle.
Dans le domaine éducatif : les nouvelles technologies semblent démocratiques dans leur accès, mais peu dans leur utilisation. Comme auparavant pour les livres, une partie de la population qui appartient à une couche sociale privilégiée va être capable de les utiliser à bon escient alors que le reste de la population va être plus aliénée par elle que portée par elle.
L'exemple donné est une recherche dans une classe de CAP sur la biographie d'Amélie Nothomb. Wikipedia la fait naître en Belgique et les Universitaires, au Japon.
Les élèves ignorent quelle est la bonne information d'autant qu'ils placent sur le même plan toutes les informations données par Internet quelles que soient leur source. Le travail sur la source apparaît ainsi essentiel pour tous les documents. Ce travail va être un réflexe pour une certaine catégorie de personnes et ne va pas l'être du tout pour une autre catégorie. Beaucoup d'élèves de CAP sont, par exemple, très sensibles aux théories du complot, aux vidéos des djihadistes qui sont personnalisées en fonction des gens qui les regardent (voir les réseaux sociaux). La vraie démocratisation serait de développer l'esprit critique qui permettrait à chacun de pouvoir utiliser ces technologies. La question qui reste en suspens est celle de savoir si les personnes qui détiennent le pouvoir sur les technologies souhaitent le développement de cet esprit critique.
-Il y a une zone d'ombre importante concernant les processus de fabrication de ces nouvelles technologies qui échappent au citoyen. Quand Microsoft vend de l'espace à l'Education nationale à des fins pédagogiques, cela pose question. Les jeunes pourront ainsi faire héberger plus facilement leurs données synchronisées dans un Cloud. Il reste que la maîtrise de ces concepteurs informatiques échappent au contrôle sociétal.
- L'exemple donné par Serge Tisseron quand il parle des robots dans son dernier ouvrage, nous interpelle : le robot fascine les propriétaires, mais nous ne savons pas qui sera le maître de la relation avec le robot. En fait ce seront les concepteurs des logiciels qui font marcher les robots qui sauront que si vous êtres joyeux, le robot va capter cette joie et y répondre. Les programmes qui en découlent ne sont pas liés à la volonté du propriétaire, mais les concepteurs en sont les maîtres. Les Japonais ont donné une forme humanoïde à leurs robots pour les rendre plus proches des humains (voir leur place auprès des personnes âgées).
- L'accès plus rapide et complet à l'information par le biais des nouvelles technologies pose la question culturelle. Le temps gagné grâce aux NTIC n'est pas toujours utilisé pour la culture. Les cadres, par exemple, doivent souvent être joignables en permanence et ils ne disposent pas forcément d'un temps libre supplémentaire pour se cultiver.
- L'information énorme véhiculée sur le Net nécessite d'avoir des compétences culturelles pour pouvoir en faire le tri. Les NTIC peuvent ainsi être à l'origine du renforcement des inégalités culturelles.
-Il y a un risque de commencer à penser autrement sous l'influence de l'utilisation notamment des smatrtphones. Crawford, un philosophe américain, nous met en garde concernant la difficulté de se concentrer en soi, dans une attention intérieure, quand nous sommes envahis par les écrans dans l'espace public notamment.
-Il y a aussi le risque que toute nouvelle technologie découverte crée un besoin social. Un participant, témoin chez Alcatel de l'innovation du Minitel (créé en 1980, TAE-Terminal Annuaire électronique-, pour supprimer les Bottins papier), nous fait part de l'invention du visiophone (qui n'avait pas marché après son étude en 2000) et qui maintenant s'est mué en Skype et est devenu d'usage courant, et de celui de l'ancêtre du téléphone portable créé en 1973.
Il y a une fausse démocratisation par la numérisation des données que les fournisseurs d'accès peuvent revendre ensuite aux bibliothèques par exemple.
La numérisation reste un support fragile.
3) Nouvelles technologies et changements des rapports de production.
- Au départ et au cours de l'histoire, l'homme recherche un prolongement de lui-même pour sa survie en créant des outils. Dans cette première phase de survie de l'humanité, il n'y avait pas d'accaparement des fruits du travail. Quand apparaît l'agriculture apparaît aussi un surproduit social que certains accaparent (une caste de scribes et les prêtres qui ne travaillent pas grâce à ce surproduit).
Quand arrive la révolution énergétique qui génère le capitalisme, la grande nouveauté est la transformation des rapports de production avec la généralisation du salariat (récent au niveau de l'humanité). Pour Marx, les rapports de production et les rapports sociaux se sont modifiés alors. Au début toute la valeur produite est produite par le travail et en ce moment les marxistes sont en débat pour savoir si les nouvelles technologies remettent en question la théorie de la valeur travail. Est-ce que finalement on pourrait produire de la valeur en-dehors du travail humain ? Cela paraît peu probable : il existe une forme d'économie de la connaissance et la marchandisation du cerveau est en marche. Le capitalisme réussit ainsi à transformer en valeur un certain nombre de connaissances. Mais, en fait le travail du cerveau reste un travail qui prend de plus en plus de place aujourd'hui. Comme auparavant, le cerveau humain, sous aliénation capitaliste est capable de créer à la fois les outils de son progrès mais aussi les outils de sa propre aliénation (voir comment chez Uber la Net économie contrôle les chauffeurs de taxi).
Sur le plan social la robotisation a supprimé des tâches simples que des handicapés mentaux pouvaient réaliser dans les industrie d'autrefois. Ces personnes pouvaient ainsi avoir un certain degré d'autonomie. Elles ont perdu cet atout et sont maintenant la plupart du temps assistées financièrement ou intégrées dans des ateliers spécifiques pour handicapés (un participant évoque le travail dans une usine textile des Vosges au siècle précédent). Un article de fiction, il y a quelques décennies, avançait l'idée que le travail pouvait ainsi progressivement devenir le privilège de quelques-uns...
La question de l'emploi reste essentielle en ce moment en lien avec la robotisation. Comment faire vivre tous les gens sans travail ? Un récent article du Point évoque les difficultés à venir des classes moyennes qui ne trouveront plus leur place entre des métiers à qualification réduite et les ingénieurs de l'intelligence artificielle aux manettes de ces changements. Il semble important d'imaginer des changements dans le système éducatif qui ouvriraient d'autres horizons aux élèves (apprentissage de la musique par exemple...). Par ailleurs, la question de l'énergie a une importance fondamentale pour arriver à nourrir les populations même s'il reste peu de travail disponible.
Il y a encore de nombreuses entreprises qui délocalisent pour faire effectuer des tâches à bas coût dans certains pays. Pourquoi délocaliser alors qu'il serait possible de remplacer une partie de cette main-d'oeuvre par des machines? Ce serait parce que dans la production du profit il y a une variable sur laquelle on peut jouer, c'est la variable du travail et du salaire. Nous ne sommes pas encore au stade du emplacement généralisé de la main-d'oeuvre par l'automation. En effet, d'une certaine manière, dans certains pays, le travail humain est moins onéreux que la machine et son amortissement.
- Au niveau mondial, les nouvelles technologies ont transformé les rapports de production. Il existe maintenant des polarisations mondiales entre des pays riches dans lesquels se concentrent la connaissance et les développements techniques des nouvelles technologies et un certain nombre de pays pauvres en voie d'émergence où la part variable du travail existe encore. Cela explique le grand nombre des délocalisations à partir des pays riches qui disposent de moins en moins de cette part variable du travail. Nous continuons de cultiver cette économie de la connaissance très liée au capital.
4) Les solutions possibles.
La proposition du revenu de base permettrait à la population de vivre et de compléter ce revenu par des activités choisies. Ce revenu va peut-être être mis en place en Finlande.
Favoriser la redistribution des richesses particulièrement mal en point en France.
Aider au développement des PME en France comme le fait l'Allemagne qui a beaucoup de TPE et de PME. Le capitalisme allemand semble plus redistributeur.
Le marché de l'aide à la personne reste un grand vivier d'emplois en particulier dans l'aide aux personnes âgées.
En conclusion, ce sujet semble relativement peu pensé dans nos sociétés et peut créer de nombreuses angoisses notamment en terme de cohésion sociale si les pertes d'emploi s'accélèrent. La question de la démocratisation réelle de ces technologies reste encore peu traitée (utilisation de tous les réseaux de connaissances en faisant preuve d'esprit critique).
Nouvelles technologies et changements sociaux.
Texte élaboré à partir de la traduction de l'entretien avec le philosophe Matthew B.Crawford, le 12 février 2016, dans l'émission Les Nouveaux Chemins de la Connaissance, sur France Culture.
Un article publié dans un journal satirique américain, The Onion, traite de la multiplicité des sollicitations que les objets numériques exercent sur les hommes. La scène se situe dans le Maryland aux Etats-Unis :
« Alors qu'il ouvrait sa deuxième canette de bière tout en bavardant agréablement avec des amis autour d'un repas en plein-air, Marshall Platt, 34 ans, n'était plus qu'à quelques secondes de se relaxer complètement et de prendre du bon temps lorsqu'il se sentit soudain opprimé par le volume écrasant des messages professionnels qu'il n'avait pas encore consultés dans sa boîte mail, par un billet d'avion dont l'achat avait encore été repoussé en raison d'un problème avec sa carte de fidélité (il devait se rendre au mariage d'un ami et devait rappeler un grand nombre de personnes).
C'est super de vous voir ici, les gars ! déclara l'homme qui avait failli vraiment s'éclater mais qui désormais se préparait mentalement au PowerPoint qu'il devait présenter le vendredi suivant et recensait les factures à payer avant le 7 du mois.
C'est vraiment génial, dit une de ses amies !
Quelqu'un veut une autre bière, demanda Platt ? tout en se disant qu'il ne devait pas oublier d'acheter un spray nasal à la pharmacie.
Moi, je me ressers.
D'après les témoins, Platt, alors sur le point d'éprouver une joie authentique, aurait sombré dans une torpeur rêveuse. Tout en s'efforçant de simuler le plaisir d'une conversation avec ses amis, il visualisait l'achat d'un cadeau d'anniversaire à sa mère, se creusait la tête pour essayer de se rappeler s'il avait bien renvoyé à temps au Service des Ressources Humaines le formulaire de notes de frais de son voyage à New-York et s'exhortait mentalement à appeler sa banque à propos d'un mystérieux débit mensuel de 19 dollars qu'il avait découvert sur son relevé de carte de crédit. »
Crawford nous explique que, pour faire attention à quoi que ce soit de façon soutenue, il faut faire un effort et cet effort consiste à exclure tout le reste. Et lorsque nous vivons dans un monde tel que le nôtre où nous sommes envahis d'expériences manufacturées conçues précisément pour nous attirer et satisfaire notre appétit, il se pose la question de savoir si l'éducation est possible. L'autorégulation devient plus difficile quand nous avons dans nos poches toutes les formes possibles de distractions. 1
Le principe d'attention repose donc sur la sélection. Être avec mes proches est une possibilité parmi d'autres. Ce n'est peut-être pas la plus amusante que celle de profiter de la compagnie des autres autour de nous.
D'où ce phénomène de désorientation, étant donné le feu d'artifices de possibilités qui nous entoure et nous envahit. Il s'agit peut-être d'une crise de valeurs. La question de la sélection est une question de valorisation (la vie est brève). Elle est liée à une problématique de la culture et de la temporalité.
L'attention peut être considérée comme un bien commun. C'est ce qui nous appartient le plus, c'est notre apanage. C'est pourquoi l'intrusion de la publicité ou de la technologie omniprésente qui attire notre attention constitue une espèce d'invasion de l'intime. Mais, par ailleurs nous prêtons attention à un monde qui est partagé, donc les objets présents autour de nous peuvent être présents aussi pour les autres dans un monde que nous partageons. Nous sommes alors dans le domaine de l'intime, mais aussi du public. Ce qu'il nous faut c'est une économie politique de l'attention.
Je propose l'idée d’un bien commun de l'attention. Je prends l'exemple de la présence dans un aéroport :
Si vous vous trouvez dans un aéroport, vous vous sentez assaillis visuellement, auditivement, mais vous faites une expérience très différente si vous vous rendez dans un salon de la classe affaires. Là, vous trouvez le calme, l'apaisement. Il n'y a pas de publicité sur les murs, donc étant donné que votre attention est « monétisée », si vous voulez recouvrer votre attention, il faudra sortir votre portefeuille. Les personnes qui ont les moyens financiers peuvent ainsi quitter le bien commun de l'attention pour aller dans le salon classe affaires pour recouvrer leur capacité d'attention.
Mais je ne suis pas prêt à abandonner l'espace partagé, l'espace public, pour simplement satisfaire mon intérêt privé parce que c'est très délétère envers la possibilité d'avoir une conversation et c'est évidemment délétère à la pensée.
En conversant avec des facteurs d'orgue, je me suis aperçu que ces artisans évoluent en se sentant appartenir à un arc historique. Ils apprennent de leurs maîtres du passé pour avoir cette orientation vers un avenir plus lointain. Ils anticipent la restauration à venir. L'atelier du facteur d'orgue nous aide à comprendre ce qui se produirait si nous habitions une écologie de l'attention qui nous placerait pleinement dans le monde.
Retour vers les textes du café politique
Inventer un nouveau concept sociétal, économique et culturel.
Café politique du 31 mars 2016.
Intervention de Daniel
-
Un peu d’Histoire
-
Les bouleversements en cours
-
Doit-on inventer un nouveau dogme ?
-
Trouver une nouvelle valeur pour monétiser les échanges et évaluer la réussite
-
LA CULTURE COMME CONDITION, L’AUTONOMIE COMME OBJECTIF
1. Un peu d’Histoire
L’humanité a connu depuis toujours des bouleversements qui ont mis plus ou moins de temps à infuser sur l’ensemble de la planète : la découverte du feu, l’usage de l’écriture, l’apparition du monothéisme, l’invention de l’imprimerie, la révolution industrielle, le concept de la personne morale (pour moi à l’origine du capitalisme) et enfin la dernière révolution : celle de l’information, et l’explosion des nouvelles technologies.
De ces bouleversements les élites et les différents pouvoirs ont voulu maîtriser les mouvements.
Ils ont donc inventé les religions, les dogmes (le communisme, le capitalisme) pour mettre la main sur les effets de ces bouleversements et sur les populations qui adhéraient à ces dogmes, principalement par manque de culture et d’éducation.
Or, siècle après siècle, le savoir, l’information et les technologies ont été de plus en plus partagés et le niveau d’éducation moyen a augmenté.
Le dernier bouleversement - révolution non violente ? - touche à l’information et aux technologies du quotidien d’où une démocratisation sans précédent d’une série de progrès qui étaient réservés autrefois à une caste dirigeante (santé, environnement, loisirs, culture … et éducation).
Cette démocratisation a eu pour effet que les classes dirigeantes n’ont plus eu la main mise sur les masses, et surtout que les dogmes (véritables chapes de plomb collectives) se sont effondrés. Les femmes et les hommes sont devenus libres de penser, ils se sont affranchis des pouvoirs mais en même temps ils ont perdu leurs repères réconfortants. Ils sont désormais face à un espace libre que beaucoup qualifie de néant ! D’où l’émergence d’extrémismes basés sur ces peurs.
Mais cette liberté de pensée et d’expression à travers de nouveaux médias n’est pas l’autonomie ! De loin pas. Et le plus important dans une collectivité aussi complexe que la nôtre est d’inventer un système global où chacun puisse trouver son autonomie de vie et réaliser ses projets, qu’ils soient mercantiles ou autres. La liberté est une condition, pas une finalité.
2. Les bouleversements en cours
Nous vivons en quelques mots :
-une explosion de la démographie mondiale et un allongement de l’espérance de vie
-un partage mondial de l’information en temps réel (quelques pays restent cependant opaques). La culture est de plus en plus partagée et accessible à tous. Et c’est cela l’important. Ceux qui disent que Google a intérêt à rendre gratuit l’accès à tous et donc discrédite le système en lui-même, ceux-là se trompent car ce que Google offre correspond aux attentes des masses. Idem pour la numérisation de tous les livres et fonds documentaires de la planète : elle permet une démocratisation du savoir à condition que les systèmes éducatifs comprennent les enjeux et « éduquent » nos enfants à ces outils surpuissants.
-une émergence de nouveaux courants politiques qui bousculent les partis traditionnels
-un effondrement des idéologies et une prise de conscience des jeux de pouvoirs entre les dirigeants et les masses : cette prise de conscience en temps réel bouleverse l’exercice du pouvoir, c’est un peu tôt pour le voir mais c’est une certitude (le Brésil en est un bon exemple) et cela apportera une meilleure pratique du politique
-une révolution technologique sans précédent qui va faire disparaitre 40% des métiers dans les 10 à 20 ans et qui remettra en question l’organisation du travail traditionnel et les systèmes de production dans tous les secteurs (industriel, agricole, les services … et le commerce) et changera les liens entre les acteurs économiques.
Pour moi, nous vivons une époque géniale ! Nous sommes face à des bouleversements immenses qui touchent toute la société, toutes les couches de la population et surtout qui remettent en cause toute nos certitudes. Nous devons ainsi tout réinventer !
-
DOIT-ON INVENTER UN NOUVEAU DOGME SOCIETAL, ECONOMIQUE ET CULTUREL ?
Cette question est légitime. Les pouvoirs ont toujours voulu coller à l’ensemble de la population des systèmes auxquels nous ne pouvions déroger.
Alors, faut-il aujourd’hui remplacer le capitalisme par un autre système, lui aussi aliénant si imposé à tous ?
En même temps, inventer un nouveau système sociétal, économique et culturel peut avoir une réelle légitimité si l’objectif n’est pas de contrôler les masses mais de leur permettre d’atteindre une réelle autonomie !
Il faut redire ici que les masses ont toujours eu l’habitude d’être guidées. On a toujours eu besoin de dogmes ou de prophètes ! Etre indépendant, autonome, libre de pensée déstabilise beaucoup de gens, la grande majorité d’ailleurs. L’autonomie et la liberté sont elle naturelles ? Dans une société qui se replie sur soi, je ne crois pas ! Et pourtant, c’est l’objectif louable de tout système qui remplacera le capitalisme et s’éloignera encore du communisme.
Pour répondre à cette question de la légitimité, je pense qu’il faut dire trois choses :
-nous sommes sur une planète possédant des richesses immenses
-l’occident a atteint un niveau de richesse inégalé et la question est aujourd’hui de l’équation de la redistribution, pas du niveau de richesse.
-l’intelligence humaine dont profite tous les pans de la société finira bien un jour par se mettre au service de l’humanité pour inventer un nouveau un système sociétal, économique et culturel. L’intelligence au service d’une équation ! On a déjà vu pire comme problématique dans l’histoire.
Il faut donc répondre à cet enjeu ambitieux, le thème de ce soir, car il en a toujours été ainsi. L’humanité, l’esprit humain détestent le néant et les bouleversements actuels exigent donc de réinventer quelque chose au plus vite.
4. Trouver une nouvelle valeur pour monétiser les échanges et évaluer la réussite
La valeur essentielle, presque exclusive, pour qualifier le système actuel est l’argent.
Le système capitaliste est basé sur une réussite matérielle individuelle dont la position de chacun dans le système est « quantifiée » par son enrichissement pécuniaire. Le système a connu une réussite qu’il faut saluer car elle a permis une période de croissance sans précédent au cours du XX ° siècle. De nombreux pays ont su mettre en place des systèmes de redistribution très efficace afin que toutes les populations profitent de cet enrichissement.
Ce qu’il faut bien comprendre dans le système capitaliste, c’est que sa force réside dans la possibilité qu’a un individu de profiter de ses atouts, des ses mérites et de son intelligence. Il va donc se surpasser et entraîner avec lui des centaines de personnes dans une aventure collective.
C’est le contraire du communisme qui a cru et croit encore naïvement qu’un individu porteur de croissance peut se dépasser pour des raisons exclusivement altruistes et dont le fruit sera intégralement redistribué. On a bien vu le résultat dans les pays qui n’ont pas adopté l’économie de marché. Ca ne fonctionne pas.
Parallèlement à cette envie de création de richesse sont apparues de plus en plus de personnes qui ne veulent plus s’inscrire dans un système où l’argent est la valeur exclusive.
Les gens sont de plus en plus demandeurs de relations humaines, ont envie de se réaliser dans des domaines non lucratifs.
Les meilleurs exemples sont ceux qui veulent se réaliser dans les secteurs tels l’accompagnement social, l’éduction, la culture, tant de domaines où l’argent n’a rien à voir avec la valorisation de l’engagement, la carrière.
Ainsi, je pense que nous devons créer un nouvel étalon qui côtoiera la valeur argent. C’est l’étalon TEMPS. Il est pour moi aussi valorisant de consacrer une heure de son temps à une personne âgée que de payer un restaurant, acheter un robot ménager, ou travailler 1h pour produire ce robot.
Il faut pour cela que les 2 étalons se complètent selon les secteurs dans lesquels chaque citoyen désire s’investir.
On doit donc inventer un système dual comprenant :
-
Un socle commun avec un revenu universel double (l’un national et l’autre international)
-
Un double Espace VALEUR où on peut opter pour 2 systèmes :
Système de valeur 1 - où l’étalon est l’argent (capitalisme) - avec reversement au trésor public pour financer le système 2 et le socle commun
Système de valeur 2 - où l’étalon est le TEMPS matérialisé par une nouvelle monnaie type « troc » - où l’échange humain sera valorisé ainsi que les domaines de créations artistiques. Cette monnaie serait introduite par un système d’échange permanent avec le système de valeur 1.
L’équation 1€= x troc serait revu chaque année par les élus et/ou par le marché.
Bien entendu, on pourra opter à tout moment pour les 2 systèmes, ou en changer, mais on pourra aussi passer toute sa vie dans le système 2 grâce au socle commun et à la valorisation de l’étalon TEMPS.
Enfin, dans la richesse financière globale d’un pays, le système 2 doit représenter 30 à 50% de la valeur globale. Cela permettra de payer plus les artistes, les professeurs, les assistantes sociales….
Cette répartition sera votée annuellement par les élus du peuple selon les recettes fiscales. Nous avons les meilleurs collecteurs d’impôts du monde, je ne m’en fais pas pour cela.
Je le redis, ce n’est qu’une question d’équation.
5. LA CULTURE COMME CONDITION, L’AUTONOMIE COMME OBJECTIF
Pour arriver à cet objectif de système où chaque individu se réalise selon ses propres attentes, il faut que les citoyens accèdent à la CULTURE. Elle est indispensable pour dépasser les carcans, découvrir les richesses de notre société et les champs illimités de la création humaine. Cette CULTURE, où la France excelle tant, encore et toujours, est la condition pour que les masses populaires aspirent à autre chose qu’au capitalisme et ne tombent pas dans les pièges du communisme où de toute autre doctrine figée.
Ainsi, lorsque nous parlons d’un système sociétal, économique qui régit la société, il faut dorénavant rajouter la CULTURE car elle sera la garante que les citoyens ne tomberont pas dans les dérives précédentes.
Le système dual qui valorise la CULTURE au même titre que le business permettra au plus grand nombre d’élargir son champ de vision, son autonomie face aux pouvoirs et aux extrémistes !
Ainsi, le capitalisme qui s’essouffle de manière évidente sera remplacé par un système global où chaque individu accèdera à l’autonomie, quels que soient ses centres d’intérêts, et ceci tout au long de sa vie.
Ce n’est pas une vision de « bisounours » – pour reprendre le mot sympathique d’une participante du café philo d’hier – mais le sens de l’histoire : l’intelligence humaine a permis un progrès collectif permanent depuis l’apparition du feu. Et le capitalisme a permis des progrès fulgurants que le communisme na pas permis. Le prochain système qui remplacera le capitalisme sera encore meilleur car c’est le sens de l’histoire !
L’objectif du débat de ce soir est d’être constructif, de dépasser les constats qui occupent 95% de nos commentaires et de nos fantasmes. Il faut oser proposer, déconstruire pour reconstruire afin de proposer un meilleur système, plus intelligent et plus humaniste.
Nous ne sommes pas plus incompétents que nos politiques que nous passons notre temps à vilipender. Nous sommes légitimes, car citoyens, à imaginer un nouveau système et à participer à une nouvelle invention.
Après l’exposé de Daniel, le débat s’ouvre.
1) Les failles de la redistribution.
- Un participant d’origine polonaise qui vit en France aujourd’hui fait part de son vécu du communisme avant la chute du Mur. C’était un soviétisme. Il a le sentiment que le capitalisme sauvage s’en rapproche. En exemple il rappelle que New York est une des villes les plus inégalitaires du monde avec des riches qui possèdent des appartements de 200 millions de dollars et 70 000 SDF qui vivent dans une extrême précarité. Il évoque aussi des situations très inégalitaires dans le monde du travail en ce qui concerne des ouvriers roumains employés par des filiales de la SNCF pour des salaires de misère. Il y a aussi les travailleurs intérimaires employés dans la filière nucléaire.
- La croissance profite en général à ceux qui ont le plus de revenu (voir le travail de Thomas Piketty à ce sujet). Seules les guerres semblent intervenir pour faire de la redistribution en matière de capital.
- Le patron de Peugeot voit son salaire augmenter de façon immodérée à quoi un autre participant répond que dans cette augmentation il y a une part fixe et une part variable liée aux résultats obtenus par l’entreprise et que par ailleurs le fisc récupère une grande partie de cette augmentation, le reste étant le plus souvent réinvesti dans le capital des entreprises. Cela ne nie pas l’enrichissement personnel mais éclaire différemment la démesure de cette rémunération égale à 200 fois le salaire d’un ouvrier de l’entreprise Peugeot.
- Une discussion s’ouvre sur la durée de vie des sociétés françaises du CAC 40 en France. Elle serait de 17 ans et bien moindre que celle d’autres pays industriels. Un participant conteste cette durée en alléguant que les sociétés françaises comme Danone peuvent changer de nom mais restent en fait les mêmes et durent autant que celles du NIKKEI (115 ans de durée de vie).
- La redistribution se heurte actuellement au processus de mondialisation qui met les entreprises en grande concurrence et contraint certaines d’entre elles à la délocalisation pour abaisser les coûts de main-d’œuvre. Les entreprises qui survivent sont souvent les plus importantes, celles qui passent au-dessus des Etats. En France l’Etat voit ses ressources diminuer et la redistribution devenir ainsi plus problématique parce que le tissu industriel national diminue de volume.
- Quand le capitalisme se dérégule on peut constater la montée des extrémismes. L’exemple de la Pologne après la chute du Mur est parlant. Les Allemands ont acheté les stocks des entreprises polonaises et ont entraîné leur faillite pour pouvoir mieux les racheter ensuite.
2) Les modes de redistribution.
- L’Etat français opère de lourds prélèvements fiscaux (près de 45% des revenus). Ces prélèvements permettent une redistribution importante en direction des plus pauvres en particulier.
- Peugeot a payé des primes à ses salariés en lien avec les bons résultats récents de l’entreprise.
- De nombreuses entreprises, en particulier de tradition protestante, procèdent à d’importantes redistributions. L’entreprise de Bill Gates en est un exemple.
3) Propositions pour un nouveau concept.
- Daniel propose la création de deux étalons qui se complèteraient (voir le texte de son intervention). Le premier étalon serait l’argent et le second étalon serait le temps matérialisé par une nouvelle monnaie type « troc » où l’échange humain serait valorisé ainsi que les domaines de créations artistiques. Cette monnaie serait introduite par un système d’échange permanent avec le système dont l’étalon serait l’argent.
- Une critique de cette proposition est la suivante : il y a risque de transformer le temps en une nouvelle finance. Or le seul espace de liberté qui nous reste aujourd’hui est de disposer de notre temps. A partir du moment où le temps va être comptabilisé, il deviendra une monnaie, un troc. Il faudra donc donner du temps parce que le temps vaudra quelque chose. A contrario de cette comptabilisation est proposé l’exemple d’un ancien dirigeant qui consacre son temps libre à la collectivité en gérant bénévolement 1800 personnes à Strasbourg dans un organisme d’aide aux personnes.
- Un autre argument concernant la question du temps monnayable est qu’il existe déjà une équivalence entre quantité de production et quantité de temps. La plus-value est bien liée au temps de travail du salarié en partie. Il y a déjà équivalence d’une certaine manière entre temps de travail et richesse évaluée.
- L’important semble aujourd’hui de modifier nos horizons, de ne plus être systématiquement à la recherche de l’accroissement de la richesse personnelle, de quitter la pléonexie (Terme utilisé par Marcel Mauss dans son Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos / Etude de morphologie sociale : désir d’avoir plus que les autres en toutes choses) et le désir d’avoir plus de notoriété. Le système capitaliste exploite cette pléonexie en proposant aux gens de consommer toujours davantage et en suscitant des besoins nouveaux dans un système en croissance exponentielle qui pose des questions écologiques majeures aujourd’hui. Cette croissance fait en outre appel à un certain nombre de terres rares qui se raréfient et qui donnent lieu à une forte spéculation. En contre-argument il est possible de dire que si nous n’allons plus dans le sens de la progression de la croissance nous avons toutes les chances de « dégringoler ».
- Par ailleurs ce changement d’horizon reste improbable pour les 10% de personnes qui vivent dans la très grande pauvreté. Il est aussi complexe de définir les attentes de chacun en termes de développement personnel. Amartya Sen propose une approche par capabilités qui ne sont pas du domaine marchand. Cette démarche suppose un développement personnel singulier et propre à chacun. Il y a donc un certain nombre d’éléments qui sortent du contexte marchand et d’un échange possible.
- Qu’en est-il de ces attentes pour M. Tavares par rapport à un de ses ouvriers par exemple ? Les thèses très belles d’Amartya Sen prônent une justice sociale du type de celle de John Rawls mais toutes les études en démontrent la grande difficulté de réalisation.
- Il semblerait que pour certains la prise de conscience de la réalité inégalitaire n’aille pas de soi en particulier pour certains jeunes qui imaginent que cette prise de conscience modifierait leur manière de vivre ce qu’ils ne sont pas sûrs de vouloir faire. Peut-être que le partage des idées par Internet portera des fruits en ce qui concerne la prise de conscience.
- Le choix d’un nouvel horizon de vie doit être laissé au libre choix de chacun. Il ne faudrait pas remplacer les systèmes actuels par une nouvelle idéologie.
- Une des solutions pour faire évoluer le caractère inégalitaire de la société serait d’établir enfin la Taxe Tobin qui consiste à taxer les transactions financières. L’application de cette taxe pourrait faire évoluer les consciences des jeunes en particulier en ce qui concerne les inégalités mondiales.
- Il existe des initiatives de tous ordres qui illustrent des nouvelles pratiques de vie. Par exemple les initiatives de permaculture qui proposent une nouvelle agriculture respectueuse de l’environnement, les jardins partagés, les constructions participatives dans le domaine architectural. Un participant évoque le jardin partagé de l’école de Hautepierre auquel les enfants participent et qui éveillent en eux le respect de la nature. Après une année d’expérience le bilan a été réalisé par Marielle Feltin qui dégage les caractères éducatifs de ce vécu scolaire commun.
- Les monnaies locales dont le film Demain fait état comme le WIR en Suisse présentent un réel intérêt.
Conclusion.
L’exercice de pensée de ce café démontre la difficulté que nous avons pour élaborer des concepts différents de ceux qui s’appliquent à notre vie actuelle dont la croissance et la monétisation sont les piliers essentiels. Daniel se propose de compléter par un texte futur ses premières ébauches de proposition.
Quel renouveau pour la démocratie ?
Café politique du 14 juin 2016.
Quelques expériences démocratiques novatrices à travers le monde
Quelques constats de difficulté du fonctionnement démocratique.
- Comme simples électeurs, notre avis sur la politique nationale ne peut être pris en compte qu'une fois tous les cinq ans.
- Les mandats ne sont pas impératifs et les programmes des candidats ne sont pas des engagements solides.
- Le choix proposé lors des élections ne permet pas la défense de l'intérêt général.
- Les maîtres politiques sont régulièrement impliqués dans des scandales qui montrent qu'ils défendent avant tout leurs propres intérêts.
- Les élus passent beaucoup de temps à préparer leur réélection en même temps qu'ils exercent leurs fonctions.
- L'élection permet d'attribuer à l'ensemble de électeurs la responsabilité des erreurs des élus.
- En France, nous sommes dans une oligarchie (professionnels de la politique de milieu social homogène), dans une ploutocratie et dans une aristocratie (élite).
- L'élection pousse au regroupement de partis. Ces partis ont des logiques internes de pouvoir : leur objectif premier n'est pas de servir l'intérêt général, mais de conquérir le pouvoir pour imposer à tous un programme voulu par leurs membres. Est élu celui qui ment le mieux.
- La proposition d'utiliser le tirage au sort à la place de l'élection a des avantages certains : aucun intérêt commun ne relie les personnes tirées au sort, elles seront peu corruptibles. Ces personnes travailleraient sous le regard de la société et leur projet pourrait être soumis à référendum.
- La question d'une Assemblée Constituante tirée au sort peut présenter de l'intérêt pour la démocratie.
- Voici quelques exemples réels illustrant historiquement cette démarche. Même si ces initiatives n'ont pas abouti à un changement constitutionnel, elles démontrent la pertinence du fonctionnement du tirage au sort.
- D'autres exemples participatifs ont réussi et ont abouti à des décisions qui ont modifié le champ politique, que ce soit des choix concernant le paysage urbain ou des choix dans l'utilisation des budgets à plus ou moins grande échelle.
- Enfin, il existe des structures participatives à visée consultative, qui par leur présence et leur parole, ne sont pas sans effets sur les pouvoirs.
Expériences de renouveau démocratique. Exemples tirés de l'ouvrage de Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie, Seuil, 2008.
1) Expériences d'assemblées citoyennes constituées par tirage au sort et proposant des réformes électorales.
- A un niveau provincial au Canada : « En 2004, la province canadienne de Colombie Britannique a confié à une assemblée citoyenne de 160 personnes tirées au sort le mandat de rédiger une réforme du mode de scrutin, laquelle devait être ensuite soumise à référendum. A l'issue d'un processus de délibération publique, étalé sur neuf week-ends entre janvier et octobre 2004, impliquant notamment des auditions d'experts, l'assemblée est parvenue à une proposition de réforme présentée au référendum en mai 2005. La proposition a obtenu une large majorité devant le peuple (57,6%), cependant insuffisante au regard des 60% de suffrages exprimés exigés par la législation. Le même expérience reproduite en 2006 dans la province de l'Ontario a abouti à un rejet massif de la proposition par référendum ».
- L'expérience de l'Islande.1
Avant la crise de 2008, l'Islande, pays de 320 000 habitants, vivait dans un certain confort. Ses habitants s'endettaient et achetaient des maisons. Avec la crise la couronne islandaise perd la moitié de sa valeur, le chômage inexistant jusque-là monte à 9%, le PIB perd 10 points en 2 ans. Les banques s'effondrent, des milliers d'Islandais ont leurs logements saisis. La dette des banques et des entreprises est de 4 à 5 fois la richesse nationale. Entre 2005 et 2008, les prêts ont été accordés bien trop facilement entre les banques et les entreprises.
Le pouvoir politique décide de laisser les banques s'effondrer tout en sauvegardant leur activité domestique (dépôts islandais) bientôt reprise par de nouvelles banques créées pour porter les opérations nationales.
Un mouvement se prépare qui pousse le Premier ministre, le gouvernement et l'autorité centrale des banques à la démission en janvier 2009.
Les créanciers britanniques et néerlandais refusent cet état de chose, appuyés par l'Union européenne. Après de multiples étapes de négociation, une banque islandaise éponge les deux tiers de la dette et le gouvernement islandais, conseillé par le FMI, efface les dettes trop élevées des ménages et des entreprises.
Texte extrait en partie du livre Demain qui relate le film Demain.
La « Révolution des casseroles » (ils tapaient sur des casseroles ! ) travaille alors pour refonder la Constitution, et créer un garde-fou pour éviter la reproduction d'une telle crise. Une Assemblée de 25 citoyens ordinaires doit être élue. Le 6 novembre 2010, 1000 personnes tirées au sort se réunissent pour définir les grandes valeurs et les priorités du pays (égalité face au droit de vote entre ruraux et urbains et ressources naturelles deviennent propriété du peuple). Le 27 novembre 2010, une Assemblée de 25 personnes est élue parmi 523 candidats. La Cour Suprême annule ce scrutin. L'Assemblée est transformée par le Parlement en Comité consultatif. Pour la première fois les citoyens participent à élaborer leur Constitution en proposant des amendements. Chaque semaine une version provisoire du projet est publiée et soumise aux commentaires. 4000 contributions sont recueillies en trois mois (rapportées à la population française ce serait 750 000). La méthode de consensus utilisée est de rechercher une solution encore meilleure de celle de l'un ou de l'autre camp par désir de développer la démocratie directe et d'éviter la corruption. Le texte est adopté à l'unanimité au bout de quatre mois. Il introduit le référendum d'initiative populaire. Au printemps 2013 le parti de l'Indépendance au pouvoir durant la crise l'emporte. Il bloque le projet de Constitution pendant deux ans. Le changement constitutionnel intéresse moins la population une fois la crise passée. L'opinion est plus attachée aux mesures proposées par le Premier ministre en vue du désendettement des classes moyennes moins protégées que d'autres par le précédent gouvernement. Les personnes engagées dans le processus constitutionnel étaient des intellectuels et des militants en majorité.
Il reste que le texte existe, qu'il a été adopté par référendum consultatif en 2012 et qu'il peut être ressorti lors d'une prochaine crise.
Cette expérience démontre qu'il y a un équilibre à trouver entre les responsables politiques et la participation de la population pour aller vers une meilleure politique.
2) Expériences participatives à visée délibérative.
- Au niveau de New-York : « En 2002, à l'issue d'un forum délibératif réunissant une centaine de citoyens new-yorkais autour d'un projet de réhabilitation des terrains occupés par le World Trade Center (Ground Zero), les autorités de la ville de New York conviennent de faire marche arrière et diminuent de 40% la surface préalablement dévolue aux commerces et aux bureaux au profit notamment de la construction de lieux de mémoire ».
- Au niveau de Porto Alegre au Brésil : l'exemple du budget participatif après l'accession en 1988 du Parti des Travailleurs (PT) à l'exécutif municipal de cette ville de quelques 1,3 millions d'habitants (...). L'innovation prend place dans un univers politique local où le nouveau maire issu du PT se trouve en butte à une assemblée municipale qui lui est opposée, se donne pour objectif de lutter contre la corruption et le clientélisme de l'ancienne municipalité, et cherche à prendre appui pour ce faire sur un mouvement associatif et communautaire particulièrement actif dans une ville où le niveau d'engagement politique est traditionnellement fort. L'expérience sera menée pendant près d'une quinzaine d'années, jusqu'à la défaite du PT lors des élections locales de 2004. En dépit de son exceptionnelle réussite (...) elle n'aura touché qu'une fraction de la population de Porto Alegre : entre 1% et 1,5% de la population participe ainsi aux réunions de base. Au total, à l'issue d'un peu moins d'une quinzaine d'années d'expérience, ce serait environ 10% de la population qui aurait effectivement participé. A partir des années 1990, ce modèle du Budget participatif va se répandre, au Brésil tout d'abord où la Constitution reconnaît par ailleurs un droit à la participation des habitants depuis 1988 et où l'on compte à ce jour plus d'une centaine d'expériences de ce type, puis dans le reste de l'Amérique latine.
- Le label « Budget participatif », plus souvent que la méthode dans sa rigueur, se diffuse aujourd'hui à travers l'Europe (...). Un bon exemple ambitieux cependant est « l'expérience menée par le Conseil régional de Poitou-Charentes qui vise à laisser à des assemblées délocalisées réunissant lycéens, parents d'élèves, professeurs et directions d'établissement l'affectation d'environ 10% du budget consacré par la région aux lycées ».
3) Expériences à visée surtout consultative.
- La consultation des populations en amont de projets particuliers : par exemple sous l'égide d'une instance comme la Commission nationale du débat public (CNDP) érigée au rang d'autorité administrative indépendante par la loi de 2002. Cette institution nouvelle s'inspire d'un précédent québécois, le « Bureau d'audiences publiques sur l'environnement » créé en 1978. (...). La CNDP est composée, outre son président et ses deux vice-présidents, d'élus, de magistrats et de représentants d'associations de protection de l'environnement, et de consommateurs. Sa saisine est obligatoire pour les projets d'équipement émanant de l'Etat, des collectivités, des établissements publics et des personnes privées, et atteignant un certain montant. (.). Une quarantaine de débats publics ont été réalisés sous son égide entre 1997 et 2007 portant principalement sur des projets autoroutiers, de transport d'électricité, des lignes à grande vitesse, ainsi que dans le domaine du nucléaire (EPR, débat sur l'enfouissement des déchets) ». Il n'y a pas d'impact direct sur la décision, mais l'originalité tient dans la nature du débat public : argumentation, équité, transparence, exercice d'intelligence collective. L'idée qui en ressort est que tout projet porté par l'Etat peut être discuté par quiconque le souhaite même si l'impact du débat sur la décision finale reste très variable.
Après l'exposé de Geneviève relatant quelques expériences démocratiques novatrices à travers le monde, le débat s'ouvre.
1) La question du tirage au sort.
- Des critiques peuvent être formulées en particulier en ce qui concerne les personnes tirées au sort ou qui représentent ce courant. En effet, l'actualité récente nous apprend que le Premier ministre islandais ( pays qui a initié cette pratique du tirage au sort à titre expérimental ) se trouve sur la liste des Panama Papers (documents panaméens en français). Par ailleurs, le Brésil sombre dans la corruption alors que les initiatives de budget participatif sont issues de ce pays. Et ces personnels politiques ne sont pas des énarques !
- Le fait d'affirmer que le tirage au sort peut éviter la corruption n'est pas évident. Le tirage au sort a ceci d'intéressant par ailleurs que les individus tirés au sort ne sont pas des professionnels de la politique et n'ont pas a priori de visée carriériste.
- La question des capacités des personnes tirées au sort est abordée. Evoquons l'exemple des jurés d'assise : ce sont des non-professionnels qui jugent et qui sont dispensés de travail pour ce faire.
- Le tirage au sort pourrait peut-être être structuré pour que les gens concernés ne soient pas trop ignorants.
- Un intervenant propose un gouvernement de techniciens qui auraient des compétences dans leur domaine d'exercice comme la santé par exemple. La réussite personnelle pourrait engendrer un bien commun ( un bon directeur d'hôpital saurait gérer les hôpitaux en France ).
2) La question du bien commun dans la démarche participative.
- La question du bien commun est une notion qui garde son intérêt dans la démarche participative. Ce n'est pas absolument évident parce qu'il faut que cet idéal se développe dans la population et il est abondamment bafoué par les politiques en particulier par populisme. Ce populisme tente de surfer sur une vague démagogique, notamment sur une vague de xénophobie. Peu de pays échappent aujourd'hui à ce phénomène. Même dans le cadre d'une démocratie directe, des meneurs sachant exploiter la démagogie maîtrisent la rhétorique et peuvent orienter les décisions dans un sens populiste. Il est cependant nécessaire d'avoir cette idée de bien commun dont Rousseau avait déjà parlé. C'est le fondement de la démocratie qui demande en amont une éducation.
- La démarche participative a son intérêt dans le climat actuel de rejet des élites politiques (par exemple les primaires américaines avec Bernie Sanders, populiste de gauche, et Donald Trump de manière plus caricaturale).
- Un intervenant précise que la notion de bien commun n'est pas une notion évidente. Les libéraux, dans le sens politique, disent que le bien commun n'existe pas. Il n'existe dans la société que des intérêts personnels. Le bien commun ne peut être la somme des intérêts personnels. Le bien commun c'est quelqu'un qui dit : le bien commun c'est ce que je pense. Tous les césarismes, tous les stalinismes disent que le bien commun c'est moi, et je l'impose. Les libéraux disent que l'Etat doit organiser le libre jeu des intérêts particuliers. Si c'est fait au nom du bien commun, il y a un fascisme déguisé.
- Le bien commun semble être beaucoup plus complexe que la simple addition des intérêts particuliers. C'est la loi du plus fort qui règne le plus souvent dans nos sociétés. Nous constatons actuellement un accroissement massif des inégalités. Il semble donc que pour faire de la politique il faut avoir cet idéal du bien commun même s'il est extrêmement difficile à définir. Il s'agit d'une forme d'ethos, d'une manière de penser, d'agir et de se comporter qui exige un certain recul par rapport aux intérêts particuliers.
- Pour certains théoriciens, la loi du plus fort est un pléonasme. Depuis Adam et Eve, on n'a jamais vu sur terre une loi qui ne soit pas celle du plus fort, entendue comme force au sens large, dans tous les sens, économique, de l'intelligence, de la personnalité, musculaire.
- Nietzsche nous dit cependant que la loi est toujours une restriction pour les plus forts si elle est appliquée. Lacordaire disait également que entre le fort et le faible, le patron et l'ouvrier, le maître et l'esclave, c'est la loi qui affranchit.
- Bruno Latour propose de créer une nouvelle forme de Sénat qui serait le lieu de l'élaboration du bien commun. Les élus ne représenteraient pas un territoire mais seraient médiateurs des éclairages multiples concernant l'avenir de l'environnement. Pour être un « nouveau sénateur », il faudrait franchir un seuil de compétence caractérisé pat la capacité d' « organiser des expériences collectives probantes et parlantes qui rendent visibles les non-humains ». Par exemple, « Monsieur Oiseaux migrateurs » devrait pouvoir créer de telles conditions pour les chasseurs, les naturalistes, les écologistes, les touristes... Si tel était le cas, il pourrait parler au nom des oiseaux en tant qu'ils font partie du territoire et sont attachés aux pratiques de chasse et de tourisme ». La question de l'expertise se pose dans ce processus d'éclairage. Il convient d'être assuré que les experts ne sont pas juges et parties des situations traitées. Il faut veiller à leur mandatement.
- L'autonomie, la responsabilité et la liberté de parole ont été mises en avant en Mai 68. Pour l'éducation, le bien commun a été de proposer un grand service public de l'éducation. La loi Edgar Faure a créé l'autonomie des Universités. S'agissait-il vraiment d'un bien commun ? C'était plutôt un abandon aux choix et au moyens variables université par université : un dévoiement de l'autonomie-responsabilité pour accroître les inégalités.
- Avec la loi El Khomry, la diversification du taux des heures supplémentaires selon les accords d'entreprise peut constituer aussi un dévoiement de l'autonomie en promouvant une concurrence sauvage entre entreprises sur le même sol.
- Le souci des gouvernements n'est-il pas davantage économique que politique en France aujourd'hui ?
3) L'expérience démocratique de Nuit Debout.
- Voici quelques éléments qui apparaissent à partir des premières observations de la vie de ce mouvement : le refus de l'autorité et de sa verticalité, le principe de l'horizontalité, l'absence de leader identifié comme tel, l'ouverture au débat de tous les sujets sans exclusive. Ce mouvement semble s'être créé en lien avec la déception suscitée par le gouvernement socialiste qui disposait au départ de toutes les cartes et qui a déçu une bonne partie de ses électeurs. Nuit Debout est un symptôme de la faillite de la gauche au pouvoir. Cette contestation ne se résume pas à la critique des partis. La question du peuple est à remettre à l'honneur non pas dans un sens marxiste mais dans le sens du peuple contre les banques, du peuple contre les castes. Les questions qui arrivent à l'expression lors des assemblées n'ont pas pu se faire entendre, semble-t-il, dans le champ politique traditionnel.
- Un participant propose de parler de nuit Debout de Strasbourg, qui se réunit encore tous les soirs à 19H Place de la République. Ce mouvement ne prend pas de décision sauf exception pour des actions comme celle qui ont été effectuées à Mac Donald ou à Starbucks. C'est plutôt un mouvement axé sur l'échange et le débat. Mais par contre il convient de remarquer que très vite ce mouvement, à Strasbourg et ailleurs, a été récupéré par les techniciens grâce à Internet et aux outils sociaux. Ce sont les Geeks et les Nerds qui ont récupéré très tôt les contenus des débats pour les diffuser sur le net à partir de leur filtrage. Ainsi l'horizontalité est remise en cause puisque la communication est apparemment détenue par ceux qui savent utiliser les réseaux sociaux. Les outils ainsi mis en place sont des outils pour informaticiens mais ce ne sont pas des outils citoyens (outils de productivité utilisés dans le quotidien de ces techniciens, mais difficiles d'accès au citoyen de base non formé ). La synthèse des débats de Nuit Debout de Strasbourg est envoyée à une adresse mail, donc à une personne qui la publie sans contrôle sur ce contenu.
- L'usage de la technologie pose souci dans la mesure où par le truchement des entreprises américaines nous remettons toute notre vie à Google, Facebook, Microsoft, Yahoo, etc. En échange ces organismes nous rendent des services. L'usage opposé à cela serait l'usage des logiciels libres, plus écologiques, plus citoyens, qui profitent à tous. Ce serait une pratique d'un bien devenu commun.
- Au niveau des penseurs de Nuit Debout, en général, l'horizontalité semble problématique. Frédéric Lordon semble être un inspirateur privilégié très écouté du mouvement qui s'exprime régulièrement à la Sorbonne et des intellectuels comme Finkielkraut n'ont pas droit de cité dans les débats
- Nuit Debout pourrait-elle se « podémiser » ? Une société ne peut demeurer en révolution permanente ou en consultation perpétuelle d'idées et de doléances ; il peut devenir nécessaire de s'institutionnaliser en parti afin de choisir, concrétiser puis imposer majoritairement des idées.
- Ce qui est notable dans l'initiative de Nuit Debout, c'est que la population s'intéresse davantage à son destin, mais il convient de remarquer que dans les assemblées ce sont souvent les mêmes personnes qui monopolisent le temps de parole. Ainsi se reproduisent les mêmes travers que dans n'importe quelle assemblée qui ne met pas en avant le principe d'horizontalité.
- Même en Mai 68, les situationnistes (Guy Debord et son équipe ) en grand débat sur la Misère étudiante, ont fait venir un parisien, membre de l'Internationale situationniste, Mustapha Khayati, qui vint tenir la plume et élaborer la plaquette strasbourgeoise de 1966 ; comme si toute démarche participative avait besoin d'être finalisée par quelqu'un de surplombant ce qui remet en question la procédure démocratique de l'assemblée.
- L'écoute et l'expression semblent manquer beaucoup au niveau des nations et Nuit Debout révèle cette demande non honorée. Les gouvernants au pouvoir n'ouvrent plus le débat une fois au pouvoir. Les citoyens se sentent alors oubliés. La solution des référendums populaires comme en Suisse pourraient être une solution.
4) Propositions de rénovation démocratique.
- La solution de mise en place de contre-pouvoirs pourrait être une des solutions possibles comme par exemple cela a été possible en ce qui concerne le TAFTA. Des fuites sur les négociations ont été rendues publiques pour informer les citoyens.
- Les référendums locaux décidés en Suisse sont quelquefois contraires à la Constitution et impossibles à mettre en oeuvre. Cette procédure mérite cependant réflexion.
- Le référendum reste une forme d'écoute de la volonté de la population.
- Il existe, notamment chez les Scandinaves, des expérimentations concernant la participation citoyenne par le numérique. Le gouvernement lance des débats sur le Net. Cela montre une certaine ouverture, permet un brassage d'opinions.
- Il est important de continuer à développer la capacité de débattre, de développer un agir conversationnel, du dialogue qui faisait déjà le fondement de la démocratie grecque même si celle-ci ne concernait que les citoyens à l'exclusion des esclaves, des femmes et des métèques. Il reste qu'à l'intérieur de la communauté citoyenne il y avait du dialogue et que s'élaborait une pensée dans le domaine démocratique.
- C'est ce vieux ressort commun à la démocratie et à la philosophie qu'il convient de développer tout en sachant qu'il y a toujours des risques de manipulation ou de contrôle d'une assemblée par quelques-uns. L'Assemblée athénienne n'a pas échappé à la démagogie.
- Il conviendrait de libérer du temps citoyen en réduisant le temps de travail pour
• renforcer la consultation de la population
• renforcer la participation à l'évaluation des politiques publiques
^ renforcer la vérification de l'honnêteté des hommes politiques et la transparence de la vie publique (élargir ainsi Anticor...)
• renforcer la formation des citoyens volontaires à la démarche participative :
La démocratie participative requerrait du temps de réflexion pris sur la diminution de la durée du travail, destiné à une formation à l'observation citoyenne objective des phénomènes et à l'anticipation des effets des décisions collectives afin d'acquérir une culture pour :
- Apprendre à démonter nos intuitions qui peuvent amener des biais cognitifs car nombre de déductions sont souvent contre-intuitives quand la raison va contre l'apparence,
^ Exemple 1 pour des décisions environnementales, nous pouvons observer que des plantes ou des animaux s'adaptent harmonieusement à leur environnement pour survivre ; or si on prend un échantillon statistique significatif, nous nous apercevons qu'une masse de plantes et d'animaux n'ont pas su s'adapter et ont disparu en-dehors de toute activité humaine.
^ Exemple 2, pour une « loi travail » : nous pouvons penser d'emblée « si on facilite le licenciement, comment va-t-on améliorer l'emploi ? » Devant l'incertitude de la conjoncture, les entreprises créent des contrats courts CDD et moins de CDI, voire résilient ces derniers, et nous allons nous alarmer d'une personne qui perd son CDI pour n'en plus retrouver ! En débat public de démarche participative ou pourra insister beaucoup sur les victimes visibles de perte de CDI, en négligeant d'abord, pour ensuite envisager tous les autres, chômeurs ou titulaires de CDD !
- La question de l'expertise affleure ainsi pour arriver à des décisions valides. Mais il reste qu'il est intéressant que des non-experts s'intéressent aux sujets traités. L'exemple du choix du nucléaire en France n'a par exemple jamais donné lieu à délibération et a été laissé aux experts d'EDF en grand partie.
- Le fondement de la démocratie est la présence des contre-pouvoirs pour éviter l'exercice monolithique du pouvoir. Il y a ce jeu et cet affrontement net entre différents types de pouvoirs contradictoires.
- Pourquoi ne pas s'appuyer sur les expériences des citoyens pour élaborer des pistes communes ?
4) Quelles expériences nous habitent et pourraient nous permettre d'évoquer des priorités ?
- Pour la France il conviendrait qu'on favorise la formation et la diffusion de patrimoines familiaux. Il s'agit de la richesse, soit la monnaie, soit les biens. L'INSEE nous dit que le patrimoine familial qui est si important pour la protection des individus, leur bien-être, la liberté, l'égalité, n'est en fait l'apanage que d'un tout petit pourcentage de la population, environ 5%. Ce qui veut dire que 95% de la population française ne jouit pas de ce facteur si important et tout découle de cela : l'oligarchie, l'élitisme, la mauvaise santé de l'économie, la ségrégation politique et sociale. Il serait important de commencer par déconcentrer les richesses pour tenter d'atteindre les autres objectifs.
- L'éducation doit être près précoce pour donner le maximum de chances à tous.
- L'importance du patrimoine culturel, interactif, avec un élargissement des horizons parce que force est de constater que lorsque les horizons culturels sont plus larges, il y a moins de repli identitaire, de rigidité, de rejet et qu'il y a moins de populisme.
- Minorer les droits de succession sur les entreprises familiales comme en Allemagne pour favoriser leur essor.
- L'importance de la déconcentration la plus importante possible (par exemple en décentralisant le pouvoir au niveau régional ).
- Apprendre à vivre la démocratie à l'école.
- Interdire à l'Etat et à ses services de faire appel aux organismes numériques américains (Apple, Google...).
- Donner de l'importance à la formation et à l'information.
- Envisager la fin du nucléaire devenu omnipotent et les moyens nécessaires à cette fin.
- Travailler à la transparence fiscale. 6
En conclusion, L'article paru sur Mediapart et intitulé : Comment le néolibéralisme a défait la démocratie, évoque la thèse que le néolibéralisme désactiverait les contre-pouvoirs et rendrait caduque le projet politique de la démocratie même. A mettre en débat, évidemment.