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Pourquoi est-il si lourd de garder un secret ?

Un secret c’est une information, un fait, un savoir, connu seulement d'un nombre limité de personnes. Il peut être professionnel, médical, familial, bancaire, de fabrication, de l'instruction, d'État, etc… ou même de Polichinelle, (donc déjà connus de tous). Il ne reste secret que tant que l’on se garde de le révéler au plus grand nombre, qu’il reste soustrait à la connaissance du public.

Il peut être pesant de le garder pour soi, pour bien des raisons.

Toute connaissance d’un secret participe au savoir de celui qui l’a intégré et qui le croit vrai, conforme à la réalité, pertinent ou au moins faisant partie des possibles… Ainsi, un changement s’est produit : il y a, en lui, coexistence du permis et de l’interdit de communiquer, de ce qui peut être rendu visible et de ce qui doit rester invisibilité, un choix permanent à faire. Or les conséquences d’une décision ne correspondent pas toujours aux intentions, aussi bonnes soient-elle. Que faire ?


De plus, la connaissance d’un secret modifie l’interprétation des phénomènes et la vision du monde, le champ du réel et du possible se sont élargis, sans pouvoir en faire part ! C’est être piégé par la présence d’une connaissance et l’absence de la possibilité du dire.

Sauf si l’on considère, comme Michel Audiard, que le secret est une « information que l'on ne communique qu'à une seule personne à la fois », il faudra résister à la confidence, cette intimité partagée, cet échange avec une autre personne, un très proche en général.

Bien entendu nous voulons pouvoir garder nos distances, fixer des limites dans nos rapports avec autrui, dans l’expression de nos sentiments, pour garder notre indépendance et notre droit à conserver ce quant-à-soi qui nous permet d’être nous-même. C'est une des faces de la liberté qui s’exprime, par exemple, dans la démocratie par le secret du vote, facile à garder pour soi. (Ou pas !)

Mais garder une distance, ce n’est pas évident dans toutes les circonstances. Peut-on vraiment vivre la réalité uniquement dans son propre petit monde, séparé des autres, chacun n’existant que pour soi-même, à une distance infinie les uns des autres. Nous avons besoin de partager, parfois avec quelques-uns, parfois avec tous les autres. L’empathie, la sympathie, la compassion, la solidarité etc., sont des capacités humaines, des facultés innées autant que le résultat de l’éducation et de nos diverses expériences de vie, qui ont pour point commun un mode de relation à l’autre qui crée des liens. Le secret, qui nous oblige à choisir ce que l’on peut ou non communiquer, peut donc se révéler pesant, parce qu’il nous oblige à conserver une distance ingérable. D’autant que la difficulté n’est pas tant de garder un secret, que de garder secret qu'on garde un secret.

Ne confondons pas, cependant, le secret avec ce que nous nommons, à tort, les « petits secrets » de chacun, qui sont surtout des habitudes, des pulsions, des tics et des tocs, non adaptés à la vie en société, à sa morale ou à l’identité que nous souhaitons faire apparaitre.

Ce n’est pas forcément pesant de ne pouvoir entrer dans les petits secrets des autres, ni de faire en sorte qu’ils ne connaissent pas les miens. C’est même une nécessité de ne pouvoir le faire, selon Derrida, qui écrivait : « Je ne pourrai jamais me mesurer au secret de l’altérité. L’essence même de l’altérité, c’est le secret ». Parce que le secret, alors, n’est pas seulement ce que l’on cache, que l’on préserve de l’intrusion, il est ce qui définit toute singularité.
« Autrui est secret parce qu’il est autre ». Reconnaitre que ces secrets-là doivent rester secret, m’empêche de me renfermer sur les miens, me permet de comprendre qu’il y a une complexité inhérente aux relations humaines, et ainsi de ne pas les trouver lourds à porter : le secret du bonheur en amour, disait Simone Signoret, « ce n'est pas d'être aveugle mais de savoir fermer les yeux quand il le faut ».

D’autant que dire le secret d'autrui est une trahison, et que dire le sien est une sottise, qui peut mener à l’exclusion. Et l’exclu sait qu’il ne pourra plus faire partie du cercle des initiés. Plus rien ne lui sera révélé. Alors il imaginera les secrets auxquels il n’a plus accès, comme encore plus puissants, plus déroutants ou plus pervers : l’imagination est plus fertile que le réel.

Or, mon petit secret, vos petits secrets, ce ne sont pas LE secret dont nous ne sommes que les dépositaires, et qui concerne l’horizon plus étendu de la vie en général et de la vie en commun en particulier. C’est celui-ci qui peut être certainement trop lourd à garder. Comme ces secrets de familles qui sont de véritables poisons psychologiques, ou les secrets d’état qui nous excluent de la réalité d’un événement.

On dit même que certains sont si lourds qu'il faudrait être plusieurs pour les porter ! Cette plaisanterie n’est pas aussi négligeable qu’il y parait : la critique que Guitry faisait aux femmes en disant « qu’elles ne peuvent garder un secret qu’en se mettant à plusieurs », est en fait la reconnaissance de leur capacité à la confiance. La confidence est une preuve d’empathie et donc de confiance.

Lorsque j’ai le sentiment de devoir partager un secret, de ne pouvoir, sans en souffrir, le garder pour moi, est-ce que j’ai raison de penser cette nécessité ? Ce que je pense n’est pas forcément juste. Des livres comme Harry Potter ont été refusés par des lecteurs de maisons d’édition, des inventions d’abord rejetées, se sont avérés ensuite plus qu’utiles. Il a fallu plusieurs personnes qui les valident pour qu’elles aient suffisamment de valeur pour exister. Garder un secret n’est pas forcément la bonne décision.

Mais si je pense que Le secret doit être communiqué, quelle est la valeur de ce secret et qu’est-ce qui me dit que j’en suis le seul dépositaire ? Est-ce que je ne vais pas souffrir de le garder pour moi, pour rien du tout.


Toute information (divulgué, le secret devient une information) est le mieux acceptée par ceux qui font partie de la même communauté, (c’est un biais d'attention par lequel les perceptions sont influencées par ses propres centres d’intérêt).. Alors peut-on lui faire confiance ? À celui qui l’a confié ? À la manière dont on l’a découvert ? À son contenu ? Sans douter ? La désinformation, les manœuvres, les écrans ont toujours existé. D’où une incertitude lourde à accepter qui accentue encore la pesanteur à garder un secret: comment séparer le vrai du faux et où pourrait mener sa révélation ?

Parce que, qui est le gardien de la vérité ? Comme l’écrit Comte Sponville : « Nul ne connaît l’absolu, ni l’origine première, ni les fins ultimes. Aucun individu, aucune institution, ne peut prétendre, dans ces domaines, posséder la vérité. C’est ce qui permet à chacun de la chercher, de la poursuivre, de l’aimer, s’il le veut, mais sans jamais pouvoir se l’approprier. » ….. La vérité n’appartient à personne.


Alors ce qui nous a été vendu comme étant une vérité secrète, est-ce vrai ? Alors que l’un des moyens de la connaissance, c’est le partage des savoirs, qui est rendu impossible par la conservation du secret ! Et même si on le dévoilait, quelle est la valeur dd l’expertise d’autrui et même de la mienne ?

L’importance donnée à un secret comporte une dimension affective, émotionnelle et culturelle qui provoque une fragmentation de la réalité partagée, et on ne sait plus ce qui pourrait être commun, et ainsi une désaffection de la confiance et, au pire, de la suspicion. Que c’est lourd !

De plus, la lutte entre l’envie de dire et celle de garder pour soi se situe également au niveau de la confiance en soi, de ses propres capacités à accepter de se disjoindre des autres en isolant son savoir. S’isoler, était valorisé autrefois par le sage sur la montagne, mais c’est remis en cause par l’importance prise par la volonté et même la nécessité d’être informé en permanence de l’évolution de la réalité, et notamment des savoirs. Le sage a été remplacé par l’expert, même autoproclamé !

Ce qui fait que nous ne pouvons pas échapper au fait de donner de l’importance au non dévoilement de toutes ces manipulations que l’on pourrait tenter de faire échouer : se retirer du monde et ses débats permanents engage notre responsabilité. Certains secrets excluent la liberté de décision de tous, tant qu’ils ne sont pas dévoilés. Comme le secret de l’histoire du monde qui serait régie par l’action concertée d’un nombre limité de personnes : les Illuminati, les grands initiés, et ceci en vue d’une fin qui échappe au grand nombre. Ou comme l’image d’un monde ordonné, donnée par une partie de l’écologie, dont on peut se demander si elle est pertinente et qu’il faut, au moins, interroger.
La réalité est différente de ce que l’on attendait d’elle : faites l’amour !

Gardez un secret est une capacité humaine (dissimuler, cacher, ruser) ce qui est à la fois un avantage naturel et un inconvénient. La vie est faite de légèreté et de pesanteur. C’est grâce à cela que l’humain vit et survit. S’il est lourd de suspendre son jugement sur la décision de dire ou de ne pas dire, pourquoi s’infliger souffrance pour la rétention d’un secret qui peut s’avérer pertinent ou erroné, aberrant, déjà connu, voire sans réel importance. Même si la volonté d’y croire nous fait penser que sa révélation aux autres va nous valoriser ou nous donner du pouvoir ?

Par définition, le secret contient une information qui ne doit être connue que de quelques-uns ou, d'un seul.
Le Littré définit le secret comme une confidence qui impose le silence aux personnes dépositaires du secret, notamment aux professionnels de santé. Selon le Robert, il s’agit “ d’un ensemble de connaissances, d’informations, réservées à quelques-uns et que le détenteur ne doit pas divulguer ”.

Dans ce cas, ce n’est pas tant le secret qui pose problème, mais son usage : secret d’état et manipulation, complot, secret de l’instruction et préservation de l’accusé, secret médical et protection du patient. Ceci dans monde moderne sans cesse plus avide d’informations, qui recherche la levée d’un nombre croissant de secrets au nom de ce concept de “ transparence ” qui s’impose grâce aux moyens accrus et souvent incontrôlables de la communication, au détriment de la règle juridique qui exige « une obligation de se taire et un droit au silence ”. Un conflit intérieur et de société, lourd à gérer !

Tout secret peut être divulgué, révélé ou trahi, mais tant qu’il opère, il dissimule au regard de tous ce qui rendrait un acte, une intention ou un savoir qu’il vaudrait peut-être mieux ne pas connaitre.

Dans Défense du secret, Anne Dufourmantelle commente l’histoire d’Œdipe, à qui l’oracle de Delphes, dévoilera un secret qui lui sera fatal : il tuera son père et épousera sa mère. C’est bien quand il décide de ne pas retourner à Corinthe, chez ses parents (Polybe et Mérope ), qu’il ne sait pas qu’ils l’ont adopté, pour éviter que l'oracle ne s'accomplisse, qu’il tuera son père et épousera sa mère en commettant précisément le destin qu’il voulait fuir… Le secret contient ainsi quelque chose qui ne demande pas à être connu, mais à être protégé, alors que la croyance que sa révélation, que le dire, pourrait nous délivrer, nous libérer, nous apporter une lumière, nous fera avancer, persiste.  Mais si on ne connait pas son avenir, on a entendu les mythes et il est possible d’hésiter entre cacher et révéler, ce qui est étouffant.

Et puis, ne pas garder de secret est-ce vraiment si grave ? Si le secret (du latin secretus) fait obstacle aux relations, en même temps, il les construit. Instruire une personne d'un de ses secrets, c'est fonder une petite société, ou l'y admettre si cette société existe déjà. Le secret lie ses détenteurs comme une fratrie.
Les secrets ont toujours eu un aspect fédérateur. « Les gens avec qui l’on partage des secrets sont des gens avec qui on partage une relation stable et durable ». Mais cette fonction a ses limites dès lors que nos confidences deviennent préjudiciables. « Savoir ce qu’on se révèle fait partie de l’intelligence relationnelle, des fois entre amis on se confie des petites choses les uns sur les autres où on sent bien que, dans le fond, ça n’a pas beaucoup d’importance mais dès qu’il y a des conséquences possibles, c’est plus délicat ». Au-delà de l’aspect moral, il est donc essentiel de se questionner sur ce si ce qu’on raconte peut entraîner des dégâts, pour soi ou pour les autres, et tourner sept fois sa langue dans sa bouche.

L’histoire de Prométhée, qui dérobe le secret du feu sacré à Zeus, pour le donner à l’humanité, et en est puni, montre bien qu’il n’est pas toujours agréable de dévoiler un secret.

Comment dès lors se libérer, sortir de l’obscurité, de la pesanteur du secret gardé, mais sans pour autant vouloir faire connaître les secrets qui nous travaillent ?
Accepter que l’on ne sait pas, que certaines choses nous échappent, que l’on peut vivre dans une ignorance partielle, sans tout maîtriser. Et notamment le désir de dire ou ne pas dire ! La sagesse se trouve peut-être dans l’acceptation que l’on sait que l’on ne sait pas, surtout quoi faire.

N.Hanar

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Comment ne pas passer à côté de sa vie ?

 

L’expression « passer à côté de sa vie », parait d’abord absurde : nous n’avons qu’une seule vie, nous sommes réduits à vivre celle dont nous disposons, nous n’en avons pas d’autre, et nous ne pouvons pas vraiment « passer à côté d’elle », quelle qu’elle soit ! Pourtant cette expression est courante !

 

Pour en comprendre le sens, revenons à ce dont nous avons récemment discuté, et notamment à ce que Camus disait de l’absurde, qui : « naît de la confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde », donc du décalage entre le chemin que l’on attend de sa vie ou de ce que le monde nous semble devoir être et le réel qui ignore nos désirs et nos voeux. Nous avons également parlé de la dépression qui résulte souvent de la désillusion, du désappointement, du fait de la différence entre ce qui nous arrive dans l’existence et ce que l’on souhaiterait voir se produire,

Alors « passer à côté de sa vie » ne peut que signifier qu’elle ne nous satisfait pas, parce que la réalité que nous vivons ne correspond pas à que l’on en attend, à ce que nous désirons voir se produire.

 

Selon un sondage Ipsos réalisé en août 2015 auprès d'un échantillon représentatif de la population comprenant 1005 personnes, (lu dans Philomag n°91), « passer à côté de sa vie », est ressenti par 47%, des Français, près d’un sur deux, un sentiment qui génère une « dévalorisation de soi-même », et la perception que ce « moi » qui constitue mon individualité, ma personnalité, qui permet à chacun d’entre nous de se sentir singulier, n’est pas en adéquation avec le réel.

D’autant que l’esprit notre époque, de nos civilisations « occidentales », qui est porté par une exigence à la réalisation de soi, accentue l’idée qu’une vie en accord avec son désir s’impose clairement.

 

La formulation « passer à côté de sa vie », pointe alors la défaite des promesses que l’on s’est faites, l’échec des espoirs ou des rêves qui ne se sont pas réalisés, ou la faute d’avoir manqué l’un des chemins que l’existence nous avait proposés, lors de choix que nous pouvions faire. Et de plus, que les chemins de vie successifs que nous avions préférés, ont eu des conséquences qui ne sont pas toujours celles que nous avions voulues et ne sont donc pas seulement montrés insatisfaisants, mais aussi regrettables.

Or, même si le bilan exact de nos choix, de nos actions, est impossible, et que nous ne serons jamais en capacité de le tirer, cela ne devrait pas toujours nous amener à ce jugement négatif de ratage. Il n’existe pas de choix absolument pur. Dans un monde incertain, où le bien et le mal ne sont pas toujours clairement reconnaissables, les conséquences effectives de nos actions, sur nous et sur les autres, ne sont pas aussi nettement discernables.

Parce que, en plus, nos choix ne nous appartiennent jamais vraiment, il est inutile de se lamenter sur sa vie passée, de la regretter ou de craindre la vie future. Ils s’effectuent au cours d’un processus qui se déroule toujours dans un contexte particulier, extérieur à l’individu : l’environnement, le lieu, le moment, les contraintes des différentes influences de la société dont il dépend, les lois qui l’encadrent, et, en même temps, à l’intérieur de l’individu : sa culture, ses croyances, ses doutes ou ses certitudes, etc….

Cela joue sur le sentiment de « passer à côté de sa vie », donc de vivre selon des valeurs ou des objectifs qui ne nous appartiennent pas totalement, avec l’impression d’être « comme perdu », « oublié en chemin », « à l’écart de ce qui survient ». Un sentiment qui peut mener à l'envie de « tout quitter » pour « changer de vie ».

Mais c’est justement lorsqu’on ne se sent pas à la place à laquelle on pense devoir être », qu’on s’interroge, qu’on réfléchit. Ce sont ces contraintes extérieures qui nous enferment, qui finissent par être le premier pas qui permet de comprendre pourquoi la question « comment ne pas passer à côté de sa vie » se pose pour nous, à provoquer nos interrogations sur une existence qui ne ressemble pas à notre désir.

 

Ainsi, celui, qui comme le chantait Brel, est devenu « pharmacien, parce que papa ne l’était pas », peut cesser de continuer à rêver à une carrière de comédien, d’astronaute ou d’éleveur de chèvre au Larzac, parce qu’il peut comprendre comment et pourquoi, ce qu’il imaginait vouloir faire de sa vie, n’était que peut-être, pour lui, qu’une opposition à l’idée paternelle de réussite sociale, un chemin qu’il n’aurait de toute façon pas choisi, librement et en conscience. C’est la possibilité de prendre conscience, qu’au fond, une vie à côté de laquelle on n’est pas passé, est-ce que ce serait celle on l’on peut bronzer, à côté des cocotiers, au bord d’une mer turquoise ? Celle où l’on accède à son « quart d’heure de gloire », ou de célébrité, popularisée par Andy Warhol ? Serait-ce d’écrire le prochain Goncourt, de composer une symphonie mondialement connue, ou de trouver comment sauver la planète ? Donc une vie ou l’on serait en phase avec ses rêves ?

 

Ce qui fait que ce ressenti de « passer à côté de sa vie » repose sur deux principes contradictoires : la liberté de choix, qui serait infinie, et les contraintes de l’existence, ses exigences, nos capacités, nos talents, qui limitent nos actions. D’un côté, nous nous comportons comme si l’avenir était ouvert, comme si nous étions libres de le choisir et de l’infléchir dans la direction qui nous plaît. De l’autre, nous savons avoir des limites, et être soumis à des événements, à une réalité, chargée du poids de l’inéluctable.

Prendre conscience que nous devons cesser de nous rapporter à notre seule responsabilité quant à ce qui nous arrive, que nous pouvons nous libérer d’une vision mi-imaginaire mi-réelle de notre itinéraire biographique, permet quand même de conférer un sens à notre existence.

Nous ne croyons plus au destin, à des dieux qui décident de notre sort, ni qu’une Providence compense nos fautes. Nous savons que les péripéties de notre existence ne sont plus écrites à l’avance par quelque instance supérieure ou magique. Nous nous sommes persuadés que nos choix et nos engagements dépendent de notre seule liberté. Cependant, lorsqu’il nous arrive d’être « à la croisée des chemins », lorsque nous avons à nous décider pour des études, pour une profession ou pour un partenaire, nous sentons bien qu’il y a là quelque chose qui ne dépend pas uniquement de notre intention. Ou comme le disait Socrate dans La République, que nous avons à « prendre la meilleure des vies parmi les vies possibles », et que ce pourrait être celle que nous avons adoptée.

 

Je me souviens d’une très ancienne émission de télévision (Discorama, en noir et blanc), au cours de laquelle Wladimir Jankélévitch était interviewé par Denise Glaser, à la suite d’un concert d’orgue qu’il venait de donner. Elle lui demandait pourquoi il avait choisi d’être philosophe et musicologue, plutôt que musicien, alors qu’il disposait chez lui de deux pianos à queue, et qu’il en jouait tous les jours.

Comme sa philosophie reposait sur l’idée d’un devenir, en équilibre sur la fine pointe de l'instant, et que, dans ce brévissime intervalle, ce « presque rien », tout est possible, que surgit un « je ne sais quoi » qui traîne dans l'atmosphère, et qu’alors rien ne sera plus comme avant, à la question « pourquoi êtes-vous devenu essentiellement philosophe et non concertiste ? », Jankélévitch répondit : « Vous savez, on finit toujours par faire ce que l’on fait de mieux ! ». En adoptant cette idée, on ne passe jamais « à côté de sa vie », on l’accepte, et même, comme Jankélévitch, on l’aime telle qu’elle est.

 

C’est aussi l’état d’esprit du garçon de café, de sa « mauvaise foi », décrite par Sartre. En faisant de sa vie un comportement caricatural du « garçon de café », Sartre montre qu’il n’y a rien d’autre dans la vie que ce qu’on y met. Nous sommes « condamnés à être libres », et rien ne peut limiter cette liberté si ce n’est ce qu’elle a elle-même défini comme une limite. Sartre écrit dans L’existentialisme est un humanisme.  « L’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie ». Il n’existe aucune continuité biographique, mais une perpétuelle invention de soi. Quand le garçon de café rentre chez lui, il devient un père.

 

Merleau-Ponty, s’oppose à Sartre, parce que cette vie décrite manque de cohérence. Il n’y a pas que le comportement dans l’instant présent, mais aussi celle que l’on projette dans l’avenir, ce qui permet de distinguer la vie rêvée et la vie vécue, la vie projetée et la vie réalisée. Ainsi, le sens que l’on a cherché à donner à sa vie ne coïncide plus nécessairement avec le sens qu’elle a acquis. De plus, le sens qu’elle a acquis peut se révéler plus authentique que celui par lequel l’individu s’est défini. De sorte que l’on peut en venir à renoncer à ce que l’on voulait être pour épouser celui que l’on est devenu.

Comprendre et admettre son chemin, permet de ne plus considérer être passé à côté de sa vie.

 

Il n’y a pas que la philosophie qui peut y mener ! On peut y parvenir également grâce à la littérature et au cinéma. On s’y projette aisément dans l’existence des personnages, de leurs émotions et de leur supposé vécu. Ce sont des situations que l’on peut examiner sans risque, sans être soi-même embarqué, que l’on vit par procuration, sans avoir à en payer le prix. Cette extériorité des grandes œuvres littéraires et des grands films ne sont pas que des distractions destinées à faire passer un bon moment. Ils développent une culture du libre examen critique qui est indispensable à nos vies en permettant d’éprouver des valeurs, de réfléchir, et de penser nos propres rêves, de comprendre que s’il existe potentiellement des centaines d’autres vies possibles, cela ne signifie pas que la nôtre, telle qu’elle est ou a été, n’a pas eu de valeur, ou qu’on est passé à côté.

 

Ce qui permet de ne pas rester obsédés par l’idée que nous aurions pu profiter de tout ce que ces vies possibles pourraient offrir, ce qui est à l’origine de la sensation de passer à côté de sa vie, et qu’il n’y a rien à attendre de la vie au-delà d’elle-même, qu’il n’y a pas d’autres mondes, autres qu’imaginaires, ou notre existence aurait été différente.

 

Pour Clément Rosset, « comment ne pas passer à côté de sa vie ? » est une question totalement étrangère à sa philosophie dans laquelle il n’y a rien en dehors du réel que des doubles nébuleux et inconcevables. Il dénonce cette question absurde qui nous fait préférer ces « chichis », ces complications, que nous préférons souvent à l’acceptation directe de ce réel, ici et maintenant.

C’est pourquoi, selon lui, nous, humains, passons notre temps à échafauder des stratégies pour échapper à ce terrible constat : la vie, c’est cela et rien que cela. Alors nous nous imaginons des vies qui n’existent pas, ce qu’il appelle la « duplication du réel » (dans « le Réel et son double »).

Nous le faisons en édifiant de grandes morales (le Bien, le Mal), en inventant des religions ou des systèmes idéologiques, philosophiques, pour lesquels nous nous déchirons. Le réel y est alors « voilé par exhortations morales, et reconstruit par des fictions moralisatrices, imposées comme réelles » (J. De Funès). C’est une version du monde dans laquelle aucun humain n’a entièrement sa place, dans laquelle la vie s’appuie sur une force substitutive : non plus sur le goût de vivre la vie que l’on vit, mais sur l’attrait d’une vie autre et améliorée que nul ne vivra jamais. Nous en libérer évite de croire que l’on passe à côté de sa vie

 

Et Kant déjà : à trop s’écarter de ce que vivons, de ce qui est, nous pouvons oublier de vivre le jour « ici et maintenant » [et] nous pouvons donner crédit à des projets, des idéologies dont on ne connait pas les aboutissements. Parce que ce que l’on vit est réel, incontournable, et que nous pouvons résister à des projections mentales souvent ineptes, à des injonctions morales souvent stupides, à des mythes et des espérances qui n'ont pas de réalité. Le réel existe, il n’est pas une pâte que ma volonté pourrait modeler à loisir. L’accepter permet de ne pas être dépassé par la réalité des faits, de stresser, de déprimer ou d’imaginer, de rêver une utopie, au lieu d’agir, ici et maintenant. !

 

Clément Rosset : « Moi, je me demanderais plutôt : est-ce que je vais réussir à bien coïncider avec ce que je suis, ce que je désire, ce que je veux faire, ce pour quoi je suis doué… Bref, comment m’arranger pour être bien moi [sans] entreprendre « des tas de choses inutiles qui ne nous renseignent pas sur nous-mêmes ». La meilleure façon de passer à côté de soi, c’est de se chercher ! Quoi que l’on fasse, on sera soi, et seulement soi ». En résumé, pour ne pas passer à côté de la vie que l’on a, c’est de se dire : « Je suis comme ça, tant pis ! ».  « Le réel, c’est toujours le réel. Qu’il soit catastrophique ou jouissif, sa nature fondamentale est d’être hasardeux et irrationnel. Mais le plus important pour moi est la joie qui découle de l’acceptation de ce réel hasardeux et irrationnel. Sans ces « micro-délires » que sont les fictions que nous construisons quotidiennement pour nous protéger du réel. Le délire est une tentative de mettre un autre sens sur du réel.

L’illusion est une manière d’aller voir ailleurs si j’y suis !  

  • *          *          *

Pourtant, pourquoi ne pas aussi défendre la nécessité d’avoir, au moins parfois, sans lutter contre lui, le sentiment d’être passé « à côté de sa vie»,? Pourquoi, même si cela devait mener à la déception par l’échec (qui s’il ne nous tue pas nous rend plus forts). Pourquoi ne pas soutenir que nos choix de vie doivent comporter une part d’idéal, d’utopie même, parce que c’est à partir de ces apports que l’on va mettre en œuvre les moyens pour parvenir, à dépasser les limites incertaines, imposées par le réel.

Tout ce qui s’est fait de grand, tout ce qui a fait progresser notre humanité, n’était au départ que dans le champ des possibles, des possibles qui eurent des conséquences que ces individus n’imaginaient même pas. Comme l’ont fait, en d’autres temps et d’autres lieux, Gandhi, Angela Davis, Giordano Bruno ou Copernic.

 

Comme le pensait Annah Arendt, chacun, a le pouvoir « de commencer quelque chose de neuf à partir de ses propres ressources, quelque chose qui ne peut s’expliquer à partir de réactions à l’environnement et aux événements. Chacun peut se donner la possibilité qu’advienne quelque chose d’entièrement nouveau et d’imprévisible », de changer le monde, de transformer ce monde commun, d’initier quelque chose dont le surgissement était imprévu, de déployer en soi des ressources insoupçonnées., en nous faisant porter le regard vers un lendemain, sinon meilleur, au moins différent.

 

Pour Peter Sloterdijk, nous avons la capacité de se déplaire à soi-même (donc d’éprouver que l’on passe à côté de sa vie »). Ce serait donc en éprouvant un début de “déplaisance” par rapport à soi-même, que pourrait surgir la condition première pour prétendre à une renaissance. Parce que : “Il faut être déchiré par quelque chose qui nous dépasse pour penser”. Ressentir « passer à côté de sa vie » ne doit pas être un mur qui nous renvoie à nous-mêmes, mais un fleuve qu'il faut franchir. Ainsi, c’est peut-être aussi ce sentiment de passer à côté de sa vie, qu’il conviendrait de conserver, afin de pouvoir gagner et mériter une autre vie au sein de la première, de se donner les moyens de la construire, de “changer de vie”».

N.Hanar

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Sommes-nous responsables de l’avenir?

 

Être responsable signifie, selon son étymologie, être en capacité de répondre de ses actes, d’avoir à se justifier de les avoir accomplis, et de pouvoir les assumer, selon ce qu’ils ont eu pour conséquences. Ce qui ne s’applique pas qu’à des actions qui se sont déjà produites, mais également à celles qui sont à l’origine d’événements qui vont se produire, qui n’ont pas encore eu lieu. Nous pouvons être tenus pour responsables des effets de nos agissements lorsqu’ils surviennent ou avant même qu’ils ne se produisent, du fait de leurs des conséquences, permises par nos intentions, nos actions ou notre inaction.

Nos actes, nos projets, nos intentions, engendrent des effets, qui sont bien à venir, que nous pensons devoir aller dans le sens souhaité, mais dont nous connaissons aussi, par expérience, la possibilité d’un résultat différent, aléatoire, voire opposé. Les mêmes causes ne produisent pas rigoureusement les mêmes effets, parce qu’en plus de notre éventuelle maladresse et de nos savoirs individuels limités, la complexité du monde fait que des interventions extérieures, que nous ne maitrisons pas, interagissent avec nos actes: si nous sommes certains que l’avenir sera, la question demeure de savoir de quoi il sera fait, ce qui s’y passera et si nous y sommes volontairement pour quelque chose, engageant notre seule responsabilité.

 

Cependant, faisons attention à ne pas toujours confondre l’avenir avec le futur. Les deux mots sont donnés comme synonymes dans presque tous les dictionnaires. De plus, le mot anglais « future » qui peut se traduire à la fois par futur et par avenir, fait partie de ces nombreux termes qui s’invitent dans la langue française et leur association de sens, y exerce une influence considérable.

Le français conserve pourtant une nuance de sens entre ces deux mots.

L’avenir désigne plus un temps proche, concret, déterminé par les événements et les actions qui suivent le temps présent dans lequel nous existons. Il est donc possible d’en anticiper certaines conséquences, alors que nul ne peut prédire avec exactitude ce qui pourrait arriver dans le futur, qui renvoie bien à un temps à venir, mais imaginé, plus lointain, sans référence certaine, garantie et infaillible, à ce qui adviendra à la suite de ce qui est proche de notre présent. Le temps de bascule entre l’avenir et le futur n’est pas déterminable, mais si nous pourrions être tenus pour responsables de ce qui arrivera à nos enfants, aux leurs, voire à quelques générations, comment le pourrions-nous l’être envers le monde de l’an 3000 (s’il existe encore).

Le lien entre l’avenir et le futur est bien plus incertain qu’entre le présent et l’avenir.

 

Les futurologues, dans un passé pas si lointain, avaient prévu la colonisation de la Lune , que l’éclairage nocturne serait assuré par des lunes artificielles, des robots domestiques humanoïdes, des  véhicules individuels volant dans les villes, l’immortalité après congélation, la semaine de travail de 35 heures (ah non, ça c’est fait !), mais aucun n’avait vu venir l’expansion de la malbouffe, Internet ou le smartphone, couteau suisse de gestion, de messagerie, de localisation, d’unions diverses, et de loisirs.

A se demander si la futurologie à encore un avenir !

Alors qu’elle a un passé. Dans l’histoire, les peuples anciens appliquaient des méthodes magiques de prédiction de l'avenir et agissaient en conséquence. Il était de leur responsabilité envers l’avenir de le faire. Le paysan, dont la réussite ou l’échec de ses cultures étaient (et sont toujours) liés étroitement au temps qu’il fera, cherchait une possibilité de le déterminer à l’avance. Alors, il mettait en relation les formes de la lune avec les modifications météorologiques et s’adressait à des instances divines afin que se produise, à l’avenir, ce dont il avait besoin. Les affaires publiques, il y a plus de deux millénaires, qui devaient mettre en œuvre les souhaits d’un avenir paisible et confortable, étaient régies par l'interprétation qu'on pouvait donner d'un vol d'oiseau, du passage d'une poule ou du bruit du vent. La responsabilité envers l’avenir, se limitait à réduire l'incertitude en faisant intervenir une cause externe, plutôt que d'en assumer l’entière responsabilité.

 

Aujourd’hui, nous considérons que ce qui va advenir dépend essentiellement de l’action présente des humains. Mais nous en diluons encore la responsabilité : nous n’interrogeons plus des astres, mais les désastres des sondages d’opinion! Ce « on » qui intervient dans les décisions, correspond à attribuer des intentions à des entités ou des objets collectifs qui ne peuvent en être dotés, (des dieux ou des totems).

Nous diluons la responsabilité de l’avenir, parce que ce qui a changé, c’est un développement considérable de la puissance des hommes qui sont désormais en mesure, par la science et la technique, de bouleverser l’ordre des choses, la nature, et les vivants. Par leurs actions, ils modifient non seulement leur présent mais produisent des effets qui engagent l’avenir de toute l’humanité : il est par exemple, désormais évident, que les industries humaines sont en grande partie responsables du réchauffement climatique.

Selon Hans Jonas, nous sommes donc responsables du monde à venir.

Nous avons de plus en plus les moyens d’anticiper les conséquences individuelles et collectives de nos conduites. Nous sommes ainsi, dès maintenant, responsables de l’état de la terre que nous laisserons à nos enfants, bien qu’il n’existe aucun signe objectif permettant de mettre en lien un acte actuel avec ses potentielles conséquences à long terme (au futur). En revanche, dit-il, faire preuve de responsabilité quant à l’avenir, c’est agir en prenant toujours comme finalités, la préservation des conditions de vie sur terre pour les futures générations.

Le moyen terme entre n’être responsable de rien et être responsable de tout, puisque nous ne sommes à proprement parler jamais entièrement responsables de l’avenir qui, par définition, est incertain et contingent, il est de notre responsabilité morale d’associer aux buts personnels poursuivis une dimension collective et projective. « Ne sommes-nous pas désormais appelés à une sorte d’obligation radicalement nouvelle, à quelque chose qui n’existait pas autrefois, à savoir à assumer notre responsabilité à l’égard des générations à venir et de l’état de la nature sur terre ? ». (H.Jonas)

L’avenir ne pouvant désigner qu’une dimension du temps sur laquelle nous n’avons pas de maîtrise, la responsabilité est alors parfois renvoyée à une action sur l’état matériel que nous préparons du monde. En modifiant l’espace du vivant, ou en empêchant de le modifier, on modifierait le temps à venir.

Bruno Latour, à propos de la ZAD (zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes, expose que « ce mouvements va au-delà de l’écologie. Il est en rapport, me semble-t-il, avec la fin de la référence au progrès. Durant toute la première phase de la Modernité, si l’on avait un projet politique, il devait se traduire par une révolution ou une réforme ; il s’agissait d’agir sur le monde, de le changer, pour le conduire à un état meilleur. C’était l’avenir qui mobilisait. [Or] le combat n’a plus lieu dans le temps mais dans l’espace. Que puis-je protéger, soustraire à la dévastation en cours ? Puis-je mettre en place, avec d’autres, des règles originales sur un territoire donné ?»  Or, est-il certain que changer des règles au présent, changera l’avenir dans un sens souhaité favorable à l’humanité ?

Pour Charles Péguy « les bâtisseurs de cathédrales n’édifiaient pas leurs monuments pour l’avenir. Ce qui leur importait, c’était leur tâche, leur action même qui permettait de joindre le présent à l’éternité ». L’important n’était pas les conditions d’existence, meilleures ou pires, de l’humanité à venir, elle sera toujours présente, mais elle devra avoir accès à la sagesse du passé.

 

Parce que, dans une relation de cause à effet, est-il toujours évident que ce soit la cause qui résulte de notre action, celle par laquelle nous agissons en toute « connaissance de cause », qui soit la seule à intervenir? Si être responsable, c’est être la cause consciente et volontaire de quelque chose, jusqu’à quel point notre responsabilité est-elle engagée comme nous ne sommes pas omniscients?

 

Lorsque nous agissons, prenons une décision, nous croyons que la raison de notre action se traduira par l’effet souhaité, parce que nous mélangeons les causes et les raisons.

Tout phénomène a une cause qui, elle-même influence un événement, un processus, qui sera, totalement ou partiellement, responsable de la production d'un autre événement, une conséquence, une « autre chose » à quoi la cause originelle aboutit.

La raison est ce qui explique et justifie le pourquoi de la relation entre la cause et l’effet. Cette « raison », ce motif de l’action, est-il encore présent tout au long de l’enchainement des causes et de leurs effets ?

N’est-ce pas qu’une croyance d’en être certains, et que ce qui nous motive est ce qu’il y a de plus rationnel ?

De penser que par le jeu des causes et des effets, l’avenir peut être une conséquence prévisible du présent, en oubliant que de nombreuses circonstances inconnues sont en mesure de modifier cet avenir.

 

Si en tant qu’être libre et rationnel, je suis en mesure d’évaluer la portée de mes actes, et leurs effets prévisibles dans un avenir proche, la mise en évidence de nombreux impondérables et le manque de visibilité quant à leurs résultats dans l’avenir, peuvent réduire fortement ma responsabilité.

Nul n’est responsable de ce qu’il n’a pas voulu. Alors, ne pouvant pas prédire la totalité de ce qui influence les évènements qui se produiront, nous ne serions même pas responsables de l’avenir, mais seulement des effets immédiats de nos actes.

Chaque action, chaque décision, chaque événement n’est pas entièrement déterminé par les circonstances. Nous étions libres de faire un choix différent, mais comment aurions-nous pu le connaitre ?

François Mitterrand, pour cet exercice, préférait à son conseiller spécial les oracles d'Elizabeth Teissier.

 

Cependant, afin de ne pas minimiser notre responsabilité envers l’avenir, comprenons que, même si nos actions, en tant qu’individus, auront sans doute un impact néanmoins minime sur l’avenir, nos intentions n’en sont pas moins jugeables et, de plus, la somme d’actions similaires effectuées par les membres du groupe social auquel nous appartenons, peut permettre des effets notoires sur ce qui adviendra : ainsi, quand bien même la responsabilité individuelle serait négligeable, nous ne saurions échapper à la responsabilité collective en vertu de notre appartenance à un groupe. Le pronom personnel « nous » qui figure dans l’intitulé du sujet, ouvre non seulement à une dimension individuelle mais aussi collective.

 

Vladimir Jankélévitch, pensait que si « les modalités de l’avenir représentent le domaine du peut-être », elles dépendent aussi de nous… et de notre capacité à imaginer ce qui pourrait se produire, à faire des choix, à s’orienter dans la pensée. Bref, à être libres.

Extrait de L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux : « Ce qui est certain, c’est que le futur sera, qu’un avenir adviendra ; mais quel il sera, voilà qui demeure enveloppé dans les brumes de l’incertitude. De toute façon, le Pas-encore sera, plus tard, un Maintenant ; de toute façon, l’avenir sera présent et sera un Aujourd’hui, que nous soyons là pour le voir ou que nous n’y soyons pas ; dans tous les cas, dimanche prochain adviendrait même s’il n’y avait aucun homme pour l’appeler dimanche. [ ] Mais quel sera ce futur ? De quelle nature ? Sera-ce un jour de fête ou un jour de deuil ? Un jour de lumière ou un jour de ténèbres ? Telle est l’énigme [ ] Y-aura-t-il un futur ? Oui, il y aura un futur. Mais que sera-t-il ? De quelle espèce, de quelle couleur, de quelle humeur ? Quel sera son éclairage et quelle sera sa sorte ?

À ces questions, on ne peut plus répondre. On peut répondre à la question générale, à savoir qu’il sera […] ; mais on ne peut dire la chose à venir ;[ ] on ne peut dire ce qui sera. [ ] Ce qui sera dépend de notre liberté. »

(Et donc de notre responsabilité)

Mais sommes-nous vraiment libres de nos actes ?

Selon Nietzsche, l’homme est déterminé par son corps, soumis à ses passions, à ses pulsions, à ses instincts, un déterminisme d’ordre biologique. Il n’y a donc pas un « je pense », mais bien plutôt « ça pense ». Le libre arbitre n’est qu’une illusion due à l’ignorance des causes qui nous déterminent. Mieux, selon Freud, l’homme est déterminé par son inconscient, instance psychique dont le contrôle échappe à la conscience et à la volonté: tout choix est, au moins en partie, déterminé par des raisons inconscientes.

Alors, pourquoi devrais-je sacrifier mon bonheur actuel au nom de celui d’autres êtres qui ne sont pas encore nés ? Si leur niveau de vie importe, pourquoi devrait-il compter davantage que le mien ? Chaque époque doit faire face à des défis, toujours plus ou moins liés avec l’histoire, et il peut sembler extravagant d’être jugé responsable de l’avenir alors que celui-ci dépendra tout autant de l’ingéniosité des générations futures à trouver des solutions aux problèmes dont ils auront hérités.  

Cela signifie-t-il que l’on puisse faire impunément tout et n’importe quoi, sans tenir compte de l’avenir ?

Je sais que mon usage des ressources naturelles, l’eau par exemple, va priver les générations futures de cette ressource. Or, ce savoir me rend responsable à chaque fois que j’en abuse, quand bien même ils trouveraient à l’avenir des alternatives ingénieuses qui permettraient de ne pas souffrir de ce manque. (1)

 

Même si je n’ai pas connaissance de toutes les implications des décisions collectives, le fait de ne pas tout savoir, lorsque je décide ou accepte, n’est pas une excuse : Némésius, Evêque d'Emèse en Syrie à la fin du IVe siècle écrivait: « Lorsque notre ignorance dépend de nous, nous ne devons pas la regarder comme une excuse à nos fautes. » Dans cette perspective, nous sommes responsables de nos actions pouvant impacter l’avenir, car dans de nombreux domaines, nous pourrions être en mesure d’évaluer précisément la portée de nos actes.

Ainsi, si j’agis librement, si je suis responsable de mes actions, je peux aussi l’être par mon immobilisme.

Lorsque je n’agis pas alors que je pourrais le faire, je porte le poids de la responsabilité de cette non-action. Je suis responsable de mon ignorance et des actions fondées sur cette ignorance. Pascal a beaucoup insisté dans ses Pensées sur le rôle que joue le divertissement afin de nous aveugler agréablement.

Selon Gerald Bronner, « nous savons qu'il y a un réchauffement climatique qui nous menace; pourtant nous nous comportons collectivement comme si nous ne le croyions pas réellement. C'est là un fait enraciné dans la pensée humaine qui avait été repéré par Pascal. Il rappelait que les humains se savent mortels mais qu'ils font tout pour ne pas le croire et se distraire de cette certitude. Ainsi ce que nous savons ne provoque plus mécaniquement la réponse individuelle ou collective qu'on pourrait logiquement attendre ». On peut déplorer cet aveuglement volontaire ; cependant, [ ] on peut le voir aussi comme l'une des clefs qui ont assuré jusque-là notre survie.

 

Ce divertissement déresponsabilisant, se traduit aujourd’hui par l’influence (selon Sylvain Fort – L’express du 16/11/2022) de la classe politique et des médias, colonisée par des experts auto-proclamés qui ne savent rien, n'ont rien vécu, mais sont absolument certains de ce qui adviendra demain.

Extraits : « Vladimir Poutine va écraser l'Ukraine. Vladimir Poutine va se faire chasser d'Ukraine. Vladimir Poutine va être sous peu renversé par des proches et la démocratie va revenir en Russie. Non, ce sera pire sans lui. La population mondiale sera de 10 milliards d'êtres humains en 2050. La population mondiale aura diminué de moitié, à 4 milliards d'êtres humains, d'ici à 2100. Nous réussirons à rester sous 1,5 degré. Nous ne réussirons pas. [ ] Nous serons tous remplacés par des robots. Ou par des migrants. Ou par des Chinois. Nous n'aurons pas de quoi nous chauffer cet hiver. Et encore moins l'hiver suivant. Heureusement l'hiver sera doux. Non, il sera froid. L'été, lui, sera chaud. [ ] Donald Trump va être élu. Donald Trump est fini. Le jour où les taux remontent, la France fera banqueroute. Les taux remontent et l’économie pourra reprendre son ascension.

C'est ce désordre de prédictions que l'on glane chaque jour dans les journaux, sur les réseaux sociaux, au fil de l'air du temps. Une manie contemporaine de la futurologie.

Les plateaux de télévision regorgent désormais de professionnels de la divination, qui, à partir d'une série de petits faits d'actualité, tracent les grandes lignes de notre devenir. Ainsi, nous savons exactement ce que vont devenir la Russie, les Etats-Unis et la Chine, notre école, nos vieux, nos jeunes, nos campagnes, nos quartiers. Souvent, tout cela est, naturellement, fort sombre. On ne sait pas dans le détail ce qui va se passer, mais une chose est certaine : ça va mal finir. [ ] climat, guerre sont devenus la matière première d'une panique générale semée par quelques augures improvisés ».

Mais les médias ne sont pas entièrement fautifs de cette influence sur notre déresponsabilisation. Le système absurde qui leur est imposé d’équilibre du temps de parole, fait que pour une intervention de ceux qui sont en charge des décisions, jusqu’à 6 membres de l’opposition peuvent exprimer une opinion contraire. Et l’efficacité de la répétition sur les individus,  n’est plus à démontrer !

 

Sommes-nous alors encore vraiment responsables de ce que nous pensons justifier de faire envers l’avenir? Ne pouvons-nous plus prendre du recul par rapport à tout ce matraquage quasi publicitaire, c’est-à-dire, destiné à nous faire adhérer à de simples opinions sans les mettre en question, parce qu’elles visent toutes à s’intégrer à nos biais de confirmation, ceux qui confortent nos préjugés, nos idées reçues, nos convictions, et parce qu’une histoire bien racontée est souvent plus convaincante que toute la réalité que l’on peut constater, ou que la philosophie qui oblige à prendre de la distance?

 

Toute cette mécanique qui nous assomme d’opinions, nous fait tous responsables de l’avenir, sans que nous sachions vraiment précisément de quoi nous sommes responsables, une responsabilité qui ne nous incombe plus seulement comme la conséquence de nos actes.

N.Hanar

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NOTES

1- Hannah Arendt écrivait, (dans Responsabilité collective): « Deux conditions doivent être présentes pour qu’il y ait responsabilité collective : je dois être tenu pour responsable de quelque chose que je n’ai pas fait et la raison expliquant ma responsabilité doit être ma participation à un groupe (un collectif) qu’aucun acte volontaire de ma part ne peut dissoudre. » Ainsi, je ne suis pas seulement tenu responsable de mes actes, mais également des actes commis par tous les autres membres du groupe dont je fais partie. Jamais plus qu’aujourd’hui l’avenir n’a dépendu de l’action des hommes et je porte une responsabilité à la fois individuelle – au regard de mes actes et de mes intentions – ainsi que collective à l’égard des générations futures.

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Ancre 3

Pourquoi la bienveillance n’est-elle pas partagée ?

 

Selon son étymologie, le mot « bienveillance » viendrait soit du latin « benevolentia » qui désigne une « disposition favorable à l’égard d’autrui », qui se retrouve dans le mot « bénévole, soit de « bona vigilantia », l’observation de l’autre avec bonté, une ouverture à l’attention et au soin envers son prochain. Ce serait alors, porter sur autrui un regard de bonté, compréhensif, tout en en agissant en veillant à ce qu’il aille bien et se sente bien, quel que soit ou ait été son comportement, donc sans jugement, pour préserver sa liberté.

 

Nous avions déjà constaté que cette attitude n’était pas partagée, par tous, en tout temps, et particulièrement de nos jours. Mais ce soir, il nous est demandé «pourquoi cette bienveillance n’est pas partagée», une question qui peut amener à beaucoup de réflexions différentes d’autant que le mot « partager » est paradoxal, renvoyant aussi bien à ce qui sépare qu’à ce qui réunit : partager un gâteau, c’est le découper, le diviser, en un certain nombre de parts séparées, mais aussi le manger ensemble, dans une action commune, unie et conjointe.

Alors, pourquoi ne sommes-nous pas tous bienveillants, tous dotés de cette volonté partagée de dépasser la vision d'une humanité divisée, fragmentée, constituée d'individus atomisés jouant chacun son rôle, sur la scène du théâtre social, pour soi ou pour sa petite communauté?

Et pourquoi ceux envers qui nous agissons par bienveillance, n’en font-ils pas toujours autant à notre encontre. Pourquoi ne peuvent-ils pas partager, en retour de ce que nous leur apportons, de la reconnaissance du respect et de la considération, pour favoriser l’unité de notre environnement humain.

 

Peut-être est-ce dû au socle à partir duquel nos sociétés occidentales se sont constituées.

J. J. Rousseau, (1712-1778), (dans le Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes), décrit un état théorique de nature, pré-civilisationnel, une période supposée heureuse pour l’humanité, qui ne connaît ni le bien ni le mal, et vit en paix. Cet état de nature idyllique a été rompu par la possession: dès que quelqu’un affirme son droit sur une terre cultivable, la propriété génère des inégalités et fait naitre de la concurrence.

Hobbes, (1588-1679) au contraire, avait décrit cet état de nature comme un état originel de violence et de chaos, la « guerre de tous contre tous », l’homme étant un loup pour l’homme.

Dans ces deux suppositions contraires d’un « état de nature », seul un « contrat social », fondateur de sociétés, les encadrant, pouvait mettre fin aux situations de conflits. Il n’est ainsi pas question de bienveillance, mais de l’application de lois et de règles, acceptées par tous, afin d’obtenir une société stable et unifiée, qui seront fondatrices de nos sociétés démocratiques.

Or, selon l’historien néerlandais Rutger Bregman (né en 1988), ces visions négatives, anciennes, nous font imaginer l’humain comme malintentionné et hostile, [ne voulant que SE partager le gâteau], à partir de quoi se créerait une prophétie auto-réalisatrice. Bregman tente de réhabiliter la bienveillance, (d’après Philomag le 22 septembre 2020), que nous partagerions « de nature ». La preuve en serait donnée par ces nombreux soldats qui rentrent chez eux, après une guerre, avec un syndrome de stress post-traumatique : nous n’aurions donc pas de pulsion naturelle à faire le mal, et la bienveillance serait partagée à l’origine. Mais elle est masquée par l’intérêt des pouvoirs à appliquer une vision cynique et conflictuelle de la nature humaine, qui légitime le besoin d’un dirigeant, d’un roi, d’un président, voire d’un dieu, afin d’éviter ce néfaste état de guerre de tous contre tous: nous n’aurions pas besoin de dirigeants, si les gens étaient plutôt bienveillants!

 

Le vivre-ensemble, le désir clairement exprimé d’une vie commune paisible, ne pourrait-il alors se faire que par l’intermédiaire d’un contrat social, d’un ensemble de lois, fondées sur une morale et par la mise en place de limites à la liberté individuelle, pour préserver une liberté générale ? Est-ce que cela ne conduit pas plutôt à une bienveillance de surface, feinte, insincère et pas vraiment partagée, en commun, par tous ?

Ou à une bienveillance morcelée, fractionnée, (comme les parts d’un gâteau), qui s’applique de façon aléatoire et souvent discutable à l’application de la loi, par les «circonstances atténuantes», qui tiennent compte des circonstances particulières de certaines actions grâce à l’utilisation «d’une disposition d'esprit, inclinant à la compréhension, à l'indulgence envers autrui et même à désirer le bonheur de notre prochain », ce qui correspond à l’une des définitions de la bienveillance.

 

Peut-être est-ce pour cela que nos sociétés, qui se sont construites à partir du XVIIIe siècle sur les bases du modèle contractualiste, inspiré par Locke, Hobbes ou Rousseau, en excluant une claire notion de la bienveillance, sont aujourd’hui très individualistes, et nous poussent à rechercher en priorité la satisfaction égoïste de nos besoins et désirs, même au dépend de ceux des autres.

 

Ce qui est à l’origine, selon Yves Michaud (dans « Contre la bienveillance »: la puissance du fondamentalisme religieux), de la montée des populismes de droite comme de gauche, du discrédit de la classe politique, du rejet de la construction européenne. Parce que l’idée même de la démocratie, inclut le devoir de tolérer toutes les différences, toutes les croyances, à force de « bienveillance ». Or selon Michaud, certaines croyances sont insupportables et intolérables. Lorsqu’elles n’attirent à elles que tous ceux qui estiment que leurs plaintes et leurs demandes ne sont pas prises en compte, la bienveillance n’est pas de mise, dans ce contexte, pour bâtir une communauté politique partagée.

Ce sont, parmi nous, des citoyens comme nous, au même titre et avec les mêmes droits que nous, qui ne partagent en rien une vision bienveillante de la communauté: « ils refusent la liberté d’expression,  sauf la leur, la critique, la tolérance (2) et, en fait, la liberté tout court et sont prêts à imposer leur vision par le meurtre au nom de l’idéal religieux ».

Non seulement alors Michaud ne partage pas l’idée de la bienveillance, mais demande de revenir aux conditions du contrat social, « et ainsi en finir avec la bienveillance, la compassion et le moralisme et de revenir aux conditions strictes de l’appartenance à une communauté républicaine». Sinon, « les morales/politiques du soin en reviennent à la patriarchie plutôt qu’à la démocratie [qui se dissout], au gouvernement des familles, des pasteurs, des prêtres, des accompagnants, des coaches, des soignants et des nounous plutôt qu’à la souveraineté du peuple dans lequel se sont unis des citoyens ».

C’est ce firent, dit-il, les philosophes du « sentimentalisme moral » du XVIIIe siècle, qui ont fait de la sympathie et du « calme désir du bonheur des autres » une donnée morale universelle, qui a été élargie à la sphère de la politique par une idée de la bienveillance. Elle a fini par faire de tous des blessés de la vie, qui ont vocation à se plaindre au guichet de l’État démocratique pour qu’il prenne soin d’eux. Et ce, au moment où ce même État est menacé du dehors par la violence fanatique et du dedans par le populisme démagogique. (Selon Martin Legros dans Philomag).

La bienveillance partagée, serait ainsi plus dangereuse qu’efficace pour le « vivre ensemble », parce que la bienveillance ne s’exprime pratiquement plus qu’à l’intérieur d’une myriade de communautés d’intérêts, sans aucune bienveillance envers ceux qui n’en font pas partie, comme ces théories identitaires qui essaiment à travers le monde, telle cette orthodoxie «woke», imprégnée par les théories sur le genre, la race ou le colonialisme, qui considèrent autrui, à priori, comme malveillant et mal intentionné. Se contenter de souhaiter ce que pourrait être un monde sans conflits, sans exclusions, sans tensions, un monde idéal et bienveillant, dans lequel l’agneau pourrait dormir à côté du loup, même s’il ne dort que d’un œil, n’a plus aucun sens si l’on accepte sans se battre, cette évolution des sociétés.

 

Les philosophes des Lumières, avaient fait de la sympathie et du « calme désir du bonheur des autres » une donnée morale universelle. (Kant, voulait que chaque action puisse être érigée en loi universelle).

Pourtant ces idées devraient encore être partagées, comme le fait, par exemple Edgar Morin qui pense que l'empathie, la bienveillance, la gentillesse, l'altruisme, le souci de l'autre, sont partagées par tous les êtres humains comme des dispositions fondamentales: on le voit notamment lors des grandes catastrophes où se réactivent spontanément des élans de générosité, même pour des populations lointaines.

Mais attention à ne pas entendre « partager » comme correspondant à ce que chacun estime valable, moral ou utile. Sinon ces grands élans pourraient être perçus comme des alibis de bonne conscience ou pire, des manœuvres politiques dissimulées d’ingérence ou une fausse bienveillance qui enfermerait l’autre dans l’image unique de ce qu’il n’est pas.

La bienveillance pour être indiscutablement partagée par tous, doit être réciproque.

 

Pourquoi la bienveillance doit-elle être réciproque ? (3)

Si toute action, la nôtre ou celle d’autrui fait l’objet d’un jugement fondé sur le caractère mécanique et inexorable de la loi, (c’était permis ou interdit, bien ou mal) sans dépasser la contradiction entre les normes légales et les conditions de l’existence humaine dans le monde concret, elle ne saurait être partagée.

Nous pouvons surmonter le droit issu du contrat social, soit en faisant appel à une « nature humaine » empathique, soit à une disposition d'esprit réflexive, « inclinant à la compréhension, à l'indulgence envers autrui et même à désirer le bonheur de notre prochain ». Ainsi nous pourrions tenter de comprendre l’action d’autrui, de l’écouter, de nous montrer sensible à sa situation par rapport à la nôtre, et autrui pourrait en faire autant, afin de permettre le « vivre ensemble ». La bienveillance se ferait ainsi posture accueillante, non-jugeante, ouverte à la différence, sans condescendance, ni indulgence.

 

Mais quelle garantie aurai-je que l’autre va m’accorder la même chose en retour ?

C’est un pari: d’abord parce qu’on ne peut pas se regarder en chien de faïence en attendant que ce soit l’autre qui fasse le premier pas, vers une union, une coopération. Il faut bien que quelqu’un commence ! Ensuite, c’est un pari qui n’interdit pas d’avoir à supporter le désaccord, les tensions, la colère, les pressions et les intimidations, les comportements agressifs, et les ironies cinglantes. Un pari sur la raison, non figée par des cultures, des normes rigides ou des usages, qui peuvent présenter un caractère tyrannique. C’est même un pari risqué sur la raison, qui nous fait courir le risque d’y perdre pouvoir, repères, comme toute liberté, en renonçant aux jugements précuits, et à la distinction entre les siens et les « différents »…

Cette idée de la bienveillance ne se réfère pas à un pouvoir, à une autorité oppressive et violente, ou à une morale absolue. Ce pari sur la possibilité d’un équilibre entre les faits, les lois et les motifs des actions humaines a d’ailleurs souvent été contourné par ceux qui ont fait appel à des « extérieurs » incontournables.

 

Ce pari sur la réciprocité n’a rien à voir avec la compassion, l’apitoiement, la commisération ou la pitié, qui ne sont que des expressions passives de la perception que l'on a de la souffrance d’autrui. Ni avec l’empathie, cette faculté, qui nous permet de nous identifier à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent, sans pour autant qu’il y ait confusion entre soi et l'autre. La bienveillance n’enferme pas l’autre dans ce qu’il n’est pas, dans ce qu’il parait être, et ne nous enferme pas dans ce qui serait une position de supériorité.

Ce qui fait qu’elle ne fait pas partie d’une nature, d’une essence humaine : elle se construit dans le temps et s'acquière. Elle sous-entend une évolution de soi vers l'approche des autres, sans jugement, sans que les limites tracées par notre culture se montrent infranchissables. (1)

 

Comment ce qui est culturel, comme le « soi » qui nous constitue, chacun, pourrait s’affranchir de chaque culture, et, de plus, « en même temps », pour les autres?

 

Sartre (dans « l’Etre et le Néant ») défend la thèse selon laquelle nous n’existons que par le regard d’autrui. L’individu, seul, qui intrigué et curieux, met l’œil à la serrure d’un appartement pour voir ce qui s’y passe, ressent la « honte de soi », lorsqu’il se rend compte qu’une deuxième personne le regarde en train de regarder. Parce qu’il prend alors conscience qu’il est cet objet qu’autrui regarde et juge, et comprend qu’il s’agit de la structure permanente de son être, un être-pour-autrui. Et même lorsqu’autrui n’est pas physiquement présent, son influence est présente. L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.

 

Mais il ne faut pas en conclure que cet être-pour-autrui soit toujours ressenti fautif, connoté négativement !

Dans ses Cahiers pour une morale, Jean-Paul Sartre évoque cette scène : « Je suis sur la plate-forme de l’autobus et je tends la main pour aider à monter celui qui court après l’autobus. » La main tendue est le moyen par lequel l’homme qui se trouve dans l’autobus contribue à la réalisation de ce que veut celui qui court. Elle permet la réussite conjointe d’une action en montrant une forme positive réciproque de l’« être-pour-autrui », qui, alors n’est pas honteux, mais brille de bienveillance, à l’écoute et au service de l’autre.

 

Il s’agit, avant tout, de « ne pas regarder ailleurs », de ne pas « reconnaitre » l’autre, par un déni de reconnaissance. Le philosophe allemand Axel Honneth a fait du concept de reconnaissance l’alpha et l’oméga des relations humaines : notre identité ne se construit que dans un processus complexe de reconnaissance mutuelle: je n’existe que par rapport au regard de l’autre, qui dépend du mien. Sans ce lien, qui passe par des phases d’échec et de lutte, je ne suis rien.

 

La bienveillance, dans cette optique consisterait à être à l’écoute de l’autre, tout en maintenant une distance non-intrusive (on ne se demande pas et on ne lui demande pas pourquoi  il voulait-il monter dans le bus et il ne nous demande pas pourquoi nous lui avons tendu la main). Ainsi c’est veiller sur l’autre dans le cadre d’une sociabilité soucieuse de la conservation de chaque liberté.

Ainsi la bienveillance partagée, maintient une distance, qui autorise la pleine autonomie de chacun, la capacité aussi à cacher ce que chacun veut garder pour lui seul. La bienveillance n’a de sens que si elle  ménage des espaces, des réserves, grâce auxquels la vie en commun se défend et se consolide.

Nous partageons le fait d’être vivants, de participer du mouvement de la Vie, mais qu’être à la hauteur de cette vie exige de nous que nous nous singularisions au point de ne pouvoir tout partager. (Charles Pépin).

 

Ainsi, même les idées utopiques peuvent se réaliser. La fin de l’esclavage, la démocratie, l’égalité hommes-femmes, avant de devenir réalité, n’étaient que des rêves utopiques, conçus souvent, par des personnes d’abord discréditées, perçues comme irréalistes, déraisonnables et pas toujours aimables… Des individus prêts à aller à contre-courant, à mettre les pieds dans le plat pour en mélanger les ingrédients.

 

L’espèce humaine possède un superpouvoir : elle sait coopérer, elle est capable de bienveillance. D’ailleurs, on ne peut pas créer une langue tout seul. La société se met à construire et à inventer de nouveaux mots, qui nous permettent ensuite de vraiment commencer à réfléchir... et puis quand on commence à réfléchir, la langue devient à son tour plus complexe. Et ainsi a pu émerger la philosophie.

N.Hanar

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NOTES

1-Sinon, ce serait là une bienveillance hypocrite que dénonce Jean Luc : « La bienveillance n'est en fin de compte que l'autre nom de la bienséance si on la voit positivement ou de la complaisance dans le cas inverse. Car la bienveillance est souvent le masque cachant la faiblesse sous couvert d'angélisme, la résignation sous celui de la trahison de ses idéaux, la passivité, car "on ne veut pas d'histoires" et "il faut être bien avec tout le monde" et ainsi on en arrive à pactiser avec ses ennemis. N'est-ce pas là ce qui illustre le mieux l'hypocrisie qui en fin de compte consiste à se soumettre et à s'adapter à ce qui est, mais tout en masquant son insatisfaction ? Ne pas adopter cette conduite, c'est donner la priorité à l'authenticité, à la sincérité, à la franchise permettant le courage voire l'audace. Or ce sont là choses que n'aime pas le moralement correct, qui a pris la relève d'un politiquement correct qui commence à être à bout de souffle ».

 

2-La bienveillance, ce n’est pas tolérer que chacun fasse ce qu’il/elle veut quand ça lui chante, ce n’est pas complimenter et remercier en s’abstenant de dire ce qui ne va pas, ce n’est pas accorder des traitements de faveur à celles et ceux qui ont des situations personnelles complexes, ce n’est pas être gentil tout le temps pour ne frustrer aucun ego, ce n’est pas vouloir faire le bonheur d’autrui à sa place et selon sa propre vision de ce que bonheur veut dire.

La première étape du cheminement vers la bienveillance consiste probablement à poser la question de ce que nous craignons de perdre (de pouvoir, de repères, d’esprit critique, de liberté etc.) en renonçant au jugement, à la défiance, à la distinction entre les siens et les « différents »… Marie Donzel, pour le webmagazine EVE

 

3- Bienveillance et bienfaisance. - Il semble que la bienveillance a souvent été associée à la bienfaisance, laquelle se traduisait pas la charité, notamment chez les chrétiens, le fait de prodiguer ses bienfaits à autrui, à secourir les indigents. Sans réciprocité attendue. Elle est due aux pauvres et aux malheureux, un devoir des privilégiés vis-à-vis des moins nantis, des personnes en bonne santé à l’endroit des malades et des vieillards.

Alors que déjà, chez Aristote: « ceux qui veulent du bien à un autre, on les appelle bienveillants, quand le même souhait ne se produit pas de la part de ce-dernier, et ce n’est que si la bienveillance est réciproque qu’elle est amitié ».Elle demeure ainsi en deçà de l’amitié par manque de réciprocité. La bienveillance est une bonne disposition d’esprit à l’égard d’autrui qui peut naître spontanément et disparaître aussitôt s’il n’y a pas un attachement en retour. La philia est par conséquent un échange. Toute forme d’affection ou de relation unilatérale n’en relève pas. La bienveillance n’est que condition de possibilité de l’amitié, d’une bienveillance mutuelle, chacun souhaitant le bien de l’autre.

Cette amitié éthique, est une relation égalitaire de deux sages qui cherchent la connaissance ensemble, dans la relation entre pairs, pleinement vertueux et engagés dans une activité commune, consciente, réciproque et active...La bienveillance se mêle ainsi de bien-être et de ce qu’on appelle aujourd’hui le « vivre ensemble ». Elle se fait posture accueillante, non-jugeante, ouverte à la différence et amélioration globale de la qualité des relations. Elle implique alors la capacité à faire confiance et inspirer confiance, l’empathie, la conscience des biais et l’esprit inclusif, le respect et l’attention portée à la situation singulière de chacun, les qualités de gestion saine des tensions et conflits, l’accord du droit à l’erreur…

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La foi peut-elle être rationnelle ?

 

Il ne nous est pas demandé de concilier ou d’opposer la raison philosophique et la foi, mais s’il est possible qu’il y ait de la rationalité dans la foi.

 

La foi est une croyance sans nécessité de preuve. Le plus souvent, la foi désigne une croyance religieuse, qui suppose l’existence du divin, mais peut également concerner la justice ou l’amour: c'est non seulement aimer Dieu, l’amour ou la justice, mais croire qu'ils existent. La foi porte également sur l'avenir qu’elle espère sincèrement conforme aux attentes qu’elle véhicule. En ce sens, la foi est la base sur laquelle s’établissent l’argumentation, le raisonnement et la manière de questionner le monde : « un phare puissant qui illumine d'une vive clarté la route à parcourir » (Gide). Mais c’est aussi une attitude, que l’on peut considérer complètement en-dehors du champ rationnel, une grille de lecture qui permet de se faire une représentation logique, cohérente, de ce qui est observé, constaté, et qui réécrit le monde à travers une subjectivité s’établissant sur son désir propre. Donc une attitude qui parait rationnelle, car elle met en adéquation le désir et la croyance avec l’environnement politique, social, économique, culturel, historique dans lequel on vit. Ce qui est totalement irrationnel pour Nietzsche : « À vrai dire, la foi n'a pas encore réussi à déplacer de vraies montagnes, quoique cela ait été affirmé par je ne sais plus qui ; mais elle sait placer des montagnes où il n'y en a point. »

Pourtant, croire, est intimement relié à l’optimisme. Si vous y croyez, vous pouvez alors activer une pensée positive menant à l’action. La confiance dans une relation, une idée, une volonté d’autre chose, permet de s’élancer vers un inconnu que l’on n’aurait pas tenté sans ce moyen.

 

Avoir foi en soi-même, en une politique, en un Dieu, ou en l’amour ou en la justice est tout de même une conviction qui anime l'individu et l'entraîne vers d'autres possibles, d’autres buts, une autre vie.

Peut-on affirmer que la foi soit toujours aveugle, ne provenant ni ne provoquant alors aucun raisonnement, que toujours, elle soit abstraction de la raison et acceptation, pure et simple, sans contrôle, de quelque chose d’extérieur à l’individu. Elle ne mène pas toujours à la contrainte et au fanatisme !

La foi d’un croyant n’est jamais « irrationnelle » à ses yeux, car il a toujours de « bonnes raisons » de croire.

Croire en la justice, c’est croire en un idéal qui consiste à donner à chacun ce qui lui revient en fonction de sa faute ou de son mérite. Or un idéal exige une adhésion intellectuelle qui prouve (sans preuve) l’existence d’une entité. Il est simple de croire ou pas en un idéal (comme la justice). Cependant, ne pas croire en cet idéal de la Justice peut faire passer l’action politique ou morale pour une décision individuelle, une manipulation, ce qui rendrait impossible la vie commune. Pour vivre avec les autres, il faut avoir foi en la justice, bien que rien ne nous garantisse qu’elle puisse s’incarner au sein du réel. La vie en commun peut mourir d’une crise de foi. Or tout idéal, est produit par la raison, même si on peut ne pas considérer cette attitude comme rationnelle si on limite la notion de raison à un savoir objectif, ou validé, qui ne mobilise pas les affects dans sa démarche, pour expliquer un monde, qui peut prendre alors un air désenchanté.

La Raison ne se limite pas à la science, aux mathématiques et aux expérimentations.

 Cette limitation de la définition de ce qui est rationnel à l’utilisation de méthodes et de leurs résultats, est largement inaccessible à la grande majorité de la population, qui s’en ressent comme exclue. D’autant que ces résultats sont donc toujours susceptibles d’être reconsidérés à partir d’une théorie nouvelle ou d’un nouveau dispositif expérimental, qui ressortent d’une intuition, d’une idée, d’une croyance en une autre possibilité. Pour un scientifique, une théorie admise n’est jamais que la meilleure explication du moment, satisfaisante donc, mais toujours ouverte sur l’éventualité d’un autre point de vue. La permanente remise en question des « idées reçues » et des paradigmes est consubstantielle à l’esprit scientifique et à sa pratique courante.

Sinon, la Raison tournerait à vide, et s’égarerait en perdant le sens.

 

Croire en l’amour semble carrément désuet. C’est avoir foi en un sentiment qui peut s’avérer injuste, douloureux ou apporter la joie. Mais il empêche la monotonie et la platitude du monde. Or, ce que je viens d’affirmer est le fruit de ce que la raison détermine à partir d’une expérience, qui relève d’une croyance en l’amour. Que l’amour vaille la peine d’être vécu (même plusieurs fois), manifeste que la foi en l’amour relève d’une démarche rationnelle, qui donne sens, quel qu’il soit, à la vie.

La foi appuyée sur la raison, qui juge, discerne et comprend ouvre à la pensée un champ plus vaste.

 

Le sens, que nous recherchons tous, m’est donné par le rapport que j’entretiens entre moi et le monde. Rapport nécessaire et fondamental, parce que, afin de survivre, nous devons comprendre, questionner, analyser le monde, même si les réponses à nos questions, peuvent nous apparaitre insuffisantes. Nous ne supportons pas que notre vie n’ait pas de sens ou que le sens se réduise à la simple obéissance, voire la soumission, à une idéologie, à une force métaphysique, ou à un matérialisme qui se contente d’affirmer le primat de la matière sur l'esprit. Donc au primat de tout ce qui ignore l’indépendance, la singularité et la liberté humaine.

Nous devons d’abord expérimenter, suivre un chemin, exister, afin de raisonner et de pouvoir nous poser la question de savoir pourquoi nous sommes, qui nous sommes, en vue de quoi nous agissons et quelle finalité nous recherchons par notre action.

 

Dans son texte « Foi et Raison » en 2011, Patrice expose que « le rapport entre Foi et Raison dépend d’abord de la conception que l’on se fait de la réalité, comportant, ou pas, du surnaturel, en plus du naturel ». Pour ce fair, il cite:

Chacune de son côté, Foi et Raison permettent d’accéder à la réalité de leurs domaines respectifs, comme le pense Kierkegaard. Selon Thomas d’Aquin, loin de s’opposer, elles sont synergiques et se complètent l’une l’autre.

La Foi est nécessaire pour bien comprendre, c'est-à-dire pour ne pas s’égarer dans le scientisme, l’historicisme, le pragmatisme ou le nihilisme. Et la Raison aussi est nécessaire pour ne pas s’égarer dans le fanatisme, la croyance « à la carte » ou la superstition. (Jean Paul II, puis Benoit XVI)

 

Que nous en restions à une vision scientifique du monde, en contradiction complète avec la possibilité qu’il puisse exister un sens indépendant de celui que nos mécanismes cognitifs attribuent au monde, n’y change rien. Le sens de la vie n’est pas inscrit dans le monde, il provient de la façon dont la pensée, spécifiquement humaine, colore le monde. Et la manière de penser permettant de bien agir et de bien juger, n’est-ce pas la définition de la raison, de cette faculté propre à l'homme, par laquelle il peut connaître, juger et se conduire ?

L’ensemble de ce qui est, ne nous donne pas de sens puisqu’elle n’en n’a vraisemblablement pas elle-même, n’étant qu’une somme d’indifférence, se contentant d’être. Le sens, la finalité, sont des idées qui ont germé dans l’esprit humain : elles sont une création de la conscience humaine ».

 

Ce qui confère du sens et de l’importance aux choses, à la vie et à nos vies, repose sur le simple fait que les raisons que nous avons de donner du sens à la vie, quel qu’il soit, soient suffisantes. Nous n’avons pas besoin qu’elles reposent sur des justifications ultimes. Que ce soit en pensant que la vie à déjà un sens, ou que son sens est devant nous, résultant de nos actions, le sens de la vie trouve son importance dans l’instant présent, dans l’ici et le maintenant.

Que ce soit pour ceux qui pensent qu’il existe quelque chose de supérieur, surnaturel ou supranaturel, qui viendrait donner du sens au monde à nos vies, ou pour ceux, au contraire qui pensent que cela n’existe pas.

 

Avant ce que l’on appelle « les Lumières », des « ordres du monde » étaient constitués par des « extérieurs à l’humain », puissances magiques ou naturelles, des dieux ou un seul, qui soumettaient les comportements humains en limitant leur puissance et leur liberté. A partir du 17e siècle (avec quelques précurseurs !), la philosophie, telle que nous la connaissons, a mis l’humain au centre du monde. Il devient, à son tour, un « ordonnateur », celui qui décide de la constitution des sociétés et de la justice, parce qu’il a la capacité de se déterminer par la raison, et peut formuler des jugements pour faire la différence entre le vrai et le faux, le bien et le mal. Cette raison est sensée s'opposer à la sensibilité, à la foi, ainsi qu'à la folie et aux passions.

Descartes ou Kant, ont bouté la foi hors de la raison, parce qu’ils s’en prenaient surtout aux dogmatismes : la foi en Dieu, ne devait donc plus être une grâce divine, qui, par simple confiance, organise la vie du croyant. Seule la raison, considérée comme propre à l’homme, cet « animal rationnel », selon Aristote, devient la faculté décisive dans l’action par son pouvoir de discernement.

 

Descartes s’y prend mal en voulant démontrer l’existence de Dieu pour justifier de la rationalité de la foi. Il veut établir la « preuve de l’existence de Dieu ». Une « preuve » est bien un moyen rationnel qui sert à établir qu'une chose est vraie !

Donc, que la foi n’est plus une « nécessité sans preuve »pour réguler un certain « ordre du monde », qui proviendrait d’un « au-delà » de la raison, mais qu’il y a de la rationalité dans la foi. Il s’y prend de la manière suivante : je suis imparfait, aussi « je ne saurais être la cause de l’idée que j’ai d’un être parfait ».  Seul le Parfait lui-même  peut me mettre cette idée en tête. Ce n’est que par lui que le fini puisse penser l’infini ! (Preuve ontologique, déjà développée par Anselme, archevêque de Cantorbéry, né en 1033).

Peut-être qu’au 16e siècle, Descartes ne peut se passer de ce raisonnement pour pouvoir placer le « JE » au centre du monde sans être inquiété ? C’est néanmoins un paradoxe : Il y aurait en chaque humain, la marque de l’idée d’infini, mais une prédisposition issue du divin, qui permet la raison, et tous les possibles.

Kant (18e siècle), s’en prendra à cette idée en montrant que se former l’idée d’une chose ne prouve en rien qu’elle existe (par exemple, une somme d’argent… ou Harry Potter).

La philosophie des Lumières se voulait l’avènement, dans un futur proche, d’un « règne de la raison », meilleur rempart contre toutes les formes d’obscurantisme, et s’interrogeait plutôt sur les limites de la raison, en écartant son opposition traditionnelle à la foi. Pourtant, cette philosophie avait foi en notre capacité à établir des sociétés en paix, et en la justice.

 

C’est pourquoi, aujourd’hui, Charles Pépin a pu écrire: "Il y a eu tout un mouvement de philosophes qui ont voulu démontrer rationnellement l'existence de Dieu », afin de justifier que toute foi puisse être rationnelle. Pépin cite Pascal (17e siècle) pour qui cela « trahit à la fois la foi et la science"  (1)

 

Selon Jean Luc : « Le savoir scientifique, modèle de l’exercice de la raison, découle d'une connaissance rationnelle, méthodique et rigoureusement objective de ce qui est. Il progresse en ignorant les singularités des individus, en faisant l'impasse sur leurs croyances tout comme sur leurs enracinements culturels.

Dès que l'on quitte le monde matériel, il n'y a plus moyen, pas plus hier qu'aujourd'hui, de s'entendre sur des définitions issues d'un raisonnement et qui seraient universellement valables, de surmonter l'opposition entre l'être et le paraître, entre l'opinion toujours changeante et la vérité. Sauf, peut-être dans ce café philo, en faisant appel au mythe de la taverne, une tentative de démontrer que la foi puisse être rationnelle !

 

N’oublions pas que la foi, contrairement à tout dogme, ne repose pas sur l'autorité, mais sur la confiance que l'on éprouve envers une source indéfinissable, mais peut-être nécessaire, en ce qu'elle donne à beaucoup un ancrage existentiel. La foi ne ferme pas toujours la porte au raisonnement, contrairement au dogmatiste qui considère que toute discussion ne peut mener qu'à l'égarement puisqu'il est déjà en possession de certitudes. Sa vérité particulière ne sera plus susceptible d'aucune évolution pouvant ébranler ses croyances. (2)

 

Dans l’esprit de Benoît XVI, d’ailleurs, séparer la foi et la raison conduit nos civilisations à la catastrophe. La raison sans la foi se résume à une rationalité technicienne, qui va de la froide efficacité économique au clonage. La foi sans raison mène, elle, aux débordements fanatiques, islamistes notamment.

Il y a une pluralité humaine non réductible à une formulation unique (foi ou raison) qui nous permet d'expérimenter la liberté de penser. Alors, certes, il ne peut y avoir de vérité admissible par tous, mais la subjectivité, laissée à elle-même, devient totalement arbitraire, voire délirante, même et surtout si elle affirme s'appuyer sur des écrits raisonnés. "Un âne qui transporte des livres n'en reste pas moins un âne", dit un proverbe d'Asie Centrale.

Un homme de foi qui fermerait la porte à la raison est le dogmatiste dont, à juste titre, il faut se méfier. Peut-être qu'un homme de science qui fermerait la porte à la foi, sachant bien qu'il n'aura jamais réponse à tout,  ne ferait qu'illustrer la suffisance qui caractérise l'insuffisante réflexion des vaniteux et des prétentieux ».(3)

 

Les exemples abondent de gens intelligents, croyants ou pas, et de gens croyants, intelligents ou pas. La science, en effet, ne répond toujours pas complètement à des questions importantes sur la nature et sur la vie. Par contre, le danger provient du bien-être psychologique résultant de la possession de certitudes sur la vie et la morale, surtout quand elles sont « à la carte » et altruistes, et du sentiment identitaire d’appartenance à une communauté socioculturelle. (4)

 

Georges Steiner dans son ouvrage, « Dix raisons, à la tristesse de la pensée » écrit: « Le roseau pensant n’est pas promis à la félicité, il n’est pas assuré d’être récompensé, car la discipline intellectuelle la plus rude se heurte généralement au mur des affects. Ni Spinoza, ni Kant n’ont eu gain de cause.

La Raison peut s’avérer desséchante car le raisonnement met de côté tout un pan de l’Humanité, l’amour, la justice et d’autres valeurs humaines. En s’appliquent à la foi, elle peut donner d’un bloc le sens.

« Si ce qu’il importe de trouver n’aboutit pas, la Raison serait inutile, alors qu’en se contentant de croire et de donner son assentiment cela suffit, mais il y manque l’esprit critique », écrit Gérard.

« La foi et la raison sont liées dialectiquement, car c’est un travail intérieur. Entre l’athée et le croyant (et j’ajouterai entre le juste et l’injuste, l’amour et son absence), la frontière est finalement ténue. La foi trouve ses raisons dans la Raison et la Raison dans la foi. (5)

 

N.Hanar

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NOTES

1-Thomas d’Aquin (13e siècle) qui consacra sa vie en écrivant sa célèbre Somme théologique, avait déjà pour position que la raison ne peut, par ses propres forces, tout découvrir et c’est pourquoi la philosophie reste la « servante » de la théologie. La foi et la raison ne doivent donc pas être opposées mais hiérarchisées dans un vaste système harmonieux comme l’est une cathédrale.

2-L'affirmation platonicienne du primat de la raison sur tout le reste (les émotions, les passions, les intuitions) semble restée lettre morte. Y a-t-il jamais cru d'ailleurs? Il savait bien que le corps est le tombeau de l'âme, que ce sont les pesanteurs liées aux appétits du corps, les "eaux glacées du calcul égoïste", qui empêchent l'esprit de donner toute sa capacité. Et pourtant, si vérité il y a, elle n'est pas une déesse qu'il faut louer, mais un instrument, un outil qu'il faut savoir manier avec dextérité car elle est la seule à même de pouvoir combattre le dogmatisme.

3-Par exemple, pour ce qui concerne les comportements sociaux.

Fustigeant dogmes et superstitions, les philosophes des Lumières ne s’intéressent plus qu’aux effets de la croyance sur la moralité et le civisme. Voltaire se réjouissait que son tailleur croie en l’enfer éternel. Il avait ainsi l’impression de se faire moins voler. Plus sérieux, Jean-Jacques Rousseau dans Du Contrat social est conscient que les simulacres religieux stimulent son adhésion à ce qu’il ne comprend pas. Il justifie ainsi à l’avance les grand-messes républicaines et l’aménagement du futur Panthéon en nécropole laïque, inspirant au visiteur une terreur sacrée.

Kant opposait son voisin qui le persécute vit dans l’opulence et l’insouciance, dont l’hédonisme ridiculisait sa rigueur morale jamais récompensée. Ce qui donne le droit d’espérer que la vertu pourra, dans un autre monde, coïncider avec un certain bonheur (dont le voisin sera exclu).

4-Le croyant fait confiance à sa religion, aussi bien sur le sens de la vie, que sur la morale, avec la promesse suprême du salut éternel. Avec une foi adaptée à chacun, charbonnier ou théologien, le fidèle a confiance en un monde « enchanté » par le surnaturel, s’efforce de rejeter le mal, le matérialisme, la domination de l’argent. Par ailleurs, la croyance religieuse est pratiquée le plus souvent à travers des rites agréables, voire exaltants. Cette mise en scène émouvante de la Foi comporte les éléments émotionnels classiques : rassemblement, cérémonie, musique et chant, art plastique, parfum d’ambiance et même mouvement rythmé.

5-Autant on peut perdre la foi en la passant au crible de la Raison, autant on risque d’attraper la foi en utilisant sa Raison raisonnante. !!! Gérard

C’est d’abord l’acceptation qu’il y a quelque chose qui nous dépasse, quelque chose que l’on ne peut espérer comprendre du monde qu’en entrant dans une démarche de foi.

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Sujet composé d’après : Foi et raison, les liaisons dangereuses - Philippe Chevallier publié le 21 septembre 2012, dans Philomag - La raison  - Nicolas Tenaillon publié le 18 mai 2022 dans philomag – Et les textes, en ce café philo, de Jean Luc, de Gérard et de Patrice. Même si j’ai plus ou moins interprété leurs pensées !!!

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Quel courage montrer face à l’incertitude ?

 

Le courage désigne cette force humaine, qui se révèle dans les épreuves difficiles, dans la confrontation avec les événements d’un réel qui s’oppose ou qui résiste. Il permet alors de surmonter la peur ou de vaincre la difficulté, en ouvrant à la capacité de combattre, sans désespérer ni démissionner. Le courage est ce moment qui permet, dans le contexte d’une action, de s’attaquer à ce qui a été considéré comme impossible pour espérer atteindre le possible.

 

Le courage est donc ce qui révèle un sujet au contact d’une situation, lorsqu’il se décide à agir alors que rien ne l’avait préparé à l’affrontement. Ceux qui s’engagent au combat en Ukraine, impliqués dans une guerre, comme ces russes dissidents (la journaliste Marina Ovsiannikova, qui a eu le courage de s’opposer, quitte à mettre en péril sa vie, celle de sa famille et de ses enfants) sont des gens que rien ne prédestinait au courage. D’autres, dans les mêmes circonstances n’ont pas agi de la même manière.

 

Le courage apparaît donc comme la rencontre d’une liberté et d’une situation, comme le relève Jean-Paul Sartre. Une situation n’est pas que ce qui détermine complètement notre action, qui dépend également de notre histoire personnelle, culturelle, temporelle et historique dans le monde.

Ainsi notre action, courageuse ou non, apparaît comme un exercice de notre liberté, qui s’éprouve sous la contrainte des circonstances. Pour Sartre dans L’Être et le Néant (1943) la réalité humaine rencontre partout des résistances et des obstacles qu’elle n’a pas créés; mais ces résistances et ces obstacles n’ont de sens, ne prennent sens, que par ce libre choix qui nous définit en tant qu’humains.

 

Dans l’adversité, lorsque nous sommes invités à agir, à nous engager et à résister, à ne pas céder, à ne pas plier, à ne pas renoncer, il nous est impossible de refuser cette liberté, sauf à devenir ce « salaud » plein de mauvaise foi dont parle Sartre. (Le salaud est celui qui est persuadé de son bon droit, de sa bonne foi, convaincu de sa propre nécessité, de sa propre légitimité, de sa propre innocence et qui ne cesse de se trouver des autojustifications) (1)

Le courage n’est donc pas un héroïsme sacrificiel, mais une disposition en situation, qui nous maintient cohérent face à l’ébranlement que peuvent susciter la violence ou la peur, pour être au rendez-vous avec soi.

 

Cette vision de ce qu’est le courage, qui engendre de nouvelles capacités d’agir, une image nouvelle de son rôle dans le monde, semble ne laisse aucune place à l’incertitude.

 

Et pourtant, les circonstances qui révèlent le courage, peuvent également provoquer un sentiment d’insécurité, qui limite la mise en œuvre de l’action en réponse, qui peut même inhiber la décision en provoquant de l’incertitude quant à l’action à mener.

 

Nous pouvons être paralysés par l’incertitude.

Selon Charles Pépin, notre intelligence est légitimement mise au service de valeurs de gestion, de prévision et d’anticipation, qui sont omniprésentes dans notre culture et notre éducation occidentales, afin de nous armer à affronter le réel. Or il restera néanmoins, toujours une dose d’imprévu et donc une part d’incertitude,

« Mieux vaudrait, [écrit-il], partir du postulat inverse : c’est l’incertain que nous habitons ; l’incertitude est le biotope naturel de l’animal humain. Tout au plus pouvons-nous, naviguant sur cette mer de l’incertitude, poser de temps en temps quelques repères de certitude, telles de petites bouées de couleur flottant au gré d’une mer immense. Incertaine est la date [ ] de notre mort. Incertaine est la durée de l’amour que nous avons la chance de vivre. Incertaine est ma santé demain matin. Incertains les succès de mes projets, incertain également l’avenir de notre planète. [ ] Mais cette incertitude est également une chance : bon nombre des qualités humaines n’auraient aucun sens en univers certain. Il n’y aurait, par exemple, rien à décider [puisque] décider, c’est trouver la force [le courage], de trancher dans l’incertitude. [Si tout était] certain, il n’y aurait que des choix purement rationnels, pour lesquels les machines sont bien meilleures que nous. C’est parce qu’il y a de l’incertitude que nous sommes libres, d’une liberté certes angoissante mais comme l’est la vraie liberté. Chaque fois que nous essayons de prévoir [il] faudra aussi savoir réagir à l’imprévu. Ma liberté se joue autant dans la science de la prévision que dans l’art de l’improvisation ».

 

Le courage, alors, à montrer face à l’incertitude, serait-ce qu’en dit Michel Foucault dans « Le courage de la vérité ».  Pour lui, le courage, souligne le risque qu’implique toute pensée, face au pouvoir. Le philosophe est convoqué non pas dans la vérité de sa pensée mais dans la vérité de son acte, dont la pointe réside dans le fait de soutenir l’énonciation d’une vérité qui s’affronte au pouvoir.

Le concept central de parrêsia – « dire la vérité » –est précisé dans sa dimension d’acte. Elle implique deux interlocuteurs, celui qui dit la vérité et celui à qui elle est adressée, et il faut pour cela une certaine forme de courage. C’est celui de Platon lorsqu’il va voir Denys l’Ancien, lorsqu’il assume le risque de proférer à l’intention du tyran des vérités qui peuvent lui coûter la vie. La parrêsia s’oppose à la rhétorique, laquelle ne se soucie de la vérité ni ne suppose le courage. Elle dérange, fait rupture, franchit les limites hors des conventions de civilité, elle a quelque chose d’éruptif, de catastrophique, [qui fait] fait surgir l’exigence d’un « monde autre », et cette exigence même est exigence politique.

“Douter, ce n'est pas s'installer dans l'incertitude; c'est nourrir, l'une après l'autre, deux certitudes contradictoires”, écrivait Robert Merle. (Malevil)

 

Lorsque le « souci de soi » devient un souci du monde, en appelant à l’avènement d’un « monde autre », face à l’incertitude qui en résulte quant à son propre destin, demande du courage. Il n’y avait là ni danger, ni difficulté créés par d’autres, mais par un souci personnel de vérité.

 

Ce que nous montre bien le destin des artistes, des savants qui ont modifié des savoirs et des visions du monde. Ce sont Copernic, Bruno, Galilée, défendant que la terre tourne autour du soleil, Platon, et même Newton ou Darwin, qui n’ont pas hésités à contredire la plénitude factice des savoirs. Comme le refus protestataire de Luther devant les excès de pouvoir de l’Eglise chrétienne : "dans le protestantisme, Dieu n'appartient à personne, aucune Église ne peut l'infléchir et aucun dogme ne peut parler en son nom".

Ils se sont libérés du présent de leur époque, s’en sont désynchronisés, en mettant « entre parenthèses” les croyances habituelles, afin de porter un regard neuf sur ce qui les entourait pour pouvoir vivre pleinement leur vie, même si elle fut parfois tragique..

Tous ces gestes ont été, contre toute attente, des refus fondateurs.

 

Parce que l’incertitude peut aussi être considérée comme une qualité intellectuelle, celle de reconnaitre son ignorance, par rapport à ce qui excède les « supposés savoirs » admis, ignorance qui promet plus de fécondité qu’un esprit qui croit tout savoir, en se méfiant des certitudes, une condition du courage demandé par la curiosité, la nouveauté du regard, l’éveil et la capacité d’inventer.

 

Selon Bertrand Russell, (1872 – 1970), la valeur de la philosophie réside essentiellement dans son incertitude à comprendre et à définir le réel, qu’elle se doit d’interroger, de questionner sans cesse.

Philosopher, pensait Descartes, c’est apprendre à douter, ce qui a élargi le champ de la pensée, en la libérant de la tyrannie de l’habitude, des certitudes de leur temps, et du dogmatisme arrogant, en maintenant vivant notre faculté d’émerveillement, en nous montrant les choses familières sous un jour inattendu. Montrer le courage d’accepter l’incertitude, c’est nous ouvrir à d’autres possibilités de penser. C’est le courage de s’opposer à tout ce qui pétrifie la pensée, le courage de ne jamais se précipiter pour admettre que ce que nos sens et nos jugements nous disent, soit considéré comme certain, et ainsi de laisser la pensée dans l’incertitude.

Cependant, affirmer la nécessité de l’incertitude ne doit pas rester, paradoxalement, une certitude! Sauf à nous mener à ne plus pouvoir rien juger, à ne plus pouvoir rien tenir ni pour vrai ni pour faux, à ne plus rien tenir pour réel. Parce qu’il n’est pas possible de raisonner sans certitudes. Il n’y a que les imbéciles qui sont certains de tout, et ça, j’en suis certain !

L'incertitude n’est pas le contraire de la certitude, ce n’est pas, banalement, l’état de quelqu'un qui ne sait quel parti prendre, qui est incapable de se décider, qui pense que le résultat de toute action ou de toute évolution est aléatoire, et qui hésite en permanence. L’incertitude est le moment du chemin qui mène à la recherche de ce qui peut être certain. Comme le fit Descartes pour parvenir au Cogito!

Sinon, c’est la porte ouverte à la croyance au déterminisme, au destin qui affirme que tout est prévu à l’avance, que pour l’avenir tout est écrit, surtout lorsque les certitudes proviennent d’en haut.

« L’astrologie est née quand le premier charlatan a rencontré le premier imbécile » a écrit Voltaire. 

Et puis, aimerions-nous vraiment vivre dans un monde où toute chose aurait une explication précise, ce qui serait alors la mort de notre imaginaire. N’aurions-nous alors que la certitude d’aller vers notre finitude, ce qui rendrait notre vie insipide, alors que l’incertitude permet l’espoir de tous les possibles.

 

Bergson (Le possible et le réel, novembre 1930) disait : « J’ai beau me représenter le détail de ce qui va m’arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l’événement qui se produit ! Sa réalisation apporte avec elle un imprévisible rien qui change tout. [ ] Si je délibère avant d'agir, les moments de la délibération s'offrent à ma conscience comme des esquisses successives. [ ] L'être vivant dure [ ] justement parce qu'il élabore sans cesse du nouveau et parce qu'il n'y a pas [ ] de recherche sans tâtonnement.

Il y a une « création continue d’imprévisible nouveauté qui semble se poursuivre dans l’univers ».

Pourquoi l'univers serait-il ordonné ? Le désordre est simplement l'ordre que nous ne cherchons pas. Vous ne pouvez pas supprimer un ordre, même par la pensée, sans en faire surgir un autre. Suppression signifie [ ] substitution.

Comment ne pas voir que si l'événement s'explique toujours, après coup, par tels ou tels des événements antécédents, un événement tout différent se serait aussi bien expliqué, dans les mêmes circonstances, par des antécédents autrement choisis – que dis-je ? par les mêmes antécédents autrement découpés, autrement distribués, autrement aperçus enfin par l'attention rétrospective ?

Remettons le possible à sa place : l'évolution devient tout autre chose que la réalisation d'un programme. Le tort des doctrines, est de n'avoir pas vu ce que leur affirmation impliquait : c'est le réel qui se fait possible, et non pas le possible qui devient réel.

 

Considérer le monde à travers le verre réducteur de nos propres croyances, de nos savoirs, s’accompagne d’un sentiment séduisant de familiarité avec le monde. Mais accepter son caractère incertain, et même accepter volontiers notre échec à le connaître, est fondamentalement déstabilisant. Il faut du courage pour dire : « Je sais que je ne sais pas! », un courage à montrer face à l’incertitude!

L’incertitude renvoie au fait que tout n’est pas déterminé. C’est la condition sine qua non de l’action, c’est le fruit de la liberté et des risques à prendre. D’où, à la fois une forme d’anxiété, mais inversement la conscience de l’immensité des opportunités offertes aux individus, pour se fixer un cap dans une vie qui peut prendre toutes sortes de directions. «Nous vivions dans l’incertitude, maintenant nous vivrons dans l’espoir» (Tristan Bernard)

 

Pour Edgar Morin, dans la même optique: “La connaissance est une navigation dans un océan d'incertitudes à travers des archipels de certitudes ». Ce qu’il a développé dans le cadre de ce qu’il appelle la « pensée complexe, en utilisant le « raisonnement dialogique », qui veut dire que deux ou plusieurs logiques, deux principes sont unis sans que la dualité se perde dans cette unité, sans vouloir dépasser la contradiction qui apparait dans ce réel indissociable et complexe.

A propos de la crise que nous traversons, il écrit : "J'espère que cette crise va servir à révéler combien la science est une chose plus complexe qu’on veut le croire. [ ] L’arrivée de ce virus doit nous rappeler que l’incertitude reste un élément inexpugnable de la condition humaine. Toutes les assurances sociales auxquelles vous pouvez souscrire ne seront jamais capables de vous garantir que vous ne tomberez pas malade ou que vous serez heureux en ménage ! Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille. [ ] Attends-toi à l’inattendu. »

 

Jean-Luc Marion, (Philosophe, élu à l’Académie Française) - La météo, [ ] prétend prévoir le temps qu’il fera demain. De la même manière, aujourd’hui grâce aux algorithmes, en économie, on cherche à prévoir comment la production va se développer, qui va consommer et quoi . Ce qui impose une vision du monde qui étend sans limites l’empire de la causalité et le champ du prévisible.

« Toutes choses étant causées ou causantes », dira Pascal ; tout ce qui arrive dans le monde est compris comme l’effet d’une cause préalable.

Mais cette vision du monde est illusoire. Le monde ne se réduit pas à une somme d’objets paramétrables, et calculables. [ ] Nous voyons bien que [le monde est] régi par l’incertitude. [ ]

À la politique de la prévision devrait se substituer une politique de l’événement [qui est] ce qui advient de manière imprévisible, contre toute attente. Je ne peux ni le déclencher ni le produire, encore moins le reproduire. [ ]. L’événement [ ] déborde le cadre habituel de l’expérience, excède mes pouvoirs de compréhension : [ ] l’événement, c’est l’impossible qui se réalise en fait. [Comme toute catastrophe]

Le 11-Septembre en fut un exemple.

Le monde est réglé par les événements, et non par les possibilités prévisibles.

La défaite des discours politiques tient précisément à ce que l’avenir y paraît encore et toujours envisagé sous l’angle de la prévision. On a affaire à des technocrates. [De plus,] la politique contemporaine est l’espace des faux événements. Elle obéit aux effets d’annonce.

Une vraie rencontre amoureuse ne se décrète pas mais advient comme un éclair qui foudroie. L’amour impose une expérience qui ne saurait se calculer d’avance. Les « sites de rencontre », sont des oxymores.

Cet événement est un appel qui implique une réponse de ma part. « Vais-je réorganiser ma vie entière pour cet amour ? ».

[ ] Ce n’est pas moi qui fais l’événement [ ] c’est l’événement qui me fait. [ ] Jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas à moi que revient l’initiative de venir au monde. [ ] Nos vies sont décidées moins souvent par nos certitudes que par nos incertitudes, par ce qui s’impose et m’en impose, donc par des événements [ ] L’existence est toujours bouleversée, chamboulée quand elle s’expose à l’événement qui la convoque.

[ ] L’incertitude est inévitable. Nous ne pouvons, nous ne pourrons jamais tout prévoir et maîtriser. Nous ne pouvons, nous ne pourrons jamais nous dérober aux événements, et nous dispenser d’avoir à y répondre» Même si certains veulent nous faire croire en des réponses toutes faites : ne réfléchissez pas trop !

Nous ne pouvons, nous ne pourrons jamais nous dérober aux événements, et nous dispenser d’avoir à y répondre. Avec courage ! L’incertitude, est déstabilisante, mais elle est à même de nous orienter dans l’existence,

 

Kant pensait qu’être libre, c’est obéir à la règle que l’on s’est donnée, donc se contraindre soi-même.

La certitude est une pulsion assouvie – besoin d’être en sécurité, assuré, rassuré, mais aussi soif de conquête, de maîtrise, de domination. Elle est une incertitude surmontée. C’est pourquoi elle est despotique. L’incertitude est une certitude ébranlée, donc souffrance. Mais c’est aussi amour du monde, amour de ce qui arrive qui n’est jamais sûr. Dorian Astor (“La Passion de l’incertitude”), prend l’exemple de la science, qui est désir de savoir mais se relance sans cesse par la passion de l’incertitude, ou la passion amoureuse, qui commence par amour de la certitude et ne dure que par amour de l’incertitude. (2)

« Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » écrivait Nietzsche.

Et le manque de courage d’affronter le réel incertain.

N.Hanar

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NOTES

 

1-Comte Sponville : Le salaud, au sens sartrien du terme, c’est celui qui se croit, qui se prend au sérieux, celui qui oublie sa propre contingence, sa propre responsabilité, sa propre liberté, celui qui est persuadé de son bon droit, de sa bonne foi, et c’est la définition même, pour Sartre, de la mauvaise. Le salaud, au fond, c’est celui qui se prend pour Dieu (l’amour en moins), ou qui est persuadé que Dieu (ou l’Histoire, ou la Vérité)  est dans son camp et couvre, comme on dit à l’armée, ou autorise, ou justifie, tout ce qu’il se croit tenu d’accomplir. Saloperie des inquisiteurs. Saloperie des croisés. Saloperie du « socialisme scientifique » ou du « Reich de mille ans ». Saloperie, aussi bien, du bon bourgeois tranquille, qui vit la richesse comme son essence et le capitalisme comme un destin. Saloperie de la droite, disait Sartre (« de droite, pour moi, ça veut dire salaud »), ce qui illustre assez bien une certaine saloperie de gauche. Le salaud, c’est celui qui a bonne conscience. C’est « l’ayant-droit », comme dit François George dans ses Deux études sur Sartre, autrement dit celui qui est convaincu de sa propre nécessité, de sa propre légitimité, de sa propre innocence. C’est pourquoi aucun salaud ne se croit tel : tous les salauds sont de mauvaise foi, qui ne cessent de se trouver des justifications ou des excuses. Aussi le contraire du salaud n’est-il pas d’abord le saint, ni le sage, ni le héros, mais l’homme lucide et authentique, comme dirait Sartre, celui qui assume sa propre liberté, sa propre solitude, sa propre gratuité. Le salaud, dit un jour l’auteur de La Nausée, c’est le « gros plein d’être ». Et le contraire de cette saloperie du moi, c’est  la conscience, qui est néant, qui est impossible coïncidence de moi à moi, qui est exigence, arrachement, liberté, responsabilité, culpabilité… Mauvaise conscience ? C’est la conscience même, dont la bonne n’est que dénégation.

 

2- François Jullien  - Au lieu de planifier, on peut faire tout autre chose: non pas partir de soi, du sujet concevant et voulant, pouvant héroïquement, en forçant, mais partir de la situation dans laquelle on se trouve pour y détecter des ressources qui permettent de l’infléchir dans un sens favorable. Si l’on pense que la situation est toujours en transformation, il ne peut y avoir de situation désespérée. En ce sens, la pensée chinoise ignore le tragique que les Grecs ont magnifié.

Nul ne sait si l’avenir sera meilleur, concernant la planète ou les relations mondiales, [ ] faute de projection idéale. L’avenir ne nous parle plus. Les lendemains ne chantent plus.

Nous n’avons que deux options, faire entrer de force ce modèle dans le réel. Soit, à l’inverse, coller à la situation, tenter de s’y adapter au plus près. Nous sommes pris dans cette alternative.

Je propose une troisième voie: la décoïncidence. Une politique de la décoïncidence consisterait à ne plus projeter sur l’avenir ni fin ni modèle, ni telos ni eidos, sans pour autant se contenter de s’adapter, en subissant au jour le jour les conditions imposées. Tentons plutôt de « rouvrir des possibles », de façon plus modeste, en défaisant nos coïncidences idéologiques. On pourrait croire que, quand cela « coïncide », est adéquat, tout va pour le mieux : ça « colle ». Mais, en fait, plus rien ne se passe. La coïncidence sécrète son évidence, s’endort dans sa positivité. Cette adéquation est mortelle. Décoïncider, c’est défaire cette coïncidence qui s’est figée et n’est plus réfléchie. Non plus projeter dans l’au-delà, sur un mode idéal, mais remonter en amont, au niveau des conditions. Décoïncider ne prétend pas rompre avec le cours de l’histoire, marquer un temps nouveau, mais tend à entrouvrir, par un écart dans son déroulement, des ressources qui n’y étaient pas décelées. L’artiste décoïncide ainsi de l’art de son temps pour rouvrir du possible dans l’art. Que fait le philosophe ? Il décoïncide de ce qui a déjà été pensé ou de ce qu’il a déjà pensé pour rouvrir du possible dans la pensée. De même en politique : une idée coïncidente devient idéologique et génère alors la bonne conscience. Elle se transforme en obédience.

Décoïncider, est-ce se projeter sans plan ou plus radicalement cesser de se projeter ?

C’est clairement cesser de projeter, c’est rompre avec la pensée faite de modélisation, de projection et d’application.

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Faut-il être utile pour trouver sa place parmi les autres ?

 

 « Faut-il être utile» pose la question de la nécessité pratique, voire stratégique, « d’être utile », afin d’atteindre un but, celui présupposé nous être favorable, voire même indispensable pour se sentir « bien dans sa peau »: trouver sa place parmi les autres!

 

Qu’est-ce qu’être utile ? Est « utile » celui qui se montre profitable à quelqu’un, en lui procurant un gain, un bénéfice ou quelque chose d’avantageux, comme une amélioration. En ce sens, n’importe qui peut être utile, aussi minime soit l’avantage apporté.

Or, Comte-Sponville insiste sur le fait qu’il s’agit d’une «notion relative: ce qui est utile aux uns peut être nuisible aux autres » [Si vous intervenez pour procurer un emploi à quelqu’un, vous écartez forcément quelqu’un d’autre de ce travail]…. « voire à la fois utile et nuisible pour les mêmes ». [Cet emploi peut finalement lui gâcher la vie]… «Il n'y a pas d'utilité absolue: l'utile n'est pas une fin en soi ; ce n'est qu'un moyen efficace, en vue d'une fin désirée» : trouver sa place pour notre sujet. (1)

 

Alors, est-ce être utile pour trouver sa place, par exemple, de savoir écouter l’autre, de parvenir à comprendre ses besoins, de l'aider à surmonter ses difficultés, ou n’est-ce simplement que lui être agréable, en se montrant bienveillant.

La bienveillance, qui a donné le mot bénévole, « c’est vouloir du bien à quelqu’un, donc lui en faire » écrit Comte Sponville. « C’est porter sur autrui un regard aimant, compréhensif, sans jugement, en souhaitant qu'il se sente bien, et en y veillant ».

Est-ce ainsi que l’on trouve sa place ?

Toute société a mis en place des professions « du social » pour remplir ce rôle: assistants sociaux, éducateurs, conseillers divers, etc… Toute société a mis en place des professions destinées à soulager les souffrances, à protéger les citoyens: médecins, police, armée, pompiers, juristes (avocats, juges, notaires).

Est-ce que trouver sa place, en tant qu’individu, consiste à jouer un de ces rôles, en ajoutant sa pierre à l’édifice ? Sachant que ces métiers de l’utilité évidente, parfois urgente et vitale, souffrent d’une perte de sens, provoquent nombre de dépressions et de suicides au point d’être menacés de désaffection.

Ce serait correspondre à la « sommation d’utilité » telle qu’elle fut exposée par Kennedy : «Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays ». Une sommation d’utilité, qui fait, qu’en se demandant «Comment puis-je, être utile?», le citoyen devient peut-être plus utile à la société qu’à autrui, qui se retrouve enfermé dans une dépendance, dans ce qu’il n’est pas foncièrement.

 

La sociologie, d’Émile Durkheim jusqu’à Pierre Bourdieu, n’a eu de cesse de démontrer la banalité de nos choix comportementaux, politiques, amoureux ou intellectuels, déterminés à notre insu par des mécanismes sociaux, des figures imposées, des fantasmes construits par la culture environnante. Ce n’est pas un conditionnement, mais un ensemble permanent de suggestions quant à l’action à entreprendre

Les bénévoles, dont je ne discute pas l’action remarquable et nécessaire, l’utilité, ne se substituent-ils pas aux obligations qui sont celles de toute société de prendre soin de leurs citoyens, en dispensant la société de ses obligations ? Ne font-ils pas que conforter les structures inadéquates de ladite société, au lieu de les combattre, ce qui serait nettement plus utile à ceux qui en sont bénéficiaires à leur corps défendant ?

 

Est-ce qu’être utile peut-être le moteur essentiel de notre identité ?

L’utilité que nous assignons à ce que nous sommes alors, se pare d’exigences, nous donne des ordres, des obligations, une « place » à laquelle nous sommes finalement contraints. Sommes-nous alors encore libres de choisir ce que nous voulons être, où nous voulons être ?

 

Nous ne sommes rien a priori, selon la leçon des existentialistes. Nous n’avons pas « d’essence ». Mais nous voulons tous fonder une existence singulière qui a du sens.

L’identité est indispensable à notre existence sociale. Or, se plier à une identité sociale, qui confère un moteur et du sens au projet de « trouver sa place », n’est-ce pas s’insérer dans un schéma qui efface la possibilité de dessiner soi-même les contours de ce par quoi nous souhaitons être reconnus, en se soumettant à un ordre à la conception duquel nous n’avons pas participé ?

 

Comme dans ce cosmos grec, clos, hiérarchisé, un ordre qui assigne une place immuable à chacun, où les êtres et les choses tendent à occuper pour toujours, la place qui leur revient, ce qui leur permet, dans un univers où les choses sont en mouvement perpétuel, d’atteindre leur parfaite destination. Tout le monde ainsi est utile, à condition de ne pas vouloir changer de place. Ainsi il y a des citoyens, des hommes et des femmes, des étrangers, des métèques, et des esclaves. Tous sont nécessaires, et la cité ne fonctionne bien que si chacun reste à sa place, à son rang. Et celui qui refuse son destin commet l'hubris, la démesure : il est coupable d'arrogance, de passions individuelles, ce qui met la civilisation en danger : il doit être puni.

 

(Le mariage, par exemple, reste un signe social d’intégration. Après avoir préparé ce sujet, lundi soir, j’ai allumé ma TV, bloquée sur la « 6 », qui passait une émission : Marié au premier ringard », grâce à laquelle des personnes « trouvent leur place » à l’aide des moteurs sociaux que sont les algorithmes, les médias, et la psycho de bazar de coachs de vie. Entièrement calqué sur la deuxième moitié de l’orange d’origine Platonicienne, dans l’idée de la cosmologie des anciens grecs.)

 

Si on ne se soumet pas à une sommation d’utilité, est-ce qu’on se sent forcément en décalage, en craignant d’agir de manière déplacée, de ne pas “être à sa place”. Mais qu’est-ce qu’être à sa place, quels sont les espaces, réels ou symboliques, qui nous accueillent ou nous rejettent ? Faut-il tenter de conquérir les places qui nous sont interdites, à cause de notre genre, notre handicap, notre âge, notre origine ethnique ou sociale ?

Faut-il tenter de changer le monde ou se changer soi, au contraire de ce que préconisait Descartes : « changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde » ?

 

Le propre d’une place n’est-ce pas plutôt de sans cesse se déplacer ?

Pourquoi chercher à décrocher la situation professionnelle ou la relation affective qui nous donnera le sentiment d’être au bon endroit, utiles, heureux, en justifiant toute notre existence.

Ce serait tomber dans cette mauvaise foi que décrit Sartre.

Comme nous nous n’existons que par le regard d’autrui, celui qui nous regarde en train de regarder, et qui nous fait comprendre, ainsi, que nous ne sommes que cet objet qu’autrui regarde et juge, nous saisissons qu’il s’agit de la structure permanente de notre être-pour-autrui.

Cette condition humaine est alors source d’angoisse, que nous tentons de masquer par ce que Sartre nomme la mauvaise foi, dont l’exemple le plus connu est celui du garçon de café.

« Considérons ce garçon de café » qui en fait trop : « il joue à être garçon de café », il joue « avec sa condition pour la réaliser » sauf qu’il ne l’est « qu’en représentation » pour les autres et pour lui-même, il ne peut « que jouer à l’être ». Certes, il est garçon de café mais il ne peut l’être « sur le mode de l’être en soi », il l’est « sur le mode d’être ce que je ne suis pas ». Mais ainsi, il « trouve sa place », par un « mensonge à soi.  L’être y est ce qu’il n’est pas et n’y est pas ce qu’il est. »

Or il en a conscience parce que la mauvaise foi est une foi, une croyance.

 « Croire, c’est savoir qu’on croit mais savoir qu’on croit, c’est ne plus croire ». (Sartre) Ainsi, par la mauvaise foi, « il s’agit pour le sujet de fuir le mode d’être qui est le sien. » Ce qui révèle « une intime désagrégation au sein de l’être ». C’est trouver une place, dont le sujet a conscience que ce n’est pas vraiment la sienne !

 

Alors, pour trouver sa place, ne faut-il jouer aucun rôle ? Se faire accepter des autres tout en s'acceptant soi-même.

Si nous ne sommes pas vraiment le seul auteur du chemin de notre vie, nous pensons être capables de sélectionner le chemin qui peut nous rendre utile, tout en préservant notre singularité. A notre époque, nous avons gagné en autonomie et en indépendance, parce que nous sommes bien moins assignés d’office à une place: on naissait dans une famille, un village, une tradition religieuse ou une profession qui déterminaient en grande partie notre vie ou nos aspirations.

Mais en même temps, de plus en plus, c’est souvent dans l’appartenance à un groupe que nous nous sentons légitimes, utiles, et intégrés, à notre place. Un groupe qui nous rassure, mais nous enferme aussi, nous empêchant d’évoluer, nous figeant dans une identité qui n’est plus entièrement la nôtre.

Ce sont les théories identitaires qui essaiment à travers le monde, imprégnée par les théories sur le genre, la race, le complotisme ou l’ethnicité, qui orientent nos opinions, qui ne peuvent alors être que celles du groupe auquel on est rattaché, si on souhaite y «trouver sa place », en étant particulièrement utiles à la diffusion de ses idées force, voire de ses idées fixes. Et tant pis, à terme, pour la démocratie, la liberté d'expression, les libertés individuelles, et pour l’empathie envers ceux qui n’en font pas partie. (2)

Ce qui n’empêche pas de ressentir que ce n’est pas nôtre « bonne place », qu’on ne s’y accomplit pas, mais qu’il faut quand même agir « pour que ça change », pour atteindre un type de société jugé plus juste !

 

L’utilité de cette place, assumée ou assignée, soit subrepticement suggérée, dans nos sociétés, mais aussi dans nos communautés, relève d’une croyance, une perception de choses qui nous semblent absolument vraies, justes et justifiées, à un instant donné, en fonction des éléments dont on dispose.

Ce fut : « Chacun à sa place (chacun son métier, à l’origine) et les vaches seront bien gardées » : si chacun se mêlait uniquement de ce à quoi il croit, se tenait aux valeurs reconnues, tout irait pour le mieux.

Ou : “Trouver sa place dans la société, c’est d’abord avoir un emploi.” selon Lionel Jospin

Pour certain c’est aujourd’hui le climat pour lequel on rencontre des oracles qui nous indiquent comment il faut penser »

 

Or même si nos croyances évoluent puisque notre environnement évolue, le décalage entre ce qu’est l’individu et la place qu’il pense être la sienne, subsiste. Il en résulte cette «barbarie intérieure», (E.Morin), « faite d'incompréhension d'autrui, de mépris, d'indifférence. L'aveuglement sur soi et l'incompréhension d'autrui s'expriment au niveau des sociétés et des peuples comme au niveau des relations personnelles, y compris au sein des familles et des couples».

 

Alors que « être à sa place », devrait correspondre, au moins, à un ressenti de bien-être, résultant du propre choix de sa situation, mais une place qui ne devrait jamais être définitive. La vie nous bouscule et nous oblige à nous réinventer dans une sorte de cheminement critique qui ne s’achève jamais vraiment.

 «On se sent à sa place lorsqu’on peut être pleinement soi-même, sans composer ni jouer un rôle, en se sentant irremplaçables, plutôt qu’utiles.»

Etre soi est de plus en plus difficile parce que la société croule sous les injonctions.

Etre au cœur de son présent et de sa modernité, implique aujourd'hui non pas de rester dans l'actualité mais bien plutôt dans l'inactualité, de prendre du recul, de prendre son temps et de s’opposer à l’immédiateté, en multipliant les grilles de lecture, contre toute pratique rigoriste, dénonciatrice, prophétique ou messianique, qui veulent nous mettre au pas dans les cases immobiles d’une vérité qui n’est qu’illusion. Comme le faisait Michel Foucault en traquant les règles de production du discours.

L'existence sociale rendrait-elle impossible de penser par soi-même.

 

En fait, il s’agirait plutôt de donner du sens à sa vie, sans pour autant se limiter à la concevoir comme seulement utile. Ce sens peut se trouver, dans la mesure où l’on peut faire ce que l’on a envie de faire, sans que ce soit se soumettre à ses passions ou à un extérieur sanctifié. Il s’agirait d’engagements actifs par rapport auxquels nous devons néanmoins conserver une certaine distance, une grande lucidité, et ne pas se les approprier en suivant à jamais, avec opiniâtreté, un même chemin, un même choix de vie…

Roland Barthes se demandait : « À quelle distance dois-je me tenir des autres pour construire avec eux une sociabilité sans aliénation ? » Il concluait que cette distance passait par la préservation de son rythme propre, sans se laisser imposer, par n’importe quel pouvoir, un rythme de vie, ou un rythme de temps.

 

Un scientifique peut prétendre à une « place utile » du fait des technologies qu’il crée, qui facilitent la communication, comme Internet par exemple, qui augmentent la production, le rendement, comme les engrais et pesticides, qui, par contre, sont également sont dangereux.

La philosophie peut se révéler utile  en tant qu’elle oriente l’action et qu’elle apporte une compréhension du réel. Mais le propre de la philosophie ne réside pas dans son inutilité ou son utilité : au contraire, elle nous fait réfléchir sur le fait que tout ne se réduit pas à l’utile, qu’il est possible de se dégager de cette notion parfois dangereuse.

Il n’y a aucun sens à parler de choses « utiles » ou « inutiles » indépendamment d’un projet ou d’une finalité, d’un objectif.

Il existe des savoirs réputés « inutiles » qui se révèlent en réalité d'une extraordinaire utilité.

Un livre de philo compliqué peut même servir à caler le piano.

N’importe quel utile, du jour au lendemain, peut devenir inutile, parce qu'on en a pas, ou plus, l’usage.

La véritable essence de l'utile est l'inutile. L'utile est en fait de l'inutile rendu utile.

 

Avoir le choix de la place, d’une place de choix, suppose de pouvoir et de vouloir sortir de tous ces sentiers battus et rebattus: ceux des certitudes, des croyances, des cultures et de l’éducation. Sinon, il s’agit du choix du confort, de l’abri d’une place où l’on peut se sentir bien, en confiance et en sécurité, sans  risquer d’être celui qui va à la chasse et perd sa place, parce que les places sont chères, loin de tous les autres possibles de l’existence.

Se détacher de ses croyances, de ses habitudes, de ses rituels et des pièges des sociétés, toujours fermées, qui n’acceptent la contestation que dans un cadre qui leur permet de se renforcer, pour s’ouvrir au monde, quelle que soit la place, d’un individu, est bien la tâche que nous devrions avoir ici.

 

Mais ce ne peut être ce baratin contemporain la réalisation de soi, parce qu’elle est avant tout un sentiment intérieur, conforme à la volonté de se sentir bien, reconnu et valorisé et donc plus motivé et enclin à nous impliquer, tant pour soi que pour le groupe". Nous avons alors le sentiment d'être un maillon juste, à une place juste, que l'on s'attribue à soi-même. Alors, on, se sent légitime, conscient de sa valeur, fondu dans la masse, puisque tout un chacun pourrait occuper cette place, sans que cela fasse vraiment une différence.

 

Peu importe la place que l’on occupe, qu’elle soit utile ou non, l’essentiel, pour chacun, est qu’elle ait du sens.

 

N.Hanar

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NOTES

1-UTILITARISME Toute doctrine qui fonde ses jugements de valeur sur l'utilité soit comme ce qui contribue au bonheur du plus grand nombre : les comportements, en pratique, seront souvent les mêmes, mais pensés ou justifiés différemment.

Pour Kant, nul ne doit se servir d'autrui comme moyen de ses propres fins, et a le devoir de considérer autrui « toujours en même temps comme une fin, jamais simplement comme un moyen. Ainsi l’être humain ne doit pas être instrumentalisé.

2-Interdiction de mots, d’œuvres écrites et d’œuvres d’art, à l’opposé de ce que souhaitaient les Lumières.

Le mouvement "woke", en tant que "réveil des minorités" : sexuelles, ethniques, culturelles, religieuses, qui veulent secouer les chaînes qui les maintiennent dans la minorité, est tout à fait justifié. Sauf que surgissent des minorités naissantes, inconnues, imprévues, et donc insaisissables, figées dans une  orthodoxie woke,qui se livrent à des appropriations culturelles. On y trouve cette idée que chacun de nous appartient à un groupe défini par son genre, sa race ou son ethnicité, que nos opinions peuvent être prédites selon le groupe auquel on est rattaché, et que la justice ne peut être pensée qu'en fonction de la moyenne relative de chaque groupe. Ce sont ces idées qui vont à l'encontre de cet idéal humaniste des Lumières, qui veut que dans une société juste, vous êtes jugés pour ce que vous êtes en tant que personne, et non en fonction de votre couleur de peau, son genre etc….

C’est une atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ; comme un moyen d’atteindre à un type de société jugé plus juste !

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ultra-contribution à comment accéder à la joie

Par Jean Louis

 

Le présent texte est dénommé « ultra-contribution » puisqu’il se situe chronologiquement avant la contribution déjà publiée sur le site. En fait, le texte consiste dans la mise en prose de ce qui fut dit oralement lors d’un récent café de Philosophie sur le sujet : « comment accéder à la joie ? ».

 

Il est proposé ici des considérations plutôt terre à terre qui consistent en une sorte de modus operandi.

 

1) Qu’il soit, tout d’abord, dit qu’il m’apparaît qu’il existe des préalables à l’accession à la joie :

 

Les voici :  

 

- Premièrement : ne pas pactiser avec le Diable. Faust est l’anti-modèle parfait de l’âme sombre qui n’accèdera jamais à la joie. Nous savons bien quand nous sommes tentés de vendre notre âme au Diable. C’est chaque fois que la fin justifie les moyens.

 

- Deuxièmement : ne pas être dans les tourments. L’homme dans les tourments n’est pas disponible à lui-même. Or, être disponible au présent, c’est s’ouvrir une possibilité d’être soi-même et d’accéder à la joie. Etre disponible au présent est être prêt. Comme l’a dit Shakespeare : « readiness is all ».

 

Le premier devoir de l’Homme, selon KANT, est d’être heureux parce que s’il est heureux il fera mieux son devoir. De ce point de vue, le bonheur est une condition d’accès à la joie.

 

Ensuite quelques autres préalables :

 

- Connaître l’amour ; l’amour de soi ; l’amour des autres ; l’amour en particulier : notamment, l’amour naissant qui opère une révolution au fond de soi-même qui révèle l’autre dans sa radicale altérité et qui nous révèle nous-même comme l’acceptant dans sa totalité.

 

- Cultiver son jardin.

 

- Incorporer quelques vérités :

 

. Eros ne se nourrit pas de la possession.

. Le plaisir est un savoir de soi et de l’autre.

. L’altérité est un incessant questionnement.

. Ce que nous avons en commun, c’est l’incomparable.

. Nous devons penser à la mesure de l’incommensurable que nous sommes (Jean-Luc NANCY).

 

- Entre lucidité et espérance, opter pour l’espérance, laquelle a, dans son cortège, la vision d’un monde meilleur à venir et de l’utopie. N’oublions pas ce que nous dit René CHAR : « Le réel parfois désaltère l’espérance. C’est pourquoi, contre toute attente, l’espérance survit. »

 

2) Les signes d’une joie possible :

 

Les voici :

 

- Etre heureux.

 

- Faire son devoir.

 

- Faire son métier le mieux possible.

 

- Pratiquer l’excellence.

 

- Viser la perfection.

 

- Avoir fait un effort pour comprendre, pour accéder à une vérité.

 

- Chanter.

 

- Louer Allelouia.

 

- Vaincre ses peurs, ses faiblesses.

 

- Donner le meilleur de soi.

 

J’en arrive ici à la possibilité d’une définition de la joie. Osons la définition suivante :

 

La joie, c’est la puissance de persévérer en notre être.

 

Les signes d’une joie possible, c’est d’avoir un cœur intelligent ; d’entendre la souffrance ; d’éprouver la compassion ; de verser toute rencontre au présent ; d’exalter le désir de vivre ; intensifier notre rapport au Monde ; magnifier l’existant ; être en quête de quelques jours ; fondre et confondre l’homme temporel et l’homme intemporel pour accéder à l’homme indivis ; accéder au un du Monde que le discours fragmente.

 

Paul ELUARD : « si tu aimes l’intense nue, infuse à toutes les images son sang d’été. »

 

Accéder à la gratitude, CRÉER.

 

La gratitude me paraît d’être une clef d’accès à la joie.

 

Martin Heidegger à Hannah Arendt

 

Après le 26 septembre 1974

 

Que la gratitude soit destinée, pour leur pensée et leurs vœux, à tous ceux qui ont pris leur part à la peine de médi  ter en ce présent âge du monde :

 

Plus institutante que le poème

Plus fondatrice que le noème

      demeure la gratitude,

          Ceux qui y accèdent,

             elle les ramène devant

                  le face-à-face de l’inaccessible ;

                      c’est de lui faire face que nous sommes –

                           nous autres, tous les mortels –

                               depuis le commencement

                                   mis à même

 

                                       Martin Heidegger

 Pour

Hannah

En la saluant de tout cœur.

 M.

 

3) Quelques illustrations de la joie :

 

Je porte témoignage d’avoir été en joie récemment devant un tableau de TIEPOLO, puis devant un tableau de BELLINI. Par la même occasion, ceci atteste qu’il y a des degrés dans la joie.

 

a ) TIEOPOLO

 

Le tableau « Justice et Force » au plafond de la Scuola grande dei Carmini (Venise).

 

Nous dirions, prosaïques : il faut que le juste soit fort, il faut que le fort soit juste. La Justice et la Force sont deux Dames, nous dit TIEPOLO, et il est beau qu’elles s’aiment. La Justice a la gorge largement déployée. On lui voit une jambe en entier. La Force se penche vers elle pour lui destiner un baiser dans la nuque. Son sein droit est découvert et, pour faire bonne mesure, la Justice tient en main le fléau de la balance tandis que la Force tient dans sa paume une fiole. L’homme est donc présent, symboliquement. Venezia ! Serenissima ! Le sujet est détourné de son objet. Le tableau est sublime dans ses couleurs. Les deux Dames sont dans un ciel bleu roi. Les sens sont exaltés.

 

b) BELLINI

 

Le tableau s’intitule « conversation secrète ». Il présente la Vierge qui tient dans ses bras son enfant et, en symétrie et suivant une présentation pyramidale dont la tête de la Vierge est le sommet, une Dame qui porte l’encre en face d’une Dame qui porte une plume ; un Moine portant un livre en face d’un Moine qui fait lecture. Au pied de la Vierge un enfant qui joue du violoncelle. Les visages de BELLINI sont des visages idéaux proches des Icônes. Le tableau, à l’évidence, est l’éloge du silence, vraie récompense d’une pensée sacrée. Le Tableau de BELLINI est dans l’Eglise San Zaccaria à Venise.

 

Grande est ma joie lorsque je me dis que j’ai la grâce de conduire ma vie en sorte d’être rassasié de jour. Grande est ma joie lorsque je peux me dire à moi-même ces vers de VALERY qui sont la fin du poème PALME :

 

« Tu n’as pas perdu ces heures, 

Si légère, tu demeures,

malgré tes beaux abandons,

pareil à celui qui pense

et dont l’âme se dépense

à s’accroître de ses dons. »

 

* * *

NOTA BENE : Bien entendu, je me réserve de répondre à la réprimande récemment faite au poète sur ce site.

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L’alibisme

 

Dans le domaine juridique, l’alibi est une défense face à un délit ou un crime qui repose sur la preuve qu’on était dans un autre lieu au moment en question. C’est donc ne pas être impliqué ou responsable, après justification.

Mais il nous faut nous éloigner du topisme d’être ou de ne pas être dans un lieu, pour le tropisme des lieux de l’être, où peuvent s’épanouir notre abstention, notre lâcheté ou notre sentiment d’opportunité de n‘être pas concerné et de ne pas intervenir.

Le terme du sujet en « isme », montre qu’on peut s’installer dans une posture, un système, qui viserait individuellement ou collectivement à produire un argument pour s’exonérer de toute responsabilité ou fuir le réel, consciemment ou inconsciemment.

L’alibi souvent utilisé dans le domaine criminel, deviendrait lui-même criminel quand il est érigé en système pour ne pas admettre, exclure, n’être pas concerné….. et finalement pour s’exonérer de toute responsabilité et avoir en permanence bonne conscience, parfois  à peu de frais.

 

Des exemples d’alibi :

Je ne suis pour rien dans le déclenchement des guerres puniques en l’an 264, car j’étais en France à l’époque.

Nicolas Sarkozy n’a été pour rien dans la chute de Todor Jivkov en Bulgarie le 9 novembre 1989, car à ce moment-là il faisait tomber le mur de Berlin.

 

Par contre, Dieu avec son don d’ubiquité, pouvait être impliqué dans le massacre de la Saint-Barthélemy et dans le même temps dans l’extermination des turcs à Lépante en 1572 !.

 

L’alibi de l’éthique : Je prends le parti de dire que la production massive actuelle de codes éthiques, permet l’alibisme, en ce que cela autorise de s’abstenir d’intervenir tout en ayant bonne conscience si on a respecté les articles de ce code préétabli, même si on est sourd aux appels des principes de la conscience morale non écrite.  

 

Il semble qu’on puisse faire un parallèle entre l’accumulation de recommandations éthiques et l’aggravation de l’égoïsme de notre époque !!

 

On peut être éthique sans être moral, au sens où on peut adopter un ensemble de manières d’être et de considérer son prochain, en montrant un souci du « soi » plus que du « moi », sans respecter l’impératif catégorique kantien de toujours traiter l’homme comme une fin et non comme un moyen.

 

Plan

Sept exemples illustrent ce parti pris :

1- Souffrance-suicide au travail, renvoi à la responsabilité individuelle car l’entreprise a l’alibi de l’affichage préalable de règles éthiques.

2- L’hôpital édicte des règles éthiques pour sauver l’humain abstrait, il sauve réellement un malade occidental par un exploit médical médiatisé, mais ignore les millions de morts par malnutrition.

3 – On proclame les droits de l’homme universels dans un code éthique, et on prend cela pour alibi pour ne pas intervenir dans la garantie de réalisation de ces droits.

3- Dans les pays anglo-saxons, en présence d’un droit inexerçable, l’Etat n’intervient pas et se cache derrière l’alibi que chacun doit faire valoir ses droits individuellement.

4- L’Etat peut éluder sa responsabilité en posant le préalable de l’application du principe de précaution.

5- Les Etats peuvent se cacher derrière de grandes déclarations d’universalité , comme alibi pour ne pas se confronter à un particularisme réel.

6- Un criminel nazi peut prendre alibi du respect du devoir kantien et de la jurisprudence, pour agir contre la morale sans alourdir sa conscience.

 

   *   *

1- La souffrance au travail : Renault Guyancourt constate que ses employés se suicident en fabriquant des voitures à vivre, et comme il ne faut pas désespérer Guyancourt on a  procédé à des sondages auprès des employés sur les conditions et l’organisation du travail, et on a obtenu des résultats moyens satisfaisants ; L’entreprise pourra arguer d’un alibi éthique, pour d’un consentement éclairé des employés, éluder ses propres responsabilités dans la survenue de la souffrance et du suicide au travail. Saine application du principe de précaution, et ainsi on peut stigmatiser la victime plutôt que d’incriminer les résultats d’une expertise globale sur les risques psychosociaux et les risques collectifs liés à l’organisation du travail et à la prévention !!.

 

 . Alibi pour les soins à la personne, une éthique paravent ou bouclier

 

2- On méprise les besoins primaires essentiels à la survie d’un quart de l’humanité, pour préférer l’exploit technique médical pour la survie d’un favorisé occidental ; On peut ainsi admettre un mort de faim d’un enfant toutes les six secondes, tout en se dissimulant derrière une éthique et une bioéthique se fondant sur des valeurs transcendantales de justice et de respect de la personne, pour sauver une seule personne et ignorer des millions de mourants par alibi éthique!!

 

Par ailleurs si je vais à l’hôpital, je signe une décharge très générale qui n’envisage pas mon cas spécifique, et mon consentement ainsi éclairé dégage l’établissement de toute responsabilité s’il a honoré son propre protocole !! Je suis mort, mais si l’établissement a respecté sa charte éthique, qu’ai-je à dire, sinon que c’est de ma faute ?

 

  . Alibi des droits de l’homme proclamés ontologiquement

 

3- La France se cache derrière  l’alibi de droits de l’homme proclamés ontologiquement et universellement par l’Etat, pour justifier qu’elle ne fait pas tout pour en garantir l’exercice. Si une liberté fondamentale ne découle pas automatiquement d’une proclamation, on peut dire que pourtant on l’a affirmée ontologiquement !! Donc on n’est pas responsable des comportements consécutifs à la proclamation. L’alibi d’un droit garanti par le concept, permet à l’Etat d’éluder sa faible absence de protection

 

4- Les pays anglo-saxons ne décrètent pas ontologiquement un droit, mais s’en remettent à l’apprentissage de chacun pour son accomplissement individuel. L’Etat se cache derrière la justice arguant que c’est à chacun de faire valoir ses droits, l’Etat n’est pas responsable !! L’alibi du droit  garanti par le faire individuel, permet à l’Etat de se défausser, la libération individuelle prime sur la protection de l’Etat.

 

Finalement, les droits de la personne et sa dignité peuvent être envisagés selon l’alibi fondé sur l’être abstrait, quand on fait l’économie d’un regard porté effectivement sur l’être. La morale collective étouffe la conscience individuelle.

 

5- L’Etat veut éluder sa responsabilité en référence à l’éthique du recours au principe de précaution, après avoir défini lui-même les règles qui donnent bonne conscience, une éthique de bonne conscience comme alibi à une bonne conscience irresponsable. « Plus jamais ça, et on va faire une loi !!», on reste dans l’incantation pour se dispenser de toute référence au réel, mais le mal soi-disant évité revient sous une autre forme !! L’indifférence à une vraie prise de conscience est masquée sous l’alibi d’une grande déclaration irresponsable.

 

6- La contradiction insoluble entre l’universel et le particulier, permet l’alibi de se cacher derrière de grandes déclarations d’universalité qui nous préservera d’affronter le réel tout en gardant bonne conscience. On reconnaît la dignité de l’être humain toujours identique, mais quand il s’agit d’intervenir dans des pays du Sud on argue du particularisme culturel de ce Sud pour intervenir moins. On ménage leur culture et cela nous est confortable, « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », et on peut accepter l’inacceptable, car on a l’alibi de la vérité différentielle.

L’arrogance d’un universalisme abstrait camouflant un excès de particularisme sectaire, permet d’arguer d’un alibi pour ne pas mettre en oeuvre le devoir d’ingérence, malgré une obligation morale d’intervenir.

 

7- Un nazi pouvait arguer de n’avoir fait que son devoir  quand on lui reproche d’avoir agi contre la morale en exterminant des populations. L’alibi kantien de l’application stricte et formelle de la notion pervertie du devoir, permettrait de se dégager de toute responsabilité quitte à passer pour une marionnette sans conscience.

*  *

L’humanisme s’en réfère à l’éthique comme alibi, pour se résigner tout tranquillement à écarter toutes références morales individuelles, et ainsi pouvons- nous fonder en Raison cette pirouette. L’existentialisme peut être un anti-humanisme.

Mais alors si on hiérarchise en valeur, l’éthique doit-elle être soumise à la morale, ou lui être égale ? Si la responsabilité est fondée sur l’éthique (valeurs normatives inscrites arbitrairement au préalable, à produire et à observer en conscience), cette éthique peut être opposée en alibi exonérant. La seule façon d’être sûr de ne pas se cacher derrière l’alibi, c’est de s’en remettre à la morale et son souci d’équité. Il faudrait que l’éthique soit moins une certitude de faire le bien, qu’une inquiétude existentielle permanente du prochain et du monde environnant.

 

Au final ce sont le refus d’être là et les grands principes plus ou moins transcendants, religieux, déontologie, bioéthique….qui peuvent nous faire perdre le sens de l’humain, et nous faire dire, « hélas je ne suis pas responsable ».

 

Nous autres humains et l‘ensemble du vivant viendrions de la mort d’une étoile, et il nous faut retrouver l’autre et le reconnaître avec le sentiment d’une appartenance commune à une même planète, à voir le soi en l’autre, et se soumettre aux mêmes enjeux fondamentaux. Donc ni individualisme forcené, aveugle et indifférent,  ni bouclier de l’universalisme abstrait, mais prise de conscience immédiate de notre environnement, afin d’être sûrs de produire le moins d’alibisme possible.

Sinon nous risquons le sort d’Antigone, coincée entre des blocs d’éthique, étatique, familial, divin, autant d’alibismes dont nous ne sortirions que par la folie, à moins de démasquer en nous la conscience morale individuelle, et de l’opposer à l’éthique des fiers frontons .

 

  Gérard

 

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Contribution à la discussion, « Comment vient la joie ? » par Gérard

 

1- Qu’est-ce que la joie ?

C’est un sentiment complexe, une émotion agréable ressentie par toute la conscience dans son ensemble , véritable irradiation.

Le contraire de la joie est la tristesse, mais pas la douleur ni le chagrin.

 

2- Critères de la joie : La joie éclate et ne dure pas contrairement au bonheur, elle est une ivresse, des rires et une jubilation. Elle est une véritable dépossession dans le cadre d’un transport de joie avec des gestes désordonnés, des larmes et même une quasi-folie (Fou de joie).

On peut avancer qu’elle est une modification négative de la conduite, en cela qu’elle est la disparition de tout effort et de toute attention active, une sorte d’état d’euphorie par relâchement de toute activité. On ne tend plus vers quelque chose car on a atteint l’état de joie.

 

3- L’origine de la joie

En général une bonne nouvelle, un succès, gain au loto ou aveu de la personne aimée qu’elle nous aime aussi... La possession de l’objet ou l’avènement d’un fait agréable revêt un caractère total sur notre comportement, et non partiel comme le contentement, ou  le plaisir.

 

4- Les différentes joies et leur origine

 

. Joie active, exubérante, émotionnelle, qui connaît un déclenchement brutal, (explosion de joie), des gestes désordonnés sans but et sans contrôle (rires, cris, larmes), et une quasi-folie libérant des énergies.

. Joie passive, à l’instar des mystiques qui connaissent le calme la détente, la paix intérieure de l’âme après que cette dernière ait vaincu le doute et l’inquiétude. L’extase mystique est une béatitude née de l’union avec Dieu .

. Joie maladive, le « béat » a un sentiment de joie complet avec l’oubli de la réalité, sourire béat genre benêt.

. Joie artificielle, liée aux états toxiques du drogué, qui se trouve transporté hors du monde et du temps dans une grande félicité.

 

5- La joie et les systèmes philosophiques ou politiques

Si notre état de nature nous afflige d’une inégalité d’accès à la joie, culturellement nous pouvons être, ou non,  poussés à la joie.

. Les régimes totalitaires, fascistes ou communistes par exemple, nous enjoignent à la joie, le travail dans la joie pour être plus efficace, servir mystiquement son guide dans la joie…

. La Grèce dionysiaque, contre la Grèce apollinienne ou le christianisme, nous invite à libérer notre force vitale et joyeuse, sans mauvaise conscience et sans crainte du pêché.

 . Le courage platonicien, nous autorise à accéder à la « joie armée » dès lors que l’on a atteint l’immuable derrière l’illusion, par nos actions héroïques de traversée des obstacles de notre parcours initiatique.

. La volonté de puissance affirmative( Nietzsche), libre et joyeuse nous autorise une joie confiante et créatrice, puissance de l’esprit qui se manifeste dans l’art, comme un passage de l’homme à une plus grande perfection (Puissance=joie=liberté=amour).

A contrario, avec le ressentiment-tristesse, la volonté de puissance négative nous fait buter contre ce qui nous dépasse pour passer à une moins grande perfection faite de haine et de tristesse.

 

Bien entendu la conquête de la joie n’est pas une obligation, et le mouvement romantique prône ces fameux soleils noirs de la mélancolie.

Sans compter avec la joie dans la dissolution et la disparition des philosophes de la déconstruction.

Et parodiant la publicité du Club méditerranée on pourrait dire, « La joie si je veux »…mais ne l’oublions pas, nous sommes dans le domaine de l’émotion où notre liberté est quand même réduite.

Nous réagissons inévitablement à « l’autre », qui est soit le partenaire humain ou le monde animal-végétal. Dès qu’il pénètre dans notre champ, cet autre provoque automatiquement une réaction dans les deux registres fondamentaux, le plaisir ou la douleur. Dans le registre « plaisir », l’émotion de base supposée pure est la joie, émotion qui s’exprime par l’amour. Cependant rien n’est pur en ce bas monde, car l’autre et l’action de l’autre n’ont jamais une signification univoque, et nous pouvons être envahis par la colère qui est un mélange de joie et de peur, et peut déboucher sur de l’agression.

 

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vient joie
lenteur

Eloge de la lenteur ( par Gérard)
 

Intro : Invention du temps historique

 

1-Le temps linéaire donné à l’homme existe-t-il, avons-nous prise sur son rythme ?

2- La vitesse serait une maladie de notre temps

2-1 C’est une manie culturelle d’aller vite :

2-3 L’obsession du temps qui s’enfuit

2-4 La vitesse devient notre seconde nature, ou une idolâtrie ?

3- Un nouveau darwinisme social, une prime à l’homme pressé

3-1 Cette extension du domaine de la lutte darwinienne a un coût social

3-2 Cette accélération est un risque de la superficialité, ou une volonté d’oubli 

4- Retrouver la lenteur pour accueillir l’événement « hit et Nunc »

4-1 Laissons du temps au temps et prenons notre temps

4-2 De la vitesse agressive à la grâce d’éternité de la lenteur

4-3 Retrouver l’éternité de l’instant

*                           *

Intro : Invention du temps historique

 

A la suite de la faute de Prométhée les hommes ont été séparés des Dieux, et le temps a été divisé en trois,

. le temps des Dieux, l’éternité où rien ne se passe, tout est déjà là et rien ne disparaît

. Le temps cyclique figuré par les astres et les saisons, qui périssent et renaissent.

. Le temps des hommes, linéaire qui va toujours dans le même sens. L’homme en a la gestion par délégation et va impulser son propre mouvement dans cette durée acquise.

 

Non seulement le temps va toujours dans le même sens, mais il a toujours tendance à s’accélérer et à nous rendre l’espace plus étroit. Un changement de cadence est vérifié lors du passage de la pré-histoire à l’histoire. L’Histoire peut décrire nos sociétés où le changement est rapide et cumulatif, mais l’ethnologue convient mieux aux sociétés primitives qui résistent à l’histoire….ces sociétés changent malgré tout mais elles n’en font pas une valeur, ainsi parlait Claude Lévi-strauss. Le changement ressenti comme nécessaire, et selon rythme crescendo, donne un mouvement plus ou moins rapide dans le temps et devient un devoir de progrès, une valeur.

 

1-Le temps linéaire donné à l’homme existe-t-il, avons-nous prise sur son rythme ?

 

On peut dire que ce temps est invisible et pour devenir visible il est à la recherche de nos corps et se sert de nous. Le temps nous entraînerait dans son rythme de plus en plus effréné, et nous en serions complices en toute liberté, car la vitesse est devenue une valeur positive.

A tel point que la lenteur est devenue synonyme de manque de vivacité, de compréhension non immédiate, et de manque de réactivité. Nous devons donc faire l’éloge de la lenteur, qui n’est pas le fait de ne pas aller vite, mais de ne pas toujours aller vite comme tout le monde.

La raison pourrait peut-être nous permettre de nous soustraire librement à ce siècle de la vitesse, car c’est l’homme qui a appris à mesurer le temps taylorisé dans le détail, un temps mécanique pour plus de profit économique  et moins de temps humain à chaque seconde.

 

2- La vitesse serait une maladie de notre temps

 

2-1 C’est une manie culturelle d’aller vite :

Nombre d’exemples nous montrent qu’il faut raccourcir les délais :

. Apprendre « Guerre et Paix » par la méthode accélérée, juste pour savoir que ça parle de Russie, comme disait Woody Allen .

. Accompagner l’accélération d’une société, qui prend goût à la réussite rapide, selon des protocoles rigides diffusés par nos chaînes de télé hertziennes, satellitaires ou câblées, sur lesquels on doit se caler :

 

. Fabrication d’une star en  2 semaines ! ( il est vrai dans une star Académie ! ! !).

. Métamorphose d’un président de la République en écologiste en  2 heures en 2001.

. Métamorphose d’Elisabeth Tessier en sociologue au bout de 800 pages et en 1 mois en 2001

. Métamorphose de Patrick Lelay en père la Vertu en 8 jours en 2001, s’indignant du loft pour n’avoir pas su y entrer le premier.

. Formation en 2001 et en une nuit de l’île d’Islande, Surtsey, avec écosystème, civilisation, gouvernement et dissolution, et tout et tout.

. Un film, une chanson devient culte ou cultissime en 15 jours !!

. La liposuccion a permis d’aspirer 12 500 tonnes de gras depuis sa création et a autorisé le gain de 1.5 millions d’heures de temps de fastidieux régime.

. Le reader’s digest permet de lire un livre réduit en 55 minutes !!.

. Avec le speed dating nous pensons pouvoir faire la connaissance ultra-rapide de l’autre, et avoir assez de données pour déterminer si on peut faire un bout de chemin avec lui/elle.

. Les Milles et unes nuits passées au crible du management, deviennent une histoire « minute » très utile pour les parents pressés à endormir leurs enfants ; Alors que le conte devrait être lent et interminable !!

 

Il nous faut apprendre que tout va très vite, alors faut-il brûler sa vie, ou la mettre paisiblement au bain-marie, voire la passer à la poêle ? Pour cela il y faut du conseil dispensé avec précepte et consensus.

Il faut apprendre aux jeunes, que pour tenir le rythme il faut se doper, à la coke, aux hormones de croissance, aux anabolisants, et aux  érythroprotéines. Les jeunes en seront-ils plus agressifs qu’à l’accoutumance ( oh pardon !, qu’à l’accoutumée).

2-3 L’obsession du temps qui s’enfuit

Dans ce monde ultra-libéral, nous avons d’une part le souci de remplir le temps toujours un peu plus, et sommes atteints de la maladie du temps d’autre part, nous avons cette croyance obsessionnelle au temps qui s’enfuit, il n’y en a pas assez et il faut pédaler pour le rattraper.

Le temps de l’économie virtuelle via Internet, nous permet de faire des gains en guettant des micro-variations de valeurs sur les marchés 24 h sur 24 h et cela à la nano seconde, dans le cadre de ce turbo-capitalisme, où il faut faire les profits à très court terme. Le temps c’est de l’argent, comme une denrée rare et finie qui s’enfuit

 2-4 La vitesse devient notre seconde nature, ou une idolâtrie ?

Nous pratiquons le culte addictif à la vitesse et cela nous fait souffrir, car nous avons substitué une seconde nature à notre nature première, par une intériorisation psychologique de la notion de vitesse, avec ses gains de temps et son efficacité maximale, car le temps nous semble une ressource finie en train de se tarir.

Certes le TGV, Internet…. font partie de notre temps et on ne saurait dénier tout progrès pour notre vie quotidienne, qui nous donne les moyens d’aller vers l’autre et d’un point à l’autre de l’espace sans lenteur, sans trop d’attente angoissée, mais nous y ajoutons de l’idolâtrie au point d’être dépendants de cette accélération, nous sacrifions aux mânes de ce « toujours plus vite ». La campagne serait encore un réservoir de lenteur, de temps humain, mais nous étions à la campagne lente, avant d’être projeté dans le temps de la ville qui s’accélère ….la forme d’une ville change hélas plus vite que le cœur de l’homme, ainsi parlait Charles Baudelaire. Heidegger quant à lui est resté philosophé à la campagne, à Fribourg au lieu de Berlin, afin de mieux rapporter l’être au temps.

 

3- Un nouveau darwinisme social, une prime à l’homme pressé

La lutte pour la vie dans l’évolution ne se fait plus en termes de résistance, mais dorénavant les rapides mangent les plus lents. Dans ce monde où tout devient  e-commerce, on maudit ceux qui ne sont pas pressés et qui deviennent un obstacle à notre course.

 

3-1 Cette extension du domaine de la lutte darwinienne a un coût social

L’homme est au service de l’économie très évolutive et doit stresser pour s’y adapter dans un état de surmenage permanent, en dormant moins et mal, au risque d’être rattrapé par la somnolence ou par la mort au travail (Karoshi au Japon).

Notre survie peut exiger un jour d’aller vite pour échapper au prédateur, et d’autres fois d’aller lentement à notre guise pour refuser l’épuisement, là est notre nature première, non d’aller vite tout le temps.

3-2 Cette accélération se fait au risque de la superficialité, ou une volonté d’oubli 

La course nous conduit à écrémer, on fait baisser en valeur ce qui avait du prix auparavant, on se refuse l’approfondissement qui vient avec le temps. Trop pressés par le travail, on en perd ses amis car l’amitié se nourrit de temps.

Milan Kundera soutient que notre société est obsédée par le désir d’oubli et pour combler ce désir, elle s’adonne au démon de la vitesse pour ne pas rentrer dans la mémoire. Pour nous c’est aussi se distraire de la mort en s’étourdissant de vitesse et en accumulant dans ce bref temps de notre vie.

4- Retrouver la lenteur pour accueillir l’événement « hit et Nunc »

Nous devons ne pas vouloir brusquer la durée ni se laisser brusquer par elle, pour augmenter notre capacité à accueillir l’événement. Nous avons tendance à trop anticiper ce qui va advenir en nous privant du présent, et à foncer sans se retourner.

4-1 Laissons du temps au temps et prenons notre temps

Laissons donc au temps toutes ses chances tout en laissant respirer notre âme, par l’écoute, le repos, la flânerie….soyons bienveillants avec nous-même pour retrouver notre « Eigenzeit », faisons que le temps procède de notre personne, un choix de vie sans céder à « l’être pressé », en prenant son temps. Soyons patients, cheminons à notre rythme intérieur, celui que la Fortune ou la Nature nous a destiné, et soyons prêts à attendre, comme ceux qui attendent le Messie depuis 4000 ans !!

 4-2 De la vitesse agressive à la lenteur, grâce d’éternité

Si la vitesse est agressivité, pouvoir, autoritarisme et impatiente, la lenteur doit être calme et patience, elle doit nous permettre de nous connecter avec nous-même et les autres.

Après la recherche du temps perdu, nous aurons le temps retrouvé et choisi, entre deux rendez-vous au labo ou chez le médecin, sans connaître l’ennui, car l’ennui vient d’une pause dans le déroulement frénétique des événements, dans ce laps de temps qu’il n’importe plus de combler dorénavant. Suite à la traversée du temps en vieillissant, nous pouvons nous libérer intérieurement du temps non cadencé à notre mesure, et entrer dans la grâce de la lenteur avoisinant l’éternité mythologique.

4-3 Retrouver l’éternité de l’instant

La lenteur n’est pas le mépris de toute espérance en « l’après », mais une religion de l’instant, sans trop de tension vers le moment à venir, sans cependant que l’espoir soit une insulte à l’instant comme disait Albert Camus.

C’est vraiment s’inscrire dans la contradiction du moment qui est à la fois instant et durée, pour en rafler et piéger tout le réel.

Bien sûr pour nous du 3ème âge les retraités, voyageurs en car sur le tard, nous demandons à l’espace ce que le temps ne peut plus nous donner; Le temps s’accélère chez les jeunes et sans nous, et le voyage nous permet de nous concentrer et recentrer.

 

Une note d’espoir en conclusion : le temps cyclique chez les aztèques, qui peut nous épargner cette fuite en avant d’un temps qui s’épuise et nous épuise, pour souscrire à une lenteur acceptée du rythme d’une vie qui toujours reviendra. :

 

Tout recommencera, comme dans le codex florentina ; « Une autre fois il en sera ainsi, une autre fois les choses seront ainsi, en un autre temps, en un autre lieu. Ce qui se faisait il y a longtemps et qui maintenant ne se fait plus, une autre fois se fera, une autre fois sera ainsi, comme cela fût en des temps très lointains. Ceux qui vivent aujourd’hui, une autre fois vivront, une autre fois seront ».

 

Cette sagesse de lenteur, et de l’éternel retour nous délivre de la peur de la disparition et de la dissolution dans le néant.

 

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Café philo du 21 octobre 2009

 

Et pour vous, quelle est la Question ?

 

La séance commence par la lecture d’un fait divers de la presse locale :

« Tentative d’homicide à la sortie d’un café philo ».

 

Discussion

 

- L’existence a-t-elle un sens ? pourquoi vivre si c’est pour souffrir ? peut-être est-ce pour apprendre, puis pour grandir et devenir meilleur…

- La violence est-elle humaine ?

- Être ou ne pas être ?

- Quelle est la vie qui m’a incarné(e) ? j’ai été élu(e) par un Dieu ou pas la loi du Chaos, pour habiter un corps, une forme. Je suis locataire de la maison de l’Être par hasard, mais pas sans sens, ou par devoir, mais alors lequel ? Devrai-je rendre des comptes en même temps que les clés ?

- Et n’oublie pas de faire l’état des lieux !

- - De la même manière qu'en sciences on observe un phénomène (par exemple le comportement d'une particule) à l'aide d'un détecteur, en philosophie, on s'interroge sur le monde, on se pose des questions sur celui-ci, on interprète le monde à l'aide d'un "Je". Un "Je" qui perçoit.
Puisque en science, on se sert d'un détecteur, et que par la connaissance que l'on a de ce détecteur, de son fonctionnement, de la compréhension de celui-ci, nous pouvons de fait comprendre le comportement atypique (par exemple d'une particule) et être certain que ce qui est observé via le détecteur est de nature recevable. C'est à dire que l'expérience n'est pas faussé par nos sens, elle n'est plus subjective. De la même manière si nous ne connaissons pas la nature de notre "Je" qui perçoit le monde, comment pouvons nous être certain que ce que nous percevons du monde est exact ? Comment être certain que notre cerveau ne nous joue pas des tours puisque notre cerveau est sans cesse enclin à l'interprétation au filtrage des informations de ce qui est perçu.
Il va de soi que notre perception des choses et par conséquent nos interrogations, sont soumis à une vision subjective qui n'engage que nous, une vision qui est dépendante de nos tribulations, de nos expériences vécues, etc. et que la  perception de ce "Je" rendra forcément compte sous un aspect émotif. Mais je pense que nous pouvons avoir une vision de la réalité de ce monde, une perception plus objective, un questionnement de fait plus objectif et moins émotif si nous connaissons la nature de ce "Je" qui perçoit. Donc pour moi ma question c'est "quel est la nature du "Je" ?"(Siegfried)

- Tu veux dire : qui est le sujet ? ou : qu’est-ce que le sujet ?

- Nous faisons une description subjective des choses, alors qu’en science, elle est objective car on connaît la nature du détecteur.

- Il existe une différence entre système physique et système humain : l’homme a une conscience, donc un traitement de l’information différent. L’homme sait qu’il sait. C’est une forme de métaconnaîssances qui autorise l’apparition de la conscience.

- Le sens, c’est nous qui le donnons. Pour Sartre, l’existence précède l’essence. Pour moi, c’est faiblesse de chercher le sens en-dehors de soi. Ma question : avons-nous la capacité de nous décaler par rapport à nous-mêmes ? Sommes-nous déterminés, influencés par notre culture, par les usages, par les coutumes ? Sommes-nous capables de nous en détacher pour changer de perspective, de point de vue ? (…) Nous sommes capables de conceptualiser ce que nous pensons à partir d’un ailleurs, mais celui-ci nous appartient aussi ; perspectives d’avenir, capacités intellectuelles de l’individu. Mon mémoire de philosophie portait sur le génie, c’est-à-dire sur une personne qui a une autre manière de voir, de raisonner… (…) Pour la violence, c’est le contraire : le violent est celui qui manifeste un refus ou montre une incapacité à changer de perspective. (…) Mais comment rester cohérent avec soi-même, alors qu’on est en permanence en train de raisonner sur deux niveaux ?

- La violence, c’est s’autoriser aussi à se faire plaisir. En général, nous optons pour la non-violence, et c’est un choix que nous avons fait à l’âge de l’adolescence. Ma question est : est-ce que l’esprit que je suis restera après moi ?

- À propos de la violence, tu poses la question du libre arbitre, et donc le problème de la responsabilité du sujet. Je pense que certains sont plus aptes à vivre en société que d’autres, qui ne savent pas se contrôler, mais ce n’est pas pour autant qu’il faille les considérer comme des salauds (cf. Sartre).

- Le libre arbitre est une des questions fondamentales de la philosophie, qui commence avec Hobbes et Rousseau (« l’homme est un loup pour l’homme »). D’après Rousseau, le libre arbitre n’existait que dans l’état de nature, qui est une hypothèse de travail qu’il a imaginée pour justifier son point de vue. D’autres philosophes ont développé le point de vue contraire. Dans tous les cas, l’homme remet sa liberté dans les mains d’un pouvoir, car le sujet isolé ne pense pas être capable de se gérer tout seul.

- C’est le but des sociétés théocratiques. Il existe pourtant des sociétés pacifiques. Pour Machiavel, deux Furies descendent du ciel : l’Avidité et l’Ambition. La clé pour une société, c’est le respect de la vie (cf. le docteur Schweitzer et le bouddhisme).

- Le dénominateur commun de la violence, c’est la peur. La peur, c’est une soustraction : on a peur qu’on nous prenne quelque chose de notre identité. La plus grande peur, c’est de ne pas être aimé. Si on pouvait en être sûr, alors il y aurait moins de violence. De même, si on pouvait écouter davantage l’autre.

- Il faut nuancer la question de la violence qui peut être physique, par manque du mot, en creux par manque de soin…. Le barbare, c’est l’autre et nous sommes toujours le barbare d’un autre. La violence n’échappe pas au problème de la perception, on peut être pacifique et être perçu comme violent par celui à qui on s’adresse.

- Ma question est la liberté : Ne plus dépendre d’un système et devenir des êtres individués, alors la force qui sera en nous protègera des agressions.

- La violence est due au manque du mot.

- La violence absolue n’est pas nécessairement vue du côté des méchants ; l’homme blanc a exterminé beaucoup d’autres peuples. Nous avons été les méchants pendant mille ans maintenant passage à d’autres. La violence est une tendance humaine innée chez certains individus. Elle augmente avec la sédentarisation, marcher rend paisible… Quant à la liberté qui ne répond plus d’un système, c’est une utopie ! La liberté, c’est être en accord avec soi même.

- La pratique du pardon permet d’éradiquer la violence …. Mais revenons à Notre Question. Je suis content de venir au café philo car on y pose des questions que je ne me serais jamais posées. Ma question est : Où trouver la joie et comment intensifier ma relation à l’autre ?

- Ma question est : Trouver ce qui manque à ma vie et, comme JL, où trouver la joie ?

- Pourquoi ne sommes nous pas plus joyeux ?

- Comment se fait-il que l’homme puisse s’exonérer d’un pouvoir et penser par lui-même ? … C’est l’histoire d’un gars qui tombe dans un puit et qui arrive à s’accrocher à une racine. Il appelle au secours. Dieu lui répond : « lâche et je te sauverai ». Le gars appelle à nouveau : « Il n’y a personne d’autre ? ».

- La vie est une sorte de maison dans laquelle nous sommes parachutés ensuite viennent les questions. Nous refusons d’assumer notre existence, de la créer. Nous voulons que ce soit fait par quelqu’un qui vienne de l’extérieur.

- Lorsque j’ai lu le sujet dans la presse, j’avais compris que c’est la Question de chacun qui devait être posée. Ma question concerne les ambiguïtés du langage, comment fonctionne les dialogues et comment la communication passe. Que faire pour mieux se comprendre et mieux communiquer ?

- C’est notre ego qui nous empêche de mieux communiquer.

- Chacun d’entre nous aurait pu poser des questions sur le compte rendu de presse lu en début de séance. Le prévenu disait-il la vérité ?

- Je pense que cette séance engendrera beaucoup de frustrations. N’eut-il pas été préférable de faire un tour de table et que chacun pose Sa Question ?

- Ma question : Le temps me tracasse depuis au moins quarante ans ! Comment entrer dans une dimension temporelle non horizontale, plutôt sphérique. La musique ne suffit pas.

- Pour ma part, ce qui m’interroge c’est l’origine de la force de vie. Pourquoi sommes nous si inégaux devant l’envie de vivre ? Pourquoi dans des situations dramatiques certains s’en sortent et d’autres restent sur le carreau. Qu’est-ce qui les rend plus forts ?

- Ma question : Comment aboutir à l’accomplissement  de sa vie ? C'est-à-dire comment devenir une fin pour soi. Ce n’est pas le libre arbitre mais un retour sur soi, apprendre à accepter notre finitude, à accepter qu’on sera confronté à la douleur. C’est en acceptant cela que je serai capable de me dépasser.

- La douleur des autres nous affecte car elle nous renvoie à la nôtre.

- Il reste maintenant une question : La philosophie pourra-t-elle répondre à toutes ces questions ?

 

Pascale

 

 

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question

 

Comment aller vers la joie ? : Clément Rosset, La force majeure (Éd. de Minuit - 1983)

 

L'homme joyeux se réjouit certes de ceci ou de cela en particulier ; mais à l'interroger davantage on découvre vite qu'il se réjouit aussi de tel autre ceci et de tel autre cela, et encore de telle et telle autre chose, et ainsi de suite à l'infini. Sa réjouissance n'est pas particulière mais générale : il est "joyeux de toutes les joies".
Il y a dans la joie un mécanisme approbateur qui tend à déborder l'objet particulier qui l'a suscitée pour affecter indifféremment tout objet et aboutir à une affirmation du caractère jubilatoire de l'existence en général. La joie apparaît ainsi comme une approbation inconditionnelle de toute forme d'existence présente, passée ou à venir.
L'homme véritablement joyeux se reconnaît paradoxalement à ceci qu'il est incapable de préciser de quoi il est joyeux. Il n'est aucun bien du monde qu'un examen lucide ne fasse apparaître en définitive comme dérisoire et indigne d'attention, ne serait-ce qu'en considération de sa constitution fragile, de sa position à la fois éphémère et minuscule dans l'infinité du temps et de l'espace. L'étrange est que cependant la joie demeure, quoique suspendue à rien et privée de toute assise... La joie constitue ainsi toujours une sorte d'"en plus", et c'est cet en plus que l'homme joyeux est incapable d'expliquer et même d'exprimer... Perdue entre le trop et le trop peu à dire, l'approbation de la vie demeure à jamais indicible ; toute tentative visant à l'exprimer se dissout nécessairement dans un balbutiement.
La joie, telle la rose dont parle Angelus Silesius dans le Pèlerin chérubinique, peut à l'occasion se passer de toute raison d'être... c'est même peut-être dans la situation la plus contraire, dans l'absence de tout motif raisonnable de réjouissance, que l'essence de la joie se laissera le mieux saisir... L'accumulation d'amour en quoi consiste la joie est au fond étrangère à toutes les causes qui la provoquent, même s'il lui arrive de ne devenir manifeste qu'à l'occasion de telle ou telle satisfaction particulière... Elle apparaît ainsi comme indépendante de toute circonstance propre à la provoquer (comme elle est aussi indépendante de toute circonstance propre à la contrarier).
Aucun objet ne saurait à lui seul rendre joyeux. Ou plutôt, il arrive bien à un objet quelconque de rendre joyeux : mais le sort paradoxal d'un tel objet est de donner alors plus qu'il n'a effectivement à donner, plus que ce qu'il possède objectivement... La joie est un plein qui se suffit à lui-même et n'a besoin pour être d'aucun apport extérieur... Elle ne se distingue en aucune façon de la joie de vivre, du simple plaisir d'exister : un plaisir plutôt pris au fait qu'il y ait de l'existence en général qu'au fait de son existence personnelle.
La saveur de l'existence est celle du temps qui passe et change, du non-fixe, du jamais certain, inachevé ; c'est d'ailleurs en cette mouvance que consiste la meilleure et plus sûre permanence de la vie... Le charme de l'automne, par exemple tient moins au fait qu'il est l'automne qu'au fait qu'il modifie l'été avant de se trouver à son tour modifié par l'hiver.
La langue courante en dit beaucoup plus long qu'on ne pense lorsqu'elle parle de "joie folle" ou déclare de quelqu'un qu'il est "fou de joie". Tout homme joyeux est nécessairement et à sa manière un déraisonnant. Mais il s'agit là d'une folie qui permet d'éviter toutes les autres, de préserver de l'existence névrotique et du mensonge permanent. À ce titre elle constitue la grande et unique règle du savoir-vivre.
Reste que ce secours de la joie demeure à jamais mystérieux, impénétrable aux yeux mêmes de celui qui en éprouve l'effet bienfaisant. Car au fond rien n'a changé pour lui et il n'en sait pas plus long qu'avant : il n'a aucun argument nouveau à invoquer en faveur de l'existence, et cependant il tient désormais la vie pour indiscutablement et éternellement désirable.
Tout ce qui ressemble à de l'espoir, à de l'attente, constitue un défaut de force, un signe que l'exercice de la vie ne va plus de soi, se trouve en position attaquée et compromise. Un signe que le goût de vivre fait défaut et que la poursuite de la vie doit dorénavant s'appuyer sur une force substitutive : non plus sur le goût de vivre la vie que l'on vit, mais sur l'attrait d'une vie autre et améliorée que nul ne vivra jamais... A l'opposé, la joie constitue la force par excellence, ne serait-ce que dans la mesure où elle dispense précisément de l'espoir, la force majeure en comparaison de laquelle toute espérance apparaît comme dérisoire, substitutive, équivalant à un succédané et à un produit de remplacement.

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aller joie

 

CAFÉ DE PHILOSOPHIE - 09.09.2009  -  Jean Louis Goepp

 

POURQUOI LA POESIE ?
 

Chers amis,
 

Pourquoi la poésie ? J'ai réponse à la question.
 

Pourquoi la poésie ? Partageons, tout d'abord, quelques lieux communs.

Poésie du grec poiein : faire, créer.
 

• Premier lieu commun : la poésie est affirmation

La poésie est affirmation, affirmation de soi, affirmation du monde, affirmation du langage. La poésie est prétention. La poésie est usurpation.

La poésie a la fièvre. On a pu la définir comme étant la « recherche par l'âme de sa libération par le langage ».

On peut même dire que la poésie est effraction. J'appelle à ce lieu commun de poète :

   - AUDIBERTI: « un poète est celui qui se prétend tel et le prouve en écrivant des poèmes et en les faisant publier ».

   - Paul ELUARD : « le poème a pour titre:
 

LA POESIE DOIT A VOIR POUR BUT LA VERITE PRATIQUE
 

Le poème est dédié : « A mes amis exigeants ».

Voici ce qu'affirme :

 

« Si je vous dis que le soleil dans la forêt

Est comme un ventre qui se donne dans un lit
Vous me croyez vous approuvez tous mes désirs

 

Si je vous dis que le cristal d'un jour de pluie
Sonne toujours dans la paresse de l'amour
Vous me croyez vous allongez le temps d'aimer

 

Si je vous dis que sur les branches de mon lit
Fait son nid un Oiseau qui ne dit jamais oui
Vous me croyez vous partagez mon inquiétude

 

Si je vous dis que dans le golfe d'une source
Tourne la clé d'un fleuve entr'ouvrant la verdure
Vous me croyez encore plus vous comprenez

... »

Vous le voyez la poésie est affirmation.
 

• Deuxième lieu commun : la poésie est connaissance

Au soutien de ce lieu commun, j'invoque immédiatement le poète et le poème. Le Poète en la personne de Saint John PERSE. Le poème AMERS — long poème, on pourrait dire un chant — d'environ 130 pages est conçu comme introduit par une "invocation", ayant pour centre une « strophe », magnifié par une partie titrée "chœur" et ultimement achevé par une courte "dédicace".
 

L'invocation d'AMERS consiste pour le poète à collationner, à rassembler et même à convoquer tout ce qui est utile au poème. Son ultime invocation, la voici :
 

«Et vous, qu'êtes-vous donc, ô Sages ! pour nous réprimander, ô Sages ? Si la fortune de mer nourrit encore, en sa saison, un grand poème hors de raison, m'en refuserez-vous l'accès ? Terre de ma seigneurie, et que j'y entre, moi ! n'ayant nulle honte à mon plaisir ... » « Ah ! qu'un Scribe s'approche et je lui dicterai ... » Et qui donc, né de l'homme, se tiendrait sans offense aux côtés de ma joie ? - Ceux-là qui, de naissance, tiennent leur connaissance au-dessus du savoir ».
 

Ce que je viens de vous dire appelle un court commentaire: ainsi le Sage est susceptible de réprimander le poète : le poème se situe hors la sagesse. Je n'insisterai pas sur la métaphore évidente : « la fortune de mer nourrit en sa saison ».

Notons que le poème est "hors de raison" , qu’il est "terre de seigneurie" du poète. (Saint John PERSE parlera dans le corps du poème d'usurpation). L'écriture du poème est subordonnée à l'idée du poème.
 

Plaisir de la création du poème, joie du poème créé. Et qui donc peut partager avec le poète : ceux-là qui de naissance tiennent leur connaissance
au-dessus du savoir. Comment mieux dire que le poème est, non pas accès au savoir, mais accès à la connaissance. Autant dire que le poème s'adresse à nos sens et que ne pas faire offense au poète consiste à incorporer poème.

Oui, le poème est connaissance.
 

Ainsi l'a dit également Michel CAMUS :
 

« Et si le poème s'écrivait sans sortir du silence,
conspirant en silence contre son propre silence
arrachant à la nuit d'illisibles mots de passe
pour que s'ouvrent les portes de la nuit ... »

 

Ouvrir les portes de la nuit : tel est le propos du poète. La nuit est la grande affaire du poète. J'y reviendrai.
 

•Troisième lieu commun : la poème est émotion

Plus que l'événement, ce qui importe c'est le flux, la somme d'émotions qui lit l'événement à ce qu'il y a de plus grave et de plus profond en nous.

Nous avons tous fait cette expérience : nous sentons la beauté d'un poème avantde penser à sa signification.

Pour autant, la poésie n'est pas dans l'effusion du sentiment, dans la surabondance de l'effet mais dans la plus grande CONDENSATION de ce que nous sommes.

J'aurai à vous l'illustrer incessamment.
 

•Quatrième lieu commun : la poème est licorne

Cet animal fabuleux, cette sorte de biche à tête de narval, existe-t-il ? On sait bien que les marins qui l'ont rencontré disent qu'il existe et que ceux qui ne l'ont pas rencontré disent qu'il n'existe pas.

Telle est la poésie.
 

- La poésie est dissociée d'une société soumise aux servitudes matérielles. Le poète est asocial et maudit.
 

Ainsi dit René CHAR :

« Le poète, on le sait, mêle le manque et l'excès, le but et le passé. D'où l'insolvabilité de son poème. Il est dans la malédiction, c'est à dire qu'il assume de perpétuels et renaissants périls, autant qu'il refuse, les yeux ouverts, ce que d'autres acceptent, les yeux fermés : le profit d'être poète ».
 

- A ceux qui n'ont pas vu la licorne, je dis ceci : la poésie n'est pas obscure parce qu'on ne la comprend pas mais parce qu'on n'en finit pas de la comprendre ; celui qui est pris de poésie, la débusquera partout où elle émerge.

Si vous entendez au hasard d'une chanson : quand son ventre fut rond / en riant aux éclats / elle me dit allons, jubile, ce sera un garçon / et te voilà Cécile, ma fille. C'est un poème.

 

- Surprise du poème et émotion poétique quant au détour d'un chemin vicinal, en vacances, en famille, dans le Périgord est un chemin de croix dans une chapelle vanté par un prospectus ouvert sur un lutrin. Le chemin de croix est l'œuvre d'un artiste local. Il présente des panneaux en fonte suivant un dessin stylisé, illustrés par les écrits de CLAUDEL sur la passion. J'y ai lu : « délivrez-nous aussi Seigneur du désespoir ! Rien n'est encore perdu, il nous reste la mort à boire ». nous surprendre partout, la poésie est à même.
 

Ainsi l'est-elle même au Professeur de droit qui pose comme examen : la situation juridique du gérant dans la responsabilité limitée en précisant : les étudiants auront le soin de distinguer suivant que le gérant est ou non associé suivant qu'il est ou non titulaire d'un contrat de travail et d'exposer les conséquences juridiques de chaque cas.

Voici la copie qui lui fut en cette occurrence remise :
 

« J'aurais pu vous parler d'automne écarlate
vous dire l'angoisse de la feuille

et la peur du fruit mûr

vous parler aussi du murmure du vin
de ses bouillonnements mystérieux

vous parler encore du froid qui revient
de la joie du fauteuil usé

d'une petit musique de nuit

mais vous me demandez :

"la situation juridique du gérant dans la société à responsabilité limitée"

je ne suis pas gérant

et ma responsabilité est totale

je ne sais rien »
 

Surgissement du poème au coeur de la sévérité de la norme !
 

• Cinquième lieu commun : quant à l'objet de la poésie


Quel est l'objet de la poésie : c'est l'image poétique, c'est l'étonnement, c'est la révélation. Il convient immédiatement d'illustrer ces propos par la lecture de deux poèmes.

 

1 - Le premier étonnement sera illustré par Paul ELUARD.
 

Nous connaissons tous cette métaphore précieuse et usée qui consiste pour le poète à comparer l'éclat de sa belle à l'éclat du soleil en précisant que le soleil est pâle devant son visage.

De cette métaphore usée, voici ce qu'en fait Paul ELUARD
 

«Le soleil aveuglant te tient lieu de miroir

Et s'il semble obéir aux puissances du soir

C'est que ta tête est close, ô statue abattue.

Par mon amour et par mes ruses de sauvage. »
Et il ajoute :

«Mon désir immobile est ton dernier soutien

Et je t'emporte sans bataille, ô mon image,

Rompue à ma faiblesse et prise dans mes liens. »
 

Je vais ajouter à votre étonnement : le poème est titré : L'EGALITE DES SEXES.
Voici le poème en entier : L'EGALITE DES SEXES

 

«Tes yeux sont revenus d'un pays arbitraire
Où nul n'a jamais su ce que c'est qu'un regard
Connu la beauté des yeux, beauté des pierres,

Celle des gouttes d'eau, des perles en placards,

Des pierres nues et sans squelette, ô ma statue...

Le soleil aveuglant te tient lieu de miroir

Et s'il semble obéir aux puissances du soir

C'est que ta tête est close, ô statue abattue.

Par mon amour et par mes ruses de sauvage.

Mon désir immobile est ton dernier soutien

Et je t'emporte sans bataille, ô mon image,

Rompue à ma faiblesse et prise dans mes liens.»
 

2 , Et voici de René CHAR quelques révélations :

«Le réel parfois abreuve l'espérance. C'est pourquoi contre toute attente l'espérance survit ».
 

Toujours de René CHAR :
«Le passé retarderait l'éclosion du présent si nos souvenirs érodés n'y sommeillaient sans cesse ».

 

II - Pourquoi la poésie ? Oyez, Oyez, chers amis, j'ai réponse à la question.
 

Voici le temps des vérités osées
 

- Le poète et le scientifique ont des affinités secrètes : le poète partage avec le scientifique la même interrogation, le même abîme. Comme le poète, tout scientifique invoque l'intuition au secours de la raison , comme le scientifique, tout poète sait que l'imagination est le vrai terrain de germination.
 

- EINSTEIN revendique pour le savant le bénéfice d'une véritable vision artistique. Tel est le poète. Toute création, toute conjecture, toute intuition est un sursaut de l'esprit ; est, d'abord, poétique.
 

La relation mystérieuse du scientifique et du poète ne s'arrête pas là : la science et la poésie partagent un commun mystère et explorent l'infini :

«Et de cette nuit originelle où tâtonnent deux aveugles-nés, l'un équipé de l'outillage scientifique, l'autre assisté des seules fulgurations de l'intuition, qui donc plus tôt remonte, et plus chargé de brève phosphorescence? La réponse n'importe. Le mystère est commun » (Saint John PERSE — allocution au banquet Nobel du 10.12.1960)

Il importe ici de dire que le poète, comme le poème, ont rapport à la nuit.
 

Il est question ici de cette scène dont nous sommes nés, à laquelle nous n'étions pas : il s'agit de la nuit sexuelle qui nous rapporte à une autre nuit : la nuit étoilée, celle de nos rêves, et à une autre nuit : la nuit cosmique d'où nous venons, et une autre nuit : la nuit infernale où nous allons. Et si c'est cette nuit sexuelle qui exerce sur l'homme fascination et effroi, qui fait de l'homme un regard désirant qui cherche une autre image derrière tout ce qu'il voit, c'est à la poésie, éminemment, d'en rendre compte.
 

Mais là s'arrêtent les ressemblances : à l'opposé de tout langage, le poème s'investit d'une sur-réalité. Son langage transcende le langage :

- Par la pensée analogique et symbolique ; par le jeu des images et des correspondances , par le jeu d'association et les ellipses, le langage poétique fait de la poésie la fille de l'étonnement et investit le poète et le poème d'une sur-réalité.

- Qu'il soit posé très fort aussi ici que le poète est une part irréductible de l'homme. Que le poète existait dans l'homme des cavernes, que l'exigence poétique est une exigence spirituelle dont sont nées les religions elles-mêmes.
 

Il importe peu que les dessins de la grotte de Lascaux soient œuvres picturales l'idée qui y préside est d'essence poétique.
 

Au seuil de l'humanité, l'homme surprit par la foudre aura recours à la pensée magique : c'est mouvement de poète.
 

- La poésie reste à travers les âges fidèle à son office qui est l'approfondissement du mystère de l'homme. Elle s'allie la beauté, elle est action, l'amour est son foyer. Elle est du côté de l'espérance.
 

Nous savons bien et il a été dit ici au Café de Philosophie combien un regard lucide sur le monde nous porte à être saisi d'horreur, si nous n'options pour l'espérance. C'est au poète de dire la place de l'homme dans le camp de l'espérance.
 

- La poésie adhère à ce qui est. Le poète assure la liaison avec la permanence et l'unité de l'être. Elle est leçon d'optimisme et d'harmonie. Au plus profond du drame, le poète dit son goût de vivre, ce temps fort qui est le sien.
 

Le poète est dans l'Histoire. La tragédie de l'Histoire est une grande phase pour l'homme en voie de création. Le drame du siècle est dans l'écart qu'on laisse croire entre l'homme temporel et l'homme intemporel. C'est au poète INDIVIS d'attester la double vocation de l'homme, de le rendre plus sensible à ses chances spirituelles.

 

III - Il me reste, chers amis, à vous dire et à vous convaincre que la poésie est musique ;que la poésie est langage.

La poésie et la musique ont de tout temps connu des rapports de sororité, de complémentarité. Que cela me soit l'occasion d'évoquer MALLARMÉ, à deux occurrences.

 

1) C'est tout d'abord la création laborieuse mais si hautaine du poème UN COUP DE DÉS JAMAIS N'ABOLIRA LE HASARD. MALLARMÉ a tenu à figurer dans un ouvrage le poème avec des blancs qui ajoute à la versification en sorte que dit-il :

«  de cet emploi à nu de la pensée avec retraits, prolongements, fuites où son dessin même résulte, pour qui veut lire à haute voix, une partition. » (préface de MALLARMÉ à son poème).

2) Il vous est connu aussi qu'avant rédigé son poème « L'après-midi d'un faune « DEBUSSY écrivit

« Prélude à l'après-midi d'un faune »que MALLARMÉ par la suite honora d'un quatrain. C'est l'occasion ici de vous rappeler les vers et d'éclaircir davantage le mystère de la musique et de la poésie. MALLARMÉ donc écrit :
«Réfléchissons...

 ou si les femmes dont tu gloses

Figurent un souhait de tes sens fabuleux !

0 bords siciliens d'un calme marécage

Qu'à l'envi des soleils ma vanité saccage

Tacite sous les fleurs d'étincelles,

CONTEZ

"Que je coupais ici les creux roseaux domptés

Par le talent ; quand, sur l'or glauque de lointaines

Verdures dédiant leur vigne à des fontaines,

Ondoie une blancheur animale au repos :

Et qu'au prélude lent où naissent les pipeaux

Ce vol de cygnes, non ! de naïades se sauve

Ou plonge... "

 Inerte, tout brûle dans l'heure fauve

Sans marquer par quel art ensemble détala

Trop d'hymen souhaité de qui cherche le la... »
 

Léonard BERNSTEIN, qui enseigna la musique aux enfants de riches de New-York, leur expliquait que DEBUSSY ayant rencontré ce vers « l'hymen souhaité de qui cherche le la », ce fut l'émotion qui lui dicta la musique.

 

Qu'il me soit permis d'évoquer quelques vers qui font suite:

«Mais, bast ! arcane tel élut pour confident
Le jonc vaste et jumeau dont sous l'azur on joue
Qui, détournant à soi le trouble de la joue,
Rêve, dans un solo long, que nous amusions
La beauté d'alentour par des confusions
Fausses entre elle-même et notre chant crédule
Et de faire aussi haut que l'amour se module
Évanouir du songe ordinaire de dos

Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos,
Une sonore, vaine et monotone ligne. »

 

Cette belle rencontre a une conclusion poétique.

Voici le quatrain que MALLARMÉ dédia à DEBUSSY :
 

«Sylvain d'haleine première
Si la flûte a réussi

Ouïs toute la lumière

Qu'y soufflera Debussy. »
 

Ce que la musique peut apporter à l'homme sensible, la poésie le lui donne aussi.
 

- C'est André TUBEUF, musicologue, qui dit que c'est par la musique qu'il lui a été donné d'acquiescer à ce que KANT appelle apodictique qui est déjà en partie contenu chez PLATON et qu'il exprime ainsi : « l'homme est capable de Dieu ; nos sens ne nous ont pas été donnés pour notre égarement. »

- C'est Pierre BOULEZ qui atteste de rapports avec la poésie mais aussi avec la peinture aussi poétique de Paul KLEE. Poésie et musique se rencontrent en un certain lieu de l'esprit : il s'agit de cette arborescence de translations invisibles qui se tissent à la racine de la pensée créatrice.
 

Tout ce que j'énonce ici, je dois le prouver en vous disant  quatre poèmes choisis, mais il me reste encore à vous dire que la poésie est langage.
 

Antonin ARTAUD disait : « J'ai perdu l'usage des tours par lesquels on s'exprime et qui traduisent jusqu'au plus infime mouvement de la pensée ».

Nous pouvons prendre à notre compte ce regret d'Antonin ARTAUD, déchus que nous sommes tous du paradis ou sans doute existait un langage parfait. Il a été dit ici, au Café de Philosophie, que le langage traduit en même temps qu'il trahit la pensée. C'est là toute son imperfection. Qu'il soit redit ici que la poésie accède à une sur-réalité et que, par la spécificité du poème, la pensée analogique et symbolique ; le jeu d'images et de correspondances le jeu d'associations et d'ellipses, la métaphore, la poésie hautaine permet au poète d'accéder au un de l'être que le discours fragmente.

 

Voici ce qu'en dit BONNEFOY :

«C'est un fait que les poèmes en français, au moins les plus grands, ont une visée qui leur est propre. Ils expriment moins un sentiment ou une pensée qu'ils ne cherchent à rencontrer la langue en sa structure de langue pour y transgresser les façons discursives qu'elle a de signifier la réalité, et accéder de cette façon plus abrupte mais la plus directe à l'indéfait de ce qui est, à cet Un du monde qu'a fragmenté le discours ».

 

IV - Quatre poèmes : Saint John PERSE , René CHAR, Paul VALERY, Paul ELUARD.
 

- Saint John PERSE : CHANTÉ PAR CELLE QUI FUT LA (fragments) :

«Amour, ô mon amour, immense fut la nuit, immense notre veille où fut tant d'être consumé.

Femme vous suis-je, et de très grand sens, dans les ténèbres du coeur d'homme.

La nuit d'été s'éclaire à nos persiennes closes ; le raisin noir bleuit dans les campagnes ; le câprier des bords de route montre la rose de sa chair et la senteur du jour s'éveille dans vos arbres à résine.

Femme vous suis-je, ô mon amour, dans les silences du coeur d'homme.

Femme vous suis-je, et de grand songe, dans tout l'espace du coeur d'homme : demeure ouverte à l'éternel, tente dressée sur votre seuil, et bon accueil fait à la ronde à toutes promesses de merveilles.

Femme vous suis je, ô mon amour, en toutes fêtes de mémoire. Écoute, écoute, ô mon amour, le bruit que fait un grand amour au reflux de la vie.

Toutes choses courent à la vie comme courriers d'empire.

Les filles de veuves à la ville se peignent les paupières ; les bêtes blanches du Caucase se payent en dinars ; les vieux laqueurs de Chine ont les mains rouges sur leurs jonques de bois noir; et les grandes barques de Hollande embaument le girofle. Portez, portez, ô chameliers, vos laines de grand prix aux quartiers de foulons. Et c'est aussi le temps des grands séismes d'Occident, quand les églises de Lisbonne, tous porches béant sur les places et tous retables s'allumant sur fond de corail rouge, brûlent leurs cires d'Orient à la face du monde... Vers les Grandes Indes de l'Ouest s'en vont les hommes d'aventure.

Ô mon amour du plus grand songe, mon coeur ouvert à l'éternel, votre âme s'ouvrant à l'empire,

Que toutes choses hors du songe, que toutes choses par le monde nous soient en grâce sur la route !

La Mort au masque de céruse se montre aux 'J'tes chez les Noirs, la Mort en robe de griot changerait-elle de dialecte ?... Ah! toutes choses de mémoire, ah! toutes choses que nous sûmes, et toutes choses que nous fûmes, tout ce qu'assemble hors du songe le temps d'une nuit d'homme, qu'il en soit fait avant le jour pillage et fête et feu de braise pour la cendre du soir ! - mais le lait qu'au matin un cavalier tartare tire du flanc de sa bête, c'est à vos lèvres, ô mon amour, que j'en garde mémoire. »

pourquoi poesie

-  René CHAR : LE MARTINET

«Martinet aux ailes trop larges, qui vire et crie sa joie autour de la maison. Tel est le cœur.

Il dessèche le tonnerre. Il sème dans le ciel serein. S'il touche le sol, il se déchire.

Sa repartie est l'hirondelle. Il déteste la familière. Que vaut dentelle de la tour ?

Sa pause est au creux le plus sombre. Nul n'est plus à l'étroit que lui.

L'été de la longue clarté, il filera dans les ténèbres, par les persiennes de minuit.

Il n'est pas d'yeux pour le tenir. Il crie, c'est toute sa présence. Un mince fusil va l'abattre. Tel est le cœur. »
 

- Paul VALERY : LES PAS

« Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance

Procèdent muets et glacés.
 

Personne pure, ombre divine,

Qu'ils sont doux, tes pas retenus
Dieux !... tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !

 

Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l'apaiser,
A l'habitant de mes pensées
La nourriture d'un baiser,

 

Ne hâte pas cet acte tendre,

Douceur d'être et de n'être pas,
Car j'ai vécu de vous attendre,

Et mon coeur n'était que vos pas. »
 

- Paul ELUARD : NOTRE MOUVEMENT

«Nous vivons dans l'oubli de nos métamorphoses
Le jour est paresseux mais la nuit est active
Un bol d'air à midi la nuit le filtre et l'use
La nuit ne laisse pas de poussière sur nous

 

Mais cet écho qui roule tout le long du jour

Cet écho hors du temps d'angoisse ou de caresses
Cet enchaînement brut des mondes insipides
Et des mondes sensibles son soleil est double

 

Sommes-nous près ou loin de notre conscience
Où sont nos bornes nos racines notre but

Le long plaisir pourtant de nos métamorphoses
Squelettes s'animant dans les murs pourrissants
Les rendez-vous donnés aux formes insensées
A la chair ingénieuse aux aveugles voyants

 

Les rendez-vous donnés par la face au profil
Par la souffrance à la santé par la lumière
A la forêt par la montagne à la vallée
Par la mine à la fleur par la perle au soleil

 

Nous sommes corps à corps nous sommes terre à terre

Nous naissons de partout nous sommes sans limites »
 

Sans doute, du poème avez-vous entendu la musique, la condensation, l'interrogation sur la nuit et toutes choses qui font de la poésie un discours sur l'être.
 

Il me reste à vous remercier et à vous apostropher comme je l'ai annoncé.

 

Chers amis, qui m'avez oui, merci ! Après toutes ces impudeurs, je me sens plus léger.
 

Et voici que RAIMBAULT vous apostrophe par ma voix. Soyez prévenus que l'ayant entendu, René CHAR a écrit : « il faut que je change ma règle de vie ». Et voici le terrible questionnement de RAIMBAULT :
 

«Ce peut-il qu'un jour de succès nous endorme sur la honte de notre inhabileté fatale ? »

 

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Totalitarisme par Hannah Arendt -  Extrait de « Le système totalitaire »


[…] le totalitarisme diffère par essence des autres formes d’oppression politique que nous connaissons, comme le despotisme, la tyrannie et la dictature. Partout où celui-ci s’est hissé au pouvoir, il a engendré des institutions politiques entièrement nouvelles, il a détruit toutes les traditions sociales, juridiques et politiques du pays. Peu importent la tradition spécifiquement nationale ou la source spirituelle particulière de son idéologie : le régime totalitaire transforme toujours les classes en masses, substitue au système des partis, non pas des dictatures à parti unique, mais un mouvement de masse, déplace le centre du pouvoir de l’armée à la police, et met en œuvre une politique étrangère visant ouvertement à la domination du monde. Les régimes totalitaires actuels sont nés des systèmes à parti unique ; chaque fois que ces derniers sont devenus vraiment totalitaires, ils se sont mis à agir selon un système de valeurs si radicalement différent de tous les autres qu’aucune de nos catégories utilitaires, que ce soient celle de la tradition, de la justice, de la morale, ou de celles du sens commun, ne nous est plus d’aucun secours pour nous accorder à leur ligne d’action, pour la juger ou pour la prédire.

Il est dans la nature même des régimes totalitaires de revendiquer un pouvoir illimité. Un tel pouvoir ne peut être assuré que si tous les hommes littéralement, sans exception aucune, sont dominés de façon sûre dans chaque aspect de leur vie. Dans le domaine des affaires étrangères, les nouveaux territoires neutres ne doivent jamais cesser d’être soumis, tandis qu’à l’intérieur, des groupements humains toujours nouveaux doivent être domptés par l’expansion des camps de concentration, ou, quand les circonstances l’exigent, être liquidés pour faire place à d’autres. Le problème de l’opposition est sans importance, tant dans les affaires étrangères qu’intérieures. Toute neutralité, toute amitié même, dès lors qu’elle est spontanément offerte, est, du point de vue de la domination totalitaire, aussi dangereuse que l’hostilité déclarée : car la spontanéité en tant que telle, avec son caractère imprévisible, est le plus grand de tous les obstacles à l’exercice d’une domination totale sur l’homme. Aux communistes des pays non communistes qui se réfugièrent ou furent appelés à Moscou, une amère expérience apprit qu’ils constituaient une menace pour l’Union soviétique. Les communistes convaincus sont en ce sens, qui est le seul à avoir quelque réalité aujourd’hui, aussi ridicules et aussi menaçants aux yeux du régime russe que les nazis convaincus de la faction Röhm l’étaient par exemple pour les nazis.

Ce qui rend si ridicules et si dangereuses toute conviction et toute opinion dans la situation totalitaire, c’est que les régimes totalitaires tirent leur plus grande fierté du fait qu’ils n’en ont pas besoin, non plus que d’aucune forme de soutien humain.

 

Les hommes, dans la mesure où ils sont plus que la réaction animale, et que l’accomplissement des fonctions, sont entièrement superflus pour les régimes totalitaires. Le totalitarisme ne tend pas vers un règne despotique sur les hommes, mais vers un système dans lequel les hommes sont superflus. Le pouvoir total ne peut être achevé et préservé que dans un monde de réflexes conditionnés, de marionnettes ne présentant pas la moindre trace de spontanéité. Justement parce qu’il possède en lui tant de ressources, l’homme ne peut être pleinement dominé qu’à condition de devenir un spécimen de l’espèce animale homme.

 

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« Le fait religieux est-il une forme d’immaturité ? »

Discussion du café philo du 8 juillet 2009

 

 

· Quels sont les rapports entre religion et immaturité ? L’immaturité fait référence à une personne qui ne veut pas grandir, qui refuse d’être autonome, qui a peur et qui ne contrôle pas ses émotions. Cet individu est attiré par les contes et les faits mystérieux. Dans la religion, la tutelle de Dieu remplace celle du père, la peur de la mort disparaît car la vie éternelle suit la vie terrestre et on devient immortel. Les contes de fées et la religion se référent à des faits irréels, féeriques, fantastiques. L’immaturité est consubstantielle à la nature humaine (Gombrowicz) donc, la religion ne disparaîtra jamais. L’axolotl, petit batracien du Mexique, se reproduit à l’état larvaire ceci démontre que l’immaturité n’empêche pas la survie d’une espèce. Pour Lapassade l’homme est inachevé et c’est ce qu’on appelle la néoténie. L’immaturité est-elle une force ou une faiblesse ? Cette faiblesse est caractérisée par un manque d’autonomie mais peut être aussi une force en préservant l’esprit d’enfance comme le montre Bernanos.

· La néoténie correspond à un développement incomplet à la naissance. Dans un souci d’économie de plusieurs mois de grossesse, le système nerveux est immature lorsque l’enfant vient au monde et c’est seulement vers l’âge de 18 à 24 mois, avec la marche et la parole, qu’il devient « complet ». Le développement ultérieur est donc très important et c’est ce qui laisse le champ à la culture pour s’instaurer. C’est cette aptitude qui nous permet d’aboutir à la sculpture de nous-même.

· En histoire on enseigne le fait religieux. L’athée pense que la religion est pensée par l’homme. Chaque religion a sa caractéristique, on parle de la loi pour la religion juive, de l’amour pour la religion chrétienne. L’apport du texte religieux dans la pensée humaine ne montre pas d’immaturité dans la religion. Par contre c’est l’utilisation de la religion par les hommes qui peut être critiquée. Par exemple on se sert des textes religieux pour lutter contre l’angoisse.

· L’homme se crée un référent transcendantal. Il se garde en cherchant à l’extérieur de lui un être transcendantal pour se protéger. L’homme a quelque chose en lui qui n’est pas de ce monde, cela lui permet de faire cette démarche symbolique.

· Référent transcendantal d’Heidegger. La religion est source d’un dogmatisme puissant même sans référence à un dieu.

· Il y a une confusion entre immaturité et prématurité. L’immaturité ne va pas avec l’enfant qui naît prématuré, il a besoin de l’apprentissage pour devenir mature. L’immaturité serait plutôt un dysfonctionnement à prendre au sens pathologique. Nous avons le souci de vouloir faire de la religion quelque chose qui s’explique par le fonctionnement mental. La religion, c’est d’abord une question. Qu’est ce qui est transcendantal ?

· La religion c’est l’institution d’un ordre dont nous avons besoin. C’est un ordre esthétique mais pas spirituel, c’est une quête de noblesse.

· Si la religion est une idée qui dure depuis plus de 2000 ans et qui tient le coup, c’est qu’on ne peut l’imposer par la force. Elle est un garde-fou contre l’idolâtrie, celle-ci est immature, contrairement à la religion qui possède des préceptes et des dogmes de valeur.

· Nous sommes tranquilles : Dieu est mort et Michael Jackson aussi !

· Il y a plusieurs formes d’idolâtrie, le christianisme en est une aussi.

· … C’est une affaire qui a commencé avec un âne.

· C’est la peur du vide qui a conduit à la religion.

· Notre esprit est immature : lire le même livre pendant plus de 5000 ans ! N’est-ce pas abêtissant ?… pour mieux circonscrire le sujet.

· On lit aussi l’Iliade depuis 3000 ans, avec toujours autant d’intérêt.

· La religion juive est basée sur la Torah et le Talmud, le texte et ses interprétations. Les commentaires sans cesse renouvelés font partie intégrante de la tradition de pensée inspirée par le texte. Mais parfois on s’en éloigne.

· La religion c’est se lier à Dieu. Elle est indissociable de l’ordre social et c’est aussi une connexion pour en sortir car celui-ci emprisonne l’homme. Sans comportement adéquat à l’autre, on reste immature et non responsable dans notre rapport à l’autre comme autre. L’homme possède une dimension supra mentale, une capacité à créer des valeurs. La religion chrétienne comporte de bonnes idées comme celle d’émancipation. Jésus a émancipé la femme. Les valeurs chrétiennes précèdent la laïcité, c’est ce qui nous a permis de construire l’Europe d’aujourd’hui.

· Si on considère que la religion est immature on pourrait en dire autant de la société !

· Les valeurs chrétiennes ont été métabolisées et sécularisées par les Lumières. En germe, le christianisme est porteur d’émancipation ce qui nous a permis de sortir de la religion.

· Les religions primitives avaient déjà en elles des valeurs modernes. Le droit d’usure était proscrit dans les lois mosaïques et dans celles du Japon ancien. Scientisme, évolutionnisme, créationnisme … sont des idéologies immatures.

· L’Unesco dénombre plus de 120 religions. L’Éducation Nationale enseigne le fait qu’il existe des idées religieuses ; cela marque une évolution historique. Le fait même d’inventer des dieux montre que les hommes primitifs n’étaient pas immatures et le passage du polythéisme au monothéisme renforce cette idée. La question reste : pourquoi les hommes ont étés conduit à créer des religions ?

· Par peur de la finitude et de la mort.

· La religion est utilisée pour dépasser la nature humaine, pour lutter contre la peur. L’homme a besoin de quelque chose qui l’élève, d’une transcendance pour faire passer les valeurs morales laïcisées par les Lumières. Il existe en l’homme la nécessité de croire mais il faut différencier croyance, dogme et morale. L’homme n’est pas encore parvenu à son développement mature, c’est pour cela qu’il a encore besoin de métempsychose.

· Le rapport entre la religion et l’immaturité c’est peut-être que la religion donne le « Saint » !

· Pour Maurice Godelier le fondement d’une société ne repose pas seulement sur la famille mais aussi sur l’ordre symbolique, le fait religieux. L’ordre du fait religieux insuffle quelque chose de l’ordre qui fait tenir.

· La religion crée le lien social qui est attribué à une puissance tutélaire d’arrière monde et non aux interactions sociales. La perte d’autonomie imputée à la religion relève de la soumission à une puissance tutélaire.

· La religion permet d’arriver à un esthétisme, c’est le premier pas vers la culture.

· Il faut savoir sur quelle posture mentale nous devons penser le sujet : soit il y a un manque de pertinence de la critique et du dénigrement de nos ancêtres comme nous venons de le faire, ce qui n’est pas constructif, soit nous traversons le patrimoine de nos anciens et nous procédons à une critique au sens grec du terme : examiner notre sujet. Étymologiquement il y a deux façons d’expliquer la religion : 1) religare : relier, ce qui relie ; 2) religere : relire. Relecture des textes avec mise à profit. Il faut identifier ce qui retient dans l’immaturité pour s’en défaire. En traitant notre sujet nous nous sommes engouffrés dans la religion au lieu de nous intéresser au fait religieux qui est irréductible à la religion. La religion nous permet de nous éloigner de la mort, elle est le lien entre ceux qui sont vivants et ceux qui sont morts. Le rapport à l’autre se manifeste t-il dans l’existence corporelle incarnée ou dans d’autres dimensions ? Le fait religieux est une recherche de l’existence du lien de l’homme à lui-même : une quête de l’immortalité (Platon). La dérive religieuse c’est le fait de mal nommer, de figer, ce qui finit par épuiser l’objet. Le sommet de la philosophie c’est la métaphysique.

· Le fait religieux n’est ce pas une illusion ? À la révolution on a supprimé le fait religieux mais on n’a pas tué la croyance. Les penseurs des Lumières après avoir tué le fait religieux ont-ils permis Auschwitz ?

· Le fait religieux persiste, il est consubstantiel à l’homme. Le retour aux religions est un fait. Où il y a-t-il du fait religieux non avoué ? Sous quelles formes continue t-il dans nos sociétés ? Parfois il n’est pas là ou on l’attend, d’ailleurs le scientisme et toutes sortes d’adhésions sont une forme de religion. Il couve sous les cendres comme le feu après l’incendie.

· La quête de spiritualité et d’ordre sert à pallier les drames du monde. Le désordre des sociétés amène une recherche d’ordre dans la tête. Voltaire disait : « Un dieu pour le peuple » et les communistes : « Dieu, opium du peuple ». Le peuple est dirigé avec des religions et des dogmes.

· Plus l’ordre symbolique est dématérialisé plus il est fort. C’est du fait du vivre ensemble.

· Le fait religieux est lié à l’immortalité ; la mort dans la religion renforce le sentiment de culpabilité. La mort est une réalité concrète et dire que le fait religieux rapproche de l’immortalité est un développement immature.

· Attention, la quête de l’immortalité n’est pas sa possession, nous raisonnons en judéo-chrétien pour qui la culpabilité vient de la création. Nous mourons car nous avons pêché (Saint Paul). Mais nous le savons depuis Socrate, le corps physique se désagrège, du moins dans l’organisation atomique actuelle. La culpabilité nous permet de rester mineur donc immature. Le jugement nous donne la possibilité de grandir.

· Il faudrait faire la différence entre religion et spiritualité.

· Cela peut s’expliquer par la notion de culpabilité.

· La culpabilité est un levier exploité par les religions pour asseoir leur pouvoir. Mais la religion répond aussi au besoin d’élévation de l’homme et permet de le faire sortir de la misère de sa condition première.

· Régis Debray parle de la crise du sacré aujourd’hui. Les USA y ont échappé grâce à une cohésion résultant de la guerre contre le terrorisme.

· Culpabilité : C’est pas l’homme qui pêche c’est la femme ! Pour la religion nous sommes également responsables de nos rêves.

· La religion ne répond pas simplement à la peur de la mort. Pour Durkheim les hommes primitifs vivaient dans un océan de peurs et d’inquiétudes, c’est la religion qui a permis de les rassurer. Avec la notion de dieu la réponse est simple et efficace. Toutes les religions font référence au paradis, au jugement dernier et à Dieu comme un bon père (un peu père fouettard) qui récompense ses enfants. La culpabilité est liée à tout ça.

· Pour nuancer, toutes les sociétés véhiculent des peurs et des craintes, elles ont leurs problèmes et il est facile de construire dessus des religions.

· Les peurs ont toujours existé et sont similaires. L’homme à la capacité de nuire à autrui et la religion lui donne la possibilité de vivre dans un monde meilleur que celui qu’il crée lui même. Le fait religieux n’apporte pas seulement une réponse à la mort mais l’espoir de vivre meilleur.

· Révérer un dieu, c’est apprivoiser les éléments redoutables.

· C’est une volonté de réassurance : le rite et le rituel renforcent la cohésion communautaire.     

 

(Pascale et Myriam)

 

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totalitarisme
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Peut-il y avoir des droits sans obligations ( par Jean Luc)

 

Dans l'état de nature, les rapports entre les humains étaient régis exclusivement par des rapports de force. Dès lors, la nécessité d'un pouvoir organisé suivant des regles s'est fait sentir.

" L'homme est un animal qui a besoin d'un maître, mais où peut-il aller le chercher ? Qui va-t-il chercher et comment ? " Kant.

Sur quelles règles se baser ? Moeurs, coutumes, rien de solide. Religion, définit le bien et le mal sous la forme d'interdits et de commandements, d'obligations compris dans le sens de ce qui est obligatoire, de ce qu'il est interdit de faire autrement sous peine de péché: le devoir revêt un caractère sacré dont l'accomplissement relève du commandement divin. Morale, découle souvent de la religion mais n'ayant pas son statut de sacré, elle n'a qu'un caractère prescriptif. Loi, ne dit pas ce qui est juste ou bon, dit ce qui est permis ou ce qui est prohibé. Si on pense loi, on pense état de droit. Il y avait certes des lois dans les systèmes absolutistes, tels que défini par exemple par Hobbes ou Bossuet, mais dans l'Etat de droit, la loi ne sacrifie pas la liberté de chacun, mais au contraire la protège, en lui fixant des limites. " Entre le fort et le faible, c'est la loi qui protège et la liberté qui opprime", Lacordaire ou encore l'adage : " la liberté de chacun s'arrête là où commence celle d'autrui ". Dans l'Etat de droit, contrairement aux états absolutistes, la loi s'impose à tous, même aux gouvernants, ce qui est codifié dans des Constitutions.

Qu'est-ce qu'alors le Droit ? La codification des droits de chacun, qui peut ainsi agir comme il l'entend à l'intérieur du cadre législatif préalablement défini. Qu'est-ce qui fonde ces droits et donc le Droit ? Morale, mais plus religieuse, morale civique. Qu'est-ce ?

Kant parle de " volonté morale " pour définir ce qui doit guider le bien public, ce qui veut dire qu'il convient, pour que la vie en société soit la plus harmonieuse possible, de se déterminer par devoir et non seulement par intérêt. L'intérêt ne vise qu'à satisfaire les besoins et les désirs de chacun ; il s'agit donc là de choses subjectives qui ne peuvent conduire à des principes objectifs, qui de fait devraient être valables universellement. Et c'est bien parce que l'homme est doté d'une conscience morale qu'il est capable de dépasser le conditionnement animal du besoin et de définir ce que sont ces principes objectifs. Lequel principe trouve sa formulation dans l'impératif catégorique : "  Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d'une législation universelle ". Noble projet, mais c'est donner là une définition qui est bien ambitieuse, bien exigeante et dont l'application requerrait beaucoup d'abnégation; car l'on vit dans une société donnée, qui se définit par sa culture, ses coutumes, son histoire et en conséquence ses lois, qui toutes empreintes de morale civique qu'elle puissent être, n'en sont pas moins une transposition de cette culture et de cette histoire particulières. En quoi serait-il illégitime de penser d'abord à soi, à la conservation de sa vie, à améliorer ses conditions de vie, et s'investir ensuite dans la vie publique en y apportant son expérience et ses connaissances, ce qui permet l'échange avec autrui, tant il est vrai que ce n'est que par la liberté des échanges de toutes natures que peut se créer une société peu contraignante.

Ce qui est spécieux dans ce raisonnement kantien selon lequel il ne faut se déterminer que par devoir et non par intérêt, est qu'on peut très bien considérer qu'agir ainsi, c'est de faire exactement ce que l'autorité politique dit de faire. " J'ai obéï par devoir ", dira Eichmann à son procès, invoquant précisément Kant. Ce qui fera remarquer à H Arendt qu'on peut être conduit à commettre les pires crimes sans avoir jamais cherché à être un assassin. Remettre sa vie à une abstraction comme le devoir peut conduire au meilleur comme au pire et qu'en conséquence, la chose la plus essentielle pour bien gérer sa vie est de ne jamais abandonner sa liberté de jugement, ce que cherche précisément à faire tous les états totalitaires. La liberté du jugement doit donc primer la notion bien trop élastique du devoir.

C'est par le respect et l'estime de soi, considéré comme la réalité immédiate, que l'on en vient au respect de la personne humaine, considérée dans sa généralité. C'est en affirmant que son individualité n'est pas soluble dans une totalité prétendument transcendante que l'on peut servir loyalement une cause à laquelle on a librement adhéré. Respecter des formes morales ou juridiques ou tout simplement procédurières sans chercher à savoir quel est le but visé, ne revient qu'à expérimenter " l'absence de soi ", l'inexistence de son vouloir-être.

Donc s'il ne peut être question de droits sans obligations, les droits ne peuvent se résumer à une simple somme d'obligations d'où tous les droits auraient été exclus ! Dans un Etat de droit, répétons-le, le citoyen doit respecter les lois en ce qu'elles sont l'expression de la volonté générale, la loi valant pour tous, y compris pour les gouvernants, nul ne peut donc s'y soustraire. La volonté générale dans une démocratie se traduisant dans le fait que ceux qui ont obtenu une majorité de suffrages lors d'élections ont de ce fait le pouvoir de légiférer. On comprendra aussi que pour se faire respecter, le droit pourra légitimement, si le besoin s'en fait sentir, s'appuyer sur la force. Pascal : " la force sans la justice est tyrannique, la justice sans la force est impuissante ".

En effet, de la force seule, aucune obligation morale d'aucune sorte ne peut naître, l'être servile n'agit que parce qu'il est contraint de le faire. De fait un état démocratique connaît une plus grande stabilité qu'un état despotique, car le despotisme ne dure que le temps de la contrainte. Fondé sur la violence et non sur le contrat, il engendre la violence, et de fait, historiquement, on n'a jamais constaté de guerres entre états démocratiques.

Se pose alors la question de savoir s'il y a des droits inaliénables, des droits par nature universalisables car inhérents à la nature humaine, des droits fondamentaux auxquels nul Etat ne devrait déroger, un droit naturel ne dépendant pas des circonstances historiques et culturelles, antérieur même à tout fait social, des droits en fait ne pouvant faire l'objet d'aucune contrepartie par une quelconque obligation. On peut considérer que les droits de l'homme (DH) tels qu'ils ont été définis par les constitutionnalistes américains en 1776 et les constituants français de 1789 répondent à cette interrogation. Ces droits en eux-mêmes n'ouvrent à aucune obligation, si ce n'est toutefois pour les Etats, tenus de les respecter. Qualifiés également de droits naturels, ils définissent simplement des conditions d'existence pour que celle-ci puisse être conduite sans handicaps de départ, sans obstacle totalement injustifié. Remarquons toutefois que bien que par définition inviolables, ces droits n'ont pas été jugés dignes d'être dévolus aux populations autochtones en Amérique et qu'en France, la Terreur de Robespierre et les guerres de Napoléon ont été considérés comme ce qu'il y avait de plus apte pour promouvoir ces droits. Curieuse façon de mettre en pratique une conception se voulant universelle !.

On ne peut cependant que déplorer la tendance actuelle qui consiste à faire revêtir de l'appellation de droits, voire de droits fondamentaux, ce qui doit s'interpréter comme DH, toute espèce de revendication ou d'exigence diverse. Ainsi, du respect plus ou moins assuré de la conception classique des DH, on est passé à l'exigence de respect du " c'est mon choix de défendre cette cause ", en réclamant au passage l'onction législative. Accompagné de l'affirmation d'être d'une absolue nécessité, de correspondre à un " réel " besoin, car les besoins de nos jours sont toujours affublés du qualificatif de " réel ", enfin et surtout d'être dans le sens du " progrès " leurs promoteurs les dispensaient de générer une quelconque obligation en contrepartie.

Ainsi, ces " droitsdel'hommistes ", comme on a pu les surnommer, considèrent qu'est suspect, et par conséquent réactionnaire si ce n'est fascisant quiconque s'y opposerait, car l'idéologie qui sous-tend cette conception, est que l'homme, avant d'être membre d'une communauté, avant même d'avoir la citoyenneté, ce qui confère toujours des devoirs, n'est à considérer qu'en tant qu'homme, et en tant que tel nécessairement bénéficiaire de droits. Ainsi, il n'exerce plus son devoir-être à travers sa communauté, bien au contraire celles-ci, que ce soit la nation, la famille, ou même les pouvoirs publics ne sont considérés que ne pouvant qu'être intrusifs dans la vie privée et de ce fait provoquant constamment un " recul des libertés ". Evidemment il est alors totalement absurde d'affirmer que l'on aurait des devoirs envers un pouvoir défini comme menaçant pour l'individu. Le paradoxe résidant cependant en ce que ce sont ces mêmes idéologues qui appellent ensuite à une intervention de la puissance publique pour donner consistance à ces droits.

C'est que l'on assiste depuis quelque temps à une tentative de redéfinition de ce que doit être la puissance publique, celle-ci se devant de satisfaire les DH dits de 2. génération et qui sont non plus les droits de faire ceci ou cela, mais les droits à obtenir ceci ou cela. Tout le monde comprendra la nécessité qu'il y ait par exemple un droit du travail, mais si on reconnaît le droit au travail, ou encore le droit au logement, le droit à la santé, le droit à l'éducation, le droit à l'accès aux biens culturels, le droit aux loisirs, et pourquoi pas le droit au bonheur perpétuel et le droit au plaisir permanent, on transforme l'Etat en simple prestataire de services, à supposer d'ailleurs qu'il ait les moyens de tout satisfaire, et l'individu en simple ayant-droit, atomisé, déresponsabilisé.

Mais l'homme se définit avant tout par ses capacités, ses projets, ses réalisations, il est selon le mot d'Aristote un animal politique, qui a besoin de communiquer, d'échanger ses réalisations avec celles de ses semblables afin d'en acquérir d'autres. Il n'est pas réductible à une simple entité sans identité dont la seule action sociale serait de revendiquer toujours plus.

L'homme ne peut acquérir de droits qu'au sein d'un système politique lui garantissant l'exercice de droits en contrepartie d'obligations et d'engagement de sa responsabilité. Si le système politique repose sur la souveraineté populaire issue du suffrage universel, il est à considérer comme parfaitement légitime, et chacun se doit donc d'en respecter les lois et règlements.

Ainsi R Debray a-t-il pu noté dans " l'Etat séducteur " : " Qui se veut simple individu pour jouir d'une plénitude de libertés, oublie qu'il n'y a pas de DH sans la forme juridique d'un état ". On pourrait ajouter : sans respect de la souveraineté de cet état.

Ne serait-il pas plus juste et équitable de dire comme l'écrivain Simone Weil dans :

· Enracinement- , " La notion d'obligation prime celle de droit. Un droit n'est pas efficace par lui-même mais seulement par l'obligation à laquelle il correspond : l'accomplissement effectif d'un droit provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui.Ainsi un homme, considéré en lui-même n'a que des devoirs. Les autres, considérés de son point de vue ont seulement des droits. Il a des droits à son tour quand il est considéré du point de vue des autres, qui se reconnaissent des obligations envers lui ".

Cela semble évident ; prenons par exemple le droit de vote. Soit je l'exerce, en le considérant de fait comme un devoir puisque cet acte en soi ne m'est d'aucune utilité, d'aucun agrément ni d'aucun profit, et on parle ainsi du devoir électoral, et le soir du dépouillement mon bulletin quel qu'il soit devra être pris en compte, soit je m'en moque et je m'abstiens de l'exercer, sans que je puisse dénier à quiconque son droit à l'exercer.

L'obligation ainsi vue s'apparente à un consentement : je consens à participer à la vie de la collectivité à laquelle j'appartiens, je consens aux efforts que cela génère par des solidarités nécessaires, en contrepartie de cette attitude rationnelle et responsable, je demande à bénéficier de droits tels qu'ils sont définis dans les textes de lois.

 

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droits obligations
essentiel masque

Pourquoi l'essentiel est-il masqué par l'insignifiant ? (par Jean Luc)

 

Pourquoi l'essentiel se masque-t-il derrière l'insignifiant ?

 

Si l'on admet qu'est insignifiant, cad dépourvu de sens, de finalité, de signification, ce qui fait l'ordinaire du quotidien, ressentie comme une vacuité en raison de la constante répétition du même, cet insignifiant, perçu comme une sorte de projection vers le néant, comme une fatalité, n'est fort heureusement pas toujours considéré comme étant la seule réalité, la seule vérité.

Tous les impétrants en philosophie connaissent la pensée de Platon, pour qui, les phénomènes, du grec du même nom qui signifie " ce qui apparaît ", n'est que la partie visible, connaissable par les sens, d'une réalité beaucoup plus entière qui est celle des essences. L'essence, ou ce que Platon nomme l'idée pure, idée provenant de grec " eidos ", est posée comme un absolu, non connaissable à ceux qui limitent leurs jugements à de simples opinions, à de simple commentaires irréfléchis de la réalité sensible cad celle dont les sens rendent compte. Ne s'interesser qu'aux phénomènes, c'est ne s'interesser qu'à l'apparence des choses et non à ce qui est, dans sa perfection, dans son excellence, dans sa permanence, dans son unité mais aussi dans son abstraction et qui n'existe que dans un monde dit " intelligible ", cad connaissable par la seule raison. En somme donc, ce qui est essentiel, constant, se pose par rapport à ce qui est superficiel, changeant, et seul ce qui est essentiel peut servir de base à la connaissance. Cette dichotomie peut paraître artificielle, mais l'on comprendra aisément que si l'on cherche des certitudes, celles-ci doivent être établies sur une base solide, non réfutable.

Si l'intuition platonicienne semble pertinente, on peut constater qu'il est aussi difficile aujourd'hui qu'il y a 25 siècles de définir ce qu'est l'essence, et donc d'établir des certitudes. Pensant s'affranchir du joug de considérations jugées stériles, des philosophies matérialistes ont vu le jour au 19. et 20. siecle , mais affirmant ne pas dépendre de ce qui relève de l'idée abstraite, elles se sont confinées dans d'étonnantes simplifications, à des suites de déterminismes et ne font pas grand cas de ce qui fait l'essence de la philosophie ! , en ce sens qu'elles se désintéressent du pourquoi de l'existence, de la question du sens de la vie et de celle du sens éventuel de la finitude humaine. Pourtant tout n'est pas strictement matériel, les pensées, la conscience, les émotions et les sentiments, le principe de vie, les abstractions, les lois physiques et mathématiques, les concepts, les valeurs esthétiques et morales, etc. sont dénuées de toute matérialité et existent néanmoins. Affirmer que tout ceci serait le résultat de données " inconscientes " qui les guideraient à notre insu, ou le simple résultat mécanique de données socio-économiques qu'il suffirait de changer pour modifier le contenu de la pensée est simpliste et absurde en ce qu'il fait l'impasse sur ce constitue le paradigme de la condition humaine : la possibilité d'avoir une pensée libre, indépendante de tout déterminisme, la nécessité d'avoir une pensée authentique, échappant à l'emprise d'arguments d'autorité, car répéter ce qui a été dit n'est pas penser. Prétendant aller à l'essentiel, ces philosophies se sont cantonnées dans des vues partielles et partiales, leur innovation se résumant à une nouvelle forme de mysticisme, un mysticisme sans transcendance. Sans aller jusqu'à dire qu'elles seraient totalement insignifiantes, elles semblent plutôt être un habillage de quelques pseudo-vérités.

Serait alors essentiel ce qui est transcendant, et ce qui est transcendant serait ce qui mène à ce qui ne peut qu'être inaccessible, au divin ? Qu'est alors le divin ? Pour Aristote, le divin est un être immuable, un être en acte et non en puissance comme l'est l'humain, ignorant le devenir, ne dépendant de rien, et donc hors de toute causalité mais cependant moteur premier de l'existence. Si le divin est abstraction et n'est que cela, il reste inconnaissable ; cependant ce qui relève du monde sensible est digne d'intérêt, pense Aristote en opposition à Platon, car il est connaissable puisque formalisable par le biais de l'abstraction théorique. Théorie est un mot grec qui signifie : je vois le divin . Le monde reflète le divin en ce qu'il est ordonné, compréhensible car logique- le mot logique a sa source dans " logos " qui veut dire raison. Et ainsi, c'est donc par la raison que l'on peut avoir si ne n'est un accès au divin, du moins à ses représentations. De surcroît, toute cette cosmogonie apportait une réponse à une question qui ne peut être éludée : celle de la finitude humaine. Ainsi Platon considère la mort comme un simple passage, d'un état où nous n'avons qu'une connaissance partielle des choses à un état où nous serions au contact des idées pures ; celles-ci, tout comme les âmes, n'étant plus altérées par leur actualisation dans une matérialité. Marc-Aurèle :" Tu existes comme partie, tu disparaîtras dans le tout qui t'a produit, ou plutôt, par transformation tu seras recueilli dans sa raison ". Et Lucrèce : " Pourquoi ne te retires-tu pas comme un convive rassasié de la vie ? Allons, et de bon cour, fais place à tes fils ". Les penseurs de l'Antiquité considéraient l'univers comme un tout, formant une unité et qu'en tant que tel, ne pouvait disparaître. Un des tout premiers, Parménide établit que : l' être ne pouvant surgir du non-être, l' être en conséquence ne peut déboucher sur le non-être. L'homme étant un fragment de l'univers, il ne peut cesser d'exister. Cette certitude sera reprise plus tard par Spinoza qui établira que : "  Nous savons par expérience que nous sommes éternels ". Son credo étant : déus sed natura : le divin est dans la totalité de ce qui est, l'homme participe donc de l'incréé et participe à l'éternité divine.

Cette recherche de l'essentiel, d'un sens à ce qui est, a débuté dès le début de l'histoire humaine. Mais ce qui a été remarquable dans la pensée grecque a consisté dans la recherche des causes ultimes de ce qui est dans un au-delà de la simple expérience du vécu, dans la mise à l'écart des phénomènes du monde sensible qui sont simplement perçus et donc insignifiants, pour ne finalement considérer comme vrai, donc comme essentiel, que ce qui peut être établi par le raisonnement, que ce qui peut s'expliquer de manière logique. Cette manière de procéder qui ne devait être rien de plus qu'une initiation au divin et une préparation à la mort, rendra en fait possible la science occidentale, la compréhension de plus en plus complète du monde qui nous entoure, sa transformation aussi mais aussi la sacralisation de ce savoir scientifique dans le scientisme du 19. siecle.

Notre environnement physique nous est de mieux en mieux connu, que peut-on dire de l'homme ? Depuis les temps les plus reculés, il est perfectible, amendable, capable de dépassement de soi, capable surtout de donner du sens à ce qu'il fait. Il n'est donc pas simplement soumis à l'instinct comme les animaux. Il peut choisir son devenir, définir son vouloir-vivre. Ainsi s'il est artisan, il cherchera à créer quelque chose qui plait, s'il est technicien, quelque chose qui sera utile, s'il est artiste, il recherchera dans son ouvre le beau, aura ainsi à l'esprit un concept qui représente une universalité. On ne saurait dire de l'araignée qui réalise une toile géométrique qu'elle sait ce qu'elle fait, ni qu'elle cherche à améliorer son ouvrage, ni qu'elle ait conscience d'une quelconque universalité même si toutes les araignées du monde font des toiles. L'homme est un être de nature, il fait partie du monde animal, mais il s'en distingue car il est aussi un être de culture. De par son essence, il se doit de penser et d'agir. Il est donc lui-même que s'il est un être de réflexion et de volonté afin de concrétiser le fruit de sa réflexion. S'en remettrait-il à la réflexion seule, il resterait aride et sec et peut verser soit vers le mysticisme soit dans le dogmatisme, car une raison sans volonté d'agir est vide de sens. Mais s'en remettre à la seule volonté en congédiant la pensée est tout aussi tragique. Cette illusion, que le volontarisme peut tout, a été à l'origine des totalitarismes du 20. siècle où l'on a considéré que ce qui fait l'humanité de l'homme était insignifiant par rapport à la finalité fixée. Finalité qui n'a naturellement jamais pu être atteinte, tant il est vrai que ce qui est de plus essentiel à l'homme est sa liberté. Sans liberté, la vie est fragmentaire, fugitive, dira Nietzsche. Cependant celui qui est libre, peut choisir de faire le bien ou le mal. Pourquoi choisit-on le mal ? On comprend bien que le mal est diabolique, du grec " diabolos ", ce qui coupe. L'être mauvais est donc celui qui s'est coupé de son humanité, le meilleur moyen d'éviter cela est de cultiver, selon Nietzsche, la volonté de puissance, ce qui n'a rien à voir avec la volonté de domination. Pour être soi, il importe d'abord de ne pas s'en remettre à des idoles, ces êtres factices, car c'est cela qui corrompt l'homme. Ainsi établira-t-il que la religion n'est qu'un masque, une grimace de l'homme qui s'est amputé lui-même du meilleur de lui-même, elle est mauvaise en ce qu'elle sacrifie l'individu en vue d'un but prétendument supérieur. "  Que périssent les contempteurs de la vie, les moribonds, les intoxiqués dont la terre est lasse. ". Adorer des idoles, c'est s'imposer une posture d'affliction qui n'est qu'une imposture, une tromperie envers soi-même. Expier d'hypothétiques péchés, c 'est vivre dans le remords et dans l'attente d'un futur fait d'espérance, " espérer, dira-t-il, c'est désirer sans jouir, sans savoir et sans pouvoir ". L'homme ne connaît plus que l'hésitation, ce qui est bien différent du doute, car le doute doit servir à clarifier l'esprit en vue d'une action juste, tandis que l'hésitation paralyse l'action, entraînant de nouveaux remords. Il ne sait plus accueillir " l'innocence du devenir ", qui lui permettrait d'accéder à la réalité de son être, à la connaissance de soi et à la réalisation de soi, de ses aspirations, de ses ambitions.

Ce rêve d'émancipation s'est-il réalisé alors que Nietzsche, devenu fou, ne put continuer son ouvre?Aucunement, répondit Heidegger, pour qui la fin des idoles promut l'avènement du monde de la technique, cad la technisation de toute la civilisation, où la seule finalité est tout simplement l'innovation à tout prix .Le progrès ne vise plus rien, il est devenu sa propre fin ; la logique des moyens à mettre en ouvre monopolisant tout le savoir sans qu'aucune finalité à quoi que ce soit n'ait été définie. L'homme ne sait plus qui il est, ce qu'il doit réaliser. Il ignore le Dasein, une vie choisie fondée sur l'estime de soi et l'amour du monde pour expérimenter, bien malgré lui, la Geworfenheit, l'être jeté au monde dans lequel il n'est plus qu'un rouage. Le gai savoir est devenu un bien triste savoir ; peut-être aurait-il fallu garder à l'esprit cette phrase de Hegel : " l'érudition commence avec les idées et finit avec les ordures ". Et encore, c'était compter sans le conditionnement publicitaire, créant une obligation de ce que P. Bruckner appelle l'euphorie perpétuelle. Lorsque l'être n'est plus que paraître, il perd toute profondeur, il ne sait plus ce qu'est un instant de bonheur car de celui-ci il n'en reste qu'une image obsédante véhiculée par la publicité .L'absolutisme du quotidien, le despotisme de l'instantanéité sont les nouvelles réalités, les nouvelles béquilles mentales d'un individu privé de tout repère.

Et pourtant, cette science qui se pensait toute-puissante, qui pensait pouvoir nous fabriquer un monde merveilleux qui s'est révélé être une merveille d'insignifiance, totalement dépourvue de toute signification, car aucun écran plasma, aucune console nintendo, ne remplacera la foi en eux-même et dans une finalité qu'avaient connu les bâtisseurs de cathédrale, les architectes de la Renaissance, les sculpteurs grecs, les peintres flamands, des musiciens de l'époque romantique au point que l'un d'entre eux continuera son ouvre malgré la surdité et bien d'autres encore. Cette science pourtant nous ouvre une voie nouvelle vers la métaphysique, semblant enfin répondre à Aristote pour qui la métaphysique était le complément naturel de la physique.

" l'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'univers d'où il a émergé par hasard ". J.Monod, dans le Hasard et la Nécessité.

Hasard, mais alors si tout est hasard, comment justifier que les lois qui régissent l'univers ont, telles qu'elles ont été découvertes, un certain nombre de propriétés qu'elle ne peuvent pas ne pas avoir. Ainsi sont-elles universelles, elles s'appliquent partout dans l'espace et le temps. Elles sont absolues, sujettes à aucune variation, elle sont intemporelles, étant les mêmes depuis le big bang, elles sont omnipotentes, rien n'échappe à leur emprise, de l'atome jusqu'au méga-ensemble de galaxies. Enfin elles s'expriment toutes dans un langage commun qui est celui des mathématiques. Leur définition semble correspondre à merveille à ce qu'Aristote désignait sous le terme d'acte pur, une abstraction parfaite qui guide l'univers et le monde, même lorsqu'il n'y avait que matière et énergie. Or le hasard ne mène jamais à rien d'autre qu'au chaos. Alors que la structure de l'ensemble de ce qui est, est à la fois si complexe et si ordonné que n'y voir que le seul effet du hasard ne semble pas très pertinent. Et ainsi, certains n'hésitent plus à parler d'un " principe anthropique " inhérent à la nature.

Ne peut-il y avoir que du hasard lorsque les lois physiques, chimiques, biologiques sont d'une telle complexité, mais sont néanmoins compréhensible ce qui ne manqua pas de provoquer l'étonnement d'Einstein.

Ne peut-on parler que de hasard lorsqu'il a pu être établi qu'il y eut la nécessité d'un réglage extraordinairement précis depuis le big bang, afin que puissent apparaître des milliards d'années plus tard la vie et la conscience.

Est-ce encore le hasard si l 'évolution de vivant, depuis le protozoaire jusqu'à l'homme, ne semble pas chaotique : il n'y eut jamais de retour en arrière, l'évolution alla toujours vers une complexification croissante des espèces .Ainsi J. Monod, " il est indispensable de reconnaître comme essentiel à la définition des êtres vivants qu'ils sont des objets doués d'un projet qu'à la fois ils représentent dans leur structure et accomplissent par leurs performances ".

Si Platon a trouvé par hasard ses conceptions, il est remarquable de constater qu'elles ont trouvé une actualisation avec les mathématiques. Ainsi Penrose : " Les concepts mathématiques semblent posséder une vérité profonde. C'est comme si la pensée humaine était guidée vers une vérité extérieure, une vérité qui a sa réalité propre et qui n'est que partiellement révélée à chacun d'entre nous ".

Cela fait beaucoup de hasards et donne une pertinence au principe anthropique selon lequel l'évolution devait nécessairement avoir un but, voire un projet : l'homme.

Et pourtant, cela ne pourra que rester une hypothèse.

Relisons la phrase de Penrose.

Partiellement, en effet, tel que l'établit le théorème d'incomplétude de Gödel :demontre que tout système d'arithmétique cohérent et non contradictoire contiendra toujours des propositions " indécidables ", cad l'impossibilité absolue de dire s'ils sont vrais ou faux.

Et en effet, quelque soit le domaine scientifique considéré, aussi considérables que soient les connaissances acquises, le chapitre des hypothèses reste ouvert tant il est vrai que toute science semble connaître le destin de la physique dont le domaine le plus récent, la physique quantique ne débouche que sur de l'incertain, de l'indéterminé, de l'imprédictible, de l'incomplet, de l'indécidable, bref tout ce les scientifiques pensaient pouvoir éliminer. C'est comme s'il y avait un au-delà du rationnel à jamais inaccessible à la connaissance humaine. On ne peut donc plus considerer, comme les scientistes du 19. siecle, que tout est connaissable, que la vérité existe, et qu'elle sera nécessairement connue dans sa totalité. Face à cela, on peut toujours dire que la vérité absolue n'existe pas et que tout ce que nous pensons ne sont que des élucubrations mentales. On peut en rester à ce nihilisme, à ce relativisme, comme en son temps Protagoras, affirmant que l'homme est la mesure de toute chose. Ce subjectivisme absolu, Aristote l'a fait voler en éclat, car si effectivement, il n'y a pas de vérité absolue, la proposition qui consiste à affirmer cela ne saurait être absolument vraie, et que donc on peut émettre l'hypothèse qu'il existe quelque chose d'absolument vrai, même si ne pouvons savoir de quoi il s'agit. C'est en somme ce que soutiennent les partisans du principe anthropique, il y a une vérité absolue mais on ne pourra jamais la posséder en totalité, le principe anthropique peut être considéré comme pertinent sans que jamais il ne soit explicable.si ce n'est par des considérations métaphysiques. Si la métaphysique est, selon la définition d'Aristote, l'étude de l'être en tant qu'être, par la physique, nous ne pouvons connaître que les attributs de cet être, soit par la constatation des phénomènes et leur explication causale, soit par la description de ses règles et de ses manifestations dans un langage abstrait . Mais faut-il distinguer l'être, ce qui est intemporellement, de l'étant, qui est le monde de l'expérience, et qui ne serait qu'un passage ? Spinoza, dans l'Ethique, semble récuser cela en ne distinguant pas vraiment la substance de l'attribut ; " est substance ce qui est en soi et se conçoit par soi : cad ce dont le concept n'a pas besoin du concept d'autre chose d'où il faille le former ". " Est attribut, ce que l'intellect perçoit d'une substance, comme constituant son essence ". Ainsi donc, il y a un lien entre les deux, ils sont un seule et même chose; il y a une unité du monde, ce qui peut en être connu -l'attribut- n 'est pas une partie séparée de ce qui est substantiel, de ce qui est essentiel, de ce qui est car sa seule fonction est d'être. Ce qui est nommé " attribut " est donc simplement la partie de la " substance ", ou autrement dit de l'Etre si l'on prend la terminologie grecque, dont nous pouvons avoir connaissance. Les penseurs de l'Antiquité en avaient eu l'intuition, il y a bien une union entre l'homme et la nature, entre l'homme et le cosmos, entre le sensible et l'intelligible. Tout ce qui est a un sens parce que l'homme ne peut qu'être porteur de sens, sinon à quoi lui servirait la conscience ? Tel le musicien débutant, il a appris à déchiffrer la complexe partition de l'univers et il a pu réaliser que celle-ci était plus proche de l'Art de la Fugue de Bach que de la musique sérielle ou du free-jazz. La compréhension est difficile et le sens est caché, secret, peut-être pas inaccessible. Mais au moins avons-nous vu que jamais il ne faut s'arrêter à ce qui peut paraître insignifiant, vide de sens, à moins de considérer en effet que le hasard est la source unique de toutes choses auquel cas tout ne peut qu'être insignifiant, absurde.

 

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art miroir

 

L'ART EST-IL LE MIROIR DE LA VIE ?

 

 Le mot art vient de Ars en latin qui désigne le savoir-faire matériel, celui de l'artisan. Il désigne ensuite tout ce qui est susceptible de produire l'impression du beau, d'où « Artiste ».

 Les arts sont exhaustifs, subjectifs et variés. Ainsi, certains paraissent plus proches de la vie dont ils seraient une sorte de reflet comme la photographie, la bande dessinée, le cinéma ou encore la sculpture.

 En revanche, d'autres ne paraissent pas du tout correspondre à la réalité quotidienne, telle la musique. Donc nous avons ici un reflet à moindre degré.

 Certains arts semblent plus utilitaires. Des arts comme l'architecture, et au sens large du terme, les métiers d'art, tel l'ébénisterie, la tapisserie, l'orfèvrerie, etc.

 D'autres arts occupent une position intermédiaire : La poésie, les romans, la peinture.

 Si les arts sont le reflet de la vie, alors qu'est ce qu'un reflet ?

-          Un reflet n'est pas une chose en soi, mais quelque chose qui le suggère et en est relativement proche.

 Qu'en est-il de l'Art ?

-          L'art suscite des théories et des pratiques différentes :

·         D'un coté l'art comme représentant de la réalité avec le réalisme (Flaubert), photographie, l'art figuratif ; une déviation même de cette position esthétique.

 ·         De l'autre coté l'art par l'art ; l'art se suffit à lui-même. Il n'est redevable qu'à la beauté (parnassiens Leconte de Lisle) et en peinture : art abstrait.

 « Le poète n'est pas plus utile à la cité qu'un joueur de quilles » Malherbe.

 « L'art, toute forme d'art, n'est rien d'autre que l'expression de quelque chose » Gertrude Stein ?

 CONCLUSION :

Certains arts (art abstrait par exemple) paraissent éloignés de la vie et semble même n'avoir aucun rapport avec elle. Mais même dans les arts qui semblent s'en approcher le plus, telle la photographie, ils ne sont jamais le reflet exact de la vie. L'art transfigure, donne une autre réalité, suscite en nous une émotion esthétique. En un sens, l'art, surtout l'art moderne peut-être, est un arrachement à la vie quotidienne, une mise à distance de la réalité de tous les jours.

 

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Être soi-même (Café philo 23 mai 2007)

 

Introduction en forme d'avertissement: 

Je m'attends à décevoir une partie d'entre vous. En effet, je ne traiterai pas du tout du développement de soi, des stratégies pour mieux s'affirmer, oser être soi- même, comme on dit. Je présume bien sûr comme tout le monde qu'il vaut mieux vivre en accord soi-même, comme on dit aussi. (Remarquez, après tout, mesurons-nous tous les avantages de la soumission, de l'effacement?). N'importe: ce n'est pas mon sujet ce soir.

Je crains de décevoir une autre partie d'entre vous. Il me semble à la fin de cette semaine de réflexion, que le sujet n'a pas tenu ses promesses pour moi. Je comptais bien déconstruire le concept de soi, mais j'espérais aussi parvenir finalement à un point de vue intéressant. Ce ne semble pas être du tout le cas, la définition du soi que je peux proposer est très triviale en fin de compte.

Mon propos est de cerner le concept du soi-même que chacun pense être tout naturellement, et c'est plutôt difficile. Je vais chercher à en esquisser les contours, les contenus par delà l'évidence trompeuse. Je vais au moins poser quelques questions en espérant que d'autres, plus au fait que moi permettent de progresser lors de la discussion.  En fonction de la définition du "soi-même", être soi-même change de sens.

« Connais-toi toi-même », l'injonction antique inscrite au fronton du temple de Delphes pourrait avoir un sens pratique selon Wikipedia : les dévots doivent se borner au domaine humain et de laisser l'étude du divin aux Dieux. Pour Socrate, le « connais-toi

toi-même » sort du contexte religieux mais Il s'agit d'une démarche pratique aussi. "N'est-il pas évident, cher Xénophon, dit Socrate, que les hommes ne sont jamais plus heureux que lorsqu'ils se connaissent eux-mêmes, ni plus malheureux que lorsqu'ils se trompent sur leur propre compte ?" La connaissance de soi est l'outil de l'homme sage". Inversement s'illusionner sur soi-même et le monde est courir à sa perte. Premier intérêt de se connaître: mieux agir. Pascal semble dans la même orientation.

Mais il y a aussi les démarches plus spirituelles, l'esprit de chaque humain pouvant correspondre avec le divin, l'universel, le cosmique. Pour le bouddhisme zazen la démarche en vue de se connaître a pour but de dépasser son individualité.

« S'étudier soi-même, C'est s'oublier soi-même» écrit Me Dogen. S'oublier soi-même c'est être certifié par toutes les existences. Etre certifié par toutes les existences c'est rejeter le corps et l'esprit de soi et des autres. "S'étudier soi-même, à travers la concentration sur la posture du corps et la respiration, comme nous le faisons en zazen, c'est voir apparaître et disparaître instant après instant un certain nombre d'éléments impermanents dont nous tentons de faire la somme pour saisir notre prétendue personnalité." Prétendue personnalité.

La conscience de soi existe alors à un tel niveau de généralité qu'elle se dissout en quelque sorte, le soi perd ses particularités. Ainsi la conscience de soi existe-t-elle dans des contextes et dans des projets bien différents.

Avant d'y revenir, j'aimerais commencer par quelques essais de définition du soi, plusieurs questions se sont posées à moi.

Première question: le sujet constitue-t-il un tout indissociable même s'il présente plusieurs facettes ou niveaux? Ou est-il un assemblage composite, une illusion fonctionnelle?

Différente contingences affectent la façon dont nous sommes perçus et dont nous nous percevons. Des contingences extrêmement défavorables, on a pu dire qu'elles menaçaient l'existence de l'humanité en nous, elles nous ravaleraient au rang d'animaux. Notre expérience plus quotidienne livre suffisamment d'exemples pour me permettre de raisonner par l'absurde. 

Suis-je encore tout à fait moi-même à mes yeux et ceux des autres si mon corps est gravement altéré: jambe amputée, jambes et bras paralysés, si en plus je suis aveugle, sourd?

Si je suis dans le coma, atteint de la maladie d'Alzheimer? Les débats sur l'euthanasie renvoient aussi à cette question.

Si je suis amnésique? Si je suis drogué, ivre? En colère? Amoureux? Délirant?

Suis-je moi-même identiquement de la petite enfance à la vieillesse? De la naissance à la mort?

Et si je n'ai pas d'identité légale? Si je suis sans papiers, sans argent, sans existence sociale reconnue? Suis-je vraiment encore moi-même? Le suis-je encore lorsque je suis transparent au regard d'autrui? Si ma position sociale, si mon habillement me dévalorise, me dévalorise (SDF, fou, prisonnier, malade)? On peut se référer aux travaux de Goffman. Inversement en position de « roi », je suis bercé d' illusions, et que se passe-t-il quand on voit que le roi est nu ?

Le rôle social ne détermine- ma façon de la vivre et de me ressentir. De toute évidence, la perception de notre identité peut vaciller et être altérée. Il faut tout de même distinguer l'identité et le soi: l'identité est sociale, le soi renvoie à l'intériorité. Mais l'une impacte l'autre et d'ailleurs réciproquement.

Existe-t-il cependant une ipséité, un soi-même permanents, une sorte d'idée globale inaltérable ?

Quoi qu'il en soit, la dignité implique que le moi résiste à ce qui peut l'entamer dans son être et continue à s'affirmer autant qu'il le peut. On dit « lâcher prise » mais je ne pense pas qu'il le faille dans ce domaine. Je pense beaucoup aux questions posées par Primo Levi. Moi en tant qu'exigence morale.

Autre point de vue: le vécu du corps, des pulsions

Je est un autre », disait Artaud. à la suite de Nietzsche, moi résulte des différentes pulsions conscientes ou non, Freud explore cette voie. Ici moi est une résultante de force qui me traversent, une apparence, une construction.

le soi est-il un assemblage d'éléments circonstanciels, de forces et de causalités qui nous traversent et interagissent? Notre moi phénoménal en serait-il la résultante toujours changeante? Dans ce cas, l'idée de moi serait un concept opérationnel, utile fonctionnellement. La biologie ne nous apporte pas de certitudes: le moi résulte certes d'un ADN mais sa traduction est liée aux circonstances de l'environnement et du développement.

 Pourtant nous avons le sentiment d'une permanence. Nous avons le sentiment, peut-être lié à notre culture, peut-être inhérent à tout humain quelle que soit sa culture, que le moi ne disparaît qu'avec l'existence. Certains croient à sa persistance après la mort.  Quel serait alors cet être, ce noyau inaltérable? Une idée, une forme? Une structure? Une matrice? Un nom? Une conscience? Une mémoire? Un récit?

Des travailleurs sociaux travaillent à aider des personnes à établir le récit de leur vie, ce récit les faisant accéder au sens de leur vie, leur sens. Mais nous savons bien que les récits sont multiples pour chacun d'entre nous..

Descartes, et Husserl plus récemment défendent un idéalisme du moi. La conscience fonde mon existence.

Cette question ne semble pas pouvoir être tranchée mais peut être dépassée ou contournée, selon.

Deuxième question: Le moi existe en tant que représentation : comment? Sujet ou objet? Signe, symbole? Image, rêve, illusion?

Image, signe, symbole:

Moi est une image, plus, un signe.

Je cite le poème de Mallarmé

« Tel qu'en Lui-même

Enfin l'éternité le change,

Le Poète suscite avec un glaive nu

Son siècle épouvanté de n'avoir pas connu

Que la mort triomphait dans cette voix étrange ! »

Le moi comme signe existe indépendamment de la vie, l'éternité change le poète en luimême, le sens apparaît après la conclusion de la vie.la mort donne le sens ultime, nous connaissons l'importance des dernières paroles, réelles ou inventées, de l'ultime acte avant la mort.

Les anciens dédiaient leur vie à leur gloire posthume. Mon souvenir, ma statue prolongent mon existence et pérennisent un soi idéal, purifié. Mitterrand paraît-il, s'essayait en gisant dans ses dernières années.

Le soi, c'est l'idée que je veux en donner. C'est aussi l'interprétation qu'en fait la société, la postérité. Telle personne fait partie de nos mythologies privées ou publiques. Je vais tendre à incarner ce moi-même idéal.

Le nom, le symbole: C'est le père dans notre culture qui donne le nom. à ma connaissance, nulle part le nom n'est choisi par le sujet lui-même, il peut venir des dieux, d'un rêve, du groupe mais le nom qui m'est consubstantiel m'est donné.

Le moi n'existe qu'en relation avec autrui qui le dénomme.

L'image, le rêve, l'illusion:

le tricheur, l'escroc, voici l'exemple littéraire de Gatsby. Je cite un commentaire critique: « Gatsby est fidèle à ce soi inventé ... C'est aux promesses de ce soi qu'il est resté fidèle, .... et non à un rêve minable d'argent et de prospérité. ainsi est née « la colossale: vigueur de son aptitude à rêver » à laquelle il sacrifie sa vie. Fitzgerald »Ni le feu ni la glace ne sauraient atteindre en intensité ce qu'enferme in homme dans les illusions de son coeur ». « ... il était né d'une conception platonique de luimême.

Il était fils de Dieu... » La vérité tragique de cet homme est dans son rêve. Gatsby ne peut prospérer en ce monde, il est l'homme malheureux dont parle Socrate. A titre personnel j'éprouve beaucoup d'attirance pour cette volonté romantique de vivre le rêve.

Je pense aussi aux espions de John Le Carré pris au piège de leur imposture, et en perte d'eux-même.

l'acteur:

Plus raisonnablement, il doit être possible d'incarner une illusion sans s'y perdre. Les acteurs vivent leurs rôle mais ne le rêvent pas. Il semble tout de même que l'intensité se trouve pour certains dans le jeu davantage que dans la « vraie vie ».

Sujet, objet, surtout acteur (agissant):

Je suis moi-même: superficiellement l'analyse grammaticale indique un sujet « je » et un attribut le redoublant « moi-même ». Forme réfléchie du je, moi correspond aussi à une fonction d'objet pour autrui. Je me vois, mais aussi tu me vois, tu me regardes.

Quant au je, il n'a pas d'autre signification que d'être. Je suis est un pléonasme. Je suis et je pense sont des énoncés au contenu identique d'ailleurs. En revanche dans l'expression « je fais » je est sujet dans le sens où il est acteur. L'évidence du soi s'impose dans l'action Le soi est toujours un substantif ou le pronom qui le remplace - le soi est sujet en tant qu'acteur. .

Agir me fait exister comme sujet.

La question existentielle: l'intensité, dilatation du moi; effacement du moi

C'est ce qui m'intéressait le plus au départ mais je ne sais pas vraiment le traiter. Pratiquement le moi est un sujet agissant. Par l'accumulation d'expériences, de sensations, nous constituons notre existence personnelle. Agir nous permet de mieux nous définir dans la confrontation avec le monde extérieur, d'expérimenter nos réactions. La réflexion nous permet l'élaboration de ces expériences. Cette élaboration souvent inconscient est souvent appelée maturité. Ou recul.

Mais comment dépasser l'expérience quotidienne?

Je ressens le besoin de dépasser l'action quotidienne, d'atteindre une perception plus profonde, des sensations plus intense, une conscience plus large. Comment? Il me faut des guides : penseurs et artistes, anciens ou contemporains. La description littéraire ou pictural du très particulier me conduira-t-elle vers un véritable approfondissement. Il est inintéressant de se pencher sur les techniques de développement de soi, sauf pour les trucs utiles, et passionnant de connaître la traduction très personnelle, unique qui est donnée de tel situation, tel état particulier. L'établissement de relations, de ressemblances, de dissemblances nous éclaire. Tout le réseau de signes tissés par l'humanité m'enrichit.

Et leur étude est une autre modalité de connaissance.

Enfin L'expérience de la contemplation peut se produire spontanément ou être recherché à force d'exercices.

Il me semble sans le savoir vraiment que la contemplation nous relie à l'universel, ou le divin, et efface notre particularité. Elle nous exalterait en nous perdant en tant qu'individu particulier, notre moi se généraliserait et perdrait ses caractéristiques.

Expérience psychotique? Expérience de certaines drogues? Expérience au contraire de l'aboutissement de la méditation, d'une capacité autre à considérer le monde?

Ce sujet est hors de ma portée.

Une conclusion pratique : Le moi est un concept grammatical opérationnel, il désigne l'être agissant. Cet être est à la fois biologique et social. Maintenir son intégrité est un impératif moral. En ce sens être moi-même est un idéal que je m'assigne en tant qu'humain.

 

Anne-Marie

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etre soi

 

 

La sagesse peut-elle être un idéal ?

 

L'animal vit en fonction de ses besoins et de ses instincts, l'homme a en plus des désirs, des ambitions, des idéaux. Mais la réalité des choses offre le plus souvent une résistance à ses désirs, il lui faut donc faire en sorte que le réel ne soit pas qu'un obstacle, une source de frustration. Ainsi seront nécessaire un effort de connaissance, savoir ce qui est, un effort de compréhension, savoir comment cela est. Enfin viendra la question à laquelle nul ne peut répondre de manière définitive, pourquoi cela est et pourquoi y suis-je. La seule réponse que je puisse donner à cela est une réponse qui me satisfasse non seulement dans ma fierté, voire dans mon orgueil ou ma vanité, mais devrait également satisfaire ma conscience morale. Cela prendra la forme d'un idéal, un projet que je considérerai comme moralement bon et juste, en ayant la modestie d'admettre que cela ne peut avoir de valeur générale; ce qui peut se considérer comme une première approche de la sagesse.
Dire que la sagesse peut être un idéal, incite à s'interroger sur ce qu'est un idéal. Il n'est certes pas un désir, car si celui-ci s'impose à nous sans que nous sachions comment et s'il trouve sa conclusion dans la simple consommation des choses matérielles, l'idéal se choisit, l'idéal se construit et nous éloigne de l'immédiateté et de la futilité du désir car il répond à une exigence morale. Il est ce vers quoi l'on tend, sans toutefois que jamais cela puisse être atteint. Il n'y a que l'idéaliste qui croit pouvoir prétendre et pouvoir atteindre la perfection. C'est que l'idéaliste, tout rationnel qu'il est, ne se préoccupe pas de l'existence éventuelle de ce qu'il pense; sa pensée étant pour lui la seule réalité.
Avoir un idéal, c'est mettre son ambition et son énergie au service d'une idée que l'on pense -au moins partiellement- réalisable et que l'on estime supérieure à une action dont la seule fonction serait la défense de ses intérêts ou le seul assouvissement d'un désir. Affirmer son idéal, c'est refuser d'admettre que toute idée est relative, simplement dépendante des circonstances et de l'humeur du moment, c'est affirmer bien au contraire qu'il serait légitime de mettre de l'absolu dans ce qui est relatif. Et ce, alors même qu'un idéal ne vaut que par rapport au soi, il est l'expression de notre moi le plus intime, de notre conviction la plus profonde, il est concrétisation et consécration de notre libre-arbitre, il est l'aboutissement de ce que nous pouvons émettre des jugements de valeur, jugements par définition indémontrables mais cependant considérés comme absolument vrais par celui qui les énonce. Certes la perfection ne peut être atteinte, et restera toujours une utopie notamment du fait qu'elle n'est même pas définissable, mais au moins peut-on considérer que ce qui relève de la morale, de l'éthique ou de la spiritualité reste toujours perfectible.
Ainsi considérons par exemple le christianisme. Il nous exhorte à aimer non seulement nos proches, mais de surcroït le prochain, c'est-à-dire tout le monde. Ceci s'est naturellement révélé impraticable mais a peut-être été une des sources, quelques 18 siècles plus tard, de la Déclaration des droits de l'homme. Tout individu, indique celle-ci, est digne, non pas d'amour, mais de respect et ce, quelque soit son appartenance nationale, sociale, communautaire ou religieuse, en vertu du principe, révolutionnaire à l'époque, que tous les hommes naissent libres et égaux en droit. Ce qui pourrait vouloir dire qu'il n'y a pas de nature humaine en tant que telle qui serait issue d'un quelconque déterminisme, ce que Sartre illustre en disant que l'existence précède l'essence, mais que la liberté de l'homme est absolue et sa responsabilité entière.Il en découle notamment que nul ne peut contester à quiconque le droit de formuler ses propres idéaux- la liberté de chacun devant être respectée- et de mener son action en fonction de cet idéal- sa propre liberté tout autant que celle des autres-.
On voit ici qu'un idéal religieux totalement utopique a débouché un concept nouveau, qui s'est révélé être d'une si grande pertinence puisqu'il s'est finalisé dans une loi. Kant, dans la " Critique de la raison pratique ", définit 2 vertus à partir de cette morale tirée de la sécularisation d'un idéal religieux, et ces vertus devraient être celles de tout idéal : - le désintéressement : " est une action désintéressée ce qui témoigne de ce propre de l'homme qu'est la liberté, entendue comme faculté de s'affranchir de la logique des penchants naturels " , - l'universalité : ce qui vaut pour moi ne doit pas seulement valoir que pour moi mais doit être en mesure de représenter le bien pour n'importe quel individu. En d'autres termes, c'est la mise à distance de l'intérêt privé, sans pour autant que celui-ci doive être nié, et la recherche de l'universalité qui caractérisent un idéal. Luc Ferry parle de transcendance horizontale, en ce sens que la transcendance n'est plus alors ce qui nous rapproche du divin, mais de l'humain et Kant soulignera l'écart qu'il y a ainsi entre le moi empirique, sans profondeur car livré aux caprices, et le " je transcendantal ", véritable expression de la liberté.
Mais nous comprenons bien que ce cas d'espèce reste un cas d'exception. Pour le commun des mortels, lorsqu'il sera question d'idéal il sera plus prosaïquement question de la recherche d'une image idéale de soi. Ainsi aura-t-il une image de ce qu'il voudrait être, il se représente dans l'imaginaire un autre lui-même tel qu'il voudrait être et tel qu'il voudrait que les autres le perçoivent. Mais la rêverie ne suffit pas, il faut savoir créer le personnage correspondant pour jouer le rôle social auquel on aspire. En cela, il faut rester honnête avec soi-même, ne pas se réfugier dans la mythomanie ou un culte du moi stérile, où la posture sociale ne serait qu'une imposture morale.

La connaissance complète de toute chose s'averre impossible, de même d'ailleurs qu'une connaissance pleine et entière de soi-même, il subsistera toujours une part d'inconnu, une part de mystère. Car cela dépasse tout simplement la capacité de compréhension de l'homme. Puisqu'aucune certitude n'est possible, tout absolu se doit d'être relativisé. Connaître l'absolu serait peut-être pouvoir de répondre à l'une des premières interrogations de la philosophie qui est : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Tout le monde comprendra que vouloir répondre à cette question serait extrêmement présomptueux et ne pas y répondre d'une grande sagesse. De fait, si, ce qui forme un idéal consiste en la recherche jamais aboutie d'un absolu, la sagesse serait de relativiser tout absolu. La sagesse n'est pas l'indifférence, elle est tout simplement l'acceptation de la finitude humaine. Ainsi l'idéal est ramené au rang d'une simple idée, mais si la recherche de l'absolu apparaît désormais comme relevant de la vanité, la quête de la sagesse, tout autant que la recherche d'un idéal, sont cependant légitimes en ce qu'ils sont le rejet de tout ce qui peut apparaître comme une certitude momentanée, sans réel fondement, comme une illusion, toute chose créatrice d'ennui et d'apathie.
Ainsi par exemple, pour les Grecs anciens, la sagesse consistait à vivre en harmonie avec la nature, avec le cosmos, disait-on alors. Le monde n'étant pas créé par l'homme, il est donc d'ordre divin ; soyons en harmonie avec cet ordre et la sagesse, et le bonheur, cad la communion avec le divin, s'en suivra. Le bouddhisme affirme que la sagesse est dans la plénitude, état que l'on atteint par la vacuité, qui n'est pas une simple absence d'objets, un espace vide de toute potentialité mais qui contient en puissance toutes les potentialités. Pour Epicure, la sagesse est dans le contentement : Les vertus : la prudence, l'honnêteté, la justice, naissent d'une vie heureuse, laquelle à son tour est inséparable des vertus. Pour les Stoïciens, la sagesse consiste à ne s'attacher à rien ni à personne. On pourrait multiplier les exemples à l'infini.
Foutaises que tout ceci, s'exclamera Nietzsche en proclamant la mort de Dieu. Toute sagesse, toute religion et même toute religion de salut terrestre, ne consistent qu'à se prosterner devant des idoles, des " irréels ", inventés de toute pièce pour soi-disant donner un sens à la vie, en fait tout simplement pour la nier et trouver un refuge dans le culte des idoles, dans l'illusion. " Tout jugement est un symptôme ", écrira-t-il dans Le crépuscule des idoles, tout idéal personnel n'est donc rien de plus qu'un bateau ivre dans le chaos de l'existence, une simple berceuse qui ne nous procure aucun apaisement. Cependant, en opposant le rationaliste- celui qui discute de toute opinion et essaie de trouver une vérité par analyse et réfutation- à l'artiste, qui pose sa vérité en ne cherchant ni à convaincre, ni à démontrer, mais simplement à être, ainsi dira-t-il notamment " ce qui a besoin d'être démontré ne vaut pas grand-chose ", il n'établit pas une hiérarchie entre eux, mais affirmera dans " humain, trop humain ", que si sagesse il doit y avoir, celle-ci consistera en une symbiose entre ces 2 attitudes. Alors, plus de conflit intérieur, plus besoin d'un surmoi au sens freudien, de morales et d'idéaux asservissants et avilissants car basés sur le dénigrement du monde et de soi, sur le ressentiment que l'on essaie tant bien que mal de masquer à l'aide de ces idéaux justement.
Ainsi chacun pourra s'ouvrir à " l'innocence du devenir ", pourra comme le dit Comte-Sponville : " regretter un peu moins, espérer un peu moins, aimer un peu plus ". Car on ne peut avoir de considération pour autrui si au départ on ne vit pas dans l'estime de soi.

La sagesse est bien plus qu'un idéal, il ne s'agit plus seulement de s'impliquer dans ceci ou cela. Elle n'est ni renoncement, ni indifférence, mais acceptation de la finitude de l'existence humaine, son inachèvement en quelque sorte comme Platon l'avait déjà exprimé : tout notre savoir ne sera jamais rien de plus qu'un simple reflet des Idées pures inaccessibles à jamais à tout mortel. Mais même s'il ne s'agit que d'un simple reflet, on ne peut nier qu'il s'en dégage un sentiment d'unité. Ce sentiment d'unité, cette conscience d'unité nous fait par exemple être en harmonie avec les grandes ouvres de l'esprit, quelle que soit l'époque, quelle que soit la culture. C'est en ce sens que Nietzsche définissait l'artiste comme un aristocrate qui ne met pas un signe d'égalité entre les différentes opinions ou expressions humaines, comme le fait le démocrate, mais qui dans sa recherche du beau, ne partage rien, fait simplement communier l'esprit de chacun avec sa vision, avec sa Weltanschauung, et communier l'esprit de tous dans son esprit.
A l'évidence, tout le monde n'est pas artiste, cela ne lui interdit pas de connaître ce sentiment d'unité, de se ressentir comme " citoyen de l'univers ", B. Russel, dans Problèmes philosophiques. " L'esprit qui s'est accoutumé à la liberté et à l'impartialité de la contemplation philosophique, conservera quelque chose de cette liberté et de cette impartialité dans le monde de l'action et de l'émotion. Il verra dans ses désirs et dans ses buts les parties d'un tout, et il les regardera avec détachement comme les fragments infinitésimaux d'un monde qui ne peut être affecté par les préoccupations d'un seul être humain ".

Si en fonction d'un idéal, nous choisissons notre vie, c'est alors dans une attitude de sagesse que nous acceptons la mort. Nul autre ne l'a dit mieux que Victor Hugo:

"  Le vieillard qui remonte vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants.
Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens.
Mais dans l'oil du vieillard, on voit de la lumière.

 

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L 'égoisme peut-il être une vertu ?

 

B. Pascal : le moi serait haïssable, se consacrer à soi-même serait d'une irréfragable présomption, dont le seul but ne serait que de tenter de marquer sa faiblesse. " Il veut être grand, il se voit petit, il veut être heureux et il se voit misérable ".

A cela, on peut opposer le déclaration d'indépendance des USA, établie en 1776, qui indique dans son article 2 : " Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux, ils sont dotés de certains droits inaliénables, parmi ceux-ci se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur ".

La vie, cad la vie de chaque individu, donc sa vie, la liberté est essentiellement sa liberté, la recherche du bonheur ne peut à l'évidence concerner que son bonheur tant il est vrai qu'il s'agit d'une notion rigoureusement personnelle. On ne peut exister et se concevoir qu'en tant qu'individu, on ne peut se prendre soi-même pour une généralité, ou une simple partie dépendante d'un tout qui serait la " société ", laquelle devrait avoir plus de droits que les individus, comme s'il pouvait exister une société qui serait indépendante des individus qui la composent.

La notion d'égoïsme est toujours connotée péjorativement. Mais écoutons ce qu 'en a dit A.Smith, dans " La recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations ", parue en GB en 1776, et considéré comme le texte fondateur du libéralisme économique :

" L'homme a presque continuellement besoin du secours de ses semblables, et c'est en vain qu'il l'attendrait de leur seule bienveillance. Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme.La plus grande partie de nos besoins se trouvent satisfaits par traité, par échange et par achat ".

Et plus loin, " en dirigeant son industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler ".

Ceci contraste très fortement avec le pessimisme de Pascal. Chaque moi, affirmait celui-ci, voudrait être le centre de tout et aurait tendance à être l'ennemi de tous les autres afin de les asservir Et pourquoi cela? Par paresse, dit-il, car il est plus aisé de paraître que d'être. Cela est certainement vrai pour le vaniteux, l'infatué, bref ceux dont l'égoïsme n'aboutit qu'à un culte du moi stérile et insignifiant. Cela est vrai aussi pour les bandits et les voleurs qui ne conçoivent d'activité qu'en dépouillant autrui de leurs biens. Cela est encore plus vrai pour les dictateurs et les tyrans, qui ne se contentent pas le plus souvent de vivre de la rapine des populations qu'ils asservissent mais les soumettent à leurs lubies et à leur folie. A tout le moins, le très catholique Pascal aurait dû être un lecteur attentif de Thomas d'Aquin :

" Deux choses conviennent à l'homme à l'endroit des biens extérieurs et c'est d'abord le pouvoir de les gérer et d'en disposer. Sous ce rapport il est permis de posséder les biens en propre, c'est même nécessaire à la vie humaine et cela pour trois raisons..
1 - Chacun donne des soins plus attentifs à la gestion de ce qui lui appartient en propre qu'il n'en donnerait à un bien commun à tous ou à plusieurs. En ce cas, en effet, on évite l'effort et on laisse aux autres le soin de pourvoir à l'ouvre commune.
2 - Il y a plus d'ordre dans l'administration des biens quand le soin de chaque chose est confié à une personne, tandis que ce serait la confusion si tout le monde s'occupait indistinctement de tout.
3 - La paix entre les hommes est mieux garantie si chacun est satisfait de ce qui lui appartient; l'on constate en effet de fréquentes querelles entre ceux qui possèdent des choses en commun et dans l'indivision. "

N'est-ce pas là, l'illustration d'un égoïsme bien tempéré ? On peut encore citer le philosophe anglais J. Locke, pour qui aucune liberté n'était possible si le droit de propriété n'est pas garanti. Et en effet, celui qui par son activité, se crée une fortune si considérable soit-elle et n'a pas d'autre souci que de l'accroître encore n'est pas socialement nuisible. Bil Gates, du haut de ses dizaines de milliards de dollars, n'a jamais asservi ni volé personne. Hitler, Staline, Mao tsé toug, Pol Pot, Menghistu, Ceaucescu, Mugabe et quelques autres de moindre envergure, n'étaient pas des chefs d'entreprise, mais des créateurs d'Etats-gangster qui ne respectaient ni la vie, ni la liberté, ni la propriété ni bien sûr le droit à la recherche du bonheur.

On peut donner raison à Pascal quand il dit qu'il est plus facile de paraître que d'être. Qu'est ce alors qu'être ? L'homme se définit essentiellement par son aptitude à la rationalité. Etre rationnel, c'est être créateur de sa manière de vivre, accepter la liberté et l'usage que l'on peut en faire sans fuir la responsabilité que cela engendre, être confiant dans la capacité à créer SON bonheur et ce, uniquement en se fiant, à la raison, cad en notre capacité de raisonnement qui dépendent de notre effort, et aux raisons qui nous poussent à agir, cad les motivations lesquelles sont naturellement éminemment personnelles. Etre rationnel, ce n'est pas agir en fonction de mythes, de caprices, d'opinions momentanées ou d'émotions spontanées, c'est agir de façon consciente (la raison) et en conscience (les raisons), la conscience existentielle rejoignant la conscience morale, en allemand, das Bewusstsein und das Gewissen .

Etre rationnel, c'est également agir en fonction de jugements de valeur, le jugement de valeur étant ce qui est rendu possible et nécessaire par la conscience morale de chacun et est donc là aussi strictement personnel, car ce n'est que l'individu en tant que tel qui peut déterminer ce qui est important pour lui, et qui doit le faire sous peine de sombrer dans l'ennui, celui-ci étant défini par Schopenhauer comme une volonté sans objet; il ne peut ainsi y avoir de morale générale dans une société, mais seulement des codes de bonne conduite. Etant alors capable d'intentionnalité, l'individu peut alors s'engager en des buts clairement définis, qui satisfassent cependant dans la mesure du possible son ego. Ceci étant alors l'expression et l'accomplissement d'une conscience de soi et d'un vouloir-être, donc d'une forme d'égoïsme bien compris et bien assumé. Ainsi considéré, l'égoïsme est le prolongement de l'honnêteté, si l'on considère que l'honnêteté consiste à agir uniquement en fonction de buts que l'on a soi-même définis de manière rationnelle et ce en considération uniquement de l'intérêt personnel, soit matériel, soit spirituel, que l'on y trouve.

Car si l'égoïsme, c'est tout simplement être soi, avoir l'estime de soi, cad avoir pleine et entière confiance en ses capacités et potentialités, cela n'a rien à voir avec l'égocentrisme, qui est un égoïsme boursouflé et vaniteux. Et alors, on ne peut qu'admettre que mener sa vie de manière autonome, est une fin en soi, ne peut être que la seule fin en soi de l'existence. Nos actes n'étant alors rien de plus que la concrétisation de nos pensées et de nos jugements.

On objectera que la devise de la république française est certes la liberté, mais aussi l'égalité. La liberté ne s'oppose pas à l'égalité en tant qu'il s'agit de favoriser une égalité de moyens et non de résultats, qui dépendent in fine de l'effort de chacun, et surtout pas de conditions, ce qui reviendrait à transformer la société en un enclos d'esclaves. Ainsi par exemple, la revendication d'égalité de conditions de l'aveugle serait d'exiger que tout le monde soit aveugle afin de faire respecter son droit à l'égalité. Et ainsi, pour les sourds, les paralytiques, etc. !

C'est toujours l'homme, en tant qu'il est un individu unique, une réalité en soi, qui doit être considéré comme une fin en soi, et non un système, un quelconque sens de l'Histoire ou une supposée volonté divine. La démocratie repose sur le fait majoritaire, elle a néanmoins le devoir de protéger les minorités, sachant que la plus petite minorité est l'individu. Chacun doit être libre de faire ce qu'il veut faire, tant qu'il respecte les codes de la société dans laquelle il vit, et s'il est naturel d'aider autrui dans des situations d'urgence ou de catastrophe, il est profondément immoral de voir un groupe de pression vouloir instrumentaliser la puissance publique à des fins compassionnelles. Trop de compassion mène au populisme, car chacun finira par se sentir abandonné ou méprisé, revendiquera des droits, cad des droits sur autrui qui sera de moins en moins disposé à s'en faire une obligation; l'Etat deviendrait alors ce que F. Bastiat craignait : " une fiction où tout le monde vivrait au dépens de tout le monde ".

 

Jean Luc

 

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L'ENNUI ET LA MOROSITE -

 

CAFE PHILOSOPHIQUE DU 3 AVRIL 2007

 

L'ennui se définit comme une impression de vide, comme une mélancolie vague, une lassitude morale du fait qu'on ne prend d'intérêt, de plaisir à rien. La lassitude peut être provoquée par une occupation monotone. Comme dit Houdar de La Motte : « L'ennui naquit de l'uniformité ». La morosité serait la traduction dans l'humeur de cette impression de vide. Morosité vient du latin morosus, humeur chagrine. Être morose, c'est être d'humeur triste. On dit de la personne morose que rien ne réussit à l'égayer. Balzac décrit l'homme morose comme un être fatigué de la vie, épuisé de chagrins, sceptique.

Il manque à l'ennui le sérieux de la dépression. L'ennui cadre mal avec  le côté grandiose du tragique. Cependant, il est débattu par de nombreux philosophes comme Pascal, Kant, Schopenhauer, Nietzsche. En littérature, citons Goethe, Flaubert, Proust, Byron, Bernanos.

L'ennui existentiel est un phénomène propre à la mode rnité. Il s'étend à toutes les classes sociales. Même s'il est difficile de faire des statistiques sur l'ennui, l'essor de l'industrie du divertissement et l'usage de diverses drogues sont une indication claire de l'ampleur du phénomène.

Le premier grand théoricien de l'ennui estPascal. Il dit que l'homme sans Dieu est condamné au divertissement. Vouloir échapper à l'ennui revient à vouloir échapper à la réalité, à ce néant qu'incarne chaque être. Pour Pascal, l'ennui est un trait constitutif de l'homme. Il n'y a qu'un seul remède à l'ennui, c'est la relation à Dieu.

Pour Kant, l'ennui est lié à un certain développement culturel. L'homme cultivé est poussé à l'ennui par sa quête effrénée de plaisirs toujours nouveaux. Le seul remède est le travail, pas le divertissement. Kant soutient que «  l'homme perçoit sa vie à travers ses actions et non à travers le plaisir », et que l'oisiveté engendre un « manque de vie ». Dans l'ennui, le temps ne se remplit pas. Il apparaît avec le recul comme étrangement court, tandis qu'un temps pleinement vécu paraît infiniment plus long.Thomas Mann, dans la Montagne magique dit : « Le vide et la monotonie allongent sans doute parfois l'instant ou l'heure et les rendent ennuyeux, mais ils abrègent et accélèrent, jusqu'à presque les réduire au néant, les grandes et les plus grandes quantités de temps ».

Nous pouvons distinguer plusieurs formes d'ennui. 
L'ennui peut naître d' un décalage entre ce que nous attendons et ce que nous offre la situation.Par exemple, l'aéroport n'est là que pour être quitté. Si l'avion a du retard, nous sommes contrariés dans notre attente. L'ennui naît par conséquent d'un déséquilibre entre le temps propre des choses et le temps dans lequel on les rencontre. Dans cette sorte d'ennui, nous savons ce qui nous ennuie.

Il y a d'autres exemples où ce qui nous ennuie est moins bien défini. On est invité à dîner. Tout se passe bien et pourtant, le lendemain on a la sensation d'avoir perdu son temps. Tout ce dîner n'a été qu'une façon de tuer le temps.Cette conscience de l'ennui qui nous submerge après-coup, est la conscience du vide. Nous avons joué notre rôle social, alors pourquoi ce vide après-coup ? Selon Heidegger, le vide qui  se manifeste dans l'ennui profond est « ce qui reste de notre vrai moi ». Ce qui nous a occupés ne nous a pas remplis. La situation n 'était pas pleine de sens. Nous devrions faire autre chose dans notre vie que de nous perdre en dîners mondains. La troisième forme d'ennui est plus profonde encore. On sesent vide de tout, soi-même compris, pas seulement des choses qui nous entourent. Tout finit par se fondre dans une seule et unique indifférence . Je deviens personneet peux faire l'expérience de ma vacuité . Dans cette posture, le soi est mis à nu dans une rencontre avec lui-même.

Nous sommes atomisés en individus et soumis à des paramètres abstraits, de sorte que nous n'éprouvons plus aucun besoin de quoi que ce soit d'essentiel. Cela est à l'origine de l'ennui dans lequel l'être-au-monde, dit Heidegger, renonce à faire un effort sur lui-même. Il faut éveiller l'ennui, en dégager la radicalité et lester de son poids l'être-au-monde. Philosopher est un fardeau, car la philosophie s'accomplit dans le caractère premier (Grundstimmung) de la mélancolie.

La philosophie prend naissance dans l'ennui. L'ennui révèle un vide, une insignifiance où les choses s'enfoncent dans une indifférence qui englobe tout.

Quand nous ne savons pas ce que nous devons faire et que nous avons perdu tout repère, nous sommes dans l'ennui profond.

L'ennui arrache les choses à leur contexte habituel, les met à nu. Ainsi, permet-il une nouvelle configuration des choses et, partant, la possibilité de leur donner un nouveau sens.

Le sens est lié au rapport de visée que le sujet entretient avec le monde. Nous autres héritiers du romantisme, avons besoin d'un sens à mettre en ouvre, d'un projet individuel, mais nous nous heurtons à un problème de sens puisqu'il n'existe plus aujourd'hui de sens collectif auquel chacun pourrait prendre part

L'ennui a un côté déshumanisant parce qu'il ôte à la vie de l'homme le sens qui justement la constitue en tant que vie.

L'ennui est un problème majeur de la modernité. L'ennui et le manque de sens finissent par se recouper et le sujet moderne croit que ce sens peut s'acquérir par des transgressions du soi, en faisant sien n'importe quel sens accessible.

L'ennui ne renvoie pas à un grand sens caché. Qui dit absence de sens profond, ne dit pas nécessairement disparition de tout sens dans l'existence.

Il faut accepter l'ennui comme une donnée incontournable, comme la propre gravité de la vie. L'ennui n'a pas de solution.

Cette absence partielle de sens nous rend morose et nous démotive. Aussi est-il important de réfléchir à la façon dont nous articulons notre projet personnel à un projet collectif pour sortir de la spirale de la morosité.

REFLEXIONS ANNEXES
L'ennui surgit d'ordinaire quand nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons ou quand nous devons faire quelque chose qui ne nous plaît pas.
L'ennui est un état d'absence, une absence d'implication, de sens personnel. Cette perte de sens rend la vie humaine analogue à quelque chose de la vie animale.

Nous devenons de gros consommateurs de nouveautés et de nouvelles rencontres pour échapper à la monotonie toujours identique. L'ennui est immanence dans sa forme la plus dépouillée. L'antidote doit apparemment se trouver dans la transcendance. Mais comment la transcendance est-elle possible à l'intérieur d'une immanence ? Une immanence qui ne consiste en rien, et une transcendance appelée à être quelque chose. La caractéristique de l'ennui profond n'est-elle pas justement cette indifférence vis-à-vis de ce qui  existe ou n'existe pas ? Alors que la question philosophique traditionnelle était selon Jean Baudrillard : «  Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », il souligne qu'elle est devenue : « Pourquoi y a-t-il rien plutôt que quelque chose ? » Cette question prend sa source dans un ennui profond. Une ennui si profond que la réalité tout entière est en jeu.

Dans l'ennui, le Dasein est prisonnier du temps, mais il peut malgré tout se libérer de cet état captif :à travers l'ouverture de l'être-au-monde à lui-même. Le dasein saisit alors ses propres possibilités et concentre le temps en un point, l'instant. « L'instant n'est rien d'autre que le coup d'oil de la résolution en laquelle s'ouvre et reste ouverte la pleine situation d'un agir. » Heidegger substitue au Christ la notion de temporalité. Pour Saint-Paul, le retour du Christ, la parousie, est un événement auquel il faut s'attendre dans un instant d'éveil ( le kairos). Pour Heidegger, instant et parousie coïncident. La finalité réside alors dans un état d'éveil par rapport à un en-soi. La parousie se définit comme l'expression de l'être en tant que temporalité originaire dans l'instant, où l'être-au-monde choisit ses possibilités propres.

 

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L' IDENTITE

 

Le concept d'essence renvoie aux caractéristiques propres aux êtres de même nature, voire à ce qui est commun à toutes les natures (Thomas d'Aquin ). Le concept d'identité fait appel aux caractéristiques propres de chaque individu.

Il est ainsi pertinent de parler de l'essence de l'Homme, de Dieu, de l'art, d'une civilisation ou même de l'Etre en tant que totalité de ce qui est. Mais il serait totalement absurde de parler de l'essence de l'individu. Quoique chaque homme fasse partie d'une même espèce, il est unique, se perçoit lui-même comme unique, se conçoit dans la permanence de sa durée, il a donc une identité. Nous verrons que l'identité est ce qui le différencie d'autrui mais ce qui lui permet également d'être en relation avec autrui tant il est vrai que la communication est impossible avec le même que soi. Il n'y aurait alors que répétition sans qu'il n'y ait dialogue.

Dans les sociétés traditionnelles, n'existait qu'une identité de filiation. C'est en fonction de la naissance qu'était attribuée la place de chacun. L'identité individuelle n'était pas une identité personnelle. Néanmoins Tocqueville fait remonter au christianisme l'idée d'une identité " substantielle ". Tous les hommes sont essentiellement les mêmes, d'où il découle l'unité du genre humain. Cependant chaque homme est porteur d'une âme individuelle dont il devra répondre.

Pour Descartes , la connaissance repose sur une représentation des choses considérées comme juste car établies par la seule raison. Remarquons l'astuce du cogito. Il serait vraisemblable de dire, je suis donc je pense. Descartes renverse les termes ; ce qui me donne la certitude de mon existence, c'est de pouvoir la penser, la guider de manière autonome en ne faisant appel qu'aux seules vérités établies par la raison. Le moi ainsi fondé devient un espace de rigoureuse autosuffisance et sa philosophie établit le pouvoir de la raison sur soi et sur le monde.

A la même époque, apparaît la Réforme qui établit le rapport direct de l'homme avec Dieu. Cette affirmation du moi, culminera notamment avec Montaigne et le philosophe anglais Locke pour qui, dire je, signifiera se dégager de toute tradition, de toute habitude, et qui jettera les bases du libéralisme politique en affirmant notamment que la libre volonté des individus devra toujours avoir la primauté par rapport aux obligations sociales. Toutes ces théories auront pour conséquence l'objectivation du monde, sa marchandisation dirait-on aujourd'hui.

Alors que jusque là, l'on discourait principalement sur des considérations métaphysiques, on se tourne maintenant vers le monde réel, tel qu'il est. Tout, dans celui-ci, doit être connaissable rationnellement, donc mesurable, donc quantifiable et donc transformable. La voie est désormais libre pour les sciences et les techniques. On sort alors d'une société d'autorité, hiérarchisée, où le groupe social primait sur l'individu pour aller vers une société d'égalité où l'individu, sujet de droit et possédant les mêmes droits que tout un chacun peut mener sa vie de manière autonome, et est désormais libre de s'assigner à lui-même ses propres fins. Ainsi émerge peu à peu ce qui constituera l'identité, la spécificité, de l'homme moderne. Il ne cherche plus le Bien dans la contemplation d'une nature supposée bonne, comme les Grecs anciens, ou dans d'impénétrables voies divines comme durant le Moyen-âge. Car la nature est à présent appréhendée comme un instrument, un outil permettant d'accéder à un meilleur bien-être grâce à la technique et à l'industrie naissante, ou pour aller à la recherche de soi et à la réalisation de soi- mouvement romantique du 19.S. Ainsi Rousseau pourra-t-il écrire : " La source d'unité et de plénitude qu 'Augustin a trouvé en Dieu, se découvre désormais à l'intérieur du moi ". Quant aux appartenances sociales, si fondamentales dans le monde féodal, elles sont désormais rejetées, car limitatives de la liberté et non constitutives de notre personne et naturellement, tout ce qui relève de la filiation, est relégué strictement au domaine privé.

Cette émergence de la conscience individuelle trouvera également un défenseur zelé avec Kant, pour qui il convient de s'en remettre à la " source intérieure " ; mais pour lui, ce n'est pas la nature mais la loi morale. Comme Rousseau, Kant parlera de la nécessité de la transformation de la volonté pour aller vers l'impératif catégorique et l'affirmation du respect dû à tout être humain. C'est la conscience de soi et de ses devoirs moraux qui donnent à l'Homme sa dignité.

Affirmer son identité n'est donc pas seulement valoriser une appartenance culturelle, comme on le croit trop volontiers aujourd'hui, mais c'est aussi la possibilité de définir quelles doivent ou quelles peuvent être les finalités de son existence. C'est reconnaître qu'il existe des valeurs propres à soi, intrinsèques, qui sont d'une tout autre nature que les seules obligations juridiques ou les seuls devoirs citoyens. Les valeurs sont ce qui peut unir les individus, crée du lien social car elles sont le signe de reconnaissance d'un groupe humain tandis que la seule défense de droits, à vrai dire toujours plus nombreux, fait dégénérer la société en un champ de bataille judiciaire par l'établissement d'exigences perpétuellement renouvelées. Affirmer son identité, c'est reconnaître également que l'épanouissement de l'individu peut passer par un attachement à sa culture d'origine. Liberté et tradition ne sont pas contradictoires, et la tradition n'est pas nécessairement aliénante et irrationnelle. Bien au contraire, de plus en plus de personnes adhèrent à des formes de vie communautaires sans pour autant renoncer à leur liberté individuelle. C'est une fondamentale illusion que de croire qu'il est possible de réaliser une société métissée et multiculturelle uniquement par l'égalité des droits. A cela on donne le statut de principe universel alors que ce n'est en réalité qu'une vue de l'esprit parmi d'autres. L'exemple des sociétés nord-américaines nous montre que la reconnaissance de communautés n'a entamé ni le patriotisme ni le dynamisme économique-qui sont à la base de leur identité collective. A l'inverse, la conception française qui absolutise l'individu comme une fin en soi et qui absolutise l'Etat comme un fin en soi, les 2 étant censés créer la neutralité de l'espace public dérive vers une affirmation communautaire pathologique où l'identité devient un fin en soi, alors que celle-ci ne devrait jamais être autre chose que le fondement et le moyen permettant la création de culture et de valeurs.

Car l'identité est ce que l'on partage avec d'autres qui ont la même finalité que soi-même. Je peux être l'auteur de mon existence, d'une histoire, d'un vécu mais à partir de moi seul, il n'y a pas d'identité ; celle-ci ne se constitue qu'en relation avec autrui, celle-ci est à la fois héritage et création. Le philosophe canadien Charles Taylor dit : " L'homme appartient au monde qui le constitue et au monde qu'il constitue ". CF René Char : " Notre héritage n'est précédé d'aucun testament ".

Beaucoup, hélas, ont oublié qu'ils étaient des héritiers. Mais refuser l'identité héritée assimilée à tort à une identité subie, ne veut pas dire que l'on va vers une identité choisie. Car l'identité, c'est adhérer à des valeurs, se reconnaître dans une culture. Il est interdit d'interdire, disait-on en 68 et bien après encore. Ce qui s'est transformé en : il est interdit de m'interdire ce que je veux être. On est arrivé ainsi à un relativisme absolu où non seulement le hiérarchie des valeurs a disparu, mais également la notion de valeur elle-même.

Alors l'identité se recherche au sein d'une " tribu ", dont on expérimente le plus grand nombre possible. Ce zapping existentiel se manifeste et dans la vie privée où la valorisation de multiples expériences sexuelles tient lieu de vie privée, dans la sphère publique où les institutions ne sont vues que sous un angle utilitariste, quant aux intérêts culturels, le fétichisme de la marque en tient lieu. Et pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce salmigondis, ils trouvent un illusoire refuge dans la " crispation identitaire ". Lorsque le présent est non signifiant, il reste le mythe, aux déçus de Marianne, Jeanne tient lieu de colifichet !

Au vu de tout ceci, qu'en conclure ? Kant, parlant du cogito cartésien, trouvait cela ridicule, car le sujet ne peut en aucun cas s'appréhender comme un objet. Si le sujet est rebelle à toute objectivation, c'est qu'il ne peut être réduit à un être simplement rationnel. Ses pensées, ses émotions, ses désirs et ses actes, ne sont pas modélisables, ne peuvent faire l'objet de statistiques. Si l'on parle d'identité du sujet, celle-ci ne serait-elle pas in fine la partie non définissable du moi? Car, on peut adhérer à ceci ou cela, s'émouvoir pour ceci ou cela, mais on serait bien incapable de dire pourquoi. Bien sûr, on considérera que l'on touche l'intimité de chacun. Mais l'intimité est ce qui doit rester un jardin secret alors que c'est par notre identité que nous pouvons être un être social, un être communicant. C'est bien parce que nous avons une part exclusivement personnelle en nous que nous sommes à la fois fondamentalement unique mais à la fois aussi c'est ce qui nous définit comme faisant partie du genre humain. Herder dira : " L'homme n'exprime son humanité universelle que s'il assume son humanité particulière. " Hegel notera que l'essence de l'homme réside dans la conscience de soi, mais cependant chaque individu aspire à la reconnaissance de son identité par autrui, ce qui témoigne de sa radicale non-autosuffisance.

Cette part exclusivement personnelle, qui est au-delà du seul rationnel puisqu'il mène au relationnel, doit cependant porter la marque de l'unité et de la cohérence du sujet, vertus rationnelles s'il en est. Nous avons montré que la différence est bonne en ce qu'elle nous ouvre à l'universel. Si l'individuel est ce qui mène au collectif, on pourrait espérer que cela débouche sur l'unité et la cohérence du genre humain, mais là, semble-t-il, nous sommes dans l'utopie pure.

 

Jean Luc

 

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identite
concupiscence

 

Qu’est-ce que la concupiscence

 

Quand j’ai vu ce mot mystérieux en quatre lignes dans le Larousse,  je me suis dit Chic voilà un mot qui mérite des éclaircissements, ce ne sera pas long !

 

Tu n’as qu’à croire Charles ; je suis tombé dans un gouffre noir rempli de livres poudreux écrits par des soutanes noires en très grand nombre et comme la plupart des philosophes sont des castrateursf (Je cite Nietzsche), j’ai retrouvé tout notre monde philosophique apparenté à la religion qui censure la concupiscence avec quelques exceptions notoires : De La METTRIE, médecin philosophe, réfugié comme il se doit en 1760 chez le Roi de Prusse, avec d’autres, auteur de l’homme à la longue queue, prélude aux dessins des salles de garde des carabins, Feuerbach eh oui, et le bon et brave Nietzsche et enfin, de nos jours, un philosophe remarquable : Michel ONFRAY dont je vous recommande parmi de nombreux livres celui ci pour ce soir : L’Art de jouir. Revenons à notre sombre gouffre !

 

Concupiscence, je ne vous apprendrais rien, n’est rien d’autre que du latin d’église : concupiscentiaf. La convoitise a toujours existé. Ce mot est apparu dès l’Antiquité (hominis grécolatinicus) sous le concept Platonicien de convoitise pour toutes les bonnes choses de la vie : boire, manger, et copuler. On sait, par les découvertes archéologiques -de véritables photos -ce qui se passait à Pompéi : le sexe n’était alors l’objet d’aucune censure de la part des Romains.

 

Avant de devenir une notion centrale du christianisme, le terme est né des païens, équivalent de la convoitise, élan irrépressible qui amène l’homme à désirer avec ardeur. La concupiscence ne fait donc pas encore l’objet d’une attention particulière avant l'ère chrétienne ; et ce mot désigne originellement toute forme véhémente de désir humain.

 

Concupiscence est devenu, par contre, chez les hommes d’Eglise (hominis ecclesiastica), la convoitise spécifique pour le sexe, un péché à se rendre malade, on le verra avec Pascal, concupiscence se trouve 33 fois dans ses Pensées.

 

Concupiscence a disparu, vers 1900, avec l’apparition des hommes des divans (Homisis divansis) remplacé par libido, la forme primitive du désir sexuel selon Sigmund Freud. Depuis environ 1980 et l’arrivée des hommes de science (hominis scientificus), ce mot est synonyme de pornographie et concupiscent de libidineux.

 

Les synonymes de la concupiscence sont l’envie, l’appétence, la libido, les fantasmes. En latin, la concupiscence, avec le complément cum (avec ou ensemble) ajouté à cupere, qui a donné cupide, récupérer, donc avec cupiscence, signifie désirer ardemment : Désirer ardemment ensemble à deux ou à plusieurs !

 

Le contenu de chaque concupiscence nous donne du jouis, un mot peu connu et aussi difficile à avouer que de décrire le registre des fantasmes de chacun. Chacun a le sien qui est plus dégoûtant que ceux des autres pour les autres.

 

Mais dans un catalogue de fantasmes l’un de ces fantasmes plait soudain à quelqu’un ! Il existe un registre des fantasmes * (Lacan et Pasini, etc.) qui se décline sur une douzaine de thèmes !

 

Comment connaître ces concupiscences si ce n’est que par la confession des péchés avoués dans les confessionnaux ? A la manière des psycho analyses qui finissent par les choix du Maître : le complexe d’Œdipe, le complexe de castration, l’envie du pénis, et cetera, taratata, taratata, les confessions, elles aussi, se terminent toujours par une absolution et des récitations incantatoires : Notre père qui êtes aux Cieux et cetera, tara tata, tara tata.

 

Mais les psychanalystes ne disent mot ; Lacan se serait permis un calembour : qui ne dit mot qu’on sent !

 

Connivence ? Tiens expliquez moi !

 

Les fantasmes sont mieux définis que la concupiscence telle que les hommes d'Eglise l'avaient définie à partir des contenus des confessionnaux.

 

Les fantasmes sont mieux définis que la concupiscence

 

Depuis FREUD le mot concupiscence comme convoitise pour le sexe a disparu. Freud pose à sa place, en 1897, le concept de fantasme, constructions imaginaires, mises en scène, apparentées à la rêverie, du rêve éveillé, des idées de rev-eil, mais pas à du rêve nocturne. Fantasme conscient ou fantasme inconscient ? Seuls existent des fantasmes conscients, il faut la volonté pour les chercher dans la mémoire forme floue. Il n'existerait pour Freud qu'un fantasme. Certains sont comme des rêves diurnes, les romans que le sujet se construit pour lui-même. D’autres sont des rêveries subliminales.  Lacan ajoute à ces définitions du maître la modalité défensive du fantasme : un "arrêt sur image" une image figée, en défense contre la castration. Au-delà de la diversité des fantasmes, Lacan suppose l'existence du fantasme fondamental, une structure commune à tous ces fantasmes, dont la traversée par le patient signerait l'efficacité de l'analyse. Pour Pasini, l'imaginaire érotique est mieux défini : c’est la possibilité qu'a l'être humain de s'auto érotiser mentalement par l'utilisation de fantasmes. Le fantasme érotique est une représentation mentale, en général consciente capable de provoquer, à tous les coups, une excitation sexuelle. Les fantasmes apparaissent, non pas comme une force inconsciente agissant sur le comportement, mais bien comme des fantaisies imaginaires érotiques véritables supports des activités sexuelles. La confrontation des situations inconnues, interdites, imprévisibles joue un rôle, surtout chez les dames. Les fantasmes les plus rencontrés varient selon le sexe, non pas en fréquence (97 % des femmes comme des hommes ont des fantasmes), mais chez les femmes par un contenu plus social que génital (rencontres imprévues, imaginations d’un autre partenaire,  etc.) et chez les hommes bien plus génital (seins, bites, copulations, etc.). Bien entendu les psys distinguent pour affirmer la solidité de leur école de pensée : un, les fantasmes oraux avec fixation de la libido au stade oral, comprenant des dévorations, des incorporations, des effractions. Puis les fantasmes anaux (fixation de la libido au stade anal) avec des relations sexuelles vécues sur un mode de domination/soumission, sadomasochisme, de prise de pouvoir avec des thèmes d'écartèlement, d'éclatement, de rupture. Restent les fantasmes œdipiens que seuls connaissent les connaisseurs avec le trouble de l'identification génitale et l’angoisse de castration. Comment y ajouter les fantasmes de triolisme, d'échangisme, de groupe, d’homosexualité ?

 

Les fantasmes libres sont élaborés souvent non pas après mais pour provoquer une excitation sensorielle d'origine exogène. Ils peuvent apparaître en dehors d'une relation sexuelle, mais leur élaboration conduit à une situation érotique. Les fantasmes fondés sur des anatomies sexuelles, des positions sexuelles, des rapports bucco-génitaux et bucco anaux sont fréquents chez les hommes. Tandis que les fantasmes actifs sont élaborés de façon volontaire ; ils sont utilisés comme moyens d'excitation et sont destinés à activer qualitativement la relation érotique en se substituant en partie à la réalité pour une meilleure obtention du plaisir et de la jouissance. On retrouve fréquemment des fantasmes portant sur le lieu, le décor, le romantisme et les relations idylliques, les relations sado-masochistes, le voyeurisme, l'exhibitionnisme, les rapports bucco-génitaux et la sodomie, l'échangisme et le triolisme chez les femmes. Les fantasmes pré orgasmiques, chez l'homme, presque tous les fantasmes se retrouvent, les plus fréquents étant ceux portant sur la sexualité de groupe, le triolisme, les appâts féminins, etc. Le romantisme et les rapports sado-masochistes, c’est plus les femmes. Les fantasmes orgasmiques sont peu décrits. Le vécu et les traces mnésiques laissées par ces différents états, correspondant aux périodes pré orgasmiques, orgasmiques rares et post-orgasmiques, je ne les connais pas. Dans l'activité fantasmatique qui accompagne la relation sexuelle, se retrouvent les tendances bien entendu perverses, bien entendu des résidus de la sexualité infantile.

 

Philosophie du nouveau Testament sur la concupiscence

 

Dans l’Ancien Testament notez qu’à l’exception des Dix commandements, rien n’interdit le sexe, bien au contraire. Avec l’Evangile ce sont les Pères de l’Eglise (Saint Paul, Saint Clément, Saint Jean, Saint Augustin, Saint Thomas) qui mettent au point la définition théologique de la concupiscence en tant que péché de la chair.

 

Saint Paul

 

Traductions de l’épître de saint Paul aux Romains par l’abbé Crampon

 

L’homme laissé à lui-même abandonné à sa nature devient le jouet de ses convoitises et non à ses concupiscences. Quand l’homme ne se soucie pas de posséder la connaissance de Dieu, il est abandonné à lui-même, livré à son esprit insouciant, à une conduite indigne. C’est une punition, mais qui est la conséquence de l’absence d’une vraie lumière, d’un guide sûr. Paul décrit en quoi consiste cette absence de clarté, qu’est la soumission aux convoitises humaines : cupidité, envie, esprit de querelle, sournoiserie, délateurs, méprisants, arrogants, rebelles à leurs parents, déloyaux, sans cœurs, sans pitié, etc. Autant de témoignages, de symptômes de l’absence de la lumière divine dans le cœur de l’homme, de leur folie se croyant sagesse. Les hommes ne se soucient plus du jugement de Dieu (bien qufils le connaissent). Pire, ils approuvent ceux qui ne suivent pas ses voies, les encourageant de cette manière. (1, 22-32)

 

Traductions de l’épître de saint Paul aux Romains par Segond de la société biblique de Genève et comparaisons avec celles de l’abbé Crampon

 

L’Epître aux romains et aux l’épître aux Corinthiens comme tant d’autres épîtres de longues lettres envoyées vers de nombreuses communautés chrétiennes des villes d’Asie Mineure, est l’œuvre de Paul, un juif, de nationalité romaine apparemment, qui était, au départ, il le dit lui-même, un persécuteur des chrétiens et un juif religieux suivant le judaïsme, une sorte de Cardinal Lustiger, vous voyez ? Après sa conversion au christianisme sur le chemin de Damas, Paul, qui ne faisait pas partie des disciples de Jésus Christ rédige des épîtres (56-58 ap JC) et il devient le meilleur des Apôtres, celui qui diffuse largement le christianisme bien au-delà de la Palestine où cette nouvelle religion restait en quelque sorte confinée à une secte. Rédigée à Corinthe, cette épître expose aux romains, les compatriotes de Paul, très simplement ce qu’est la foi chrétienne. Concernant les péchés, Paul prend la liste des dix commandements dont l’irrespect conduit au péché. Son épître contient quelques mots raisonnables en particulier sur les rapports contre nature Le mot concupiscence nfy figure pas, mais les péchés de toutes sortes. Commençons de lire une traduction moderne, celle de Segond. Salutations et louanges : « j’ai un vif désir de vous annoncer aussi l’Evangile à vous qui êtes à Rome. » Plus loin on trouve des considérations sur la culpabilité des non juifs, les chrétiens étant à l’époque des juifs : « C’est pourquoi Dieu les a livrés à l’impureté par les désirs de leur cœur, de sorte qufils déshonorent eux mêmes leur propre corpsc. Leurs femmes ont remplacé les rapports sexuels naturels par des relations contre nature, de même les hommes ont abandonné les rapports naturels avec femme et se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres ; ils ont commis homme avec homme des actes scandaleux et ont reçu en eux mêmes le salaire que méritait leur égarement. » C’est la partie nette des péchés de la chair.

 

Certes, dés les premiers écrits de saint Paul, la problématique du désir, de la convoitise, de la tentation, s’y trouvent, c’est incontestable ; mais cette problématique -expliquée en grec d’ailleurs- comprend ces discussions non pas en raison des actes du Christ mais en raison du monde grec tout proche avec l'oeuvre de PLATON où sont exposées les notions de Thumos et d’Epithumia traitant de cet idéal du désir ardent spécifique aux grecs et aux religions polythéistes du monde romain. Platon en écrivant le Phédon, décrit la séparation de l'âme d'avec le corps dont Paul fera la séparation du corps et de l’esprit. Notons que si Paul n’utilisa pas le terme de concupiscence, c’est que ce terme est latin et que l’Apôtre écrivait en grec. Il n’en demeure pas moins qu’il reste pour la postérité celui qui fut à l’origine de sa thématique. Paul, dans ses écrits qui se voulaient des guides pour les nouvelles communautés chrétiennes, s’adressait d’abord à une société chrétienne surtout préoccupée par l’attente dfune proche consommation des biens et c’est dans un tel cadre que prit naissance la concupiscence qui va comme le marxisme connaître des hérésies de toutes sortes dont celle de la punition de la chair.

 

C’est donc par deux de ses épîtres que Paul introduisit, non pas le mot il écrit en grec, mais la thématique de la concupiscence : l’épître aux Galates et l’épître aux Romains. Là où les Païens n'attachaient à la concupiscence aucune importance morale, elle apparaît ici comme ce qui réside dans la chair de l’homme et contre laquelle il faut agir. Traduction moderne : 16 Voici Donc ce que je dis :Marchez par l’Esprit et vous n’accomplirez pas les désirs de votre nature propre. 17 En effet la nature humaine a des désirs contraires à ceux de l’Esprit et l’Esprit a des désirs contraires à ceux de la nature humaine. Ils ont opposés entre eux. De sorte que vous ne pouvez pas faire ce que vous voudriez. 18 Cependant, si vous êtes conduits par l’Esprit vous nfêtes pas sous sa loi. Traduit autrefois pas ceci : « Laissez-vous mener par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire l’oisiveté charnelle. Car la chair convoite contre l’Esprit et l’Esprit contre la chair ».La chair remplace la nature humaine avez-vous ? Traduction moderne : 19 Les œuvres de la nature humaine sont évidentes : ce sont l’adultère, l’immoralité sexuelle, l’impureté, la débauche, l’idolâtrie, la magie, les haines, les querelles, les jalousies, les colères, les rivalités, les divisions, les sectes, l’envie, l’ivrognerie, les meurtres, les excès de table, et les chose semblables. Traduction ancienne. Paul exhorte à se laisser mener par l’Esprit pour ne pas se laisser guider par la convoitise cette fois ici c’est la convoitise charnelle. Dans la suite où il discute la convoitise de la chair, celle-ci est déclinée à la faveur dfune énumération non de ce qufelle est dans nos têtes mais de ce qu'elle produit : Fornication, impureté, débauche, idolâtrie, haines, discorde, jalousie, emportements, disputes, dissensions, scissions, sentiment d’envie, orgies, ripaillesf ; on voit donc, qu’à l’exception de la fornication, le sexe est bien peu cité, certes en première ligne mais d’une énumération. Cette idée est reprise dans l’épître aux Romains puisque l’apôtre oppose à nouveau l’Esprit et la chair, affirmant : « je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l’homme intérieur ; mais j’aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres » prouvant que « si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui accomplis lfaction mais le péché qui est en moi ». Ainsi s’assied le thème de la force qui pousse à commettre le mal malgré l’amour de Dieu et qui se trouve dans la chair.

 

Que devient l’épître de Paul aux Romains par Bernardin de Picquigny centré sur la concupiscence

 

Je cite : « Sans la connoissance de la loi, il ne connoit pas la concupiscence, il la croît naturelle et il ne croit pas que ce soit un mal de la suivre. De là vient qu’il avale le péché comme l’eau qu’il boit, ou l’air qu’il respire. S’il connoît la loi, et qu’il ne soit pas prévenu de la grâce de Dieu, nonobstant sa connoissance, il suivra la concupiscence, et sa connoissance le rendra plus coupable. » « La véritable cause de la mort c’est le pêché commis dans la concupiscence, la cause du pêché est un grand mal puisqu’elle nous donne la mort par la loi qui est bonne et sainte ». Sa malice est plus grande qu’on ne peut exprimer. Apprenons nous-mêmes combien la corruption de notre cœur est grande par l’(infection de cette concupiscence qui y fait sa principale demeure et, dans la crainte de cette corruption, recourons continuellement au médecin qui seul peut nous en préserver. Humiliés et gémissants, implorons la grâce de Jésus Christ ; elle seule guérit la corruption du cœur humain. La loi est sainte et spirituelle et elle ordonne les choses qui viennent à l’esprit comme de pratiquer la vertu et de fuir le vice. Il n’en est pas ainsi de moi tout Chrétien et Apôtre que je sois, je suis charnel et j’ai des inclinations corrompues qui me portent aux choses de la chair ; j’ai des répugnances pour les choses de l’esprit, en un mot je me suis vendu comme un esclave à la concupiscence qui est la mère du pêché.»

 

Et cela continue encore de nos jours avec le Concile Vatican II. « Mes bien chers frères, je vous ai entretenus, dimanche dernier, du monde et de tout ce qui y triomphe: la concupiscence des yeux, la concupiscence de la chair et l'orgueil de la vie. Le chrétien est essentiellement opposé à ce monde. Si nous sommes chrétiens, pas seulement de nom mais de fait, il doit pouvoir être dit que, par une partie de nous-même, nous échappons à cette création. Le mouvement qui nous anime ne doit pas être seulement cet universel égoïsme »

 

Qu'est-ce que la concupiscence ? « Une excitation qui ne cherche jamais qu'à se satisfaire, c'est-à-dire à se supprimer elle-même, à disparaître. C'est vrai pour tout ce qui concerne la concupiscence de la chair : le plaisir pris est aussitôt oublié ; c'est vrai aussi - et comment ! -. Pour ce qui relève de la concupiscence des yeux : vous souhaitez acquérir quelque chose ; vous faites toutes sortes d'économies pour l'obtenir ; une fois que vous jouissez de l'objet si longuement convoité, il perd tout intérêt à vos yeux.  Le combat spirituel contre la concupiscence ne se limite pas à la lutte contre la convoitise charnelle: tous les désirs que l'on qualifie de désordonnés parce qu'ils témoignent d'un attachement aux créatures contraire à l'ordre voulu par le Dieu Créateur procèdent de la même tendance au mal propre à notre nature humaine blessée.  « Elle vient de la désobéissance du premier péché. Elle dérègle les facultés morales de l'homme et, sans être une faute en elle-même, incline ce dernier à commettre des péchés.» Le Baptême, en réalisant notre incorporation au Christ mort et ressuscité pour nous, efface ce péché originel, mais, par contre, les conséquences de ce péché, l'inclination au mal de façon générale et au pêché de la chair demeurent en notre nature.

 

Evidentes déviations des anciennes traductions le déviationnisme médiéval

 

C’est à la lecture de ce seul passage des écrits de Paul que l’Eglise Catholique avec la complicité des philosophes comme Saint Augustin a considéré la concupiscence comme un effet du péché originel subsistant après le Baptême. En soi, la concupiscence (les idées de sexe que nous avons dans la tête, les péchés d’intention) n'est pas considérée comme un péché mais comme ce qui y induit au renouvellement du péché originel. La théologie occidentale chrétienne insiste sur ce péché que la théologie orientale chrétienne ignore. C’est Saint Augustin évêque d’Hippone au IVe siècle qui est à l’origine du péché originel. Cette notion fut confirmée pour par un concile en 1546 à Trente. Selon cette doctrine, extrêmement débattue depuis ses origines, tout être humain se trouve en état de péché du seul fait qu'il relève de la postérité d'Adam. On parle parfois de premier péché, péché d'Adam ou encore péché de nos premiers parents.

Saint Jean

 

La première épître de Jean est un écrit anonyme attribué à JEAN  retiré à Ephèse en Asie Mineure. Ecrite bien après les épîtres de Paul qui écrivait partout en Asie Mineure, il existe une communauté d’esprit entre les deux œuvres : un copié incontestable. A l’idée de la convoitise de la chair, ce « péché qui habite en moi » et qui détourne le chrétien du Seigneur, fait écho dans la première épître de Jean l’assertion que « si quelqu’un aime le monde, l’amour du père n’est pas en lui car tout ce qui vient du monde –la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la richesse- vient non pas du Père mais du monde ». Là où précisément l’épître de Jean se démarque des épîtres pauliniennes c’est que sont distingués trois types de convoitises : la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la richesse. Il est loisible d’observer que l’apport de l’épître de Jean à la question de la concupiscence ne s’arrête pas là. Bien que cela tienne d’une contingence annexe à ses propres lignes, c’est dans cette épître que siège l‘origine de l’utilisation chrétienne du terme latin de concupiscentia. L’épître fut écrite en grec, comme tous les livres du Nouveau Testament, mais voilà ce que donne la traduction latine : « Concupiscentia carnis et concupiscentia occulorum est et superbia vitae quae non est ex Patre sed ex mundo est. » C’est la traduction de l’épître de Jean en latin, effectuée au début du second siècle qui sortit véritablement le terme concupiscentia de son usage païen, faisant de cette notion un terme central de la pensée chrétienne. On verra ce que Saint Clément, Saint Augustin, Saint Thomas, feront de cette épître !

 

Le hapax de Saint Augustin

 

Selon Michel ONFRAY, la conversion de Saint Augustin est assez extraordinaire. Elle est racontée dans Les Confessions. Se promenant dans les rues de Milan, Augustin rencontre un ivrogne. Augustin se prend à rêver de l’insouciance des ivrognes : ne plus souffrir, ne plus connaître les soucis. Le philosophe raconte son angoisse, son agitation, sa tristesse, son infortune, sa misère. Il somatise, et il écrit : « les tracas me mordaient aux entraillesc souvent j’examinais ainsi mon état et je constatais que j’allais mal. J’en souffrais, et je redoublais du coup mon mal : des maux de dents, des insomnies, des douleurs dans la poitrine, une extinction de voix. Il écrit : je me rongeais ainsi en dedans ». Au fond d’un jardin, en août 386, Augustin sent monter en lui une grande tempête. Il écrit : je m’étalais, je ne sais plus la façon, sous un figuier, et je rendis les rênes aux larmes, elles jaillirent à flot de mes yeux. Je pleurais dans toute l’amertume du brisant de mon cœur, et voici que j’entends d’une maison voisine, garçon ou fille, je ne sais, une voix chantée qui répétaille : prends, lis. Prends, lis. » « Le hasard faisant bien les choses, il s’agit de l’épître aux romains, et comme il ne fait jamais les choses à moitié, il avait agi de telle sorte que l’ouvrage fut ouvert à la page ad hoc qui condamne l’orgie et l’ivresse, la paresse et la légèreté, la dispute, l’envie et la chair ». La conversion dans ce jardin ouvre la carrière du père de l’Eglise que l’on sait. Le nouveau corps du philosophe sera celui d’un docteur de l’Eglise, l’Evêque d’Hippone, avec la chasteté, la pureté, la virginité.

 

Saint Thomas

 

Selon Michel ONFRAY **********

 

Philosophie du pêché originel

 

Le salut de l’homme

 

Le but des missions de Paul n’était pas de découvrir la nature de Dieu mais de travailler au salut de l’homme, fondant la légitimité de la conversion des Païens ou des Juifs de la Diaspora au christianisme sur l’inconscience coupable de leur propres fautes.

 

C’est cette inconscience dans le péché -mais tous les pêchés- qui rend indispensable la tâche du prédicateur (Emile Bréhier, Histoire de la philosophie, Hellénisme et christianisme, PUF, p.447)

 

Le conflit Luther Erasme

 

Luther entre en conflit avec Érasme sur le point du libre arbitre. En augustinien, Érasme soutient qufil existe un libre arbitre, c’est-à-dire la responsabilité de l’homme devant Dieu concernant ses actes. En quelque sorte, l’homme peut refuser la grâce de la foi.

 

Au contraire, se fondant notamment sur le péché originel, Luther défend la prédestination, c’est-à-dire le contraire du libre arbitre : le serf arbitre. Pour Luther, c’est Dieu qui décide de tout.

 

De là découle la différence fondamentale entre la conceptualisation protestante de la concupiscence (pour les Protestants la concupiscence est un péché), et la conceptualisation catholique, qui la considèrent comme ce qui y mène non et non comme un péché en elle-même.


Les protestantismes considèrent que la nature première de l’humanité était intrinsèquement une tendance au bien; la relation particulière d’Adam et de Eve, voulue par Dieu n’était pas due à un don surnaturel mais à leurs propres natures.

 

Dés lors, dans l’interprétation protestante, la chute du Paradis n’est pas due à la destruction ou la perte d’un don surnaturel, ce qui rendrait l’humanité non coupable, mais à la corruption de sa nature elle-même.

 

Si la nature actuelle de l’homme est corrompue par rapport à sa nature première, il s’en suit qu’elle n’est pas bonne mais mauvaise. Ainsi, la concupiscence, qui a produit la déchéance hors du Paradis, est le mal même.

 

Le catholicisme, a contrario, enseigne que la nature humaine contient dès l’origine une tendance au mal.

 

Dieu ayant accordé à Eve et Adam la possibilité de vivre dans la droite ligne de conduite, ils pouvaient surmonter cette tendance par le rapprochement avec Dieu.

 

Après la chute, cette possibilité disparut et les hommes furent livrés à eux-mêmes; et parce qu’ils n’orientaient pas leurs actions vers Dieu, les hommes tombèrent dans le péché.

 

A la suite d'Augustin et de sa défense par Erasme, le catholicisme, la nature humaine n’est pas mauvaise et le baptême en éradiquant le péché originel, atténue la concupiscence tournant l'homme vers Dieu; la théologie catholique considère toutefois que la concupiscence qui dépasse la volonté humaine ne peut jamais être complètement éradiquée et l'homme doit lutter sans cesse contre celle-ci.

 

On voit que le terme de concupiscence a une signification plus vaste dans la théologie protestante que dans la théologie catholique : c'est une convoitise généralisée qui marque tout notre être et pas une tendance qu'on peut combattre. De là découle, plus globalement, que pour les traditions protestantes, la concupiscence est le type premier du péché et ce terme est utilisé de manière générale comme synonyme du péché, tandis que les Catholiques distinguent bien le péché et la concupiscence comme deux entités différentes.

 

Au sens étymologique, la concupiscence peut désigner toute forme véhémente de désir humain. La théologie chrétienne lui a donné le sens particulier du mouvement de l'appétit sensible qui contrarie l'oeuvre de la raison humaine. L'apôtre saint Paul l'identifie à la révolte que la chair mène contre l'esprit.

 

Elle vient de la désobéissance du premier péché. Elle dérègle les facultés morales de l'homme et, sans être une faute en elle-même, incline ce dernier à commettre des péchés.» Catéchisme de l'Eglise catholique, ˜ 2515

 

Nous verrons que ces ecclésiastiques devinrent ainsi les spécialistes du contenu et des détails scabreux sur les comportements sexuels de leurs contemporains et que les seuls dictionnaires dont pouvaient disposer tous ceux qui voulaient approfondir cette question étaient rédigés par des hommes du confessionnal assimilant la concupiscence au foyer du péché (concupiscentiam vel fomitem. La concupiscence est parfois confondue avec la seule libido freudienne, c'est à dire la forme primitive du désir sexuel.

 

La grande illumination de la concupiscence : Pascal

 

Ce n’est qu’ensuite que l’Eglise va s’en emparer et s’en brûler les mains on verra pourquoi avant de le perdre avec l’arrivée de Freud. Avant que Freud ne vienne prendre le dessus sur ce sujet au début du XX ème siècle, le mot concupiscence devint un concept quand même assez discret du vocabulaire des hommes d'Eglise.

 

Comment pouvaient ils donc en parler avec autant de science ? Eh bien par le même procédé de Freud sur le divan par la confession. Non ils en savent plus que les autres par les confessions de leurs contemporains, et ainsi ils savent toutes les variantes de ce que de nos jours on appellerait le porno.

 

Ils avaient choisi ce mot issu du latin d'église justement pour désigner ce que les intellectuels refusant la pornographie dénomment la libido, un immense sac où l'on peut tout mettre y compris ce qui ne relève pas du sexe.

 

L’acharnement patrologique peut réussir parfaitement et aboutir à la chasteté parfaite, surtout en cas de prédisposition, comme c’est visiblement le cas de Pascal. On trouve dans les Pensées de Pascal, plus de trente fois le mot concupiscence.

 

En dehors de ses mortifications corporelles, Pascal, du moins le Pascal qui succède à la fameuse nuit du 23 novembre 1654, consacrait l’essentiel de son temps à la prière, à la lecture des Evangiles et à griffonner sur de véritables post-it. retrouvés après sa mort qui sont ses Pensées. Les certitudes religieuses de l’instant et que la vérité n’est pas du côté de la raison, le Dieu des philosophes, mais dans la foi, le Dieu qui s’est révélé dans les Evangiles.

 

Dans les Pensées Pascal cite l'épître de Jean mais en la reformulant dans les termes de saint Augustin : libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi.

 

Le Traité de la concupiscence de Bossuet

 

Ce Traité de la Concupiscence, est un curieux objet remarquablement écrit et d’une sévérité féroce. C’est peut-être cette férocité qui conduisit Bossuet à ne pas le publier, à le garder par devers lui, comme sfil avait façonné de ses mots un impitoyable ange gardien. C’est aussi cette férocité qui en fait l’étrange prix, quand on nous présente une Eglise si aimable à la douce pénombre. Les vanités humaines y sont examinées. Le mot est faible, exterminées plutôt ; c’est un jeu de massacre auquel se livre l’Aigle de Meaux ! Vanité des yeux, vanité des gloires, vanités de la sagesse. Quand rien n’est épargné. Bossuet écrit tome XXVII de ses œuvres : « Mais comme Saint Clément d’Alexandrie a tant parlé des parfaits, et qufil semble en avoir porté la perfection jusqu’à leur ôter la concupiscence, et les élever à l’apathie, c’est-à-dire à l’imperturbabilité; il faut entendre d’abord que ce parfait dont on dit de si grandes choses, selon lui, est composé : « de deux esprits dont l’un convoite contre l’autre, conformément à cette parole de saint Paul : « La chair convoite contre l’esprit et l’esprit convoite contre la chair », car la chair a une partie de l’esprit qui lui adhère, comme dit le même saint Paul : e Je ne fais pas le bien que je veux, parce que j’ai en moi un mal inhérent et une loi qui s’oppose au bien »

 

Les spécialistes de la concupiscence, les Pères de l’Eglise

 

Les pères de l’Eglise chrétienne et apostolique qui précèdent les Pères des Eglises psychanalytiques ont donc l’obligation de donner la liste de toutes les fornications possibles même celles qu’ils ne connoissent pas :   

 

A cet égard, le DE MATRIMONIO ** du Père Sanchez bat tous les records de réédition de 1592 à 1739 !

 

Voltaire dira de ce livre dans son Dictionnaire philosophique : « Ces étonnantes recherches nfont jamais été faites dans aucun lieu du monde que par nos théologiensc Il nfy a point de singularité qu’ils nfaient deviné. Ils ont discuté tous les cas où un homme pouvait être impuissant dans une situation, et opérer dans une autre. Ils ont recherché tout ce que l’imagination pouvait inventer pour favoriser la naturef (tiens voilà une excellente définition de la concupiscence par un philosophe !) ; et, dans l’intention d’éclaircir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, ils ont révélé de bonne foi (si j’ose dire en l’espèce) ce qui devait être caché dans le secret des nuits ».

 

Voltaire nous donne ce qui n’est pas autorisé et ce qui nous est permis.

 

Ce qui est interdit est proprement incroyable. Voyez la liste des ouvrages religieux parus contre la concupiscence toutefois sans nous en donner l’exacte définition :

 

Jacques Boileau, De l’abus des nuditez de gorge, Paris 1675.

Du prédicateur capucin, Père Louis de Bouvignes, Le Miroir de la vanité des femmes mondaines, Namur, 1675.

Pierre Juvernay, Discours particulier contre les femmes débrayées de ce temps, Paris 1623.

Du Chanoine Polman, Le chancre ou couvre-sein féminin, ensemble, le voile ou couvre-chef féminin, Douay, 1635.

De l’Abbé de Vassetz, Traité contre le luxe des coiffures, Paris, 1646.

Jean Puget de La Serre, Le réveil matin des dames, Paris, 1638.

 

Jacques Amyot, précepteur de Charles IX et de Henri III, le Grand aumônier de France déjà en 1560 a écrit, probablement pour l’usage des Princes ses élèves, un livre intitulé De la Vertu moralef, dans lequel on trouve du plus juste : « La vertu qui règle la concupiscence et qui limite ce qui est modéré et opportun es voluptez se nomme tempérance. La tempérance n’est pas l’abstinence, mais seulement la modération. Mais il fait remarquer en parlant de Sylla et de Lysandre, que le premier ne fut jamais modéré en ses concupiscences, ny par pauvreté lorsqu’il estoit jeune, ny par l’age après qu’il fut devenu vieil. »

 

Hildegard Von Bingen a écrit dans son Livre des Œuvres Divines, ceci qui nous éclaire un peu sur la nature de la concupiscence : « Le croyant qui ne macère pas sa chair par une abstinence appropriée, qui la nourrit de vices et de concupiscence, assimile la graisse des péchés et, en face de Dieu, il devient un rebus putride ».

 

Cela ne vous rappelle rien ? Et bien moi si, et que la lubricité et la concupiscence sont les deux péchés des totalitarismes marxisme et religieux. Vous rappelez vous des evipères lubriquesf du stalinisme ? Moi, je me souviens que Jeannette Vermeesch avait fait une purge au parti communiste de tous ceux qui avaient une maîtresse.

 

Je vous ai gardé pour la fin, le fabuleux De Matrimonio du Père Sanchez. Ce livre accumule par milliers toutes les questions sur le sexe, y compris celles que les mariés nfont jamais su ni pratiquées.

 

** Disputationum de sancto Matrimonii sacramento

 

Pourquoi ? Certes le livre est précieux : Anvers, Martin Nutius, 1607 [Mayence, Balthazar Lipp, 1606]. 3 tomes en 2 vol. in-folio, peau de truie estampée à froid sur ais de bois, triple encadrement de roulettes à froid sur les plats, dont deux représentant des rinceaux et la troisième les figures allégoriques des vertus cardinales (foi, espérance, charité), médaillon ovale à décor d'entrelacs dans le cartouche central, fermoirs en bronze ciselé. C’est ici une des édition les plus recherchées de ce célèbre ouvrage du jésuite espagnol Tomàs Sanchez (Cordoue 1550 - Grenade 1610). Elle contient, d'après Sommervogel, des passages qui auraient été supprimés dans les éditions ultérieures. Dans ce traité sur le mariage (dont l'édition originale fut publiée à Gènes en 1592), Sanchez s'était proposé de décrire avec une incroyable abondance de détails, tous les péchés que peuvent commettre l'homme et la femme dans l'état de mariage. Les plus étonnants raffinements de la luxure et de l'érotisme sont exposés au fil des pages. On imagine bien que le livre, bien qu'il fût écrit en latin et destiné aux confesseurs, fit scandale dès sa parution. Les adversaires de Sanchez cherchèrent à le faire condamner mais le firent traduire sans succès devant les tribunaux ecclésiastiques. Le père Sanchez observait en effet une morale rigoureuse et s'infligeait des mortifications sévères pour résister à la tentation que pouvaient susciter ses travaux sur des matières aussi scabreuses pour un ecclésiastique. On dit même qu'il réussit à préserver sa virginité jusqu'à sa mort.

 

Parmi les questions sur la concupiscence, en voici sur lesquelles le jésuite se permet de donner des réponses :

 

Est-il licite d’éjaculer chacun de son côté ?

Allusion aux sécrétions émises par la femme, et même à certaines éjaculations chez la femme fontaine.

 

Est-il licite de penser à une autre femme ou à un autre homme dans l’accomplissement du devoir conjugal ?

Est-il licite d’avoir des rapports avec sa femme sans en venir à l’émission de semence ?

Est-il licite de pratiquer l’intromission ailleurs que dans le vase idoine ?

Est-il licite d’aider l’impuissant par toutes sortes d’attouchements et d’appâts ?

 

On peut comprendre que ce livre de jésuite ait pu servir pendant deux siècles dans les confessionnaux, mais qufil a fini par être presque interdit par le Vatican.

 

En fait, les adversaires de Sanchez cherchèrent à le faire condamner mais le firent traduire sans succès devant les tribunaux ecclésiastiques.

 

Parce que chaque question apportant une réponse introduit une nouvelle question, et que le poulpe de la concupiscence en devenant tentaculaire, ose plonger jusque dans l’univers du mystère de la Nativité.

 

Avec cette question du Père Jésuite Thomas Sanchez, écoutez bien : « La Vierge Marie a-t-elle émis de la semence dans ses rapports avec le Saint Esprit ? »

 

Le Traitement de la non concupiscence de l’impuissant

 

Après ce catalogue des censures sévères à la concupiscence, des questions posées par le Père Sanchez par milliers afin de distinguer la bonne concupiscence dans le mariage et la mauvaise concupiscence hors mariage, on ne s’étonnera pas de voir que les Pères de l’Eglise, soient devenus petit à petit des experts des Tribunaux de l’Impuissant, ceux de l’officialité. De ces experts qui vérifiaient point par point, les trois questions : « Dresser, Entrer, Mouiller ».

 

Bien entendu on ne le disait pas en français mais en latin, ut arrigat, c’est la question de savoir s’il bande et surtout de savoir s’il bande dur, la seconde question toujours en latin est la suivante : ut vas saemineum referet, c’est la question de la pénétration dans le vase idoine, et la troisième et dernière question toujours en latin, c’est ut in vase seminet c'est-à-dire s’il met sa semence dans le vagin.

 

L’absence de l’une seule des trois facultés définissait l’impuissance patente telle que Vincent Tagereau les voyait, dès 1611, dans un livre intitulé : Discours sur l’impuissance de l’homme et de la femme.

 

Telles sont aussi les questions que pose l’avocat -vous voyez pourquoi j’ai demandé à J.L. Goepp la permission de traiter ce sujet-, puisque c’est bien un avocat qui, en 1734, écrit un livre intitulé : Traité des moyens qui sont en usage en France pour la preuve de l’impuissance de l’homme.

 

On peut se demander d’où viennent les forces morales et intellectuelles des condamnations ecclésiastiques de l’impuissance ?

Et bien voilà la surprise de la soirée, il s’agit cette fois du contraire du péché, il faut éteindre la concupiscence, et tous les moyens sont bons pour infirmer ou affirmer la validité ou la nullité du mariage chrétien.

 

Boucher d’Argis écrit en 1756, quels sont les Principes sur la nullité du mariage pour cause d’impuissance ?

 

Le mariage dans l’ordre naturel, c’est une société de deux personnes de différents sexes, qui consiste essentiellement dans le pouvoir qu’elles se donnent réciproquement sur leurs corps, pour en user conformément aux fins établies par le Créateur, c'est-à-dire la propagation de l’espèce.

 

Mais Boucher d’Argis prend soin de préciser que dans l’ordre spirituel, le mariage est également une union des esprits, avec toutefois la restriction suivante, je cite « il faut aussi l’union des corps, que le mari puisse rendre à celle qu’il épouse, l‘os de ses os et la chair de sa chair » ;

 

Et enfin troisième ordre politique : le mariage est une union solennelle destiné à donner à l’Etat, des citoyens légitimes, afin d’arrêter les désordres et la honte des unions illégitimes.

 

Dans l’ordre de la religion, le mariage est un sacrement se traduisant par la capacité de devenir une même chair de la part des contractants et c’est cette capacité ou cette incapacité qui les rend habiles ou inhabiles au sacrement selon l’Apôtre Saint Paul.

 

En effet comment connaître de nos jours toutes ces concupiscences si ce n’est que ceux qui sont inscrits dans les secrétariats de certains cabinets médicaux qui sont, chacun le sait, les confessionnaux de maintenant, surtout ceux des psys.

 

C’est pourquoi puisque cupere ayant donné Cupido (je désire, je suis enflammé), et ayant aussi donné Cupidon, un des dieux de l’amour, ici de cet amour qui est fou, celui qui vous brûle, je vais donc, à ma manière vous peindre Cupidon au lieu de vous donner tous le sens des contenus de la concupiscence.

 

A mon avis, il manque un petit mot en français pour en parler mieux encore ! Mais lequel ? De même que la douleur est purement locale et que la souffrance monte au cerveau, la jouissance se situe bien dans l’encéphale de l’homme uniquement. La découverte de l’orgasme est bien à l’origine du péché originel, ce qui nous différencie des bêtes.

 

Mais que se passe t-il donc localement qui produit ce que les braves gens dénomment la colle ? Comment parler de ce qui se passe tout à fait localement du con-tact comme dirait Lacan ? On pourrait parler du jouis pour la sensation locale jouissive, tout comme la jouissance est réservée au ressenti dans la partie cérébrale et intellectuelle de la chose !

 

Mais voilà ce mot ne peut pas devenir un hapax ; vous savez ces mots qui n’existent que dans une langue. Certes le mot jouis n’existe pas dans le Larousse, par conséquent on pourrait créer un hapax de nature disons rabelaisienne.

 

Mais voilà, c’est un mot qui est déjà pris par les créoles de Martinique. Pour parler de quoi chez eux ? Ben pour eux c’est pour parler de ce qui est la preuve de la jouissance masculine ? Devinez quoi ? Du sperme ! Ben !

 

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Le soulagement

 

Je ne suis pas capable de vous faire ressentir ce qu'est le beau ou le vrai, mais lorsque vous en aurez terminé avec la lecture de mon exposé vous ressentirez ce qu'est le soulagement...

* * *

Le soulagement, c'est le fait d'être débarrassé d'un fardeau, une sensation, une récompense ou une délivrance parfois. C'est ce qui rend moins pénible, qui diminue, supprime une souffrance morale ou physique, un adoucissement, une aide, un allégement, c'est un compromis accepté  entre une crainte, une souffrance, une difficulté  et l'image que je me fais de ce qui aurait du être ou de ce qui sera, même si dans cette détente l'autre garde le doigt dessus.

Le soulagement ne supprime pas ce qui oppressait, ne guérit pas de la maladie (la médecine est guérison ou, au moins,soulagement) ,mais tempère, rend plus supportable.

Le soulagement intervient après.une crise, une difficulté, une douleur, tout ce qui empêche l'épanouissement.

Il y a donc trois moments,

1) - celui qui provoque la crise, cette violence qui engendre la différence, qui peut être une attente ( d'un travail, d'une présence etc...), la mauvaise conscience( et la charité soulage bien des consciences), la crainte de la survenance d'une douleur physique ou morale, ou la douleur elle-même.

Remarque : on est paradoxalement autant soulagé lorsque l'événement survient que lorsqu'il ne se produit pas. « Nous vivions dans la crainte, nous allons vivre dans l'espoir »(Tristan Bernard)
2) - le soulagement
3) - et l'acceptation de la nouvelle situation.Ce qui précède le soulagement ne m'appartient pas,je ne suis pas maître de la crise, le soulagement par contre m'appartient : il est de l'ordre du vécu et plus du ressenti. Cesser de subir est une des définitions de la liberté.

 

L'homme recherche le soulagement face à l'angoisse existentielle, aux difficultés de la vie.
Qui sommes nous, d' où venons nous, où allons nous et y a t il un bus pour revenir ?

 

Alors où, comment,va-t-il trouver des solutions à cette crise qui précède le soulagement ?

a) les solutions qui nous disent comment conduire notre vie :

 - dans les rites et rituels de groupes sociaux ou de micro-groupes, qui, en proposant des repères et des règles de conduite, donnent une solution qui est censée résoudre le problème et permettre d'en être soulagé.

* en aidant les autres, par la prise de conscience de crises plus graves que les nôtres

* les religions par la confession et l'absolution

* les sectes par la dépersonnalisation

* certaines dérives psycho-philosophiques qui nous demandent de vivre la philosophie alors qu'elle nous aide à vivre. Demander de vivre la philosophie, c'est ouvrir une porte à des dérives sectaires. Onfay, qui se méfie de cette dérive, préfère utiliser l'expression « façon de vivre » « art de vivre »ou «  mieux vivre » par le biais de la philosophie,que « vivre la philosophie » pour ne pas tomber dans dans la « philothérapie » soignante »
« La philosophie peut être une thérapie. Tant mieux si on y fabrique du sens, si on y fabrique du lien social, si on rencontre des gens qui ne désespèrent pas ! » Onfray.

 

b) les solutions censées nous aider à l'accepter :

* la solution médicale qui soulage par psychotropes

* la psychanalyse qui soulage en reliant la crise à l'histoire perso pour renouer les fils d'une histoire en chemin, mais qui soulage essentiellement notre portefeuille.

* la philosophie ( n'ayez pas cet air étonné!) qui apporte le soulagement en permettant de prendre du recul avec le quotidien, l'histoire, le réel.

Philosopher, c'est être proche de la condition humaine:
- sophia : la sagesse, c'est comprendre pour résoudre les problèmes concrets

- philo : c'est aimer d'amitié

Philosopher, c'est prendre du recul non pour mieux voir, mais pour sortir de sa compétence, changer de posture, en posant la question du sens, pas de la Vérité.
- échapper mentalement à l'immédiat, être libre en ne subissant pas ce qui m'arrive.

- savoir dire « je ne sais pas », c'est montrer son humanité et permettre à l'autre d'ouvrir le champ de la sienne.
- ne pas s'approprier le jargon des autres et exprimer sa pensée. Etre simple. L'homme et la société ne le sont pas, alors il ne faut pas compliquer encore.

- appendre à s'étonner plutôt que subir, c'est transformer ce qui va de soi en problème, en questionnement, mais en conservant la maîtrise.
 

Parce que le savoir fait (parfois) moins souffrir que l'ignorance. (la connaissance de l'infidélité est une exception à cette affirmation !)

Déjà, les mythes dans l'Antiquité cherchaient à fuir l'ignorance. La curiosité amenait soit au bonheur, soir au malheur. Par exemple, dans le mythe de Pandore.
 

Ce qui contraint va nous peser parce que l'on va se sentir obligé, commandé. A l'inverse, être soulagé, ouvert et épanoui va être synonyme d'un fait libérateur. C'est la compréhension du sens, son seul questionnement même, plutôt que la « vérité », qui va permettre d'être soulagé de cette oppression. C'est là que le fait paradoxal d'être soulagé lorsque le malheur survient ( citation de Tristan Bernard) trouve son explication.

Il y a donc une nécessité de ces crises: ce sont les seuils qui permettent d'évoluer, qui permettent la création, le renouveau.

Le soulagement qui survient après la crise restructure temporairement, dans l'attente bien évidemment,de la prochaine.

C'est une période euphorique, mais sans jouissance, ni satisfaction, ni insatisfaction. Attente de la suite avec lucidité qui serait perdue dans la jouissance.Détachement poétique de réalité.

 

LE MYTHE DE PANDORE

Lors de la création du monde par Zeus, il n’y avait que des hommes sur terre. Pandore est la première femme créée par Zeus pour punir la race humaine et pour faire du tort à Prométhée qui s’était montré l’ami des hommes ; elle fut donc l’instrument de la vengeance de Zeus.

Héphaïstos la façonna à partir de l’argile, Athéna lui insuffla la vie et l’habilla, Aphrodite lui donna la beauté pour faire aimer aux hommes ce fléau nouveau, et Hermès lui apprit le mensonge et la fourberie. C’est encore Hermès qui l’offrit à Epiméthée, le déraisonnable frère de Prométhée, qui en fit sa femme.

Les dieux remirent à Pandore une boîte fermée qui contenaient tous les malheurs qui devaient un jour affliger l’humanité. Elle contenait un seul bien, l’Espérance, tout au fond.

Pandore eut tôt fait de causer le malheur des hommes. La curiosité naturelle aux femmes lui fit ouvrir la boîte, et les peines, les maladies, les querelles et tous les malheurs s’envolèrent et se répandirent sur les êtres humains.

Pandore referma précipitamment le couvercle, mais il était trop tard pour empêcher les maux de s’échapper sur la terre. Seule l’Espérance resta enfermée dans la boîte et cria pour qu’on la fit sortir, afin d’alléger les peines qui allaient maintenant affliger les mortels.

Ainsi, les hommes, qui jusque-là avaient mené une existence sans peines et sans soucis, furent obligés de s’épuiser à la tâche afin d’assurer leur existence.

 

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L'impact du temps
 

Le temps est un grand maître, dit-on. Le malheur est qu'il tue ses élèves."Hector Berlioz.

L'impact désigne une collision, un heurt .Il est l'effet d'une action forte et brutale. Mais c'est aussi ce qui influence : l'impact de la publicité, d'un discours, l'impact psychologique...).

Donc quelquechose qui nous est extérieur, à l'effet non sollicité, et qui vient modifier ce que nous sommes. D'où une crainte , ou pour le moins de la méfiance, parce que nous tenons à la maîtrise d'un équilibre instable et imaginaire.

Or le temps nous est extérieur.Il se déroule en dehors de nous.Il est irréversible.Même le souvenir se transfigure. Je n'ai rien contre le temps, mais par moments, j'ai des envies de tuer le temps.

Tarte à la crème du temps subjectif ou objectif, afin de ramener cet extérieur en intériorité. C'est le ressenti qui peut être différent, mais le temps est le même.

”On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve” (Heraclite). Même si on nage lentement

Autre tarte à la crème, ou valise :
"Qu'est-ce donc que le temps? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus." Saint Augustin, Confessions, XI, 14.
(Citation, qui hors de son contexte n'a pas de sens propre, parce qu'elle est applicable à bien des notions : le bien, la beauté, la vertu, la volonté etc....)
“Mon enfance par exemple, qui n'est plus, se trouve dans le temps passé, qui n'est plus; mais quand je l'évoque et la raconte je regarde son image dans le temps présent car elle est encore dans ma mémoire". (ibidem 11.) Impossible de vous dire mon âge, il change tout le temps."Alphonse Allais
Ce que Saint Augustin veut démontrer, c'est que ni le futur, ni le passé “ne sont”. Il n'y a pas passé, présent et futur, mais présent du passé, présent du présent, et présent du futur. “C'est trois modes ne sont que dans notre notre esprit et nulle part ailleurs”.

Le temps n'a donc aucune présence, ce qui existe, c'est la durée,  abstraction faite de ce qui dure. Ce qui est présent, c'est la durée en tant que qu'espace de temps s'écoulant entre deux événements.

 

Si on ne peut expliquer le temps, nous pouvons, pour le moins le décrire, diviser la compréhension de l'inconnu en séquences compréhensibles.

 

Quelques “séquences” du temps et leur impact.

 

Le temps de la nature : il s'écoule indépendamment de nous, en changement continu. Nous ne pouvons l'arrêter. Nous n'en percevons que des séquences : le temps des marées, des jours et des nuits, des modifications L'impact de la conscience de notre insignifiance par rapport à ce temps de la nature qui nous conduit vers la mort nous fait nier la vérité du  temps en habitant le présent, en retenant le passé et en anticipant l'avenir. Nous le vivons, l'imaginons, en refusant sa réalité. Et c'est ce qui nous permet de faire de grande choses....
"Le passage du présent à un autre présent, je ne le pense pas, je n'en suis pas le spectateur, je l'effectue, je suis déjà au présent qui va venir comme mon geste est déjà à son but, je suis moi même le temps, un temps qui "demeure" et ne "s'écoule" ni ne "change" comme Kant l'a dit dans quelques textes." Merleau Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard. page 482.

Le temps de la conscience :
"La conscience du temps, sous la forme la plus pure, c'est l'ennui, c'est à dire la conscience d'un intervalle que rien ne traverse ou que rien ne peut combler."  Lavelle, Du temps et de l'éternité, p.236.
- "C'est l'attente et plus particulièrement l'attente indéterminée qui nous donne la conscience du temps pur." Lavelle, Du temps et de l'éternité, p.280.
Lien entre le passé et le présent, entre l'événement et son ressenti.Je pense le temps, je m'apercois qu'il s'écoule.

Souvenir, devoir de m »moire ( faculté de connaître de juger sa propre réalité)
Le temps des sociétés : Là, le temps est construction de l'organisation de la vie collective. Cadre abstrait et impersonnel qui permet fournit des points de repère. Travail, fêtes, rituels, usages et coutumes.
C'est en fait un ensemble d'obligations qui ouvrent le chemin à toutes sortes de transgessions. Refus social de l'âge.Chirurgie, crèmes.
« Vieux » s'oppose à « jeune ». Et vice versa.

Lorsque le mot « vieux » est employé comme qua­lificatif, il a un côté condescendant, méprisant : un vieux beau, une vieille taupe, un vieux con, une vieille bique, un vieux cochon, une vieille peau, un vieux tableau, une vieille toupie, un vieux schnock, une vieille chouette, un vieux garçon, une vieille fille...Le vocabulaire ;: séniors, " Les personnes âgées ".

Dans les civilisations primitives, les vieux sont appelés les Anciens, et ils sont même respectés, considérés comme dépositaires du savoir. Dans la civilisation moderne, ils peuvent être dépositaires du capital, et leur mort est attendue.

De nos jours, le mot tend à disparaître du vocabulaire. Le vieux est souvent synonyme de gâteux, grabataire, incontinent, baveux... Il fait peine à voir, on le cache alors dans des lieux réservés et pourtant le vieux est un être humain...

Désormais, l'individu passe de vie à trépas sans devenir vieux.

On oublie que c'est avec des jeunes qu'on fait des vieux.


"On ne peut pas vraiment parler du temps puisqu'on met du temps à parler et même à penser. Le temps est à la fois dedans et dehors, donc il n'est pas objet." Jankélévitch, Le Monde, 13 Juin 1978.

 

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NÄHE UND DISTANZ, von Gérard Jeannot

 

1. Allererste Frage: Läßt sich die Problemstellung „Nähe und Distanz“ eher aus der Nähe oder besser aus der Distanz behandeln? Schon die gewählte Vorgehensweise dürfte darüber Aufschluß geben, wie nah einem die eigenen Probleme gehen bzw. bis zu welchem Grade diese Nähe zugelassen wird.

2. Es erhebt sie die Frage, inwieweit diese Problematik generell gilt und in welchem Maße und wie genau sie individuell paßt. M.a.W.: Handelt es sich bei dieser Aufgabe um eine klassische Aufwärmübung der Psychologie, oder beruht sie nicht eher, zugleich oder ausschließlich auf einem objektiven, personenbezogenen Befund?

3. Diese Fragestellung ist in philosophischer Hinsicht (vereinfacht gesagt: „aus der Distanz“) insofern zentral, als sie das Verhältnis zu dem großen Ganzen betrifft, das uns alle umgibt und umgreift. Von Bedeutung ist sie aber auch psychologisch („aus der Nähe“), weil sie auf einen Zustand der Zerrissenheit zwischen beiden Polen abhebt.

4. Das Gegensatzpaar „Nähe und Distanz“ kann sich nur in bezug auf bestimmte Objekte bilden, zu denen die Nähe bzw. die Distanz dann fühlbar und beurteilbar ist. Damit ist die grundsätzliche Frage nach dem Anderssein als sich selbst und nach dem Verhältnis zu diesem Anderssein gestellt. Also definieren Nähe und Distanz auch den Grad der an- bzw. aberkannten Wesensgleichheit zwischen diesen Objekten und einem selbst.

5. „Nähe und Distanz“ kann sich auf einen selbst, auf die Mitmenschen, auf die Umgebung, auf das Zuhause, auf die räumliche und zeitliche Entfernung, auf die Arbeit, auf bestimmte Probleme, auf besondere Gegenstände, auf Gott und die Welt, auf die Gesellschaft uvm. beziehen. Wie auch immer, das Spannungsverhältnis zwischen Nähe und Distanz verschärft sich in dem Maße, wie die Wertstellung des Bezugsobjekts emotional und intellektuell steigt.

6. Üblicherweise wird Nähe im zwischenmenschlichen und sozialen Bereich mit Wärme, Geborgenheit, Ausgeglichenheit, Vertrauen, Geselligkeit oder auch Erfüllung gleichgesetzt. Die vermeintliche oder tatsächliche Fähigkeit und Bereitschaft, auf die anderen ein- bzw. zuzugehen, soll das Glückskonto prosperieren lassen. Bliebe es allerdings bei dieser eindeutig und einseitig positiven Besetzung, würde sich die Frage nach dem dafür zu entrichtenden Preis und nach dem Gegenpol von selbst erübrigen.

7. Dagegen wird Distanz — ob nun als Tatsachenbeschreibung, Charakterzug oder Verhaltensmuster aufgefaßt — mißtrauisch beäugt und auch moralisch mißbilligt. Wer auf Distanz geht, wird der Feigheit, der Verantwortungslosigkeit oder der Selbstsucht bezichtigt; wer aus der Distanz beobachtet, setzt sich dem Verdacht aus, sich nicht einbringen, sich über andere erheben zu wollen. Die Gesellschaft als Ganzes — auf den eigenen Zusammenhalt bedacht — fordert von ihren Mitgliedern ideologisch begründete Opfer.

8. Dabei hat dieses gesellschaftliche Absegnen der Nähe mit der psychologisch-emotionalen Wirklichkeit der meisten Menschen genausowenig zu tun wie die pauschale Vorverur­teilung des Distanzverhaltens in bestimmten Problemfällen. Vielmehr erzeugt dieser sanfte aber kontraproduktive Druck eine Kompromißwilligkeit (nicht: „ fahigkeit“), die alles andere als geeignet ist, die Entfremdung, sprich die Distanz zu sich selbst und zu den anderen aufzuheben. Läßt aber dieser Druck nach oder stößt er auf Widerstand, kann sich die desintegrative Abdrift bis zur gesellschaftlichen Randständikgeit unkontrolliert fortsetzen.

9. Somit gerät der Distanzbegriff in ein schlechtes Licht, das auf die davon betroffenen Menschen zurückfällt. Und auch der eigentliche Wert der Distanz als Gradmesser und neutrales Gegenpol zur Nähe gerät völlig aus dem Blickfeld. Dabei kann (räumliche und zeitliche) Distanz einen besseren Überblick verschaffen, den Erfassungswinkel erweitern, Idealisierungstendenzen vorzubeugen helfen, Nüchternheit fördern, die Fähigkeit zum Abwägen stärken. Alles Plus­punkte, die unter bestimmten Umständen tatsächlich gefragt sind. Davon abgesehen, daß „aktiv“ praktizierte Distanz vielleicht doch noch zu einer gewissen Nähe führen kann.

10. Es steht also fest, daß nicht Nähe und auch nicht Distanz als solche zu be-, geschweige denn zu verurteilen sind, wenn auch andere Antonyme — Asozialität/Sozialität, Normalität/Singularität — sich hinter dieser Opposition profilieren. Vielmehr geht es um die Spannweite zwischen diesen Polen, um die eigene Fähigkeit, beide Extreme harmonisch zu verbinden, ohne dabei das (menschliche und dialektische) Verhältnis zu überdehnen. Die Entfernung zwischen beiden Ankerpunkten variiert nach den jeweiligen Umständen, wobei es eher auf den schmerzfrei begehbaren Streckenabschnitt als auf die Spannweite insgesamt ankommt.

11. Im menschlichen Miteinander sind Distanzverhalten und Nähestreben vielbedeutend und vielschichtig. Nähe stärkt das Selbstwertgefühl, befriedigt das Harmoniebedürfnis und kann dazu beitragen, dem Leben einen scheinbaren oder tatsächlichen Sinn zu verleihen. Nähe ist jedoch nur so weit erträglich, als sie nicht als Bedrohung für die eigene Identität und Integrität wahrgenommen wird. Daraus ergibt sich, daß Distanz das Fluchtverhalten des Gegenüber entschärft und eine Wiederannäherung ermöglicht. Ohne Distanz sowohl zu sich selbst als auch zu seinen Mitmenschen kann es keine Individualisierung, keine Selbst­behauptung, keinen Selbstschutz geben.

12. Verwirrender und scheinbar widersprüchlicher ist die Tatsache, sei sie nun im einzelnen situationsbedingt, allgemein­psychologisch begründet oder abwehr­mechanisch erklärbar, daß Nähe aus der Distanz — und manchmal nur aus der Distanz — gespendet und empfangen werden kann. Darin mag einerseits der am ehesten praktikable Mittelweg zwischen Herz und Verstand gesehen werden, andererseits aber auch der Ausdruck einer tiefverwurzelten Angst, an dieser Überspannung zu zerbrechen, das Zeichen für ein leidvolles und unüberbrückbares Hin- und Hergerissensein zwischen sich selber, den anderen und der Welt insgesamt.

 

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soulagement
impact temps
nahe
liberte peur

La liberte peut-elle faire peur ?
 

Être libre, c'est faire ce que l'on veut. C'est utiliser la liberté, faculté, pour l'individu, de choisir, quand il agit, quand il veut, quand il pense, sachant que l'on ne sait si le choix est bon qu'après l'action, d'ou la peur, la crainte ou l'angoisse. L'essentiel est de ne pas subir, mais d'agir.

Quand l'individu agit,la liberté d'action n'est autre chose, disait Hobbes, que « l'absence de tous les empêchements qui s'opposent à quelque mouvement : ainsi l'eau qui est enfermée dans un vase n'est pas libre, à cause que le vase l'empêche de se répandre, et lorsqu'il se rompt, elle recouvre sa liberté. Pour les hommes, l'État est la principale force qui la limite et la garantit : je suis davantage libre dans une démocratie libérale que dans un État totalitaire, mais je ne le suis jmais totalement.Elle est toujours relative et limitée.

Quand l'individu veut, la liberté de la volonté est moins un problème qu'une espèce de pléonasme : vouloir, c'est par définition vouloir ce que l'on veut . C'est la liberté de se choisir (Sartre : « toute personne est un choix absolu de soi ») ou de se créer (Sartre encore : « liberté et création ne font qu'un »).

« Les hommes se trompent en ce qu'ils se croient libres, écrivait Spinoza, et cette opinion consiste en cela seul qu'ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par où ils sont déterminés » (Éthique, 11, scolie de la prop. 35). Ils ont conscience de leurs désirs et volitions, mais point des causes qui les font désirer et vouloir (Éthique I, Appendice )
La liberté n'est jamais infinie ni absolue. Mais comment le serait-elle, en des êtres relatifs et finis, comme nous sommes tous ? Nul n'est libre absolument, ni totalement. On est plus ou moins libre : c'est pourquoi on peut philosopher (parce qu'on est un peu libre), et c'est pourquoi on le doit (pour le devenir davantage). La liberté n'est pas donnée, elle est à conquérir. On ne naît pas libre ; on le devient, et l'on n'en a jamais fini.

Quand l'individu pense, la liberté de penser, est bien réelle, puisque la raison, qui est en tous, n'appartient à personne. Comment pourrait-elle nous obéir ? « L'esprit ne doit jamais obéissance, écrivait Alain. Une preuve de géométrie suffit à le faire voir ; car si vous la croyez sur parole, vous êtes un sot ; vous trahissez l'esprit » . C'est pourquoi aucun tyran n'aime la vérité. Parce qu'elle n'obéit pas. C'est pourquoi aucun tyran n'aime la raison. Parce qu'elle n'obéit qu'à elle-même : parce qu'elle est libre. Non, certes, qu'elle ait le choix, si l'on entend par là qu'elle pourrait penser n'importe quoi. Mais parce que sa nécessité propre est le gage de son indépen­dance. Non que la vérité soit à choisir ; mais au contraire parce qu'elle ne l'est pas : parce qu'elle s'impose nécessairement à toute personne qui la connaît au moins en partie, et parce qu'il suffit de la connaître pour être libéré, au moins partiellement, de soi (puisque la vérité est la même en tout esprit qui la perçoit : quand un névrosé fait des mathématiques, la vérité des mathématiques n'en devient pas névrosée pour autant).

Pouquoi peut elle faire peur?

La liberté se détermine par le choix, et on ne sait si le choix est bon qu'après l'action.

La peur est l’émotion qui se manifeste à la perception ou à l’imagination d’un danger.

J’ai peur de ce danger que la peur précède : elle est en avance sur lui, et elle est justifiée. Par quoi elle a sa fonction vitale, qui est de précaution.

Contrairement à l’angoisse, cette disposition qui, selon Heidegger, nous place face au néant, l’objet de la peur est déterminé.

Mais la peur et l’angoisse débouchent sur la crainte : comme l’énonce Comte Sponville, « j'ai peur du chien qui me menace, je crains qu'il me morde « . J’ai peur du danger, je crains qu’il ne survienne.

La peur est une émotion, un affect momentané qui nous met en réaction alors que la crainte est un sentiment dont on peut se libérer par la connaissance et la volonté. Le courage permet de l’affronter, de la surmonter, bien qu’il ne soit pas toujours suffisant

Mais on ne se libère pas de la peur qui a une fonction vitale d’alerte et de précaution. Tout juste peut on s’y préparer. Par l’organisation de lois, de sociétés, de règles, par l’architecture, l’art, l’histoire nous nous préparons à l’affronter ou à l’éviter.

La cause peut en être réelle ou imaginaire, mais la peur est toujours bien réelle.

La liberté peut faire peur dans l'action. Elle agit dans certaines limites, mouvantes, celles des lois, des usages, des possibles, les siennes propres, mais elle est toujouirs transgression en cela qu'elle change, transforme ou repousse ces limites.

Elle est aussi choix. Pour Kierkegard; l'angoisse est le sentiment qui accompagne la liberté. Choisir implique que tout est possible, avec l'incertitude, difficile à supporter , des conséquences imprévisibles.

Choisir, c’est abandonner tous les possibles : le choix se fait contre ce qui est rejeté. Nous ne “choisirons” qu’une possibilité, et dès lors il faudra nous y tenir. Choisir c’est créer un futur. Le choix est le passage d’un passé fixé une fois pour toutes vers un avenir indéfini. Chaque choix nous crée. D’où l’angoisse : oser exister est dangereux !
Ce sont mes décisions qui donnent mes sens aux situations.

Ce n’est pas dans le choix que l’on perd, c’est dans l’irrésolution, cette «  espèce de crainte qui, retenant l’âme comme en balance entre deux actions….est cause qu’elle n’en exécute aucune »(Descartes). Dans le champ du choix, je vais me décider et sacrifier l’une des alternatives, y renoncer, ; dans celui de l’irrésolution, je vais ne rien faire, immobile, sans projet : je vais perdre.
Le choix suppose la décision, jamais une impulsion ou une spontanéité. Il renvoie donc à l’acte volontaire, acte par lequel je me détermine à agir. Choisir, c’est se déterminer après avoir considéré plusieurs possibles.Comme le rappelle Aristote dans son Ethique à Nicomaque, le choix porte toujours " sur les choses qui dépendent de nous " dans la mesure où je ne peux pas choisir ce que je ne pourrais pas réaliser - à l’inverse du souhait qui peut porter sur des choses impossibles.
Si choisir est un acte de liberté en tant qu’il dépend de moi, ce n’en est pas un puisque l’objet du choix ne dépend pas de moi.
La liberté n’est pas n’être soumis à rien, mais se donner ses propres lois.
Choisir, c’est prendre le risque de se tromper, assumer quelque chose d’incertain : et il y a les autres, leur respect borne la liberté de chacun. Même avec soi-même on n’est jamais tout à fait d’accord : lorsque je choisis il y a quelque chose en moi qui commande et quelque chose qui obéit.

La liberté de la volonté peut faire peur, parce que si l'action volontaire est consciente, ce n'est pas toujours le cas de ce qui a motivé l'action.

Tolérer, c’est ne pas interdire, ne pas exiger, laisser faire ce qu’on pourrait empêcher ou punir. C’est aimer la Liberté plus que la sienne propre. Ce n’est pas accepter, faire sien . La distance, la limite, entre ce que l’on pense et ce que pense l’autre , entre le champ de ma liberté et celle d’autrui que je tolère, semble claire.

Or quelle est la limite entre tolérance et intolérance. Je supporte un certain poids, un certain effort, une certaine dose d’alcool ou de pollution, mais il y a un seuil après lequel je romps ou je m’empoisonne .Cette limite incertaine et mouvante, peut me perdre, me tuer.

Nous devons tous vivre ensemble, justifie socialement la tolérance. Le pouvoir a besoin de cette nécessaire et impossible justification.

La frontière poreuse et indéfinie du savoir et du croire, fait naître des générations en qui l’esprit critique aura été remplacé par une adhésion vague à la tolérance.

La tolérance, la bonne conscience qui torpille le jugement, qui fait des différences, un droit acquis.

La liberté de la pensée peut faire peur

La pensée nous amène au delà du réel et peut nous faire verser dans l'utopie, les fausses croyances et certitudes qui en découlent, l'impossible ou même l'impensable.
D'ou la peur de la rupture du lien social, de l'isolement ( artiste, génie)

Montaigne : « la peur provoque la chose redoutée ».

 

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La perception peut-elle s'éduquer ?

 

La perception s’effectue au moyen des sens. Qui sont au nombre de cinq.

Si vous en avez plus, six, sept ou huit, remontez dans votre soucoupe à moins que vous ne soyez neurophysiologiste . Les cinq sens sont la vision ( à condition d'en avoir), le goût qui peut être du jour ou même douteux, l' odorat, qui aime se faire chatouiller, l'audition, et j'en ai passé plusieurs, pas toujkours en qualité de témoin et le toucher, mais laissons la prostate à sa place.

Ces sens sont donnés à presque tout le monde à la naissance, et la sensation, au début, parait immédiate et claire : je vois cette boule rouge, je sens le froid ( surtout quand je m’approche de mon ex-femme), j’entends les voix des anges qui m’ordonnent de bouter le roi hors de l'Elysée….mauvais exemple.

Seule une théorie, le perceptionnisme prétendait que l’esprit à une connaissance immédiate de la réalité extérieure.(Schopenhauer, Bergson)

Or rouge, froid, sont les propriétés de ce qui se présente à mes sens. La perception est une faculté vide de sens. Le sens est dans ce qui se présente à moi et dans les relations que j’établis entre les phénomènes,les sensations et mes connaissances, mon savoir.Les significations qui font comprendre ce qui est percu, se trouvent dans le champ d’apparition du phénomène, ses qualités, le reste du monde et mon expérience.

Erreurs des sens. Je percois un cube = hypothèse faisant appel à un savoir, que je puis être amené à abandonner ( Sartre), les roues des voitures semblent tourner vraiment en arrière, le soleil parait tout proche de la terre, la perception du temps et de l'espace.

Les illusions des sens sont nombreuses. Elles sont en outre à l'origine de croyances nuisibles au développement de l'individu et de la société.
Exemple : percevoir tout ce qui nous entoure comme des moyens à l'usage d'une fin — ce que Spinoza appelle l'erreur du finalisme — est dangereux. Si je perçois le Sida comme un châtiment divin avant de la percevoir comme une épidémie, je m'interdis de comprendre les causes de ces phénomènes, et de tenter de les éradiquer.
Autre exemple : si je perçois le soleil comme tout proche de la terre, je m'interdis de comprendre que l'univers n'est pas conforme à ce que j'en perçois — que le soleil est éloigné, qu'il est beaucoup plus gros que la terre, que c'est lui qui est immobile tandis que la terre tourne.
C'est le savoir qui éduque la perception. Au lieu de m'imaginer que la Terre est immobile au centre du cosmos, je dois comprendre qu'il est possible d'être en mouvement tout en se sentant au repos. J
Observer le soleil la nuit.

Education artistique.

La perception se distingue de la sen­sation qui, isolément, n'est qu'une abstraction. L'esprit unifie les sensations dans une conscience, dès le départ, et c'est la percep­tion même. Les bruits deviennent information. “ Percevoir, c'est se représenter ce qui se présente : la perception est notre ouverture au monde et à tout”.(C.S.)

L'humanité, en chacun, est aussi une acquisition : on naît homme, ou femme, on devient humain.

 

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perception eduquer
insatisfaction

L’insatisfaction est-elle une source de bonheur ?

 

Si tel était le cas, comme Mr Jourdain pour ce qui est de la prose, je serais heureux sans le savoir.

L’insatisfaction est l’état qui résulte du fait que l’on a pu obtenir ce que l’on souhaitait. Nos désirs, nos passions ne sont pas assouvis : nous ne connaissons pas l’apaisement. Et cet état serait négatif si le sens de la vie était autre chose qu’une quête incessante, la recherche d’un état, d’un savoir idéal..

Le bonheur, pour Kant, serait « un idéal, non de la raison, mais de l'imagination »et non la satisfaction de tous nos désirs. Ne serions jamais heureux, puisque le monde ne nous obéit pas, puisque nous ne savons désirer, presque toujours, que ce qui nous manque ?.

La joie est accessible parce qu’elle est impermanente, jaillissement alors que le bonheur devrait être un état constant de satisfaction.

Comte Sponville : «  Le bonheur suppose la durée, comme l'avait vu Aristote (« une hirondelle ne fait pas le printemps, ni un seul jour le bonheur »), donc aussi les fluctuations, les hauts et les bas, les intermittences, comme en amour, du cœur ou de l'âme... Être heureux, ce n'est pas être toujours joyeux (qui peut l'être ?), ni ne l'être jamais : c'est pouvoir l'être, sans qu'on ait besoin pour cela que rien de décisif n'advienne ou ne change. . Le bonheur appartient au temps : c'est un état de la vie quotidienne. Qui a connu le malheur n'a plus de ces naïvetés, et sait, au moins par différence, que le bonheur aussi existe. Le confondre avec la félicité(une joie permanente), c'est se l'interdire. Avec la béatitude, (une joie éternelle) c'est y renoncer. Péchés d'adolescent et de philosophe. Le sage n'est pas si bête.

On peut appeler bonheur, c'est en tout cas la définition que je propose, tout laps de temps où la joie est perçue, fût-ce après coup, comme immédiatement possible. Et malheur, inversement, tout laps de temps où la joie paraît immédiatement impossible « .

Le bonheur serait-il donc un état ou un idéal ? Mais un idéal dans la recherche duquel la joie, le plaisir, seraient toujours possibles alors que vouloir qu’il soit un état permanent l’empêche même d’être, de le vivre, de le ressentir, au jour le jour..

Alain : « Le bonheur est une récompense, qui vient à ceux qui ne l'ont pas cherchée. »

La quête du bonheur
La quête, c’est la recherche par le questionnement. Rien ne nous parle si on ne l’interroge pas. Le sens ne nous apparaît qu’en questionnant. L’absence d’interrogation, c’est l’ennui, la platitude, le néant de l’être. Savoir interroger, c’est déjà s’ouvrir au bonheur. Mais qui, quoi, comment questionner pour accéder au bonheur.
La joie est un affect, une émotion . On la sent et la ressent. Il faut l’avoir ressentie, expérimentée pour en parler.
Elle est l’élément du bonheur, son contenu. «  I am the king of the world « . L’être est en osmose avec le monde.
La joie est intensification de notre existence, expansion de ce que nous sommes, le plaisir d’exister.
Quand la joie est ressentie, perçue, ce moment, ce temps privilégié, c’est le bonheur. Il n’est ni la satisfaction de tous nos désirs , ni la permanence de la félicité, ni l’éternité de la béatitude.

Le bonheur est en lui-même quête de plaisir, d’amour, de joie. Il ne se recherche pas. Il est questionnement.

Citations Ceux pour qui le bonheur est dans l’action, dans la quête elle-même :

Il n'est pas difficile d'être malheureux; ce qui est difficile c'est d'être heureux; ce n'est pas une raison pour ne pas essayer; au contraire; le proverbe dit que toutes les belles choses sont difficiles. Alain
La vie privée est toujours triste, si chacun attend le bonheur comme quelque chose qui lui est dû. Alain
Le bonheur est un délicat équilibre entre ce que l'on est et ce que l'on a.
Le bonheur n'est pas le but mais le moyen de la vie. Claudel, Paul
Le bonheur exige du talent. Le malheur pas. On se laisse aller. On s'enfonce. C'est pourquoi le malheur plaît et le bonheur effraye la foule. Cocteau, Jean
La nécessité de rechercher le véritable bonheur est le fondement de notre liberté. Locke, John
Le vaniteux fait dépendre son propre bonheur de l'activité d'autrui; le voluptueux, de ses propres sensations et l'homme intelligent, de ses propres actions. Marc Aurèle
La volupté même et le bonheur ne se perçoivent point sans vigueur et sans esprit. Montaigne
Les grands bonheurs viennent du ciel, les petits bonheurs viennent de l'effort. Proverbe chinois

Ceux pour qui il y a rapport entre connaissance, intelligence et bonheur :

L'aptitude au bonheur n'a rien à voir avec le quotient intellectuel.
Le bonheur est à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. Aristote
Le bonheur on s'y fait, le malheur on ne s'y fait pas, c'est ça la différence. Audiard, Michel
Le bonheur: comme une raison que la vie se donne à elle-même. Beauvoir, Simone de |
... si quelqu'un arrive à la connaissance, c'est bien souvent aux dépens de son bonheur. Erasme
La gravité est le bonheur des imbéciles. Montesquieu
Tous les hommes cherchent le bonheur, même ceux qui vont de pendre. Pascal, Blaise
Ce n'est pas de vivre selon la science qui procure le bonheur; ni même de réunir toutes les sciences à la fois, mais de posséder la seule science du bien et du mal. Platon
Ce n'est pas dans la connaissance qu'est le bonheur, mais dans l'acquisition de la connaissance. Poe

Le bonheur imposé de l’extérieur :

Le pire des crimes, c'est de torturer ou massacrer les êtres humains pour faire leur salut ou leur bonheur selon sa propre idée. Barjavel

Ceux qui ont fait une utilisation sociale de l’idée de bonheur :

Pour chaque être, il existe une sorte d'activité où il serait utile à la société, en même temps qu'il y trouverait son bonheur. Mbarres
Il y a une limite au bonheur qu'on peut tirer de son travail. On est même d'autant plus heureux qu'on passe moins de temps au travail.
Ce qui fait le bonheur des hommes c'est d'aimer à faire ce qu'ils ont à faire. C'est un principe sur lequel la société n'est pas fondée. Helvétius, Claude Adrien
Etre capable d'occuper intelligemment ses loisirs, tel est l'ultime produit de la civilisation. Russell, Bertrand

Ceux qui le jugent avec ironie et scepticisme :

N'ayez pas peur du bonheur; il n'existe pas. Houellebecq, Michel -
On n'échappe pas au spectacle du bonheur. Blanchot, Maurice
Le bonheur humain est composé de tant de pièces qu'il en manque toujours. Bossuet
Le bonheur n'est pas chose aisée.
Il est très difficile de le trouver en nous, il est impossible de le trouver ailleurs. Bouddha
Il ne faut pas avoir peur du bonheur. C'est seulement un bon moment à passer. Gary, Romain

Ceux qui le jugent avec humour :

Si l'argent ne fait pas le bonheur, rendez-le. Renard, Jules L'argent des uns n'a jamais fait le bonheur des autres. Dac, Pierre
Bonheur: Agréable sensation qui naît de la contemplation de la misère d'autrui. Bierce, Ambrose |
L'argent ne fait pas le bonheur des pauvres. Ce qui est la moindre des choses. Coluche
On dit que l'argent ne fait pas le bonheur. Peut-être, mais il permet de choisir la misère que l'on veut. Denaix, G.
L'argent ne fait pas le bonheur. C'est même à se demander pourquoi les riches y tiennent tant. Feydeau, G.
Les femmes des uns font le bonheur des autres. A quelque chose, bonheur aussi est bon. Reverdy, Pierre
Il n'y a pas de bonheur parfait! dit l'homme quand sa belle-mère mourut et qu'on lui présenta la note des pompes funèbres.JKJ

Ceux qui disent peut-être n’importe quoi :

Le bonheur est quelque chose qui se multiplie quand il se divise. Coelho, Paulo
Ne détestez rien car ce que vous détestez pourrait faire votre bonheur. Coran
Le bonheur ne consiste pas à acquérir ni à jouir, mais à ne rien désirer, car il consiste à être libre. Epictète
le bonheur de l'homme n'est pas dans la liberté, mais dans l'acceptation d'un devoir. Gide, André
Pour la jeunesse, le bonheur c'est jouir. Ne pas souffrir est le bonheur de l'âge. Green, Julien
L'homme jouit du bonheur qu'il ressent, et la femme de celui qu'elle procure.
Le bonheur, c'est tout ce qui arrive entre deux emmerdements...

 

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Ainsi soit-elle, trente ans après

 

Je vais commencer par une question adressée aux femmes de cette assemblée. Quelles sont celles qui portent un pantalon ?

Savez-vous, mesdames, que vous êtes hors-la-loi ?

Depuis le Directoire, le port de ce vêtement, emblème de la puissance masculine, est interdit aux femmes. En 1892, le pantalon n’est  toléré que si elles poussent une bicyclette ou si elles tiennent un cheval par la bride.

Voici un exemple du peu de liberté qui nous était accordé. Cet article du Code Civil n’a même pas été abrogé !

Il a fallu  se battre. Il a fallu  s’armer de patience et d’opiniâtreté pour obtenir les conditions de vie qui sont les nôtres aujourd’hui.

Dans son livre, Ainsi soit-elle, publié en 1975, Benoîte Groult, professeur de littérature, journaliste et écrivaine, retrace, avec un humour parfois piquant, la longue histoire des hommes et des femmes qui vivaient dans deux mondes parallèles tant la différence de considération et de respect entre ces deux pôles de l’humanité était abyssale.

L’idée de liberté pour la femme naît à la Révolution française. Le sexe dit “faible” lutte auprès des hommes pour l’abolition des privilèges.  Le 5 octobre 1789, ce sont les Parisiennes qui se rendent à Versailles pour réclamer du pain, elles reviennent à Paris avec le roi. Michelet le dira : « Les hommes ont pris  la Bastille, les femmes ont pris le roi ».

Ces combattantes ont bien gagné leur liberté.

À l’instar de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Olympe de Gouge propose, en 1791, une « Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne ». Elle y prône l’égalité des sexes et l’émancipation  de la femme. Elle sera guillotinée deux ans plus tard.

À cette époque, les femmes obtiennent toutefois quelques avantages : le mariage devient un contrat entre époux et le divorce est possible ; d’autre part, le droit d’aînesse masculin est supprimé, si bien que tous les enfants sont égaux devant la succession quel que soit leur rang de naissance ou leur sexe.

Les femmes militent pour acquérir le droit de vote : la réponse qu’elles obtiennent est l’interdiction des réunions féminines. Après les manifestations de 1792, le procureur général Chaumette renvoie ces épouses excitées à leurs foyers.

Mais l’idée de liberté pour les femmes franchit les frontières. De l’autre côté de la Manche, la Britannique Mary Wollstonecraft revendique une éducation semblable pour les hommes et les femmes.

En 1804, Napoléon proclame dans son Code civil « la liberté pour tous » et dans le même temps, il déclare l’incapacité civile des femmes.

Et une bataille féministe de perdue !

En 1808, le philosophe utopiste Charles Fourier, précurseur du socialisme (on se souvient de ses phalanstères), réclame le droit de vote pour les femmes et la liberté en amour. Il serait, en 1837, à l’origine du mot « féminisme » qui définit un mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société.

Nouvelle idée pour un nouveau monde. Les colons ont débarqué en Amérique avec leurs familles : hommes et femmes ont gagné ensemble ces nouveaux territoires. En 1869, reconnaissants, les maris du Wyoming accordent à leurs épouses le droit de vote. En quelques décennies, d’autres États suivront, si bien que les Américaines seront les premières à voter.

Le féminisme progresse doucement. En 1861, une Vosgienne, Julie Victoire Daubié, est la première femme à devenir bachelière en France. Elle attendit longtemps de recevoir son diplôme… Le ministre Gustave Rouland refusa de le signer. Allez savoir pourquoi ?

En 1850, la loi Falloux obligea les communes de plus de 800 habitants à ouvrir une école pour les garçons et pour les filles.

Alors que les universités suisses sont ouvertes aux femmes depuis dix ans déjà, en 1880, Camille Sée, un député de gauche proche de Jules Ferry, décrète que les filles sont aussi aptes que les garçons à recevoir une éducation secondaire. La loi Sée aboutit à la création de lycées pour filles ; auparavant, cet enseignement était dispensé dans des écoles privées ou religieuses.

L’Église, qui a longtemps  maintenu les filles dans l’ignorance, s’oppose à cette avancée : des femmes qui pensent ! Vous n’y pensez pas !

Le divorce, aboli en 1816 pour incompatibilité avec le catholicisme, est rétabli en 1884, mais uniquement s’il s’agit d’une séparation pour faute. Depuis 1810, le délit d’adultère était puni d’une amende pour les hommes et d’une peine de prison pour les femmes.

Faibles progrès de l’émancipation féminine...

 

Les pères de l’Église étaient misogynes, ils ont choisi Ève pour faire  porter le poids du péché originel sur la femme. La figure d’Ève servit ainsi à justifier l’origine du mal. La femme était le mal. Il faut toutefois reconnaître que la religion chrétienne a permis à la femme d’échapper à la polygamie, à la répudiation et à l’excision.

Comme si des générations de misogynes ne suffisaient pas, le docteur Freud, avec ses théories sur la sexualité, tente de démontrer que le seul organe sexuel valable est le phallus : son absence chez la femme, ce trou béant, serait la cause de tous ses tourments.

Est-il vrai que Freud a défini le féminisme comme « un parti en mal de pénis » ?

Freud reste toutefois le premier à s’être intéressé de manière scientifique à la sexualité. Au fait, quel est le contraire de la libido ? … le bidoli (bide au lit) !

Sainte ou putain, la femme avait le droit soit au respect, soit au plaisir, jamais aux deux. Parlant de plaisir, combien d’hommes envisageaient d’en donner pour en recevoir ? Clitoris ? C’est quoi cette bête là ?

 

Pauvres femmes ! Méprisées et mal baisées, parfois battues, comment ne pas devenir hystériques ?

 

Dans son livre, Benoîte Groult décrit un cercle crétinisant  Pour faire des femmes des ignorantes la recette est simple :

- Quelques savants hommes  décrètent que les femmes sont faibles d’esprit.

- En conséquence, il est inutile de les instruire.

- Une nouvelle génération de penseurs peut alors constater qu’elles sont sottes et ignorantes.

Et puis, à quoi bon les instruire : elles ont si peu à faire ! Dans l’espace germanique, les domaines dans lesquels les femmes doivent se cantonner sont définis par les trois « K » : Kinder, Kirsche, Küche, c’est à dire les enfants, la religion et les travaux domestiques.

 

C’est par le travail, lors de la révolution industrielle, que la femme commence son émancipation. Grâce à la lutte des classes, en 1892 le travail de nuit est interdit aux femmes. En 1907, l’épouse peut disposer librement de son salaire. En 1945, à travail égal, salaire égal. En 1965, la femme peut travailler sans avoir à demander l’autorisation à son mari.

Le congé de maternité, le droit à la contraception puis à l’avortement seront de grandes victoires féminines. Ces progrès, associés à une meilleure scolarisation, permettront, entre 1960 et 1990, de doubler le nombre de femmes au travail (elles passent de 6 à 12 millions), ce qui leur permit d’acquérir leur indépendance financière et leur autonomie.

Le taux de fécondité élevé en France (il est de 2,0 enfants par femme) montre que les femmes ont su concilier maternité et carrière professionnelle.

Bien sûr, des inégalités demeurent. Ce qu’on nomme le “plafond de verre” désigne une sorte de frontière socioprofessionnelle invisible qu’il est presque impossible aux femmes de dépasser : c’est un obstacle au déroulement des carrières féminines, un frein aux ambitions personnelles qui est parfois autoentretenu. C’est le syndrome de l’imposteur. Sans être une maladie, ce mal atteint l’estime personnelle et ruine l’existence. C’est une auto mutilation psychique qui empêche l’individu d’apprécier ses capacités pourtant bien réelles. Le doute s’empare de lui : s’il réussit, c’est qu’il a eu de la chance ; s’il perd, c’est de sa faute.

La prévalence du  syndrome de l’imposteur  est plus importante chez les femmes. Les siècles de domination masculine et de soumission féminine seraient-ils à l’origine de ce mal ?

Existe-t-il un rapport entre ce syndrome et la « violence symbolique » dont parle Pierre Bourdieu ? Je cite le sociologue : « J’ai toujours  vu dans la domination masculine l’exemple de cette soumission paradoxale, effet de ce que j’appelle la violence symbolique, douce, insensible, invisible pour ses victimes mêmes, qui s’exerce pour l’essentiel par les voies purement symboliques de la communication et de la connaissance, ou plus précisément de la méconnaissance, de la reconnaissance ou, à la limite, du sentiment. »

 

L’oppression d’un sexe sur l’autre se manifeste parfois insidieusement. Les hommes sont-ils conscients de leur domination ? De même que les femmes  ont elles conscience d’être dominées et de subir leur situation ?

Depuis longtemps conditionnée, la femme a intégré son infériorité. Les garçons ont une meilleure estime d’eux-mêmes alors qu’aux examens ce sont les filles qui ont de meilleurs résultats.

Les femmes peuvent être  leurs propres ennemies. En voici un exemple tiré d’  Ainsi soit-elle  : Au cours d’une expérience,  deux cents étudiantes ont été invitées à juger un essai philosophique. La moitié des exemplaires était signée d’un prénom masculin, l’autre d’un prénom féminin, mais tous portaient le même patronyme. La grande majorité des étudiantes ont considéré l’essai portant le prénom masculin comme « original, fécond, profond » et  l’essai au prénom féminin comme « banal et sans intérêt ».

Dans les rapports hommes/femmes  se pose le même problème que dans  la servitude volontaire. Doit-on légiférer pour lutter contre les inégalités ? Peut-on obtenir le respect par la contrainte ? Parfois les mœurs sont en avance sur les lois et parfois il est nécessaire de légiférer pour faire évoluer les mentalités.

À l’intérieur du grand groupe des femmes, on observe différentes variantes du féminisme. Toutes visent à lutter contre les préjugés, les stéréotypes, les mentalités rétrogrades. Afin de mieux comprendre les différents courants de pensée féministe, il a été nécessaire de les classer en fonction des analyses des relations de subordination et des stratégies de changement.

Plusieurs types de féminisme ont été décrits, en m’appuyant sur les travaux de Louise Toupin, chargée de cours en études féministes au Québec, je vais tenter de vous en résumer l’essentiel.

• Le féminisme libéral - égalitaire, issu de la Révolution française, est fondé sur l’égalité homme – femme. Il demande la même égalité des droits, de l’éducation,  du  travail et des salaires. Il s’apparente à la philosophie libérale  et veut croire dans la capacité de réforme d’une société perfectible. Il propose des stratégies de changement par l’éducation et l’élaboration de lois appropriées.

 

• Le féminisme marxiste est marqué par les idéaux de gauche : il s’appuie sur l’organisation économique de la société et sur la division sexuée du travail. Pour ses adeptes, l’oppression des femmes remonte à l’apparition de la propriété privée. La transmission par l’héritage nécessite le mariage monogamique. La femme est un bien comme un autre ! Le changement arrivera par le renversement du capitalisme, par la propriété collective, par la disparition du mariage et par la prise en charge des enfants par la communauté.

Pour le féminisme matérialiste issu de cette mouvance, l’explication de  l’oppression de la femme est clairement sociale. Elle est à  chercher dans  la matérialité des faits et des rapports sociaux.

Ce genre de féminisme renvoie à d’autres systèmes de domination comme le racisme, l’hétéro-sexisme, le classisme.

 

• Le féminisme radical ou différentialiste correspond au néo-féminisme occidental. Radical, parce que la domination des hommes sur les femmes s’enracine dans le patriarcat, d’où la nécessité de nouveaux rapports hommes/femmes radicalement différents. Le patriarcat impose  en effet un pouvoir sur le corps des femmes en contrôlant leur maternité et leur sexualité. Il est à l’origine des deux cultures : la masculine dominante et la féminine dominée. Les stratégies de changement de ce féminisme radical se fondent premièrement sur le développement d’une culture féminine alternative pouvant même aller jusqu’au séparationisme (vie entre lesbiennes ou célibat) ; deuxièmement, sur une offensive contre le patriarcat, les femmes doivent  se réapproprier leur corps. D’un côté, ce féminisme radical lutte contre la pornographie, les concours de beauté, les mutilations sexuelles ou physiques et la violence conjugale. D’un autre côté il revendique la liberté sexuelle, le droit à la contraception ou à l’IVG.

Le féminisme différentialiste naîtra de l’influence de la psychanalyse sur le féminisme radical. Reconnue en tant que femme, avec un savoir et un pouvoir qui lui sont propres, protégée de l’emprise du patriarcat et de l’assujettissement aux valeurs marchandes, la femme peut de nouveau s’identifier à son propre corps, se réapproprier sa culture et son imaginaire. Ce courant marque un retour vers la différence biologique et  psychologique des femmes.

Si on place sur une ligne continue le féminisme matérialiste avec son explication sociale sur pôle, et sur le pôle opposé, le féminisme différentialiste et son explication biologique, on obtient entre les deux toutes les formes de féminisme.

 

« On ne naît pas femme, on le devient », que dirait aujourd’hui Simone de Beauvoir ?

 

Après cette rétrospective je mesure la chance d’être femme en France à notre époque. Je félicite les femmes qui ont mené ce combat. Je ne veux pas être ingrate, messieurs, il faut que je vous remercie aussi de me permettre de jouir de toutes ces libertés.

 

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ainsi soit

L’ambiguité du langage

 

Dualité profonde du terme « langage », qui peut être parole, signe ou manifestation corporelle. Le langage ne serait pas fidèle à la pensée mais il n’y a pas de pensée sans expression. Penser c’est se parler à soi-même, la pensée est de l’ineffable butant sur le langage.

Le langage écrit est sujet à interprétations et ce n’est donc pas un moyen sûr de communication. Quant au langage oral comme le langage politique, il est aussi  fortement sujet à l’ambiguïté voire à la manipulation.

Le langage est donc source d’incompréhension, mais comporte un sens toujours à conquérir.

 

1-Ambiguité du langage par rapport à soi

 

 . Les mots me manquent : les mots m’éloignent-ils des choses ? la dénomination des objets vient-elle après la reconnaissance ou est-elle la reconnaissance elle-même ? Il nous faut nous approprier l’objet par la pensée et c’est par l’expression que cet objet-pensé devient nôtre.

C’est l’ambiguïté fondamentale du langage avec une correspondance bi-univoque de la chose.

Mais l’ambiguïté est essentielle au langage, on risquerait même la névrose en essayant de la réduire en passant par la définition de la chose en soi. On a l’Idée mais qui ne définit pas tout à fait  la chose, on frôle l’échec et l’aporie ; La chose en soi est définie par son être, son essence, son existence.

 

De Platon qui tendait vers le « 1 » à Aristote qui prônait les êtres divers, nous introduisons un système de l’ambiguïté : Une logique avec l’ambiguïté des contraires, une corrélation ambiguë entre la cause et la concomitance du fait de l’imprédictibilité de la mesure et du principe d’incertitude, une linguistique ambiguë dont le sens est lié aux référentiels, et enfin selon Merleau-ponty l’étant et le moi proustien ne sont pas unitaires mais plusieurs.

 

  . Le langage et la Raison : La Raison fabrique du sens et se manifeste par le langage, mais le langage produit aussi du sens et donc va-t-il au-delà de la raison, l’enrichit-il par feedback ou la réduit-il ?.

 . Le langage avec l’alcool et la drogue : On suspend la raison, la question mal donnée et mal posée n’aura pas de résolution, on se trouve au-delà de l’ambiguïté.

  . La Raison met de l’ordre dans l’expression par le langage issu de la confusion primitive des sensations et des émotions premières. La Raison agence le sensible dans l‘intelligible mais demeure ambigu, même si le langage structuré fait du donné diffus une idée claire et distincte (petit instant de siècle des Lumières en notre fors intérieur).

 . Pour un nombre fini d’éléments nous avons une multiplicité des énoncés infinis et donc une ambiguïté inévitable.

 . Le langage s’évade des stimuli du réel pour ouvrir des possibilités infinies, avec un gisement fécond d’ambiguïtés.

 . L’ambiguïté est inhérente à l’imagination personnelle, l’imagination est une constellation de connotations de mots, l’imagination ressortit de la logique et nous avons un langage propre à chacun, et cela a pour conséquence, pour l’humain, de lui permettre de se détacher du réel. Cela relève d’aires du cerveau dont celle de Brocca qui se mettent ensemble pour, à partir d’un mot, évoquer toutes les connotations chez l’émetteur et chez le récepteur. Donc l’ambiguïté est inhérente au cerveau imaginatif.

 . L’ambiguïté génère l’extension-précision, de l’émetteur au récepteur le message perd en précision mais gagne en extension. Chez l’émetteur la richesse du langage procède de jeux de mots, d’évocation plutôt qu’expression par le langage ; C’est une souplesse mentale où chacun a sa représentation du Monde, un comportement efficace pour parer à tous les stimuli reçus de l’environnement.

 

2- Ambiguïté par rapport aux autres

 

 a) . La violence peut remplacer le langage dans l’intersubjectivité lorsqu’il y a incapacité à parler de manière univoque et claire, par défaut de maîtrise du langage il ne peut y avoir de résolution de tension, mais un langage ambigu et de la violence.

 b) . Les sous-entendus :

   . Si nous avons des présupposés inconscients, nous pouvons donner un autre sens à Descartes par exemple, avec des éléments inconnus de son temps.

  . Le lapsus donne au langage un sens sous l’apparemment insensé, le sens latent prend le pas sur le sens patent pour l’émetteur et vice versa pour le récepteur.

  . Le langage de l’émetteur peut être reçu par le récepteur  avec distorsion en fonction de l’asymétrie due à la hiérarchie du savoir, de l’état socioculturel ou des interdits.

 c) Le langage des sophistes  centrés davantage sur la forme que sur le sens, avec un objectif de séduction, de publicité, de tromperie pour capter le suffrage, c’est une rhétorique frauduleuse…comme aujourd’hui la raison d’Etat ou le storytelling.

 d) Le langage poétique et ses licences sont propres à des évocations des suggestions, différentes selon les récepteurs.

 e) La fonction magique du langage dans les mythes ou les contes. Le mot se détache de la chose, le mot dit ce qui n’est pas encore et ressuscite ce qui a disparu, le mythe est la chose elle-même mais dit sans le dire.

 

3- L’ambiguïté est plus riche que l’univocité

 

 a). Le langage conceptuel comme le langage informatique, est univoque, normalisé et standardisé, avec une pauvreté mais une précision de sens pour tout le monde. La communication des masse-médias, Télé surtout, tendent à formater un langage univoque et pauvre, ainsi le débat sur l’identité nationale signifie pour tout le monde un débat sur l’immigration.

 

 b). Le langage dans la propagande nazie, univocité et non ambiguïté

 Plus un discours s’adresse aux sens, moins il s’adresse à l’intellect plus il est populaire il franchit la frontière entre la popularité, la démagogie, la séduction d’un peuple dès lors qu’il passe délibérément du soulagement de l’intellect pour ses choix dans l’ambiguïté, à sa mise hors circuit et à son engourdissement.

C’est une hystérie de la langue avec menace de mort, c’est moins un discours qu’un hurlement  sauvage, une explosion de rage. La langue du IIIème Reich , c’est la LTI Langua Tertia Imperatii, une homogénéité de la langue écrite qui provoque l’uniformité de la parole.

C’est l’effet toxique des mots comme de petites doses d’arsenic, la langue nazie imprègne tout et trompe le peuple , on croit être héroïque et vertueux alors qu’on est fanatique…..

 

Gérard

 

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QUE PENSER DE LA PHILOSOPHIE SOCIALE AUJOURD’HUI ?

 

Réflexion à partir du Manifeste pour une philosophie sociale aux Ed. La Découverte 2009

de Franck Fischbach, professeur de philosophie à Nice.

 

Introduction

 

La philosophie sociale a fourni de nombreux concepts permettant une compréhension critique des sociétés modernes : « aliénation », un des premiers historiquement, « idéologie », « lutte des classes », « fétichisme de la marchandise », « nihilisme », « perte du sens », « désenchantement du monde », « modernisation « et « rationalisation sociale », « réification de la conscience », « perte de l’aura », « appauvrissement de l’expérience », « existence inauthentique », « médiocrité du On », « âge de la technique », « sécularisation », « unidimensionnalité » « totalitarisme », « banalisation du mal », « bureaucratisation », « discipline », « contrôle », « colonisation du monde vécu », « lutte pour la reconnaissance » etc. Les guillemets qui les entourent signalent qu’il s’agit de quasi-citations, c’est-à-dire des concepts signés dont on peut identifier les auteurs ( Feuerbach, Marx, Nietzsche, Simmel, Weber, Lukàcs, Benjamin, Horkheimer, Adorno, Heidegger, Sartre, Marcuse, Arendt, Castoriadis, Foucault, Deleuze, Habermas, Honneth). Il n’y a guère que la psychanalyse pour avoir diffusé aussi largement ses concepts dans la société et pourtant… la philosophie sociale n’a pas sa place en France comme discipline universitaire. Nous nous interrogerons sur cette situation avant de tenter de définir ce que pourrait être une philosophie sociale et quels sont les écueils qui jalonnent ce type de réflexion philosophique.

 

1) Pourquoi la philosophie sociale n’existe pas en France comme discipline universitaire ?

      Créée en France en 1793 pendant la Révolution française par un écrit anonyme d’un certain Junius Frey, en réalité Moses Dobruska, la philosophie sociale se pratique aujourd’hui, en France, mais elle n’est pas désignée, rarement assumée et encore moins instituée comme telle.

Historiquement, le Saint-simonisme et le positivisme comtien ( philosophies sociales), n’ont pas réussi à s’institutionnaliser comme philosophies dominantes au XIXème siècle. Elles sont remplacées par une tradition réflexive et spiritualiste qui fécondera après 1871 la sociologie française,  scientifique et normative,  avec Durkheim.

En Allemagne, par contre, les fondateurs de la sociologie allemande, Simmel, Tönnies, Weber,  ont reconnu leur dette à l’égard de la philosophie en général ( Nietzsche, par exemple). La sociologie allemande naît ainsi sans conflit avec la philosophie sociale. Elle la féconde et la relance avec Lukàcs, Horkheimer et Adorno. La philosophie sociale est une discipline à part entière Outre-Rhin au même titre que la philosophie politique ou morale.

 

Dans les années 1980, en France, la philosophie politique revient sur les acquis des années 1950-1960. Elle dépolitise l’approche du social et cesse tout dialogue avec les sciences sociales. L’exemple de Luc Ferry est caractéristique à cet égard.

Il s’agit donc de se demander si la philosophie sociale peut retrouver sa place en France. Comment pourrait-on la définir ?

 

2) Les caractéristiques d’une philosophie sociale.

 

· La philosophie sociale fait la distinction nette entre l’Etat et la société.

· Ses concepts ont une double face : celle de la connaissance de la société et celle de la critique de cette société qui consiste à mettre en lumière ses dysfonctionnements.

· Cette critique se veut totalisante et non partielle : par exemple, Marx,  s’attache à décrire la nouveauté de la société capitaliste pour en faire ensuite une critique. Il  affirme que le concept de valeur définit la société en structurant l’ensemble des pratiques sociales et des formes de conscience.

· La philosophie sociale s’intéresse aussi à la critique du « social » comme construction sociale. « Faire du social » peut revenir à assister les personnes, à euphémiser la dimension de lutte de la réalité sociale et à gommer la conflictuosité.

· La philosophie sociale peut être caisse de résonance des luttes dans la mesure où les discours des acteurs des luttes sont le plus souvent disqualifiés car venant des dominés. Il s’agit ici, non de traduire la langue des précaires, mais de donner de la voix à la voix inaudible.

· La philosophie sociale féconde les sciences sociales et inversement : le concept de reconnaissance, par exemple, est à l’entrecroisement du concept philosophique et d’une distinction sociologique ( précarité de l’emploi, baisse du niveau de protection sociale, précarité du travail et déni de reconnaissance).

En conclusion, on pourrait définir la démarche de la philosophie sociale de la manière suivante : elle prétend faire le diagnostic de ce qui ne va pas dans la société telle qu ‘elle est, et de ce qui dans l’ordre social existant, non seulement fait obstacle à l’épanouissement de la plupart des individus, mais leur impose des formes de vie profondément dégradées et mutilées. Les questions qui se posent alors sont : qu’est-ce qu’une vie humaine dégradée ou mutilée ? Qu’est-ce qu’une vie aliénée ? La philosophie sociale commence par l’interrogation sur ce qui est ressenti comme une vie dégradée.

 

3 ) Les écueils que rencontre la philosophie sociale.

 

· Le normativisme.

Il faut éviter de définir des normes en dehors de ce dont les acteurs sociaux sont porteurs.  Par exemple, s’il est question de travail précaire, de poser le travail comme valeur d’autoréalisation ou de parler de pathologies sociales en sous-entendant un état social normal préexistant. Ce qui ne va pas dans la société est déterminé par les individus qui vivent dans une formation sociale et qui ressentent un écart entre leurs attentes et le degré de leurs réalisations.

· Mobiliser des présupposés substantiels au sujet de ce qu’est une vie bonne ou accomplie qui deviendraient des normes.

La philosophie sociale n’a pas à déterminer des contenus de modèles de vie accomplie, mais elle se doit de rechercher quelles sont les conditions qui permettent au plus grand nombre d’individus de mener une vie bonne quels que soient la nature et le contenu de ce qu’ils considèrent comme une vie bonne.

 

Conclusion

La philosophie sociale s’articule ainsi à une réflexion éthique ( qu’est-ce qu’une vie bonne) et à une réflexion politique sur les luttes pour aboutir aux conditions sociales d’une vie bonne pour le plus grand nombre.

 

Geneviève

 

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philo sociale
ambiguite
identite 2

Préambule  : Aujourd’hui mercredi 25 novembre nous fêtons Ste Catherine d’Alexandrie, patronne, entre autres, des philosophes.

Elle réussit à convertir les 50 philosophes que l’empereur Maxence avait réunis pour la confondre !! Une pensée spirituelle de sainte Catherine : « J’ai étudié les langues, exploré toute la science des philosophes et des poètes. Mais j’ai compris : ce ne pourrait être que vanité ».

 

 

 Thème de la séance : Qu’est-ce que l’identité ?

 

Ce thème ayant été traité en 2007, selon une brillante histoire ontologique de l’identité, nous tenterons ici d’illustrer cette problématique selon une approche psychosociale.

Plan :

1- L’identité en péril d’Ulysse : risque de la perte de la patrie, de l’identité et même de la condition d’homme, et conditions de sa restauration.

2- L’identité forgée solitairement, donnée primitive ou construction par le souvenir de notre histoire.

3- L’identité serait plutôt une donnée psychosociale.

4- L’identité est évolutive et donc fragile

5- Les troubles de l’identité, un moyen d’interroger notre identité.

6- L’identité numérique : l’identité du personnage qu’on se créé pour les jeux de rôle

7- Brèves remarques sur l’identité nationale

8- Brèves remarques sur l’identité européenne.

9-

1-Le mythe d’Ulysse

 

Ulysse, roi d’Ithaque,  a une identité d’origine bien affirmée et protégée par Athéna :

« Fils de Laërte, Ulysse d’Ithaque, le pilleur de ville, le vainqueur de Troie, Ulysse le rusé aux mille tours ».

Sous le regard des autres dans son île, il est reconnu et il sait qui il est, mais il quitte son île pour le Monde de nulle part où il se retranche de l’univers des hommes qui ne lui renverront plus son image en miroir, il se confine aux frontières de l’humanité, avec le risque de l’oubli de sa patrie et de soi. Son périple le confronte à l’oubli de son identité avec les lotophages, Calypso et même à l’oubli de sa condition d’homme avec Circée.

 

Et Ulysse aux mille tours changera plusieurs fois d’identité, il use d’une identité brouillée :

 

. Avec dégradation de sa figure pour être moins que lui-même, n’être plus personne et s’évader dans l’invisible.

Il entre à Troie pour espionnage et apparaît en mendiant en rendant sa face méconnaissable, créé une dissemblance à lui-même. Mais Hélène dans ses yeux de feu et dans ses mots reconnaît sa véritable identité.

. Avec restauration de sa figure, il reprend son visage et sa valeur authentique de guerrier valeureux après être apparu en en loque à Nausicaa, et même devient plus que lui-même grâce à Athéna, non semblable à lui-même mais semblable aux Dieux.

 

Avec le cyclope qui veut savoir qui il est pour qu’il lui offre l’hosptalité, il ruse et dit s’appeler Ou-tis, jeu de mot avec Me-tis, c'est-à-dire qu’il s’appelle Personne mais qu’il n’est personne d’autre qu’Ulysse, en filigrane il dit qu’il est bien Ulysse le rusé aux mille tours qui se définit en se cachant !! Sans tromperie il ne serait plus Ulysse.

 

Il revient à Ithaque grâce à des « passeurs » phéaciens, où il a perdu son identité qu’il regagnera à condition de ne pas avoir oublié.

A son retour à Ithaque sous les traits d’un mendiant, Il est rendu méconnaissable en une hideuse dissemblance , et doit donner des signes de son identité.

Peu à peu il refait ses liens sociaux et familiaux, en miroir il retrouve et fait retrouver leur identité aux siens : lien de filiation avec le père Laërte, son fils Télémaque, le bouvier, le chien fidèle….Quand tous les rapports sociaux auront été remis en place il pourra redevenir Roi.

 

Tout le monde le reconnaît sauf Pénélope malgré tous les signes, car elle-même est rusée elle est un autre Ulysse !! Car il n’est question que de temps et de mémoire, Pénélope ne veut pas retrouver un mari car elle l’a déjà, et réciproquement .

Pénélope et Ulysse se veulent réciproquement, par fidélité à un souvenir, un accord de pensée, et ils refont leur nuit de noce grâce au temps aboli par la mémoire, la continuité et la cohérence de leur histoire n’ont pas été entamés…cette nuit dure indéfiniment à travers les périls de l’oubli et de l’effacement du souvenir. Ils n’ont pas cesser de s’identifier dans les deux sens du terme.

 

Définition improbable de l’identité : Paradoxe de l’étymologie, C’est l’unicité qui nous identifie, et l’unité qui nous fait identique aux autres !.

Ensemble de signes dans lesquels je me reconnais et dans quoi les autres me reconnaissent ; C’est à la fois l’affirmation d’une ressemblance entre les membres du groupe identitaire et une différentiation par rapport aux autres.

Pendant longtemps nous ne procédions que du sol et de la généalogie, mais apparemment nous sommes descendus de la branche.

 

1- Notre identité personnelle est-elle une donnée primitive et originale de notre conscience ? suite à une dialogue intérieure, une délibération intime

PRO

. Notre volonté d’acte libre est identique à elle-même et nous avons conscience de son identité tout le long de notre vie. Nous sommes un sujet actif et libre, une personne, un moi, avec une finalité qui nous est propre, même si nous n’avons pas d’essence propre que nous avons en commun avec l’humanité.

Nous nous voyons comme une seule et même personne , l’identité est un élément fixe, un moi réel et durable, dont nous devons nous souvenir.

CONTRA :

 . Quand on dort on a plus de moi ou un moi imaginaire qui s’évanouit à notre réveil

. Un coup sur la tête peut paralyser le souvenir et creuser un abîme entre le moi d’aujourd’hui et celui d’hier, quelle est l’identité qui se priverait des souvenirs d’hier ? .

 

1.2   Quel serait ce moi de l’identité ? Paraphrase de B Pascal

 

Si on aime quelqu’un pour sa beauté, ne l’aimera-t-on plus si elle a la variole, la maladie a tué la beauté mais pas la personne.

Si on aime quelqu’un pour son jugement et sa mémoire, on ne l’aimera plus si elle devient bête et amnésique, la perte de qualités n’a pas tué la personne pourtant.

Finalement on aime les qualités de la personne car on ne peut aimer le moi, mais les qualités sont périssables alors que le moi est durable !. Peut-on aimer l’âme abstraite ou la substance d’une personne, sans manifestation ? Quelle est la part indéfinissable du moi ?

 

Hors les données primitives acquises, notre identité se forgerait par nos perceptions même sans contact avec le milieu social. Le souvenir permet de tisser notre histoire et nous n’aurions donc pas d’identité primitive, et l’identité ne serait que l’écho de nos perceptions passées dans nos perception présentes ? Nous ne serions que des phénomènes, sans moi psychologique et sans substance métaphysique. Hegel plutôt que Kant !

 

2- Plutôt Identité psychosociale

 

Nous n’aurions d’identité qu’en fonction du dialogue avec le milieu social, c’est donc un rapport et non pas une qualification individuelle. La question n’est pas « Qui suis-je ? », mais Qui suis-je par rapport aux autres, et que sont les autres par rapport  moi ? « 

Le concept d’identité ne peut être séparé de celui d’altérité, l’identité n’est pas une substance, un attribut immuable de l’individu ou des groupes.

Cette élaboration de l’identité, de la construction de soi,  procède d’interactions, l’identification au groupe est psychologique et elle s’actualise sans cesse.

 

N’en déplaise à Mr Kant, il n’y a peu-être pas d’esprit subjectif,d’essence, et quand bien même quelle en serait l’efficience ? La vérité du sujet n’est qu’illusion, nous ne sommes que dans une suite d’événements au sein d’un groupe, où nous héritons du langage. Même pour les peuples sans terre comme les juifs d’hier, l’héritage symbolique est constitué de loi morale, de textes et de pratiques.

 

3- Identité évolutive et donc fragile : risque d’aliénation pour devenir étranger à nous-même : Ce qui est, « ID EST peut être annihilé pour devenir un autre moi-même.

 

L’identité n’est pas close mais évolutive et des déséquilibres peuvent survenir, mais la reconstruction reste possible ; « Deviens ce que tu es !! », rien n’est acquis définitivement (avec le paradoxe que si on devient ce que l’on est c’est que nous sommes rien au départ !!.

. Si la société ne reconnaît pas l’individu, elle le déshumanise et le réduit à sa simple biologie (Notion de Stück pour les juifs et tsiganes dans l’Allemagne nazie).

. Identité dégradée quand on a le statut de victime non consentante devant les tribunaux.

. Identité assignée par la médecine, on devient « le cancéreux », comme si on avait perdu les qualités que les autres, non atteints, conservent.

. L’homme « code barre », dont l’identité est réduite à son ADN, empreintes digitales, empreinte de la pupille, sans autres références subjectives.

. Le candidat à l’immigration qui attend une assignation d’identité: soit on lui refuse le statut et on le stigmatise, ou soit son récit ou son ipséité est validé et on lui accorde une identité, un statut et des droits.

. La crise d’identité, le mal identitaire la rigidité et la certitude de notre identité. Comme  la coureuse de fond sud-africaine à qui on déniait l’identité sexuelle féminine, ce qui a pu la déstabiliser fortement. Comme le fils d’immigré turc en Alsace, qui veut être français mais dont les parents craignent que l’acculturation française lui fasse perdre la culture de ses aïeux.

 

4- Les troubles de l’identité

 

. Personnes à identités multiples, comment l’identifier ? Y-a-t-il a une communication possible entre ses «  moi », illusion de communication ou répétition pour cause de communication impossible avec le même que soi?

. Troubles de l’identité suite à des troubles de la mémoire autobiographique et de la cognition, chez le schizophrène. C’est un Ulysse qui voyage hors du monde connu mais ne retrouve que partiellement son origine, car il est sujet mais aussi  sujet aux scissions et pertes de cohérence et d’unité.

Il éprouve un problème d’expérience de soi et des autres, et il n’y a plus de cohérence entre son histoire et sa perception. Il se raconte partiellement et se connaît partiellement aussi

 

5- L’identité numérique des joueurs de jeu de rôle sur Internet, pas seulement simulation !

 

Au sein de la communauté des joueurs, on retrouve les composantes d’une identité :

. Identité par altérité

. Unité et unicité, on est dans le cercle mais distinct

 . Processus de construction constante de l’identité qui évolue selon l’auditoire: identité narrative sans l’origine mais par rapport au chemin parcouru du personnage crée et de ses pouvoirs (identité forte du personnage qui détient l’épée enflammée).

. Besoin de narration cohérente : Le personnage pour lui-même et les autres joueurs doit avoir une histoire progressive et cohérente, distincte des pouvoirs acquis).

. Les composantes de l’identité numérique : Le serveur, le langage du serveur, le choix du nom du personnage, la race (nain, géant..), la classe, les caractéristiques et compétences du joueur.

 

6- L’identité nationale

. Conception française : Adhésion volontaire à des valeurs, à un contrat social, et droit du sol

. Conception allemande : Exaltation des origines, l’esprit du peuple et le droit du sang. Un immigré turc ne peut pas devenir allemand.

 

Avant on se forgeait une identité nationale dans l’altérité, contre la perfide Albion puis contre la Germanie, et nous avions matière à sacrifice, à héros, à images mythologiques.

Cette période est révolue et il nous faut inventer une nouvelle composante de l’identité nationale, pour laquelle nous devrons consentir des sacrifices nouveaux et ressentir un amour une fierté nouveaux.

Le débat sur l’identité nationale peut rappeler que rien n’est acquis d’avance et susciter le sacrifice nécessaire pour adhérer aux valeurs. Cependant il y a le risque de faire valoir les droits acquis de l’origine, et de stigmatiser l’immigration  et promouvoir l’exclusion, par déni de leur identité aux plus fragiles et aux moins légitimes.

 

7- L’identité européenne

Les identités nationales et les cultures diverses peuvent –elles coexister avec une identité européenne ?

L’Europe a déjà une monnaie, signe d’une nation autrefois, il faudrait une politique économique commune, un modèle social cohérent, une culture commune. Mais il faudrait une langue commune et un projet européen avec une option politique européenne et non inter-gouvernementale.

 

L’identité européenne viendra des sacrifices que l’on sera prêts individuellement à consentir pour elle, tel payer des impôts, effort de solidarité, effort de tolérance. Jean-Paul II avait proposé de béatifier R Schumann , 1er saint ou martyr d’une mythologie européenne.

 

Gérard Chabane

 

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lenteur 2

L’éloge de la lenteur

 

Café philo du 4 novembre 2009

 

 

Avez-vous l’impression de manquer de temps ?

Alors, que faite vous dans ces cas là ?

Vous accélérez le rythme, vous faites plusieurs choses à la fois : vous conduisez tout en téléphonant, vous envoyez vos mails privés pendant vos heures de  travail, vous mangez en regardant les informations à la télévision et le soir, si vous n’êtes pas épuisé par cette course contre la montre, et que vous avez assez d’énergie pour faire l’amour, vous dressez en même temps les projets du week-end car vous n’avez pas trouvé un moment pour en discuter avec votre conjoint.  

Vous entreprenez beaucoup de choses, mais tout est mal fait !

De même, le premier jour de congés payés, vous sautez dans votre voiture, vous vous précipitez sur l’autoroute sur laquelle, au bout de quelques kilomètres, vous restez  coincé dans des bouchons. Une fois à destination vous enfilez, au pas de course, des visites d’amis ou de famille, des excursions, des bains de mer ou de soleil, des promenades, etc.  Et vous appelez cela des vacances ?

Je stoppe ici cette énumération.

Mais pourquoi devons nous aller si vite ? Vous êtes-vous déjà posé la question ?

Il me semble que nous accélérons le rythme soit par habitude, car nous nous imposons à la maison les mêmes cadences qu’au boulot, soit par mimétisme, car nous nous mettons au pas des personnes qui nous entourent.

Nous avons conscience que cette folle agitation nous est nuisible mais nous sommes pris dans la spirale infernale de la vitesse, de la rapidité, de l’empressement. Nous ne savons plus nous arrêter.

 

La vitesse est un phénomène de société et j’en fus moi aussi victime. Mon mari était un précurseur. Pendant presque  trente ans il m’a répété sans cesse : « Qui veut aller loin ménage sa monture !». Comme tout le monde, j’ai fait de la résistance. J’ai trop embrassé et mal étreint. J’ai cru moi aussi que le temps c’était de l’argent. Et un jour, j’ai accroché ma voiture au porte manteau, j’ai plongé mon téléphone dans l’eau de la salade, j’ai mis mon ordinateur au frigo et la télévision dans le garage. Eh oui ! Quand on fait tout trop vite, on fait tout trop mal ! La vie m’a imposé un arrêt sur image. J’ai du alors réfléchir à l’absurdité de cette course effrénée.

Il nous faut faire des poses pour prendre le temps d’analyser notre propre existence. Depuis dix ans maintenant, je vis différemment.

 

J’ai découvert l’ouvrage de Carl Honoré en préparant ce sujet, vous trouverez plus de détails sous la désignation éponyme. C’est pure coïncidence si mon titre est aussi celui de son  livre, un best seller traduit en plus de 25 langues. Je ne l’ai pas lu mais j’ai travaillé sur plusieurs articles de journalistes. À la lecture de mes notes antérieures, j’ai réalisé que nous faisions le même constat. Nous souffrons quotidiennement de cette vie trop speed. Les produits autrefois manufacturés, qui sortent aujourd’hui des chaînes de production ne possèdent plus les qualités d’antan ; la quantité a remplacé la qualité. Nous ne réparons plus mais nous jetons et accumulons les déchets. Les aliments que nous mettons dans notre assiette ont été trafiqués pour pousser, se développer plus  et plus vite encore. Nous ne prenons plus le temps de nous installer à une bonne table, nous « fastfoodons ».
 

J’ai  recherché ce que les philosophes avaient pu dire sur la lenteur. Je n’ai peut-être pas prospecté dans les bons endroits car mes investigations  se résument à rien. Par contre, j’ai trouvé quelques penseurs qui s’étaient interrogés sur l’oisiveté.

 

Pourquoi l’oisiveté ? C’est le contraire de l’activité débordante comme la lenteur est l’opposé de la vitesse. L’oisiveté et lenteur sont propices à la réflexion, ce que ne permettent pas la vitesse et l’activité débordante. Le modèle social contemporain nous incite à  toujours plus d’agitation et donc à toujours plus de précipitation. Nous sommes toujours obligés de faire vite car le temps humain est compté. Cette hyperactivité qui nous mène à la hâte, nous empêche  de nous interroger sur notre existence.

 

Vers 1572, dans le livre 1 - chapitre VIII  de ses Essais, Montaigne s’interroge sur l’oisiveté. Il écrit : « L’oisiveté toujours disperse l’esprit », mais encore « L’âme qui n’a point de but établi, elle se perd : car comme on dit, ce n’est  d’être en aucun lieu que d’être partout ». Pourtant, quand il écrit ces lignes, Montaigne vient de vendre sa charge de conseiller au parlement de Bordeaux et c’est justement parce qu’il est oisif qu’il peut consacrer du temps à l’écriture de ses Essais.

 

  • En 1932, Bertrand RUSSELL signe « l’Éloge de l’oisiveté ». Dans la première partie il décrit l’aspect moralisateur du travail vu par la classe aisée. « L’idée que les pauvres puissent  avoir des loisirs choque les riches car le travail empêche les hommes de tomber dans l’ivrognerie et leurs enfants de faire des bêtises ». Le loisir est l’apanage des riches et le travail celui des pauvres.

Dans la seconde partie Russell propose une autre répartition de travail. « Puisque le travail est désagréable, il est injuste qu’un individu consomme plus qu’il ne produit ». Le travail devient un devoir pour la société. « Grâce au  progrès, si chacun travaillait quatre heures par jours, la production serait suffisante et tous auraient un emploi. »… «  Alors, pourquoi maintenir une main d’œuvre au chômage et, en même temps, surcharger ceux qui travaillent ». Russell prône l’usage du bon loisir, concept  proche de l’Otium des romains de l’antiquité. Je vous lis sa courte conclusion. « Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l’aisance et la sécurité. Nous avons choisi à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela, nous nous sommes montrés bien bêtes, mais il n’y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment ».

 

L’oisiveté décrite par Russell renvoie à la notion d’Otium, le loisir, qui avait d’autres significations que celles qu’on lui accorde aujourd’hui. Loin d’être synonyme de paresse, d’inertie ou de fainéantise, l’Otium correspondait au temps libre dont disposaient les aristocrates romains et qu’ils employaient pour se cultiver, lire, philosopher, pratiquer les arts libéraux. Il nous reste de ce terme ancien son contraire, le non loisir ou negotium,  qui signifiait occupation, affaires de la cité ; il a donné : négoce et ses dérivés.

 

J’ai cherché à savoir comment ce loisir positif était devenu si péjoratif. J’ai trouvé une réponse possible dans la thèse de Louis Mathurin Moreau Christophe datant de 1849 et qui s’intitule : « Droit à l’oisiveté dans les républiques grecques et romaine ». Sa dédicace est adressée à ses amis, Gustave de Beaumont et Alexis de Tocqueville.

J’espère ne pas me tromper en résumant ainsi : Dans les sociétés antiques, le travail n’occupait pas la place économique qu’on lui attribue aujourd’hui et qui est : l’amélioration des conditions de vie des pauvres, l’augmentation du patrimoine des riches et la prospérité des états. Dans des temps plus anciens, un pays qui voulait s’enrichir allait piller son voisin. Si aujourd’hui le travail est un paradigme de liberté, autrefois il était l’attribut de l’esclave. Le travail servile est né de l’esclavage lui-même. L’esclave était le vaincu, celui qui avait perdu la guerre, celui que le vainqueur humiliait en le faisant travailler pour lui. Dans les républiques grecques et romaine, hormis les deux métiers nobles de l’agriculture et des armes, les citoyens revendiquaient le droit à l’oisiveté, dans le sens du non labeur, c'est-à-dire d’être exempt de tout travail pénible, que le terme labor  désignait. Les républiques antiques devaient prendre en charge les citoyens libres qui n’avaient pas ou plus assez de fortune (tout le monde se souvient de « panem et circenses »). Cet état des choses a perduré dans la Rome impériale jusqu’au deuxième siècle, époque où l’influence du christianisme a affranchi le travail servile pour le rendre obligatoire pour  tous, probablement dans l’objectif de lutter contre les dérives de l’oisiveté de l’empire décadent (vols, mendicité, prostitution).

 

Mais revenons à notre sujet, la lenteur.

Si le travail rend plus digne, c’est aussi une forme de soumission à l’autorité. Travailler toute sa vie pour pouvoir enfin se reposer lors de la retraite, ne trouvez-vous pas que cela ressemble au paradis promis par l’Église ?   C’est en tout cas une téléologie  ploutocratique.

 

Le stress général, dont souffre notre société, est du à la violence que nous faisons contre nous même, en acceptant ces cadences infernales. Je pense qu’on peut renvoyer ce constat à la théorie stoïcienne de l’oïkéiosis considérée comme le don de la perception de soi, l’appropriation de soi. C’est l’instinct de conservation qui permet naturellement à l’homme de choisir ce qui est bon pour lui, ce qui lui est utile et de le différencier avec ce qui lui est nuisible et qu’il doit  rejeter ou fuir. Cet instinct vital, s’il est présent dans chaque homme, peut-être ignoré ou perdu de vue, d’où la nécessité de rester en adéquation avec soi même, c'est-à-dire d’écouter la nature en soi. Être vertueux, c’est prendre conscience de ce qui dépend de nous, de notre libre arbitre, ainsi que des choses ne dépendant pas de nous, sur lesquelles nous ne  pouvons avoir aucune action.  Argent, pouvoir, tous les biens matériels ne sont pas authentiques car nous pouvons les perdre. Ils ne sont que vanité et nous détournent de nous même. Ces passions négatives sont contraires à la nature et à la raison. Dans le stoïcisme le bonheur dépend de notre capacité intérieure à coïncider avec le cours du monde, qui lui, est déterminé entièrement. La douleur provient du refus de cet ordre des choses. Les passions négatives naissent de l’inadéquation entre ce que croit l’individu et  ce que la raison lui dicte. Cette théorie de  l’oïkéiosis sera reprise par les épicuriens.

 

C’est bien cela : nous déplorons le rythme effréné de notre vie mais nous voulons continuer à profiter de tout. Notre raison nous encourage à ralentir la cadence, à vivre dans un autre tempo mais la société nous pousse vers l’hyperconsommation, « l’hyperconsummation ». Alors écoutons notre corps qui souffre trop souvent de ces excès de vitesse. Prenons le temps de nous arrêter et de réfléchir aux priorités à mettre en place. Choisissons moins d’activités pour mieux les réaliser  et en fin de compte être plus satisfait de soi. Dois-je vous rappeler la fable de La Fontaine, Le lièvre et la tortue ? Rien ne sert de courir, il faut partir à point. J’ajouterais, partir après avoir pris le temps de réfléchir à la vitesse qu’il faudra déployer pour obtenir le meilleur résultat possible de façon à être fier du travail effectué, ainsi être en accord avec soi-même, sans frustration et sans remord.

 

J’espère que vous aurez bien compris que je ne voulais pas dresser le réquisitoire de la vitesse ; j’accuse plutôt la précipitation qui ne laisse pas de temps à l’évaluation des différentes voies possibles. Il n’était pas non plus dans mon but de vous exposer le plaidoyer de la paresse ou de la fainéantise qui elles, plus que l’oisiveté, sont mères de tous les vices. L’éloge de la lenteur, pour moi, se rapproche plus d’une autre façon d’appréhender la vie, c’est une nouvelle philosophie où, conscience et connaissances sont à l’honneur dans le loisir utile.

L’oisiveté citoyenne de l’antiquité n’avait rien de comparable avec l’oisiveté décadente vilipendée par les premiers chrétiens. Ceux-ci, par bêtise ou par stratégie, ont condamné le loisir, y compris les arts de la connaissance. Se sentant faible par sa jeunesse, la chrétienté toute balbutiante a peut-être préféré laisser ses nouveaux adeptes dans l’ignorance car il était plus facile de museler leur savoir que de les combattre, même dans des joutes oratoires.

Ainsi l’oïkéiosis c’est perdu, l’instinct vital s’est émoussé et nous avons perdu l’habitude d’écouter notre nature profonde. Nous nous sommes retrouvés ainsi dans l’incapacité de nous mettre en adéquation avec notre environnement.

L’oïkéiosis peut se résumer  à : habiter son être, être au cœur de soi même. Cela me renvoie à un autre terme grec, l’oïkos qui signifie maison, que ce soit le bâtiment architectural ou la maisonnée, mais aussi le lieu d’intimité. Certains d’entre vous perçoivent peut-être où je veux en venir … car l’oïkos est le lieu de l’économie domestique. Cela en est très exactement l’étymologie : oïkos pour maison et nomia pour  administration. La fonction principale de cet oïkos était  d’assurer les besoins quotidiens des membres de la famille au sens élargi, il car incluait les esclaves, donc tous ceux qui habitaient sous le même toit.

Oïkos et oïkéiosis se rapportent à la philosophie éthique des stoïciens : être en adéquation avec soi-même pour mieux vivre ensemble. J’irai plus loin. L’oïkos, c’est aussi l’appropriation symbolique de la maison, c'est-à-dire la part que l’habitat prend sur la construction du sujet et de son identité. Un lieu d’attachement trans-générationnel qui participe à l’unité, à la continuité de la famille et de l’individu.  

 

Restons nous même et abandonnons cette folie furieuse de vouloir tout embrasser, tout savoir, tout maîtriser. Arrêtons le gaspillage, la consommation intempestive des matières premières et l’effondrement de notre qualité de vie. Épargnons notre temps pour ensuite le distiller lentement  dans des moments d’échanges, d’amitié, d’amour, de contemplation, d’admiration.

Carpe diem.

Cultiver la lenteur revient à faire moins mais mieux, à approfondir le retour à soi-même, à respecter sa propre nature tout autant que les autres ainsi qu’à privilégier le temps de la relation et à vivre en harmonie dans son environnement.

 

Serait-ce un rêve ? Un rêve écologique ?

 

Pour finir une citation d’Auguste : « Hâte toi lentement »

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Pourquoi la poésie ?

16-09-09

 

Ce texte est une compilation tentant une esquisse de théorie neurobiologique de la poésie.

 

Qu’est-ce que la poésie ?

 

Leibniz définit la Mathématique universelle comme la logique de l’imagination, entendant par imagination l’ensemble du pensable. Par extension, on peut considérer que la Science toute entière est une imagination logique, que faire de la science, c’est déployer son imagination, mais de façon strictement encadrée, rigoureusement gouvernée par la logique. C’est Athéna, principe de raison universelle, employé par l’esprit humain imaginatif dans sa représentation du monde.

Par analogie inverse, on peut considérer que l’Art est une imagination de la logique. Jean-Pierre Changeux (« Du Vrai, du Beau, du Bien » - 2008) définit l’Art comme une synthèse de la raison et des émotions, un genre de communication créant une tension entre le réel contraignant et les désirs, les utopies. « L’Art, dit-il, incite à un rêve partagé », et plausible. Si donc l’Art est logique imaginative, faire de l’art, c’est déployer sa propre logique gouvernée par son imagination. C’est Dionysos, principe d’imagination personnelle, employé par le propre esprit logique de chacun dans sa représentation du monde. Cette logique imaginative personnelle est ce qu’on appelle le « style » de l’artiste ; appliquée aux formes et aux couleurs, elle donne la peinture, aux sons, la musique, au langage, la littérature, etc…

Quelle est alors la spécificité « poétique » de l’art littéraire ? Ce qui distingue la poésie du reste de la littérature, c’est une économie verbale optimale, c'est-à-dire une richesse sémantique obtenue avec une parcimonie verbale : maximum de sens avec minimum de mots.

 

Quel est le matériau de la poésie ?

 

Comme pour le reste de la littérature, les mots sont le matériau de la poésie, mais spécifiquement, ce sont les mots pris dans tous leurs sens, propres et figurés, accompagnés de toutes leurs sonorités, tous leurs rythmes et toutes leurs colorations. « Ce que j’écris, dit Rimbaud, je l’écris littéralement et dans tous les sens ». Pour Valéry aussi, ce qui caractérise la poésie, c’est l’emploi des mots dans tous leurs sens possibles.

La polysémie et le symbolisme des mots constituent le « corrélat mental » de structures cérébrales sous-jacentes. En effet, la base neuronale des sens d’un mot est une « constellation » de micro-sites cérébraux interconnectés. Ainsi, quand on évoque le mot « rose », s’active dans le cerveau une myriade de sites, comme un spray ou un bouquet de feux d’artifices, qui réfèrent à la forme, la couleur, l’odeur, les épines, le jardin, les engrais, le jardinier, etc…, et aussi, à la vie éphémère, Ronsard, La Pléiade, François 1er, etc…, et ainsi de suite… Mais nous ne sommes pas tous égaux devant cette profusion évocatrice : chacun pour chaque mot a la sienne propre, qui reflète son histoire personnelle.

 

En somme, on peut dire que la poésie est une logique imaginative portant sur les mots, pris dans tous leurs sens et utilisés avec parcimonie. Et pour mieux saisir ce qu’est la poésie, on peut faire une analogie économique : En économie, on cherche à produire le maximum de valeur à partir du minimum de facteurs ; le profit surgit alors de la tension entre ces deux contraintes. En restant dans la perspective de Changeux, on peut dire que la poésie surgit de la tension entre richesse de sens et parcimonie de mots. En quelque sorte, la poésie est un « profit » sémantique verbal.