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langage

Le langage est-il ce qui nous rapproche ou ce qui nous sépare ?

 

Pourquoi la question se pose-t-telle ?

 

A l’origine de notre culture occidentale, le mythe de la tour de Babel, a fait de la langue, l’instrument de séparation de l’humanité. Selon la Bible, les hommes de Babylone ne parlaient qu'une seule langue et ne formaient qu'un seul peuple, jusqu’au jour où leur vint à l'idée de construire une « tour de Babel », la "porte du ciel", afin de conquérir les cieux, (en s’identifiant au divin) et faire qu’un seul peuple, utilisant une seule langue, puisse dominer le monde, la nature et les éléments. Ce qui n’est pas sans rappeler les caractéristiques de bien des civilisations actuelles, comme également notre culture occidentale, fondée sur un système d’abord religieux et guerrier, puis économique, et parfois guerrier, dans le même but.

La Bible nous dit que Dieu, (ou le Livre qui pourrait être la sage somme des vécus humains antérieurs?), les trouvant trop orgueilleux, les punit en leur faisant parler des langues différentes, si bien que les hommes ne se comprenaient plus, et dans ce lieu régna le brouhaha et la confusion. Ils furent alors contraints de se disperser sur la Terre, formant ainsi des peuples étrangers les uns des autres.

Il n’y a plus de doute que la tour de Babel a véritablement existé dans l’ancienne ville de Babylone en Mésopotamie (début du 6e au 5e siècle avant J.C).Rien n’en reste, mais son empreinte, un carré de 90 mètres de côté, reste visible depuis les photos satellites.

Or, la dispersion, la séparation des humains par le langage, est ce qui les oblige à aller au-dehors, de leurs certitudes, de leur vision d’une seule idée, d’une morale ne pouvant évoluer, et donc de moyens d’existence en commun figées, d’une condition humaine exclusive. De plus, la dispersion géographique évite une descendance consanguine à partir d’une filiation unique. La volonté de concentration symbolisée par la Tour, réduisait l’humanité en une unité qui ne permettait aucune évolution ultérieure.

Ce qui a été désigné comme un "châtiment" divin contraint, peut tout autant être considéré comme une « bénédiction». Comme la liberté de désobéir fut donnée à Adam, afin qu’il puisse quitter le paradis ou rien ne se passe, l’humain accède alors à la diversité, grâce au langage. Le monde, alors cosmopolite, est ainsi composé de gens qui ne se comprennent pas immédiatement, mais qui peuvent se compléter et évoluer dans le but de socialiser et d'humaniser l’existence.

Un langage qui sépare pour mieux rapprocher les individualités humaines reconquises.

 

Le langage, nous en avions débattu à propos des « limites du langage », et nous avions observé que le terme « langage » désigne différents systèmes de signes, vocaux, écrits, gestuels ou graphiques, qui permettent de communiquer aux autres, des savoirs, des pensées, des informations ou des sentiments.

Tout langage a donc pour origine et pour vocation de communiquer, d’entrer en contact avec les autres, d’échanger et d’interagir, ce qui permet d’abord de construire, puis de maintenir et de renforcer des relations sociales: il semble donc bien contribuer au rapprochement entre humains.

 

Cette faculté, qui donne aux humains la capacité d'exprimer des pensées à l'aide de signes, concrets ou abstraits, ne fait pas du langage qu’un outil destiné à la communication, un signe qui n’aurait d’existence que pour autant qu’il s’exprime. Il est tout autant le moyen qui nous permet de penser, de développer des idées, et de produire de la connaissance, des opinions, des certitudes et des savoirs. Parce qu’on ne pense pas en dehors du langage, que penser sans les mots n’a pas de sens et qu’une pensée pure, indépendante du langage, n'existe pas. Et si nos pensées peuvent bien nous rapprocher, elles peuvent tout autant nous séparer. Alors, tout outil, toute capacité, dépendant de l’utilisation que l’on en fait, le langage, comme système se signes destiné à communiquer des informations et à produire des pensées, est-il plus ce qui nous rapproche que ce qui nous sépare?

 

D’abord, ce qui importe, c’est ce que nous avons à transmettre.

Par l’intermédiaire du langage, nous exprimons et partageons notre compréhension du monde et indiquons ce que nous sommes. Nous pouvons alors l’utiliser comme un moyen de persuasion et d’influence, un moyen de pouvoir et de contrôle, ce qui nous rapprochera de certains et nous éloignera d’autres. Ce que nous exprimons indique notre appropriation de la réalité, comment nous l’avons identifiée, pensée, habitée, et c’est ce qui décidera de l’attitude positive ou négative d’autrui. Toute description ou interprétation de la réalité étant soumise à la signification du langage utilisé.

 

Nous sommes à la fois des individus et des êtres sociaux, libres et dépendants.

L'interaction avec les autres nous est indispensable, pour notre survie, dès la naissance et notre condition humaine nous insère dans un contexte social de contact avec d'autres personnes: le lieu et l’époque de notre naissance, la famille, l’instruction et les savoirs qu’on en retient, nos expériences, notre passé, notre vécu, nos peines et nos joies, nos blessures et nos combats, nos amitiés et nos amours, etc….En permanence, nous sommes en mouvement, en transformation, en interaction avec notre environnement, et recherchons à cerner qui nous sommes, en quoi nous sommes différents des autres, et comment vivre au mieux avec eux.

Nous pensons pouvoir dire : "je suis ce que je pense être", mais ce n'est que notre point de vue, d’autant que Sartre a démontré que l’autre nous assigne un personnage que nous ne sommes pas fondamentalement, mais avec lequel nous devons vivre. (« Je est un autre »)

Alors, je peux être tenté de masquer ma différence, par ma gestuelle, l’usage de ma langue, des productions artistiques, en faisant semblant d’être pareil à autrui afin de préserver ma place dans la société, de faciliter les échanges, lorsque je ressens leur peur d’une différence qu’ils ne peuvent pas maîtriser, comme  je peux manifester de la même manière, ostensiblement, ma différence pour les surprendre et provoquer leur questionnement, pour leur transmettre quelque chose, vouloir établir un véritable échange, se rapprocher sans les réduire à leur altérité, en essayant d’établir un espace commun.

En général, il faudrait se ressembler un peu pour se comprendre, se rapprocher et se rassembler, mais il faut aussi être un peu différent pour se distinguer en tant qu’individu.

 

Mais cette démarche peut aussi diviser.

Le langage doit s’inscrire dans des structures de conventions, afin d’être compris, de traduire la pensée avec justesse. Comme tout signe se rapporte toujours à autre chose que lui-même, il doit s’inscrire dans des structures de conventions, afin d’être compris Il n’y a pas de référence objective aux mots ou aux gestes qui constituent le langage. Non seulement un mot peut désigner plusieurs choses: une table peut être de multiplication, des matières, d’orientation, d’harmonie et même un meuble, et le mot qui désigne n’est pas le même d’une langue à l’autre. Les mots sont toujours généraux, tandis que les choses que nous voulons décrire et les sentiments ou les idées que nous voulons exprimer, sont singuliers. Lorsque je dis « je suis en colère », je ne suis pas certain de parvenir à exprimer la singularité de mon sentiment, ni que cela correspond à ce que mon interlocuteur entend par « colère ».

Il y a donc là un décalage qui peut se produire lorsque l’expression du langage est perçue par celui auquel il s’adresse, en fonction de sa situation professionnelle, socioculturelle, ou du contenu de son savoir personnel. Ce que le langage veut traduire peut être très différent de ce qui sera compris, d’autant que même au sein d’une même langue, le nombre de mots à disposition est limité, comme les capacités à s’exprimer.

 

Alors, le malentendu est possible (je t’aime), comme le conflit parce qu’il n’y a pas de corrélation absolue entre le mot et la chose, entre l’expression des uns  et le ressenti des autres.

Comme le dit Noam Chomsky, « Le langage est un processus de libre création ; ses lois et principes sont fixés par des conventions, mais la manière et la raison pour lesquelles il est utilisé est libre et infiniment variée ». Le langage peut donc être utilisé pour créer des illusions, pour déformer la réalité, pour dissimuler la vérité ou ne pas la communiquer.

Comme il s'exprime par une matérialité (le geste, le dessin, la voix humaine ou l'écriture), qui sont différents de l'abstraction de la pensée, le rapport entre ce que le signe exprime (le signifiant) et ce que l’on souhaite exprimer (le signifié) peut être ambigu, ou mal compris, et être considéré comme un signe amical de rapprochement ou une tentative de prise de pouvoir, comme l’expression d’une description fidèle de la réalité ou comme un mensonge (une fake news).

 

D’autant qu’à notre époque, chacun se sent libre de choisir ce qu’il appelle la vérité.  Le wokisme, dont l’intention première était respectable : lutter contre l’inégalitarisme et les discriminations, est devenu ce qui réduit la vie en commun à un conflit de pouvoir entre groupes identitaires oppresseurs et oppressés, qui projettent leur absurde logique séparatiste sur n’importe quel événement qui se produit.

Lisa Keogh, en écosse, ayant osé dire que « les femmes ont un vagin », a été perçue comme agressant les personnes transgenre.

 

Une condamnation qui souligne le pouvoir accordé au langage, à l’interprétation idéologiquement protégée de certains mots. Ceux qui condamnent des termes, se rapprochent encore plus, en se séparant de la manière qu’eux seuls justifient, d’autres définitions conventionnelles des mêmes mots.

 

Le langage n’est qu’un système de signes qui renvoie ce que nous désignons par nos énoncés à autre chose, quelque chose de réel, de possible ou d’imaginable et à des objets abstraits comme des idées ou des théories.

Il est l’outil par lequel nous construisons notre réalité, exprimons et partageons notre compréhension du monde, et ce que nous sommes, un moyen de construire et de maintenir des relations sociales, un moyen de persuasion et d’influence, et un moyen de pouvoir et de contrôle. Un moyen qui peut rapprocher les membres d’une communauté ou toute l’humanité : ce que voulaient les humanistes, dans un temps qui parait aujourd’hui bien lointain, en définissant un certain nombre de valeurs qui se voulaient universelles, comme le respect, la considération, l'ouverture, la solidarité et l'empathie envers d'autres humains.

 

Le mythe de la tour de Babel symbolisait la volonté d’empêcher qu’un pouvoir hégémonique ne s’implante, en reconnaissant le pouvoir rassembleur du langage. Aujourd’hui, malgré la dispersion des humains et la diversité des langues utilisées, nous faisons face à la « Post-vérité », un langage qui ignore les faits et la nécessité de soumettre toute argumentation à ce qui s’est vraiment produit. Tout ce qui est exprimé de cette manière peut être faux, en toute connaissance de cause, pour en tirer bénéfice : rapprocher autour du pouvoir ceux qui veulent bien se rassembler autour de ces énonciations, parfois farfelues.

Comme le fit Donald Trump, prétendant que le président Obama, n’était pas né aux Etats-Unis mais au Kenya, sans que la publication du certificat de naissance de Barack Obama n’entame en rien la crédibilité de cette allégation. Ou Colin Powell le 5 février 2003 à l'ONU, brandissant un flacon censé être « la preuve » que les Irakiens fabriquent des armes de destruction massive.

Pour le philosophe américain Harry Frankfurt, (dans De l’art de dire des conneries - 2005): “le baratineur n’est ni du côté du vrai ni du côté du faux. […] Il se moque de savoir s’il décrit correctement la réalité. Il se contente de choisir certains éléments ou d’en inventer d’autres en fonction de son objectif”.

Ainsi, le langage provoque des rapprochements, qui, en même temps, séparent des communautés d’autres groupes humains.

 

Comme l’avenir n’est pas écrit, ce type de langage est destiné à faire advenir un futur souhaité, en réformant le langage, en interdisant l’usage de mots qui pourraient véhiculer des pensées dangereuses pour la domination de certains pouvoirs. Alors le sens des mots est déformé, des interdits sont installés, les cartes sont brouillées, les rôles sont intervertis, les victimes deviennent bourreaux et les bourreaux, victimes. La liberté d’expression se restreint et le langage devient « langue de bois »afin d’éviter qu’il ne sépare encore plus les individus.

 

La manière dont nous utilisons le langage détermine en grande partie son impact sur notre relation avec les autres et notre compréhension mutuelle. En accordant une attention particulière à notre utilisation du langage, en favorisant l'empathie, le respect et l'ouverture d'esprit, nous pouvons exploiter son potentiel de rapprochement et minimiser ses effets de séparation. Ainsi tant celui qui énonce que celui qui perçoit, se voient ouvrir un champ suggéré de possibilités à exploiter.

 

Encore faut-il être attentif à un certain nombre de chausses trappes.

Parce que tout langage véhicule toujours une certaine conception du monde, quelle que soit la volonté exprimée, il pourrait inciter à la haine ou nuire à la liberté d’autrui. La vie sociale suppose une forme d’hypocrisie pour préserver le lien social. C’est pourquoi les propos diffamatoires, racistes ou incitant à la violence sont interdits et condamnés par le Code pénal. De sorte que si nous avons le droit de penser ce que nous voulons, il ne nous est pas permis de l’exprimer toujours. L’acceptation de la loi, depuis les philosophes du « contrat social », à l’origine de nos démocraties, Hobbes, Locke et Rousseau, même s’ils ne s’accordent pas tout à fait sur les conditions et les modalités de ce contrat, est fondatrice d’une communauté qui rapproche les humains.

 

Mais, en restant dans le cadre ainsi fixé, nous avons le devoir : - d’essayer de maintenir la véracité de notre langage, c’est-à-dire, de ne pas remplacer ce que nous avons compris des événements par ce que nous aurions voulu qu’ils soient selon nos croyances et nos certitudes, ce qui aurait un effet séparatiste.

-d’éviter toute expression ou comportement ambigus ou imprécis, qui autoriseraient la possibilité d’une pluralité de significations, et des interprétations différentes, voire opposées.

-de ne pas exclure toutes les pensées divergentes des nôtres, mais d’établir avec elles une relation permettant de faire évoluer ce qui les distingue vers une acceptation des différences, sans pour autant, vouloir qu’elles s’éliminent.

 

Le langage ne peut abolir ce qui nous sépare : je suis moi et tu es toi. L’admettre, nous rapproche.

Sinon, parce que la parole singulière ne pourrait être universelle, les controverses naitront toujours si «les hommes n'expriment pas correctement leur pensée ou qu'ils interprètent mal la pensée d'autrui ». (Spinoza).

 

Le langage permet de décomposer une situation et de la perpétuer, c'est-à-dire d'échapper à la contrainte de l'actualité pour prendre position dans la sécurité de la distance et de l'absence de l’immédiat.

Alors, comme le voulait Aristote, (la Politique) : le langage fait un lien entre les hommes, et permet la création d'une communauté de valeurs.

 

Le langage est un outil, un instrument de pouvoir et de contrôle, mais aussi un instrument de libération et de révélation, susceptible de nous rapprocher ou de nous séparer, sachant que de toute façon, même s’il nous sépare, la communication et donc une forme de rapprochement, s’est également accomplie.

N.Hanar

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libérer désirs

Faut-il libérer ses désirs ou se libérer de ses désirs ?

 

« Faut-il », dans ce sujet, n’est pas à considérer comme le questionnement d’un devoir, d’une nécessité, mais d’une préférence: vaut-il mieux, pour nous, pour un heureux accomplissement de notre être, libérer ses désirs ou se libérer de ses désirs ?

 

D’abord, je tiens à apporter une précision nécessaire, parce que, la plupart du temps, les définitions des dictionnaires, des écrits philosophiques, des coaches de vie, et même Chat GPT, ne différencient pas le désir et les désirs, parce que leurs raisonnements, justifiant leurs idées, sont ainsi facilités. (Et, de plus, il est probable que le malentendu provienne en grande partie, des traducteurs, des exégètes et de notre connaissance des anciens plus par leurs commentateurs que directement par leurs écrits).

Par exemple, le robot conversationnel de Microsoft, ne fait que répéter cette source de confusion: « Il y a deux grandes conceptions du désir dans la philosophie : celle qui le considère comme une force positive, qui exprime la nature profonde de l’homme, et celle qui le voit comme une faiblesse, qui le détourne de la raison et du bien. »

Or, si LE désir, est ce qui exprime la nature profonde de l’humain, qui le constitue, et désigne « l'unique force motrice qui nous traverse, qui nous constitue, qui nous anime ». (Spinoza reprenant Aristote), ce désir est sans objet précis: il est [notre être même], le support qui anime la démarche de vivre et de créer.

(Pour Aristote (De Anima), le désir est en nous l'unique force « qui peut mouvoir en dehors de tout raisonnement » : c'est parce que nous désirons que nous sommes notre « propre moteur ». Chez Spinoza : « toute chose, autant que [le désir] est en elle, s’efforce de persévérer dans son être ». C'est le conatus, et le principe de « tous les efforts, impulsions, appétits et volitions de l'homme ». Pour Schopenhauer : «Ce n'est pas la faculté de raisonnement et ce qu'on appelle l'intellect qui est principe de mouvement, mais c'est selon le désir que l'on agit.»)

LES désirs, par contre, sont multiples, ont de nombreux objets, et se présentent comme des tensions vers des buts à atteindre, considérés comme des sources nécessaires de satisfaction, de plaisir ou permettant d’accéder au bonheur. Ils sont même ressentis comme des besoins, bien que, contrairement à ces derniers, ils ne correspondent pas forcément à une nécessité vitale, aspirant souvent à un au-delà du nécessaire.

Le désir et les désirs correspondent donc à deux concepts différents : le désir, la force qui nous anime, dont on ne peut se libérer, n’a pas d’objet, alors que les désirs en ont d’innombrables.

 

Nous prenons conscience du désir, en ressentant nos désirs, qui, en nous mettant face à face à nos limites, peuvent nous faire ressentir manque, échec, frustration, souffrance, ou bonheur, jouissance ou satisfaction. Le désir nous fait agir, mais notre propre volonté ne peut avoir d’action que sur les désirs.

Alors, cette action faut-il qu’elle consiste à nous libérer de nos désirs ou à les libérer?

 

« Se libérer » signifie se dégager de ce à quoi on est assujetti, de ce qui nous domine: une condition de prisonnier : le présupposé est donc que les désirs nous enchaînent. Faut-il se libérer, s'affranchir, d’un passé issu de l’histoire de notre environnement, de nos expériences personnelles, qui nous enfermerait et conditionneraient ainsi notre vision, nos actions en faveur de l’avenir, sans nous laisser libres de nos choix ?

Ou, au contraire, les libérer, parce que nos désirs sont également ce qui donne du sens à la vie et renforcent notre identité. Ne se définit-on pas surtout par ce que nous désirons devenir ?

Sinon, ce pourrait être une vie impersonnelle, sans vie, vécue à côté de soi, qui expose à un vide existentiel, à l’ignorance de “qui l’on est”. Ce sont nos désirs qui donnent un sens à notre vie ».

 

L'étymologie du mot « désir » amène à la notion de manque. Le mot latin « desiderium » désigne un besoin, une exigence naturelle et le manque de quelque chose qu'on a eu, connu, ou que l’on souhaite, et qui fait défaut. Tous nos désirs correspondent à un manque, la recherche d’un moment ou le mal être du manque n'existerait plus, d’un état de plénitude et de contentement. Ce qui qualifie la condition humaine !

Peut-on réellement envisager un Homme sans désirs, qui ne pourrait désirer une infinité d'objets à la fois, ayant des « besoins non nécessaires », sans le déshumaniser ?

Nos désirs sont à la base de notre relation à autrui. Pour Aristote, la philia (Agapé, l'amour universel; Éros, l'amour physique; Philia, l'amitié) est indispensable au bonheur. Cette amitié devient le ciment pour créer une Cité heureuse, équilibrée, et harmonieuse : elle permet d'aller vers l'autre, de sortir de sa solitude.

 

Les désirs ne sont pas bons ou mauvais en soi....S’en libérer serait renoncer à notre condition humaine. Ne vaudrait-il pas mieux, alors, chercher à les contrôler plutôt que de chercher à s'en libérer, sans toutefois céder à ceux qui sont débridés, sans leur laisser libre et ainsi condamner notre stabilité et celle de la société?

En conséquence, les désirs ne se caractériseraient plus par « ce que ce que l'on a en moins » mais par ce que nous pouvons faire de « plus », pour ouvrir la voie à la connaissance, à la création, la joie, et à la célébration de la vie. C'est parce que l'homme désire qu'il crée, c'est parce que l'homme crée qu'il vit !

Libérer ses désirs peut nuire à la société, aux autres et à soi, mais s’en libérer ne reviendrait qu'à nier un aspect fondamental de la nature humaine.

 

Une fois que nous prendrons connaissance des causes qui déterminent nos désirs, alors nous parviendrons à les accompagner de conscience, en identifiant ceux qui sont en phase avec nos valeurs, nos aspirations et qui, de fait, par leur réalisation, donneront du sens à notre existence et renforceront notre identité.

Suivre Oscar Wilde : « Le seul moyen de se libérer de la tentation, c'est d'y céder », consisterait donc à assouvir tous ses désirs. Mais céder, ce n’est pas être libre !

 

Comme si la réalisation de l'un des désirs allait nous combler, nous aider à progresser. Comme si tout désir n’était pas immédiatement remplacé par un autre, et ne règlerait pas la question d’une permanente insatisfaction. LES désirs étant la manière dont LE désir s’exprime (et se reconnait), la situation est bien plus complexe. Si les désirs nous enferment, ils sont aussi constitutifs de la nature humaine... Si bien qu'un homme qui ne désire pas ne serait plus entièrement humain.

 

Or, se libérer de ses désirs ou s’en libérer constitue un chemin difficile.

 

D’abord parce que nous avons tendance, selon le « désir mimétique », défini par René Girard, à désirer ce que désire l'autre, ce qui peut aller jusqu’à vouloir l’élimination de l'autre afin que l'objet désiré ne soit qu'à nous. Pour éviter ce conflit, René Girard affirme que la société a besoin d'un tiers, un bouc-émissaire, dont la mort permettra l'établissement d'un équilibre dans la communauté. Impossible donc de s’en libérer, tout autant impossible de libérer ce désir : on ne pourrait que lui céder par l’intermédiaire du bouc émissaire !

Notre actualité montre bien que les conséquences de cette impasse peuvent être mortifères.

 

Ensuite, parce que nos sociétés inventent sans cesse de nouveaux éléments de désirs. Chacun y adhère et les ressent différemment, parce que chacun est seul à être ce qu’il est, à vivre ce qu’il vit.

Quels sont ces objets des désirs ? Ils sont multiples, une multitude de désirs visant chacun un objet différent, une envie, une satisfaction, un plaisir. Un portable, le paradis, jouer, rêver, chanter, aimer, être aimé, travailler, se battre, un pantalon, la beauté, l’intelligence, la jeunesse, et parfois même mourir, une liste hétéroclite sans dénominateur commun : il n’y a pas de réponse unique, du fait de situations différentes et même de conséquences opposées. Slavoj Žižek fait remarquer que les enfants délaissent l’œuf en chocolat Kinder pour se ruer sur la surprise cachée à l’intérieur. La recherche de satisfaction des désirs ressemble à puzzle dont des pièces sont absentes, mais qui reste incomplet lorsqu’on en trouve. Compléter un puzzle n’est pas combler un manque, mais construire une image avec des éléments disponibles qui sont déjà là.

 

Ce qui fait que l’on peut satisfaire des désirs sans pour autant éprouver de plaisir: les fumeurs savent bien que le plaisir n'est pas toujours [ ] présent, à chaque cigarette », que ce n’est pas le bonheur que de satisfaire tous nos multiples désirs, tous nos penchants. Nous pouvons prendre l’exemple de désirs qui n’impliquent pas toujours une évaluation positive de leur objet. Fumer est une mauvaise idée. Pourtant un fumeur désire cette cigarette, sachant qu’elle ne lui fera pas de bien. Peut-être est-ce par une prise de conscience qu’il n’y a là que l’apparence d’une satisfaction qu’il pourra se libérer de ce type de désirs ?

 

Parce qu’il existe, selon la psychanalyse, deux forces psychiques fondamentales : éros, joyeux et créateur, et thanatos, mortifère, à l’œuvre dans nos désirs. L’existence de cette tentation autodestructrice invalide l’idée d’Aristote, qui pensait que la sage raison pouvait toujours l’emporter sur nos impétueux désirs.

A moins de comprendre que libérer ses désirs, ce n’est pas y céder. Se libérer c’est se dégager de ce à quoi on est assujetti, de ce qui vous domine :

 

Toute notre éducation, notre environnement moral, légal, nous demande de les contrôler, voire de les transformer, ou de les orienter, de les sublimer parfois, ou, comme les Stoïciens, de les supprimer si leur objet de dépend pas de nous. 

Devons-nous pleinement les assumer, nous libérer de ces contraintes qui nous limitent ou bien nous en libérer parce qu’ils feraient de nous d’irresponsables et passives victimes ?

Alors, le bonheur résiderait-il dans l'absence de désirs ?

 

Le bonheur est une expérience individuelle. La conception du bonheur de l’un ne sera pas celle de l’autre.

D’autant que même le « contenu » du bonheur est indéterminé, et il n’est jamais certain que ces éléments feront réellement ce bonheur qui pourrait-être « tout ce qui arrive entre deux emmerdements.»

 

Aujourd’hui, une pensée dominante, qui nous envahi, pousse à tout évaluer sous l'angle du plaisir et de la satisfaction de tous nos désirs

Notre société de l’immédiateté nous pousse à jouir et à consommer toujours plus.

Dans son école de philosophie, le Jardin, Épicure enseignait à ses disciples les bienfaits d’une vie simple, expurgée des désirs douteux. Il exhortait ses élèves à se satisfaire de tomates, de raisin, de fromage frais plutôt que de mets abondants servis avec des vins capiteux.

Descartes, dans son Discours de la méthode (1637), nous proposait de «changer nos désirs plutôt que l’ordre du monde ».

Pourtant, en chacun de nous subsistent des désirs prédateurs incompatibles avec la vie en société. Cet autocontrôle permanent et ce refoulement ont un coût – la névrose, l’angoisse, la dépression – et nous incitent à fuir la réalité, à consommer des produits rendant la vie plus tolérable : les drogues, l’alcool. Et ceci qu’on s’en libère ou qu’on les libère…

 

Pour Jung, dans l’enfance et durant les premières années de l’âge adulte, nos désirs vont dans le sens de nous faire aimer de ceux qui peuvent nous apporter la sécurité affective. Encore dépendants des valeurs prônées par la société, nous ne sommes pas vraiment nous-mêmes : nous sommes « au service des biens », des satisfactions matérielles. Ensuite, par le « processus d’individuation », caractéristique de la seconde partie de la vie, notre priorité est de nous distinguer des autres, de ce qui fait de chacun de nous un être unique. Nous ne cédons plus aussi facilement sur nos désirs, sauf à perdre tous les caractères de l’humanité: Lacan en avait fait un principe d’action : « La seule chose dont on puisse être coupable […], c’est de céder sur son désir ». LE désir, s’impose à nous, en dehors de tout rapport avec notre propre volonté. (C’est pourquoi il pourra dire: il n’y a pas de rapport sexuels»).

 

Nos désirs sont indissolublement liés à la vie, et finalement, pour les philosophies moralistes, c'est la vie concrète elle-même qui fait problème, dans sa résistance à la rationalisation normative.

Toutes les morales, sont par définition constitutives de limites. Il s'est donc souvent agi, en philosophie, de restreindre la force désirante de l'homme dans les limites d'une morale.

 

Les désirs sont centraux pour agir et être heureux. Nos projets et actions sont guidés par eux. Leur satisfaction nous rend heureux, leur frustration nous afflige. Certains nous obsèdent. D’autres nous vivifient.

Une vie dénuée de désirs semble peu enviable. Peut-on être heureux lorsque le monde nous laisse indifférents ou lorsque les limites qu’il impose sont trop envahissantes?

Comme Antigone qui désire sauver son frère et être loyale, deux désirs qui ne peuvent être satisfaits simultanément.

Un toxicomane peut désirer de la cocaïne tout en désirant ne pas la désirer.

Les désirs qui nous caractérisent vraiment sont ceux auxquels l’on s’identifie. Ces désirs nous satisfont, nous n’éprouvons pas d’aversion à leur égard, ni ne voulons les changer, ni nous en libérer. Le biais d’optimisme consiste à former des croyances allant dans le sens de nos désirs, sans penser à l’évidence du contraire

Peut-être est-ce conforme aux études neuroscientifiques qui montrent que les désirs sont intimement liés au neurotransmetteur qu’est la dopamine et font partie intégrante du système de la récompense qui est central pour agir. Mais, parfois, la satisfaction d’un désir ne correspond pas à la récompense attendue.

 

Il n’empêche qu’en se libérant de ses désirs, nous ne pourrons vivre l’expérience de la défaite, de l’échec et de nos limites, pourtant nécessaire afin de pouvoir les transgresser.

Le bouddhisme considère le désir-attachement comme un poison de l'esprit, mais il prend soin de le distinguer du désir d'aspiration. Faudrait-il donc se libérer de tous ses désirs, se détourner du monde et se détacher de toute préoccupation matérielle ?

L’attachement, après tout, est une tendance naturelle, et les désirs sont des pulsions primordiales, nécessaires à tous les aspects de la vie. Par exemple, le désir de protéger les siens a été à l’origine des grandes avancées dans l’histoire humaine, a permis de comprendre notre place dans le monde et a poussé au développement de la philosophie, des arts et de la religion. Les désirs font donc partie intégrante de ce que nous sommes et de notre devenir. Les désirs sont indissociables de la vie, bien qu’une vie entièrement dominée par les désirs soit misérable.

Désirer n’est ni de nature négative ou positive. En ce sens, libérer ses désirs ou se libérer de ses désirs, n’est ni possible ni même souhaitable. Les désirs incessants ne s’arrêteront jamais d’eux-mêmes, ils sont comparables à la partie émergée d'un iceberg. Le chemin de les transformer, est lui-même le but, en faisant des aspirations, des rêves et des frustrations, le « combustible » quotidien du processus de l’éveil.

 

En conclusion : Ressentir la possibilité d’un risque lié à ses désirs, peut aussi signifier une opportunité, une aubaine, un intérêt pour soi-même et pour les autres. Libérer ses désirs ou se libérer de ses désirs ne se rapporte pas à des valeurs abstraites, à une culture indéterminable, à des injonctions moralisatrices, mais prend bien plus sûrement sa source dans l’éventualité d’un risque: celui de ne pas céder, et c’est bien là, le sens de « se libérer ». Alors, peut-être vaut-il mieux les assumer librement, en toute conscience !

N.Hanar

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presence esprit

Qu’est-ce que la présence d’esprit?

 

La « présence d’esprit » désigne une réaction rapide, en paroles ou en actes. C’est la qualité de celui qui manifeste de l’à-propos, de la vivacité, qui lui fait faire ou dire sur-le-champ ce qu'il y a de mieux ou au moins de plus pertinent à faire ou à dire. Cette locution n’est jamais négative, par exemple : « il a eu la présence d’esprit de détourner le bras d’un meurtrier, elle n'a pas paniqué et a eu la présence d'esprit d'appeler les secours les plus proches…. et la présence d’esprit de donner les premiers soins, le pire a heureusement pu être évité grâce à l'adresse et à la présence d'esprit du chauffeur. Dans tous les cas, la présence d'esprit sauve la situation.

 

Pourquoi «l’esprit », dans cette locution?

L’esprit, est ce qui, chez l’humain, pense, et ainsi permet la vie intellectuelle, la connaissance, la pensée et les pensées, les idées, le jugement, etc. Sans lui, ni culture (art, littérature, philosophie), ni politique ou économie, ni science, qu’il soit individuel ou collectif.

Or, ce terme, employé dès l’Antiquité grecque, a vu chaque philosophe, chaque époque, en donner sa propre définition. Peut-être peut-on tenter de le définir comme l’instance de pensée qui est en l’Homme.

 

Mais alors que vient faire ce terme « esprit » dans la « présence d’esprit » qui est une réaction rapide et sans temps de réflexion ?

Mon hypothèse est que le fait d’exercer une action sans avoir eu ce temps de la peser, avec comme la certitude immédiate que c’est ce qu’il convient de faire, ne nous convient pas: faire participer le mot « esprit » à ce moment d’une action, fait « comme si » notre « moi », celui qui décide, avait quelque chose à y voir !

 

Bien entendu, nous n’en sommes plus à la séparation, notamment cartésienne selon laquelle, il y a d’un côté la "chose pensante", âme ou esprit, et de l’autre, la "chose étendue", le corps, occupant une position dans l’espace, qui ne pense pas.

Après la mort, l'esprit quitte le corps...sauf chez les cons, chez eux ca se passe de leur vivant - Geluck

La "chose pensante", « qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent", qui n’a besoin d’aucun corps pour exister, est la seule à pouvoir dire "je suis".

Rester à l’idée seule « Je pense, donc je suis » a pour conséquence : si je ne pense pas, je ne suis pas !

Insupportable pour beaucoup! Il faut absolument démontrer que toute action, toute réaction, même ultra rapide peut être maitrisée: ce qui a permis de faire que la société « pensante », mette créateurs, génies, imprévisibles, à la marge de la communauté.

Il devient alors inadmissible que mon action ait pu se produire sans ma décision, sans ma volonté consciente, comme un réflexe, ou comme les neurosciences tentent de le démontrer, que mon cerveau décide de mes choix sans que je ne m’en rende compte...

Le cerveau prendrait ses décisions (environ 11 secondes), avant que nous en ayons conscience. Il fait des choix avant même que nous nous en rendions compte. Comment l’expliquer ?

Joel Perason: « Lorsque nous devons prendre une décision, les aires de décision du cerveau choisissent la trace de pensée la plus forte. En d’autres termes, si une activité pré-existante du cerveau correspond à l’une des possibilités, alors votre cerveau tend à pencher pour ce choix-là, car il est boosté par cette activité déjà inscrite dans le cerveau." Nous serions donc, malgré nous, amenés à faire les mêmes choix en boucle et à renforcer nos pensées. Un peu comme si le cerveau avait une sorte d’activité qui lui est propre.

Ce serait du fait de la manifestation de ces traces de pensées pré-existantes, persistantes, encore présentes dans notre cerveau que nous ferions nos choix. Et que nous réagirions !

 

"Avec le temps, va, tout s’en va", chante Léo Ferré, pour souligner que tout présent, qui s’évanouit dans le passé, est éphémère. Bien entendu, à l’échelle de l’histoire de notre planète, toute trace du passé disparaitra un jour, même les pyramides. A l’échelle humaine, pour chacun d’entre nous et pour chaque groupe humain, des traces du passé, persistent en nos mémoires, en tant que souvenir de ce qui n’existe plus.

 

La présence d’esprit s’expliquerait alors en démontrant une synergie supposée s’établir entre la mémoire, l'imagination et la réflexion, en vue de la détermination de l'action opportune, une réponse appropriée, personnelle, à l’événement qui exige une réaction corporelle sans délai. Un enjeu consistant à déterminer comment les processus mentaux, émanations du cerveau, donc d’une partie du corps, s’articulent avec les processus corporels. De plus, la maîtrise de ces processus devient ce qui permet d’acquérir la présence d'esprit.

 

Spinoza, déjà interpellé par le concept de liberté humaine, alors que la matière même de la science du 17ème siècle consistait en la volonté de démontrer que tous les évènements de la nature sont causés de manière nécessaire par des relations causales, que seules la science et les mathématiques, peuvent comprendre.

Un déterminisme universel qui faisait que la liberté consiste uniquement dans le fait que les hommes sont conscients de leurs appétits et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés: pour lui, tous les hommes sont déterminés dans leurs actions, mais de l’intérieur, par leur propre nature et non pas de l’extérieur. Le « JE », reprenait la main !

 

Alors, toute la difficulté consiste à avoir l’ensemble de ces éléments (la mémoire, l'imagination et la réflexion), présents à l’esprit avec suffisamment de force au moment opportun, et de pouvoir lier, percevoir simultanément, tous ces éléments afin de faire apparaître la présence des choses en leur absence, à l’instant T. Un « pouvoir de former des idées claires et distinctes, écrit Spinoza, et de les déduire les unes des autres », mais ceci « sans déduction rationnelle ».

Un « Je », quasiment à l’insu de mon plein gré, mais toujours un « JE » !

Existerait alors une possibilité « d’enchaînement des affects » par la création d’automatismes mentaux, qui se mettent en place au préalable, permettant d’en former une idée claire et distincte, au contraire de l’idée confuse, « constitutive de l’affect passif ».

Ainsi, pour Spinoza, la nécessité d’établir la concorde entre la mémoire, l'imagination et la réflexion sous la conduite de la raison, pourrait se faire par l’utilité de la présence en conscience (entendement), de « l’amitié mutuelle » et de « la société commune », « que la haine doit être vaincue par l’amour et la générosité, et non compensée par une haine réciproque », qui constitueront la possibilité de modifier la liaison des affects et de réaliser l’action adéquate.

 

Il indiquait que la formation de telles associations imaginatives, suppose un « exercice assidu et une longue étude », que l’on « applique sans cesse de penser souvent ».

Grâce à ces principes d’existence l’imagination devient libre, n’enchaîne plus ses idées selon l’ordre contingent de succession des affections du corps mais suivant un ordre construit par une méditation, qui cherche à affranchir l’imagination de sa passivité. Afin de réagir dans « l’espace de temps le plus court.

C’est par des méditations répétées que l’on peut se forger une présence d’esprit, des préceptes rationnels toujours à disposition, de manière que « ayant vu le meilleur je n’accomplisse pas le pire ».

 

D’ailleurs, la présence d’esprit ne sert pas la seule « utilité de l’agent » mais aussi celle d’autrui, puisqu’il faut savoir l’assister selon que « le temps et la conjoncture le demandent ». La présence d’esprit désigne donc l’effort, l’action, qui naît de ce que « l’âme connaît les choses par la raison, et traduit ainsi l’enchaînement des préceptes rationnels aux idées des affections corporelles ». CQFD !

 

La présence d’esprit, forgée par des méditations continues, contribue à réduire la part d’abstraction inhérente à la connaissance du bien et du mal, la générosité et la fermeté d’âme ont déjà été reliées à toutes les offenses et les dangers que l’on a pu imaginer ou prévoir.

De même « la fuite opportune (fuga in tempore) » est une vertu requise pour réduire l’audace aveugle.

Parce qu’il faut faire appel à « la présence d’esprit dans les dangers » pour, également, lutter contre la crainte des périls. Sitôt que nous sommes dans un état de crainte, les choses futures ou passées apparaissent contingentes, nous ignorons l’enchaînement nécessaire des causes. La décision de fuir ou d’accepter le combat devra être prise sans avoir la connaissance certaine de l’issue de la chose, qui est plus ou moins dangereuse. La présence d’esprit résultera ainsi de l’association à l’image d’une chose effrayante, de la fuite opportune ou du combat.

 

La présence d’esprit, cette capacité de mobiliser ce qui est adapté à un court moment, a donc besoin d’une durée continue au préalable, d’un enchaînement qui relie les affects de l’intérieur.

Descartes également mentionne le recours à un tel procédé afin de graver dans la mémoire la cause de l’erreur et de mieux s’en préserver : « je puis toutefois, par une méditation attentive et souvent réitérée, me l’imprimer si fortement en la mémoire, que je ne manque jamais de m’en ressouvenir, toutes les fois que j’en aurai besoin, et acquérir de cette façon l’habitude de ne point faillir » (Méditation Quatrième).

 

Pour Vladimir Jankélévitch, le savoir pose et suppose une certaine stabilité. Or la vie change dans un temps qui ne se répète jamais. Il fait alors intervenir l’instant, parce que le temps n’est fait que d’instants se succédant et s’anéantissant. L’instant se dérobe au moment même où on le pense ; il est, dit-il, une « phosphorescence » ou une « apparition naissante-mourante », et avec lui, tout bascule, tout chavire.

L’instant est l’intervalle décisif: avant est trop tôt, et après c’est trop tard. Il est le temps propice, un moment opportun pour agir (c’est que ce que les Grecs appelaient le kairos, l’occasion favorable, le bon moment, l'instant T ou d'opportunité à saisir.

L’instant acquiert alors la capacité, immense, de nous transformer, de convertir pour nous un hasard en nécessité. La liberté n’est pas le « pouvoir tout faire ». Être libre pour l’homme, c’est trancher et saisir l’instant. Oser l’irréversible.

Deviens ce que tu es dans l’instant, en allant à son devant, jusqu’à le produire. La présence d’esprit, dans l’instant, c’est « la grâce à la portée des mortels ».

 

En paraphrasant Pierre Dac, on pourrait dire : La présence d'esprit c'est comme les parachutes, ça ne fonctionne que lorsque c'est ouvert - Pierre Dac...

N.Hanar

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NOTE

 

(Le kairos est une notion employée par Carl-Gustav Jung pour élaborer son concept de synchronicité. Il est l'instant où la conscience d'un individu exprime une sensibilité particulière à la survenance concomitante de deux évènements fortuits. Cet individu opère à ce moment une association entre ces deux évènements en raison d'un état de son être. La coïncidence, alors perçue comme une correspondance, devient signifiante pour la personne qui l'éprouve.

vivre pleinemnt

Nos croyances nous aident-elles à vivre pleinement ?

 

Que signifie « vivre pleinement » sa vie ?

En naviguant sur internet, vous trouverez des dizaines de coachs de vie, des conseillers, vous indiquant comment vivre pleinement leur vie ! Ils vous disent, que selon eux, vivre sa vie pleinement, profondément et sans réserves, une vie entièrement réalisée, totalement accomplie, épanouie et pleine de joie, il vous faudra: accepter l’incertitude, savoir pardonner, aimer, oser, trier, pour ne pas s'arrêter aux accidents survenus en cours de route, simplifier les choses complexes et ne pas compliquer les choses simples, etc… Mais qu’en est-il dans tout cela de l’originalité de nos désirs, de nos envies, de nos besoins, qu’il n’est pas forcément possible de faire entrer dans un cadre formaté par des cultures, des conventions, des usages, et ainsi des comportements, que d’autres ont considérés comme étant « ce qui doit être ».

Mais on peut très bien les croire. Croire qu’il existe une solution à tous les problèmes, que la solution se trouve dans la religion, ou dans une idéologie politique, par la science toute puissante ou par la psychologie et les usages ancestraux. Qu'importe le mensonge pourvu qu'on ait l'ivresse.

 N’importe laquelle de ces croyances peut nous aider à vivre pleinement, à condition de s’y soumettre et ainsi à nous sentir en adéquation sans réserve avec un monde qui nous est imposé.

C’est une évidence. Mais c’est aussi un leurre, parce que, dans ce qui est plein, surtout une vie pleine, il n’y a de place pour rien d’autre ! Ce que nous montre bien le destin des artistes, des savants qui ont modifié des savoirs et des visions du monde. Ce sont Copernic, Bruno, Galilée, défendant que la terre tourne autour du soleil, et même Newton ou Darwin, qui n’ont pas hésités à contredire la plénitude factice des savoirs.

Ils se sont libérés du présent de leur époque, s’en sont désynchronisés, en mettant « entre parenthèses” les croyances habituelles, afin de porter un regard neuf sur ce qui les entourait pour pouvoir vivre pleinement leur vie, même si elle fut parfois tragique..

 

Si l’animal s’adapte à son milieu, l’humain pour vivre adapte son milieu à son profit.

L’être humain fait partie de la nature, du point de vue biologique, de ses besoins, des lois de la physique.

Mais, faible et imparfait, « singe nu », seul singe sans poils quand il est à poil, il est soumis à l’obligation, dès ses premières années, de dépendre des autres pour se nourrir, se protéger du froid et des dangers, de s’éduquer, d’apprendre : il n’a de cesse, « roseau le plus faible de la nature, mais roseau pensant », (Pascal), de se protéger de la nature, voire de la combattre.

Il s’agit là d’une nécessité naturelle à se regrouper pour survivre, mais il lui fallait également trouver une justification rationnelle, réfléchie, afin que cette obligation échappe à la seule nécessité naturelle.

Les humains ont donc « inventé » une autre origine aux regroupements, aux différents types de socialisation, qui se sont constitués, pour justifier d’avoir à se détacher de leur dépendance à la nature hostile.

 

Ignorants et impuissants à l’égard des forces invisibles qui animent la nature, ils les auraient « humanisées » à partir de leurs propres réactions de crainte du danger, de peur l’avenir, par la recherche effrénée des signes qui pourraient permettre d’interpréter les événements. Ce serait le premier stade de l’évolution religieuse de l’Humanité, (selon l’historien G. Minois), au cours duquel, les hommes auraient cru en des entités, des forces invisibles qui animent la nature. Les fétiches alors soulagent leur peur: objets chosifiant les forces, ils permettent à l’être humain, de les maîtriser en se les appropriant, et ainsi de maîtriser leur existence.

Puis ces forces auraient été appelées à l’aide au moyen de pratiques chamaniques, en fixant l’image sur la roche, capturant ainsi l’esprit des animaux chassés. Les premiers chamans sont devenus des intermédiaires avec les esprits. Des lieux sacrés sont choisis pour communiquer avec eux. Ce sont les quatre composantes futures du concept de toute religion : une croyance, une liturgie, des clercs, et un temple. A chaque palier de son évolution l’homme s’est enrichi d’éléments de croyances nouveaux.

Ces croyances qui se sont développées  au travers des mythes, des religions, puis des idéologies, sont devenues fondatrices de groupes humains (sociétés, communautés, etc…), pour justifier, à postériori donc, de la nécessité de se regrouper pour survivre, et donc les aider à vivre le plus pleinement possible.

Si les humains se sont coalisés autour de divinités dans un but adaptatif, pour favoriser la coopération entre individus, renforcer le sentiment d’appartenance, et rendre le groupe plus viable, par des valeurs communes, la fraternité, des comportements moraux, ce ne serait donc qu’un mécanisme de survie, une aide à vivre pleinement, pour tous et pour chacun, sans avoir à faire face seuls, à des dangers extérieurs ou intérieurs.

Du point de vue des religions, au début, les gens ne croyaient pas en Jésus : Ils ne s'y fiaient pas.

Après, ceux qui l'ont cru s'y fiaient !

 

Il s’agissait de croyances utiles, performatives.

La croyance, un mot qui dérive du latin credo (« je crois »), désigne le fait d’attacher une valeur de vérité à un fait ou un énoncé. Ce qui peut être constitué de la simple opinion, qui est adoptée sans examen critique, sans justification, qu’on adopte par défaut en l’absence d’une meilleure solution. La croyance mène à la foi, à la confiance, qui permet à certains, qui ne se posent alors plus de question, de vivre pleinement.

« Croire, c'est penser comme vrai, sans pouvoir absolument le prouver », écrit Comte Sponville.

Attitude confortable, parce que « L’esprit humain aime à s’émanciper du réel et de ses contraintes et trouver refuge dans [ ] ce qui dans les événements du monde fait sens pour l’individu » et permet de construire «  un socle de croyances communes, sans lequel aucune société ne peut vivre et s’épanouir (Jean Luc Graff).»

Ces croyances communes, ce socle qui exclura plus tard, le fait religieux dans l’organisation des sociétés, se retrouvent, aux alentours des Lumières, chez des philosophes comme Hobbes, Locke ou Rousseau. Ces derniers partent de la croyance en un homme « loup pour l’homme » ou, au contraire, « naturellement bon ».

Ils proposent des conventions, hypothétiques ; construites à partir d’éléments historiques ou mythiques épars, qui conditionneront a politique et des systèmes de société. Démocratie, république ou différents types de royautés, sont ce qui devra permettre aux humains de vivre pleinement leur vie.

Une convention se traduit par un accord, un contrat, des règles, des normes, suite à des transactions, des compromis qui définissent un contrat social par lequel il est de mon intérêt d’adopter un certain comportement avec autrui, pourvu qu’il agisse de même avec moi. . Mais il s’agit en même temps, de restrictions de libertés : ce serait vivre pleinement sa vie, par le plein ayant des limites, des creux et des vides !

 

Croire signifie que notre esprit adhère à une idée, dont nous sommes convaincus qu’elle est vraie. Nous pouvons présenter des arguments et des motifs, quels qu’ils soient, justifiant de notre croyance.

Dans certaines situations, il est tout à fait logique et justifié de croire. Quand je vais voir un médecin, je crois en ce qu’il me dit puisqu’il est supposé compétent dans son domaine. Je n’ai pas les moyens d’être certain que son diagnostic soit le bon (quelle est ma compétence ?) mais je dois bien le croire. Si j’attendais d’être totalement et absolument certain que ce qu’il dit est vrai pour suivre son avis médical, il faudrait que je voie plusieurs médecins, que je me renseigne moi-même, etc., au risque que ma santé se dégrade encore plus à cause du temps perdu, et au risque de me tromper. Mais cela ne fait pas d’une croyance, un savoir.

 

Et puis toutes ces croyances, religieuses, idéologiques, omettent de prendre en compte qu’elles sont tout autant un facteur de discorde, lorsqu’elles deviennent des certitudes. La croyance, c'est une adhésion à une idée, à une convention, à un savoir qui nous est apporté de l’extérieur, parce que nous sommes ouverts à ce qui peut nous instruire, alors que lorsqu’elle se transforme en une certitude qui se construit en nous, comme un savoir certain, elle se ferme à tout apport, à toute modification possible.

 Parce que, dans ce qui est plein, il n’y a de place pour rien d’autre !

Nos croyances contribuent alors à endormir notre esprit critique beaucoup plus sûrement que les normes religieuses ou les solutions idéologiques et politiques. Sous des oripeaux de rationalité elles promettent de récompenser certains et d’en punir d’autres en niant ce que l’existence humaine a de tragique et d’incompréhensible. Vivre, c’est souffrir, écrivait Malraux. La vie consiste à rencontrer des obstacles, que des croyances permettent de ne pas voir, mais n’éliminent pas.

 

Quelles que soient ses croyances, un croyant est-il que cela ? L’identité de chacun est insaisissable, évolutive et ouverte malgré les limites qu’elle s’impose. Je suis un autre aussi.

Pourquoi penser que le réel peut leur échapper, qu’ils cessent d’interroger leur désir, leurs besoins ou leurs envies, pour se contenter de vernis de surface ou de poudre aux yeux ?. Cessent-ils de se demander : qu’est-ce que je veux vraiment ?

Même si toute entrave à notre puissance d’agir, devient un véritable scandale, une frustration compensée par le fantasme de leur suppression par une force, divine ou humaine, qui donne des réponses au vivre ensemble ou à la vie bonne et pleine, ces solutions sont-elles des obstacles infranchissables ?

Or justement, tout obstacle, par la difficulté qu’il instaure, oblige à réfléchir, à prendre du recul, à ruser avec la situation en toute conscience. C’est un choc où l’on découvre ses limites, ce qui fait de l’obstacle une composante essentielle du mouvement de la vie. La croyance permet seulement de l’éviter, mais elle n’empêche pas de l’interroger.

Toute parole, toute réflexion, doit être critique c’est-à-dire étudier « à la loupe » tout discours positif ou négatif, d’analyse du réel, des événements qui le constituent. Afin de laisser deviner, derrière l’écran des certitudes communes, la profondeur d’une autre expérience du monde.

Toute croyance est faite indissociablement de subjectif et d’objectif. Tant qu’elle reste réfutable, ce qui n’est malheureusement pas le cas de certaines religions, ou de beaucoup d’idéologies, la croyances sera un « pharmakon » positif ou négatif, aussi bien au niveau individuel que social. L’absolutisme rationaliste, idéologique ou religieux, inocule son poison normatif, rigide et intolérant ; tandis que la réflexion rationnelle, qui reconnait un pluralisme de références à toutes les croyances, leur permet d’être souples et tolérantes.

 

Et puis, malgré la prolifération des normes et des habitudes, nos croyances peuvent alors nous aider à vivre.

Nous pouvons, par exemple, les considérer comme une défense de notre existence face à nos désirs, qui peuvent nous perdre, nous exclure de toute société, et cela, qu’il s’agisse des commandements divins ou des lois civiles.

Croire, c'est alors donner son assentiment à ce à quoi on reconnaît une valeur, que l'on considère légitime.

C’est alors le moteur de certaines actions (il faut croire que c’est possible pour se lancer, pour chercher), elle résout aussi temporairement les problèmes provoqués par les brèches de la connaissance, permet de créer des hypothèses, comble la nécessité déstabilisante d’expliquer l’inexplicable, la peur du vide, l’incapacité à accepter son ignorance, lorsque la raison est mise en échec.

Sauf lorsqu’au lieu de titiller la raison, la croyance se pétrifie en une autorité dogmatique et interventionniste, utilisée pour construire une conception du monde qui implique obéissance et soumission en imposant à tous, ce qu’il faut croire, dire ou penser.

 

Nos sociétés, croient que l’intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers, croient en la nécessité d’une organisation,  en un « besoin de société »,  en un système structuré d'associations et d'alliances, qui implique une coordination et donc une subordination d'éléments les uns aux autres » {Bergson-Les deux sources). A force de raboter les identités et de codifier les relations d’altérité, les lois, les conventions, les médias, l’agitation de sous-groupes que le pouvoir intéresse au détriment du vivre ensemble, les sociétés ne représentent plus une structure lisible.

L’homme est réduit à sa fonction, à son origine géographique (xénophobie), à sa religion (antisémitisme, anti islamisme), à son économie (soumission à la loi des marchés).

Or le réel n’est pas épuisable par ces organisations où chaque objet peut être identifié et classifié en termes « clairs et distincts », et où les relations entre les objets ou classes d’objets relèvent de la pure logique, d’un savoir absolu.

 

Toute croyance peut ouvrir à un faux savoir lorsqu’elle donne foi à quelque chose, d’incertain, de seulement probable. Or, la plupart du temps, en effet, il semble que nous n’avons aucune raison ou en tout cas aucune raison valide, d’adhérer à ce à quoi nous croyons. Et nous avons la capacité de ne pas croire en n’importe quoi : Quand je lis un livre d’histoire, je crois que ce que l’on me raconte a réellement existé; mais quand je lis un conte de fées, je ne crois pas ce que l’on me raconte, je " sens " que ce n’est qu’une fiction.

 

Hume définit la croyance comme étant la propension d’un mécanisme de l’esprit à affirmer que ce qu’il conçoit, est tenu pour vrai. (Ce que l’on nomme aujourd’hui les biais de confirmation) Il s »git du  lien essentiel avec nos actions: le rôle des croyances est de produire des actions, des comportements.

On ne peut savoir quelque chose sans croire en sa valeur de vérité ou, au moins, d’exactitude: en ce sens, le savoir n’exclut pas la croyance, et repose même en un certain sens sur elle (je ne peux pas " savoir " que la terre est ronde si je ne crois pas en la valeur de la science, et ainsi certains se retrouvent « platistes », comme je dois croire que l’Histoire que l’on m’enseigne correspond bien à ce qui s’est passé !)

 

La croyance est toujours la croyance de quelque chose qui fait sens pour l’individu.

Les " objets de croyance " regroupent tout ce qu’il est nécessaire d’un point de vue moral d’admettre comme juste, alors même que cela reste indémontrable. On saisira d’emblée par exemple que l’esclavagisme, le sexisme, le racisme, le totalitarisme sont moralement des choses mauvaises sans que cela soit démontrable scientifiquement car dans le domaine moral, nous ne sommes plus dans le domaine du savoir. Et Kant constatera, analysant sa démarche : "  J’ai dû abolir le savoir et lui substituer la croyance ". Que ces principes reposent sur des croyances n’enlèvent rien à leur pertinence et à leur bien-fondé.

 

Sans un socle de croyances communes, aucune société ne peut vivre et s’épanouir. La structure de toute société, pour maintenir son équilibre, est donc forcément répressive et non évolutionniste. Ce qui touche également le savoir scientifique.

Le discours qui oppose le vrai au faux est dépassé parce que le monde est complexe, le réel infini et que sa compréhension n’est pas binaire. La sensation de « perte des repères » qui en résulte est accentuée par le clivage factice gauche/droite, croyances/savoir qui a dominé les structures politiques, morales, sociétales de nos sociétés ces dernières années.

Jamais, dans les faits, les croyances et les savoirs n’ont correspondus à ces clivages de manière cohérente.

 

Que les croyances nous aident à vivre, parce qu’elles structurent des comportements, des sociétés, un certain vivre ensemble, parce qu’elles limitent nos passions individuelles rendant la vie en commun possible est certain. Qu’elles soient également dangereuses lorsqu’elles sont destinées à construire une conception du monde qui implique obéissance et soumission en imposant à tous, ce qu’il faut croire, dire ou penser est tout autant évident.

Que l’on s’y soumette ou qu’elles soient ce qui provoque, au contraire, l’ouverture de la pensée à ce qu’il pourrait bien y avoir d’autre, elles font partie de ce qui nous aide à vivre.

Mais « pleinement », c’est autre chose. Vivre sa vie pleinement, profondément et sans réserves, réaliser entièrement une vie totalement accomplie, épanouie et pleine de joie, est plus ce qui doit être une recherche, un chemin, que quelque chose qu’il faudrait réellement atteindre, au risque de se trouver dans l’état de béatitude d’un imbécile heureux..

N.Hanar

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domination

Une société sans domination, est-elle possible?

 

Je viens de lire dans les DNA du 4.03.2023 un article à propos de Chantal Mouffe, une philosophe connue pour son étude des populismes.

J’en ai compris que nous vivons un « moment populiste », de contestation. Le populisme de droite semble plus efficace que celui de gauche, parce qu’il mobiliserait des affects, alors que la gauche préfère présenter des arguments et un programme. Quel que soit le problème social à traiter, qu’il soit économique, ou qu’il s’agisse de la lutte féministe, de la lutte antiraciste ou écologiste, Chantal Mouffe estime que la gauche doit se rendre compte de l’importance de mobiliser les affects. Mais des affects positifs (l’espoir), et non les aspects négatifs (la peur) mobilisés par l’extrême droite [et d’autres]. « Les idées, comme le dit Spinoza, n’ont de force que lorsqu’elles rencontrent un affect ».

 

Or, il s’agit d’une idée probablement un peu simpliste, mais intellectuellement séduisante, parce que fondée sur une évidente influençabilité, supposée forte, une absence de capacité de réflexion et de prise de distance, de la part de la population, tout en omettant que les conséquences des affects sur les humains sont imprévisibles: il n’est pas certain qu’un ressenti soit comme on voudrait qu’il soit, positifs ou négatifs.

 

La question est alors : la démocratie n’est-elle et ne peut-elle être que le produit de manipulations de la part de dominants, le produit d’une lutte entre dominants, et entre dominants et dominés?

 

Faut-il toujours des dominants et des dominés dans la pensée philosophique des sociétés?

En fait la réflexion philosophique à propos des dominants et des dominés n’a pas toujours été cette simplification qui consiste à définir une société comme uniquement fondée sur la domination de certains sur d’autres, comme l’est souvent la pensée politique. (1)

 

En latin, dominare, c'est exercer la souveraineté du maître, du dominus, celui qui domine en exerçant une contrainte sur la conduite d'autres personnes.

Mais, selon Max Weber, la domination (Herrschaft) correspond aussi au fait d'obtenir, chez des personnes, l’obéissance volontaire à un ordre, doté d'un contenu spécifique, comme des règles, des lois ou des normes, afin d’éviter le désordre. Il distingue cette domination acceptée, du pouvoir (Macht), qui fait triompher, au sein d'une relation sociale, la volonté d’un seul individu ou d’un seul groupe, même si cela se fait contre des résistances.

Ainsi, la domination peut désigner une sorte d'assujettissement qui est reconnu comme légitime par les membres d’une société et pas seulement l'imposition d’une volonté propre sur d'autres individus. C’est le cas du fameux« contrat social », qui permet une domination, une perte partielle de liberté, afin justement de conserver une grande part de liberté, la sécurité et la paix.

 

Néanmoins, ce type de domination exprime un rapport de dissymétrie sociale entre dominants et dominés, même s’il n’existe pas de coercition effective, et si l'obéissance des dominés est consentie, parce que les dominants sont considérés, à juste titre ou non, comme chargés du bien commun. Il n’empêche que toute domination développe quand même des inégalités sociales, s'accompagne d'injustices, et du sentiment d'aliénations, et ceci, même si elle provient de décisions d’assemblées de citoyens.

 Les dominés peuvent supporter des contraintes en calculant leurs avantages, mais être affectés par les inconvénients qui les touchent, malgré le lien affectif ou confiant qu’ils ont établi avec le dominant jugé légitime, qui, pourtant reste le garant de leur liberté et de leurs conditions d’existence..

 

Et puis, la métaphore du maître et de l'esclave, dans l'argumentation de Hegel, ne se résume pas à la domination résultant d’une violente confrontation, mais contient en son sein, un mouvement dialectique permettant aux dominés de dépasser leur situation du fait d’une interdépendance réciproque: les dominants deviennent dépendants des dominés d’abord parce que, déjà, sans servitude, pas de domination, et que, si le maître prend conscience de soi, de ce qu’il est, par sa domination sur le dominé, par contre, ce dernier, par la force de travail qu’il fournit, se forge, à son tour, une conscience de soi » de ce qu’ils est, et trouve une signification propre, un « Eigen-Sinn »,», en comprenant que le dominant a besoin de son existence pour, lui-même, exister. Est-ce que, ainsi, on peut penser que la société n’est définie que par des dominants, qui assujettissent, qu’il n’y a pas de failles ? (2)

De plus, Karl Marx, dans la même métaphore du maître et de l'esclave montre même l’inversion du processus de toute domination. Elle est le point de départ de la dialectique dans laquelle la classe salariale, dans le processus d'appropriation collective des moyens de production, serait supérieure à ses maîtres en leur arrachant non seulement le pouvoir, mais aussi les institutions.

 

Ainsi, il serait bien court de réduire une société faite de relations multidimensionnelles, à la domination et à la servitude. Dans l'analyse d'Hegel on trouve indéniablement l'idée que le maître et l'esclave sont aussi des métaphores de « l'être intérieur » et de sa constitution sociale par le processus à travers lequel la conscience des individus se transforme en conscience de soi. Leur rapport n’est pas que de domination.

Kant, qui appartient à ce mouvement de Lumières qui a fondé nos démocraties d’après quelques variantes du « contrat social, (dans son petit essai intitulé Idées d'une histoire universelle du point de vue cosmopolite, en 1784), indique que « l'homme est un animal qui, quand il vit parmi ceux de son espèce, a besoin d'un maître » [ ] qui « lui brise la volonté et le force d'obéir à une volonté générale, qui permet à chacun d'être libre ».

Or, le dominant appartient lui aussi au genre humain et, à ce titre, il est donc également un « animal » qui « a besoin d'un maître ». Ce « bois tordu » dont l'homme est donc fait ne permet pas de fabriquer quelque chose de « tout à fait droit »,  c’est-à-dire la possibilité d’une nette identité à soi-même.

 

De toute façon, la docilité de « l'être dominé » n’est pas une attitude simple aux limites claires. Il n’y a pas que « l'obéissance-ou-la-résistance ». L’acceptation de la situation peut ne se montrer que de l'extérieur mais, intérieurement, elle peut être sans perte d’espoir et d’exigence d'une vie meilleure : une distance incontournable, un équilibre instable qui permet la contestation.

Le système de domination n'en sera pas perturbé, ou que peu, mais permet au dominé de « faire de l'air », de se créer son temps et son espace « propre, de prendre de la distance afin d’exister « pour soi », d’autant qu’il ne dispose pas toujours de la possibilité d’une « comparaison », lui permettant d’analyser sa situation.

 

Au fond, si l’on pensait que les dominants ne sont pas nécessaires dans toute société, n’y aurait-il pas, néanmoins, un besoin d’autorité ?

L’autorité, ce n’est pas: « il décide; il exécute. » C’est bien plus subtil. L’autorité est peut-être indispensable â toute communauté, si elle incarne la responsabilité et non le pouvoir : si elle oblige tout autant celui qui1’exerce que celui sur qui elle s'exerce.

Le terme autorité vient du latin « auctoritas », dont la source est « augere », augmenter, ce qui désigne un mouvement du bas vers le haut. Même si elle s’incarne en une personne ou une assemblée, elle n’est pas, forcément soumise à 1’abus de pouvoir ou à la démagogie mais susceptible de se remettre en question, pour assurer l'ordre politique et social, la paix civile intérieure et extérieure.

 

Longtemps, l’autorité s’est exposée à travers un extérieur à la société, un contenu non humain.

Ce qui s’exprimait par le classement des anciens grecs par lequel chacun est à sa place, les êtres humains et les choses du monde, étant supérieurs ou inférieurs par nature. Pour Platon, « aux uns il convient par nature de commander, aux autres de se soumettre » (La République). Chaque citoyen doit s’adonner à la tâche qui lui est assignée : les artisans produire, les gardiens défendre, les philosophes régner. Et Aristote de renchérir en affirmant la hiérarchie universelle des êtres, chacun étant finalement à sa juste place fixe dans l’ordre du monde, selon sa nature, y compris les esclaves.

La domination, sera légitimée, ensuite, en Occident, par la domination du religieux, l’ordre des choses provenant du divin, et non plus de la nature des choses, sans qu’il soit besoin, encore, de coercition, l'obéissance des dominés étant consentie, sans questionnement.

Avant de séparer, c’était ce qui permet surtout de vivre ensemble.

Selon une théorie qui remonte à Étienne de La Boétie, ce type de rapport social était caractérisé par la subordination et le consentement des individus sur lesquels s’exerce la domination, légitimée par des croyances, des habitudes, des usages et des traditions.. Ce ne serait pas par leur « nature » que des hommes sont esclaves, mais plutôt par leur volonté, parce qu’ils le veulent bien, et qu’ainsi « les institutions s’imposent à nous, nous y tenons ; elles nous obligent et nous les aimons ; elles nous contraignent et nous trouvons notre compte à leur fonctionnement et à cette contrainte même. »

 

Le défaut, qui est à l’origine de la question de ce soir, vient de ce que le pouvoir de faire, la mise en place des moyens de réaliser ces sociétés, a toujours été délégué à des humains, et surtout à ceux, individus ou groupes, qui faisaient preuve de charisme ou qui incarnaient la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire.

La religion, ce n’est pas « les religieux ».

 

Mais quelle serait une autre vision possible, que cette quasi nécessité de dominants pour permettre le vivre ensemble, qui a toujours été présente, sous des formes diverses?

Les cultures étant aujourd'hui disséminées en demandes hétérogènes – luttes féministes, identitaires, urbanistiques, elles posent les bases d’un nouveau mode de réflexion  qui passe de la verticalité (du haut vers le bas), à une horizontalité de l’intervention politique. Les liens sociaux évoluent par l’intermédiaire de micro-pouvoirs, de réseaux, à volonté égalitaire, qui coexistent difficilement avec les dominations héréditaires (héritage, souverains), la reconnaissance d’une élite, et d’individus richissimes.

 

Ce n’est pas nouveau: ces réseaux existent depuis l’Antiquité et n’ont jamais cessé de concurrencer les organisations hiérarchiques verticales qui préfèrent la centralisation, le commandement du haut vers le bas. Même les « Lumières » du XVIIIe siècle peuvent être compris comme un réseau d’intellectuels entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, critique à l’égard du pouvoir absolu de droit divin.

 

Alors, le pouvoir est-il le fruit d’une domination simple, évidente, surgie d’en haut, ou est-ce bien plus subtil que cela ?

Ce qui correspond à la théorie du Rhizome, développée par Gilles Deleuze et Félix Guattari, le rhizome désignant une structure souterraine, évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, qui s'oppose à la hiérarchie dominatrice en pyramide. Dans ce rhizome, tout élément peut affecter ou influencer tout autre élément, sans qu’importe sa position ou le moment de son action, et ce de manière réciproque.

 

C’est bien ce que l’on retrouve dans les mouvements sociaux planétaires de notre époque, et qui incite bien des dirigeants, aujourd’hui, à chercher à mettre en oeuvre des moyens leur permettant d’en finir (plus ou moins sincèrement) avec l’exercice vertical du pouvoir (par des conventions citoyennes, par exemple)

 

C'est une théorie de la démocratie immédiate, dans laquelle la souveraineté est avant tout celle de la parole du peuple selon un axe de construction du politique qui ne scinderait plus la société en deux - les élites contre ce « reste de la société », qui doute du rôle du droit, et qui refuse un univers froid, technocratique, limitant par trop la démocratie, et la liberté.

 

Est-il évident de mettre en place une démocratie, qui ne devrait pas seulement permettre à chacun de voter pour un programme, mais qui mettrait en place des interactions permanentes entre la société et le pouvoir, au travers de jurys citoyens ou de débats nationaux par exemple. (Express n° 3576)

Les participants à ces moyens ainsi mis en place, ne seraient-ils pas finalement des « dominants à l’insu de leur plein gré ». Et ne se heurteraient-il pas, eux aussi, à des mouvements contestant leur autorité ?

Parce que ce type de démocratie pourrait amener à un autre type de conflit qui opposerait les gens de partout et ceux de quelque part, c’est à dire des élites éduquées de « sachants » et des citoyens enracinés, chez eux, avec leurs habitudes et leurs références au périmètre étroit, avec de plus, l’attitude de ceux qui sont entre les deux et qui penchent, selon les circonstances vers les uns ou vers les autres. (3)

 

Faut-il en revenir au modèle proposé par l'anarchisme, l’idéologie libertaire, antiautoritaire, dont la théorie est basée sur la démocratie directe et la liberté individuelle ? L'anarchisme ne prône pas l'absence de loi, mais milite pour que son élaboration émane directement du peuple (initiative populaire par exemple), qu'elle soit directement votée par lui (référendum ou vote par des assemblées tirées au sort) et que son application soit sous contrôle (mandat impératif, forces de sécurité dont les officiers sont élus, révocabilité des élus).

La démocratie directe serait-elle possible pour des états composés de millions de citoyens (la Chine n’est pas la Suisse) ? (4)

L'Anarchisme n'a rien d’un système et se trouve être d’une actualité criante en prônant l'autogestion, la lutte pour la libération de la femme et pour l'émancipation sexuelle, des écoles et des universités libres, une aspiration écologique à un équilibre entre la ville et la campagne, entre l'homme et la nature,.

Mais est-ce que cela peut se produire sans contraintes légales, au détriment de ceux qui n’adhèrent pas, quelles que soient leurs raisons, à ces modes qui nous paraissent évidents. 

Devront-ils vivre comme une « sous-population » ?

Michel Foucault, (dans Dits et Écrits, tome 4, « Le sujet et le pouvoir »  en 1982), souligne que « le pouvoir apparaît comme un rapport entre « partenaires ». Partenaires, car « le pouvoir ne peut s’exercer que sur des “sujets libres” », et en tant qu’ils sont « libres. Ce qui ne serait plus vraiment le cas.

 

Et puis, au fond, la question de la possibilité d’une société sans dominants, n’est-ce pas un sujet anachronique ? Comme l’est cette réforme des retraites qui agite notre société, à une époque ou le rapport au travail tend à s’individualiser, ou le travail lui-même est une notion en plein changement : que signifie alors un âge de la retraite ? Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne et le salariat à vie, bat de l’aile.

 

Une réflexion prospective des rapports dominants-dominés est impossible, car les valeurs individuelles et les faits qui se produisent, sont liés dans notre perception des dominants et des dominés. A quoi s’ajoutent des dogmatismes qui  leur décrètent un sens, de l’extérieur. Ce qui fait que ce rapport n’a pas un seul sens : nous le lui donnons, selon le ressenti que nous avons de notre présent et de la vision de l’avenir que nous souhaitons. D’où une pluralité de perspectives, dont celle d’un hypothétique monde souhaité sans dominants. Mais ne serait-ce pas alors, le vœu d’une société ou tout le monde pense comme chacun de nous ? Ne jouerions nous pas, alors, le rôle principal, celui de dominants ? (5)

N.Hanar

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NOTES

 

1-N’y aurait-il de possible que d’imaginer des utopies, comme « L'Utopie » de Thomas More, ce « lieu qui n’existe nulle part », une représentation d'une société idéale, qui gouvernerait une communauté d'individus vivant heureux et en harmonie puisque les autres, les sociétés réelles, sont imparfaites ?

 

2-La dialectique est « l’ensemble des moyens mis en œuvre dans la discussion en vue de démontrer, réfuter par une argumentation, un raisonnement), qui  reconnaissent le caractère inséparable des propositions contradictoires (thèse, antithèse), afin de chercher à les dépasser dans une synthèse, qui fera progresser les choses sous la force de la logique.  

 

3-Ne serait-ce pas ce que Hegel appelle la ruse de la raison, une illusion qui met les consciences individuelles, sans qu’elles le veuillent ni le sachent, au service de ce qui les dépasse. Comme son exemple de la dictature napoléonienne qui est d'abord au service des intérêts égoïstes de Napoléon, mais qui va pourtant contribuer au développement de la liberté: grâce à elle, les idées de la révolution française vont s'étendre dans une Europe sans frontières.

 

4-Fondé sur la négation du principe de domination d'un individu ou d'un groupe d'individus dans l'organisation sociale, l'anarchisme a pour but de développer une société sans classe sociale. Ce courant prône ainsi la coopération, fondée sur la solidarité, dans une dynamique d'autogestion. Il s'agit donc d'un mode politique qui cherche non pas à résoudre les différences opposant les membres constituants de la société mais à associer des forces autonomes et contradictoires.

Les courants sont « insurrectionnels », qui veulent détruire le système autoritaire avant de construire, soit « syndicalistes », qui visent à faire du syndicat et de la classe ouvrière, les principaux artisans tant du renversement de la société actuelle, que les créateurs de la société future, ou encore « éducationnistes» par la préparation de tout changement radical par une éducation libertaire, une culture formatrice, des essais de vie communautaires, la pratique de l'autogestion et de l'égalité des sexes, etc. (Wikipédia)

 

5- Ce paragraphe est une paraphrase à propos du travail d’une analyse de Merleau-Ponty à propos de l’histoire : pour Merleau-Ponty, l’objectivité absolue en histoire est impossible, car les valeurs et les faits sont liés dans notre perception de l’histoire, ainsi que les dogmatismes qui décrètent de l’extérieur, un sens à l’histoire. Ainsi »l’histoire n’a pas un sens. Nous le lui donnons. » Et il dépend de « ce qui suivra ».

L’histoire n’est pas une science parce qu’elle est « nous » : la constitution du passé dépend de notre présent et du choix de notre avenir. D’où une pluralité de perspectives.

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Ancre 1

 

LA DICTATURE DU BONHEUR  

9 jan.2008

 

Plus on est heureux et moins on prête attention à son bonheur. Cela pourra paraître etrange mais au cours de ces deux années j’eus même parfois l’impression que je m’ennuyais. Non, je ne me rendais pas compte de mon bonheur. En aimant ma femme et en étant aimé d’elle je croyais faire comme tout le monde ; cet amour me semblait un fait commun, normal sans rien de précieux, comme l’air que l’on respire et qui n’est immense et ne devient inestimable que lorsqu’il vient à manquer. (Moravia : le mépris)

 

La recherche du bonheur nous rend-t-elle vraiment heureux ?

 

Le bût de l’homme est d’être heureux, certes, mais à quel prix ? Même en admettant que grâce à des efforts considérables et à une discipline rigoureuse on arriverait à un état de bonheur constant, est-ce vraiment un bien pour nous et pour les autres ? A force d'avoir fait du bonheur un idéal absolu, nous nous sommes condamnés à être malheureux. L'«obligation d'être heureux» est paradoxalement devenue une source d'angoisse et de misère morale.   

               

Je lisais récemment dans le N.Y.Times Magazine un article qui suggerait que les personnes « heureuses » avaient tendance à être aussi méchantes, intolérantes et sectaires que les personne malheureuses. Le journaliste américain infligait donc un gros coup à l’opinion répandue, selon laquelle le bonheur irait bras dessus-bras dessous avec la bonté, l’ouverture d’esprit et la solidarité.              L’éditorialiste justifie sa théorie après avoir examiné les conclusions d’un test paru dans la revue scientifique « Psychological Science » qui avait étudié les comportements interactifs de différents catégories de personnes.

 

  • Le groupe des « fachés-insatisfaits » a évidemment donné des jugements intrasigeants et peu généreux vis-àvis des autres groupes.  

  • Plus surprenant par contre c’est que le groupe des « sereins-satisfaits » ait démontré dans la majorité des jugements la même méchanceté et intransigeance.

     

    Vous pouvez imaginer que de telles conclusions n’ont pas manqué de declancher un vif débat qui dure encore. Surtout aux USA où au sujet du bonheur on ne plaisante pas : le droit au bonheur est inscrit dans sa Constitution. Et même si quelques lignes plus bas soit stigmatisé le sacro-saint droit aux armes, cela ne signifie pas qu’il y aurait un lien entre les deux choses. Encore que dans un élan fâcheusement anti-américain il serait facile d’imaginer les « bons citoyens » prendre leurs fusils et partir à la chasse de bisons, indiens, noirs, communistes, gay, libertins, fumeurs, tout ça au nom de leur recherche du bonheur.

     

    Cette image caricaturale nous incite à nous poser une question de taille : est-ce que la recherche obstinée du  bonheur ne nous transformerait-t-elle pas en êtres monolithiques, égoistes, voir superficiels ?

    En d’autres mots : si le bonheur devient le seul bût de notre vie, ne risquons nous pas de considérer tout ce qui nous en sépare comme un obstacle à éliminer coûte que coûte ?

     

    La Constitution américaine a modifié définitivement le concept de bonheur : une quête individuelle profonde a été transformée en droit social pour tout le monde, où la société a le devoir de rendre heureux chacun de ses membres.  

     

    Et là est le vrai nœud de la question : peut-on donner au concept abstrait, indéfinissable et absolument personnel de bonheur la valeur de droit avec toutes les conséquences que cela implique et dont les revendications ne sont pas nécessairement toujours positives, loin de là.

     

    Chez nous le bonheur n’est pas encore un droit fondé dans la Constitution. Mais le marché se substitue à cela, en nous bombardant quotidiennement le concept à coups de Pub et de Spot. L’attitude positive et l’exhibition du bonheur sont considerés comme modernes et « tendance ». Les téchniques de lavage du cerveau deviennent de plus en plus sofistiquées. Les exemples sont infinis et certains tout à fait emblématiques.

     

    Prenons l’exemple des produits cosmétiques : ils ne se contentent plus d’hydrater, nourrir, rajeunir, donner de l’eclat à la peau. Aujourd’hui les nouvelles crèmes nous rendent heureux puisqu’elles contiennent des « béta-endorphines », c’est à dire des substances à base de morphine sensées équilibrer les émotions. Et n’essayez pas d’en douter parce que cela serait déjà une attitude « négative » qui vous éloignerait du bonheur.

    Dans notre société contemporaine occidentale le bonheur est entré dans le registre du devoir. Il est devenu un impératif catégorique, « une sorte de Xle Commandement ».

    Soyez bien dans votre peau, dans votre tête et dans votre lit, sinon vous serez coupables de ne pas l'être.

     

    Ce qui est génant c’est la sensation de vivre sous une sorte de dictature du bonheur, ce que Pascal Bruckner appelle « l’éuphorie perpétuelle ».     Aujourd’hui celui qui ne choisit pas le bonheur est déjà considéré un perdant. Et nous savons très bien qu’ entre un perdant magnifique, et un gagnant quelconque …. qui nous irradie avec son bonheur, la société contemporaine a déjà choisi.

    Une conséquence de ce «nouvel ordre moral », c'est que la souffrance est devenue honteuse. Ceux qui n'affichent pas en public tous les signes extérieurs du contentement - les moches, les pâles, les bedonnants, les vieux, les timides, les déprimés - sont frappés de «mort sociale».

    On se scandalise parce qu'il y a encore du malheur, malgré toutes les promesses du progrès.

  • On demande à la société d'indemniser les victimes, comme on demandera bientôt à la génétique de supprimer la mort.  
                                     _________________________________________________

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  • Alors pour atteindre ce « bonheur indispensable »,  nous voilà  lancés dans un entrainement épuisant, apte à décourager un champion du marathon :      crèmes, gym, alimentation spéciale, pharmacologie douce ou moins douce, lectures, séminaires et stages variés.  Il suffirait de regarder la liste des bestsellers.  Les publications qui nous donnent des modes d’emploi pour atteindre à  coup sûr le bonheur sont légion !

     

    Même une petite-fille de Freud a publié un livre dont le titre  est :        

  • « Comment perdre du poid en restant heureux ». Cela veut bien dire que notre société moderne ne se limite pas à imposer à des adultes intelligents d’être en sous-poid, donc de faire la faim, mais aussi de pratiquer le jeûn avec un grand sourire de bonheur.   

                                              Vivre et se soigner, cela finit par se confondre :

  • On ne mange plus : on pèse les calories qu'on ingère en s'inquiétant de son transit intestinal.

  • On ne fait plus l'amour : on surveille et on entretient son tonus sexuel.

  • On ne croit plus en Dieu : on cherche une spiritualité qui nous garantirait un supplément de bien-être en calmant nos angoisses.                            

    Mais lorsque nous aurons suivi toutes les instructions et aurons tout fait pour atteindre le modèle de bonheur proposé, nous serons doublement frustrés et malheureux si le résultat attendu n’interviendra pas.

  • ______________________________________________________________

    Voici une phrase fameuse que nous connaissons tous : « il (elle) a tout pour être heureux ».

  • Cette phrase ne veut absolument rien dire. Il n’y a pas un « tout » objectif qui générerait le bonheur.

     

    N’oublions pas que les images et les symboles identificateurs sont aussi disciplinaires : au nom du bonheur nous donnons forme à une société fortement disciplinée. A force de vouloir être heureux à tout prix, et de vouloir reproduire un modèle imposé (par qui ?) nous perdons notre esprit d’ouverture et d’analyse, nous devenons intransigeants et sectaires comme nous l’expliquait le journaliste américain.

    A cause de ce repli sur nous même, nous nous trouvons isolés, dans une attitude qui exclut la complexité et la multiplicité des échanges avec les autres et avec le monde. Le candidat au bonheur essaie de se blinder, inutilement d’ailleurs, contre toute forme de malheur.

     

    Mais quand nous décidons d’éviter et d’ignorer tout ce qu’à nos yeux est un malheur, nous nous réduisons a vivre une vie « petite », une vie « partielle ».

     

    La dictature du bonheur limite la conscience de tout ce qui nous entoure mais duquel nous faisons partie. Et cet isolement est destructeur. L’actuelle recherche de bonheur est liberticide parce qu’elle est vécue à niveau individuel, comme si tout autours plus rien n’existait :

     

    donc seuls et même pas heureux !

     

    Moi, je pencherais d’avantage vers une vie peut-être moins souriante, mais probablement plus riche parce que plus complexe, dans la quelle le bonheur est tout simplement un agréable accident de parcours et non pas le bût unique.

     

    Je termine avec cette affirmation de Rimbaud : «  chercher le bonheur c’est se condamner à l’errance car,  la vraie vie est ailleurs ».

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    Luca

     

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    La Fin de la Géographie

     

    L’idée m’a été suggérée par l’ouvrage d’A. Finkielkraut et P. Sloterdijk  « Les Battements du Monde » et elle a son origine dans celle, beaucoup plus diffusée, de la « Fin de l’Histoire » celle-ci, plus ancienne se retrouve déjà chez Marx, la Fin de l’Histoire étant pour lui l’aboutissement de la  lutte des classes  et l’avènement d’une économie collectiviste, autorisant la disparition des classes sociales et de l’état pour déboucher sur la mise en place d’une société idéale.

     

    Ce rapprochement entre l’histoire et la géographie est favorisé par le fait qu’en France nous avons  une discipline scolaire regroupant ces deux matières, ce qui est rarement le cas dans les autres pays. Ailleurs l’enseignement de l’histoire est plutôt associé à celui de la littérature et celui de la géographie aux sciences sociales. Toutefois, par delà les spécificités françaises, ces deux disciplines apparaissent tout de même liées. En effet, l’enseignement  de l’histoire est circonscrit en général  à une aire géographique plus ou moins vaste, celle-ci pouvant être très réduite, comme dans le cas de la micro histoire.

     

    De même en géographie, on distingue la géographie physique de la géographie humaine, cette distinction apparaissant essentiellement en cartographie et dans les atlas. La géographie physique se réfère, quant à  elle, principalement à des données topologiques comme la découpe des côtes, le trajet des fleuves, le relief appréhendé  par les courbes de niveau … À l’inverse la géographie humaine est avant tout concernée par les frontières. Celles-ci  apparaissent comme une construction de l’esprit,  même si elles s’adossent  aux saillances du substrat topographique. La frontière est l’inscription de l’histoire  sur la page formée par le relief du globe. Elle est le fruit  de conflits, de conquêtes, d’armistices et de contrat de vente.

    C’est l’effacement progressif de ces lignes conventionnelles constitué par les frontières, qui va former le point nodal de la fin de la géographie. On assiste dans le monde contemporain à un recentrage du mode  spatial  vers le temporel. Mais comme les physiciens nous l’ont appris, ces deux composantes sont indissociables, nous sommes en fait confrontés à un continuum spatio-temporel. La tentative d’appréhender isolement l’espace, sans prise en compte de la mobilité inhérente au devenir aboutit aux ainsi nommés paradoxes (en fait plutôt des apories) de Zénon d’Élée. Pour lui la grenouille n’arrive jamais à traverser l’étang et Achille ne peut pas rattraper la tortue. Actuellement, l’oubli  progressif de la limite représentée par la frontière se double d’un développement massif des systèmes informatiques de positionnement  géographique  et de détermination des trajets. Un site  à la surface de la planète est de moins en moins perçu par ses caractéristiques sensibles au profit de la substitution par des coordonnées polaires de longitude et de latitude. Ces données sont  exploitées  par des systèmes informatiques,  qui ont eux-mêmes la caractéristique d’être de plus en plus mobiles  et embarqués. Ces dispositifs technologiques ont, en outre, la capacité d’assurer la transmission rapide des informations et, de ce fait, contribuent encore plus à l’effacement de la notion de distances. Celle-ci avait déjà préalablement  été bien entamée par le développement  massif des moyens de transport rapides.

     

    Ceci suggère une réflexion à propos du préfixe « hyper » de plus en plus utilisé, comme  dans les termes d’hyperempire ou d’hyperconflit, ceci probablement par analogie avec le vocable d’hypertexte s’appliquant aux documents internet. Ce dernier permet d’utiliser un mot d’un texte et de renvoyer vers d’autres documents en s’affranchissant des limites de l’original. Il  en découle un enrichissement aisé des sources mais au détriment des capacités d’analyse et d’approfondissement. En ce sens, Sloderdijk attire notre attention sur la notion d’immunité par rapprochement de celle des organismes biologiques. Pour lui l’immunité implique que l’on  reconnaisse les conditions de possibilité d’une vie définie dans un corps défini ainsi que dans des frontières  plus ou moins circonscrites. Le modernisme absolu fait de nous des émigrants de la dimension temporelle de notre existence. L’homme devient un être qui n’habite plus, qui n’a plus de logement sauf éventuellement des logements volatiles et échangeables. L’effacement  de l’ancrage territorial  est, néanmoins, à l’origine de réactions en retour exagérées et inappropriées comme on peut le constater avec les prises de position du FN ou avec des crispations, parfois violentes, sur des identités régionales. Mais, et toujours selon Sloterdijk  « Sans un élément de territorialisme positif, il n’y a pas de possibilité de développer la culture de la différence en soi même ».

     

    Platon, déjà, établissait le rapprochement  entre la conduite de la cité et celle de la vie personnelle. L’appartenance à une communauté ou à un groupe est  en général géographiquement circonscrite, bien qu’actuellement on constate la formation de groupes sur internet sans que ceci implique une proximité géographique. L’inscription dans l’espace  retentit tout  autant sur l’appartenance à une communauté que sur l’identité individuelle,  ainsi qu’aux rapports que l’individu et le groupe entretiennent entre eux.

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  • Jean-Brice.

     

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La Musique est-elle une philosophie ?   

Existe-t-il une philosophie de la musique ?

 

On peut en douter, car si beaucoup de philosophes ont parlé de l’art et plus précisément de la musique, rares sont ceux qui ont véritablement touché au but. Souvent, dans leurs écrits, la musique est moins analysée pour elle-même que pour la place qu’elle est censée occuper dans le système du philosophe, qui a des préoccupations beaucoup plus larges . De sorte que les questions brûlantes pour tout véritable musicien, à savoir : « Qu’est-ce que la musique ?    Que nous dit-elle ? Quelle expérience spirituelle unique nous procure-t-elle ? » y sont souvent perdues de vue.

 

Platon : pour l’éducation des enfants il conseillait la musique et la gymnastique (= le « mens sana in corpore sano » des Romains)

 

Pour lui il s’agit de discipliner la jeunesse instable en « ancrant » son âme dans le sol fixe des Idées. En habituant les jeunes à la mesure musicale, au rythme et à l’harmonie on leur donne une pré-notion des essences objectives et éternelles. Ainsi, avant même que leur intelligence soit formée, ils sont préparés par la musique à découvrir la philosophie, laquelle est évidemment, avec les mathématiques et la dialectique, la seule nourriture vraiment solide de l’esprit.

 

Aristote : différenciait le  style phrygien du style dorien = musique légère/musique sérieuse

 

Il disait qu’en écoutant la musique classique, l’homme libre découvrirait des essences du monde jusque-là inconnues de lui. À la différence de ce que nous disait Platon, Aristote pense donc que la musique est d’emblée et de plein droit philosophique.

 

Ensuite il faudra attendre Schopenhauer, Nietzsche et heidegger pour retrouver des reflexions profondes sur la musique. (Kant et Hegel étant plutôt « bouchés »…)

 

Beeth. pense que le destin peut être maîtrisé.

 

Voilà  déjà un concept philosophique fort. Nous savons que Beeth. a écrit les deux-tiers de sa musique en étant complètement sourd. Il serait intéressant de refléchir au rapport entre ce concept de maîtrise du destin et la musique qui lui a permi de le maîtriser au delà de toute attente. Nous sommes face à 2 possibilités. (1. philo précède m. / 2. m. précède philo)

  • la M. a été sa philosophie, donc Musique =  Philosophie,  (philo dans sa m.)ou alors

  • la M. a été l’outil de sa conviction philosophique, grace au quel il a pu la développer ;  -  la M. serait donc une source, voir une téchnique de connaissance philosophique.

     

    Pour éviter de tomber dans le piège courant des phrases édifiantes et des raccourcis, j’essayarai d’approfondir le sujet en partant de la musique elle même,  de celle de Beethoven et de sa V Symph. en particulier. Le sujet de ce soir étant trop vaste, il me faut le limiter, sans ça nous serions vite amenés à nous disperser tous azimûts.

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  • La Musique une philosophie ?

     

    Pour nous entendre sur les mots, j’appellerai la musique qui nous intéresse pendant ce débat musique cultivée.  (m. sérieuse)

     

    Je n’entrerai pas dans la dispute stérile quant à la différence et l’év. suprématie de la m. cultivée, car je la considère infondée. Il est rare d’ailleurs qu’on se penche sur la question d’une manière rigoureuse. Très souvent ces catégories ne sont que des slogans sans fondement ou ce sont des préjugés pour alimenter la bonne conscience des abonnés de concerts.

     

    L’origine de cette idée de musique cultivée se situe dans le scénario philosophique, idéologique et social de la bourgeoisie du XIX s. qui a engendré le Romantisme et ses idéalismes. C’étaient des horizons nouveaux qui se substituaient aux codes figés de l’aristocratie et de sa conception classique de la beauté. (art = bauté = vérité)

    Et Beethoven en est le champion indiscuté de ce nouveau scénario. Chez lui nous trouvons superposés pour la première fois trois aspects majeurs soudés par une nécessité intérieure, à savoir :

     

    1)  le musicien veut échapper à une conception strictement commerciale de son travail. (écrire uniquement sur commande)

    2)  le musicien ambitionne y compris de manière explicite, un sens spirituel et philosophique.  ( IX symph., texte de Schiller)

     

    3)  la technique du compositeur atteint une complexité qui défit la capacité réceptive d’un public normal, à savoir d’un public moyennement cultivé.

    Dans le domaine laïque la « m. cultivée » remplace la « m. réservée » du XVIs. : les ambitions de l’esprit (donc aussi celles de la philosophie)  ont remplacé celles du divertissement. Dans cette perspective Beethoven fût hissé au rang de modèle.

     

    Aujourd’hui nous sommes face à d’autres « horizons nouveaux » ouverts par le déclin du scénario idéologique et social de la bourgeoisie. Je vais appeler notre époque « modernité ».

     

    En musique il n’y a pas un contact direct entre le compositeur et son public. Rien que la capacité de lire une partition demande un apprentissage spécial et sa lecture de toute façon, ne donne qu’un reflet réduit de sa réalité. L’interprète est indispensable à la musique pour opérer le passage du signe au son ou, plus poétiquement, pour la faire vivre ou encore,  plus philosophiquement pour lui donner un sens.

     

    Grâce à l’interprète la même musique aura quantité de visages différents. L’interprète devient donc essentiel et par là même responsable : il met son talent, son tempérament, ses possibilités  techniques au service d’une œuvre d’art qu’il peut soit transfigurer, soit défigurer. Et il s’agit bien de remettre constamment en question cette responsabilité et de la repositionner en fonction des différentes époques, des connaissances et des sensibilités qui sont en perpétuel mouvement.

     

    Pour nous lancer dans cette réflexion, penchons nous un moment sur la V symph. de Beethoven.

     

    La cellule célèbre qui ouvre cette symph. et qui est présente dans les 4 mouvements, cette cellule germinale donne son sceau à l’ouvrage entier et en détermine le caractère cyclique, mais aussi son sens unificateur.

     

    On a tenté d’expliquer de bien de façons la fascination et l’attraction exercées par cette symphonie. Elles tiennent fondamentalement à sa qualité particulière. La V symph. fait partie des quelques oeuvres très rares qui ont modifié la perception de la musique et de l’art en général, en s’imposant d’emblée par une puissance de réalisation hors du commun.

    (Soulignons à ce propos la concision du premier mouvement, d’une durée inférieure à 6’30“).

     

    Le travail de Beethoven a généré une idée de la musique qui, avant lui, n’existait pas. Ce qu’offrent ses œuvres c’est le spectacle du moment où une idée surgit du néant et devient. Ceci a d’ailleurs rendu la V symph. inimitable, étant de ces œuvres qui épuisent les pouvoirs qu’elles révèlent. Pourtant si la Cinquième n’a pas eu d’émules, elle a libéré de façon irréversible des capacités créatrices insoupçonnées. Elargissent brusquement le domaine de la conception musicale, elle représente une sorte d’action philosophique qui a amplifié la stature de l’homme et élargi les limites de son esprit de conquête, ce qui fait d’elle un des éléments plus universellement reconnus de son progrès sur lui-même.

     

    Peu d’œuvres autant que la V symph. ont porté l’homme grâce au contact direct et boulversant avec la force de l’esprit à se savoir plus grand.

    La Cinquième de Beeth. dont nous héritons n’est pas la créature vierge du compositeur, mais une constellation d’empreintes historiques, philosophiques, sociales, laissées par le temps et par les styles des différentes époques qu’elle a traversées. Son unité est l’histoire de ces empreintes

     

    INTERPRETATION

     

    Aujourd’hui la Cinquième peut encore nous émouvoir et émerveiller. Mais il est aussi possible de ne plus l’apprécier pleinement, à cause de sa familiarité, à cause des nombreuses interprétations bâclées et de mauvais goût, mais surtout à cause de la manière dont on la consomme. Rien ne peut sauver la m. cultivée si elle n’entre pas dans une sorte de court-circuit avec la modernité. Elle doit redevenir une idée qui devient ! Il faut qu’elle demeure subversive (résistante) et utopique ou elle meurt. Malheureusement trop souvent, de banales interprétations la transforment en icônes pour une mythologie fatiguée.  

     

    La question qui nous intéresse est la suivante : - comment l’idée philosophique de la musique cultivée aux temps de Beethoven et sa pratique ont-elles réagi face à l’évolution de la société -  Comment cette idée philosophique et sa pratique ont-elles réagi face à la modernité.

     

    Actuellement on considère que dans la musique cultivée il y a une notation objective (les notes) et une plus subjective (les nuances et le tempo). Nul n’aurait aujourd’hui l’idée de changer les notes d’une mélodie ou d’un accord. Toute la liberté de l’interprète réside dans sa capacité expressive à mettre en valeur l’œuvre en différenciant les données subjectives.         A partir de maintenant nous sommes face au grand débat : fidélité au texte – expression-objectivité

     

    Aujourd’hui nous retrouvons encore les deux modes d’interprétation, le « romantique » qui exalte le contenu « caché » (év. philosophique)  et le « moderne » qui  en souligne la structure. Dans la période de l’entre-deux-guerres ces deux modèles, on provoqué  de vrais affrontements.

     

    Toute interprétation se frotte au mystère. Mais seules suscitent une interprétation « philosophique » les oeuvres qui, d’une manière ou d’une autre, se transcendent elles-mêmes en renvoyant à quelque chose de plus que ce qu’elles énoncent. Et l’interprétation est le lieu où ce plus  s’articule et se manifeste. Cette capacité à convoquer la transcendance est inhérente à l’interprétation et en aucun cas donnée en avance. L’interprétation devient médiation.  En absence de cette médiation, même les plus grands chefs-d’œuvre deviennent de purs produits de consommation. Ils ne perdent peut-être pas leur dignité, mais certainement les qualités qui les distinguaient du reste de la musique. En réalité un produit musical n’échappe à une identité purement commerciale que dans l’instant où commence son dialogue avec l’interprétation.

     

    Venons-en maintenant au malentendu du « sentiment » dans lequel une grande partie du public musical continue de s’identifier. Nous avons tous déjà entendu le commentaire : -il a bien joué, mais ça manque de sentiment.- Encore faudrait-il savoir qu’est qu’ils entendent par « sentiment ». Ne serait-il pas le cas que lorsque la subjectivité de l’interprète gonfle la réalité du texte musical ? L’exemple célèbre de cette subjectivité omniprésente ce sont les interprétations de W. Furtwängler qui en vrai interprète post-romantique allemand s’approprie littéralement du texte pour le livrer dans sa vision « égotique ».

     

    Toutefois la clef interprétative qui éloigne de la reproduction pure et simple ou de la subjectivité égotique ne vient pas de l’extérieur ; c’est une clef qui est à l’intérieur du texte, et qui incombe à l’interprète de libérer. L’interprétation véritable est la réinvention de la musique par elle-même, et surtout pas l’expression des sentiments de celui qui la joue.                        Le vrai interprète est le medium entre l’œuvre et son époque et non pas entre l’œuvre et son plaisir personnel ou entre l’œuvre et l’attente du public. Et quand cela arrive (G. Gould, Heifetz, Toscanini), cela se donne comme un choc, comme un court-circuit entre la musique cultivée et la modernité.

     

    La musique cultivée comme nous l’avons vu, était l’expression d’un système social et philosophique achevé et intelligible.

    La modernité est un non-système dont la règle est l’indéterminé, le provisoire, le partiel. La peinture contemporaine nous le montre bien.

    La modernité n’a pas moins peur du chaos que le XIX siècle, romantique et idéaliste. Le XIX siècle imaginait des œuvres qui étaient des univers clos et stables. Les œuvres de la modernité sont fragmentées et instables ; elles sont une constellation parmi d’autres, une formule passagère, à l’image des nombreux et disparates courants philosophiques contemporains.

     

    Un geste capable de relier deux mondes aussi éloignés ne peut être qu’un geste excessif et extrême. Et la musique contemporaine est bien là pour nous le montrer !

     

    Comme l’a si bien dit l’écrivain Alessandro Baricco: l’irruption de la modernité fait voler en éclats les self-services bienheureux de l’âme.

     

    Quelques idées supplémentaires :

     

    Le vœux wagnérien d’abandonner la chimère musicale pour l’écriture philosophique (après tout, Wagner a bien renoncé à devenir philosophe... mais il est vrai qu’il a fini en idéologue, ce qui compense un peu).

     

    La musique ne se compose pas que de musique; elle se compose aussi de matériaux de pensée. La musique mobilise les pensées.

     

    Mais la musique a encore un autre avantage - si nous la comparons, cette fois, à la poésie.

    Dans la poésie, la sonorité renvoie à un sens précis - le sens de chaque terme employé, le sens de la phrase: le sens de la vie courante.

    Dans la musique, au contraire, le son ne présente pas une telle précision. Mais cette imprécision de la musique, qui nous empêche de mettre un sens sous un son, en constitue aussi toute la force. La musique se révèle, grâce au son.

     

    C’est une langue plus pure que la langue poétique. Une langue plus pure en ceci que nous sommes, grâce à cette imprécision, renvoyés à la complexité de la réalité elle-même

    - une complexité qui dépasse les possibilités de la langue poétique, qui dépasse les possibilités de la langue rationnelle. La musique se présente, en un sens, comme la langue la plus conforme à la réalité telle que celle-ci existe en réalité.)

     

  • Beeth : la musique est révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie.

     

    Luca

     

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PEUT-ON DEFINIR LE BIEN ET LE MAL ?  

CAFE PHILO - 30 JANVIER 2008

 

La question qui m’a fait proposer ce sujet au café philo est la suivante : la notion du bien et par corrélation celle du mal a-t-elle un caractère absolu ou-bien peut-elle être définie de manière relative dans le temps et dans l’espace ? En effet, aujourd’hui se multiplient des comités d’éthique qui réfléchissent sur des sujets aussi divers que la naissance, le sexe, le genre, l’euthanasie. Ils reposent sur la conviction que la philosophie n’a pas d’objet réservé et doit contribuer,  lorsque c’est possible, à définir une vie bonne. Le bien ne serait pas défini une fois pour toutes.

A travers l’histoire de la philosophie, on peut dire qu’il existe deux grandes conceptions de la morale : d’un côté, celle qui donne une place centrale au bien et, de l’autre, celle qui accorde la priorité au juste sur le bien et qui propose de définir des nouvelles normes en fonction des questions qui se posent. Existe-t-il une troisième voie pour définir le bien ?

1) Dans la philosophie chrétienne médiévale, le bien signifie Dieu.

La Bible enseigne que Dieu est bon et que toutes les choses qu’il a créées sont bonnes (voir Genèse1, 31). Cette conception relationnelle du bien lie bien et être. Dieu, l’Etre suprême et premier, est le Bien, la créature, être créé et second, est un bien. Conçu comme transcendantal, comme attribut s’appliquant à tous les êtres, le bien est coextensif à l’être. Tout être peut aussi être bon en fonction de son degré d’accomplissement. Le bien devient alors désirable et l’objet de désir de tous les êtres.

2) Peu à peu ce dogme du bien est remis en question

Bien que dans l’Europe chrétienne, le bien le plus précieux consiste dans la contemplation de Dieu, émerge progressivement au moment de la Renaissance une réévaluation des biens mondains et principalement du bien commun. Le bien n’est plus considéré sous l’angle du sacrifice, de la mutilation des passions. Le bien ne peut pas être exclusivement l’exercice de la vertu. Le bien véritable n’est pas le bien de l’homme isolé, maître de soi, mais le bien propre à l’homme mortel, union de l’âme et du corps, intégré dans un monde commun. Le bien véritable est donc le bien commun, essentiellement politique  (liberté républicaine). La vertu est l’explicitation d’un acte politique qui a des effets sur la vie collective.

Pour Spinoza, nous ne désirons pas une chose parce qu’elle est bonne, mais la jugeons bonne parce que nous la désirons. Bien et Mal sont relatifs à l’état du corps de chacun, mais aussi l’un par rapport à l’autre ( un moindre mal sera dit bien par rapport à un mal plus grand et un bien empêchant la jouissance d’un bien supérieur sera dit mal). La Raison peut donner un contenu objectif au bien et au mal si l’on considère qu’est bien ce que nous savons avec certitude nous être utile, ce qui sert à la conservation de notre être, augmente ou seconde notre puissance d’agir et nous conduit à la connaissance. Est mauvais ce qui nous empêche d’acquérir un bien et nous rend moins actifs.

Pour Nietzsche, la question n’est pas de définir le bien et le mal, mais : dans quelles conditions l’homme a-t-il inventé les jugements de valeur bon et méchant ? Dans le cas de la morale des puissants-qui identifie bon à noble, mauvais à méprisable-comme dans la morale des esclaves –où bon est synonyme de faible, méchant de puissant- c’est une certaine volonté de puissance qui est à l’œuvre et constitue telle ou telle hiérarchie. Celui qui pense la morale doit se situer à l’extérieur de la morale, par delà le bien et le mal.

3) Actuellement, la philosophie morale accorde une priorité au juste sur le bien. L’éthique qui accorde la priorité au juste est impérative ; la notion de juste renvoie à l’idée d’obligation. La morale de Kant pose que c’est la loi morale qui définit le bien et le mal et non l’inverse. La plupart des philosophes modernes estimant que chacun se fait une conception différente du bonheur et du bien, accordent comme Kant, la priorité au juste pour asseoir leur théorie morale. C’est le cas de John Rawls ou de Jürgen Habermas.

Il paraît difficile de démontrer la supériorité d’un système de valeurs sur un autre. Jürgen Habermas veut dépasser l’opposition entre universalisme (il y a une seule morale valable pour tous) et relativisme(toutes les morales se valent). Il ne faut pas tenter de définir la vie bonne, mais les normes justes. Il propose une éthique de la discussion dans laquelle une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord ou pourraient l’être en tant que participant à une discussion pratique sur la validité de cette norme. Il s’agit d’une éthique procédurale : le respect des règles de la discussion garantit que les normes morales obtenues sont justes.

Michael Walzer propose de distinguer morale minimale et morale maximale. Les morales maximales correspondent aux morales concrètes. La morale minimale est un noyau de principes que peuvent partager tous les humains. Les morales concrètes, parfois divergentes, sont premières et les interactions entre les cultures ont peu à peu permis de dégager un consensus par recoupement.

Il apparaît qu’une théorie morale pluraliste est astreinte à un haut niveau de généralité et à une redéfinition des limites de la morale. C’est ce que défend Ruwen Ogien en proposant une éthique minimale. Il insiste sur le fait que le principe de non nuisance à autrui peut être étendu à l’éthique . Il implique qu’on exclut de cette morale minimaliste les dommages que l’on se cause volontairement à soi-même, ceux qui sont le fait d’adultes consentants, et les atteintes à des choses abstraites ou symboliques comme les dieux ou le drapeau de la nation. Cela contredit le discours moral courant qui est plutôt maximaliste et condamne toutes sortes d’actions qui ne causent aucun tort direct à des personnes concrètes.

Paul Ricoeur formule aussi une norme morale relative à la communauté : « ne fais pas à ton prochain ce que tu détesterais qu’il te soit fait. C’est la loi tout entière. Le reste est commentaire ».

4) On peut défendre l’hypothèse qu’il existe un bien formel, ou ordre des biens.

Il existe un principe, une sorte de bien formel, en fonction duquel il serait justifié de parler d’ordre des biens, de disposition dans le temps, de cohérence, de pluralité et de hiérarchie des biens. C’est par rapport à un principe d’ordre de ce type que peut être circonscrite la place des obligations et devoirs stricts à l’égard d’autrui dans l’ensemble des biens.

Ce serait penser un bien non substantiel qui ne tomberait pas sous le coup des critiques adressées à la vie bonne. Platon, déjà, ne comprend pas le bien comme une substance. Il le conçoit comme un principe impersonnel, prescriptif et incorporel. Au moment de se réincarner, les âmes doivent choisir une vie qui présente un principe formel de bien, un ordre incorporel. Restera ensuite à faire le travail propre à l’existence qui incombe à la personne : faire sienne une telle vie et la rendre intelligible à ses propres yeux.

Postuler un bien formel tient à la nécessité de définir les contraintes d’ordre et de cohérence auxquelles est soumis l’ensemble des biens humains.

Cette démarche s’oppose à la philosophie qui dit que le bien est une substance identifiée comme telle et à une autre philosophie qui pense que le bien ne comporte aucune caractéristique intrinsèque : le bien n’est que l’objet de préférences. Il est indéterminé.

En opposition à ces deux thèses, on peut avancer que le bien représente un principe formel qui nourrit chez l’homme une forte aspiration à la rationalité et à l’objectivité en matière de valeurs.

ANNEXES

Le mal ne peut être pensé que par rapport au bien. Cette relation est à sens unique : le mal n’est jamais tel que par rapport à un bien, mais le bien a une positivité propre. Le mal n’est pensable que par un entrecroisement de négations par référence à la norme. Il n’y a de mal que parce qu’il existe pour l’homme un problème du mal depuis l’origine de la pensée humaine.

L’éthique ancienne grecque accorde une priorité au bien : elle est attractive. Pour Platon et Aristote, tout être humain recherche le bonheur, qui s’obtient par la pratique de la vertu. Il y a d’abord un Bien visé. Il y a coïncidence de la poursuite du bonheur et de l’accès à la vertu.  Ce bonheur doit être partagé pour être un bien ; Il a une dimension politique. Une objection apparaît rapidement : toute vie vertueuse n’est pas nécessairement heureuse et inversement. Les contradicteurs de Socrate dans Le Gorgias de Platon disent que souvent les tyrans sont les plus heureux des hommes. Dans La République Platon nous dit que le Bien n’est pas essence, qu’il est au-delà de l’essence et qu’il surpasse celle-ci en dignité et en pouvoir. Le bonheur se présente comme une réalité divine et accessible à la plupart des hommes.

 

Geneviève

 

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Le désir est-il l’expression d’un besoin ?


Les hommes, tout comme les animaux, éprouvent des sensations, de faim, de soif, de froid, etc… qui traduisent des états incommodes et qui se manifestent par autant de besoins à satisfaire. Mais, alors que chez l’animal, toute l’activité consiste en la recherche de la satisfaction de ses besoins, ce qui relève de l’existence humaine ne se contente pas de ce prosaïsme répété à l’infini. Certes satisfaire un besoin assure la conservation de soi, de l’espèce, mais il ne concerne rien d’autre qu’un perpétuel retour à l’équilibre du corps. L’animal, lorsq’il se nourrit, peut très bien ingurgiter le même aliment sa vie durant ; même si un chien ou un chat, faisant l’expérience d’un met plus raffiné, s’en souviendra, se précipitera néanmoins sur sa gamelle si on ne lui présente que ça. Alors que n’importe quel humain, dès lors qu’il n’est pas dans une situation de famine, cherchera à varier quotidiennement sa nourriture. Car en plus de se nourrir, l’homme éprouve une satisfaction, un plaisir à bien manger. Plaisir qu’il cherchera tout naturellement à renouveler à l’infini. Peut-on alors dire qu’à chaque besoin correspond un désir, le désir trouvant sa source dans le besoin dont la satisfaction s’est trouvée agrémentée de plaisir, ou au moins d’un plaisir non initialement recherché ? Le désir perdurant même après la satisfaction du besoin, étant alors ce que P. Ricoeur nomme « un plaisir imaginé ». De sorte que ce n’est pas le besoin qui exprime quoi que ce soit, mais bien plutôt le désir en tant qu’il est le reflet de notre conscience, de notre individualité, de notre subjectivité, et, transformé par l’apprentissage du plaisir, du goût, de l’esthétique, devient un des moteurs de notre activité, est le sillon dans lequel germent civilisations et cultures; bref, c’est par le désir que l’homme a acquis et conquis son humanité, est sorti de l’état de nature. Le désir serait « ce supplément d’âme, cet indéfinissable charme, cette petite flamme » que nous chantait France Gall. Cependant pourquoi entend-on souvent l’expression de « l’obscur objet du désir », comme si celui-ci, aussi impérieux et impétueux que le besoin, quoique moins fruste, du fait de cette impétuosité pouvait nous mener à des égarements voire nous entraîner vers des passions mauvaises ? Ainsi par exemple le besoin de parler peut entraîner le désir de convaincre qui peut aller jusqu’à la passion de vaincre. Bien ténue souvent est en effet la frontière entre le désir et l’envie, la jalousie, la convoitise, l’avidité, la cupidité, l’avarice, la rapacité, le despotisme, le fanatisme, bref « l’arraisonnement du monde » dont parlait Heidegger qui comparait la civilisation technicienne du 20. siecle à des pirates arraisonnant et pillant leur propre monde.
C’est que le désir repose non sur un quelconque raisonnement mais sur l’imaginaire, la fantaisie, une représentation de soi valorisante, voire l’utopie, bref des choses en apparence secondaires, voire superflues, mais qui acquièrent une signification pour soi, une importance primordiale dès lors qu’elles deviennent objet de désir; il ne se raccroche au réel que pour le fantasmer, lui donner un avenir plus agréable. En fin de compte, il nous fait dériver vers ce qui est une croyance, la croyance en la nécessité pour soi d’avoir ce que l’on désire, de faire ce que l’on désire faire. Alors que le besoin nous ramène au présent, à l’immédiat, à la pure matérialité, il ne tend vers rien même s’il est le porte-greffe du désir. Une récente campagne électorale était basée sur « un désir d’avenir ». Imagine-ton le flop que cela aurait été si l’accorte auteure de ce slogan avait parlé d’un besoin d’avenir ? Evidemment tout le monde a besoin d’un avenir, mais le présenter comme un objet de désir, c’est habilement faire en sorte que se mêle son propre imaginaire avec un programme politique, c’est faire croire que les frustrations s’évanouiront comme par enchantement. Certes, nous ne sommes plus au temps de Lénine dont l’un des slogans était : « A chacun selon ses besoins ». L’action politique était alors considérée comme une simple intendance, ce qui ne pouvait que dériver vers le totalitarisme: tout aspect éthique étant négligé, tout désir étant suspect.
Evidemment, ce n’est pas parce qu’un désir jaillit en nous qu’il sera automatiquement satisfait. Ne l’est-il pas que cela ne saurait nous laisser indifférent. Qu’un besoin ne soit pas assouvi et cela crée un manque, qui se traduit par une souffrance physique. Qu’un désir reste à l’état de désir et voilà le début de bien des contrariétés ; il générera de la frustration, qui se manifeste par une souffrance morale. Et comme nous l’avons dit plus haut, il peut dégénérer en envie, sentiment négatif s’il en est : ne dit-on pas être rongé par l’envie, baver d’envie. De fait, un narcissisme compulsif nous pousse toujours à prendre nos désirs pour des réalités, mais le réel est précisément ce qui résiste au désir. Il faut que le désir se transforme en projet, en volonté, en ambition pour qu’il ait une chance de se concrétiser. Ou au contraire, on peut se résigner, considérer que cela est sans importance, voire au sens psychanalytique du terme, sublimer son désir. Et puis d’ailleurs, voir se réaliser tous ses désirs, serait-ce là la voie du bonheur ? Il nous est certainement déjà arrivé de dire voyant quelqu’un qui a réussi: voilà quelqu’un de comblé, tout lui a souri. Il doit être heureux. Pourtant jamais une telle personne ne vivra dans la contemplation béate d’elle-même, c’est comme s’il semblait que le but ne soit jamais atteint.
Platon, dans « Le Banquet », nous conte la naissance d’Eros, divinité restée jusqu’à nos jours le symbole du désir amoureux. Le jour de la naissance d’Aphrodite, les dieux firent banquet, l’un d’eux, Poros, ayant fait excès de bombance, s’allongea dans un pré où il s’assoupit. Cependant une mendiante, Penia, pensant récupérer quelques miettes du festin, s’aventura jusque là. Voyant Poros allongé, elle se mit à coté de lui et le combla de ses faveurs de sorte qu’Eros fut ainsi conçu. Car pensa-t-elle, un enfant provenant d’un d’aussi auguste géniteur ne pouvait avoir une destinée aussi misérable que la sienne…texte du banquet…
Ce texte illustre toute l’ambivalence du désir amoureux et du désir en général : de manière hasardeuse, il fait se diriger celui qui l’éprouve vers ce qu’il croit pouvoir lui apporter la félicité perpétuelle, car s’il sait ce qu’est la beauté, il se contente de simples apparences sans les amender d’aucune réflexion puisqu’il vit dans l’illusion de posséder le savoir. Comme les images de la beauté sont multiples, il ne sait où poser son regard et il erre sans fin tel Penia. Et en même temps, il symbolise la joie, la force d’une vie rayonnante, la plénitude, ce qu’il tient de Poros. Mais ce qu’il symbolise, il ne peut l’atteindre, n’étant pas lui-même Poros. En claudiquant, il est une aspiration, un élan vers cette plénitude inatteignable car réservée aux dieux. Et tout au contraire, de par sa nature indigente qu’il tient de Penia, il peut jeter l’homme dans le desespoir, l’affliction et l’accablement. Néanmoins, même au plus profond du dénuement, il tendra, comme sa mère, vers le beau, le sublime, le parfait, car c’est à l’initiative de Penia qu’Eros est né : c’est l’indigent qui désire même si ce n’est pas pour lui-même, et non celui qui vit dans le contentement de ses sens et la suffisance de sa condition. Ainsi, suivant le mythe platonicien, le désir est un élan vers la plénitude mais une plénitude inatteignable car elle est au-delà du désir. Par ce mythe, Platon fait référence à sa théorie du monde sensible, le nôtre, marqué à jamais par l’imperfection et sujet au devenir permanent, puisque ce monde sensible ne fait que masquer le monde des Idées, monde de par sa nature, parfait. Le désir est la tension de l’être vers l’idéalité dont il éprouve la nostalgie car il en a une connaissance diffuse; mais immergé dans le monde sensible, dans le monde de la matérialité, et, s’en contentant, il n’a cesse de se tourner vers ce qui excite son imagination, mais qui sont autant de leurres, de tromperies qui ne permettent pas d’accéder à la plénitude de soi. Etre à la recherche d’un absolu, quelque soit la nature de cet absolu, est nécessairement une illusion dans un monde où tout est relatif car tout est toujours en relation avec autre chose, en dépendance avec autre chose alors que l’absolu est précisément ce qui n’est ni en relation ni en dépendance avec rien, étant par lui-même sa perfection, ne devant sa finalité qu’à lui-même.
Est-ce à dire alors que le désir n’est rien, est lui-même une illusion, une duperie, à laquelle il vaut mieux renoncer puisque ce qu’il vise est dehors du champ du savoir humain? Faut-il se réfugier dans l’ascétisme, où le seul désir pertinent serait de ne pas avoir de désirs ou de les considérer comme quantité négligeable? Ainsi Schoppenhauer, dans « le monde comme volonté et comme représentation » écrira : « le désir, par nature est souffrance ; la satisfaction engendre la satiété ; sous une forme nouvelle renaît le désir, et avec lui le besoin, sans quoi, c’est le dégoût, le vide, l’ennui, adversaires plus rudes encore que le besoin ». Perspective peu encourageante ! Plus positif, Nietzsche condamnera le christianisme et sa pseudo-morale fondée sur le ressentiment et le dédain des plaisirs: « Jamais l’Eglise ne s’est demandée comment spiritualiser, embellir, diviniser un désir » constatera-t-il, réhabilitant ce faisant le désir. Bien plus radical a été avant Nietzsche, Spinoza, qui dans l’Ethique affirmera : « Le désir est l’essence même de l’Homme, en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose ». Il répond alors bien à un besoin, ce besoin étant la nécessité de créer, d’agir, de concevoir, c’est par la puissance de son action que l’humanité se crée, que l’Histoire se façonne, avec ses drames mais aussi ses réussites spectaculaires. Quoique l’Homme fasse ou veuille faire, cela ne prend de l’importance, n’est valorisé à ses yeux, est porteur de sens, que si d’abord cela répond à un désir, qui répétons-le, relève d’un impérieux besoin d’action et de création, est la motivation principale pour agir. On agit que si l’on désire agir ; agir par devoir ou par contrainte est au mieux ennuyeux, au pire, humiliant.
Si le désir est l’essence même de l’homme, il n’est alors pas la marque d’un égocentrisme, d’une suffisance voulant masquer l’insuffisance de sa condition « il veut se voir grand et il se voit misérable », nous dit Pascal, moquant lui aussi le désir ; mais il est ce qui donne à l’Homme son humanité, il est cet élan dionysiaque qui le porte à la création, à la civilisation. L’Homme est enraciné dans une culture, dans sa culture, fruit de sa création, et non dans la Nature, car il est partie intégrante de la Nature. Et ainsi, comme tout animal, il a des besoins, cependant son besoin fondamental, qui forme sa conscience, qui détermine son vouloir-être et par là-même sa nature d’homme, est celui de désirer. C’est par le désir qu’une aspiration se transforme en ambition. Ce désir, ce désir irrépressible de créer, de fonder des civilisations, est universel. A chaque époque et en chaque endroit, des hommes aspirent au beau, au bien, au juste, visent à faire de ces concepts une réalité. Malhabilement chaque civilisation essaie de rejoindre la condition des dieux, l’univers de Poros, s’en croyant être le miroir. Le désir n’est pas ce qui corrompt l’homme, comme l’affirment platement les religions monothéïstes, bien au contraire, il est ce qui lui permet d’avoir une étincelle de divinité en lui. Cette étincelle, c’est la part d’universalité que chacun porte en soi et que chaque civilisation porte en elle. Cette part d’universalité, née paradoxalement du désir exprimant avant tout le moi dans toute son intégrité et toute sa permanence, est une traduction de la transcendance. Transcendance non pas verticale comme nous la proposent les mystiques, mais horizontale, créant du lien et de l’échange. Vu ainsi, le désir exprime bien le besoin que ressent chaque homme de croire, mais de croire avant tout en lui-même avant de s’en remettre à Poros.

Jean Luc

 

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La croyance est-elle toujours source d’erreur ?

 

Une croyance est plus qu’un simple avis, une simple opinion, sans avoir cependant le statut de la certitude, qui seule permet d’établir un jugement qui souvent s’autoproclame empreint de lucidité ; elle est néanmoins essentielle à notre pensée, en ce sens qu’elle est la base sur laquelle s’établit l’argumentation, le raisonnement voire aussi le questionnement. Elle se fonde sur notre " Weltanschaung ", notre perception, notre lecture, notre représentation et donc notre interprétation du monde.

La croyance se ramène au sujet, à l’individu : chacun a ses croyances auxquelles il tient, et se ramène à son objet, l’objet de la croyance- car la croyance est toujours la croyance de quelque chose- ce quelque chose étant ce qui dans les évenements du monde fait sens pour l’individu, ce qui assure donc le fondement de la croyance et les raisonnements établis par la suite pour en justifier la pertinence. J’écarterai ici la croyance en des objets métaphysiques, qui reste complètement en-dehors du champ rationnel, et dont le terme approprié est la foi.

Car la foi suppose adhésion pure et simple et écarte ainsi la reflexion, considérée comme superflue, tandis que la croyance, précisément parce qu’elle n’est pas une certitude mais qu’elle cherche cependant à le devenir, admet pour nécessaire la recherche continue d’arguments qui en est la justification d’une part, et qui trouve la faille dans des croyances contraires aux siennes d’autre part.

De même est à écarter la démarche scientifique qui n’est pas fondée sur des croyances, mais sur des hypothèses, des suppositions, des supputations mêmes, dont il s’agit de démontrer le bien-fondé et la véracité par des moyens exclusivement rationnels.

Comme dit précédemment, la croyance se fonde sur notre perception et notre représentation du monde. On part de la réalité pour l’interpréter et la passer par le filtre de nos croyances ce qui revient à en extraire certains faits, ceux à qui nous conférons une importance particulière cad les événements qui font sens pour nous, afin d’essayer d’en transformer certains éléments pour les rendre conformes à nos aspirations, à nos schémas de pensée. Et si rien ne fait sens, on aboutit au pessimisme dfun Camus qui parle de sa " croyance dans l’absurdité de l’existence ". La croyance fonde et structure la pensée, elle n’est donc pas un simple préjugé, car le préjugé ne permet aucune analyse. Lorsque l’image du réel que nous avons ou que nous cherchons à avoir corrobore nos croyances, celles-ci nous rassurent et nous ne doutons plus de leur bien-fondé. De fait, la croyance ne servirait-elle qu’à nous rassurer, qu’à justifier nos actes? Observons par exemple un militant politique ; celui-ci tout naturellement aura tendance à voir dans l’application du système qufil défend que ce qui fonctionne et trouvera toujours une explication logique à ce qui ne fonctionne pas ou pas encore et ne voudra voir dans le système adverse que ce qui ne marche pas et en cela des justifications à ses propres choix. Certes il nous faut bien avoir des certitudes pour ne pas sombrer dans l’incohérence, l’irrationalité, la crédulité, la naïveté, la superstition ou encore le scepticisme, mais ces certitudes nfont cependant comme fondement premier que la croyance, donc des reflets de notre moi, de notre subjectivité. Encore faut-il voir que ces certitudes ne sont rien de plus que des grilles de lecture qui nous permettent de faire une présentation rationnelle, de mettre en une forme logique, cohérente, ce qui est observé, constaté. La croyance est une réecriture du monde à travers sa subjectivité, la certitude en est un essai de codification, un pas vers son objectivation ; une certitude- généralisable- peut se partager plus aisément qu’une croyance- qui reste avant tout personnelle.

Pourquoi les croyances sont-elles avant tout personnelles ? C’est qufelles ne s’établissent ni sur la connaissance ou le savoir, mais en dernière analyse sur le désir. Et qu’y a-t-il de plus personnel que le désir ? Lorsqu’on veut que quelque chose se réalise, on trouvera toujours toutes les justifications possibles et on les considerera comme absolument fondées. Ainsi par exemple l’industriel qui met un produit sur le marché le gratifiera de toutes les qualités possibles et sera d’ailleurs lui-même convaincu de la qualité de son produit. Cependant que son désir est la réalisation dfun juteux bénéfice. De même le candidat qui se présente à une élection trouvera des trésors d’argumentations pour justifier son programme, alors que son seul désir est de se faire élire. Imagine-t-on un message publicitaire indiquant simplement qu’un tel veut ‘fenrichir ou une affiche électorale dfun autre faisant juste état de son désir de se faire élire ? Regardons encore l’astrologue : c’est bien parce qu’il ne croit pas au hasard qu’il s’en remet à un déterminisme, qufil nous présente sous le sceau de la plus rigoureuse rationalité.

La croyance rassure, et lorsque les choses ne se passent pas comme on les avait imaginées, on préfère souvent se payer d’illusions plutôt que de renoncer à ses croyances. L’illusion étant alors une croyance élevée au rang de mythe.

D’où nous aurions le modèle suivant : le désir, c’est ce qui nous pousse à agir, la croyance, qui est une justification non raisonnée du désir et il ne peut en être autrement car on ne voit pas comment le désir pourrait avoir une base rationnelle, le raisonnement proprement dit qui permet de mettre en adéquation le désir et la croyance avec l’environnement politique, social, économique, culturel, historique dans lequel on vit.

Si elle accepte de toujours être irriguée par la raison, la croyance n’est pas une source d’erreur car elle restera ouverte à la critique. Elle l’est si on la laisse à elle-même, elle reste alors au stade de préjugé ou de superstition et alors devient argument d’autorité, manichéisme primaire voire même fanatisme.

Kant, dans la Critique de la raison pure, sépare les objets connaissables en objets d’opinion, en objets de l’ordre des faits et en objets de croyance. L’opinion, c’est la doxa des Grecs anciens, un simple jugement qui s’oppose au logos, la logique et la connaissance qu’elle rend possible, ce qui nous rend compréhensible les " objets de l’ordre des faits ", qui regroupent donc tout ce qui a pu être rendu démontrable, soit par le raisonnement soit par l’expérience. Enfin, les " objets de croyance " regroupent tout ce qu’il est nécessaire d’un point de vue moral d’admettre comme juste, alors même que cela reste indémontrable. On saisira d’emblée par exemple que l’esclavagisme, le sexisme, le racisme, le totalitarisme sont moralement des choses mauvaises sans que cela soit démontrable scientifiquement car dans le domaine moral, nous ne sommes plus dans le domaine du savoir. Et Kant constatera, analysant sa démarche : "  J’ai du abolir le savoir et lui substituer la croyance ".

En cela Kant admet, et pouvons l’admettre avec lui, qu’une société, comme un individu, ne peuvent connaître de vie équilibrée s’il se refuse à reconnaître des absolus, des principes absolument indiscutables qui ne peuvent être soumis à un quelconque relativisme. Que ces principes reposent sur des croyances n’enlèvent rien à leur pertinence et à leur bien-fondé.

En effet, mieux vaut une croyance rendant possible une conduite moralement bonne et par là même juste que le relativisme qui ne mène qu’à l’ indifférence et par suite à l’inconstance et à la servilité. C’est alors la société décrite par Hobbes, où l’ homme est un loup pour l’homme et où la guerre de tous contre tous fait office de loi.

L’indifférence, cela signifie aussi ne plus avoir confiance en rien ni personne, ne plus reconnaître non plus l’autorité de quiconque. Et du moment où de belles âmes avaient souverainement décrété que toute autorité relevait de la dictature, alors qu’elle est avant tout ce qui rend possible la transmission du savoir, on a jeté à terre tous les objets de croyance, y compris les plus essentiels, les reléguant au rang d’aliénations.

Or sans un socle de croyances communes, aucune société ne peut vivre et s’épanouir. Sans croyances, un individu n’aura qu’une pensée stérile et sombrera soit dans le nihilisme, soit dans le dogmatisme. Restons-en ou revenons à l’exigence du vieux maître de Koenigsberg, et nous pourrons nous référer à des croyances qui ne soient pas systématiquement sources d’erreur.

 

 Jean Luc

 

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Retour vers un nouvel humanisme

 

Le terme humanisme, dont le sens général est « culture littéraire », est plus récent que celui d'humanistes qui désignait au XIVème siècle, les professeurs et les étudiants faisant ce qu'on appelle leurs Humanités, c'est-à-dire qui se spécialisaient dans l'étude de la langue et de la littérature de l'antiquité.

Faisant suite à la Scolastique dont faisaient partie le trivium (grammaire, dialectique, rhétorique) et le quadrivium (mathématiques, géométrie, astronomie, musique), l'humanisme est un mouvement qui participa à l'ébranlement du monde médiéval en apportant des changements philosophiques, politiques, économiques, artistiques, sociaux et intellectuels.

Situation de l'Europe avant l'humanisme

Une explosion démographique vient compenser les pertes dues aux épidémies de peste du moyen âge qui ont tué un quart de la population de l'Europe. Le continent est complètement christianisé. L'Islam est boutée hors d'Espagne, mais les Turcs prennent Constantinople en 1453. Savants, intellectuels et artistes de l'ancien empire byzantin se réfugient en Italie, emportant dans leurs bagages des trésors culturels telles leurs bibliothèques de manuscrits antiques.

La route terrestre de l'orient est coupée par les musulmans. Les navigateurs, grâce à des innovations techniques, cherchent de nouvelles voies. La boussole, l'astrolabe et la voile triangulaire les conduiront vers de nouveaux continents (Amérique et Océanie). Les frontières du connu sont repoussées.

Nicolas Copernic renverse le système géocentrique de la terre au profit d'une conception héliocentrique. Les représentations du monde sont bousculées entraînant dans son sillage la pensée et le progrès scientifique. C'est ce que l'on appellera plus tard, la révolution copernicienne.

Les Arts et les Sciences se dégagent de l'emprise de l'Église et font de grands progrès, Léonard de Vinci en est le parfait exemple. La découverte de la perspective modifie l'architecture et la peinture. En médecine l'anatomie est approfondie. En mathématiques après l'adoption du zéro et des chiffres arabes, les chiffres négatifs sont inventés et des calculs complexes peuvent être réalisés. Les chercheurs s'interrogent sur leurs méthodes et posent les bases de nos sciences modernes.

L'imprimerie est perfectionnée par la presse à bras et les caractères métalliques, mobiles de Gutenberg. En quelques années elle se développe partout en Europe. Plus sûre que les copies manuscrites, elle permet une diffusion rapide et massive du savoir. Les lettrés vivent aux côtés des imprimeurs qui sont souvent leurs éditeurs. La redécouverte des textes anciens s'accompagne d'une étude critique de ceux-ci (l'exégèse) et d'un réexamen de la traduction (la philologie). Pour être restitués au plus proche de l'original, les textes sont collationnés, c'est-à-dire que les différentes versions sont comparées entre elles. Les manuscrits étaient écrits en latin, les livres sont alors imprimés en langue vernaculaire.

En économie, la démographie en hausse favorise l'essor économique. Les intellectuels et les artistes se concentrent dans l'Italie du nord, en Flandre, dans les villes de la Hanse, à Paris et à Londres. Ceux-ci suivent l'argent car les marchands sont aussi des mécènes. Le cour de l'économie européenne se déplace dans de grandes villes, qui commerce international oblige, sont aussi des ports tels que Bruges, Venise, Gênes, Anvers et Amsterdam. Un ordre marchand s'impose avec l'apparition des premières banques et l'émergence du capitalisme.

Naissance du mercantilisme protestant : la religion catholique interdisait aux chrétiens de faire travailler l'argent. Après avoir chassé les juifs, le Pape autorise les lombards à jouer le rôle de banquiers. Les protestants se donnent le droit de spéculer et, pour eux, gagner de l'argent participe même au salut.

Le dogme religieux est ébranlé. Les Cathares avaient déjà anticipé la réforme : l'autorité du Pape, le culte de la Vierge et des Saints ainsi que l'Eucharistie sont remis en question. À la lumière des textes antiques, la Bible est traduite. Le clergé perd le monopole des écritures religieuses et Luther défend l'accès direct à la Bible (« Sola scriptura »). Il proteste en outre contre la dépravation des mours cléricales, la sous formation des prêtres et le trafic des indulgences. Il sera l'initiateur d'un nouveau mouvement chrétien et conduira la réforme. L'Église réagira par l'inquisition puis par une contre-réforme pour ramener les fidèles à la messe.

 

En philosophie :

L'Humanisme fait suite à la scolastique.

Création, révélation et rédemption. Le mystère ainsi que ces trois mots sont associés aux trois religions monothéistes. La raison est utilisée pour préparer à la foi et sera récompensée par le salut. L'objectif est de supprimer la concurrence de la philosophie en la rendant compatible avec les préceptes religieux. « La scolastique était cet enseignement philosophique qui fut donné en Europe du X ème au XVI ème siècle et qui consistait à associer la révélation et les dogmes chrétiens à la philosophie traditionnelle dans un formalisme complet sur le plan du discours1 ». Néanmoins la philosophie reste la servante de la théologie.

Mais comme nous venons de le voir la société de la renaissance est en crise, en évolution, en révolution. La science, le pouvoir et la pensée s'affranchissent de la tutelle de l'Église. « L'homme auparavant satellite de Dieu devient l'astre central 2 ». Les humanistes renouent avec les valeurs antiques pour remettre l'homme au centre de leurs préoccupations et lui rendre l'indépendance de sa raison ainsi que son libre arbitre. Prenant modèle sur l'idéal de la philosophie grecque, l'humanité est perçue comme dotée d'une attitude morale capable de se manifester dans les vertus de mesure, d'équité, d'esthétique et d'harmonie avec la nature. Ce ne sont plus les vertus théologales que sont l'espérance, la foi et la charité qui font loi, mais la sagesse, la tempérance, la persévérance et l'éthique, vertus cardinales platoniciennes.

Les auteurs de l'Humanisme brillent par leur éclectisme. On ne trouve aucune unité doctrinale mais une attitude critique commune. Cependant l'idéal de l'humanisme est « uomo universale » un type d'homme se situant au dessus des différences sociales, doté d'une éducation complète, livresque et mondaine, accomplissant son essence d'être perfectible en élargissant ses connaissances. Une citation de Térence pourrait résumer l'humanisme : « Je suis homme et rien de ce qui touche à l'humanité ne m'est étranger. »

 

Vers un nouvel humanisme.

Depuis lors, il y a toujours eu des philosophes dits humanistes. Marx en fût un, Sartre un autre. Celui-ci voulait amender le dogmatisme marxiste, tout comme les humanistes voulaient le faire pour le dogmatisme religieux. Sartre critique la soumission de l'individu au but totalisant d'une construction à priori.

Sartre affirme que l'existentialisme est un humanisme. Pour concilier liberté et société il propose « d'engendrer une connaissance compréhensive qui retrouvera l'homme dans le monde social et le suivra dans sa praxis, ou, si l'on préfère, vers des possibles sociaux à partir d'une situation définie »3. L'humanisme de Sartre n'est pas, comme il le dit celui de « l'homme épatant » de Cocteau, mais celui qui consiste à affronter sa propre liberté et sa propre responsabilité.

Heidegger, septique envers l'humanisme, prône la prudence. Dans sa formule « l'homme est un berger pour l'Être » il exhorte l'individu à veiller sur quelque chose qui le dépasse, c'est ce qu'il appelle l'Être. Heidegger se méfie des pouvoirs de l'homme, attire l'attention sur la domination de l'humain sur la nature.

Le risque de l'humanisme est qu'il oubli toute forme d'hétéronomie qui, avant, était symbolisé par Dieu, l'homme peut se substituer au divin.

Pour Lévi-Strauss, qui prend l'homme dans sa nudité, l'humanisme est une sorte de construction intellectuelle. L'individu n'est que le résultat d'un assemblage de structures, sociales ou symboliques qui le représente.

L'humanisme tend à favoriser une prise de conscience de l'humanité par elle-même en vue de lutter contre « l'oubli de l'Être » induit par le technicisme et le mercantilisme contemporains.

Voici une citation de Jean Rostand dans « Pensées d'un biologiste » 1954

« La science a fait de nous des dieux, avant même que nous méritions d'être des hommes. » connaissance compréhensive qui retrouvera l'homme dans le monde social et le suivra dans sa praxis, ou, si l'on préfère, vers des possibles sociaux à partir d'une situation définie »1. L'humanisme de Sartre n'est pas, comme il le dit celui de « l'homme épatant » de Cocteau, mais celui qui consiste à affronter sa propre liberté et sa propre responsabilité.

Heidegger, septique envers l'humanisme, prône la prudence. Dans sa formule « l'homme est un berger pour l'Être » il exhorte l'individu à veiller sur quelque chose qui le dépasse, c'est ce qu'il appelle l'Être. Heidegger se méfie des pouvoirs de l'homme, attire l'attention sur la domination de l'humain sur la nature.

Le risque de l'humanisme est qu'il oubli toute forme d'hétéronomie qui, avant, était symbolisé par Dieu, l'homme peut se substituer au divin.

Pour Lévi-Strauss, qui prend l'homme dans sa nudité, l'humanisme est une sorte de construction intellectuelle. L'individu n'est que le résultat d'un assemblage de structures, sociales ou symboliques qui le représente.

L'humanisme tend à favoriser une prise de conscience de l'humanité par elle-même en vue de lutter contre « l'oubli de l'Être » induit par le technicisme et le mercantilisme contemporains.

Voici une citation de Jean Rostand dans « Pensées d'un biologiste » 1954

« La science a fait de nous des dieux, avant même que nous méritions d'être des hommes. »

 

Par Pascale

 

 

 

                                                                                   «  On ne peut dire ce qu’est la vie,

                                                                             comment la fortune ou le destin traitent les gens,                                       

                                                                     qu’en leur racontant des histoire. En général on ne peut          

                                                                  rien dire de plus que:  Oui, c’est ainsi que vont les choses. »  

                                                           (Hanna Arendt)

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Pourquoi philosophons-nous?

 

La question mérite qu’on s’y penche. Mais attention! Beaucoup d’autres s’y sont déjà penchés, vingt cinq siècles avant nous, et sont tombés dans un abîme d’incertitude dont un seul est rescapé: un vieux sage nommé Socrate et qui pour toutes nos questions existentielles, nous a légué  cette « rassurante » réponse :   la seule chose que nous pouvons savoir, c’est que nous ne savons rien! Soyons donc modestes,  et « examinons ensemble le problème », comme a proposé un certain Aristote,  qui, a mon avis,  était vraiment sage parce qu’il a tenu compte de l’avertissement lancé par un autre  penseur appelé Xénophane. Xénophane qui, à peu près deux siècles avant Aristote, lorsqu’en mangeant une figue après avoir goûté du miel a constaté, avec étonnement, que son fruit préféré avait changé de goût. A partir de ce jour, il n’a plus jamais arrêté de crier  très fort  quelque chose comme:  faisons attention!  la réalité n’est pas celle que  nous croyons percevoir car nos sens - cette fenêtre par laquelle nous apercevons le monde - est équipée  de vitres déformantes et nous induit en erreur.

De bouche à l’oreille son cri a traversé les âges,  jusqu’à ce qu’il atteigne un certain Kant. Celui-ci décide de crier encore plus fort et nous lègue une assez complexe, mais complète, analyse du doute de Xénophane, dans son ouvrage  critique de la faculté de juger.

           Mais revenons donc à notre problématique: « Pourquoi philosophons-nous? ». Telle n’aurait pas été  la question, si nous avions déjà été  d’accord sur: ce que c’est la Philosophie. C’est plutôt par cette question, que j’ai décidé de commencer mon travail.  Je l’ai débuté , tout sagement, en consultant mille ouvrages déjà consacrés au sujet,  mais très vite, je me suis trouvée noyée dans un  flot de données. Je partais à la dérive, quand tous les gyrophares de  l’évidence ont commencé à tourner dans ma tête, trop remplie d’informations. Mon esprit affolé,  me criait:  « allez Angelita, sortez! Allez trouver des gens  pour examiner ensemble la question! » . J’ai donc quitté ma table de travail pour aller me promener en ville et poser la question aux gens -une sorte de micro-trottoir - mais quel ne fut pas mon étonnement, quand au simple mot Philosophie, les gens me fuyaient comme si je les avais insultés. J’étais sur le point d’abandonner mon projet et de rentrer chez moi, mais comme il faisait très beau, et que les terrasses des cafés étaient très fréquentés j’ai décidé  de  m’arrêter au « Chat Perché ». J’ai pris place à une table où était déjà assis un monsieur qui m’a fait la gentillesse de m’autoriser à occuper la seule chaise qui restait encore libre dans cette terrasse.  Pendant que j’attendais pour passer ma commande,  le monsieur a sorti de son sac, qu’il avait posé par terre, une sorte de cahier blanc où il était écrit, sur la couverture, cette phrase étrange: Les poissons rouges sont des mensonges.  Le garçon du café vint pour prendre nos commandes respectives. A ce moment s’est installée entre le monsieur et moi une sorte de complicité, car ce monsieur, qui avait des gestes élégants, m’a donné la priorité pour commander mon citron pressé, avant qu’il ne commande  « une blonde bien frappée ».  J’ai  profité de ce moment, pour lui demander  ce qui voulait dire ce drôle de titre. Sur quoi il m’a répondu:

-  « Ce n’est pas drôle du tout madame, c’est une bien triste réalité …»  

En voyant ma tête se transformer en un gigantesque point d’interrogation, il s’est senti dans l’obligation de me donner des explications:

-  « Vous savez madame, Ces petites bêtes que vous voyez évoluer dans leur étang de poche, ne sont pas, dans leur état de nature, ces belles  bestioles que vous voyez. Elles sont juste des petits poissons verdâtres sans aucun charme. Le rouge, qu’ils arborent, n’étant que le fruit d’un minutieux artifice . Ce sont les Japonais qui au terme d’un patient travail de sélection ont produit ces spécimens aux formes diverses que nous connaissons maintenant. C’est une bien triste réalité celle de savoir qu’on peut être trompé par ce qu’on voit…»

A la fin de cette phrase, le garçon du café est arrivé avec la « blonde » du monsieur, mais c’est ma tête qui avait été  « bien frappée » , je me suis dit: Ce type m’intéresse! Et, avant même qu’il n’ait le temps de prendre sa première gorgée de bière, et se laisse aller à son plaisir minuscule,  je me précipite pour lui demander:

-  « Monsieur est-ce que cela  vous dérange si je vous pose une autre question? »

Et comme il était, comme j’ai déjà dit, un monsieur d’une élégance rare - il m’a répondu avec une courtoisie qui n’était pas feinte:

- « Absolument pas, madame!».

 Alors j’ai commencé doucement:

-« voilà Monsieur, dis-je,  ne pensez-vous pas que cette réalité que vous venez de me décrire ne comporte en elle même la plus importante question philosophique : celle de savoir si nos sens nous trompent?

- « Assurément madame! d’ailleurs, c’est justement ce sujet philosophique que je suis en train de traiter dans ce qui sera mon  prochain livre »…  

 

Alors là, je me suis dis: C’est trop beau pour être vrai!  Tout mes sens me trompent, cet homme que je vois n’est pas réel, ce que je viens d’entendre n’a jamais été dit et  le plus probable c’est que mon imagination, d’habitude si débordante, est en train de me jouer un tour… Mon vis-à-vis  m’a arraché de mon état de transe, en me touchant le bras et en me demandant:

- « ça va Madame? »

-  Ah! Oui monsieur , ça va même très bien car à partir de maintenant je vais m’attacher à vous et vous allez me sauver d’une  imminente défaite intellectuelle…

Je lui ai tout expliqué  de l’urgence à traiter le sujet que mon amie Gül m’avait imposé pour vous présenter ici dans ce « café philo », et de ma totale incapacité de la satisfaire. Il m’a écouté attentivement, en me regardant avec les yeux  brillants d’intérêt  pour tout ce que je lui racontais. Il m’a paru extrêmement beau, si beau que, par moment, j’ai même cru retrouver en lui les traits de mon prince charmant… Bon, je m’égare… Mais peut-être que c’est ça aussi philosopher. Enfin. A la fin de mes explications il se leva en m’invitant à le suivre laissant sa blonde à moitié bue, et mon citron pressé même pas entamé:

- « Venez madame je vous amène à la S.P.A. »

A ce moment, moi qui dans mon enthousiasme  m’apprêtais à le suivre, j’ai fait un pas en arrière. Car bien qu’enthousiaste et curieuse par nature, je n’abandonne jamais la prudence.  Alors je l’entend éclater de rire:

-  « Mais non! », me dit-il, « je ne vous amène pas à la Société de Protection des Animaux mais à la Société pour Personnes Angoissées. »

La confusion s’installa de nouveau dans ma tête,  il le vit et me rassura encore en souriant.:

- «  Je vous explique » me dit-il: «  S.P.A. vient de SOCRATE PLATON et ARISTOTE -  SPA, c’est en fait une association que j’ai créée avec trois de mes amis. Chacun   d’eux est spécialiste de un de ses trois philosophes. Je pense que cela sera utile pour vous de  les rencontrer . Nous savons bien sûr, que depuis des siècles de nombreux philosophes se sont illustrés, mais enfin pour un début, nous avons contentés du message de ces trois premiers maîtres.

 

- «  Mais, alors, demandais-je qu’est-ce que cette histoire de  Société pour  personnes angoissées?

 

- « Ah! Cela c’est parce que pendant des années nous avons organisé des table-rondes pour faire   venir du monde et discuter de  philosophie, mais  très peu de gens venaient nous joindre. Alors nous avons décidé de changer le nom de la société et elle est devenue : Société pour personnes Angoissés. Maintenant,  nous avons le problème  inverse, trop de monde y vient.  Vous savez madame, la  philosophie est une  expérience indispensable à la vie humaine, certains pensent même qu’elle peut permettre d’affronter les petits tracas quotidiens. C’est bien dommage que  l’étude, de cette discipline n’a pas été rendue obligatoire comme était le service militaire, à une époque (…)   Je me suis dis que ce type était vraiment intéressant et je l’ai ai suivi sans crainte.

              Au bout de quelques minutes de marche, je devrait dire  plutôt de la lévitation pour moi,  nous avons atterris au siége de sa  SPA. Elle se trouvait dans un petit immeuble de la rue Brûlée. A notre arrivée j’ai été présentée à ses trois amis. Ils m’ont reçu avec une grande gentillesse et m’ont installée dans une toute petite salle, dont les murs étaient couvert de livres. Nous avons pris place autour d’une table et je leur ai posé ma question: Qu’est-ce que la philosophie? Le premier à parler a été le spécialiste de Socrate :  il m’a prévenu que bien évidemment, sa réponse ne serait pas complète. Car il nous aurait fallu du temps pour traiter et développer une question si complexe. Mais il allait me donner les grandes lignes qui m’aideraient, peut-être, à avoir une  idée de ce qu’était, pour Socrate, la philosophie. Il commença:

- « Pour Socrate,  la philosophie c’est un cheminement  qu’on doit suivre pour  répondre aux questions MORALES du Comment VIVRE BIEN. Mais, ce cheminement on ne pouvait pas le suivre seul  mais en dialoguant. »

- Et, pour Socrate c’est quoi  Vivre Bien? Demandais-je.

- «  Eh bien, c’est s’éloigner le plus possible des préjugés, des idées toutes faites. Car les certitudes  nous éloignent inexorablement de la vérité. On ne peut  chercher la vérité que si on croit qu’on ne l’avons pas encore atteinte. C’est pourquoi   la  réponse donnée par l’oracle de Delphes  à été :« Socrate est l’homme le plus sage de Grèce » puisqu’il  avait compris qu’il ne savait rien . Pour Socrate la philosophie c’est une quête et pas une réponse. La vérité, selon lui n’est pas inaccessible. Simplement il faut être capable d’écarter les préjugés, les fausses réponses. voilà pour aujourd’hui madame, revenez la semaine prochaine ».

             Le tour est alors venu pour celui qui allait me parler de la philosophie de Platon:

-  « Pour  Platon Madame,  la philosophie est aussi un chemin, une quête certes mais ce chemin, cette quête est  d’abord individuelle. C’est un chemin escarpé , difficile,  symbolisé par cette escalade après la sortie de la caverne où des hommes ordinaires, prisonniers des préjugés, croient voir des vérités, alors qu ‘ils ne voient que des ombres. C’est un chemin solitaire mais qui trouve s a récompense, car au sommet de la montagne on est ébloui par le soleil de la connaissance parfaite. Et puis,  PLATON  ne s’intéresse pas au comment VIVRE BIEN. Mais à comment VIVRE JUSTE.   Et ce chemin vers la JUSTICE c’est un idéal politique. Il  est lié en somme à une éducation, qu’il propose à ses disciple car il s’agit aussi de transmission d‘un savoir qui dépasse toutes les formes de connaissance, qui dépasse bien évidemment les illusions des sens. Un idéal qu’on ont peut atteindre par les sciences certes,mais  qui va bien au-delà. (…) »

                La conversation sur Platon a duré longtemps, car mon interlocuteur était un passionné.  J’ai pris beaucoup de notes  - que je  ferai parvenir à ceux qui cela puissent intéresser-  Je me tourne donc vers  le spécialiste d’ARISTOTE . Avec celui qui allait me parler d’Aristote c’était établie une sorte de connivence du fait que tout au début il m’avait demandé si je voulais boire quelque chose. Et comme j’ai vu qu’il avait un brique de lait frais sur la table je lui ai demandé de me donner« un verre de lait ». Ainsi avant de commencer à me parler d’ARISTOTE il m’a dit :

- « Buvez votre lait madame » .  Mais le ton était comme s‘il m’avait dit: « boit ton lait petit chat… »  tellement il me voyait petite et désarmée face à tout ce que je venais d‘entendre.

    - «  Alors pour Aristote, madame, commença-il,   la philosophie c’est encore autre chose. Car Aristote,  s’il s’occupe  aussi de la MORAL, étroitement liée au  « juste milieu», du rôle de l’éducation pour former le bon citoyen, il se préoccupe essentiellement d’élaborer un savoir sur la NATURE. Car quand nous nous trouvons devant la  NATURE  nous avons l’impression d’être devant un chaos. Alors, pour Aristote, la philosophie doit être une démarche avant tout RATIONELLE. Le  philosophe est celui qui tente de mettre de l’ordre dans le chaos. C’est-à-dire de donner un sens à ce qu’il voit, donner du sens à ce qu’il lui semble absurde et obscure. Et comment? PAR LA RAISON.  En nous efforçant de nous écarter de nos émotions pour pouvoir expliquer rationnellement les phénomènes. (…)»

 

Il continua de me parler et parler  et je notais et notais. A la fin lui aussi est parti. Moi, j’ai pris congé du monsieur qui m’avait amené là bas, avant de nous quitter il m’a dit qu’il partait en vacances et qu’on se reverrait dès son retour  je l’ai infiniment remercié en oubliant de demander ses coordonnées. J’ai quitté le petit immeuble et suis rentrée chez moi pour rédiger mon exposé. J’avais suffisamment de matériel pour essayer de répondre à la question « qu’est-ce la philosophie » et pour tenter une réponse à votre question : Pourquoi philosophons-nous?  Au début je devais vous présenter ce que j’appelle un « bon exposé » - parce que  j’avais fait ce qui j’ai pensé être  un bon résumé  de tout ce que les trois m’avaient dit . Mais lorsque j’avait fini mon travail et que j’ai voulu  retourner chez eux, pour le soumettre à leur critique, je n’ai jamais pu retrouver le petit bâtiment qui me semblait être dans la rue Brûlée . J’ai demandé tout au tour si quelqu’un connaissait la SPA. Société pour personnes angoissées. J’ai récolté tellement de regards alarmés que j’ai laissé tomber. Rentrée chez moi  je n’était plus sûre de rien, même pas de ce que j’avais écrit. Ainsi au lieu de vous présenter un exposé avec des réflexions solides j’ai décidé plutôt de vous raconter  cette histoire qui m’est arrivée, car il me semble qu’elle était en elle-même l’exemple de ce  que c’est philosopher:une quête toujours recommencé.

                Pour la réponse que j’était sensée apporter à votre question Pourquoi philosophons-nous ? Je ne saurai dire rien d’autre que c’est peut-être parce que c’est un des moyen  de répondre aux questions qui se posent à nous, mais qui n’est ni un moyen assuré ni un moyen définitif. Néanmoins, une chose me paraît évidente: c’est un des moyens de faire un bout de chemin ensemble, pour essayer de comprendre, par l’exercice de la pensée, au moins une part de ce qui nous échappe.  Et pour cela je ne peux que donner raison a Hanna Arendt:

 

 «  c’est seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux également parler avec moi-même, c’est-à-dire Penser » (Hannah Arendt in journal de pensées)

 

Bibliographie:

Je n’aurais pas pu écrire ce petit texte sans la contribution volontaire des  beaucoup de gens- particulièrement de mon amie  Gül Urfa - et sans la contribution involontaire du monsieur rencontré au « Chat  Perché » et des auteurs suivants:

 

De Crescenzo, Luciano: Les Grands Philosophes de la Grèce Antique - Éditions de Fallois 1999 - Paris

Morvan, Pierre-Yves: Dieux est-il un gaucher qui joue aux dès? -histoire drôle mais vraie, de la découverte de l’univers, et des environs. Éditions l’Harmattan -2002 Paris

Hanna Arendt : Journal des pensées - Cahier XXV, juillet 1968 (Volume 2)  Édition

Seuil - Paris

Encyclopédie Grand Larousse Universel 1996 - Paris

Conche, Marcel : Vivre et philosopher - Presse Universitaires de France - 1998

Et quelques autres, encore…

 

Angelita Mendes-Martins

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Peut-on parler de ce qu’on ne sait pas ?

12 octobre 2011

 

Pouvoir parler de ce qu’on ne sait pas

 

Parler de quelque chose, c’est exprimer un savoir, un « voulu-dire » sur cette chose, sur soi ou sur le monde, en utilisant le langage, qui est toujours incomplet et ambigu, et en décalage irréductible avec ce que l’on veut dire (Bertrand Russell).

Savoir, c’est avoir une opinion, en correspondance plus ou moins exacte, ou efficace, avec son objet, construite mentalement, interprétée dans les divers référentiels pertinents pour cet objet, en fonction du plus ou moins de confiance à leur égard. Alors, ne pas savoir ne représente pas une absence de connaissance, selon le mode de la négation, mais un manque d’opinion, un défaut d’interprétation, sur le mode de la privation. Ne pas savoir est une ignorance partielle et relative, sur la chose elle-même, ses catégories, son contexte, voire sa profusion imaginative : À la limite, même le « lepton » peut faire évoquer le thé ou un pays balte. Ne pas savoir, c’est donc toujours savoir au moins un peu quelque chose.

La question de savoir si on peut parler de ce qu’on ne sait pas, a trois sens. D’abord, est-ce possible ? Oui, car on a toujours au moins une certaine opinion, un savoir minimum. Ensuite, en est-on capable ? Oui, car on en possède normalement l’aptitude, qui peut se développer et même se cultiver professionnellement. Mais, enfin, en a-t-on le droit, est-ce légitime ? C’est bien là toute la question : Non, répond-on traditionnellement depuis Platon ; si, reconnaît et affirme la pensée contemporaine.

 

Parler sans savoir, c’est de la folie

 

Parler de ce qu’on ne sait pas, est carrément contradictoire et absurde, car cela revient à exprimer ce qu’on sait sur « ce qu’on ne sait pas » : Sottise manifeste, pure folie, dit Platon, car, au-delà du questionnement et du dialogue, la sagesse consiste évidemment à parler de ce qu’on sait en vérité.

De plus, à parler de ce qu’on ne sait pas, on prend le risque de parler pour ne rien dire.

Ainsi, la parole tautologique, définition ou raisonnement, ne dit rien, comme dans l’exemple donné par Pascal de la définition de la lumière, « mouvement luminaire des corps lumineux ». Le discours vide n’en dit pas plus, qu’il soit insignifiant (bavardage, paroles futiles ou non-pertinentes), vague et ambigu (langue de bois, jargon) ou incohérent (délire). Enfin, on parle pour ne rien dire, quand on parle sur des sujets dont on ne peut avoir aucune connaissance, comme les « noumènes », Dieu et l’âme (Kant), comme la mort, et en particulier la sienne propre (Foucault, Jankélévitch), ou le sexe des anges…

Traditionnellement, la sagesse est de se taire quand on ne sait pas : Les héraclitéens peuvent aller jusqu’à estimer que, puisque rien n’est et que tout change, on ne peut rigoureusement rien dire, ni affirmer ni nier, et donc qu’il est sage de s’enfermer dans un total mutisme (Cratyle). De même, considérant qu’ils ne peuvent rien savoir vraiment, les sceptiques suspendent leur jugement sur les choses et les comportements. Dans cette perspective, l’éducation traditionnelle considère que ceux qui ne savent pas, les enfants, les élèves, les incultes, doivent se taire, et écouter plutôt les « autorités » compétentes. Cette mentalité élitiste se retrouve en politique, dans la critique de la consultation démocratique du « peuple ignorant ».

 

Parler sans savoir, c’est la sagesse

 

La conciliation de la parole et de l’ignorance s’effectue sur la base du caractère toujours partiel et relatif de l’ignorance (à la limite, même un « mantra » de méditation peut faire signe vers quelque chose). C’est ainsi que Socrate parle sincèrement, car il sait au moins qu’il ignore tout. Et Foucault confirme que la folie ignorante trace les chemins de la raison sage. C’est bien l’inépuisable ignorance d’un réel toujours « différant » qui autorise la parole (Derrida). En même temps, parler, s’exprimer sur une chose, suppose toujours quelque chose à en dire : Même bavarder, ou à la limite se taire, a quelque signification.

Dans le cadre d’une nouvelle théorie de l’action (Jean-Luc Petit, 2003), où c’est l’action elle-même qui donne son sens à l’objet perçu, dans une sorte de constitution/anticipation du réel, on peut considérer que c’est l’action mentale de parler qui donne son sens à la chose dont on parle. Parler alors, c’est vraiment apprendre et connaître ; car parler en interaction sociale, accroît et consolide les connexions du « groupe neuronal » correspondant à ce dont on parle, ce qui développe et améliore la représentation qu’on s’en fait. En quelque sorte, parler sans savoir, fait savoir ! Le vrai miracle grec, à l’aurore de la Philosophie, c’est d’avoir effectivement nommé les choses, d’en avoir parlé, sous forme de concepts avec leurs relations, ce qui représente le cœur de l’activité philosophique (Hegel, Deleuze). De façon générale, parler en Philosophie, en Science et en Littérature (Poésie incluse), c’est comprendre les choses, les prendre avec soi, et enfin s’approprier mentalement le monde qui s’offre. Ainsi, parler de ce qu’on ne sait pas, est non seulement légitime, mais aussi nécessaire pour vivre pleinement, et sagement, dans le monde.

 

Patrice

 

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La liberté est-elle menacée par l’égalité ?

28 septembre 2011

 

Qu’est-ce que la liberté ?

 

- Quatre grandes définitions de la liberté : Aristote, Augustin d’Hippone, Kant et Sartre (Cf. texte sur  « La vie est-elle une succession de hasards ? -  la vie libre »   ).

- La liberté est multidimensionnelle : Liberté « naturelle » (physique et psychologique), et liberté politique (choix, droits-libertés publiques).

- Libéralisme économique : La libre entreprise en propriété privée est un moyen de réussite économique et d’épanouissement personnel, avec droit exclusif du propriétaire sur les fruits de son entreprise. La situation française, paradoxale, est celle d’un néolibéralisme triomphant, dont le piètre résultat est pourtant une durable croissance molle, avec chômage et pauvreté.

- Libéralisme politique : Les citoyens jouissent de droits et libertés publiques, et ne sont pas seulement déterminés par leur naissance ni par leurs attaches locales. Le droit à la propriété privée est reconnu à tous, propriété qui contribue à la protection et au bien-être du titulaire.

- Si une société libre est une société où règne la confiance générale, alors le manque de liberté (étatisme et corporatisme), produit une « société de défiance » (Algan et Cahuc, 2007), nourrie aussi par les inégalités excessives.

 

Qu’est-ce que l’égalité ?

 

- Antiquité (Platon et Aristote) : Égalité devant la loi, mais surtout égalité proportionnelle au mérite (« égalité aux égaux »), base de la justice distributive, car il existe une hiérarchie « naturelle » entre les humains (citoyens plus ou moins « vertueux », esclaves, femmes et métèques). Déjà Platon considère qu’il est bon pour la Cité qu’il y ait un plafond et un plancher de richesse.

- Modernité : L’égalité est un idéal démocratique performatif, avec droit de propriété pour tous.

- L’égalité est multidimensionnelle : Aux niveaux naturel (diversité physique et mentale) et socio-économique (variété des situations), et au niveau politique (égalité des droits-libertés et des droits-créances, égalité des chances dans la vie, ou équité). La Droite préfère traditionnellement parler d’équité et dénonce « l’égalitarisme ».

- La social-démocratie (« Le social public, comme débouché du libéral réussi ») : Mise en place à la Libération, la redistribution publique égalisatrice tend dernièrement à être mise à mal par le néolibéralisme triomphant.

- Effets d’une inégalité excessive :

Au niveau des relations sociales : Autorité et hiérarchie, délitement du lien social, paternalisme et charité indifférente.

Au niveau de la vie politique : Oligarchie élitiste, avec « détestation de l’égalité » (J. Rancière -  Haine de la Démocratie, 2005), et fiscalité injuste.

 

Rapport antagoniste entre liberté et égalité

 

Il y a un antagonisme traditionnellement admis entre la liberté et l’égalité. Déjà Platon (La République), et encore récemment Pierre Rosanvallon (La Démocratie inachevée, 2003), soulignent que l’égalité, autant celle devant la loi que la redistributive, constitue bien une menace contre la liberté et le droit de propriété des plus forts et des plus riches ; tandis qu’en même temps, cette égalité représente une libération pour les nombreux faibles et pauvres (Lacordaire).

Cet antagonisme se traduit dans nos sociétés démocratiques, par un conflit permanent entre deux logiques de pouvoir, radicalement opposées, plutôt portées respectivement par le libéralisme et la social-démocratie (Jean-Paul Fitoussi) : Le libre pouvoir de marché, régi par la loi 1 € = 1 voix, et l’égal pouvoir démocratique, régi par la loi 1 homme = 1 voix.

Le Contrat Social (Rousseau) représente une classique tentative de conciliation entre égalité et liberté : C’est la théorique conciliation démocratique par la loi, expression de la Volonté Générale, qui établit une égalité et une liberté politiques, avec droits et libertés juridiquement égaux pour tous. Mais cette conciliation entre en contradiction avec la réalité. L’égalité devant la loi, comme le remarque justement Marx, maintient toutes les inégalités réelles, qui trouvent leur expression maximum dans la propriété privée de quelques uns seulement. Si cette propriété privée est bien la source de l’inégalité et de la contrainte (Rousseau), elle en est aussi le résultat rétro-alimenté. La social-démocratie représente en France un aménagement palliatif de la situation (Code du Travail, Sécurité Sociale et impôt progressif), toujours menacé par le libéralisme. Cet aménagement, bien sûr, ne change pas la situation de base, d’inégalité et de contrainte, mais au contraire la consolide, en la rendant supportable pour le plus grand nombre.

En principe, la Justice Sociale semblerait pouvoir améliorer la conciliation entre liberté et égalité. Selon ses principaux théoriciens, elle représente en effet, pour tous, une égale liberté d’épanouissement, comme citoyen (John Rawls) ou dans la vie choisie (Amartya Sen). Mais pour la juste répartition des moyens concrets, des richesses, on ne sait pas comment tenir compte des préférences variées, ni comment évaluer les divers épanouissements. La voie de la Justice Sociale continue donc d’apparaître comme impraticable. Reste entier le problème politique posé en vue d’obtenir une société à la fois plus efficace et plus juste : Où placer le curseur entre liberté et égalité, quelle est la juste mesure, le juste dosage ? Nos sociétés démocratiques se débattent dans l’impasse, insatisfaites aussi bien sur la liberté, à Droite, que sur l’égalité, à Gauche.

 

Véritable opposition : Les conceptions « démocrate » et « aristocrate »

 

Cette impasse théâtrale de l’antagonisme entre liberté et égalité, ne représente en réalité qu’une avant-scène, derrière laquelle se cachent les coulisses du véritable enjeu : Celui de la confrontation entre deux philosophies politiques directement inconciliables, la démocratique et l’aristocratique.

- Conception « démocrate » :

Le référentiel démocratique déclare et proclame l’égale dignité libre de tous les êtres humains. Il n’y a pas, il n’y a plus de patriciens ni de plébéiens, de maîtres ni d’esclaves, de seigneurs ni de manants, de nobles ni d’ignobles, mais seulement une seule et même humanité. La liberté et l’égalité sont les deux faces d’une même médaille, l’humain digne, unique dans sa diversité, appartenant à une même famille et donc fraternel aussi.

Logiquement, dans cette mentalité, la règle du pouvoir est celle de 1 homme = 1 voix.

- Conception « aristocrate » :

Dans le référentiel aristocratique, au sein des sociétés traditionnelles, il en va tout autrement : Les êtres humains ne sont pas tous également dignes, ni libres. Les « meilleurs » en effet, par le talent, le mérite, la sagesse ou la vertu (Platon et Aristote, Thomas d’Aquin et Bossuet) possèdent une dignité supérieure et plus libre. Alors, leur pouvoir et leur richesse sont considérés comme légitimes, car d’origine divine (théocratie) ou « naturelle ».

Logiquement, dans cette mentalité, la règle du pouvoir est celle de 1 € = 1 voix, étant admis que la richesse recouvre bien, en gros et à la longue, la valeur « naturelle » de chacun. Ainsi, l’ordre social et politique « naturel » repose-t-il sur l’autorité, pas sur la liberté, et sur la hiérarchie, pas sur l’égalité, et se voit réalisé dans les régimes d’absolutisme idéologique ou religieux, ou d’oligarchie élitiste.

 

Parachever la Démocratie

 

La situation de la République Française est bien celle d’une « démocratie inachevée » (P. Rosanvallon, 2003). Car on y retrouve les aspects juridiques et électoraux de la conception « démocrate », coexistant avec la conception « aristocrate » qui domine partout ailleurs : Le domaine économique et financier, avec une concentration des richesses de type « ancien régime » ; les relations sociales, avec fracture, nouveaux « ordres » séparés et importance de l’hérédité ; également, l’influence politique et administrative, grâce à la propriété des principaux médias, à un lobbying intense et au « pantouflage » des hauts fonctionnaires. L’enrobage démocratique contribue efficacement à « huiler » et à consolider la pratique aristocratique. Comme bien d’autres démocraties occidentales, les rouages de la société française fonctionnent largement sur le mode de l’oligarchie élitiste. Mais cette situation provoque en France un particulier malaise, en raison de la promesse républicaine non tenue, d’une société de citoyens libres, égaux et fraternels. La démocratie française se retrouve dénaturée, sous forme de la « tyrannie douce » prévue par Tocqueville, avec une liberté oligarchique « en haut » et une égalité populaire « en bas ».

Pour parachever enfin la démocratie française, il est incontournable d’installer aussi la conception « démocrate », c'est-à-dire la liberté et l’égalité, dans la vie sociale et économique. Ce qui revient simplement à favoriser la diffusion de la propriété privée dans toute la population, c'est-à-dire à promouvoir le plus largement possible l’accumulation de capital, afin d’obtenir la possession d’un patrimoine familial par le plus grand nombre possible de citoyens. Comme cela a été souligné par Locke et Rousseau, la propriété privée est bienfaisante pour l’individu en société, comme source de protection et d’égalité, de bien-être et de liberté. Or, d’après l’INSEE, de l’ordre de 5% seulement des français jouissent d’un patrimoine familial quelque peu significatif. Il est décisivement souhaitable qu’un élément si bienfaisant de la vie soit beaucoup plus répandu dans toute la population.

Comment faire ? Il suffit de développer pleinement et fermement le projet gaullien de nouvelle société par la « participation » : L’accès aux fruits de l’entreprise ainsi donné aux salariés, en rémunération de leur prise de risque, représente la voie praticable de constitution de patrimoine par le plus grand nombre, sans nuire à la compétitivité de l’économie.

Seule une telle mesure est susceptible d’instaurer en France une véritable société démocratique, efficace et juste, en modifiant progressivement la millénaire structure indo-européenne en maîtres et serviteurs (Georges Dumézil).

 

Patrice

 

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La vie est-elle une succession de hasards ?

17 août 2011

La vie au hasard

 

Qu’est-ce que le hasard ?

Pour Aristote, le hasard est absence de finalité. N’étant cause de rien, il représente le désordre résiduel, inséré dans la nature. Cette conception, renforcée par le christianisme avec sa notion d’un Dieu-Providence, cause première et finale de tout, va dominer la pensée occidentale jusqu’aux XVIIIème et XIXème siècles. À ce moment-là, la philosophie (Descartes, Leibniz, Comte) et la science (Newton, Laplace, Einstein) pensent que le hasard n’existe pas, qu’il est synonyme de chaos : Le hasard en effet n’est que l’ignorance des causes (Spinoza, Voltaire), ou mathématiquement, la « rencontre de deux séries causales indépendantes » (Cournot).

Pourtant, au XXème siècle, les progrès de la science réinstallent le hasard au cœur même de tous les phénomènes, naturels et humains. Le hasard est alors conçu comme manque d’information, comme conséquence de l’entropie, tendance universelle à la déstructuration, à la perte d’information. C’est le hasard qui rend possible la variation, la fluctuation, sans aucune finalité. Par exemple, le résultat de l’observation du réel quantique est indéterminé ; l’évolution d’un système dynamique complexe est imprévisible a priori ; tout système axiomatique cohérent a une part d’indéterminé (Gödel) ; le réel et tout système d’information comportent de l’aléatoire (Kolmogorov, Chaïtin), comme pour l’évolution du génome, de l’économie et de toute l’existence humaine.

Comment expliquer alors, si le hasard est omniprésent et la vie sans cause, la régularité et l’ordre des choses ?

La permanence apparente est le résultat de la loi des grands nombres, aussi bien dans la nature que dans la sphère humaine : C’est l’observation d’un grand échantillon, c'est-à-dire à grande échelle spatiale ou temporelle, qui donne l’impression de stabilité des phénomènes, et ce d’autant plus que ceux-ci ont une plus faible dispersion.

 

La vie déterminée

 

Qu’est-ce que le déterminisme ?

On trouve la notion de déterminisme aussi bien dans l’idéalisme que dans le matérialisme. En effet, pour Aristote (« tout a une cause »), le réel est déterminé par la causalité et la finalité, et les Stoïciens considèrent l’être humain aussi déterminé dans sa vie qu’un acteur de théâtre dans son rôle. De même Leibniz pense que « rien n’est sans raison », et que la finalité gouverne le « meilleur des mondes possibles ». Et Spinoza estime aussi que la « Nature » (« Deus sive Natura ») est une cause déterminante de tout, mais sans aucun finalisme. Aux XVIIIème et XIXème siècles, scientifiques et philosophes, en général, se représentent la nature et l’être humain comme relevant d’un déterminisme universel, d’une nécessité mécaniciste, qui ne laisse aucune place au hasard (chaos) ni à la liberté.

Comment expliquer alors, si le déterminisme strict est omniprésent et la vie nécessaire et fatale, la fluctuation, l’aléa, le désordre ?

La variation apparente est le résultat du « chaos déterministe » des phénomènes dynamiques complexes, naturels et humains, qui évoluent de façon tout à fait déterministe, mais avec des résultats complètement imprévisibles, même s’ils se trouvent regroupés à la longue sur des « régions » appelées « attracteurs étranges » : C’est l’observation d’un petit échantillon, c'est-à-dire à petite échelle, avec l’inévitable imprécision dans la mesure des conditions, qui donne l’impression d’instabilité et de désordre des phénomènes, et ce d’autant plus que ceux-ci ont une plus grande dispersion.

 

La vie libre

 

Dans l’histoire de la pensée occidentale, on peut considérer les quatre principales conceptions de la liberté suivantes :

- La liberté-pouvoir d’Aristote, qui est volonté finaliste, assez semblable à celle de Confucius. Ce pouvoir est relatif aux capacités individuelles (limitées pour « l’ivrogne » !) et aux contraintes naturelles et sociales. Cette liberté relative n’est donc en fait que celle de se soumettre aux lois.

- La liberté-morale d’Augustin d’Hippone et de Thomas d’Aquin, qui est possibilité d’accepter ou de refuser. Ce libre-arbitre est relatif aux commandements de la volonté divine, sanctionné par un châtiment en cas de refus, et qualifié de « morale de bourreau » par Nietzsche. Cette liberté relative n’est donc en fait que celle d’obéir aux lois divines.

- La liberté-raison de Kant, qui est « caractère intelligible » du sujet transcendantal. Cette raison pure est absolue et catégorique (« tu dois, donc tu peux »). Mais cette liberté reste un postulat théorique non prouvé, n’a qu’un rapport incertain avec la liberté pratique (« empirique »), et représente de toute façon une contrainte interne non choisie (André Comte-Sponville).

- La liberté-choix de Sartre, qui est autonomie de projet existentiel. Cette capacité de construction de soi par soi-même, avec son passé et ses préférences, est absolue. Mais son affirmation ne suffit pas à l’empêcher de dépendre de contraintes non-choisies, internes (corps et cerveau) et externes (environnement naturel et social).

On dispose donc, en somme, de deux libertés postiches, d’une liberté angélique irréelle et d’une liberté enfantine naïve.

Toutefois, en faveur de la vie libre, volontaire et intentionnelle, il existe deux arguments principaux : La liberté est une des conditions du comportement efficace, car elle favorise attention et constance, dans l’adhésion à ce que l’on fait ou ce que l’on pense. Par ailleurs, la liberté est nécessaire pour la responsabilité morale envers soi-même et autrui. Quoi qu’il en soit, la persévérance consciencieuse est très variable individuellement, et la jurisprudence module la responsabilité des actes en fonction de leurs circonstances.

Enfin, comme le soutient le philosophe allemand Wilhelm Dilthey, faut-il faire la distinction, pour rendre compte des choses, entre la nature à expliquer, car causalement déterminée, et l’être humain à comprendre, car intentionnellement libre ? Paul Ricoeur considère pour sa part, que seule une combinaison de causes et de raisons, se suscitant les unes les autres, peut rendre compte de la vie humaine.

 

Science et liberté

 

La « condition humaine », physique et mentale, fait partie de la nature ; elle relève donc, comme celle-ci, du déterminisme probabiliste qui rend compte de l’évolution des systèmes dynamiques complexes. Ainsi, la vie humaine est tout à la fois « au hasard », aléatoire, et « causée », nécessaire, et par conséquent ni scientiste, ni spiritualiste. Le hasard et le déterminisme s’entremêlent intimement dans la vie physique et mentale, sous la forme d’une succession de décisions ou choix, faits au hasard, parmi des options déterminées à travers les interactions entre soi et l’environnement (Axel Kahn).

Alors, le ressenti de liberté qui accompagne ces « choix » existentiels est bien réel, mais illusoire. Il correspond à un processus psycho-cognitif d’appropriation des pensées et des actes, à travers des mécanismes comme l’autojustification et l’auto-cohérence, qui contribuent à maintenir, en mémoire, une représentation la plus probablement juste de soi et du monde. Le caractère illusoire de cette liberté est confirmé par les expériences de Libet (1985) et de Soon (2008), qui montrent que la décision est prise de façon non-consciente, une fraction de seconde avant les phases conscientes de planification et d’exécution de l’action décidée. Le fait que « la volonté consciente n’impulse pas l’action » (Joëlle Proust) conduit à réviser la théorie de l’action humaine. La réalité importante est que l’impression de liberté permet de s’attacher au comportement, normalement « efficace », et à s’en sentir responsable.

 

Patrice

 

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Vit-on une époque tragique ?

 

1-Intro : Notre époque serait tragique car elle accumulerait toutes les souffrances et toutes les horreurs du monde :….

Notions abordées : de liberté, responsabilité, sens et finalité de la vie individuelle et collective, intelligibilité du destin, condition de l’Homme déchiré entre l’acte et l’effet de son acte non maîtrisé, l’unité et la perte de l’unité de l’homme, le sort de l’homme qui entraîne le sort de l’humanité, et enfin  catharsis de purification par la tragédie

Le tragique c’est beau, cela emprunte à nos origines, avec une mise en scène de personnages dont l’action, image de l’humanité, doit susciter  la terreur ou la pitié, par le spectacle des passions et des catastrophes. La marche actuelle u Monde connait des problèmes dans le sens tragique, c’est-à-dire des problèmes sans réponse et qui resteront des problèmes (ressources limitées, récession en Europe, climat…). La notion de « tragique »sous-entend   : catastrophe, événement  sérieux, effrayant, quelque chose d’excessif. Prendre une chose au tragique c’est s’alarmer à l’excès, peut-être avec exagération.

2-Tragique ou dramatique ?

Ce qui est dramatique trouve une solution, pas le tragique; Anouilh dans Antigone « C’est propre la tragédie, il n’y a plus rien à tenter, enfin c’est reposant, c’est sûr c’est inéluctable et définitif, alors qu’avec le drame on espère….il y a un degré d’excès entre les deux, avec la tragédie il y a la mort au bout, la mort physique est la finalité de tous les héros qui ne peuvent plus rien faire même quand il savent : Œdipe comprend le sphinx mais pas sa propre énigme et cela émeut, le héros qui souffre, c’est le tragique contre lequel on ne peut rien faire. Fukushima est une tragédie mais la tuerie d’Oslo est un drame.

a- Le tragique en Egypte antique, ou la perte de l’unité

Seth a découpé son frère Osiris en morceaux, et cela illustre pour l’homme une mort symbolique par ce démembrement d’Osiris perdant ainsi son unité. Parce qu’il ne peut plus faire face, avec ses moyens actuels, aux exigences de sa vie, le sujet est désorienté, le sens de la vie est remis en cause, et il en résulte une grande confusion qui rend difficile voire impossible toute prise de décision car la conscience est éclatée. C’est la chute, la dissolution psychique avant la régénération.

Quand on prend conscience de son unité cesse-ton d’être tragique ? On peut avoir une tranquillité mais fragile. Ne se réveille-t-on qu’à partir de l’apocalypse ? On ne maîtrise pas tout, mais on peut tout faire pour que cela n’arrive pas.

Pour les égyptiens les lamentations d’Isis et de sa sœur  Néphtis devinrent une expression classique de la tristesse tragique, Le dieu Thot, se réfère à la connaissance des faits passés et à la mystérieuse nécessité d’oublier quelque chose de terrible et tragique qui eut lieu aux origines de l’humanité.

b- Le tragique en Grèce antique, la manipulation par les dieux

Après l’épopée d’Homère, la tragédie accompagne la démocratie athénienne pour d’une pensée archaïque passer à une cité qui se joue elle-même devant le public.

. Le guerrier Ajax, Ajax, le héros pris au piège de ses actes se suicide car il a commis un geste de folie irréparable, la déesse en lui jetant de la poudre aux yeux, lui a fait croire qu’il massacrait des bêtes quand il massacrait ses frères ennemis…..face à sa décision, à son choix, l’homme va se détruire lui-même, car son petit acte va prendre un sens tout différent  de celui qu’il avait imaginé et lui revenir en boomerang ; Cet homme qui croyait bien faire va apparaître comme un monstre ou un criminel, il a l’illusion qu’il était maître de ses actes. Il croyait bien faire alors que le résultat est presque toujours une catastrophe, est-il coupable ou innocent, est-il dans le juste et le vrai, est-il responsable car il y a la présence des Dieux. C’est l’homme déchiré qui comprend après coup qu’il a fait tout autre chose que ce qu’il croyait faire

. Œdipe n’est qu’énigme tragique, l’homme qui a successivement quatre puis deux et enfin trois pattes, Œdipe a en même temps deux pieds car il est adulte, quatre puisqu’il est le frère de ses enfants, et trois car il est comme son père, et ce qu’il comprend c’est qu’il est incompréhensible ;Selon Freud nous aurions donc à notre insu une tendance mentale naturelle à l’inceste et au parricide, Nous inclinerions à épouser celle qui nous a mis au monde et à tuer l’auteur de nos jours…..Nous serions voués à être le père et le frère de nos enfants, l’époux et le fils de la femme dont sommes nés, et le rival et l’assassin de notre père…..et notre mère était vouée à enfanter un époux de son époux et des enfants de son enfant !!

3-Oui on vit une époque tragique

JP Vernant, « Le tragique est caractérisé dans l’expérience grecque, c’est la confrontation de la conscience-finalité avec la conscience-affairée par les affaires économiques de la cité ; deux questions se posent :

. Celle individuelle face au sens de la vie

. Affaire de la cité Il y a une opposition entre l’individuel et la cité c’est la déchirure, mais on ne voit pas qu’ils sont de la même substance ; C’est tragique quand on maintient cette déchirure.

On utilise aujourd’hui des formules de tragédie apocalyptiques, Armageddon pour la finance des USA, les démocraties connaissent la pente tragique inéluctables minées par la dictature des marchés financiers, on créé les peurs millénaristes….la fin du Monde, selon les mayas le point zéro commencerait à partir du 13 août 3113 avant Jésus Christ avec une fin de l’univers le 24 décembre 2011 (23 décembre 2012 selon d’autres sources).

A notre époque qu’est-ce qui représente le tragique, balayé par le destin ; Destin ou fatalité pesant sur notre condition, sur les aspects essentiels de l’homme, qui remet en jeu la finalité de la condition humaine ; Cela met en jeu l’homme celui qui souffre et dans le sort de l’homme se joue le sort de l’Humanité.

Donc à notre époque cela se maintient-il ? Il y a une différence entre nos aspirations profondes et la subsistance, l’affaire de la cité ; Aujourd’hui on tente bien de fuir le tragique, on se détourne du questionnement métaphysique ; Tragédie en propre de l’homme, c’est la mort physique et spirituelle, il croit savoir et ne croit rien, quand on est tragique on ne se détourne pas de notre condition essentielle.

La violence engendre la violence archaïque, l’enchaînement de la violence c’est la tragédie ; Une époque tragique, c’est-à-dire qui accumulerait toutes les souffrances et toutes les horreurs du monde :

. Nous connaissons la solitude du héros grec pris au piège de ses actes, ….mais de nos jours  Athéna n’est plus là pour nous obliger à faire ou ne pas faire?

. Les petits actes individuels entraînent les grandes catastrophes, même sans le vouloir du fait de la concentration des populations (le dernier prêt transformé en subprime aux USA et la crise financière systémique).

. Nous avons l’Illusion que nous sommes maîtres de nos actes, mais ne sommes-nous pas des fabriquants des Golems ?

Le début du 20ème siècle a été un moment historique d’optimisme, pas tragique : Mais il y eut après l’enchaînement des guerres de 14 et 39, la solution finale, et de la culture on a rechuté dans la barbarie ; l’ahurissant progrès technique et scientifique nous rend maître de notre destin, mais aussi on frôle la catastrophe à tout moment, mondialisation oblige. L’idée de tragique subsiste chez les jeunes qui disent qui ils sont et quel est le sens de leur existence. Il y a accumulation de souffrances et tout est horreur dans le monde.

On perçoit et on souhaite la violence, on le redoute mais on souhaite le tragique comme un dénouement qui révélerait notre vérité.

4-Non l’époque n’est pas tragique, pas parce qu’il n’y a pas de catastrophe mais parce qu’on a perdu le sens de nos finalités.

On fait tout pour qu’elle ne le soit pas, on réduit la culture, les cafés philo sont minoritaires, on est chloroformé et le réveil n’est pas possible.

Avec conscience on minimise les dégâts de la tragédie, il n’existe pas de réponse définitive sauf pour l’esprit scientifique qui croit tout savoir, la nature serait connaissable totalement, un savoir définitif qui est un bienfait universel, l’espoir donné que tout va se résoudre, on va tout dédramatiser et  le sentiment tragique ne restera que pour les immatures, les intellectuels et les coiffeurs.

Le sentiment tragique n’est plus qu’un phénomène artistique de comédie pour la Télé, sur scène on imite un questionnement universel, c’est agréable de penser. Le héros tragique est exemplaire, il se surmonte mais il meurt à la fin….Il s’est surmonté et il a brillé…vivre tragiquement c’est cela être une œuvre d’art, une émulation spirituelle et non plus matérielle….on ne doit jamais perdre de vue là où on va pouvoir bien poser au moins les bonnes questions, car viendront des réponses même si elles sont imparfaites, le supposé savoir est destructeur.

Nous devons découvrir la vérité de notre existence et non pas le savoir scientifique…..c’est à dire l’oeuvre d’art sans finalité a priori…..c’est un émoi, c’est-à-dire que c’est l’âme qui se réveille face à l’habitude.

Notre époque n’est pas tragique car  on a perdu le contact avec cette part de nous-même, cette capacité à nous surmonter nous-mêmes afin de tendre vers notre finalité, soyons les guides et ne craignons pas le sacrifice !!

On croit aujourd’hui que tout est possible et on ne se pose pas le questionnement  de notre finalité, ce n’est pas la tragédie mais c’est tragique par notre passivité ; Dans l’opposition vivante je maintiens la déchirure et je vis activement et positivement le tragique, mais pas en supportant la fatalité car le héros grec lui se battait, il se confrontait même aux dieux avant de succomber…..on prend conscience, on se réveille, on peut faire quelque chose et ne pas s’arrêter à la conscience que cela ne changera rien.

Pourtant le tragique ce n’est pas seulement l’angoisse, c’est aussi avoir une catharsis, une purification en suscitant la pitié et la crainte, et le soulagement vient de ce que l’âme se purge. Il faut se réapproprier le tragique, Si je suis sensible au fait que je suis mortel, inquiet de l’enjeu de ma vie, mon action ne sera pas la même. On doit se savoir mortel et vivre malgré tout décontracté…..dans 10 ans certains d’entre nous ne serons plus là et pourtant on plaisante en occultant notre finalité.

Mais à côté de cela on manque de finalité, de perspective d’avenir, c’est cela l’absence de tragique, pour privilégier l’économique, d’où on parle de refondation politique, pour ne pas dire de régénération de nos mythes, de notre pensée et de notre sensibilité !!Conclusion : Espérons que nous n’aurons pas une discussion tragique, ce qui apparenterait notre café philo à un congrès de névrosés !!

Discussion :

Nous ne maîtriserions pas notre destin dont le meneur du jeu seraient, dieu, les forces sous-jacentes du structuralisme, les forces cosmiques……Nous serions donc dans l’incapacité d’assumer notre destin qui serait inéluctable ; Hormis notre finitude humaine nous supportons également la souffrance et la douleur tragiques.

Non seulement on ne maîtrise pas mais en plus on crée des Golems qui risquent de nous échapper.

Avec la société du spectacle de Guy Debord, il n’existerait plus de tragédie individuelle, car il convient d’être vu.

C’est également tragique d’avoir conscience de notre tragédie.

Toutes les époques sont tragiques et seuls les génies pourraient y échapper.

Mais le tragique est le moteur de la vie, c’est une dialectique nécessaire, sans la mort il n’y aurait pas la vie.

Nous nous croyons libres car nous ne connaissons pas nos raisons d’agir. Dans l’action, la tragédie se déroule, que nous soyons libres ou déterminés le résultat est le même.

Dans son «catastrophisme éclairé », JP Dupuy souligne que si on sait les choses inéluctables, on peut adapter notre condition.

Le tragique n’est pas forcément négatif, il peut être beau et grand ; S’il n’existe pas de dieu tout est à la mesure de l’homme.

Notre époque est-elle pire que les autres, question tragique ? Il nous faut faire le bilan risque-chance, selon les niveaux mondial, national et à l’intérieur d’une nation selon les catégories sociales (les pauvres et immigrés supportent une destinée tragique dont beaucoup de sortiront jamais ; en période de croissance molle et d’accaparement  de la richesse par une élite peu re-distributive, par manque de solidarité).

Tout changement comporte un risque et une chance et nous avons 3 biais quand nous l’évoquons :

. Aversion au risque, nous avons tendance à focaliser davantage sur les risques.

. La nostalgie : c’était mieux avant, les paradis perdus, ou alors avec l’utopie on postule un ailleurs

. Recherche d’un bouc émissaire à accuser de tous les malheurs

La mise en scène est consubstantielle à la tragédie, la vie reste tragique mais ce n’est pas forcément un drame.

Nous ne devons pas limiter notre approche sous l’angle du tragique grec traditionnel, mais examiner encore la détresse au quotidien dans notre société.

 

Gérard

 

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Le sens multiple de la littérature

1er juin 2011

 

Le sens en linguistique

 

Qu’est-ce que le sens d’un mot, d’une phrase ou d’un texte ? Il y a une grande diversité de théories sémantiques, dont les principales sont les suivantes :

- C’est l’idée qu’on s’en fait, sens conceptuel, dans le discours représentationnel de la théorie classique ou « réalisme » (Saussure), faisant référence à un réel objectif.

- Ce sont ses conditions de vérité, sens véritatif, dans le discours performatif du subjectivisme (Austin, Searle), faisant référence à la pensée.

- C’est tout ce qu’on en dit, sens argumentatif, dans le discours purement linguistique de la théorie de « l’Argumentation dans la Langue » (Oswald Ducrot), ne faisant référence à rien d’extérieur au langage.

- C’est comment on le lit, sens interprétatif, dans la théorie du « régime de lecture » (Mircea Marghescou), qui distingue lecture ordinaire et lecture littéraire (symbolique, socio-culturelle). Par exemple, lecture du fait divers « automobile s’écrase contre platane » comme « pur naturel fait obstacle au polluant artificiel ». Le régime littéraire aurait évolué au cours de l’Histoire du mythique, au réaliste-historique, puis à l’esthétique actuel.

 

Comment se forme le sens chez un lecteur ? Contrairement au Structuralisme (Jakobson), on considère maintenant que le sens ne se forme pas à partir de la logique interne et autonome du langage.

La Psycholinguistique conçoit en effet la formation du sens sur le modèle neuropsychologique de la perception visuelle. Le texte est ainsi un stimulus dominant, qui déclenche une reconstruction active et cohérente du sens, par interaction dynamique avec les « schémas mentaux » (ou « modèles de situation »), stockés en mémoire à travers l’expérience et la culture personnelles. Le sens du texte ainsi « construit » s’intègre alors dans les schémas mentaux correspondants. On retrouve ici un phénomène de coévolution adaptative, entre le mental et le texte.

 

La littérarité

 

Quelle est donc l’essence de la littérature, des « belles-lettres », ce langage imaginatif esthétique ? Qu’est-ce qui fait qu’un texte est « littéraire », et le distingue d’un texte ordinaire, utilitaire ou fonctionnel (journalistique, scientifique, commercial) ?

Pour les linguistes, la littérarité d’un texte reste encore bien mystérieuse, voire carrément insoluble pour les sémanticiens. On ne sait pas bien si elle dépend d’un critère ou de plusieurs, et lesquels précisément. Pourtant, deux aspects généraux apparaissent plus fréquemment : Un texte serait littéraire s’il comporte formalisme linguistique et esthétique subjective.

Une analyse des différentes études de littérarité permet d’en regrouper les nombreux facteurs, liés au texte et à la lecture, autour de cinq pôles :

- Figures de style (M. Riffaterre, F. Rastier, M. De Grève).

- Plaisir esthétique (Mme de Staël, F. Rastier).

- Multiplicité de sens (Jakobson, Barthes, M. Marghescou, M. De Grève).

- Découverte de réalité (Proust, F. Rastier).

- Insatisfaction existentielle (Sartre, Camus, École roumaine) : les bons sentiments ne font pas de bonne littérature !

Cette diversité de facteurs reflète directement le regard multiple que l’on peut porter sur la littérature, expression de la complexité humaine. Plus généralement, Gérard Genette distingue « Fiction » et « Diction » : Pour lui, les textes de fiction (roman, poésie) sont toujours littéraires, alors que ceux de diction peuvent l’être ou pas, en fonction du propre jugement du lecteur.

De la même façon, il est difficile de définir le style d’une œuvre littéraire. Le style, est-ce l’homme (Buffon, Barthes), ou bien est-ce le texte lui-même (M. Riffaterre) ? Chaque artiste a sa propre définition qui reflète sa propre pratique. Peut-être le style est-il globalement « un désir qui dure », « une voix qui insiste » (Marie Darrieussecq, écrivain).

 

La littérature comme moyen de connaissance

 

Balzac, Proust, Joyce décrivent et révèlent la réalité humaine et sociale. Et Hölderlin, en profond accord avec Heidegger, affirme qu’au-delà de la philosophie, « la poésie est fondation de l’être par la parole. »

Cette connaissance littéraire est-elle efficace ? Oui, répond globalement F. Rastier, en raison du réalisme sémantique, objectif ou subjectif, de la littérature. Dans la perspective phénoménologique, dit Paul Ricoeur, l’œuvre littéraire projette hors d’elle-même son monde fictionnel, dans un mouvement de transcendance réaliste, tandis que du point de vue de la Philosophie Analytique, elle est considérée comme un pur empirisme logique. Pour M. Marghescou, la littérature est comme un dévoilement « épiphanique » du monde : « La parole littéraire fait venir le monde à nous », alors que la parole ordinaire nous fait aller au monde.

Quelle est la validité logique de la connaissance littéraire ? Certes, dit Rastier, la littérature atteint une vérité, grâce à l’unité et à la cohérence interne du texte, mais cette vérité reste « faible » par rapport à la forte rigueur scientifique. Roland Barthes rappelle que le langage, incomplet et ambigu, n’est pas adéquat pour une description nette et précise de la réalité : « Écrire, c’est ébranler le sens du monde », dit-il. Mais en fait, la valeur de vérité n’est pas pertinente pour évaluer l’œuvre littéraire, l’important c’est sa vraisemblance, qui dépend de son contexte socioculturel. Le monde littéraire est fictionnel, mais possible, et il pointe vers le monde réel, avec accès réciproque de l’un à l’autre. La littérature est révélation de suppléments de monde.

 

À quoi sert la littérature ?

 

On peut trouver un grand nombre de fonctions à la littérature, parmi lesquelles :

- Communication entre auteur et lecteurs : Quelle rencontre peut-il y avoir entre un auteur et ses lecteurs ? Pour bien comprendre une œuvre, Sainte-Beuve estimait indispensable de connaître son auteur, ce que niait Proust. Barthes aussi considère la personnalité de l’auteur comme une grande « absence » de l’œuvre, non nécessaire à l’interprétation de celle-ci. Tandis que Foucault se demande « qui parle ? » chez un écrivain, Barthes pense que l’auteur se perd dans ses différentes écritures possibles, tout en conservant son style propre. Entre auteur et lecteur, la communication est de type inférentiel, selon Dan Sperber (2000) : Chez le lecteur, il existe une multiplicité d’inférences possibles du « voulu-dire » par l’auteur, ce qui entraîne toujours un décalage de sens, d’autant plus grand que le code du langage et le contexte socioculturel sont moins partagés entre auteur et lecteur.

- Fonction sociale et existentielle : Culture et identité communes, engagement (Sartre) et révolte (Camus), exploration subtile de la vie contrairement à la science « grossière » (Barthes), et enfin, comme l’Art en général, résistance à la mort.

- Du point de vue neuropsychologique, la pratique littéraire participe à l’entretien de la fluidité neuronale et de la plasticité cérébrale, et contribue ainsi à la souplesse de représentation mentale de la réalité, et à la créativité.

- Pour la psychanalyse, la littérature, comme toute œuvre de l’esprit, est une production sublimée des pulsions sexuelles (Monique David-Ménard), qui contribue à la libération de leur objet.

 

   Patrice

 

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La nostalgie est-elle l'unique remède ?

 

Pour ne pas faillir à mes bonnes-ou mauvaises-habitudes, j'ai commencé par aller chercher la définition du mot nostalgie dans mes dictionnaires.

Voici par exemple celle qu'en donne le Larousse en neuf volumes de 1909.

Nostalgie :

- du grec nostos : retour et algos : douleur.

Étymologiquement donc : la maladie du retour.

 

-Sorte de marasme produit par le désir de retourner dans le pays natal.

« Le vrai paysan se meurt de nostalgie sous le harnais du soldat. » (G.Sand).

 

On voit qu'en 1909 la notion (l'idée) de patrie-française s’entend-, complètement démonétisé voir condamnée de nos jours, était encore vivace.

 

Définition du Petit Larousse de 1967 :

Nostalgie :

-mélancolie, tristesse, causée par l'éloignement de son pays. Par extension, regret mélancolique du passé, d'un milieu, etc…

On s'aperçoit que déjà pointe ici l'acception « temporelle » qu'à occupé le mot depuis un demi-siècle.

 

Définition du Robert de 1991.

Nostalgie :

1) État de dépaysement et de langueur causé par le regret obsédant du pays natal, du lieu où l'on a toujours vécu.

Mal du pays.

Nostalgie des immigrés, des exilés.

2) Regret mélancolique d'une chose révolue ou que l'on n'a pas connue, désir insatisfait.

« Cette nostalgie produite par une habitude brisée » (Balzac).

« La nostalgie, c'est le désir d'on ne sait quoi ». (Saint-Exupéry).

 

On remarquera que par un certain glissement, une certaine dérive, que connaissent d'ailleurs tous les mots remis au goût du jour, la nostalgie s'applique aujourd'hui davantage au regret du temps passé, d'une époque révolue-vécue ou fantasmée par le sujet amené à s'y complaire-plutôt qu'au mal du pays qui est son acception littérale. Ceci, en raison sans doute du rétrécissement des distances géographiques qui permettent aujourd'hui aux exilés et aux émigrés de renouer plus facilement avec leur terre natale.

Sauf désir express des intervenants, je crois par conséquent qu’il nous faudra parler surtout de la nostalgie du passé plutôt que de la nostalgie du lieu.

 

La nostalgie (du passé, donc) est-elle l'unique remède ?

J'avoue qu'en proposant le sujet je prolongeais, j'accompagnais mentalement son intitulé d'un couple de questions sous-entendues.

 

L'unique remède pour qui ? À l'usage de qui ?

Eh bien, pour tout le monde sans doute-personne n’est « interdit de nostalgie »-, mais surtout, il me semble pour un troisième voire un quatrième âge parvenant mal ou ne parvenant plus du tout à s'adapter à l'évolution d'un monde aujourd'hui plus que jamais en proie à d'incessants changements.

Un troisième, un quatrième âge évidemment plus enclins que la jeunesse-du fait de l'étendue de son champ d'introspection nostalgique-à se pencher avec un regret attendri, tant il est vrai que la nostalgie est moins une machine mentale à remonter le temps qu'une machine à embellir les souvenirs.

 

C'est ici qu'intervient l'immémoriale notion de « vieux con » passéiste, ce brave vieux con caricatural, volontiers adepte d'une phraséologie de bazar nourrie de « c'était le bon temps » ou de « les choses allaient mieux avant ».

Dans son regret mélancolique du temps perdu de sa jeunesse, le vieux con en question se réfère-t-il, comme nombre de ses devanciers, à un âge d'or complètement illusoire ?

Dans ce cas, c'est vrai nous avons affaire là à un indécrottable vieux con certifié authentique.

Mais imaginons un instant que par les temps qui courent-et même qui galopent-notre vieux con, pour une fois, ait mis dans le mille et que, toute comparaison établie entre un passé fantasmé comme idyllique et un présent qui ne porte pas à l'enthousiasme débridé, les choses, effectivement, objectivement, « allaient mieux avant ».

Pour le coup, le vieux con en question resterait vieux, certes, mais peut-être un peu moins con qu'annoncé…

C'est tout le sens de la formule, dont j'ignore l'auteur, que j'ai trouvé sur Google en tapant le mot « nostalgie » :

« La nostalgie revient lorsque le présent n'est plus à la hauteur du passé ».

Ce qui nous amène à l'autre question sous-entendue :

 

La nostalgie est-elle l'unique remède ?

Mais l'unique remède à quoi ? Contre quoi ?

 

Eh bien, justement, contre la dureté des temps que nous vivons, une réaction contre une société anxiogène qui semble craquer de partout, contre l'impression, justifiée ou non, que « tout fout le camp », contre les effets des crises diverses qui nous assaillent et alimentent notre peur de l'avenir.

Le fait est qu'un espoir raisonnable dans le futur n'étant apparemment pas à l'ordre du jour, le repli sur le passé peut effectivement apparaître comme le seul palliatif concevable, si l'on excepte la prise de drogues dures ou d'anxiolytiques, ou le naufrage dans l'alcool.  

(Choisis ton camp, camarade !).

Est-ce à dire que, pour autant, le passé sur lequel on se penche avec nostalgie ait été exempt de drames et de tragédies ? Non, bien sûr, mais il présente au moins le formidable avantage en tant que passé, de nous être parfaitement connu, et à ce titre il a ceci de rassurant qu'il ne peut définitivement plus mordre ni occasionner plus de dégâts qu'il n’en a causés lorsque lui-même s'appelait le présent.

D'ailleurs, ne lui avons-nous pas survécu ?

 

Voilà. Ça, c'était pour la nostalgie individuelle, la nostalgie envisagée comme plaisir solitaire.

Disons un mot pour finir de la nostalgie collective.

 

La médiatisation de la nostalgie (ou mémoire commune).

 

Chose absolument impensable dans les époques passées, il existe depuis maintenant plus d'un siècle une extraordinaire batterie de machines à remonter le temps :

la photographie, les enregistrements sonores et, naturellement, le cinéma.

Le précieux archivage de ces bandes jaunies, la prolifération d’émissions rétrospectives, de célébration, de commémoration, d'anniversaires en tout genre. Les rubriques radio-télé de type « c'était bien » fleurissent.

 

Petit relevé non exhaustif pour les seuls 10 derniers jours :

-Il y a 50 ans : Gagarine et le premier vol spatial humain. Le lancement du paquebot France.

-Il y a 43 ans : Apparition de la publicité à la télé.

-Il y a 30 ans : Inauguration du premier TG V.

-30e anniversaire de la mort de Georges Brassens, de Marcel Pagnol.

- Dans un registre moins souriant, les 25 ans de Tchernobyl.

Sans oublier le rappel quasi obligatoire de la coupe du monde de football de 1998 (à ranger au rayon de nos gloires passées) dont on nous rebat périodiquement les oreilles.

 

Pour ce qui est de la chansonnette, le regretté Pascal Sevran fit en quelque sorte oeuvre de pionnier avec son émission qui passait en revue la chanson populaire française depuis Berthe Sylva jusqu'aux yé-yés inclus, à destination d'un public bien ciblé suivant les tranches d'âge.

Sur les ondes, il y a naturellement Radio Nostalgie, la bien nommée, entièrement consacrée à ce genre d'exercice.

 

Le marché de la nostalgie.

 

On assiste à l'utilisation publicitaire de figures populaires appartenant au passé avec bandes- son détournées de leur contexte original.

-Fernandel et Galabru (jeune) pour vanter les mérites de l’huile Puget.

-Sir Alfred Hitchcock soi-même pour vanter je ne sais plus quoi.

 

La palme du jésuitisme outrancier revenant sans conteste aux deux spots publicitaires qui nous présentent les fantômes bien vivants de Marilyn Monroe et de John Lennon (bande-son non détournée et dûment sous-titrée) qui nous engagent-un comble !-à ne pas vivre dans le passé !

 

Est-ce genre de paradoxe temporel qui dès 1976 inspira à Simone Signoret le titre de son livre de souvenirs : « La nostalgie n'est plus ce qu'elle était ? »

 

Le débat est ouvert.

 

Jean – (Oscar-Léonard !)

 

 

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sens litterature

L’idée* de progrès

Par Luca

 

*Idée   - représentation de la pensée  

   - objet de pensée (et non terme logique)

    - concept, en tant qu’objet de pensée

 

L’idée de progrès apparaît comme l’une des prérogatives incontournables de la modernité. Non sans raison certains la considèrent la vraie “religion de la civilisation occidentale ».

 

I. Etymologie, définitions du mot progrès

 

- le progrès c’est «ce qui marche en avant » (Fort-schritt).

 

- c’est la transformation graduelle du moins bien au mieux.

Il cumule les étapes dont la dernière est toujours considérée préférable et meilleure que la         précédente.

 

- « progrès » est un terme essentiellement relatif, puisqu’il dépend de l’opinion et de l’échelle de valeur de celui qui le pense.

« Le progrès » pris absolument  est une expression très employée ; on en fait souvent une sorte de nécessité historique ou cosmique. Ou alors une finalité collective qui se manifeste par les transformations des sociétés. Encore faudra-t-il déterminer la direction et le sens d’un tel mouvement.

 

II. Notions historiques

 

A. Christianisme: progrès intérieur

 

- L’idée d’un sens de l’histoire, d’une marche ascendante de l’humanité suivant le dessin de Dieu est spécifiquement chrétienne. Le progrès est ici avant tout moral. Le péché est sa face négative.

 

- St. Augustin illustre ce progrès moral en comparant la suite des générations à un seul homme:

jeunesse ------------age adulte--------------maturité

 (absence de loi)     (époque de la loi)     (croissance spirituelle)

 

B. Lumières: progrès extérieur : la quête de bonheur immédiat remplace le salut.

 

- Afin de parvenir à une formulation moderne, l’idée de progrès avait besoin d’éléments supplémentaires et ceux-là apparaîtront dès la Renaissance  pour s’affirmer en force à partir du XVII siècle.

Les découvertes géographiques et astronomiques auront éveillé des réactions aux théories chrétiennes, la sécularisation culminant en les Lumières aura transformée l’idée d’une croissance spirituelle en celle d’un développement des techniques.

L’idée de progrès technique se résume ainsi : nous en saurons toujours de plus en plus, donc tout ira de mieux en mieux.

 

- Mais le progrès est-il linéaire (chrétien) ou présente-t-il des discontinuités ?

   - pour Leibniz le progrès présente une infinité de mouvements  partiels: +, -, =

   L’humanité connaît des arrêts, des détours, des chutes.

 

- Au XIX siècle l’idée que l’humanité devient de jour en  jour meilleure et plus  heureuse est particulièrement répandue. La foi en la loi du progrès est la vraie foi de l’époque.

Cette idée de progrès quantitatif et laïc, complètement émancipé de l’idée de progrès intérieur a rapidement  engendré des idéologies absolutistes: de Robespierre et la Terreur (si l’humanité a comme but nécessaire le progrès, quiconque voudrait l’entraver pourra être légitimement supprimé) en passant par Napoléon, Staline, Hitler, le colonialisme, voire le racisme.

 

- En des temps plus récents, tout au long du XX siècle et jusqu’à nos jours l’idée de progrès a engendré une sorte d’idolâtrie de tout ce qui est neuf : toute nouveauté est a priori meilleure par le seul fait qu’elle est neuve.

Cela deviendra très vite l’une des obsessions de la modernité. Même le domaine artistique ne sera épargné par cette tendance qui débouchera dans la notion “d’Avant-garde”.  

 

III.  Critiques  

 

à partir du début du XX les illusions romantiques du progrès de heurtent de plus en plus à des contre-idéologies.

 

A. Les illusions (romantiques) du progrès se résument à :

 

1.   identification de l’accroissement des connaissances induisant un progrès moral.

2.   identification du progrès des sciences induisant un progrès social.

 

B. Contre-idéologies

 

1.   le progrès est une idéologie bourgeoise (richesses, pouvoir)

2.   elle dénonce les « bardes du progrès » et « l’hallucination du progrès »

3.   l’évolution ne se conçoit pas en étapes successives; la réalité est autrement variée. Les relations des choses ne sont pas sur un plan, mais dans l’espace.

 

IV. Crises

 et aujourd’hui ?   quelles sont les questions décisives ??

 

1. quelles communes mesures établir entre les gains et les pertes lorsque, (par ex.) une société industrielle succède à une société agricole ?

 

2. pour Karl Popper la croyance en un avenir axé sur le progrès (comme au XIXs.) comporte des éléments irrationnels. Derrière l’idée que le changement est régi par des lois immuables se cache la peur de ce changement.

 

3. quand on parle du progrès ne restreint-on pas cette notion à l’histoire du monde occidental ?

 

4. pour Lévi-Strauss le progrès n’est ni nécessaire ni continu. Qualifiées par leurs diversités culturelles les différentes sociétés ne convergent pas vers le même but. (= même « progrès »)

 

5. l’idée de progrès économique libéral très présente dans notre époque est bien à l’origine de la séparation des consciences et de nombreuses difficultés sociales.

 

Conclusion

 

Peut-être qu’aujourd’hui nous pourrions essayer de redéfinir l’idée de progrès dans le sens d’une évolution du simple au complexe, de l’homogène à l’hétérogène, de la concordance à la diversité.  Les conditions du progrès de transforment alors sensiblement.

Au XX siècle les totalitarismes et les deux guerres mondiales ont de toute évidence évincé l’optimisme des siècles précédents pour laisser la place à une grande désillusion : l’avenir, qui paraît désormais imprévisible, inspire davantage de craintes et d’inquiétudes que d’espoir. Nous sommes loin des « lendemains qui chantent ».

 

L’idée d’un progrès unitaire est battue en brèche. On sait que les progrès enregistrés dans un domaine précis ne se répercutent pas automatiquement dans les autres domaines. Très souvent on constate l’inverse. L’urbanisation excessive a multiplié les problèmes sociaux et l’industrialisation incontrôlée s’est traduite par une dégradation sans précédent du milieu naturel et de notre environnement.

Nous voyons bien que dans les biotechnologies même le savoir n’est plus en syntonie avec l’idée de progrès mais que, au contraire, il peut représenter une menace.

De plus en plus dans notre société on commence à comprendre que PLUS n’est pas synonyme de MIEUX. On distingue de plus en plus entre AVOIR et ETRE, entre le bonheur matériel et le bonheur tout court.  

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Lucrèce (60 av. JC): le progrès consiste en une régression parce qu’il affaiblit les aptitudes naturelles et multiplie les faux biens.  

Baudelaire voyait en le progrès: « un fanal obscur »

 

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Le matérialisme.

Par Jean-Luc

 

Descartes avait pensé établir la nature duelle de l’homme : la « substance pensante » se trouvant différenciée de la « substance étendue », cad matérielle. Progressivement cependant, s’imposera l'idée d'un paradigme scientiste de la connaissance : tout s’explique, car tout dans l’univers est matière, tout répond à des lois. Un pur esprit immatériel est par conséquent impossible et donc impensable, puisque tout ce qui est, l’est en fonctions de lois qui, en tant que telles, sont connaissables et ces lois naturellement ne peuvent agir que si un être matériel en est le support et les incarne, que si, en quelque sorte, l’existence précède l’essence.

De fait, suite à Descartes, les esprits dits rationnels s'étaient finalement accordés sur un pur monisme : il n’y a plus qu’une sorte de substance, la matière, préalablement définie comme "substance étendue", puisqu’une loi sans support matériel pour la mettre en application  est absurde et qu'une substance matérielle qui serait hors du champ explicatif le serait tout autant; d’Holbach, qui eut son heure de gloire au XVIIIe siecle, ira jusqu’à écrire : « Puisque l’Homme, être matériel, pense réellement, il s’ensuit que la matière a la faculté de penser. » Ainsi, tout est matériel, y compris la pensée, puisque celle-ci n’est en quelque sorte qu’une excroissance de la matière et ne saurait avoir d’autonomie par rapport à celle-ci. Dès lors, si la matière ne peut être pensée qu’à partir d’elle-même, qu’est donc cette pensée qui ne pourrait avoir d’autonomie par rapport à la matière ? Une pure mais exhaustive description, puisque le monde est conçu comme une machine. Dès lors, la matière, pour être connue a certes besoin du secours de la pensée, mais d’une pensée cependant elle-même produite par la matière, et pourtant supposée totalement à même de connaître cette matière dont elle est par ailleurs en totale dépendance. C’est sur cette base pour le moins incertaine que se construiront le scientisme et le positivisme, armes de l’humain pour lui donner, pensait-on alors, la clé de la compréhension complète des choses.

Ce monisme matérialiste a été par le suite repris par les marxistes en l’appliquant également aux sciences humaines: est à nouveau affirmée la thèse du primat de la matière. « L’esprit n’est lui-même que le produit le plus élevé de la matière », Engels. Et Lénine ajoutera, dans Matérialisme et empiriocriticisme : « la question – entre matérialisme et idéalisme – est ainsi tranchée en faveur du matérialisme car le concept de matière ne signifie  que ceci: la réalité objective existe indépendamment de la conscience qui la réfléchit ». Et il ajoutera plus loin, «  c’est la matière qui pense ». Et puisque la matière, réalité objective, ne saurait se tromper elle-même, il suffit d’en connaître ce qui en fait la réalité pour en modifier ses déterminismes réels ou supposés. Ce en quoi réside l’illusion du marxisme : il suffit de modifier les rapports de production pour modifier la pensée.

On part donc à nouveau du présupposé que matérialisme = déterminisme = connaissance complète possible de ces déterminismes et action possible sur ceux-ci…par une pensée cependant elle-même déterminée par la matière. Modifier les conditions dans lesquelles ces déterminismes apparaissent suffirait à pouvoir changer le cours de l'Histoire.

Il semble donc logique de considérer que si tout n’est que matériel, il soit d’une d’une rigoureuse nécessité que la connaissance puisse tout englober. La pensée doit pouvoir comprendre entièrement la matière, en tant que forme unique de la réalité, dont elle résulte et qui l’englobe toute entière. Car sinon, ce serait poser l’existence d’un absolu, inatteignable à la connaissance, chose que le matérialisme, surtout dans sa variante marxiste, récuse.

Où l'on voit que toutes ces théories qui avaient paru si séduisantes à leurs contemporains n’ont fait que déboucher sur un nouveau mysticisme, l’horizon indépassable qu’il s’agissait d’atteindre se révélant être cet absolu dont on niait toute existence possible.

On peut tout au plus vivre avec la croyance que ce qui est de l’ordre du monde physique puisse un jour être connu dans sa totalité, mais que ce qui relève de la production culturelle et éthique de l’humanité reste à jamais marqué du sceau de la subjectivité. Comment rendre compte du beau, du bien, du vrai, de la bonté, de l’humanisme, des droits de l’homme par une définition « valable universellement sans concepts » Kant. ? La seule universalité, c’est que chacun a un ressenti du beau, du vrai, du juste, sans qu’il ne puisse le définir de façon objective. Thomas d’Aquin avait fait une distinction subtile entre ce qui est dit « ad rem », la chose ou le concept défini, et ce qui est dit « ad enuntiabile », ce qui est dit en référence à la définition. Celle-ci est toujours relative, concerne la personne plus que la chose, même si la chose ne l’est pas. La subjectivité ne peut s’inclure dans l’objectivité et la pensée est toujours au-delà de la matière.

Ainsi expliquer l’idée par la matière (rationalisme, version XVIIIe siècle), le corps et ses pulsions (freudisme) ou par l’organisation économique de la société (marxisme) revient à concevoir un nouveau mysticisme, le processus d’une« ascension sans fin de l’inférieur vers le supérieur » comme le reconnaît Engels, fondé sur une nouvelle hiérarchisation mettant la matière inerte au fondement de la pyramide, laquelle hiérarchie n’est qu’un jugement de valeur mettant certes l’idée au sommet de la pyramide, mais une idée non autonome, conditionnée, « décidée » par son environnement matériel. Et en effet, si l’on affirme que la matière est la totalité de l’existence, comment quelque chose pourrait-il s’en échapper et donner un plus aux choses existantes ? Le matérialisme débouche sur une métaphysique sans transcendance ou pourra-t-on dire, un métamatérialisme fondé sur la primauté de la volonté, volonté non pas libre, mais juste capable de modifier les conditions supposées immuables qui immanquablement engendrent tel ou tel déterminisme.

Si cependant la liberté humaine a un sens, on ne peut que refuser ces conceptions mécanistes.

La pensée est conscience, intentionnalité, et après seulement volonté. La matière brute n’est rien de tout cela, elle est cet être sans conscience, sans volonté, indifférent qu’étudient les scientifiques. La matière sans l’homme est telle un cadavre. Si l’on admet que la matière précède la pensée, il est faux de dire que la matière possède la pensée et la dirige. Penser la matière c’est se référer à la pensée. L'étudier dans son fonctionnement ne veut pas dire que ce fonctionnement soit celui de la pensée. La matière agit en nous, mais ne nous conditionne pas.

 

Ainsi Spinoza : « Ce n’est pas nous qui affirmons ou nions quelque chose d’une chose, mais c’est elle-même qui en nous affirme ou nie quelque chose d’elle-même ». Dans cette définition, le monisme se trouve affirmé, mais ne débouche sur aucun dogmatisme rigide, sur aucun paradigme mécaniste. Nous sommes unis aux éléments, mais après nous agissons en fonction de l’interprétation que nous en faisons. Pour reprendre le discours cartésien, il n’y a pas la substance pensante ET la substance étendue, l’une étant absolument indépendante de l’autre, mais les 2 sont en corrélation étroite. C’est la substance étendue qui donne matière à penser, mais ne saurait en aucun cas déterminer la substance pensante, la diriger de façon rigide comme l’instinct guide l’animal. D’ailleurs cette distinction est complètement factice. Si Descartes avait été plus attentif à son environnement, il se serait aperçu que sa fameuse substance étendue ne peut être vue sans lumière. Or qu’est-ce que la lumière, sinon une pure réalité physique, sans « étendue «  cependant ? Et ainsi, on voit ! bien qu’il n’y a pas l’objet, le ça, qui détermine le moi, le sujet, mais que l’objet et le sujet sont un tout, forme une complémentarité. Ce qui s’oppose au matérialisme, le ruine, est la réalité bien plus que l’idéalisme. Car quelle matérialité ont, non seulement la lumière, mais la gravité, les champs magnétiques, les ondes, les rayons laser, etc… ? Pourtant tout cela existe bien. Et enfin, la physique quantique aura jeté définitivement le matérialisme au rayon des brocantes intellectuelles. De quoi s’agit-il ?

 

« La mécanique quantique a repris et développé l’idée de dualité onde-corpuscule introduite par de Broglie en 1924 consistant à considérer les particules de matière (La matière est la substance qui compose tout corps ayant une réalité tangible. Ses trois états les plus communs...) non pas seulement comme des corpuscules ponctuels, mais aussi comme des ondes, possédant une certaine étendue spatiale (voir la mécanique ondulatoire). Bohr a introduit le concept de complémentarité pour résoudre cet apparent paradoxe : tout objet (De manière générale, le mot objet (du latin objectum, 1361) désigne une entité définie dans un espace à trois dimensions, qui a une fonction précise, et qui peut être désigné par...) physique est bien à la fois une onde (Une onde est la propagation d’une perturbation produisant sur son passage une variation réversible de propriétés physiques locales. Elle transporte de l’énergie sans...) et un corpuscule, mais ces deux aspects, mutuellement exclusifs, ne peuvent être observés simultanément[1]. Si l’on observe une propriété ondulatoire, l’aspect corpusculaire disparaît. Réciproquement, si l’on observe une propriété corpusculaire, l’aspect ondulatoire disparaît. »

 

Ainsi, même dans le domaine de la connaissance, réapparaît le primat du sujet sur l’objet, de l’observateur sur l’objet observé, de la conscience sur la supposée réalité objective. Ce qui est cohérent et juste, car c’est à l’homme de définir une finalité, de donner un sens à la nature, qui par elle-même, n’en a pas. Cela est le rôle de la culture, dont il n’a pas à rechercher des déterminismes qui existeraient en soi, qu’ils nous suffiraient de découvrir pour créer un ordre harmonieux. L’homme n’est que volonté ; il est ce promethée qui doit créer la civilisation et la culture, cad ce qui complète la nature mais certainement pas ce qui la supplante. Car l’homme, être de pensée, doit trouver sa place dans le monde dont il n’est ni « maître, ni possesseur », qui n’est pas un monde mécanique, une machine, mais qui doit lui-même s’appréhender comme une pensée. L’homme, qui est raison et finalité car il est une conscience, complète un monde qui n’est que raison. De cela, nous pouvons déduire que l’essence précède l’existence, ce qui implique la complète autonomie et la totale liberté de pensée de chaque individu

 

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La question de l’Origine

13 avril 2011

 

L’origine a une double dimension

 

L’origine, c’est l’explication de la formation, genèse ou naissance de quelque chose, que ce soit les pensées, les actes, les situations, les choses de la nature ou l’univers. Par exemple, l’origine de l’Inégalité (Rousseau) est l’explication de la genèse du fait inégalitaire dans la société.

Cette explication a une double dimension :

- Spatio-temporelle, qui se réfère à où et quand se forme la chose en question, par exemple où et quand se lève le soleil : à l’orient (même racine qu’origine) et à l’aube. C’est l’origine-commencement.

- Logico-explicative, qui se réfère à pourquoi et comment se forme la chose en question, par exemple le lever du soleil : char d’Apollon ou rotation de la terre. C’est l’origine-causalité.

 

L’origine est arbitraire

 

« Ex nihilo, nihil fit », disait Parménide. En effet, tout se transforme, l’énergie, la matière et le mental. Toute apparition de quelque chose représente la disparition d’autre chose, avant, ailleurs ou autrement. L’origine est ainsi relative et ambiguë dans sa causalité et son commencement, car toujours à la fois résultat ou effet, terme ou fin : elle est essentiellement arbitraire.

 Par exemple, l’origine d’un événement historique est arbitraire. Les causes prochaines (dépêche d’Ems ou attentat de Sarajevo) sont précises mais peu explicatives, et les causes lointaines (rivalité franco-allemande) sont explicatives mais peu précises.

De même, l’origine de la Philosophie est arbitraire. Qu’elle soit née sur les bords propices de la Méditerranée, vers le 6ème siècle avant notre ère, renvoie à une explication historique (institutions politiques) et géographique (climat, communications) plus vaste. Mais également, l’émergence d’un étonnement rationnel devant la Nature autonome, et non plus animée par les dieux, implique une opulente oisiveté, et le jeu complexe de nombreux facteurs neuropsychologiques et socio-économiques.

Ou encore, au sein du cycle de la vie, situer l’origine de l’être humain dans la naissance, l’un des stades embryonnaires, la fécondation, ou la gamétogenèse à partir du germen, est biologiquement arbitraire, même si juridiquement ou affectivement justifié.

Tout comme la définition, qui est délimitation incomplète de quelque chose, l’origine effectue une coupure relative, une séparation ambiguë dans le continuum des phénomènes mentaux et matériels, qui est objectivement arbitraire, même si elle peut être subjectivement ou pratiquement efficace.

 

L’origine pertinente est celle de la différence

 

Tout est à la fois permanent et changeant, stable et instable.

Du Même, éternel et immuable, la métaphysique rend traditionnellement compte à travers ses concepts d’Être (Parménide), d’Idée (Platon) et d’Essence (Aristote : cause formelle et finalité). Pour sa part, la science comporte de nombreux invariants dans sa description des phénomènes, par exemple la conservation de l’Énergie ou de la Quantité de Mouvement en mécanique, et en biologie, la constance du Gène au fil des générations. La Nature qui est engendrement, produit toujours du même : de la même graine ou du même œuf sort toujours la même plante ou le même animal. Pour la métaphysique, l’origine du Même représente l’explication véritable de la formation du réel. Dans cette perspective, l’origine relève d’un « tout finalisme », de même que pour une certaine biologie, l’origine des êtres vivants se rapporte à un « tout génétique ».

Du Différent, la métaphysique rend traditionnellement compte à travers ses concepts de Devenir (Héraclite), de Réel sensible (Platon) et d’Existence (Aristote : matière et mécanisme). De son côté, la thermodynamique privilégie les aspects de changement et d’instabilité, voire de dissipation de l’Énergie, de même qu’une nouvelle biologie (Kupiec, Ameisen) met l’accent, dans le fonctionnement même du génome, sur la variation aléatoire sélectionnée, sur l’innovation adaptée à l’environnement.

Rendre compte de l’apparition du changement est la tâche particulièrement ardue de la démarche scientifique. C’est en effet au niveau des discontinuités, des fluctuations aléatoires, et de l’émergence d’organisations plus complexes, que se situent encore les principales inconnues, délimitant du même coup les différents champs scientifiques : L’origine de l’univers en physique, celle de la vie en biologie, du mental en psychologie et du sociopolitique en sociologie. Pour la science, c’est l’origine du Différent qui représente l’explication véritable, la seule pertinente, du réel en formation, en tant que changement, voire originalité au sein de la permanence. La difficile explication scientifique des mécanismes de formation de ce qui existe, contraste avec la facilité métaphysique d’explication du Même par le Même.

Une des facultés fondamentales du cerveau humain est de se faire en permanence une cohérente représentation « invariante » du réel. C’est même la « stabilité » de la perception de quelque chose qui rend plausible sa réalité. Cette faculté est mise en œuvre aussi dans les activités mathématique et artistique, par exemple. Alors, une telle représentation stable sert de référence pour la détection du changement, ainsi facilitée, et pour sa bonne compréhension, changement qui va s’y intégrer en retour de façon cohérente. Ce qui contribue à l’efficacité du comportement et de l’action.

 

Rapport entre origine scientifique et origine métaphysique

 

L’origine scientifique d’un objet, mental ou matériel, est le Comment de sa trajectoire, spatio-temporelle ou mentale. Ce Comment, traduisant les propriétés matérielles et les mécanismes de fonctionnement, se formalise habituellement par une fonction de facteurs ou de motifs, intérieurs à l’objet ou au phénomène considéré. Dans le cas des systèmes dynamiques complexes, sensibles aux « conditions initiales » de chaque étape, la trajectoire relève d’un déterminisme probabiliste, imprédictible.

L’origine métaphysique de quelque chose est son Pourquoi, son Essence, c'est-à-dire sa cause formelle et sa finalité, éléments extérieurs à l’objet ou au phénomène considéré. Cette question est intimement liée à la théologie monothéiste, car Dieu créateur est la cause première et finale de tout. Mais la métaphysique kantienne remplace Dieu par les Catégories mentales a priori du Sujet, puis Nietzsche remet en cause décisivement la métaphysique et la Raison absolue, même subjective.

Par la suite, la philosophie contemporaine s’est déployée en marge de la métaphysique kantienne, en particulier à l’occasion de la découverte de la Géométrie non-euclidienne, dont les axiomes pouvaient difficilement faire partie des Catégories a priori. Pour les deux grands courants contemporains, la question du Pourquoi finaliste n’a plus aucune pertinence : La philosophie analytique (Frege, Russell, Wittgenstein et Carnap) s’occupe principalement de la logique du langage, à partir de tout système d’axiomes donné, et l’existentialisme phénoménologique (Husserl, Heidegger, Sartre), libère l’être humain du joug de son Essence. Par ailleurs, la philosophie des sciences, dont la jeune neuro-philosophie,  étudie la valeur de chacune d’elles et la validité de ses résultats.

Ainsi, sur le sujet particulier de l’origine, comme de tous les autres d’ailleurs, il y a antagonisme total entre la métaphysique et la science, cette dernière n’accordant aucune valeur à la question même du Pourquoi. Par contre, il existe une féconde complémentarité entre la science et la philosophie des sciences, cette dernière contribuant à renforcer l’efficacité de l’explication scientifique, à travers trois grands rôles : épistémologie, éthique et liaison entre les différents savoirs.

 

L’origine absolue de tout est-elle vraiment nécessaire ?

 

Oui, affirme la métaphysique, par nécessité logique : Pour éviter la régression à l’infini de l’enchaînement causal, il faut bien postuler une cause première de tout.

Cependant, comme le fait encore remarquer Comte-Sponville, postuler une origine absolue pour échapper à une incomplétude logique ou une insatisfaction rationnelle, ne la prouve en rien. Ensuite, l’existence du désordre et du mal dans le monde, est incompatible avec une origine absolue de tout, qui ne pourrait être nécessairement que rationnelle et bonne.

D’autre part, la physique ne dit toujours rien sur l’origine de l’univers elle-même. La théorie du big-bang décrit la trajectoire de l’univers de façon efficace et vérifiée, mais pas jusqu’à l’instant zéro ; juste avant, en effet, elle bute contre le mur de Planck, qui représente en quelque sorte les « atomes » d’espace (10-35 mètre) et de temps (10-43 seconde). Alors, toutes les pistes de recherche théorique en cours abolissent l’instant zéro de notre univers, en envisageant d’autres mondes préexistants, comme un vide quantique, une « brane » flottant dans un espace-temps à 10 dimensions (Supercordes) ou un univers en contraction rebondissant sur lui-même. Actuellement donc, pour la physique, la question de l’origine de l’univers reste ouverte.

Finalement, une origine absolue de tout pourrait-elle vraiment être accessible à la Raison ? D’abord, elle serait elle-même sans origine spatio-temporelle ni causalité, et donc inintelligible. Ensuite, la Raison humaine fait partie intégrante de l’univers, et en vertu du théorème d’incomplétude de Gödel, elle ne pourrait pas comprendre l’origine d’un tout qui la contienne, ni démontrer son existence. Il s’ensuit que la question de l’origine absolue de tout n’est pas une exigence de la Raison, qu’elle n’est pas vraiment rationnelle. L’origine absolue est bien plutôt un autre exemple « d’idéal de l’imagination », ou alors une question de Foi, dans laquelle on doit au moins reconnaître que Dieu, comme créateur ex nihilo de l’univers, serait encore plus incompréhensible qu’une théorie physique.

Dans la pensée chinoise ancienne (Catherine Jami, François Jullien), il n’y a pas de Dieu créateur, ni de Cause première extérieure à l’univers. Concernée surtout par le pragmatisme social, cette pensée s’intéresse peu à la métaphysique. Elle rend compte du Monde en termes de processus, de transformations, et non en termes de causes ni de finalités, ce qui ressemble à la démarche scientifique occidentale. À l’origine de tout, il y a un principe général immanent, le Tao, différencié en deux « énergies » opposées, le Yin et le Yang. Ces « énergies » ont formé par combinaison tout ce qui existe dans le monde, considéré comme un devenir continu « d’énergies » recomposées.

 

L’origine n’est-elle pas un « construct » mental ?

 

On peut se demander finalement si l’origine ne serait pas un pur « construct » mental, c'est-à-dire un genre d’artefact cérébral, dans ses deux dimensions, spatio-temporelle et explicative.

En effet, la réalité de l’espace-temps conserve une certaine ambiguïté, une incertitude, en fonction des différentes théories physiques en vigueur : contenant absolu ou relatif à son contenu, existence substantielle ou relationnelle, réel de nature corpusculaire ou onde sans origine. Cependant, l’existence des limites fondamentales d’espace et de temps de Planck, rend sans doute possibles la vitesse, le mouvement et l’origine.

Le Pourquoi des choses, qui renvoie à leur extérieur, aussi bien dans sa composante causale formelle (plan, conception, dessein), que dans sa composante causale finale (but, finalité, objectif), apparaît bien comme ne faisant pas partie du réel, ni matériel ni mental. S’il est ignoré par la science, ce n’est pas par répartition des thèmes ou des tâches avec la métaphysique, mais bien parce que considéré comme une illusion, voire une « superstition » (Wittgenstein).

Alors, « l’origine » ne serait-elle pas un concept construit par le cerveau, plutôt qu’un concept extrait de la réalité, à la manière de bien d’autres constructions mentales, par exemple les couleurs ou les objets mathématiques, l’infini ou l’éternité, ou encore la liberté ? Tout comme ces divers constructs mentaux, « l’origine » est une composante efficace de la représentation des choses et des phénomènes, fondamentalement avantageuse pour le comportement de survie, comme la « rencontre » avec les aliments et les partenaires sexuels.

Si l’on adopte la nouvelle perspective neuropsychologique (Jean-Luc Petit), c’est par l’action que le cerveau-sujet met de l’origine, c'est-à-dire de la causalité spatio-temporelle et factorielle, dans le Monde, qui en acquiert dès lors son sens relationnel ordonné. Le sens des choses et des phénomènes ne provient pas d’un illusoire Pourquoi, mais bien du sens de l’action elle-même : C’est l’action de vivre qui donne son sens à la vie, de même que c’est l’action déclarative de la Liberté autonome de l’être humain qui est l’origine de la Dignité et de l’Autorité humaines.

Les résultats des expériences neuropsychologiques de Libet (1985) et de Soon (2008) montrent que la décision non-consciente d’une action précède d’un dixième de seconde sa prise de conscience. Que peut donc être l’origine de la décision mentale d’agir, que phénoménologiquement on désigne par l’intention et l’attention ? Le cerveau, jamais au repos complet, possède à travers ses neurones la propriété spécifique de s’auto-activer, et l’activation ainsi « spontanée » des zones cérébrales du soi-mémoire, impliquées dans les motivations rationnelles et affectives, rend compte de l’origine non-consciente de l’intention, qui devient très rapidement consciente à travers le mécanisme « d’amplification attentionnelle » (Lionel Naccache). Ainsi, décision non-consciente et action consciente vont-elles toujours ensemble, de façon solidaire à un dixième de seconde près, un peu à la manière du châssis et de la carrosserie d’une voiture.

 

Patrice.

 

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L’amour est-il une illusion ?

 

30 janvier 2013

 

Comment la Philosophie peut-elle être utile au sujet de l’amour ?

 

Une définition philosophique de l’amour, qui serait son « essence », sa raison suffisante, est particulièrement difficile à trouver dans l’histoire de la Philosophie, car, effet de sa richesse, on en retire d’innombrables conceptions disparates : depuis la manifestation d’un manque jusqu’à l’aliénation altruiste, en passant par la tranquillité émotionnelle !

De plus, « autrui » est un concept relativement récent, puisqu’il apparaît comme tel avec Hegel, et sa dialectique des consciences de soi et d’autrui. Par la suite, dans la pensée contemporaine, il se met à occuper une grande place, et pas toujours positive : Sartre pense que le regard infernal de l’autre, médiateur entre moi et moi-même, me transforme en objet. Par contre, dans le courant de pensée « altériste », autrui tient une place décisive : Pour Lévinas, « je suis un hôte » ontologiquement, qui dois accueillir autrui en responsable, tandis que, de son côté bien chrétien, Ricoeur considère « soi-même comme un autre », en envisageant la « vie bonne » avec et pour autrui.

Cependant, il est possible de regrouper à peu près l’ensemble des réflexions occidentales sur l’amour (Comte-Sponville, « Le sexe ni la mort », 2012), autour de  trois  grands pôles conceptuels situés entre le manque d’âme et sa plénitude : l’amour-désir platonicien, qui est manque-motivation, l’amour-désir spinoziste, qui est puissance-motivation, et l’amour-désir chrétien, qui est motivation-plénitude. Ces conceptions sont liées à des visions différentes du monde et de l’être humain, mais elles considèrent toutes l’amour comme le moteur de la pleine réalisation de soi : Véritable « passeur » de l’âme vers la plénitude, l’amour lui permet de poursuivre son propre bien, directement « ici et maintenant », ou bien indirectement « ailleurs et plus tard ».

L’apport récent des sciences neurocognitives permet un renouvellement du questionnement sur l’amour.

 

L’amour-désir, comme manque-motivation

 

L’amour selon Platon s’inscrit dans sa théorie d’un double monde, celui apparent des choses sensibles et celui réel des idées intelligibles, et donc d’un être humain éclaté entre le corps et l’âme : L’amour-désir (Éros), démon fécond selon la chair et l’esprit, représente ainsi comme sa mère Pénia, un manque qui motive la relation à autrui, et l’élévation de l’âme vers la plénitude de l’être et la contemplation de la beauté. Éros comme son père Poros, fait bien « passer » de l’apparence vers la pleine vérité du réel, amour qui atteint dès lors le beau et l’absolu, à la manière du véritable amour conjugal, selon Jacques de Bourbon-Busset. On retrouve là l’idéal de la fusion unitaire, comme accomplissement de l’amour, directement issu du mythe platonicien des androgynes.

Mais cet amour de possession passionnée comporte les risques de souffrance par manque, et d’ennui par satiété : Pour Schopenhauer, l’amour n’est rien d’autre que l’instinct sexuel, ruse de la nature pour engendrer et se perpétuer. Étant seulement plaisir et volonté de survivre, et sombrant nécessairement dans l’ennui, « l’amour, c’est l’ennemi ! », lance ce philosophe peu optimiste. Cependant, selon sa dimension neuro-hormonale assez bien connue maintenant, l’amour-passion ne peut guère durer qu’un temps, autour de deux à trois ans. Il se transforme habituellement en un lien d’attachement qui, lui, peut être plus durable. Michel Onfray rappelle que pour durer, l’amour, « nominaliste et multiforme », doit réussir son aménagement spécifique dans chaque cas.

 

L’amour-désir, comme motivation-plénitude en Dieu

 

Se rattachant à la vision platonicienne de l’amour sublimé du beau et du vrai, l’amour de charité chrétienne (agapé) s’inscrit dans la représentation d’un monde double, Terre et Ciel, créé par Dieu, et donc d’un être humain déchiré dans son corps et son âme, entre la vie terrestre et la vie céleste. Dans sa forme théologale la plus élevée, la charité se traduit par un désir de fusion mystique avec ce Dieu-amour, et d’altruisme envers son prochain en Dieu, aspirant à la pleine réalisation de soi au Ciel (Jean de la Croix).

Sur terre, cet altruisme bienveillant universel, exempt de toute concupiscence (Thomas d’Aquin), ne se pratique pas pour l’amour du prochain lui-même, ce qui serait de l’idolâtrie, mais bien pour l’amour de Dieu (Augustin d’Hippone), c'est-à-dire pour lui plaire, pour se conformer à sa volonté. Il s’accompagne alors tout naturellement de la prescription du don de soi ou de « l’oubli de soi » (René Barjavel), voire du renoncement à soi, avec l’envie de mourir pour hâter la fusion en Dieu (Simone Weil, Thérèse d’Avila). Mais, en même temps, cet amour de mansuétude angélique comporte les risques de rebuffade de la part d’autrui, et de frustration du corps.

 

L’amour-désir, comme puissance- motivation

 

Pour Aristote, l’être humain fait partie d’un monde réunifié, unique réalité, mais qui reste écartelé dans son dualisme hylémorphique de « puissance et acte ». L’amour (Philia) ressenti par « l’âme incarnée » est alors la joie qui accompagne la réalisation de sa propre nature, à l’occasion de ses relations familiales et sociales. Ce genre d’égoïsme « vertueux » se retrouve dans le narcissisme normal (Freud) et l’hédonisme raisonnable (Épicure), et peut comporter un souci de l’autre, comme dans l’amitié choisie des épicuriens, ou dans le « jouissez et faites jouir » de Michel Onfray.

De leur côté, se détournant de la passion amoureuse qui enchaîne et tourmente, les stoïciens préfèrent le détachement affectueux, genre d’amour digne et raisonnable, semblable au détachement compassionnel bouddhiste.

Dans cette même perspective, Spinoza conçoit l’amour comme un désir constitutif de l’être humain, son essence même, qui cherche à réaliser sa propre puissance et s’efforce d’obtenir pleine satisfaction pour soi-même, dans le respect d’autrui, comme l’exige Kant. L’amour spinoziste est ainsi « une joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure », par exemple le bonheur d’autrui, propose Leibniz ; et aimer, c’est se réjouir d’exister davantage du fait de quelque chose, en particulier de la présence d’autrui. Cette jouissance réjouie de pleine existence, de vie épanouie grâce à autrui, au sexe, à la science, au sport… serait bonne pour la santé, comme le remarque Descartes. Mais en même temps, un tel amour d’épanouissement joyeux comporte les risques d’insatisfaction par obstacle, et de tristesse par échec.

Cet amour spinoziste de joie désirante, qui contrairement au cartésianisme, maintient l’unité réelle de ses composantes corporelle et mentale, est actuellement tout à fait confirmé par les résultats des sciences neurocognitives. Et cependant, il finit par chagriner le neuropsychologue Antonio Damasio, qui le trouve bien esseulé, trop séparé d’autrui.

 

L’amour, comme puissance de satisfaction altériste

 

Pour se consoler pleinement, il suffit de replacer autrui au cœur même de l’amour spinoziste. Alors l’amour, plaisir joyeux, apparaît en réalité comme réflexif et altériste à la fois. À la manière de l’angelot symbolique, il est tout « bouclé ».

En effet, le psychisme en général est considéré comme un ensemble de processus réflexifs, en boucles d’aller-retour de soi à soi-même, passant par le monde intérieur et extérieur. Dans ce cadre, le processus particulier de l’amour peut être réellement décrit comme une boucle d’amour de soi passant par autrui. En quelque sorte, l’amour est un « alter-égoïsme-narcissisme-hédonisme », où la relation à quelqu’un d’autre, réel ou imaginé, normalement respecté pour lui-même, est absolument nécessaire. Sinon, il s’agit d’un plaisir solitaire ou fétichiste.

L’amour est ainsi une boucle agréable de passage par l’autre, sans don ni altruisme, avec retour de la satisfaction pour soi, comme cela est si souvent exprimé : Par exemple, le bon sens affirme avec Camus que « l’homme ne peut jamais aimer sans s’aimer » ; aimer, dit Alain, c’est « trouver sa richesse hors de soi », tandis que pour Breton c’est « rencontrer quelqu’un qui vous donne de vos nouvelles ». Et dans cette perspective, la pénombre d’un Lacan s’éclaire : « Aimer, c’est donner quelque chose qu’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas ».

Cette conception réflexive et altériste de l’amour représente une conciliation des « deux logiciels de l’être humain » (Edgar Morin), que sont l’égoïsme et l’altruisme, en les dépassant. Elle implique des mécanismes neuropsychologiques en boucle, comme par exemple, le processus interactif de projection-perception (Jean-Pierre Changeux), les circuits d’activation neuronale, dont celui de l’empathie (Jean Decéty), et la liaison cérébrale des sens de soi et d’autrui, ce dernier envoyant lui aussi signaux et stimuli.

Loin d’être une illusion, l’amour ainsi entendu est un réel sentiment de satisfaction, de bien-être, éprouvé dans et par une relation avec autrui. Qu’on l’appelle « amour de soi passant par l’autre », ou encore « relationnel caressant pour soi », il n’est guère qu’une autre façon de nommer le bonheur.

 

Patrice

 

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amour illusion
origine

 

La Raison est-elle un absolu ?

23 février 2011

 

Si on considère la Raison, faculté logique de connaître et de juger, depuis les référentiels suivants :

· Ontologie dualiste : Essentialisme aristotélicien (Cause formelle et finalité constituent le pourquoi des choses), avec l’être humain composé de deux substances irréductibles, le corps et l’esprit.

· Épistémologie subjectiviste : Idéalisme allemand (Connaissance catégorielle de Kant, Raison historique d’Hegel), Existentialisme (Raison consciente et libre, créatrice de soi), et Principe Anthropique fort (L’être humain est la raison d’être du Monde).

· Humanisme « transcendantal » (Luc Ferry) : L’Humanité représente des valeurs universelles, comme la Raison, l’Amour, la Liberté, les Droits de l’Homme…

alors, on peut facilement « croire » que la Raison humaine est un absolu.

La Raison est-elle absolue ?

La Raison humaine (Athéna), en lieu et place de la Nature (Spinoza : « Deus sive Natura »),  peut-elle vraiment avoir l’attribut de l’absolu divin : Deus sive Ratio ?

Et si oui, pourquoi pas aussi le Sentiment, la Poésie et l’Art (Deus sive Dionysos), ou l’être humain lui-même, l’Homme-Dieu de l’Humanisme transcendantal : Deus sive Homo ? Mais alors, l’être humain serait-il enfin la mesure de toute chose ?

On retrouve ici l’idéologie du Principe Anthropique fort : L’Univers s’explique par l’existence de l’Homme, être vivant doté de Raison consciente, qui en est la cause formelle et la finalité, l’alpha et l’oméga.

En réalité, les arguments en faveur du caractère absolu de la Raison humaine ne sont pas probants :

· Postuler le caractère absolu de la Raison pour échapper à la contingence causale, ne le prouve en rien. Une Raison absolue serait totalement inexplicable et inintelligible.

· Les désordres irrationnels et les horreurs déraisonnables sont incompatibles avec une Raison absolue, qui serait « horlogère » du Monde.

Par contre, le fait que la raison puisse « se perdre » manifeste bien sa dépendance envers ses conditions d’existence, ce qui est incompatible avec un caractère absolu.

La Raison est-elle intelligible ?

D’après Hegel, « tout ce qui est réel est rationnel » ; mais si toute la réalité est intelligible, pourquoi la Raison humaine, très réelle, ne le serait-elle pas aussi ?

Pour rendre compte de la Raison humaine, considérer qu’elle émerge directement de la matière vivante, c'est-à-dire du cerveau, est plus facilement parcimonieux que supposer qu’elle résulte de la « migration participative » d’une Raison divine, insatisfaite de sa perfection immobile. De plus, cette émergence de la matière vivante s’accorde bien avec le Principe Anthropique faible, qui exige que toute théorie de l’Univers explique aussi l’être humain. Dans cette perspective, la recherche scientifique jette actuellement les bases d’une naturalisation neurobiologique de la Cognition, par exemple les éléments d’une « Neuro-épistémologie » (Gerald Edelman), le rôle de l’inhibition dans l’intelligence mature (Olivier Houdé) et l’intelligence conçue comme une projection mémorielle efficace (Lilianne Manning), ainsi que les nombreux travaux en Neurophilosophie.

Certes, à ce jour, le mécanisme cérébral d’interface entre le neuronal et le mental reste largement non élucidé, mais pourquoi serait-il impossible à découvrir ? La manière dont se fait la traduction du « langage » neuronal en « langage » mental (pensées et sentiments) demeure un mystère scientifique, mais il est certain que le domaine inconnu se rétrécit des deux côtés, grâce aux avancées des Sciences Cognitives. La Raison considérée comme une capacité du cerveau-mémoire est à l’œuvre de la façon la plus pure dans le raisonnement mathématique. Les objets mathématiques sont des concepts complexes « construits » par le cerveau ; certains sont efficaces pour agir, en raison de la coadaptation entre l’invariance mathématique et la représentation invariante du réel (Dominique Lambert, La Recherche n° 37, nov. 2009).

L’existence de la Raison était-elle nécessaire ?

Bien sûr, l’existence actuelle de la Raison humaine est évidente ; sa nécessité s’impose quand on l’observe a posteriori. Mais était-elle nécessaire a priori ? Tout concourt à penser que non. Dans une perspective « ex ante », la Raison apparaît plutôt comme un possible parmi d’autres, qui s’est réalisé : La « facticité » existentialiste de l’être humain conscient signifie qu’il est absolument contingent, « qu’il est là comme ça, sans raison » (Sartre), tout comme la rose (Angelus Silesius). La Raison est un résultat, imprédictible, de l’évolution du système dynamique complexe qu’est la matière vivante, régie par un déterminisme probabiliste (ou « contingence nécessaire »), relevant de la théorie du Chaos déterministe. Les « atomistes » grecs, Leucippe et Démocrite, pensaient déjà que le mouvement des atomes s’effectue au hasard, sous l’action d’une force sans aucune finalité.

Dès lors, le finalisme évolutif anthropocentrique, qui prétend que l’être humain est le but et le couronnement de l’Évolution, se situe hors du champ scientifique, et le « dessein intelligent » apparaît comme une croyance sans fondement objectif, ne relevant pas des mécanismes évolutifs.

En effet, le finalisme biologique interprète l’évolution des organismes vivants comme une complexification progressive et un perfectionnement morphologique, qui convergeraient vers l’espèce humaine. Mais cette interprétation, qui s’appuie sur la remontée « ex post » du chemin évolutif, n’est que l’expression d’un préjugé anthropocentrique naïf. Car les organismes dits « évolués » ne sont pas mieux adaptés que ceux dits « primitifs » (buisson évolutif), et l’être humain n’est pas plus « parfait » que les autres, mais tout aussi « bricolé » (F. Jacob :  « Le cerveau est un ordinateur monté sur une charrette à cheval »).

On peut considérer que la critique du finalisme fait partie du fondement même de la Science moderne. Il a été rejeté radicalement par Galilée et Descartes (« Postulat d’objectivité »), par Bacon et Spinoza, et par tous les encyclopédistes, en tant « qu’asile de l’ignorance » servant à boucher les « trous » du savoir scientifique.

Alors, finalement, l’être humain, doté de Raison consciente, était-il inévitable ? Bien qu’une réponse catégorique demeure malaisée, le plus probable est que non. En effet, malgré son déterminisme précis (constantes physiques, peut-être pas si constantes que ça !), le système complexe de la Nature évolue avec des fluctuations, des bifurcations aléatoires et structurantes. C’est le cas par exemple pour l’immense diversité des formes du vivant, plasticité qui est fonction de la régulation modulaire multiple des gènes du développement, dits « homéotiques ». De toute façon, en cas de besoin, la théorie des univers multiples pourrait permettre d’éviter tout recours à un finalisme global.

Raison efficace : comment se fait-il que le Monde soit compréhensible ?

Einstein ne comprenait pas que le Monde soit compréhensible.

Le cerveau humain est le résultat bien adapté d’une coévolution avec la Nature, contribuant à assurer la survie de l’organisme et de l’espèce. Il est capable d’intelligence, qui est anticipation efficace (Lilianne Manning), à travers le fonctionnement conscient de la Raison et de l’Émotion, basé sur la Mémoire.

De cette façon, le cerveau-sujet se construit en permanence une « représentation » du Monde (concepts, modèles), qui en est son estimation la plus probablement juste (Marcus Raichle). Cette estimation mémorielle est mise à jour et confirmée par les perceptions, attentives et motivées, qui peuvent bien « coller » avec elle.

À partir des résultats des Neurosciences, et en particulier de la Neurobiologie de l’Action (Alain Berthoz, Collège de France), une nouvelle théorie « neuro-épistémologique » a été proposée par le philosophe Jean-Luc Petit en 2003 : Cette construction de l’estimation mémorielle du Monde serait moins une « représentation » (simulation interne) qu’une « constitution-anticipation » de la réalité, dans et par l’action, aussi bien physique que mentale. Cette idée rejoint une intuition tardive d’Edmund Husserl, et s’accorde, de façon saisissante, avec celle du cerveau-machine à décohérence du réel quantique.

Alors, ce serait le cerveau-sujet conscient qui fonderait la Nature en la constituant et en l’anticipant, et ce, grâce à l’imagination logique de la Raison, complétée par la logique imaginative de la Poésie, comme le pensait Heidegger. En effet, « la poésie est la fondation de l’être par la parole » (Hölderlin).

Ce qui expliquerait tout naturellement que le Monde soit compréhensible par l’être humain.

 

Patrice

 

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LA NOUVEAUTE.

 

La nouveauté est définie dans le Larousse comme la qualité de ce qui est nouveau, une chose nouvelle.

Lorsqu'on parle d'une nouveauté il peut également s'agir dans un autre sens d'un livre récemment publié.

Enfin une nouveauté est un produit nouveau de l'industrie, de la mode. Dans un emploi vieilli on parle

d'un magasin de nouveautés pour qualifier un magasin qui vend des articles nouveaux.

 

J'aimerais aborder avec vous ce thème du phénomène que représente la nouveauté.

En premier lieu la nouveauté fait référence à quelque chose de vécu par la perception.

La perception passant par un ou plusieurs des cinq sens, c'est par ce vecteur qu'on peut appréhender la nouveauté. Ainsi un mariage inédit ou même un mariage traditionnel de saveurs peut constituer une nouveauté et faire la réputation d'un chef dans le domaine de la gastronomie.

En musique une nouveauté peut être une nouvelle approche de l'harmonie et de la musicalité d'un agencement de sons et au cinéma la projection en 3D d'un film constitue une nouveauté. De même les nouveaux appareils photos en 3D constituent une nouveauté.

Ce ne sont là que quelques exemples mais ils montrent bien que la nouveauté est liée à la perception qu'on en a.

Ainsi Jésus-Raphaël Soto et certains artistes ont connu le succès dans les années 1950 avec l'émergence de l'art cinétique.

La perception est ce qui permet d'accéder à la nouveauté ou tout au moins à la prétendue nouveauté.

Ainsi par la vision avec toutes les nouvelles technologies dont l'effet 3D.

Par le toucher avec les nouvelles textures de textiles créées ces dernières années,

Par l'odorat et le goût : avec les recherches en laboratoire pour créer de nouvelles fragrances ou imiter certains parfums de fleurs par exemple ou bien encore pour élaborer certains "activateurs" de goût dans

le domaine de l'alimentation pour ne pas dire de l'industrie alimentaire.

Enfin par l'ouïe avec les avancées en matière de musicologie et même en ce qui concerne l 'acoustique elle-même bien que les Grecs excellaient déjà dans ce domaine. Songez à la qualité acoustique époustouflante du théâtre d'Epidaure.

 

Evoquer la perception pour parler de la nouveauté ce n'est pas nouveau, me direz-vous !...

Effectivement évoquer la nouveauté nécessite aussi d'évoquer en parallèle l'habitude qui doit être prise en considération et qui, elle, va plutôt s'opposer à la nouveauté ou jouer le rôle d'un frein à la nouveauté... L'être humain peut s'enfermer dans l'habitude par paresse, par lâcheté, par confort ou toute autre raison... Qu'elles qu'en soient les raisons, l'habitude va ainsi limiter son champ de conscience, l'amener à ne plus vraiment "voir", ou ne plus voir que sous un certain angle ou d'un certain point de vue. Le fait de ne plus faire attention conduit à ne plus analyser, ne plus réfléchir ou à ne plus être dans la conscience et conduit peu à peu à gommer, à occulter toute nouveauté ou toute amorce de nouveauté, dans certaines limites toutefois.

L'homme en retire un certain bénéfice : ainsi il peut penser par habitude par son conditionnement environnemental et sociétal sans chercher à se remettre en question ou à exercer son esprit critique

et il peut aussi ainsi faire quelque chose par habitude de manière procédurière en quelque sorte et

cette façon de penser et de faire s'applique aussi aux groupes humains au plan de la pensée et de l'action.

Et pourtant l'homme ne se complaît pas dans l'habitude et l'histoire de l'humanité le montre.

Si cela était, l'homo sapiens n'aurait pas connu toutes les transformations, tous les changements qui ont conduit l'humanité à être ce qu'elle est aujourd'hui.  A ce titre des "nouveautés" incontestables seraient  par exemple la découverte du feu, l'apparition du premier outil, la fabrication du premier outil, et avec celui-ci, la possibilité de changer son mode d'alimentation en privilégiant désormais les protéines : de nouveauté en nouveauté cela a peu à peu conduit l'homo sapiens à vivre une véritable révolution de sa condition.

D'ailleurs ne dit-on pas que "la nécessité crée l'industrie" ? De par sa condition l'homme a sans cesse été poussé à se montrer audacieux, conquérant, à repousser les limites - que ce soit pour assurer sa subsistance ou en cas de hausse de la démographie par exemple - et donc il a sans cesse été poussé à se dépasser, à faire preuve d'ingéniosité, à créer, à améliorer... C'est clairement établi en ce qui concerne le développement des techniques par exemple avec la création de nouveaux outils, de nouvelles machines. Il suffit de songer à la taille des premiers ordinateurs aux USA en 1945 et à la miniaturisation actuelle.

L'homme oscille donc entre le confort de l'acquis, de l'habitude et d'un autre côté l'inconfort ou l'excitation, ou les deux à la fois, de l'expérience de la nouveauté.

 

Mais d'où vient la nouveauté ?

On pourrait objecter à ce stade que pourtant : rien ne vient de rien.

Nichts kommt von nichts.

Et pour reprendre la formule en latin : ex nihilo nihil.

Faut-il rappeler que l'aphorisme ex nihilo nihil (ou : rien ne vient de rien) résume à merveille la doctrine

du poète philosophe Lucrèce (95 av. J.C. - 53 av. J.C.) et qui est défini comme étant un philosophe matérialiste et atomiste ?

Rien ne vient de rien et dans la même mouvance que ce philosophe matérialiste et atomiste on peut également citer Lavoisier :

"rien ne se crée, rien ne se perd,  tout se transforme".

Rien ne vient de rien... et toute nouveauté concernant la connaissance, le savoir passe par le champ de la perception, de l'expérimentation, de l'observation... De fait toute nouvelle pensée, toute nouvelle action, toute nouvelle façon de produire ou de fabriquer dans l'industrie, toute nouvelle façon d'être... repose en fait sur ce qui est préexistant, sur ce qui préexiste.

D'où une certaine confusion possible en terme de nouveauté puisque la nouveauté n'est par essence pas foncièrement nouvelle.

Par ailleurs il serait bon  de surcroît de distinguer entre la nouveauté qui constitue un épiphénomène historique et la "nouveauté-gadget" ou la nouveauté dont l’effet est aussi volatil qu’une bulle de champagne...

 

Une nouvelle façon de penser, un nouveau système de pensée, une nouvelle façon de faire avec le développement des techniques... Tout cela participe en fait d'une création.

Les grands navigateurs tels que Marco Polo, Bartholomé Dias, Christophe Colomb ou Magellan,

pour ne citer qu'eux, ont permis de créer des cartes du monde, disons de la terre, de plus en plus précises. Avec les sondes et autres navettes qui explorent les espaces intersidéraux, c'est maintenant la carte du cosmos, disons du ciel, que l'on cherche à établir de manière de plus en plus précise.

Toutes ces nouvelles découvertes, ces nouvelles théories constituent des nouveautés mais elles ne sont

en tant que nouveautés nullement synonymes de vérité et peuvent être réfutées ou validées. Qui contesterait aujourd'hui la loi de la gravitation de Newton ou bien encore le fait que la terre est ronde ? Et pourtant...

De façon générale pour être efficace un nouveau système de pensée doit être relayé par l'action et il est également important de considérer le facteur temps car la nouveauté est une façon de  préparer le futur, d'anticiper l'avenir et il serait intéressant de développer ce point.

 

Concernant les rapports entre nouveauté et création, j'aimerais citer Björk pour qui "les gens ont toujours peur de la nouveauté. Pour faire du neuf, il faut se donner le droit à l'erreur".

La vie n'apparaît-elle pas elle-même comme une construction, une création ?

Colette se plaisait ainsi à dire : "Le monde m'est nouveau à mon réveil, chaque matin".

Dans le domaine artistique - pour ne prendre que ce domaine - création - re-création  (- et même récréation... -) sont à l'ordre du jour puisque "la nouveauté c'est la sensibilité de l'artiste". Pour approfondir cette idée de nouveauté dans la création artistique il est à noter que "la nouveauté dans la peinture ne consiste pas dans un sujet encore non vu, mais dans la bonne et nouvelle disposition et expression, et ainsi de commun et de vieux, le sujet devient singulier et neuf."

Ce qui sous-tend la nouveauté dans le domaine de l'expression picturale par exemple ou bien encore de l'expression littéraire c'est la création à partir de la sensibilité de l'artiste. Faut-il encore avoir du talent...

 

Plus généralement ne peut-on pas affirmer que la nouveauté est toujours recherchée, toujours courue,

car "rien ne dure toujours, nous sommes voués à la nouveauté" ?... Et j'aimerais citer ici Machiavel dans Le Prince : "l'une des premières choses de l'homme, c'est sa fureur pour la nouveauté. Deux grands mobiles font agir l'homme : la peur et la nouveauté". Cette idée a d'ailleurs été reprise sous une autre forme dans le journal Le Monde du 14 mai 1968 avec la citation suivante, citation intéressante à bien des égards : "Nous voulons un monde nouveau et original. Nous refusons un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s'échange contre le risque de périr d'ennui". C'est avec cette citation de Daniel Cohn-Bendit à propos de la nouveauté que j'aimerais conclure en ajoutant que selon des chercheurs de Chicago, la "néophobie", c'est-à-dire le refus des choses nouvelles, serait susceptible d'écourter la vie.

Pourquoi dès lors ne pas être ouvert à la nouveauté et même, pourquoi dès lors ne pas être ouvert à la nouveauté puisque "rien ne dure toujours" et que "nous sommes voués à la nouveauté" ?  
 

Rolande

 

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raison absolu

LE MENSONGE

1 déc. 2010

 

La Rochefoucauld : "Nous aurions souvent honte de nos bonnes actions, si le monde voyait tous les motifs qui les produisent".

 

Je vais lancer la réflexion sur le mensonge en proposant un postulat assez simple, à savoir qu’il ne suffit pas de dire la vérité pour être dans le vrai.

 

Si nous acceptons ce postulat qui me semble des plus sensés, nous sommes bien forcés pour le défendre, d’accorder une place à l’omission et au mensonge.

 

C’est une idée qu’ Emmanuel Kant aurait considérée irrecevable, lui qui considérait le mensonge comme « le rejet et pour ainsi dire l’anéantissement de la dignité » ou encore « la véritable flétrissure qui souille la nature humaine ».

 

Pêché d’inconséquence ? Pêché de naïveté de la part de Kant ? Je n’en sais rien mais cela me surprend parce que, paradoxalement, le refus de mentir n’est en aucune façon le porteur ou le garant de la vérité.

Le principe de Kant est de toute évidence guidé par le rationalisme pur, et écarte tout humanisme qui, à juste titre, pourrait y voir de la sécheresse de coeur : il existe, d'évidence, des cas où le mensonge est un droit, peut-être même un devoir.

 

Plus nuancé, Socrate, 2000 ans plus tôt disait: « Nous ferons donc l'éloge de la sincérité et dirons la laideur du mensonge... Mais il nous faudra également dire les dangers de l'excessive sincérité, d'une exhibition impudique de la vérité. Aussi faudra-t-il faire une analyse de la fiction, c'est-à-dire des rapports entre le songe et le mensonge ». 

Il voyait donc le mensonge tel une sorte de rêve de l’esprit, qui nourrit l’illusion d’un monde à sa mesure.

 

Voilà pourquoi  on a pu prétendre que le mot mensonge viendrait du latin "mens", qui veut dire esprit, et de "songe", rêve. Le mensonge comme songe de l'esprit...

Mais ne s'agit-il pas là d'une étymologie... mensongère ?

 

Quelle serait la vertu de la vérité et de son associée, à savoir l’insincérité, si son rétablissement ou son énonciation est apporté par le goût de nuire. Par exemple : est-ce par sincérité ou par jalousie qu’on dévoile à quelqu’un un adultère ou une turpitude ?

N’est-ce pas mentir par omission de prétendre dire toute la vérité ?

A qui et à quoi pense le médecin qui annonce son cancer au patient ? (mensonge pieux ?)

Qui prendrait le risque d’accorder sa confiance à celui qui n’a jamais le courage de mentir ?

L’intention de vérité cache trop souvent l’impureté d’une intention.

 

Ecoutons la perspicacité de Benjamin Constant qui écrit : « dire la vérité n’est un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a le droit à la vérité qui nuit à autrui ». En d’autres termes, tout homme a droit au mensonge qui réconforte.

 

Ces clins d’œil en faveur du mensonge ne doivent pas pour autant encourager, voire justifier le mensonge en général. Le mensonge généralisé rendrait vite notre société infernale, parce qu’il instaurerait une méfiance de tous envers tous.

Mentir, c'est en quelque sorte violer l'essence même de la parole, puisqu’elle devrait être le moyen d'expression de la pensée.

 

Le mensonge est toujours intentionnel, c'est-à-dire qu'il révèle une finalité. Mais peut-on être à la fois celui qui sait la vérité et celui qui la dissimule ? Evidemment oui !

 

- MAIS…  Rares sont les mensonges que, tôt ou tard on ne découvre pas, puisque les mensonges parfaits sont aussi rares que les crimes parfaits.

 

Comme toute ruse et tout artifice le mensonge est soumis aux aléas du temps qui passe, d’un nouveau repère, d’un lapsus, d’une mémoire défaillante ou d’une investigation approfondie.

Le mensonge est un calcul, un mécanisme, un échafaudage fragile qui s’oppose sans succès à l’inégalable spontanéité du vrai, c'est-à-dire des faits qui tôt ou tard surgissent tels qu’ils se sont produits.

 

La vérité est une sorte de miracle objectif qui déjoue les mensonges les plus méticuleux, tandis que le mensonge, même le plus raffiné et intelligent repose tout de même sur la crédulité de son destinataire : la vérité n’a besoin de personne, mais que reste-t-il du mensonge quand personne n’y croît ?  

Une fois trouvés ceux qui y croient, le mensonge devient alors prisonnier de la cohérence qu’il doit à ses dupes, au risque de trébucher à tout petit obstacle qui se présenterait sur son chemin.

 

Quelle serait sa fonction, sinon celle de tenter de reconstruire le monde, ou le cas échéant une situation, de l’extérieur, c'est-à-dire hors de la vie, hors du réel, dans l’espoir déraisonnable que cet échafaudage mensonger finisse par imiter et remplacer    la vérité ?

 

Toutefois, comment ne pas signaler à cet endroit le rôle important (et bienvenu !) du mensonge dans tout jeu de séduction ? La personne, qui cache son corps sous maintes armures, décourage le désir, tandis que l'impudique, qui l'exhibe avec obscénité, coupe l'herbe sous le pied du désir. Il est préférable que le corps soit pour un temps habilement dérobé au regard pour qu'il puisse devenir objet de désir : imaginé, attendu, désiré….

 

Et le mensonge politique ? Vaste débat ! Depuis Platon il jouit d’une grande tolérance : - - « Si donc il appartient à quelqu'un de mentir, c'est aux gouverneurs de la cité, pour tromper les ennemis ou les citoyens, quand l'intérêt de l'État l'exige. Aucun autre n'a le droit de toucher à une chose aussi délicate ».

 

Voici pour conclure ce bref exposé un mot au sujet d’un phénomène très fréquent, à savoir l’habitude de se mentir à soi-même.

 

Dans quel but se mentir à soi-même ?

 

- Peut-être et déjà pour atténuer un peu ses propres misères.

- Ensuite, comme déjà énoncé pour se réconforter et réconforter ses proches lors de  moments difficiles de la vie, ou bien pour se dire :

- « Je me mens pour ne pas être ridicule aux yeux d'autrui, pour être bien vu ou aimé ».

- Mais aussi, et cela est plus amusant, il faut parfois se mentir à soi-même pour que le mensonge ne trahisse pas la vérité ….

En voilà un exemple : essayons d’imaginer une scène de théâtre où une bonne comédienne pleure d’une tristesse véritable, même si pour verser des larmes véritables, elle invoque en secret des souvenirs personnels désolants.

 

Alors peut-être que seul le mensonge qui s’ignore peut prétendre à la vie ?

 

* * *

 

La sincérité c’est bon à l’égard de soi-même. A l’égard d’autrui, c’est sans intérêt, et le plus souvent bête et maladroit. (Paul Léautaud)

 

Luca

 

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Le Kama Sûtra est-il une philosophie ?

 

Il y a quelques années, j’ai lu un « Kama Sûtra » de Vâtsyâyana, traduit du sanskrit et présenté par Jean Papin1. J’ai ressorti l’ouvrage et j’y fais souvent référence dans le résumé qui suit.

 

Présentation du Kama Sûtra


Le Kama Sûtra est sans doute le livre le plus connu de la planète. Rien qu’à entendre ses mots, les esprits s’émoustillent, parfois derrière un masque d’indifférence convenue ou de pudibonderie. Paradoxalement, il est aussi le livre le plus méconnu. Au fil du temps, les images sont restées mais les paroles ont été oubliées, alors que les écrits représentent environs les trois quart du recueil, pour un quart d’iconographies.

En fait, on devrait dire les Kama Sûtra car se sont des textes anciens, peut-être bien antérieurs au premier millénaire de notre ère, collationnés2 par Shri Vâtsyâyana qui aurait vécu, selon les sources, entre le Ier et le VIème siècle. Mais, pour respecter les habitudes, je ferai référence à l’ensemble, et j’utiliserai le terme de Kama Sûtra.

Le Kama Sûtra se définit comme un « traité des règles de l’amour » et l’Encyclopédie Larousse précise que « malgré son caractère érotique, il entre dans la littérature de la vie religieuse de l’Inde ».

À la fin de son ouvrage, Jean Papin propose un lexique avec la traduction des termes sanskrit. Voici les définitions qu’il donne :

- Kama signifie le désir, l’amour, l’objet de l’amour, et Kamadeva est le dieu de l’amour.

- Sûtra désigne la corde, le fil, le cordon sacré, termes dont découlent deux variantes : pour l’une, Sûtra est une règle exprimée en brefs aphorismes, pour l’autre, c’est un terme générique pour les traités de philosophies, de grammaire mais aussi de rituels védiques.

L’encyclopédie Larousse apporte quelques précisions à l’acception sûtra, dans le sens d’aphorismes, de versets mnémoniques : « Les érudits qui voyageaient ne pouvaient transporter que quelques feuilles de palmier sur lesquelles une vaste doctrine était résumée en quelques sûtra… ». Les Sutrâ étaient donc des textes concentrés utilisés comme aide mémoire.

 

Le contenu du Kama Sûtra :


Le prologue rend hommage à la triade : Dharma, Artha, Kama ; les trois valeurs terrestres de l’Inde. Je résume en quelques mots :

- Dharma, comme le devoir moral ou l’ordre du monde. C’est à la fois l’humain et le divin.

- Artha consiste à rechercher la perfection des arts ou la prospérité.

- Kama est la satisfaction des sens, contrôlés par le mental, lui-même dirigé vers la conscience du Soi.

Le livre se divise en sept sections, séparées en chapitres.

Par exemple, dans la première section intitulée « Observations générales », le troisième chapitre est consacré aux soixante-quatre arts. Ne vous méprenez pas, car il s’agit : du chant, de la musique, la danse, la calligraphie, la préparation des parfums, l’élégance des gestes, la composition poétique, la dialectique, l’alchimie, la stratégie militaire… soyez sans craintes, je m’arrête là. Arts, qui pouvaient être pratiqués par les hommes ou, selon les auteurs, également par les femmes, surtout si elles étaient de noble naissance.

En fait, la première section donne une vision de l’ancienne société indienne. Le récit, qui s’adressait essentiellement aux trois castes supérieures, aux brahmanes, aux princes de sang et aux négociants, nous renseigne sur la vie quotidienne d’un homme distingué (sur l’arrangement de son logement, les règles d’hygiène, les repas) mais également sur ses relations sociales et ses obligations religieuses.

La deuxième section est consacrée à l’union sexuelle. Après des avertissements sur les compatibilités morphologiques des partenaires, l’auteur tente de décrire la phénoménologie de l’acte lui-même mais c’est très approximatif compte tenu des connaissances scientifiques de l’époque. Ensuite, Vâtsyâyana détaille les étreintes amoureuses. Contrairement au tantrisme où la femme est initiatrice et mène le jeu érotique3, dans le Kama Sûtra, l’épouse est soumise. Cependant, les sages condamnent la maltraitance ou la tyrannie à l’égard des femmes. Si la partenaire subit trop de morsures ou de griffures, elle peut les rendre à l’homme. Dans cette section, les multiples positions d’accouplement sont énumérées et si le mari est consentant, la femme peut prendre le commandement de l’action. Le plaisir de chacun est respecté et afin de ne pas laisser la femme insatisfaite, des conseils sont prodigués aux hommes trop pressés.

Dans la troisième section, qui concerne la recherche d’une épouse, les considérations sociales et religieuses, ainsi que les coutumes, sont largement détaillées. Le mariage d’amour est même préconisé. Il est dit dans le texte : « on ne trouve le bonheur, qu’avec celle que l’on aime vraiment » et un shloka (verset) précise : « Une jeune fille très sollicitée doit choisir l’homme qui lui plaît et épouser de préférence celui qu’elle croit le plus docile et le plus apte à la faire jouir ».

Lecture de la page 132 :

 

Le jour où une jeune fille se lie à un homme qui l'aime et se comporte comme sa femme, celui-ci doit honorer le feu pris dans la maison d'un brahmane versé dans le Veda, puis l'épouser suivant les préceptes religieux après avoir accompli le sacrifice à Agni avec, l'herbe kusha  et fait les trois circumambulations. Ensuite seulement il en informera son père et sa mère. Les sages disent, en effet, qu'un mariage ayant Agni (le £eu) pour témoin ne peut jamais être annulé.

 

La quatrième section est dédiée aux devoirs de l’épouse qui doit être attentive et respectueuse.

Quant à la cinquième section, elle est plus originale puisqu’elle prévoit l’adultère. Elle propose des stratégies de conquête et un chapitre entier est consacré à l’intervention d’une entremetteuse.
 

Lecture de la page 170 :

 

Uddâlaka pense que si un homme et une femme n'ont encore eu aucune relation et n'ont rien tenté dans ce sens, l'intervention d'une appareilleuse n'aboutira pas.

Les émules de Bâbhravya, moins catégoriques, disent que s'ils ne se connaissent pas personnellement mais ont hasardé un rapprochement, il faut y avoir recours.

Quant à Gonikâputra, il estime que, même s'ils ne se sont mutuellement manifesté aucun signe de tendresse, le simple fait de se connaître justifie l'intervention de l'entremetteuse.

Enfin Vâtsyâyana départage tout le monde en déclarant que, même sans se connaître et sans aucun effort de séduction préalable, ils peuvent utiliser ce personnage.

L'entremetteuse approchera la femme en lui montrant les cadeaux que son galant a donnés pour elle : bétel, onguents, bagues et vêtements où seront imprimées, avec d'autres signes, les marques de ses ongles et de ses dents. Sur l'étoffe du vêtement, il aura déposé ses deux mains enduites de safran en signe d'amour.

 

La sixième section rend hommage aux courtisanes. Bien sûr, il est question de charmes et d’argent. On y énumère aussi les qualités d’une bonne amante dont voici l’extrait : «Beauté, jeunesse, signes favorables sur le corps, charme d’une yogini5, dévouement, prévoyance, goût des richesses, appétences très prononcée pour l’union sexuelle, stabilité, type correspondant à son partenaire, distinction, goût pour les réunions mondaines et les beaux arts, sans oublier les qualités plus généralement souhaitables chez toutes les femmes : intelligence, bon caractère et bonnes manières, rectitude et gratitude, prévoyance à long terme, loyauté, choix des opportunités, urbanité, (jamais d’éclat de rire, c’est lamentable !), absence de persiflage, de médisance et de colère, de vanité et d’étourderie, connaissance des Kama Sûtra, des textes semblables et des arts. Une femme privée de ces aptitudes est une vraie calamité ! »

Pour finir, la septième section dévoile les secrets de la magie et révèle les recettes des onguents, des philtres d’amour et des aphrodisiaques.

 

Commentaire :


Voilà, c’était ma lecture du Kama Sûtra.

Je vais peut-être vous choquer mais pour moi, c’est un livre de savoir vivre. Il annonce au lecteur tout ce qu’il peut faire et même ce qu’il doit faire mais implicitement, l’avertit des conséquences de ses excès. Le Kama Sûtra établit les règles de fonctionnement de la société dans les relations personnelles.

Nous, occidentaux, avons de la peine à comprendre la religion indienne qui ne sépare pas l’humain et le divin. Tous deux sont inclus, dans le dharma. C’est la stratification par castes qui révèle le degré de noblesse et de pureté.

Se demander si le Kama Sûtra est une philosophie, c’est en premier lieu s’interroger sur la définition de cette discipline : Qu’est-ce qu’une philosophie ?

Celle-ci consiste à transformer sa vie à partir d’une réflexion argumentée, étayée et justifiée.

C’est une interrogation sur l’être, le monde et les valeurs. Puisque philosopher, c’est chercher à comprendre la vie et la mort, pourquoi parle-t-on si peu d’amour dans la philosophie ?

J’ai des éléments de réponse :

Ce livre du Kama Sûtra m’a fait penser à un autre ouvrage, très ancien lui aussi, car il date du début du Ier siècle après J. C. et que je trouve pourtant, toujours d’actualité. Il s’agit de l’art d’aimer d’Ovide.

L’auteur se présente en maître qui instruit le novice : « Où choisir l’objet de ton amour, où

tendre tes filets ?» peut-on lire dans le livre I. Ovide y donne des conseils d’élégance, enseigne l’art du compliment et de la promesse, ainsi que des ruses pour attendrir le cœur des femmes. Dans le livre II, le poète ose. Voici un autre extrait : « Si tu veux m’en croire, lecteur, ne hâte pas le plaisir de Vénus. Sache le retarder, le faire venir peu à peu, doucement. Quand tu auras trouvé l’endroit sensible, l’organe féminin de la jouissance, pas de sotte pudeur : caresse-le, tu verras dans ses yeux brillants une tremblante lueur […].

Puis, dans le livre III, « pour que le combat soit égal », c’est Ovide qui le dit, il propose, aux femmes, tout un arsenal pour séduire et se méfier des hommes.

Mais voilà, Ovide est condamné à la relégation. D’après Chantal Labre, professeur de lettres, l’immoralité de ses oeuvres a déplu à Auguste, l’empereur voulait instaurer un ordre moral et venait de faire voter une loi sur les adultères.

L’art d’aimer est un ouvrage qui pourrait être contemporain du Kama Sutra. Pourquoi tant de différences entre les deux ? L’ouvrage oriental est librement diffusé alors que le traité d’Ovide est un des premiers livres à être censuré, il est interdit dans les bibliothèques publiques.

On peut aussi faire une lecture comparative entre le Kama Sûtra et l’Art d’aimer. Le premier est écrit par des sages de l’Inde archaïque, que les grecs anciens nommaient gymnosophistes, pour qui la notion du bon est privilégiée.

Ovide, poète de l’empire romain, est influencé par la culture platonicienne et l’auteur traite son sujet sous l’angle du beau.

Cette différence entre le bon et le beau n’est pas anodine.

Dans une de ses conférences, Michel Onfray l’explique de cette manière. Pour les gymnosophistes, la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et le goût ont la même valeur. Ces sens sont différents, complémentaires mais traités d’une façon égalitaire.

Pour Platon, lui-même influencé par Pythagore, les sens sont hiérarchisés. D’un côté les sens nobles, la vue et l’ouïe, qui permettent des relations à distance, puis, à l’opposé, les sens de la promiscuité, l’odorat, le toucher et le goût qui nécessitent parfois un contact direct pour être éprouvés. Pour les platoniciens, le beau ne peut être perçu que par les sens nobles.

C’est le cas de l’oeuvre du peintre qui s’examine avec du recul, de même la musique peut s’apprécier de loin. Les autres sens sont dévalués.

L’explication du philosophe normand m’a permis de voir une différence importante entre les deux ouvrages qui traitent pourtant du même sujet. L’exemple le plus flagrant que j’ai trouvé à vous rapporter concerne la position de la femme pendant l’accouplement.

Pour les sages indiens, la variété des célèbres postures érotiques se justifie pour éprouver de nouvelles sensations du fait de la stimulation de zones érogènes différentes. La finalité en est un plaisir plus intense. Un petit détail supplémentaire, à chaque position la femme chante une note différente, ce qui permet d’entretenir l’excitation du partenaire. Eh oui ! Dans le Kama Sûtra, on fait l’amour avec les cinq sens, même avec l’ouïe !

Pour Ovide, c’est l’esthétique qui compte. La femme doit rester belle, pour cela elle doit choisir des positions qui cachent ses défauts. Je le cite : « La femme dont la figure est particulièrement jolie, devra s’étendre sur le dos. C’est de dos que devront se montrer celles qui sont satisfaites de leur dos. […] La femme petite prendra la posture du cavalier. […]». Et le plaisir de la femme ? Ovide n’en tient pas compte. Il le sacrifie au bénéfice du beau.

 

Pourquoi avons-nous tant de problèmes avec l’amour ?


Là, j’étais presque aussi perplexe que dans mes tentatives pour définir ce qu’était une philosophie.

J’ai fait alors appel à Michel Onfray. Dans une série de trois conférences enregistrées sur CD et intitulées « Le pur plaisir d’exister », le philosophe développe sa théorie du corps amoureux, « l’érotique solaire ». Il s’interroge sur la façon d’établir une relation hédoniste avec l’être aimé. Pour y arriver, dit-il, il est nécessaire de redéfinir nos modes de relations et de trouver une autre théorie du désir, car le désir n’est pas le manque. La source de cette erreur remonte à Platon. Dans « Le Banquet », Aristophane explique qu’à l’origine nous étions des androgynes, sortes de créatures sphériques à quatre mains, quatre jambes et une tête. En ce temps là, trois genres coexistaient : homme/homme ; femme/femme ou homme/femme. Ces androgynes étaient aussi vigoureux qu’orgueilleux, ce qui déplut aux dieux, et pour les affaiblir, Zeus décida de les couper en deux. Depuis plus de deux millénaires, en occident, les individus recherchent leur moitié pour être enfin heureux. La théorie du désir, considéré comme manque, provient de ce sentiment d’incomplétude.

Michel Onfray propose de penser le désir à la manière des épicuriens, comme un excès. Un trop à offrir plutôt qu’un vide à remplir. Cela modifie les relations puisqu’on donne au lieu de prendre.

Notre culture chrétienne a gardé Platon et rejeté Épicure. De plus, notre sexualité est marquée du pêché originel. Par conséquent, la femme devient l’ennemi de l’homme qui doit s’en écarter pour ne pas succomber au désir.

Dans le Kama Sûtra, le sexe n’est pas vu comme quelque chose d’horrible, ou comme un simple outil de procréation. C’est un échange de plaisir. Le corps doit être appris pour être compris, le sien comme celui de l’autre, afin de permettre un épanouissement commun.

Traités de la même façon, les hommes et les femmes ont des relations harmonieuses. Plus même, en se souciant du plaisir de l’autre, ils atteindront ensemble le bonheur. Et la finalité, serait de réaliser sa sexualité avec la personne que l’on aime.

Aider l’autre dans sa quête du bonheur, n’est ce pas une philosophie ?

 

Par Pascale

 

Mon commentaire suite au café philo du 24/11/2010

Je repense, ce jeudi matin, à notre discussion du café philo. Celle-ci  concernait le Kama Sûtra. À la fin de la séance, beaucoup sont venus me faire part de leur étonnement sur  la tournure qu’avait pris le débat. Nous avions essentiellement parlé de religion, mais le Kama Sûtra est livre de la religion hindouiste.   Je crois que nous sommes encore bridés par nos tabous et que nous avons toujours des difficultés à parler de la sexualité, surtout lorsque le groupe est aussi important et aussi hétérogène.

Nous aurions pu envisager le sujet d’un point de vue économique. En fait, je devrais plutôt dire d’un point de vue patrimonial. Nous sommes si prisonniers de notre culture que nous ne pouvons même pas la reconsidérer totalement.  Le patriarcat nous semble tellement naturel qu’il ne nous vient même pas à l’esprit qu’il pourrait être remplacé par le matriarcat.

Nous sommes des animaux évolués et notre sexualité occupe une place importante dans notre cerveau archaïque, c’est peut-être grâce à ça que les religions n’ont pas réussi à nous châtrer. Lorsque nous étions un peu moins « humains », nos organisations sociales ressemblaient davantage à celles du monde animal.  Les systèmes sociaux dépendent des systèmes d’appariements : polygynie (un mâle avec plusieurs femelles), polyandrie (une femelle avec plusieurs mâles) ou polygamie dans le sens de plusieurs unions, c'est-à-dire plusieurs femelles avec plusieurs mâles. Ces systèmes obéissent aux lois de la nécessité.

Un accouplement aboutit à la transmission du patrimoine génétique, la moitié des gamètes mâles unie avec la moitié des gamètes femelles vont produire un nouvel individu. Mais maintenant que nous vivons dans un monde de propriétaires, nous devons laisser à nos descendants une parie de notre patrimoine économique. Ce fait est important car les femmes portent les enfants des hommes. Ceux-ci veulent être certains de leur descendance et une des solutions, c’est d’empêcher d’autres hommes de l’approcher.  Patrimoine et patriarcal ont la même étymologie, pater, le père.

Essayons de voir les choses différemment. Une transmission des biens qui se ferait par la mère. Il n’y a plus de doute, rien n’est plus certain,  le petit être qui sort du ventre de la femme est son enfant. Une femme pourrait avoir plusieurs partenaires et plusieurs hérités de pères différents. Le gros problème, qui serait surtout celui des hommes, c’est que dans cette organisation sociale, les femmes seraient détentrices des richesses et les hommes perdraient leur pouvoir. La suprématie des hommes sur les femmes est vraisemblablement due à la supériorité  de leur force physique qui en a fait d’eux des protecteurs. Mais avec l’apparition de la propriété, peu à peu, les hommes ont voulu protéger leurs biens au lieu de prendre soin de  leur femme.

C’est pour moi, la protection des richesses des hommes qui a conduit à une sous considération de la femme, à sa domination, à sa castration. Une femme qui n’a pas de plaisir sexuel ne risque pas d’être tentée.  L’homme, en châtrant  la femme, s’est privé de beaucoup de plaisir, mais aussi de la possibilité d’une vie libre et harmonieuse avec l’être aimé. Hélas, rares sont ceux qui le savent.

La liberté sexuelle de la femme dépend de son émancipation économique. C’est ce que l’on peut voir apparaître dans notre société. On pourrait proposer un café philo sur le sexe et l’argent !

 

Pascale

 

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kamasutra

 De la difficulté de parler quand on a quelque chose à dire

 

 

En introduction, nous commencerons par quelques remarques afin de mieux cerner le sujet et de prévenir quelques malentendus. Tout d’abord, ce « quelque chose à dire » ne s’oppose nullement au « rien à dire », il est intiment lié à cette « difficulté de parler », alors qu’à l’inverse la « facilité à parler », admirée peut-être mais souvent triviale et toujours relative, ne trahit en soi ni la pertinence ni l’inanité d’un quelconque « rien à dire ». Ensuite, cette « difficulté de parler » n’est pas de l’essence du seul individu, elle ne relève pas d’une quelconque déréliction, elle ne doit s’interpréter ni psychologiquement ni socialement, elle n’est pas en opposition antithétique avec la faculté d’expression. Au contraire, cette « difficulté de parler » a valeur en soi, elle est en elle-même révélatrice d’un « quelque chose » d’essentiel. Ensuite, ce « quelque chose » n’ayant de valeur absolue que pour l’intéressé lui-même, il peut être de nature quelconque et, à l’extrême, tout en théorie pourrait faire surgir une telle difficulté. Enfin, ce « quelque chose à dire » n’est pas un fait banal ou indifférent dont je pourrais m’affranchir à ma guise, qu’il me serait loisible de taire ou de révéler. Ce « quelque chose », entendu au sens fort, est ressenti à la fois comme un « ne pas pouvoir dire » et comme un « ne pas pouvoir ne pas dire » ; ce « quelque chose » d’ineffable s’impose douloureusement au sujet et au sujet seul, d’où son incommunicabilité. Pour imaginer la nature de ce rapport entre l’irrépressible et l’indicible, nous prendrons l’exemple de quelques sujets ou de quelques états chez lesquels ou dans lesquels ce rapport se manifeste. Commençons par l’aliéné qui, pour préserver son intégrité mentale, a pris le parti de communiquer avec les choses plutôt qu’avec les êtres, de parler à sa brosse à dents plutôt qu’à son épouse, de n’en faire qu’à sa tête. Dans une autre catégorie, nous trouvons l’être littéralement illuminé qui, lui aussi, éprouve une extrême difficulté à communiquer. Tout d’abord ébloui pour avoir violé une sorte de tabou métaphysique, pour avoir oublié que le soleil ne se regarde qu’éclipsé, la beauté que voilée, la vérité que travestie, il est ensuite affligé de cette mutité qui le transfigure. Ensuite, on ne peut pas ne pas mentionner l’individu qui, par le suicide, a fait le choix radical de nier cette « difficulté de parler », de la dissoudre en une impossibilité. Et pourtant, c’est en ne disant plus rien, en se condamnant au silence sans appel que le suicidé parvient enfin à s’articuler. Autre exemple de cette « difficulté de parler », l’amoureux l’incarne idéalement, mais d’une manière paradoxale puisque l’objet dont il a tant de mal à parler est aussi celui auquel il a tant à dire. Mais en se déclarant, en parlant à sa douleur pour l’apaiser, il prend du même coup le risque d’en rompre le charme. Pis, d’en renier l’objet. Ensuite, s’il est quelqu'un qui a du mal à parler, c’est bien l’artiste. De manière originale, il tente de maîtriser cette difficulté, de la contourner, de la retourner à son avantage en faisant d’elle un prétexte à maîtrise technique, et du « quelque chose à dire » un crible interprétatif et une corne d’inspiration. Enfin, le dernier représentant de cette espèce en difficulté de parole ne pouvait être que le philosophe – ce qui n’est pas surprenant outre mesure. Lui qui a vocation à désenchanter le monde, à éclairer les êtres et à disséquer les choses, ne serait-il pas en vérité plus exposé que d’autres ? En toujours regardant ce qui ne le regarde pas, n’inverse-t-il pas les termes de l’équation, ne confond-il pas parfois « difficulté à parler » et « difficulté de parler », et ne fait-il pas passer au second plan ce quelque chose à dire ?  

 

Par Gérard

 

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Pas de plaisir, sans prise de conscience

 

Conscience et plaisir font partie des mots les plus difficiles à définir , peut-être parce que toute définition s'adresse à une conscience et la suppose, et que tout plaisir est relatif.

 

« La conscience n'est autre chose que l'acte par lequel l'esprit se dédouble et s'éloigne à la fois de lui-même et des choses » (Jankelevitch.)

Donc une pensée qui se pense.Tout acte de l'esprit étant une perception de lui-même.
 

Husserl : « toute conscience est conscience de quelque chose ».

L’évanouissement est perte de conscience. C’est la réponse de la conscience à une situation invivable. Le monde n’est plus perçu, n’est plus possible.C’est ma conscience qui formule le réel, le produit, le fait surgir.Nous ne sommes pas conscients de tout ce qui se passe devant nous : je ne vois que……

Elle ne peut être sans objet. Il n’y a rien sans conscience. Ni plaisir, aucune sensation, ni objets…..

La conscience est aussi la faculté de se représenter soi-même. Je suis ce que ma conscience me permet de savoir de moi. La réflexion ‘ retour sur soi », conscience réflexive, me permet de mieux me connaître. Qui suis-je ?La généralisation de ma connaissance de ce que je suis ( Saint Augustin), de ma place dans le monde (Rousseau), de mes souffrances (Nietzsche), de mes problèmes ( Freud), me permet d’extrapoler, de généraliser le fonctionnement de l’humanité en général.

« Cela ne veut pas dire que toute conscience soit réflexive, si l'on entend par là qu'elle se prendrait elle-même, nécessairement, explicitement, pour objet. Mais plutôt qu'aucun objet n'existe pour elle qu'à la condition qu'elle existe elle-même pour soi. C'est comme une fenêtre qui ne s'ouvrirait sur le monde qu'en se faisant d'abord regard. C'est pourquoi il n'y a pas de conscience absolue : parce que toute conscience est médiation. Quand je regarde cet arbre, est-ce l'arbre que je vois, ou la vision que j'en ai ? »(Comte Sponville)

La conscience dépend, non des choses que l’on perçoit, mais de celles qu’on parvient à se représenter.

Je n’éprouve de plaisir que si je me représente ce qu’est le plaisir. Et il diffère selon les individus.

« La Mettrie : l’homme a été fait pour être heureux dans tous les états de la vie ». Il différencie le « débauché » qui recherche une satisfaction égoïste et immédiate de ses besoins et de ses désirs, du « voluptueux » qui dose son plaisir en le faisant dépendre de ce qui l’entoure : êtres, choses,univers.

Des informations traitées par le cerveau nous échappent : il n’y a pas de conscience et pas de plaisir à respirer, digérer, avoir des réflexes.

Si j’ai conscience de quelque chose, je dois aussi avoir conscience de la conscience que j’en ai.

Il n’y a pas de plaisir, sans s’apercevoir que l’on ressent du plaisir

Il n’y a pas de plaisir, sans conscience du sens de ses actes ou de ses sensations. Or le sens se découvre dans l’action, dans l’usage.

Même si le plaisir s'obtient dans la destruction de soi-même : fumer, boire, abandonner son corps.

Il n’ya pas de plaisir, sans conscience de ce dont il dépend.

 

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Le savoir et l’idée.


Kant, dans la « Critique de la raison pure », établit, entre autres, que ce qui relève de la connaissance est dédoublé entre la raison et la sensibilité – sensibilité comprise ici comme ce qui nous ramène à nos 5 sens (vue, ouïe, toucher, goût, odeur). La raison, dont chacun peut et devrait faire usage, est par ce fait facteur d’universalité et par là-même d’unité et trouve là sa légitimité tandis que la connaissance sensible nous fait découvrir l’objet extérieur à travers le prisme de notre esprit, au travers de phénomènes dont la particularité est qu’ils ne nous laissent pas indifférents. Elle est donc, contrairement à la raison, éminemment personnelle.
Par la raison, par l’entendement, l’esprit peut reconstruire de façon abstraite les lois de la nature, ou même construire de toutes pièces des abstractions pures, alors que par la sensibilité, qui est avant tout réceptivité, nous gérons nos « affects », nos préoccupations ; mais de manière plus désordonnée et plus immédiate puisque, écrit Kant, « l’existence ne se laisse pas construire ».
Cette très succincte simplification permet dès à présent d’établir la contradiction suivante :
1- Soit, la connaissance par l’intellection, la compréhension, doit être privilégiée et considérée comme le seul facteur de vérité possible; le moi, le je, s’effacent devant la réalité objective qu’il appartient de connaître et de retraduire dans un langage cohérent, compréhensible. Une simple idée ou une suite d’idées que l’on peut formuler sur un sujet précis ne reflète alors qu’un a-priori et ne saurait être source de connaissance. Le moi en tant que tel n’est rien, n’étant qu’un réceptacle destiné à recevoir et à contenir un savoir.
2- Soit, le moi est la seule réalité accessible. Le monde apparaît tel un théâtre d’ombres, une suite de phénomènes, au sein duquel l’esprit se forme ses représentations qui naturellement diffèrent d’un individu à l’autre, mais qui forment la seule réalité pour soi car la seule à même de pouvoir faire sens. Le moi est tout, car l’idée que j’ai du monde prime.

Comme chacun sait, la pensée philosophique occidentale est née dans la Grèce antique. Les interrogations de ces pionniers portaient simplement de savoir ce qu’était le monde physique, de quoi il s’agissait. Ils étaient à la recherche d’une explication fondée sur le réel, car d’une culture alors essentiellement fondée sur le mythe et sur l’interprétation, ils étaient allés vers une culture basée sur le questionnement et le savoir.
L’innovation apportée par Socrate a été de se servir de cette démarche pour interroger ce que furent les vertus- les valeurs, dirait-on de nos jours- dont se prévalaient ceux qui exerçaient le pouvoir. Les édiles affirmaient incarner la vérité, la justice, le bien, le courage, en somme l’équivalent actuel du sens du service public, mais qu’est-ce que tout cela, leur demanda-t-il lorsqu’il les rencontra? A son grand désappointement, Socrate n’obtiendra de ses interlocuteurs que des réponses vagues et contradictoires. Serait-ce à dire que ce qui relève de la vie de l’esprit, des principes de bonne gouvernance et d’organisation de la Cité, ne peut faire l’objet d’aucune connaissance, d’aucun savoir qui pourrait être un facteur d’unité, ou du moins un créateur de lien social, car répondant à un critère objectif compréhensible par le plus grand nombre, qu’il faut en conséquence s’en tenir à des idées générales qui pourraient créer tout au plus une vague approbation, un consensus mou, lesquelles idées générales sont en réalité très particulières car dépendant de la personne qui les énonce, de ses opinions, des justifications établies à partir de ces opinions ? Désabusé mais lucide, Socrate conclura : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ».
Le disciple et héritier spirituel de Socrate, Platon, refusera de se satisfaire de ce non-savoir. La valeur morale, puisqu’elle apparaît à notre esprit tout comme apparaissent les objets physiques, a nécessairement une valeur en soi, une valeur par soi, une réalité qui doit pouvoir être identifiée, qui doit pouvoir être ramenée au statut d’un objet de connaissance et non rester à l’état de question au bout de laquelle il n’y aurait pas de réponse possible. Il sera donc dit qu’à chaque concept correspond une Idée pure, ce qui veut dire que chaque concept peut être élevé au rang d’une perfection…laquelle perfection, si l’Homme en a l’intuition, ne peut cependant être connue que des dieux.
Mais à quoi tout cela peut-il servir, remarquera par la suite Aristote, si cela reste en-dehors du phénomène, donc de l’expérience, donc de l’interprétation et donc aussi de la connaissance ? Les questions posées par Socrate trouve certes une réponse, mais celle-ci ne semble être qu’une justification de la question…ce qui n’éteint en rien la question. Poser une idéalité et en faire par decret de l’esprit une réalité semble en effet vain et d’aucune utilité pour guider sa conduite.
Il y a pourtant une pertinence dans la démarche. Car sans vertu - pris au sens antique du terme- aucune vie en société n’est possible et perdurerait l’état de nature. La vertu, ressentie comme nécessité, et cela par-delà même le passage des générations, répond à l’idée que par delà les tourbillons de l’existence, il doit y avoir quelque chose de stable, de permanent, d’intemporel, d’immuable. De cela, peut-on pour autant en faire l’objet d’un savoir ? Peut-on objectiver ce qui n’est tout de même que de l’ordre du ressenti, du perçu, de la représentation ? Un savoir se partage, se divulgue, parce qu’il peut être commun à tous car compréhensible, il ne fait pas appel à la conscience individuelle; une idée s’argumente, peut éventuellement se communiquer en faisant appel à la conviction ou au moins à la suggestion mais jamais à la démonstration. Si tout le monde a des idées, et cherche ce faisant à assurer un socle certain à son existence, ces idées ne permettront jamais de connaître quoi que ce soit ; même si elles débouchent sur le champ illimité de la pensée la plus abstraite, la plus spéculative et même la plus rationnelle, elles ne seront jamais plus qu’un reflet de la subjectivité de chacun. Car l’idée naît d’un questionnement, d’une interrogation subjectivement enracinée, enfouie dans le moi le plus profond, le plus incommunicable, qui ne peut donc être objectivé. L’illusion est de croire que par une question posée qui reflète un doute, une interrogation, on peut y répondre par une simple affirmation, cette affirmation valant démonstration aux yeux de celui qui l’énonce, alors qu’elle n’est qu’un simple jugement de valeur. Mais nos représentations ont été façonnées et par le platonisme et par l’esprit scientifique et par le positivisme, qui nous conduisent à considérer que si une question se pose, c’est qu’il y a logiquement, de toute nécessité et de toute évidence une réponse. Réponse par elle-même cohérente, car en parfaite adéquation avec la question posée et de ce fait l’éteignant. Mais ceci est une vue de l’esprit ; car au doute peut très bien répondre le doute. Du subjectif, de ses manières de voir, rien d’objectif ne peut naître, donc ne peut être l’objet d’aucun savoir; et donc rien ne peut en découler qui soit universalisable si ce n’est sous la forme de dogmatismes stériles et stupides. Pire encore, situer l’objectivité et donc la raison dans un absolu qui ne serait réservé qu’à ceux qui ont su s’extraire de la Caverne platonicienne, caverne au sein de laquelle règne le monde des sens et ses tromperies, est une illusion. Car dans ce qui est, tout est en relation avec tout, affirmer un absolu qui ne serait en relation avec rien puisque ne dépendant en rien de quoi que ce soit, est une pensée flasque, une simple paresse de l’esprit, qui n’a pu trouver son aboutissement que dans les dogmatismes, les utopies ou les intégrismes.
S’il est un domaine de la vie de l’esprit qui soit entièrement dans le monde des idées, c’est bien celui de la philosophie. Or le fondement de l’idée, ne pouvant être la raison, ne devrait-il pas en conséquence être le doute ? C’est bien en doutant de la véracité des mythes que, sur les rivages grecs, la philosophie est née. C’est bien en doutant de tous que Socrate a pu établir que ceux qui exerçaient le pouvoir le faisaient sur des bases incertaines et par là inutiles. Savoir est utile, connaître simplifie la vie, mais nous ne sommes entièrement tournés vers le monde extérieur. Le moi a une réalité, c’est par le moi que nous ressentons, que nous éprouvons des sentiments, des désirs et des passions. Ce moi si réel, mais au fondement si flou, ne peut exercer sa lucidité qu’au travers du doute. Sans l’exercice salutaire du doute, le ressenti vire au ressentiment, le désir qui épanouit à l’envie qui ronge, la passion au fanatisme ou à l’obsession. Bien avant Descartes, St-Augustin avait bien décrit l’homme qui doute : « S’il doute, il vit ; s’il doute de l’origine de son doute, il se souvient ; s’il doute, il comprend qu’il doute ; s’il doute, il veut être certain; s’il doute, il pense; s’il doute, il sait qu’il ne sait pas ; s’il doute, il juge qu’il ne doit pas croire au hasard. Quelle que soit donc la matière de son doute, voilà des choses dont il ne doit pas douter ; car sans elles, il ne pourrait douter de rien ».
Pourtant toute la philosophie médiévale et après elle, celle des lumières ont ignoré le doute et par là l’assurance de connaître une vie plus authentique, plus en harmonie avec ses désirs, reprenant la démarche platonicienne de l’affirmation d’une vérité en dehors ou delà du monde sensible, du monde des phénomènes. Autrement dit l’affirmation de la possibilité de savoir ce qu’est le vrai, de le définir avec une précision toute mathématique, définition naturellement supposée être plus réelle que l’idée que l’on peut s’en faire. Autrement dit, a été énoncée l’obligation de retrait du sujet devant l’objet, la subjectivité devant faire place nette devant l’objectivité, supposée plus vraie. Et lorsque l’objectivité n’est pas possible faute d’objet à étudier, on en créera de toute pièce. Ainsi avant Platon, les philosophes s’étaient extasiés devant la notion de l’Etre, l’Etre en tant qu’être : une perfection hors du champ de la pensée et donc indicible car échappant aux turpitudes liées à l’incarnation puisque non sujet à la causalité, au déterminisme et à la temporalité. Cet Etre, objectivation toute théorique d’un ressenti tout subjectif, aura fait l’objet de savoirs spécifiques, l’ontologie et la métaphysique qui auront donné naissance à une foule d’ouvrages, d’opuscules, de brochures voire de grimoires obscurs. Il faudra attendre Nietzsche et sa thèse du renversement des idoles pour que soit affirmée la suprématie de la valeur pour soi sur une supposée vérité suprême s’imposant à tous quoiqu’indicible.
Car s’il doit y avoir une vérité en philosophie, c’est de considérer comme fondé le présupposé qu’il ne doit y avoir aucun présupposé. Et qu’en conséquence, une question peut rester sans réponse et ouvrir le champ à d’autres questionnements, le champ de l’idée à la recherche d’elle-même. La solution d’un problème objectif suppose une démonstration faisant appel à des connaissances pour établir un résultat incontestable; la résolution d’une question personnelle ne suppose pas sa dissolution dans une réponse immédiate, partiale car partielle, le moi ne pouvant se laisser enfermer dans une série causale, ou son absolution dans une mystique de pacotille comme il en existe tant de nos jours, les fameuses et nombreuses écoles de découverte de soi et qui n’est en fin de compte qu’une singerie du positivisme. Certes, nous avons de bonnes raisons de vouloir savoir ce qu’est la vertu, surtout que depuis l’époque de Socrate, une multitude d’individus bien peu vertueux ont laissé leur trace dans l’Histoire, mais ce qui relève de la compréhension de soi par soi, de l’idée que l’on a du monde, la Weltanschauung, de l’idée que l’on se fait de l’image de soi dans le monde, cela est hors du champ de la raison, de la connaissance empirique comme de la connaissance déductive.


Jean Luc

 

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L' Ephémère - Café Philo du 22.10.2008

 

Ephémère : d'Héméra (qui ne vit qu'un jour, qui ne vit que très peu de temps : fugitif)

S'oppose t-il à durable, éternel, perpétuel ?

- L'éphémère des événements laisse place à d'autres événements

- Telle la vie, le ciel, la rivière . la durée des événements ne nous appartient pas « Rien n'est dû »

- Inutile de vouloir s'approprier la situation, le sentiment, la santé, la beauté, la chose, .

- L'attachement : que nous procure t-il ?

« Soeur Emmanuelle, en quête d'absolu, pas d'éphémère ? » au journal télévisé

A. Selon A.Naouri *

Nos sociétés de consommation, nos sociétés de l'éphémère (de l'effet-mère), fournissent à qui veut bien prendre la peine d'y puiser, des alibis à notre conduite, à « notre inconfort » et détermine en partie notre vie.

« Effet-mère » :

On peut affirmer sans exagérer que cette discipline « la médecine » est d'essence on ne peut plus maternelle, soucieuse de contingence et de vérification, pleine de sollicitude, mais imposant de manière tranchante son point de vue, toute à la fois oblative (qui porte à faire don de soi-même) et mortifère (humiliante) en principe pour le désir.

La Psychanalyse s'avère elle d'essence paternelle : indifférente à la contingence et soucieuse du seul discours, elle encourage l'accession à la liberté véritable , développant pour cela des exigences parfois insupportables au point que le modèle que j'ai dit vouloir ébaucher à partir de son enseignement a pu et peut paraître réactionnaire - tant il heurte les défenses que nous nous sommes tous, hommes comme femmes naturellement constitués autour de notre position « d'enfant chéri de maman et de maman, seule ».

On a cru faire le bien de l'enfant en lui prêtant allégeance (adoucissement, consolation) et en l'installant en place de roi et en l'exposant plus qu'on ne l'a jamais fait, en fait à une angoisse obsédante, laquelle fera les choux gras des marchands d'anxiolytiques.

L'enfant happe au passage les messages les plus tenus pour les agglutiner à son expérience et tramer sa vie.

Comment va-t-il réagir face à l'infini plaisir que lui dispense la sollicitude ?

La relation à l'enfant est une source inépuisable de plaisir pris et donné : s'y vautrer comme nous rêvons si fréquemment de le faire ne va pas sans conséquences. N'oublions pas que le plaisir de quelque ordre qu'il soit, que nous recherchons reste enraciné dans les forces de mort ; et il importe de reprendre pied dans la vie .

Le nouveau-né exige d'être accepté par les deux parents dans sa réalité. L'impulsion de l'avenir souhaité, signe l'engagement implicite de son parent dans le projet à long terme, qu'un voyage est en cours et qu'on se porte garant du haut de sa place générationnelle, de le mener à bon port.

En quoi cela concerne t-il la sécurité extérieure ?

En ceci qu'on signifie à l'enfant que l'on est comme parent le promoteur du voyage, qu'on est au gouvernail, qu'on assume la responsabilité de la traversée et qu'il ne doit pas s'inquiéter de certains aspects du ciel, de la voilure . de la manouvre. On s'inscrit avec lui, dans la logique d'un temps qui va uniformément de la vie à la mort et qui entre les deux implique une durée de vie à accomplir et à remplir sans craindre sa fin - sans se laisser paralyser par la perspective de cette fin.

C'est ne mettre que de la vie dans la vie, sans pour autant nier la mort qui en est l'achèvement.

. /.

Lui dire ou signifier au nom d'une liberté illusoire qu'il fera plus tard ce qu'il voudra ou pourra, c'est lui dire qu'on est incapable de savoir si le projet à long terme pourra ou ne pourra pas être mené à bien, si le bateau ne va pas sombrer. On l'engagera à rester sur ses gardes sans jamais se défaire de son gilet de sauvetage.

On lui dira en quelque sorte qu'il est seul responsable de sa survie et qu'on ne peut soi-même rien pour lui. Sous prétexte du souci de sa personne, on lui interdira en définitive d'oser se risquer à explorer et on le condamnera à rester rivé au poste de secours. A ses questions, on répondra qu'on croit avoir bien fait mais qu'on est dans l'incapacité de connaître le résultat. Ce qui équivaut à lui signifier qu'on ne peut rien à la logique du temps qui est envahi par une mort toujours imprévisible et présente. Ce qui revient à mettre sans relâche de la mort dans la vie et à faire de la vie un sursis .

Il est clair que l'on opte pour telle ou telle attitude à la mesure de ses possibilités, mais aussi avec les déterminants de son histoire propre .

B. Selon A.Naouri *

Nous sommes, que nous voulions ou non l'admettre habités et travaillés de toutes sortes de façons à la fois par la vie et par la mort. Les forces de mort aussi étonnant que cela soit, ne sont pas seulement nécessaires aux forces de vie, elles lui sont indispensables. Vouloir l'ignorer ne reviendrait pas à privilégier la vie, mais à la mal-traiter.

Nous sommes vivants, mais aussi descendants d'une longue chaîne d'ancêtres morts. Nous sommes parents et dans le même temps enfant de nos parents.

Les rapports que chacun entretient à la vie et à la mort n'est pas sans conséquence. A.Naouri considère trois cas de figure :

La disparition physique est tellement présente et terrorisante qu'elle envahit tout le champ perceptuel en ne laissant aucune place à tout ce qui participe à la survie. Il peut y avoir plusieurs causes dont l'une réside dans le fait d'un traumatisme violent et destructeur ayant affecté la vie des intéressés ou de proches.

La crainte de la mort physique peut aussi être suffisamment insistante pour que la vie ne soit perçue comme n'étant qu'un passage sur terre, lequel n'aurait aucune consistance s'il n'était intégralement et à ras-bord rempli de plaisir. Ce serait de l'intolérance au moindre souci ou gêne procuré par l'enfant, la maladie . Si l'enfant est malade, il doit être guéri à peine la porte du médecin franchie .

Il existe aussi à l'autre extrémité de l'échelle, une troisième catégorie de personnes pour laquelle la vie est une formidable aventure qui les dépasse, dont elle se considère un relais. Au regard des précédentes catégories, on peut considérer que celle-ci a atteint une forme de félicité par ce qu'elle aurait bénéficié d'une large succession de générations antérieures, indemnes de conflit et de violence ou ayant étroitement adhéré à un système explicatif du monde tel qu'en fournissent les systèmes sociaux particulièrement structurés ou religieux .

Ces trois catégories ont en commun chacune à sa façon, le souci majeur et affiché de la vie.

L'éphémère, simple composante de la vie !...?

* « Le couple et l'enfant » d'Aldo Naouri

 

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TRANSPARENCES ET NUDITE

 

Mercredi passé nous avons discuté du plaisir dans tous ses états. Il a été souvent question de plaisir sexuel sous ses différentes facettes culturelles ou autres.

En écoutant le débat est née l'idée de ce sujet : « transparences et nudité ».

La nudité dans l'absolu, c'est à dire en dehors des interprétations historiques et culturelles étant une, c'est à dire l'absence de vêtements ou de biens, j'ai cru bon de la mentionner au singulier. Les transparences étant infinies, j'ai pensé qu'il fallait mettre le mots au pluriel. Aujourd'hui transparence est devenu un mot à la mode, une sorte de passe-partout moral pour les institutions d'état, les banques et même les supermarchés qui, au nom de la transparence nous annoncent tous les ingrédients des denrées alimentaires.

Le contraire de la transparence c'est l'opacité. Les deux vont souvent ensemble. Parfois la transparence peut cacher une opacité génante. Par ex. sur un emballage sont listés les ingrédients mais pas leur origine qui peut être douteuse, voire dangéreuse (Chine) mais cela n'est pas prévu dans les critères de la transparence qui est donc respectée.

Le sujet de ce soir aurait donc été mieux annoncé sous la forme :

TRANSPARENCES, OPACITES ET NUDITE'. Mais peu importe.

- Le corps nu,

Le corps nu à l'état naturel et sans « mise en scène » c'est la réalité. Il est défini, il absorbe le regard et il manifeste son opacité.

Il bloque ainsi l'imagination et par là même, le désir.

En revanche le corps qui se laisse entrevoir sous les transparences des vêtements n'est pas suffisamment défini pour bloquer l'imagination et n'est pas assez couvert pour ne pas la susciter.

Et c'est justement là, entre le visible et l'invisible qui se déploie le jeu ambigu de la présence et de l'absence qui provoque notre désir à aller plus loin, à passer outre, à rejoindre un au-delà.

Identique est le mécanisme qui invite le croyant à aller au-delà du monde, en quête de Dieu sans toutefois le rencontrer, ou qui encourage une personne à aller au-delà des vêtements pour saisir un corps, qui seulement en fuyant alimente le désir.

Car le désir ne sait pas ce qu'il veut réellement. Il n'est pas ancré dans la réalité, au contraire il ne la supporte pas. Il est toujours à la recherche de ce qui laisserait transparaître une ultériorité de sens, un au-delà de la réalité, donc un sens irréel ou déréel. ( = détaché du réel)

Iréelle est la situation qui, par le biais des transparences nous incite à scruter, à fouiller le corps de l'autre comme si nous voulions découvrir quelque chose qui irait au-delà de son anatomie. Cela ressemble au jeu des enfants qui démontent une montre pour découvrir ce que c'est que le temps.

A ce point, si nous sommes conscients de nos états d'âme, nous comprenons que ce qui nous fascinait n'était pas ce corps réel (nu !). mais que, à travers ses transparences il devenait l'incarnation de notre désir.

La transparence n'est donc pas le parcours qui en partant de notre regard désireux nous amène à toucher le corps de l'autre, mais c'est bien l'inverse : les transparences transforment le corps de l'autre en miroir de notre désir.

On comprend maintenant pourquoi la séduction ne se fie pas à la nature. Un corps nu comme la nature l'a fait n'est pas séduisant sans l'intervention de l'artifice capable de déjouer la simple nudité et d'effacer le naturel d'un corps insignifiant en soi.

Les transparences nous renvoient à la transcendance qui se manifeste grâce à la séduction, quand celle-ci ne devient pas une parodie.

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Plaçons maintenant le sujet de ce soir dans un autre contexte.

Avant d'approfondir quelques aspects du sujet je vais juste énoncer quelques domaines où la nudité et les transparences jouent un rôle de relief :

- La nudité comme acte de rébellion : les hippies, le streaking etc.

- Nudité et pauvreté (dans le passé la blancheur de la peau des riches qui avaient des vêtements, contre le ton halé des pauvres qui étaient eux, découverts)

- Nudité et commerce (des textiles)

- La nudité du visage (E. Levinas : Ethique et infini)

Lévinas nous livre d'abord cette précision sur le visage : cette expression désigne toute partie de chair où autrui apparaît comme vulnérable et exposé à la violence, la nuque appartient au visage.

La rencontre de l'autre en tant qu'autre s'opère quand on saisit le visage dans sa nudité essentielle au- delà de ses attraits éventuels ou particularités. « C'est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c'est de ne même pas regarder la couleur de ses yeux». Quand on observe la couleur des yeux, on n'est pas en relation sociale avec autrui. L'accès au visage en tant que visage est d'emblée éthique il y a un dépassement de l'acte perceptif. Je ne me contente pas de regarder le visage de l'autre homme, je me sens responsable de lui, obligé par son dénuement, la nudité essentielle de son visage exposé à toutes les violences.« La peau du visage est celle qui reste la plus nue, . bien que d'une nudité descente. Il y a dans le visage une exposition sans défense. Une pauvreté essentielle .La preuve en est qu'on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. » NB Ce n'est pas parce qu'un corps est sans sous-vêtements qu'il est nu. On peut être nu tout en étant encore paré. Au sens de Lévinas il y a donc dénuement, il y a mise à nu lorsqu'il y a révélation de vulnérabilité. Le visage est littéralement désarmant .

- La nudité ( J.L. Nancy : « à la nue accablante ». photos)

Que signifie vraiment « mettre à nu » ? N'est-ce pas toujours le geste de la découverte, de la révélation, du savoir, quand justement on ôte le dernier voile ? Qu'y a-t-il d'autre à ôter en plus de la révélation et de l'exposition de la nudité ? "La nudité n'est pas la vérité » nous assure J.L. Nancy même si généralement la vérité est justement représentée nue. La nudité nous dit simplement : « voici mon corps » et en même temps elle se dérobe à la vérité puisqu'elle évoque inlassablement la dénudation.

- Le nu dans l'art.

C'est une forme d'art qui essaie de recréer une image du corps humain, tout en respectant les exigences esthétiques et morales de l'époque. Depuis la préhistoire, la représentation de corps nus est un des thèmes majeurs de l'art. La nudité y est symbolique. La première apparition de la nudité dans les arts est concomitante à celle de l'art lui-même.

Au départ, mais aussi dans ce que nous appellons les « arts primitifs » dans les représentations de femmes, le visage et les détails sont minimisés alors que les seins, le ventre et le sexe sont accentués, exagérés. (symboles de fécondité et d'opulence)

Les grecs porteront une grande attention au corps, surtout masculin, à son entretien et à la beauté, perçue alors comme sacrée. C'est la célebration de la beauté pure.

Le Moyen Age n'aime pas représenter le nu, en raison de l'utilisation de l'art à des fins religieuses. En effet, le nu est pour le Moyen Âge un rappel de la condition mortelle et imparfaite de l'homme, en rapport avec le péché originel. Ou alors en rapport avec le péché mortel. Nous trouvons beaucoup de représentations nues des âmes damnées.

A la Renaissance, le nu devient un sujet à part entière et exprime une esthétique nouvelle, dans laquelle les artistes traduisent l'évolution de la société. Au début, les corps sont particulièrement corpulents (gras) car on souhaitait montrer que l'on entrait dans une nouvelle ère d'opulence et surtout parce que le désir premier des humanistes était de placer l'homme au centre de l'univers. Plus tard, les corps adipeux laissèrent la place à des corps musclés. Les corps, également figés au debout, ont évolué à l'instar de ceux de l'Antiquité. Ces deux caractéristiques (musculature et mouvement) furent améliorées par l'étude des maîtres anciens mais surtout par la recherche anatomique sur des modèles vivants ou des cadavres (comme le fit Léonard de Vinci). Le nu féminin, tout en exprimant un idéal de beauté, est souvent bardé de transparences et commence à traduire un érotisme, qui posera quelques problèmes dans la réception des ouvres en raison des mentalités qui n'étaient pas prêtes à accepter ce type de représentation. Les artistes durent trouver toutes sortes de stratagèmes pour que la nudité ne soit pas choquante et n'entraîne pas le rejet de l'ouvre. Soit la pose elle-même masquait ce qu'on ne voulait pas montrer, soit un cache-sexe plus ou moins opportun fut largement employé, autant sur les sculptures que dans la peinture : c'était soit un morceau d'étoffe, soit une feuille de vigne (comme sur Adam) ou de figuier, et parfois des éléments plus ingénieux comme les cheveux (comme pour la Naissance de Vénus de Botticelli)

A partir de la fin de la Renaissance le nu artistique devint de plus en plus sensuel. Mais pour créer cela les peintre durent de plus en plus faire recours au transparences ambigues et aux mises en scène.

L'impressionnisme et le réalisme furent deux mouvements de la seconde partie du XIXe siècle et firent scandale à leur époque en utilisant le nu dans des situations réalistes et non plus pour des scènes mythologiques. Proches des préoccupations sociales de leur époque, les peintres réalistes privilégièrent les études de nus féminins sur le vif, dans des situations quotidiennes. Loin de l'idéalisation du néoclassicisme, ces ouvres crues furent considérées comme de la pornographie. Le plus grand choc fut « la création du monde » de G. Courbet. Ensuite il y eut l'art abstrait, le Pop-art, le body-art, la photographie, le cinéma etc. Tous se servirent du nu pour interpréter la réalité à leur façon.

- La nudité de l'initié.

La nudité est un élément primordial de beaucoup de rites d'initiation ou de consécration. En se dénudant l'homme revient à l'état de nouveau-né, et indique qu'il s'abandonne aux puissances supérieures. Pour trouver son propre chemin l'initié doit être seul et nu face à tout et avant tout face à soi-même. Il se dénude, il fait ses ablutions purificatrices, il se débarasse des scories qui l'alourdissent.

- La nudité parfaite (Zen).

Atteint un certain age et à chaque jour il peut nous arriver d'entendre une sorte d'invitation subtile à nous libérer de beaucoup de choses cumulées depuis la jeunesse et pendant l'age adulte comme si dans le passé cela représentât une garantie pour notre sécurité. Nous commençons en effet à ressentir que la nudité est sécurité plus sûre, est liberté plus libre, est beauté plus belle. Nous sentons le besoin de revenir à la dimension originelle (mais oh combien difficile à gérer) de la simplicité. Et cela est juste puisque naître, grandir, désirer, atteindre des bûts et après décroître, vieillir, se dépouiller et mourir a un sens, un sens originel, sacré, (un sens divin pour ceux qui croient).

La nudité parfaite est le patrimoine mystique du Bouddhisme mais aussi du Christianisme. Dans ce dernier cela s'appelle le pardon et la charité.

- Nudité moderne et post-moderne.

Dans la modernité (~ 1960-1990) la nudité assumait les caractéristiques de l'exhibition et/ou de l'idéalisation au point de devenir banale.

Le corps, à son entrée dans la post-modernité (~ 1990 à nos jours) change de signification et de fonction. Ce n'est plus le corps anonyme exhibé, le corps-machine, mais quelque chose de plus flexible, de plus identifié.

C'est une nouvelle forme de nudité fortement marquée par le cryptogramme. A travers les tatouages et le piercing (seraient-ils les transparences de ce début du XXI siècle ??) la nudité revient en quelque sorte à une dimension mythique et fascinante d'où émerge peut-être une certaine pudeur morale que nous croyions perdue.

 

Par Luca

 

 

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ephemere
transparence

 

 

La repentance

 

Le terme de repentance, que l’on trouve déjà dans la Bible, est devenu d’un usage plus fréquent depuis que le pape JP ll, en a fait un élément de la doctrine de l’Eglise catholique. Ainsi a-t-il fait publiquement repentance d’évènements passés dans lesquels l’Eglise catholique porte une responsabilité peu glorieuse (Procès Galilée, Inquisition, anti-judaïsme affirmé et assumé durant de nombreux siècles). Son successeur portant la repentance sur le comportement peu digne de certains membres en exercice du clergé.
Un Jésuite, a pu donner de cette attitude la définition suivante, elle est « la reconnaissance d’une responsabilité collective et l’expression d’une solidarité de tous les membres de l’Eglise pour les fautes commises par quelques uns ». La repentance va donc au-delà de la confession, puisqu’elle sort du domaine strictement religieux, celui du rapport avec le divin, pour reconnaître des fautes concernant non la foi mais le regard que cette institution porte sur le monde ou la manière dont elle se gère. Cela se justifie puisque dans le monde actuel qui est un monde ouvert, une religion ou même une simple croyance, ne peut plus prétendre détenir à elle seule la vérité et s’en arroger un monopole
de diffusion. Le souci des religions est d’éviter tout relativisme, toute expression fondée sur l’opinion susceptible de changer constamment, pour conserver intact leur socle, qui est constitué par le dogme qui énonce les articles de foi ; la repentance trouve ainsi sa nécessité et sa justification en ce qu’elle est une manière de précéder toute critique et d’y répondre. Pour le pape, reconnaître les fautes et les erreurs, en demander le pardon et affirmer que de semblables errements ne se reproduiront pas, c’est assurer la prégnance et la prééminence du dogme de l’infaillibilité pontificale, qui est au cœur même du catholicisme. Ce qui est reconnu comme étant faux l’est assurément, mais ce qui a contrario est reconnu comme juste ne peut être discuté…par les adhérents de cette institution du moins.

Dans le domaine politique, celui qui adopte pareille position pour reconnaître des turpitudes passées accroît sa légitimité en demandant l’absolution devant l’Histoire pour la nation qu’il représente. Ainsi le président Chirac lors du
discours en 1995 sur la responsabilité de l’Etat français lors de la rafle du Vel d’Hiv ou le chancelier W. Brandt, s’agenouillant en 1970 devant le monument commémoratif des exactions de la Wehrmacht durant la 2e guerre mondiale en Pologne. Occulter une page du passé sous prétexte qu’il est honteux n’est rien de plus qu’une bassesse morale et un outrage supplémentaire aux victimes.
La repentance a une toute autre allure qu’un simple procès, comme le procès de Nuremberg par exemple, au cours duquel l’ on juge et on condamne. Mais d’un procès, aucune grandeur morale ne se dégage. D’ailleurs on ne juge toujours que des vaincus, si les nazis et les khmers rouges ont eu à faire face à des juges, quid des stipendiaires des tyrannies staliniennes ou maoïstes ?

L’expression d’une repentance ne résulte pas d’un simple état d’âme, elle est le fruit d’une réflexion, elle est volonté de clarification, et pour cela il n’est nul besoin  d’un juge. Montaigne avait déjà pu noter « la raison efface les autres tristesses et douleurs, mais elle engendre celle de la repentance » Et le philosophe Le Senne a pu établir :« Dans la mesure où le remords s’intellectualise et se tourne en entreprise morale avec rôle de la volonté, il devient le repentir. »
Il y a donc la volonté de réparer la faute, non sous la contrainte d’un tribunal, mais en ne faisant appel qu’à son libre-arbitre.

Ce n’est pas faire preuve d’un pessimisme excessif que de reconnaître que toute œuvre humaine est faillible, même celle qui fait état des aspirations les plus nobles; de fait, tout aréopage qui se considère en droit de dire ce qui est
vertueux et ce qui ne l’est pas, n’est vraiment fondé à le faire que s’il soumet à un examen lucide ses prises de position passées. Ainsi que valent par exemple les élucubrations actuelles de la Ligue des droits de l’homme contre des décisions d’un gouvernement légalement constitué alors que cette même ligue n’avait aucunement jugé utile de critiquer les procès de Moscou durant l’ère stalinienne. Elle s’était notamment crue autorisée, en 1937, d’ affirmer :"Il est des heures où une révolution ne peut être sauvée que par des mesures extrêmes et on ne saurait à certaines périodes se dispenser de recourir à des moyens exceptionnels. Le droit de légitime défense existe pour les individus, a fortiori existe-t-il pour les nations…Nul ne saurait refuser à un peuple le droit de sévir contre les fauteurs de guerre civile, contre des conspirateurs en liaison avec l'étranger. Ce respect des principes est un devoir en période normale, mais en période de crise, en cas de péril intérieur ou extérieur, en présence de menées terroristes, il faut non pas blâmer mais louer les peuples et les régimes qui ont le courage d'instituer, s'il le faut, un tribunal révolutionnaire ». Depuis on attend vainement une appréciation plus sereine d’un régime responsable de 20 millions de morts. Lorsque l’on bafoue ainsi les valeurs que l’on voudrait voir gravées sur l’oriflamme brandi au nom de l’universalisme des droits de l’homme et que l’on s’en sert pour proclamer la nécessité et réclamer de fait des repentances à tout va pour tout autre que soi, on sombre dans ce P. Bruckner appelle la « Tyrannie de l’innocence », symptôme et prurit inguérissable de l’homme blanc qui n’aurait que son sanglot comme dérisoire amendement de ses turpitudes passées et présentes. Ce qui en découle alors est « l’hystérie misérabiliste » de tous ceux qui s’arrogent le droit d’être le débiteur ad vitam aeternam de l’Européen, et qui se traduit de leur part par une victimisation obsessionnelle.

Evidemment alors, l’Occidental, du moins le quidam moyen, tombe de haut : lui à qui l’idéologie soi-disant progressiste avait fait croire qu’il était unique, représentant du genre humain à lui tout seul car le progressiste dont il suivait l’avis se rêvait universel, se découvre non seulement quelconque mais accusé de tous les crimes. Ce malheureux  « conformisme du gémissement » perdure chez certains encore de nos jours. Mais il est tellement facile de s’affirmer comme n’étant jamais coupable de rien, cela évite d’endosser le ridicule de l’échec.

Quant à tous ceux qui, toujours sous l’étiquette de progressisme, clament tout haut vouloir accepter et légitimer ces critiques, ils se réfugient dans un infantilisme morbide et font résonner en écho à cette plainte permanente un « nietzscheïsme renversé », ou la victime est divinisée, ou le faible d’hier garde son image de faible et d’exploité, icône misérabiliste d’un monde occidental toujours en recherche d’exotiques idoles à vénérer. Cela permet « d’éclairer sa banalité d’un arrière-fonds tragique », de prendre la posture du résistant, du héros pour qui toute loi est liberticide, attentatoire à la dignité des exclus et des misérables dont il est naturellement le porte-parole. Le parangon de cette figure de résistant de salon étant Sartre, dont le haut fait d’armes fut de combattre non le nazisme duquel il s’accommoda fort bien, mais le gaullisme décolonisateur, vu comme l’ultime avatar d’un fascisme honni. L’illustre maître à penser des germanopratins n’allait bien sûr pas s’abaisser à une quelconque repentance. La haine de soi, accompagnée d’appel au meurtre, avait rang d’absolu chez ces plaisants et maniérés esprits : «  Abattre un Européen c’est faire d’une pierre 2 coups, supprimer un oppresseur et un opprimé: restent un homme mort et un homme libre », écrira-t-il dans la préface des Damnés de la Terre.
Mais ne disait-on pas alors qu’il « valait mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron » ?

Ces postures, qui sont autant d’impostures devant l’Histoire n’ont évidemment rien à voir avec la repentance et sont tout simplement des mises en scène de la médiocrité de ceux qui s’exhibent ainsi. Si les Européens veulent à nouveau se faire reconnaître un droit à penser l’ensemble de ce qui est, ce que la philosophie grecque de l’Antiquité, avait formulé pour la 1ere fois, il leur faut porter un regard à la fois critique et interrogateur sur ce qui les entoure
et sur leur propre être. Ce regard, ne doit pas être un aveuglement, ne doit pas déboucher sur un catalogue de croyances susceptibles de faire sens pour toute l’humanité. Il se doit d’être un exercice de lucidité définissant et analysant les causes de la chute lorsqu’il y a faillite de la raison et de porter cela à la connaissance de tous. « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, ce n’est pas de subir la loi du mensonge triomphant qui passe », a pu écrire Jean Jaurès.

La repentance cependant, est toujours néfaste lorsqu’elle devient une exigence de repentance de la part de certains groupes pour mettre en cause les lois d’un pays. Ainsi Malika Sorel, membre du Haut conseil à l’intégration, a-t-elle pu noter : «  La problématique de l’intégration des flux migratoires se traduit partout par des exigences d’une ampleur telle qu’elles viendraient à changer radicalement le contenu des projets politiques collectifs des peuples hôtes si elles venaient à être satisfaite. Dans tous les pays hôtes, l’accueil de l’Autre se transforme peu à peu en une demande d’abdication des idéaux sur lesquels se sont bâties les sociétés d’accueil…Aux yeux de leurs élites politiques, les
peuples européens seraient-ils le seuls au monde condamnés à ne pas jouir du droit d’avoir une identité ? »

C’était bien pour redonner une identité aux peuples d’ Europe, pour, après Auschwitz, redonner du sens au sens et accepter le repentir de ceux qui s’étaient adonnés avec tant de frénésie à la délirante lutte des races, qu’après 1945, était née l’idée d’une nouvelle transcendance par la création d’une union européenne. Mais en quoi une union peut-elle porteuse de sens, si sa finalité est tout simplement de ne pas avoir de finalité si ce n’est de reculer toujours plus loin les contours d’un ensemble dont l’identité repose sur l’unique fait de ne plus avoir de frontières, partant du postulat que ce qui délimite est ce qui discrimine? Arborant l’étendard du relativisme le plus intégral derrière l’énoncé de droits toujours plus abstraits et de la repentance permanente au motif que toute identité fondée sur une nation est une menace puisque relevant d’un populisme préludant à une résurgence fasciste, les peuples, dépossédés de leur identité, se rendent bien compte que la frontière n’est pas ce qui menace, mais est ce qui protège, que l’expansionnisme de cette Europe-là n’est qu’une nouvelle forme de suffisance, que la repentance ne doit pas être ce qui détruit l’identité mais ce qui la construit, l’identité étant ce qui fonde une civilisation, laquelle est, selon St-Exupéry, « un héritage de croyances, de coutumes et de connaissances lentement acquises au cours des siècles, difficiles parfois à justifier par la logique, mais qui se justifient d’elles-mêmes puisqu’elles ouvrent à l’Homme son étendue intérieure. »
 

Jean Luc

 

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Le Hasard, Compte-rendu du café philo du 7 septembre 2010

 

Préambule

 

Etymologiquement le mot hasard vient de l’Arabe est signifie le dé et extensivement le jeu, toutes activités où le calcul, la réflexion et le jugement n’ont aucune part, car les diverses faces d’un dé ont toujours des probabilités égales d’apparaître lorsqu’on les jette sur le tapis.

Jeter les dés, c’est un phénomène que nous appelons fortuit ou dû au hasard, car il dépend de causes trop complexes pour que nous puissions les connaître toutes et les étudier.

 

Mais cela ne signifie pas que le hasard soit l’absence de causes, mais une série de causes multiples difficiles à prévoir et qui échappent à tout contrôle et toute intention, tel est le cas dans le lancer de dés, et il est vrai que nous n’aimons pas ne pas maîtriser !!

Le hasard recouvre les deux acceptions de hasard malheureux ou heureux, chance ou malchance. Ainsi lorsqu’on prend une décision politique on court un risque ou une chance comme disait Edgar Faure, même si l’événement en lui-même est fortuit et ressortit d’un concours de circonstances heureuses ou malheureuses.

Le président Henri Queille de notre IIIème république appliquait à son goût le principe du libéralisme, « Il n’y a pas de problème qu’une absence de solution ne saurait résoudre » ; Mais en cela il ne suivait pas les préceptes de Machiavel qui au nom de la virtu faisait obligation au Prince d’agir afin d’amortir les effets du hasard « La fortune est maîtresse de la moitié de nos oeuvres et elle nous laisse gouverner à peu près l‘autre moitié, à défaut elle manifestera sa puissance là où il n’y a pas de remparts dressés pour lui résister ».Le hasard n’est donc pas un destin implacable mais au contraire il offre des opportunités, du libre arbitre, et donc la passivité est interdite dans le champ politique. L’événement en lui-même n’a pas de sens a priori, et par la virtu, qui est une habileté à se jouer du hasard, on peut aller plus loin vers des succès plus éclatants, voire des défaites plus cinglantes.

Dès lors le hasard devient destin ou fatalité, surtout si ce qui arrive est sans raison apparente ou explicable, et que l’on croira redevable soit de la Providence, soit du sort ou de la fortune.

On cherche à prévoir, à prier pour obtenir une intercession, consulter des mages et des astrologues, jusqu’au principe de synchronicité ; Dans un ensemble de causes nous tentons de chercher un sens qui soit Dieu, la magie, l’horoscope, et nous les quantifions même à l’aide de calculs de probabilité pour nous rendre à l’évidence que toutes les causes ne sont pas maîtrisables en détail.

Mais existe aussi l’exception du possible d’André  Breton défendant l’idée d’un hasard objectif. « Foi persistante dans l’automatisme comme sonde, espoir persistant dans la « dialectique » pour la résolution des antinomies qui accablent l’homme, reconnaissance du « hasard objectif » comme indice de réconciliation possible des fins de la nature et des fins de l’homme aux yeux de ce dernier, volonté d’incorporation permanente à l’appareil psychique de l’ «humour noir » qui, à une certaine température peut seul jouer le rôle de soupape, préparation d’ordre pratique à une intervention sur la vie mythique, qui prenne d’abord, sur la plus grande échelle, figure de nettoyage. ».

Le hasard n’est donc pas le contraire de la loi et l’écriture automatique obéit à une loi comme le hasard en possède une. On se laisse dicter par le hasard sachant que les mots distribués selon la fortune trouveront un sens par la grâce de « l‘Esprit » dont le rôle est de produire du sens, de la rencontre…..Ce hasard objectif résout le problème du désenchantement du Monde sans Dieu après la guerre de 14-18…..En l’absence de Dieu on se doit de chercher le « surréel » derrière le réel, dont les signes se dévoilent si peu qu’on soit ouverts à toutes les rencontres.

 

De l’a-causalité à la causalité

 

Pour passer du « sans cause » au principe de causalité il nous faut la temporalité où la cause précède l’effet, car l’a-causalité serait l’absence de temps.

Il n’existe pas de hasard absolu sinon aucun Monde structuré n’existerait et tout serait in-identifiable. En statistique on établit des lois sur le hasard et la contingence (CF lois de Pascal et son pari sur l’existence de Dieu), mais il n’existe pas de causalité linéaire, une concatétanisation fatale.

Si nous sommes en présence d’un Monde caractérisé par sa complexité, sa multiplicité de facteurs et ses boucles de rétroaction, c’est le chaos comportant un ensemble d’effets sans cause spécifique où la causalité est limitée à un champ des possibles, de même qu’en physique quantique. Gödel affirme en outre qu’un système formel ne peut pas être totalement fondé pas ses propres moyens mais que des moyens plus puissants sont nécessaires ; Comment alors fonder un absolu et croire en une vérité absolue, et déjouer le hasard ?

Notre esprit tente de trouver des relations causales où on peut rapporter par exemple les résultats réalisés au lancer de dé, aux résultats calculés….que ce soit hasard ou fatalité, on va trouver des causalités, causalité, synchronisme ou hasard.

Le hasard existerait-il en présence d’une finalité absolue dans l’univers ? A priori non. En outre avec le développement des lois nous rencontrons de plus en plus d’incertitudes (Heisenberg), le champ d’application devient infini.

Une petite histoire du hasard

Le hasard et la causalité sont-ils dans la nature ou dans l’Esprit, sur ce point on a beaucoup évolué  au cours du temps :

. Le hasard est extérieur à la Nature pensait Aristote et même Einstein du moins au début de sa carrière. Le hasard n’est pas dans la nature qui est « causée »  de façon exogène, le hasard n’est cause de rien, le Monde ne peut être « causé ».

. Au 18è et 19ème siècle (Ap JC bien sûr ! ), règne le déterminisme (Descartes, Leibnitz, Newton, Laplace et le jeune Einstein), ils ne supportent pas le hasard, et si on ne sait pas c’est qu’on est ignorant, et on raille d’abondance les superstitieux !! Ignorant car ce qui arrive est en dehors  des normes objectives ou subjectives de ce qui est moralement non délibéré : Le hasard n’est et ne peut être que la cause ignorée d’un effet inconnu ; série de causes indépendantes pour la production d’un événement c’est le hasard ; ce qui n’a pas de cause morale proportionnelle à l’effet ; selon Bergson le hasard serait un mécanisme se comportant comme s’il avait une intention….Une roue de Boeing tombe sur quelqu’un à Schiltigheim on pense que c’est le hasard, si la roue du Boeing ne tombe sur personne est-ce encore le hasard ? Ou alors on envisage « s’il y avait eu quelqu’un !! » Comme si la roue du Boeing avait choisi de tomber en ce point. En outre Freud ne laisse aucune place au hasard.

. Avec Courneau, le hasard est hors de la Nature.

. L’absence de contingence est une absence de finalité, la pensée causale linéaire n’admet pas le hasard qui est hors Nature, ainsi que le pensent les créationnistes.

. Au 20ème siècle le hasard est réinstallé au cœur de la Nature, complexité, information, indéterminé, irréductible, imprédictible; La théorie de Goedel prône qu’il existe de l’indécidable pour une partie de la réalité.

Le chaos déterministe affirme que tout peut être mathématiquement déterminé, mais que le résultat est imprédictible, comme le climat ou l’économie par exemple.

Dans la pensée moderne le déterminisme et le hasard existent, mais la Nature est-elle hasard ou déterminisme ? Edgar Morin utilise la métaphore de l’entonnoir : le Monde est à la fois déterminisme et phénomène aléatoire, le chaos-déterminisme, c’est le hasard lié à la théorie des grands nombres.

Finalement déterminisme ou hasard dépendent de l’observateur :

. S’il regarde par le petit bout de l’entonnoir il aura du recul et verra le paysage avec un tracé très net, un Monde en étroite nécessité

. S’il regarde le paysage par le gros bout de l’entonnoir, il verra une géographie du chaos et ne pourra donner un sens que par le hasard ou la loi des grands nombres.

Mallarmé et le hasard

Un coup de dé, jamais n’abolira le hasard disait Mallarmé : Le joueur instaure le hasard au moment  où il lance les dés et l’épuise après, mais pour cette séquence uniquement.

Il existe une nécessité et une causalité nécessaires dans la façon de jeter le dé et dans la façon dont il retombe. Un cerveau absolu pourrait abolir le hasard par la connaissance et produire le chiffre qu’il voudrait. Mais attention s’il existe une causalité cela ne veut pas dire qu’il existe une finalité !!

Le hasard et la nécessité

Le Monde n’est pas là pour faire plaisir à l’homme, et la réalité extérieure à nous comporte une finalité aveugle et non providentielle, un genre de hasard où les effets sont produits sans intention aucune. Il n’y a donc pas de finalité à l’œuvre dans la Nature, pas d’intention, mais une série de nécessités, un hasard selon lequel les espèces évoluent. En dehors de notre fait psychologique le hasard, tout seul, conditionne l’évolution des espèces, dont nous les hommes, pour produire des formes nouvelles. Le hasard n’est  plus ici la limite de la connaissance et le début de notre ignorance, mais une entité théorique, selon Darwin.

La pensée ne se hasarde pas à penser le hasard, mais à connaître les modalités d’évolution des espèces, sans la prédication de ce qui va se passer. Le hasard ici est le contraire de la Providence mais pas le contraire de la nécessité.

Si le hasard n’existait pas

Si le hasard n’existait pas, nous pourrions donner un sens à tout ce qui arrive, ainsi si je croise des gens dans la rue ce ne sont que des rendez-vous !!

Mais il m’est loisible de transformer chaque événement en rencontre par la puissance de l’Esprit qui transforme tout en sens, et des régiments de « Nadja » s’offriront à moi. J’aurais ré-enchanter le Monde qui deviendra pour moi Providence…..Et si la personnalisation par la Providence m’est impossible, si elle disparaît, j’accepterai le hasard qui sera tout à la fois enchantement et désenchantement , et accepter ce hasard sera mon opportunité de créer des formes nouvelles. Je m’accorde le droit de penser le hasard car je me sens capable de m’étonner et d’accepter de faire quelque chose de cet étonnement à partir d’événements insensés !!

Par ailleurs avec Husserl et la phénoménologie, le hasard est écarté il n’existe pas en terme relatif car il y a le libre arbitre pour en atténuer les effets. Mais est-ce intéressant de donner un sens à tout ? Les bouddhistes veulent évacuer le sens pour s’en tenir aux finalités avec détachement et sérénité. En fait c’est l’observateur qui décide de l’existence ou non du hasard, c’est bien ce  qu’on ne peut imputer à l’homme pensant ou à la puissante Nature, que nous offrons au hasard…la coïncidence d’événements ne devient hasard que du fait de mon attente…..dire qu’une chose est remarquable par elle-même ou par ses effets, c’est introduire une personne qui y est sensible et qui fournit tout le remarquable de l’affaire; Si je n’ai pas joué au loto il n’y a pas de hasard pour moi.

Pour paraphraser la théorie sartrienne des amours nécessaires et contingentes, on peut avancer que :

. La personne rencontrée par hasard et qui correspond à mes attentes m’est venue comme si elle me fut promise de toute éternité, elle est « ma nécessaire » irremplaçable.

. La personne rencontrée par hasard mais qui correspond moins à mes attentes sera « ma contingente » facilement substituable.

 

Ce n’est pas par hasard que le joueur qui s’adonne au hasard ne croit pas au hasard !

Le sophisme du joueur : illusion très commune chez ceux qui jouent au jeu de hasard mais ne se résignent pas à admettre que seul le hasard, précisément, joue et que la seule chose que nous puissions connaître en ce domaine nous est donnée par le calcul des probabilités. Selon cette illusion il y aurait comme une mémoire dans la chose, et personne n’oserait rejouer les mêmes chiffres du loto qui viennent juste de sortir…or ces chiffres ont pourtant toujours la même chance qu’avant, mais personne ne le croira !!

 

Le paradoxe de la loterie : contraste entre la probabilité presque nulle qu’a chaque ticket sur un grand nombre, de gagner et la certitude que l’un de ses tickets sera gagnant. Le joueur de jeux de hasard ne croit pas au hasard et ceux qui ne croient pratiquement jamais au hasard, exagèrent considérablement leurs chances de gains et donc annulent implicitement ce paradoxe.

L’ignorance des probabilités dans le grand public est liée à son refus de considérer le hasard comme un fait objectif…en fait les gens ne croient pas au hasard et c’est pourquoi ils ne jouent jamais au hasard au jeu de hasard !! Personne ne jouerait les case1, 2,3,4,5,6 sur la grille de loto et pourtant elle a autant de chances de sortir qu’une autre grille ….La superstition est une réaction magique face aux risques et au hasard !! Et le joueur va tenter d’insuffler quelque chose de lui-même pour que le projet du dé soit en sa faveur….et dans la mesure où il y a un enjeu pour lui, la fortune peut avoir une intention bienveillante envers lui s’il sait la séduire !!

 

Nous avons la manie de chercher à déterminer les lois de causalité

L’homme a toujours cherché les enchaînements logiques aux événements qui se présentaient à lui dans la nature, était-ce nécessité, hasard ou magie ?

D’abord on explique par les mythes (causalité magique), pourquoi il y a du tonnerre, pourquoi la nuit succède au jour, et on trouvait des causes surnaturelles ou divines.

Mais tout ce qui arrive ne peut être expliqué par des relations de cause à effet, il y a des liaisons événementielles qui ne sont pas faciles à expliquer, hasard ou nécessité ?

Nous cherchons donc  à déterminer les lois de causalité, mais il y faut de la méthode surtout si nous rencontrons des coïncidences troublantes.

 

. D’abord prendre un fait réel, observable et contrôlable (un effet concret avant d’en établir la ou les causes). Mais comme disait Jacques Maritain qui est enterré à Kolbsheim, « Il est aussi malaisé de démêler les actions causales éloignées que de discerner, à l’embouchure d’un fleuve, de quels glaciers ou de quels affluents parviennent tels ou tels échantillons d’eau ».

. Puis prendre un événement et si on ne trouve pas le phénomène antérieur qui l’a causé, c’est donc le hasard, c'est-à-dire une situation sans causalité, même si on écarte un fait antérieur qui pourrait être en relation.

Mais nous pouvons nous retrouver face à des coïncidences quasi magiques : si mon Numéro de ticket de tram est identique à celui de mon billet de 10 Euros avec lequel je l’acquitte, et identique de surcroît avec mon Numéro de téléphone !! C‘est une coïncidence qui dépasse les limites de la causalité, ou cela n’obéit à aucun type de causalité connue, mais a cependant une signification intrinsèque.

Il y a quand même une causalité qui produit l’apparition fortuite mais simultanée de deux ou plusieurs facteurs unis par une signification et sans aucun lien de causalité entre eux : c’est la synchronicité de Carl Gustav Jung, la simultanéité sans connexion causale, l’intentionnalité ou finalité apparente de Schopenhauer, une connexion inconstante au travers de la contingence, une énergie qui définit un continuum spatio-temporel :

. En physique nous aurions une explication concrète selon la triade Espace-Temps-Causalité.

. On devrait rajouter la quatrième dimension, la synchronicité. En psychologie il y aurait une équivalence entre causalité et synchronicité selon des facteurs archétypaux (une Conscience plus grande que nous, une probabilité psychique) qui s’unissent à la causalité et en fondent la finalité. A la triade Espace-Temps et Causalité nous devons donc rajouter la synchronicité, mais c’est difficile d’admettre cela nous qui sommes unilatéralement tentés d’imprégner tout concept contenu dans une relation de cause à effet, de notre propre modèle scientifique. Ainsi avec la causalité et la synchronicité nous serions proches d’abolir le hasard et faire mentir Mallarmé.

Et puis si nous ne trouvons pas la  cause, on peut toujours exiger la « raison », et le destin devient providence, une coïncidence significative. Notre besoin de sens nous fait chercher une nécessité à ce qui a un effet radical dans l’existence. De fait une coïncidence devient significative et traduit une finalité, et le Destin devient Providence car on ne peut admettre que les choses qui nous sont les plus importantes soient absurdes et arbitraires. Et pourtant on peut s’accommoder de l’absurde de Camus, voire pencher pour le défaitisme de Cioran qui voulait par coquetterie de pessimiste, faire taire en lui tout espoir car l’homme est ici sans finalité et n’en a plus pour longtemps même si on fait des réformes. Suivons également Philippe Murray qui a une suspicion absolue contre tous les mythes, comme le mythe du politique qui est de créer du sens avec de la propagande contre le hasard et l’absurde, et fait des mythes pour cela….. mais si on voulait ressembler à Murray on aurait plus qu’à se suicider !!. On va vers la fin de l’Histoire paraît-il, tout finira selon une mécanique à ordre dont les lois sont dans le hasard lui-même, alors le politique définit l’empire du Bien qui devrait gagner, comme le veut le mythe judéo-chrétien avec son espoir du mieux.

Comme certains d’entre nous au café philo, je ne suis pas optimiste mais j’ai des enfants, et le doute me travaille au point que je m’invente l’amour pour  surestimer, mes qualités, mes finalités et celles de mes proches dans le rapport d’affection, et ainsi fortifier le sens de cette rencontre familiale, et sans vergogne me forcer à être optimiste !

De plus on utilise la culture comme anti-destin  et le choix qu’on a fait pour la société est la confiscation du rapport à soi, contre la vérité de la vie avec la domestication des masses !!

Nous débattons de plein de choses au café philo, et il ne le faudrait pas, car lorsque nous débattons il y a perte de réel et ce ne peut être que de faux débats….Le débat fait la perte de réel et ne fait pas surgir des idées de génie !! La finalité aveugle de ce réel n’en a pas fini de produire des effets sans intention aucune !!!!!!

 

Hasard et liberté

Le hasard conditionne-t-il la liberté ? Nous sommes certes jugulés par les nécessités premières qui nous déterminent, mais le hasard est aussi indifférent qui nous laisse la liberté de faire au mieux avec ce dont nous disposons : Sans hasard il n’est pas d’action possible, et de même la Grande Santé est d’être ouvert au hasard, contrairement à la maladie qui est enfermement.

La fortune comporterait des règles distributives si peu qu’on soit tenté par la superstition ! Qu’on se souvienne de notre occupation implacable de l’Algérie, au point que les indigènes privés de tous moyens de réaction, n’avaient plus qu’à croire à la fortune qui devenait l’incarnation du hasard subjectif superstitieux, mais ils n’avaient pas la claire conscience que les événements fondamentaux d’une existence étaient distribués sans finalité préalable !! D’où ils demandaient à leur marabout d’intercéder en leur faveur pour ré-orienter le cours de leur Histoire. D’une part le marabout sollicita, à qui de droit, que les pauvres du Maghreb deviennent riches en Paradis, et d’autre part que  des poux soient jetés sur les Français! Mais l’archange Gabriel a mal interprété un ordre divin, il jeta une poignée de poux sur les Arabes et une poignée d’or sur les Français. Ils n’avaient plus eu la force de transformer le destin en Providence !!.

 

Gérard.

 

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La vertu de l’égoïsme

Préambule : Du soi au moi

 

A priori l’égoïsme a cette connotation négative de tout vouloir ramener à soi comme si nous étions le centre du Monde, en subordonnant l’intérêt d’autrui à notre propre intérêt excessif pour en gonfler notre moi jusqu’à fermer notre âme à toute recherche de générosité vis-à-vis de nos semblables ou de l’environnement.

Le soi et le moi seraient haïssables car il conviendrait moralement de n’être plus soi, et cela est apparu critique au marché et au commerce qui ont relancé la mode d’être soi en lançant des slogans, « Personnalisez votre crédit à long terme !! Personnalisez votre salon de jardin !!», et la personnalité s’achète désormais toute faite en tête de gondole.

Paradoxalement cette attitude aurait une vertu et correspondrait soit à une efficacité économique ou soit à une règle morale qui signifieraient qu’en étant égoïste je suis bien « moi », et n’a-t-on pas en naissant le devoir d’être soi sous peine d’être étranger à la réalité et à nous –mêmes (amour de soi naturel dérivant du physis)?

On ne peut pas nous condamner de vouloir être « soi », et ne vouloir être que soi, c'est-à-dire ce que chacun est pour lui-même, car quelque chose en nous est « en soi », en soi désignant ce qui n’a pas conscience de soi, de son enveloppe matérielle, un ensemble de forces inconscientes, instinctives et de besoins inférieurs qui nous gouvernent et nous conservent.

Par contre, quelque chose en nous est « pour soi » lorsque notre conscience se connaît elle-même. Mais nous sommes là  au niveau d’un moi qui se pense lui-même, un cran au-dessus de notre individualité pour tendre vers notre personnalité, comme un « soi » modifié par le contact avec la réalité, l’extérieur, et faisant retour sur soi. Le moi est une conscience de soi qui s’est développée, et l’égoïsme n’est pas une donnée première ni primitive, c’est une mentalité utilitaire doublée d’un esprit positif et d’un raisonnement prenant en compte nos motifs d’intérêt, avec prévision et calcul.

Accepterions nous aujourd’hui de n’être qu’un individu absorbé dans  le groupe comme dans une tribu, pour ne nous percevoir que comme membre de ce groupe, nous identifier à lui au point de dire « je » en pensant le « nous » de ce groupe ? Nous aurions le sentiment de retourner dans une société inférieure du déni de soi, nous devrions retrouver notre mentalité mystique et magique de notre archaïsme primitif. Et qu’en serait-il du long et lent progrès acquis de la subjectivité ?

Au lieu de cela nous avons opté pour l’égoïsme, jusqu’à l’hypertrophie et la déviation tardive du sentiment de notre moi, pour dire comme Pierre Desproges, « François Mitterrand est tellement égoïste que, quand on ne parle pas de lui, il croit qu’il n’est pas là ! ». Mais nous ne pouvons être des « moi » en permanence avec des fonctions conscientes, car le « soi » sous –jacent nous pousse à des réactions inconscientes, des résistances de conservation, comme l’oubli d’un rendez-vous chez le dentiste par exemple.

De la même manière nous pouvons éprouver successivement l’amour de soi qui est la satisfaction de nos vrais besoins, et l’amour-propre qui est l’amour de soi qui se compare aux autres, ce sentiment de nous préférer aux autres qui exige aussi que les autres nous préfèrent à eux, ce qui est impossible !

 

A) L’égoïsme est nécessaire, il sert la valeur de soi

. L’autre est une entrave à notre réalisation, à notre jouissance, un égoïsme préventif est nécessaire pour affirmer notre droit contre l’autre et ne pas être sa victime.

 

. Amour de Dieu au détriment de l’amour de soi ? Comme si nous avions la cité de Dieu sur terre jusqu’à  nier son soi pour un Dieu cruel et moins dangereux qu’un moi égoïste, ou pour une métaphysique, au lieu de vivre le réel. Mais le soi ne peut être entièrement l‘objet du mépris, une parcelle résiduelle d’amour de soi est indispensable.

. Pour Pascal  Le transfert sur Dieu a raté et donc on doit revenir à l’amour de soi, à la charité qui procèdera de la concupiscence qui surgit comme une nécessité. Mais attention ici nous sommes en présence  de l’égoïsme rationnel et calculateur et non plus de la passion pulsionnelle libérée. Et ces milliardaires américains qui se font forts de céder la moitié de leur fortune appliquent-ils une morale altruiste, un impératif catégorique, ou une charité humanitaire égoïste ?

 

. Privé de Vérité durable, on postule comme Vérité que l’égoïsme privé fait la vertu publique dans le domaine économique, une société peut être ainsi paradoxalement altruiste même si elle est constituée de membres égoïstes !! l’égoïste individuel non vertueux crée à son insu un monde vertueux et parfait.

.  L’égoïste contrarié par le Père, s’épanouit avec la mère Nature, à la loi de laquelle il se soumet. Mais attention ce n’est pas l’exaltation du vice mais simplement l’affirmation d’un intérêt abstrait, un principe à partir duquel Dieu-Mère-Nature agit les hommes.

. Dans une société marchande libérale il faut se doter d’un moi fort pour résister ou pour exploiter rationnellement  l’irrationnel, et donc renforcer sa subjectivité dans un égoïsme bien senti.

 

B) Limite de la vertu de l’égoïsme qui peut tourner au vice ; La vertu cesse où commence l’intérêt ?

. Le plaisir égoïste est négatif, quand en tant que retraité je regarde Maigret et ses dialogues, «  Que de voitures, de chauffeurs et de piétons !! En écrasent-ils beaucoup des piétons ? Oh peut-être cent par jour ! Peut-être verrons-nous un accident ? »  Cela pour rompre la monotonie de la vie de retraité qui a l’espoir au ventre de voir un accident, accident délectable vu égoïstement du fond d’un fauteuil confortable….il est doux de voir les autres s’accidenter à la TV, et le plaisir n‘est pas dans le carnage mais dans le confort égoïste du spectateur à l’abri. Adieu compassion, charité ou chagrin d’écran !

 

. L’intériorisation individuelle de la loi du marché, me ferait tout occupé à satisfaire mes besoins sans plus être une menace pour autrui ? En fait il s’agit d’une tyrannie de l‘exercice de cette loi individuellement intériorisée, mais est-elle toujours démocratiquement répartie, sinon elle cessera d’être vertueuse ! 

 

. Si le lien social n’est constitué que d’égoïsme, nous ne sommes qu’un troupeau  égo-grégaire de consommateurs menacés de dépression si nous ne sommes pas satisfaits.

. Si nous exaltons la pulsion et l’intérêt à la place du verbe sous l’égide de la grande mère Nature, nous ne faisons que lui restituer la faculté créatrice qu’elle nous avait déléguée ou que nous lui avons prise, et nous tendons avidement vers notre auto-destruction pour laisser place à cette même Nature, première bien avant nous et qui nous survivra quoiqu’on en dise.

. L’égoïsme érigé en principe constitue une menace, souvenons-nous  de Némésis, Vergogne –scrupule qui châtiera notre orgueil excessif et punira  notre égoïsme démesuré, l’hybris…. Cependant pour survivre dans la société égoïste libérale, il faut adopter l’égoïsme et non l’altruisme, il nous faut l’amour de soi jusqu’à l’assomption subjective, pour être non pas grégaire mais individualiste.

. L’intériorisation individuelle et effrénée de la loi du marché, sans puissance tierce ni grand Autre, menace à la fois l’être soi et l’être ensemble ; Nous sommes là dans l’égoïsme et la jouissance sadienne faite de destruction de soi et de l’autre, nous finirons dans une société tribale de la tyrannie de l’égoïsme  poussé jusqu’à sa négation et à la négation de toute subjectivité.

C) Un égoïsme vicieux  vaut-il moins qu’un altruisme utilitaire ?

. Nécessité d’autrui dans la construction de l’identité individuelle, grâce à autrui on parvient à se réaliser pleinement.

. On a besoin de se faire reconnaître pour être correctement intégré, il existe une lutte de reconnaissance par ceux qui n’ont pas été intégrés dans les groupes sociaux égoïstes et fermés .

. Avec autrui c’est difficile, mais sans lui l’existence même perd de sa saveur, l’autre est indispensable pour vivre, donc autant l’utiliser sous couvert d’altruisme.

. Imaginons que nous choisissions le solipsisme radical, de la vérité du sujet tout entière dans l’être subjectif….la vérité serait toute en nous accessible par l’introspection !! Or en réalité nous ne sommes rien hors des événements, et il nous faut puiser égoïstement chez l’autre, dans le groupe, et dans la transcendance les notions qui nous dépassent comme l’infini, Dieu, le langage…

D) Egoïstes malgré nous….. Où il n’est question ni de respect de valeur ni de courage, ni a fortiori d’opprobre

. Les récit égoïste publicitaire remplacent les grands récits théologiques (rachat chrétien, émancipation marxiste…), qui nous exhortent à l’égoïsme et à l’exhibition de notre jouissance, pour satisfaire et détourner à notre insu nos appétences pulsionnelles ; Nous sommes dépossédés de notre pulsion en agissant sous le masque du consommateur vers l’objet.

. Nous sommes égoïste mais pas responsables, nous réalisons à notre insu le dessein de Dieu ou la main invisible du marché quand il n’a pas perdu la main. Le lien économique ne s’adresse pas  l’humanité de soi ou d’autrui mais à notre égoïsme… « Donnez-moi ce dont j’ai besoin et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-mêmes !! », disait Adam Smith. On se contente donc de ces données de Nature très immanentes et si peu transcendantes, mais ceux qui ont encore un peu de transcendance à étancher peuvent toujours s’adresser à leur chapelle habituelle.

. Parallèlement à l’inéluctabilité marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit, nous voyons à notre insu nos pulsions pompées par le libéralisme, sous l’effet d’une chute tendancielle du taux de subjectivité !! L’égoïsme généra le libéralisme qui lui-même dégénéra l’égoïsme.

. La pulsion à la place du verbe bouleverse notre économie libidinale, et nous croyons être égoïstes et avides d’intérêt alors que nous ne faisons que poursuivre des marchandises fétichisées, du travail abstrait !! Notre absence d’égoïsme vertueux pour ne pas dire notre vice serait de ne pas avoir la lucidité de nous en rendre compte !!

 

E) Egoïsme, solution immanente moderne

 

 .  Pour Kant, le transcendantal veut une régulation morale , un impératif catégorique, mais c’était transposer dans le civil des principes religieux, très formels et un peu désuets (l’artifice remplace la Nature) ? Car Kant use d’un artifice, d’une loi symbolique pour brider les lois naturelles, et nous préserver de nos passions. Quelle autre solution immanente moderne ? Nous aurions la loi de la Mère Nature archaïque et destructrice de Sade (échange sadien des corps), ou l’échange des biens répondant aux besoins égoïstes réciproques de A Smith…ceci au risque d’être esclaves de nos pulsions consuméristes ou de nos semblables.

. La régulation des échanges serait automatique dans une économie des égoïsmes en compétition, la vertu viendrait de la Nature elle-même, ainsi Allan Greenspan de la FED déclarait en 2008 lors de la crise financière, « L’avidité personnelle des banquiers est la meilleure garantie du Monde »

 

F) Morale de kant et Désir

. Afin que l’égoïsme soit vertueux, Kant nous invite à considérer l’autre comme une fin en lui-même et non comme un moyen, sinon il y a une menace sur l’être ensemble, mais il faut que je sois sûr que l‘autre agisse de même à mon égard !! Et pour cela il convient que j’assume véritablement mon désir égoïste, faute de quoi l’autre passe à l’attaque  et je me trouve dans la situation d’objet de l’égoïsme de l’autre….il me faut donc commencer par être altruiste puis égoïste !.

Au contraire, Sade préconise de considérer l’autre comme moyen de réaliser mes fins, c’est la loi du scélérat  de celui obéissant aux pulsions (pas à l’égoïsme !!)….la régulation vient d’elle-même, car il faut compter avec la loi du désir qui nous fait rencontrer les limites que l’autre peut opposer à notre égoïsme élaboré ou à nos pulsions archaïques.

  

Conclusion : Nous ne pouvons être que des égoïstes tempérés et non des « soi » d’un ensemble qui nous dépasse, il nous faut abandonner ces niaiseries des superstructures qui influent sur l’infrastructure, cet anti-humanisme structuraliste où l’homme ne serait pas sujet de son histoire ni du sens à lui donner! Nous ne sommes que des êtres de désir et de manque et non pas des « soi » de tribu interchangeables, et la dimension poétique de l’homme n’est pas réductible à cet égoïsme tronqué de la production-consommation. Il est fini le temps où nous n’avions une âme qu’à partir d’un certain niveau social au dessous duquel ne paissaient que les veaux égoïstes qui parfois suivaient le bœuf !!

Nous pouvons et devons être égoïstes et vertueux simultanément, à condition que l’autre ne soit pas dans notre dos pour nous dépouiller, nous agresser ou nous juger, mais soit dans le face-à- face lévinassien où les deux regards  s’interpellent. Regarder autrui c’est d’abord éprouver qu’il n’est pas de mon Monde, ses yeux ne sont pas les miens, la transcendance de l’autre ricoche et fait retour sur moi et me fait découvrir ma propre transcendance, le « toi » me fait « je »….mais il faut aussi de la grande transcendance, car il convient d’abord d’être en société avec Dieu avant de pouvoir être en société avec ses semblables, dans la coexistence paisible ou le plus souvent dans la confrontation.

Nous de 1968, pensions n‘être pas égoïstes mais travailler pour toute l’Humanité, or en fait en adhérant et militant pour un parti ou un syndicat, nous acceptions de nier notre intériorité et pensions de bonne foi accéder au genre humain !! Alors que nous aurions dû demeurer des aventuriers crispés sur l’irréductibilité de notre moi…..dans un cas nous ne produisions que du contexte alors que dans l’autre nous nous arrachions égoïstement aux déterminismes ! Mais en fait nous étions un peu aliénés et offrions nos seules et nécessaires platitudes et standardisations propres à l’adhérence !

Enfin de collectif nous allions passer au culte de l’individualisme, de l’argent, du spectacle et de la communication ; en fait nous traversions une crise où les schémas d’explication du passé étaient devenus inopérants et donc à réinventer. Mais qu’était-ce que cet individualisme culturel qui élargissait les possibilités d’accomplissement personnel tout en sapant certaines bases essentielles du « vivre ensemble » ? Cet individualisme de Mai était plus révolutionnaire et prométhéen que tocquevillien et égoïste ; nous autres enfants de mai 1968 voulions substituer un ordre meilleur à l’ordre injuste des choses, nous ne nous érigions pas nous-mêmes comme notre propre fin !!!

 

Il n’y a pas finalement d’égalité transcendante de chaque être, notre aventure se fait contre tous les obstacles, pour la découverte ou la conquête de notre autonomie….égoïsme vertueux.

 

Gérard août 2010 (Inspiré de « la Cité perverse » de Robert Dufour)

 

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Une vérité scientifique peut-elle être dangereuse ?

 

1- La vérité scientifique

. Pour les sciences dites dures, l’expérimentation fait approcher de la réalité et donc de la vérité scientifique.

. Pour les sciences sociales seul le protocole  utilisé garantit une démarche rationnelle qui écarte l’illusion, et l’opinion, et 2 méthodes principales autorisent une vérification :

. La falsification de Popper : soumettre la vérité établie aux tests des faillibilité, à la contradiction…..si la contradiction ou l’erreur est permise, la démarche scientifique est avérée mais pas de manière définitive.

 . La méthode structuraliste : écarter toute déduction qui soit conjoncturelle ou liée au hasard de l’observation, afin de dégager des lois universelles et intemporelles.

Dans les deux cas nous obtenons une vérité scientifique, une valeur logique qui peut faire sens, et on peut écarter du champ de la vérité de nature scientifique en raison de leur fermeture sur elles-mêmes, le marxisme et la psychanalyse car leur réfutation est impossible, car quelle expérience peut-on opposer à la lutte des classes pour l’une et à l’inconscient pour l’autre ?

Mais il ne faut pas succomber au scientisme d’Auguste Comte pour qui nous devrions renoncer à toute science qui ne soit pas expérimentale, et ne croire qu’au déterminisme absolu et réductionnisme positiviste.

L’enjeu de la vérité scientifique est important ,

. Michel Foucauld : La vérité, au-delà de sa valeur logique et de compréhension de sens,  est un effet de pouvoir politique, par le contrôle de soi et d’autrui par récompense ou châtiment.

. Nietzsche : La vérité est un mensonge, un masque de  la volonté de puissance qui s’appuie sur le préjugé que la vérité vaut plus que l’apparence ou le chaos qui est pourtant plus riche, or la vérité c’est la mort et l’apparence c’est la vie.

 

2- La notion de dangerosité

La « dangerosité » est une notion foucaldienne qui présuppose qu’une situation ou une personne est dangereuse par elle-même, (classe laborieuse classe dangereuse), avant même qu’elle se soit manifestée dans la réalité. Ainsi en est-il du projet d’établir la dangerosité des enfants dès l’âge de 3 ans  afin de les neutraliser, et cela bien sûr à l’aide d’une batterie de tests qui établira la vérité scientifique de la dangerosité intrinsèque de l’individu indépendamment du milieu ambiant.

 

Attribuer la catégorie de danger à l’idée de vérité scientifique lui confère un pouvoir mortifère par elle-même, et on peut lister quelques dangers potentiels :

. Mettre la nature sous notre volonté qu’on substitue aux lois de la nature au risque de menacer le milieu naturel. Quoiqu’on ne doive pas opposer par sophisme, la science « artifice » et la nature qui serait mieux.

 . Subvertir les dogmes et les croyances établis en générant une angoisse subséquente.

 . Si d’autres planètes existent, l’homme n’est plus au centre de la création, et l’idée religieuse du lien avec Dieu, tombe.

 . La loi de Darwin institue la loi de la sélection naturelle, et l’homme n’est plus qu’un accident de la nature comme les autres espèces ce qui lui dénie toute part divine en lui.

 . La pensée magique comme l’astrologie ou toutes autres sciences aux croyances non validées est mise en danger par démarche scientifique.

. Prétendre à l’hégémonie pour les détenteurs de vérité scientifique ou pseudo-scientifique, par exemple sur les peuples colonisés quitte à détruire des cultures millénaires basées sur la partage de traditions, de croyances et de mythes. En cela le parangon colonialiste Jules Ferry mérite l’opprobre à la mesure de sa célébrité pour son action bienfaisante dans le domaine de l’instruction publique.

Cependant  Spinoza oppose intuition et vérité scientifique, sous couvert de recherche de vérité on recherche la puissance d’aider ou de nuire et donc il y a danger, d’où il y faut une éthique.

 

3- Peut-on diaboliser la science en déniant toute responsabilité à l’homme ?

En réalité la vérité scientifique n’est pas dangereuse en soi mais en raison de son usage, et la question est de savoir comment faire pour que la vérité scientifique ne soit pas dangereuse, pour que le 21ème siècle soit celui du progrès scientifique sans les atrocités apocalyptiques du 20ème siècle.

. Favoriser l’usage démocratique de la vérité scientifique par des débats citoyens comme celui sur la bioéthique.

. Développer notre culture scientifique et l’associer à notre réflexion morale et à nos objectifs politiques, car si on s’en désintéresse, là est le danger.

. Le papa de la bombe atomique russe  Andréi Sakkharov mérite pour cela l’opprobre à la mesure de sa célébrité pour son action bienfaisante dans le domaine des libertés publiques en ex-URSS. Sa conscience, à défaut d’un contrôle démocratique, ne lui a pas permis d’éviter un usage diabolique  de ses vérités scientifiques établies.

 

4- Selon le principe de l’optimisme de la Raison, la vérité scientifique nous délivre du danger

. Maîtriser et prévenir les dangers naturels

. Faire échapper à l’autorité des dogmes et des croyances de ceux sous la coupe desquels nous nous mettons et qui sont détenteurs de vérité ou de tradition, et nous menacent du châtiment si nous ne nous soumettons pas.

. Combattre les superstitions par la vérité scientifique en libérant notre Raison de l‘autorité morale des gardiens du dogme, des préjugés, de la soumission politique, des croyances erronées, des mythes et des idéologies.

. Toujours maintenir un lien entre la vérité scientifique et la civilisation, car la vérité scientifique est d’abord le moteur de la civilisation avant d’en être le destructeur !! Mais attention !! les « Lumières » peuvent être vécues comme un mythe, une vérité définitive, sans retour en arrière, ce qui nous a emmenés aux catastrophes des 19ème et 20ème siècles. Seule l’insurrection romantique allemande du Sturm und Drang autorisera un arrachement à cette fatalité. Les Vérité des Lumières nous ont fait sortir d’un cauchemar individuel, nocturne et obscur, pour entrer collectivement dans l’erreur de l’Histoire en nous socialisant.

4- La menace du danger potentiel doit-il nous faire renoncer à la vérité scientifique ?

. Préférer l’illusion à la vérité scientifique qui menace psychologiquement l’homme ? Faire face à la vérité ou changer de paradigme n’est pas facile et même douloureux pour l’homme, qui préfère croire en une illusion comme la religion.

. Choisir de vivre dans un monde sans vérité scientifique, où le relativisme et le scepticisme règneraient, ne serait-il pas intenable ?

. Choisir une  solution médiane qui serait d’accepter la vérité scientifique et d’en pallier les dangers ? Comment :

. Admettre l’erreur contre l’intolérance et accepter la faillibilité de la vérité qui doit être vue comme provisoire.

. Voir la vérité plus comme une démarche que comme un résultat définitif, et selon Platon nous  devons nous préparer à la vérité. Et nous, qui nous qualifions d’amoureux de la sagesse, cela voudrait dire que nous y sommes parvenus, et quand on sait qu’un parvenu est quelqu’un qui n’est pas été bien loin !! Nous ne sommes ni sages ni amoureux de la sagesse, mais chercheurs permanents de sagesse, de valeurs et de vérités, toujours en devenir comme la vie.

. Pallier le risque de l’asservissement à la technique, pour selon Heidegger et Ellul, réconcilier la morale et la technique.

. La vérité scientifique peut être dangereuse pour autant qu’on ne mette pas cette vérité en danger.

 

En guise de conclusion citons un dicton de la sagesse fribourgeoise qui rassure les participants des agapes dionysiaques (dangereuses ?) auxquelles Heidegger a certainement participé depuis son nid d’aigle de la Tottenauhütte de Messkirch :

In vino Veritas

Ins Bier gibt es auch etwas !!

 

      Gérard

 

Discussion du café philo du 28 juillet 2010 , résumée par Pascale

 

- Pour Spinoza la vérité scientifique est puissance ; Dieu est assimilé à la nature et inversement. Le philosophe distingue trois types de connaissance : 1) l’opinion, 2) la connaissance issue de l’enseignement, 3) l’intuition de Dieu ou de la nature. La connaissance et en particulier la vérité scientifique conduisent au développement de la puissance. Cette définition de la connaissance permet d’échapper au postulat classique qui affirme que ‟la vérité est réalité”. Il s’agit en effet d’un postulat non prouvé car, par exemple, en physique quantique on constate que l’observateur modifie l’observation. Si la vérité est puissance cela entraîne des effets avec des dangers possibles, car toute forme de puissance peut tout aussi bien entraîner des nuisances que des bienfaits. Il existe un primat de la puissance sur l’éthique, en cas d’impuissance les considérations éthiques sont vides et superflues. Lorsque l’on est dans l’incapacité d’agir les considérations concernant le bien et le mal sont dépourvues d’intérêt. La puissance peut nuire tout comme elle peut aider, par exemple la physique atomique qui permet la fabrication de la bombe ou bien la production de l’énergie. La séparation entre sciences pures et techno-sciences n’est pas absolue, même si l’objet des sciences est la connaissance pure alors que les applications relèvent des techno-sciences car les développements techniques sont d’abord précédés par des découvertes purement scientifiques. En exemple on peut citer la découverte de l’ADN comme préalable au développement des biotechnologies.

- C’est la science qui peut être dangereuse, pas la vérité. D’ailleurs, la vérité n’existe pas il n’y a que des certitudes temporaires.

- Mais la vérité peut également être dangereuse, y compris pour celui qui l’exprime, souvenez-vous de Galilée !

- C’est un sophisme d’opposer science et nature. L’esprit humain résulte des deux. On peut aussi se poser la question de l’endroit où se situe la limite entre le naturel et l’artificiel. C’est une fiction de croire à la bonne et salutaire nature, c’est une déformation émotivo-affective. Les couchers de soleil, tout comme les tsunamis ou les volcans font partie de la nature. La science, la technique permettent aussi la liberté et la créativité. Une science sans conscience n’est pas obligatoire. On condamne habituellement la matière dépourvue d’esprit mais un esprit sans matière n’est-il pas plus horrible ?

- La vérité mathématique est un cas particulier car dans ce cas la pensée concorde avec elle-même.

- C’est une vérité ou une exactitude ?

- La vérité est possible dans les sciences dures ou les sciences de la terre mais dans les sciences humaines ce sont des vérités très provisoires. Exemple de l’onanisme (synonyme de la masturbation) dont on a cru pendant longtemps que cela rendait débile, alors que maintenant certains psychiatres vont jusqu’à la préconiser. Les sciences ne sont pas indépendantes du contexte socioculturel dans lequel elles se développent.

- Il convient de distinguer science et scientisme. Celui-ci aboutit généralement à démolir la science. Le scientisme est une philosophie positiviste défendue par Auguste Comte qui renonce  à la théologie et à la métaphysique, et pour qui, il n’existe que le savoir expérimental mais cela conduit au réductionnisme et au déterminisme absolu. Selon Auguste Comte, « le progrès matériel garantit le bonheur de l’humanité ». Le scientisme vu par Anatole France est « une crédulité scientifique ». Il a fait faillite et contrairement à ses ambitions, il n’a pas apporté le bonheur à l’humanité. Mais hélas, on déplore une confusion entre science et scientisme. Les croyances non vérifiées et les religions se servent des égarements du scientisme pour attaquer la science. La science n’est pas un dogme absolu, les connaissances scientifiques sont constamment révisées et remises en question. Les théories de la complexité et de l’émergence empêchent la science de verser dans un matérialiste qui peut mener au totalitarisme. La science fait de plus en plus appel au holisme dans ces théories, ce qui est le contraire du réductionnisme. Le holisme vient du grec «holos» qui signifie la totalité, l’entier, et il correspond à une doctrine qui ramène le particulier à l’ensemble dans lequel il s’inscrit. Pour le holisme, le tout est supérieur à la somme des parties.

 

Galilée a dit au cardinal Barberini : « la science explique comment est fait le ciel et la religion dit comment y monter ».

Actuellement une réflexion en bioéthique est menée activement et s’inspire de considérations morales (cf Axel Kahn).

- Ce n’est pas la vérité qui est dangereuse mais la crédulité.

- Derrière la recherche de vérité on trouve souvent une recherche de pouvoir hégémonique.

- Entre la science et le scientisme le dérapage est possible car dans la tête du chercheur il n’est pas toujours facile de faire la part des choses avec justesse. Il peut parfois s’y perdre s’il n’est pas « gardé » par ses pairs.

- La communauté des pairs n’est pas toujours une garantie absolue, en effet elle constitue souvent un obstacle au développement de nouvelles théories.

- Si Nietzsche fait la différence entre les scientifiques et les philosophes, selon sa classification, Freud relèverait plus d’une philosophie scientiste que de la science car il ne recourt pas à une interrogation de la nature par un protocole expérimental.

- Toute vérité qui veut faire sens est dangereuse.

- Quelle sorte de danger ?

- Par le mauvais usage de la science :

o Utilisation d’une théorie en dehors de son champ de validité.

o Utilisation de la science pour la domination, même les TIC (technologie de l’information et de la communication) peuvent se révéler dangereuses.

o Instrumentalisation de l’être humain pour ses capacités par un projet inégalitaire et immoral (exemples : sociobiologie et eugénisme).

- La sociobiologie exploite le darwinisme en mettant uniquement l’accent sur la compétition dans la lutte pour la vie alors que l’évolution est tout autant marquée par la coopération et la symbiose. Il existait une science nazie qui prétendait prouver la supériorité de la race aryenne.

- Nous sommes accrochés à nos certitudes ce qui nous conduit à une attitude rétrograde.

- Les biotechnologies sont potentiellement capables d’effets bénéfiques car on estime que 20 % des maladies sont d’origine génétique.

- La science est-elle en elle même dangereuse ? Elle s’inscrit dans le moment d’une société et s’inspire de ses valeurs. Le savant qui est dans sa découverte ne réalise pas les dangers qu’elle représente.

- Nous pouvons déplorer d’être toujours en retard de 20 ans sur l’actualité scientifique.

- Et le politique est lui aussi en retard sur les mouvements de la société.

- Le danger de la science s’exerce aussi envers la pensée magique, qu’elle tend à supplanter. Même si la science est plus opérante, la pensée magique n’est pas totalement dépourvue d’efficacité, son principe procédant de l’effet placébo.

- La science ne pose pas de normes, elles sont en fait des conventions élaborées par les communautés humaines. En exemple : la distinction entre l’embryon et le foetus. Cette question a été posée à des scientifiques et des philosophes et elle est à la source de questionnements bioéthiques, notamment en ce qui concerne l’utilisation médicale des embryons. On admet qu’il s’agit d’un embryon jusqu’à 12 semaines de grossesse et ensuite d’un foetus. La question essentielle étant de savoir à quel stade commence l’homme ?

- S’il existe des comités d’éthique, c’est la preuve qu’il peut y avoir des dangers

 

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vertu scientifique

Comment penser la désorientation ?

 

Parmi les questions qui font irruption et qui bouleversent le sujet, l’environnement, le monde, nos langues, nos cultures et traditions, notre manière de penser, de vivre, d’accueillir et de partager, la désorientation  tient une place importante. Comment la penser alors que nous sommes entrés dans un temps où nous ne savons plus très bien s’il est celui de la fin de l’Histoire ou s’il se situe avant la fin, avant l’eschatologie d’une mort annoncée ?

Pour ceux qui ont cru au communisme comme pour ceux  qui n’ont jamais adhéré à cette hypothèse, il est très difficile de penser une société « désorientée ».

La tentation de donner « sens » est exorbitante, bien plus que celle qui consiste à prendre acte que nous l’avons perdu.

Est-il possible de dire la désorientation ? Au-delà de la question elle-même, il y a une symptomatologie de la désorientation marquée par des situations extrêmes : exclusion, violence, détresse, injustice, oppression, fanatismes, totalitarismes, chute du Mur. Ces situations nous obligent à reconsidérer le sens à donner au mot « politique », un sens que chacun peut à nouveau ouvrir, interpréter, partager sans se l’approprier.

 Une désorientation reste ainsi toujours une promesse : « Là est l’absolu de la justice » nous dit Jean-Luc Nancy.

 

Il y avait, autrefois déjà, un savoir plus ou moins clair de l’indétermination du but…

Kant si convaincu d’un progrès de l’humanité, remarque que ce progrès est fragile. Marx, lui-même était sans doute conscient du caractère peu dessiné de son homme total, de sa société sortie du règne de la nécessité. Pas plus qu’on ne peut croire que la foi des croyants ait jamais consisté à croire béatement qu’ils allaient tout droit vers le paradis. «  Peut-être faudrait-il penser hors du couple « orientation-désorientation » et « Orient-Occident ». peut-être plutôt le « nul orietur » de Rimbaud : pas de lever, pas d’orient à attendre, mais « l’éternité » …retrouvée comme le dit ce poème ( « l’Eternité »). C’est-à-dire le présent, le maintenant. Qui passe, mais précisément dont le passage fait signe ». (Jean-Luc Nancy dans La Revue des deux mondes, janvier 2010, p. 96).

 

Repenser la « politique , car elle a changé de « sens ».

 

Avant, ou bien la politique assumait l’existence commune en totalité –dans une indistinction entre le destin d’un peuple, celui de ses membres et celui d’une figure d’assomption (roi, nation, patrie, peuple…), ou bien la politique était le triste règne des opérations du pouvoir menées dans le dos de tous les humbles. Le peuple souffrait d’être opprimé, mais il savait qu’on est toujours « sujet » d’un souverain quelconque. La démocratie - le peuple souverain -a pensé qu’elle pouvait reprendre la fonction d’assomption en annihilant la fonction d’oppression. Elle n’a pas vu que sa propre postulation était autre : le peuple « souverain » n’a plus affaire à la même souveraineté.

« La démocratie ouvre l’accès au pouvoir à tous et repose ainsi de fond en comble la question du pouvoir lui-même, de ses fins, de son contrôle. Mais la souveraineté apparaît alors aussi comme « cela au-delà de quoi il n’y a rien », c’est-à-dire comme l’absolu de ce que je nomme en dépit de tout un « sens » : le sens que chacun ouvre, peut ouvrir, inventer, imaginer, le sens aussi que chacun est par sa propre existence et que nous sommes en partageant l’existence. Cette souveraineté n’est plus politique. La politique démocratique doit veiller à ce que ce sens soit ouvert et accessible à tous, mais elle ne fait pas ce sens, elle ne l’assume pas ». Jean-luc Nancy, ibid. p.97.

La politique s’en trouve sans doute restreinte en apparence, mais en réalité elle a la tâche immense d’assurer la possibilité d’une existence dont elle n’a pas le sens, dont elle ne le donne pas et ne doit pas le donner.

Cela entraîne pour nous une exigence accrue de penser : qu’est-ce que « politique » et comment cela se différencie de « art », « amour », « pensée », « savoir », « rencontre » ou bien même de la vie tout simplement. Nous ne sommes plus dans l’espace défini comme polis dans l’Antiquité, mais dans un espace où la « politique » doit être redéfinie et repositionnée par rapport aux autres sphères de la vie, dont elle doit garantir l’indépendance et l’accès.

La démocratie veut dire qu’il n’y a plus d’ordre des choses, aucun, sinon l’ordre des hommes. Arrive alors la question :qu’est-ce qui est donc dû à chacun ? La réponse est tout ce qui peut revenir à un existant. Mais au-delà de tous les biens (nourriture, santé, loisir…), il y a le sens : la possibilité d’entrer dans le partage du sens, c’est-à-dire justement le commun. Le commun, l’ « avec » est co-, il est avec : proximité et distinction. Cette notion spécifique de l’ « avec » n’est pas autre chose que la pensée de l’autre dans l’être, comme être d « ’être ensemble », ce qui est la seule, première et dernière condition du monde.

 

En conclusion, nous pourrions dire avec Marc Goldschmit :

 

« La tâche sans vocation de la pensée n’a peut-être jamais été aussi urgente et nécessaire, aussi rare et désorientée, puisque nous avons à penser la politique tout autrement, à partir de la césure de la philosophie politique. La césure est un événement vide ou nul, où ne se révèle plus rien, événement qui interrompt la tentation d’immédiateté de l’articulation de la politique sur la philosophie, événement sans réponse qui ne peut donc plus être centralité de l’histoire ».

 

« Cette désorientation dans laquelle « nous » sommes et que « nous » sommes, et qui est peut être le dernier avatar possible du commun, cette désorientation partagée ou plutôt partageante, plurielle et divisée, nulle part homogène à elle-même, oblige à évider ce qui, dans le langage de la philosophie politique, rend encore possible l’idéologie et interdit ainsi de « nous » ouvrir à l’agir historique, entendu comme ouverture de l’à-venir démocratique. Cette ouverture est notre limite infinie, la limite de notre finitude, à laquelle la pensée désorientée doit s’ouvrir et à laquelle elle doit toucher ….par l’écriture au sens général et non restreint.

Par la pensée, l’infini de la finitude, désorientée et désorientante, s’ouvre l’à-venir démocratique, qui s’écrit avec franchise, comme l’ouverture de l’ouverture à ce qui vient ».

Marc Goldschmit dans La revue des deux mondes février 2010.

 

La question de penser la désorientation est ouverte à d’autres domaines que le politique…a nous d’en débattre…. -

 

Geneviève

 

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PEUT-ON REDUIRE LA FOLIE A LA DERAISON ?

     

QUELQUES DEFINITIONS EN INTRODUCTION :

 

RAISON :

1) Au sens large :simple « bon sens », faculté de juger, ou de discerner le vrai du faux, le bien du mal : c’est en ce sens qu’on peut « perdre la raison » (dans la folie ou dans la passion délirante).

2) Au sens strict, et dans la perspective d’une philosophie de l’esprit, la raison a deux valeurs :

a. Subjective, et comme faculté, elle est faculté de combiner des idées, propositions ou discours, faculté logique ; mais aussi, faculté de réfléchir, en remontant d’un donné à sa cause ou à son principe. Elle peut donc procéder de manière déductive ou inductive, son acte propre étant la saisie des rapports logiques, et son but, d’établir la vérité (ou la validité) d’un jugement. En ce sens, elle est opposée à l’intuition et au sentiment.

b. Objective :comme cause ou comme sens.

 

FOLIE 

Perte de la raison ( pas son échec qui est l’irrationalité), sans la nuance de maladie mentale formellement stable de « psychose ». « Folie » garde une nuance morale ( « Folie aux yeux du monde et sagesse devant Dieu », et normative, avec la connotation transgressive qu’elle a chez Erasme.

Introduction

 

Dans l’Histoire de la Folie à l’âge classique, Michel Foucault retrace l’histoire du partage entre la Raison et la folie. Au Moyen-Âge et à la Renaissance, la folie est impliquée dans le jeu de la Raison. On n’est pas toujours sûr de ne pas rêver, jamais certain de n’être pas fou : « Que ne nous souvient-il combien nous sentons de contradiction en notre jugement même ? ». Montaigne, Esais livre Ier, page 236 ? aux Ed. Garnier. Le changement apparaît avec Descartes et le XVIIème siècle. Mais peut-on en rester à la définition cartésienne de la folie ?

I   La définition cartésienne de la folie : la folie se réduit à la déraison.

  Descartes est assuré qu’on ne peut supposer même par la pensée qu’on est fou, car la folie est justement condition d’impossibilité de la pensée. « Ce sont des fous, et je ne serai pas moins extravagant, si je me réglais sur leur exemple ». Le péril de la folie a disparu de l’exercice même de la Raison. Foucault nous dit que pour Descartes, « La Raison est retranchée dans une pleine possession de soi où elle ne peut rencontrer d’autres pièges que l’erreur, d’autres dangers que l’illusion. Le doute de Descartes dénoue les charmes des sens, traverse les paysages du rêve, guidé toujours par la lumière des choses vraies ; mais il bannit la folie au nom de celui qui doute, et qui ne peut pas plus déraisonner que ne pas penser et ne pas être ». La folie est ainsi placée dans une zone d’exclusion alors que la Non-Raison du XVIème siècle formait une sorte de péril ouvert dont les menaces pouvaient toujours, en droit au moins, compromettre les rapports de la subjectivité et de la vérité.

La folie est placée au XVIIème siècle hors du domaine d’appartenance où le sujet détient ses droits à la vérité : la Raison elle-même. Désormais, la folie est exilée. Si l’homme peut toujours être fou, la pensée comme exercice de la souveraineté d’un sujet qui se met en devoir de percevoir le vrai, ne peut pas être insensée. Au XVIIème siècle, il n’est plus possible de faire l’expérience d’une Raison déraisonnable ou d’une raisonnable Déraison. La pratique de l’internement des fous date de cette époque selon Foucault. Descartes a altérisé la folie comme autre de la Raison. En littérature, le Neveu de Rameau illustre cette altérisation de la folie : il est le fou de la maison, c’est un bouffon exclu parce qu’intégré donc contrôlable. Il parle par syllogismes et utilise la Raison. Il a une place, mais n’a plus de parole de vérité comme c’était le cas au Moyen-äge.

Pour Foucault, la Raison a pris le pouvoir sur la folie qu’elle a réduite à la déraison.

 

II  Peut-on effectivement réduire la folie à la déraison ?

     Plusieurs arguments nous font réfléchir à l’étroitesse de cette définition de la folie :

· Le rêve peut être perçu comme une forme de folie.

Contrairement à ce que dit Foucault, Descartes dit : « Combien de fois ne m’est-il arrivé de croire que j’étais assis au coin du feu alors que j’étais dans mon lit ? ». Dans ce rêve, je prends l’irréel pour réel. Quand je rêve, je suis un fou en liberté. La force du rêve est qu’on l’éprouve comme réalité. On ne peut lui échapper dans le moment où on l’éprouve alors qu’il est possible d’échapper à la réalité.

Il y a une omnubilation propre au rêve. Le rêve est en fait comme une croyance. Il peut servir de paradigme pour comprendre la croyance. La croyance nous cache une partie de la réalité. Plus une croyance est loin du réel, plus elle est solide. Dans toutes les idéologies et les fois, il n’y a pas de raison qui puisse valoir compte de ce qu’on croit. ( voir la thèse de Nicolas Grimaldi dans son ouvrage : Une démence ordinaire).

· La folie transcende la déraison par la création artistique.

Pour Artaud, c’est l’asile qui engendre la folie. Artaud pose la question de la légitimité que l’on peut avoir à qualifier quelqu’un de fou. Il fait de la folie une arme pour écrire contre la société : « Je suis fou et je le revendique ». Il se présente comme un fou inspiré qui peut avoir accès à des vérités inaccessibles. « J’ai été malade toute ma vie et je ne demande qu’à continuer ». Ce mouvement de désubjectivation permet à Artaud d’atteindre un degré unique d’écriture. A force d’écriture, il y a quelque chose qui perfore le langage et permet la trouée du signifiant.

Artaud oppose une idée réduite de l’homme à un infini surhumain qu’il perçoit parfois. Il a voulu que les mots restent en suspens, que l’écriture ne tombe pas en stratifications.

D’autres créateurs ont ainsi côtoyé la folie comme Rousseau, Maupassant, Van Gogh, Baudelaire…

· Ce ne sont pas les individus qui sont fous, mais la société.

Le cinéma a toujours été fasciné par la folie. En analysant le Tombeur de ces dames de Jerry Lewis, il est notable que l’acteur, en tombant d’une ambulance couché sur sa civière sur les poubelles de la voie publique va engendrer une série d’événements inattendus jusqu’à ce qu’à la fin un Américain moyen déverse sa poubelle sur la chaussée. Le film démontre que le monde marche sur la tête et que le fou innocent, personnage burlesque, est un révélateur de l’absurdité du monde.

 

En conclusion, on pourrait affirmer avec Erasme dans son Eloge de la Folie, que celui qui vit sans folie n’est pas si sage que cela. La sagesse serait plus folle que la folie elle-même. La folie revendique l’humain. Elle parle d’elle-même. Elle reprend le pouvoir sur la Raison et a la vertu d’effacer les faux-semblants, de découvrir la vraie nature des personnages. « Là où les hommes croient agir selon leur Raison, c’est la folie qui dicte leurs conduites ». Pour Erasme, la nature humaine a pour moteur la passion et la Raison et non pas seulement la Raison comme pour Descartes.

 

Geneviève

 

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Café philo du Mercredi 03 février 2009

 

Intervention de Jean-Clet Martin (JCM)sur son livre « la phénoménologie de l’esprit de Hegel »

 

JCM ne fait pas une lecture d’autorité de Hegel, il trace plutôt un sillage au fil des épisodes de sa vie. Hegel est complexe et obscur et JCM ne veut pas le simplifier, la langue dont disposait Hegel n’avait pas à l’époque le vocabulaire approprié pour la création qu’il entreprenait.

Hegel n’est pas un philosophe de la conscience car cette dernière est trop subjective, et Hegel a mesuré la grande subjugation des philosophes allemands (Fichte, Kant…) par Descartes, et ils voulaient intégrer le réel dans la conscience !!! Et l’accès à cette conscience passait par l’introspection, la méditation, et ainsi dans sa solitude on mettait entre parenthèses les présupposés pour laisser au doute le soin d’extraire l’essence de la pensée dans sa chambre obscure, son intimité gastrique, le sujet est la passe de l’esprit par le « je.

Au contraire, Hegel n’est pas un idéaliste qui fermerait l’accès à la réalité, en pratique il est directeur de journal. Pour lui la pensée ne s’atteint pas de manière subjective ; De plus il faut considérer l’époque, le cogito de Descartes est écrit dans une langue, le latin, dont Descartes n’est pas l’auteur et donc une langue qui présuppose autrui, une civilisation, un langage….or Descartes pense qu’autrui n’est pas certain c’est un phénomène, une apparence.

Pour Hegel l’autre n’est pas une apparence mais un signe, une blessure, un traumatisme, c’est l’esprit objectif qui n’envisage plus seulement la certitude de soi (Hegel pense que personne ne l’a compris en son temps, ce que traduit la photographie en couverture de l’ouvrage de JCM, avec ce regard fuyant par apport à lui-même).

Hegel n’est pas le penseur du sujet, toute existence se réduit à moi en tant que « je » qui ne peux pas douter qu’il existe ; La phénoménologie  présuppose l’existence de l’esprit, mais notion inverse le l’esprit/sujet, en l’occurrence il s’agit de l’esprit objectif qui n’a pas de substance excepté à travers le mouvement de l’Histoire (et non pas par l‘introspection), et on en trouve trace dans les oeuvres d’art, les textes des figurations dont les auteurs ont disparu depuis longtemps. S’il s’agit d’une intériorité, elle est différente de l’intériorité gastrique, et cette intériorité réside dans la pierre de la cathédrale par exemple. Le savoir absolu c’est l’œuvre, l’Histoire, les poèmes, et nous ne pouvons être nous-mêmes notre propre référence, il y a nécessité de déborder le « sujet ». Ainsi on ne peut saisir d’un coup d’œil toutes les faces d’un sucre et avoir accès à sa totalité, nous avons donc besoin du rapport à l’autre qui complètera notre regard .

Et cet autre ce n’est pas le monarque prussien, cet autre c’est l’esclave qui ne dit pas un discours d’autorité, ni le discours de l’Etat, mais dans la dialectique le maître n’incarne pas la conscience qui donne une substance au sujet car il reste l’animal, il n’a pas un pouvoir sur lui-même ni sur les autres. Hegel envisage la révolte des esclaves de Haïti dont il a une vision différente de celle de Diderot dans le « Neveu de Rameau » ou de Marivaux dans « L’île aux esclaves », où l’esclave était celui qui avait besoin du maître.

On accède aux Lumières avec Rousseau qui dénonce l’esclavage mais  pense malgré tout qu’il existe une connivence entre le maître et l’esclave, ce dernier ne sachant pas créer une situation historique qui le ferait autonome, il ne sait que dire merci au maître en être infantile, le maître  cependant n’existerait pas sans l’esclave. Or Haïti connaît une révolution de noirs qui prennent leur destin en main et la France veut mater cette révolte incongrue menée aux accents de « La Marseillaise »….ce chant c’est l’esprit objectif, et les soldats français hésitent à tirer dans le tas, ne se sont-ils pas tromper d’ennemis ? Ceci est l’événement, c’est l’esprit objectif et non pas la fiction subjective ou la méditation solitaire qui doute de l’existence de l’autre..

Hegel n’est pas l’apologue du discours d’autorité du monarque, car il a été inquiété, son répétiteur a été incarcéré, qu’il a été visité devant sa forteresse en bateau sur la Spree en criant en latin pour que les gendarmes ne comprennent pas, « Est-ce que tu me vois ? », alors qu’il faisait nuit, c’est une formule humoristique et Hegel est réellement un résistant !! Alain Badiou qu’on dit résistant, aurait-il été visité Tony Négri en prison ?

Hegel, certes, a pris position pour l’Etat allemand car il n’allait pas applaudir aux français envahisseurs sous le masque de libérateurs au nom des Lumières !! Déjà Napoléon avait rencontré Goethe qui ne lui fit pas un accueil démesurément sympathique !. Nous avons d’Hegel un cliché rétrospectif car nous ne faisons pas effort de nous placer dans le contexte, et demeurons avec notre compréhension d’aujourd’hui. JCM veut par son livre ressusciter Hegel non pas comme le bien pensant, mais dans sa figure de criminel, de renégat…..les livres d’Hegel étaient incompréhensibles dans une langue allemande non universitaire qui démolissait Fichte, Kant et Schelling !! Accusé d’abstraction Hegel souligne que ceux qui pensent abstrait sont ceux qui font l’opinion publique qui condamne d’emblée un criminel, et non le philosophe qui est dans une chaîne objective de causalité et de mobiles, ces mobiles qui nous poussent un peu malgré nous comme sur un plan incliné. Pour Hegel, le sens commun élague tous les mobiles, et on crie haro sur le criminel sans faire l’effort d’entrer dans le signe, la blessure, qui ont fait faire le crime au coupable, et cela sans beaucoup d’échappatoire . Le juge serait le penseur abstrait qui ne va pas dans le signe (sémiologie), le motif  est interprétation  alors que le mobile est l’aspect causal et physique. Il est nécessaire de retrouver pour l’état de conscience, le plan sur lequel il se dégage et pas seulement le plan subjectif.

De même sur notre strict plan subjectif nous pouvons considérer  la religion, et adorer le Christ et la croix en même temps, mais la croix est un instrument de torture !! Le sens commun a oublié ce signe de torture, a oublié Histoire.

Penser est une figure participant d’un moment dans l’Histoire, et Hegel agit dans le registre de son temps, Toute figure est possible à tel moment et une autre figure à un autre moment sur un autre registre.

Hegel en 1800 donne déjà droit de présence à l’économie, et Marx se garde bien d’en parler et même il fustige Hegel ; Donc il faut ressusciter Hegel qui a été mis à l’écart par l’histoire de la philosophie, après qu’on l‘a taxé de penseur totalitaire, excepté Derrida qui dénonce cette rationalité absolue  prêtée à Hegel, « Le réel est rationnel et le rationnel est réel ». Hegel a inventé un style même si son œuvre n’est pas immédiatement accessible, et s’est employé à discourir contre ce qui allait de soi. « La phénoménologie de l’esprit » ce n’est pas de la soupe de préjugé, genre TF1, servie par des auteurs qui ne sont pas des auteurs. TF1 ce ne sont que des discours qui vont de soi, qui se comprennent tout de suite. En fait Hegel ne fait pas de communication car pour cela il faudrait une extension de sens infinie et une compréhension nulle, qui se fait sans idée et qui fait image, parfois choquante, mais sans pensée réelle….la philosophie réclame un droit à l’obscurité car la pensée est un risque et on ne peut penser que dans le risque. Lire Hegel et donc un risque de remise en cause.

 

Pourquoi un professeur au café philo et pourquoi Hegel ?

 

Bienvenue dans notre atelier de réflexion philosophique et merci d’avoir répondu à notre invitation, et nous accueillons moins le professeur du lycée d’Altkirch que le penseur :

 

 . Nous ne voulons pas de professeur, nous philosophons sans titre, nous autorisant nous-même de notre seul désir de débattre, mais parfois aussi de quelques autres, dont vous ce soir.

 

. Nous postulons la philosophie en train de se faire, et c’est donc le penseur et l’essayiste auteur de 20 ouvrages que nous voulons associer. Vous avez choisi de philosopher à la campagne en résistant à l’attraction des capitales, comme Heidegger, et surtout comme Lacoue – Labarthe, JL Nancy, et Deleuze avec qui vous avez collaboré.

En fait Hegel comme Kant et Nietzsche sont de nationalité allemande, mais ont une pensée française (dixit Philippe Sollers).

 

Ils sont admiratifs des Lumières et de la Révolution françaises, et Kant qui a fait 22000 fois la même promenade quotidienne à Koenigsberg n’a dévié de son trajet qu’une seule fois pour aller acheter son journal annonçant la Révolution française.

 

Mais pour moi Hegel est déroutant, et l’Aufklärung  semble parfois loin des lumières:

. –1 : Je croyais qu’il défendait la Raison dans un régime de la Liberté et d’expression de la conscience de soi, et Hegel exalte l’Etat prussien comme le triomphe institutionnel de la Raison. L’Etat prussien serait l’idéal à atteindre, la finalité en soi, la fin de l’Histoire et du devenir.

 

. –2 : Je croyais que le mouvement dialectique se faisait pacifiquement, et Hegel  justifie la guerre qui contribue au bonheur de l’Humanité, comme un vent qui agite la société et empêche sa putréfaction. . La guerre ne serait que l’exacerbation de la dialectique, contrairement à Kant qui prônait la paix universelle.

 

.-3 :  Je croyais qu’il prônait la religion laïcisée et voulait même l’éradiquer mais Hegel plaide pour la nécessité du dogme et l’importance de la Révélation….cette contradiction serait résolue en idéalisant ce dépassement abouti que serait la Réforme luthérienne.

 

 . 4– : Je croyais que Hegel prônait l’immanence mais il l’intègre dans une Histoire ascensionnelle d’un Esprit absolu transcendant Pourtant la dialectique devait opérer sans intervention divine avec  la Raison qui s’approprierait le réel.

 

Est-ce une ironie socratique ? face à un régime prussien réactionnaire qui résiste à l’invasion française, car Hegel porte son manuscrit de la « Phénoménologie de l’esprit » chez l’éditeur le jour où le petit corse à cheval et avec la casquette de travers entre dans Iéna en 1806 !!

 

Est-ce là encore une ruse de l’auteur de la Ruse de la Raison pour camoufler que le rationalisme absolu ne laisse place à aucune transcendance ? car c’est une période de réaction politique droitière, une hégémonie idéologique de la Ste Alliance.  

 

Hegel semble donner de sérieux gages à l’Etat prussien, à l’église luthérienne et à la hiérarchie militaire !!!

 

Finalement je me sens pris à contre-pied et cela  me laisse la conscience malheureuse après lecture :

 

Mais l’ironie supposée de Hegel s’est retournée contre lui, car :

 

. Penseur du tout sa pensée apparaît totalitaire, une philosophie du soupçon.

 

. Marx et Lénine ont repris sa dialectique, mais en utilisant le criticisme de Kant ont accusé Hegel d’idéalisme absolu,

 

Pourtant, son œuvre « La phénoménologie de l’Esprit », c’est la grande aventure de la conscience qui en découvrant le réel se découvre à elle-même, pour faire de l’histoire et des âges du Monde une mémoire placée hors du temps.

 

Hegel répond concrètement aux questions fondamentales que chacun de nous se posait déjà son enfance, um die Wahrheit zu nehmen = pour capturer le vrai.

 

Qu’est-ce que le réel ? Ce morceau de sucre qui est tellement évident va disparaître dans la tasse, il va changer d’état, et l’Esprit s’aperçoit que ce sucre n’est qu’une convention, une construction, et nous mettrions du « moi » dans cette chose autant que cette chose serait en nous ? La conscience prendrait consistance en captant ce sucre puis se retournerait sur elle-même pour la prise de conscience de soi ?

 

D’autres questions pourraient affleurer ici

. Elizabeth peut se demander si on fait de la poésie avec l’os de son crâne ?

. Jean peut se demander si la vie est une intrigue policière et  si nous sommes tous coupables d’avoir des yeux revolver.

. Patrice peut se demander si nommes-nous dictés par la neurophysiologie, la caractérologie existe-t-il un ADN de la philosophie ? etc…

 

Pourriez-vous nous faire entrer dans le cercle et dans l’intrigue hégélienne, et nous éclairer en répondant à  ces trois petites questions de rien du tout :

 

. Une intrigue criminelle de la philosophie ?  Comment la création conceptuelle époustouflante de Hegel se traduit-elle par un crime?

 

. En quoi Hegel a-t-il sa place dans la philosophie contemporaine au même titre que Nietzsche, et en quoi la phénoménologie de l’esprit garde toute son actualité ?

 

 .  En quoi Hegel est, ou n’est pas le penseur de la totalité, voire du totalitarisme, lui qui traitait chaque question individuellement avant de l’intégrer dans son système ?

. Et divers à votre convenance, et à celle de l’assistance.

 

Nous  sommes prêts à vous écouter, prêts à faire même l’expérience du non savoir, hors de toute recherche d’effet de vérité, juste vous entendre produire un savoir là où on ne voudrait pas savoir, comme disait l’autre passeur de Hegel, Georges Bataille, pourvu qu’on sache comme vous le dites « où se joue la bataille et qui tient le couteau !!».

 

Extrait du livre de Mr Martin montrant la tonalité, le halètement vital d’une pensée inscrite dans l’Histoire.

 

« Après l’anéantissement peut se produire un reste, un reliquat, une prise de vue qui garde son concept vivant au moment où meurt ce qu’il relève. Sans la mort, la pureté  arrêtée de notre image, de notre contour essentiel, ne pourrait pas se détacher de nous ; notre concept ne saurait ni advenir ni se libérer de la vie empirique, pas plus que le Christ ne saurait être le Christ s’il avait vécu au-delà de l’âge de trente trois ans, fondant une famille ayant une fille ou un fils, devenant sénile avec l’âge ou peut-être insupportable à son entourage…il faut que l’être s’anéantise pour qu’il puisse incarner un sens durable, une essence éternelle. Voilà ce que signifie la formule de Hegel selon laquelle toute approche conceptuelle se traduit par un meurtre. Elle a besoin de la disparition de celui qu’elle assimile à l’intérieur du concept, et finalement , « s’enrichit jusqu’à ce qu’elle ait arraché toute la substance à la conscience, sucé et ingéré tout l’édifice de ses essentialités ».

 

Thème traité : « Hegel, une intrigue criminelle de la philosophie, lire la phénoménologie de l’esprit »

 

Mr Jean-Clet MARTIN, professeur de philosophie à Altkirch, est intervenusur ce thème de son dernier ouvrage, intervention qui a donné lieu à un débat :

. Une intrigue criminelle de la philosophie ? Comment la création conceptuelle époustouflante de Hegel se traduit-elle par un crime pour se nourrir du corps de son ennemi ?

. En quoi Hegel a-t-il sa place dans la philosophie contemporaine au même titre que Nietzsche, et en quoi la phénoménologie de l’esprit garde toute son actualité ?

. En quoi Hegel est, ou n’est pas le penseur de la totalité, voire du totalitarisme, lui qui traitait chaque question avant de l’intégrer dans son système ?

Jean-Clet Martin est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages et d’essais, notamment sur Deleuze, Borgès, Van Gogh…(Voir son site, « jean-clet martin).

* *

Jean-Clet Martin Une intrigue criminelle de la philosophie. Lire «la Phénoménologie de l’Esprit» de Hegel Les Empêcheurs de penser en rond - La Découverte, 244 pp., 21 €.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) n’a pas bonne presse en France. Pour des raisons différentes, Deleuze, Foucault et Levinas en avaient fait leur cible préférée, symbole de la Raison occidentale qu’ils entendaient subvertir. Il y a deux ans, le deux centième anniversaire de la Phénoménologie de l’Esprit, son ouvrage majeur, n’a été célébré que par les spécialistes, tandis que le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, copié-collé de quelques paragraphes sur «l’homme africain» qui ne serait pas entré dans l’histoire, a conforté l’image du philosophe allemand en théoricien de la raison d’Etat.

Lorsqu’il parle de son livre, Jean-Clet Martin se fixe une haute ambition : «Marquer une inflexion dans la lecture de Hegel en France.»De fait, proposer de «lire la Phénoménologie de l’Esprit» est en soi une rupture : depuis les fameux séminaires de Kojève et Hyppolyte avant la guerre, les contempteurs de Hegel s’intéressent moins à ses textes qu’à sa prétention à construire un «système» couvrant les domaines les plus variés de l’activité humaine - droit, histoire, esthétique… Projet dénoncé comme rigide, fermé, totalisant, voire potentiellement totalitaire. C’est par exemple la thèse répétée de livre en livre par André Glucksmann (le premier des Maîtres penseurs qu’il dénonce dès 1977, c’est Hegel).

Catégorie. Jean-Clet Martin, lui, nous convie à une lecture mot à mot, ligne à ligne. La Phénoménologie de l’Esprit, il est vrai, est un texte difficile. En 1807, Hegel a 37 ans et vit à Iéna, toujours en quête d’un poste de professeur d’université rémunéré - ce n’est que plus tard, devenu professeur vedette à Berlin, qu’il sera le mandarin tel qu’on le caricature souvent. Pour l’heure, il vivote et sa Phénoménologie est elle-même un énorme effort pour raconter, étape par étape, l’histoire de ce qu’il appelle «l’Esprit», et que l’on pourrait traduire par : l’irréductible singularité de chaque être humain. Jean-Clet Martin inaugure sa lecture en reprenant Qui pense abstrait ?, un petit texte de Hegel publié la même année que la Phénoménologie et récemment traduit en français (1). Décrivant une foule en train de conspuer le criminel que l’on va pendre, Hegel écrit : «Voilà donc ce qu’est la pensée abstraite : ne voir dans le meurtrier que l’abstraction d’être un meurtrier et, à l’aide de cette qualité simple, anéantir tout autre caractère humain.» Penser concret, chercher l’Esprit, ce serait donc dévoiler l’être vivant là où les discours institués ne voient que la catégorie.

Hegel a souvent été considéré comme l’ultime étape d’une philosophie occidentale qui, de Platon à Kant, sépare l’apparence de l’essence et loge la Vérité hors du monde (dans le ciel des Idées ou dans la «chose en soi»). Jean-Clet Martin inverse la perception : en montrant que le philosophe allemand fonde au contraire sa démarche sur l’idée qu’«il n’y a pas à aller au-delà des apparences».«Veut-on voir les objets en leur noyau, en éplucher la surface? explique Martin. Alors, on ne verra aucune silhouette dans les ténèbres obscures de la matière. Veut-on voir la pure lumière en se réfugiant dans les sommets ? On n’y verra pas grand-chose tant la neige nous éblouira.» Pour Hegel, la vérité n’habite ni dans la matière, ni au Ciel, mais dans la relation toujours instable qu’ils entretiennent.

Et c’est là qu’il est question d’un os. Au début du XIXe, la biologie croit avoir trouvé le fin mot de l’homme : s’il y a des génies ou des criminels, des imbéciles et des matheux, c’est à cause de la forme de leur crâne. Pour la phrénologie, résume Hegel dans une formule qui sert de leitmotiv à Jean-Clet Martin, «l’Esprit est un os». Certes, depuis, la science a progressé, mais la tentation réductionniste demeure. Par exemple, prétendre que l’homosexualité est génétique, ce serait, en langage hégélien, dire que l’Esprit est une séquence d’ADN. Martin : «Dire que l’Esprit n’est pas un os, c’est refuser de l’inscrire dans un simple processus matériel. Mais, symétriquement, Hegel s’oppose à la vision d’une transcendance. Marx lui reproche d’être idéaliste : c’est complètement faux !»

«Visions». Il y a (jeu de mots mis à part) quelque chose d’un peu crâne dans la passion que Jean-Clet Martin voue à l’Esprit hégélien. Ex-cancre, lui-même est une forte tête. En seconde, il arrête les études. «C’était en 72-73, à une époque où le lendemain n’était pas une crainte et où le travail était perçu comme une aliénation.» Il lit, découvre Nietzsche, passe le bac en candidat libre, décroche l’agrégation et, encouragé par Jean-Luc Nancy, soutient une thèse sur Gilles Deleuze, dont il sera proche. Prestigieux patronage, mais qui contribue à lui fermer les portes de l’université. Depuis, Jean-Clet Martin enseigne la philosophie en terminale, dans sa région natale, près de Mulhouse. Résonance ? «Quand Hegel écrit la Phénoménologie, son statut social n’est pas assuré. Peu après, il va diriger un journal, dont il sera viré. Puis il est directeur de lycée et donne des cours : cela ne peut que me le rendre sympathique.»

Autre convergence : «Dans la Phénoménologie, il se sert souvent de la langue populaire, il fonctionne par visions, par prises de vue. Le terrain sur lequel il avance n’a pas été défriché : il en découvre le style, de manière erratique.» Jean-Clet Martin s’exprime lui-même avec un peu de brusquerie, ce qu’il appelle «une alternance de lenteur et de précipitation» et que son accent alsacien accentue. Est-ce pour cela qu’il est sensible à la violence qui traverse Hegel, ses sautes d’écriture, ses tourments ? Son oreille frontalière, en tout cas, l’a aidé à entendre, derrière Begriff (concept en allemand, terme central chez Hegel) le mot begreiffen du patois de son enfance. Il se rappelle : «Cela veut dire : sentir, choper.» Dans la même famille, on trouve greifer et le français griffe. Pour Hegel, créer un concept, c’est «saisir»,«mettre la main dessus»,«produire le relevé des griffures, des éraflures». Tout le contraire d’une abstraction.

C’est cette tension, cette rage inquiète, que Martin aime débusquer dans son Enquête criminelle… Hegel ne disait-il pas que «toute approche conceptuelle se traduit par un meurtre» ? Revisitant les figures qui scandent l’aventure de l’Esprit - le «maître et l’esclave», la «conscience malheureuse», la «flatterie», la «belle âme», la Terreur révolutionnaire… -, notre détective rouvre les dossiers, réveille les blessures, exhume les cadavres. La reconstitution finale montre Hegel dans Iéna occupée par les troupes napoléoniennes. Il voit passer l’empereur, «cette âme du monde», mais son appartement a été pillé et la dernière image nous le montre «son manuscrit sous le manteau, comme un voleur dans une ville en pleine liesse». Laissant derrière lui un maigre indice : un os.

(1) Qui pense abstrait ? (Hermann, 2007). Lire Libération du 28 juin 2007.

 

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Quelle logique libère de l’oppression ?

 

1- D’abord il y a des logiques qui fabriquent de l’oppression :

 

a). Le nazisme ou fascisme : Le peuple c’est la masse, la foule, du matériel humain, et mépris de l’esprit et de l’humain dans l’homme. Avec des menaces de mort et un discours de délire absolu provoquant l’ivresse du peuple jusqu’à la gueule de bois, et la peur des gens cultivés.

 

b). Le Léviathan de Hobbes : Les hommes sont des corps et donc il faut un corps supérieur, un Léviathan géant et oppresseur pour mater l’homme foncièrement mauvais.

 

c). L’impératif catégorique impersonnel de Kant avec « Il ne faut pas…. » est une contrainte imposée aux pulsions naturelles humaines, en substitution de la religion. Il vaudrait mieux que la révélation lévinassienne par la réquisition du visage de l’autre, nous permette de nous voir et de voir de l’humain dans l’autre, et ne pas l’oppresser sans y être obligé par une autorité tierce.

 

d). Le freudo-marxisme : Exploiter nos pulsions irrationnelles pour tourner notre libido vers la consommation de marchandises, et nous faire échapper à notre Désir (souvenons-nous du contresens fait en 1968 quant à l’injonction lacanienne, « ne cédez pas sur votre Désir !). Au contraire on devrait se doter d’un moi fort pour résister à l’oppression de nos pulsions irrationnelles qui entament notre liberté.

 

e). Le surmoi et les ruses de la Raison nous oppressent également, car même la Raison qui nous semble l’acte de volonté libre par excellence nous manipule par son action indirecte à nous conduire sur des voies détournées. Le sens de notre action outrepasse les mobiles et les motifs dont nous pourrions avoir conscience.

 

2- Des moyens logiques pour sortir de l’oppression

 

a). La cohérence de raisonnement, la logique de l’oppresseur peut se voir opposer les mêmes armes, conflit d’oppression, une oppression pour une autre. Mais même le Logos selon Platon peut être une illusion de la connaissance, et il nous faut sortir de la caverne et y entrer de nouveau pour dire aux autres comment c‘est quand on est pas dans l’illusion et l’oppression consécutive. Une opposition logique à l’oppression qui est une procédure d’enchaînement, mais en réponse on peut avoir la guillotine ou l’assistanat et pour ce type d’action il faut de la force ou de l’autorité.

 

b).Se déchirer la tête qui opprime l’accès total au corps, il faut faire sauter ce lieu qui pourrait produire un jugement opprimant le corps dans certaines règles, par des substances ou de la musique ad hoc.

Mais la musique s’engouffre dans l’oreille qui n’a pas de paupières, écouter c’est l’audition mais aussi l’obéissance , et avec la musique on se met dans une situation d’obéissance sans condition à cette pulsation musicale, et agit dans le sujet avant même qu’il ait donné son consentement, directement sur le corps…Le corps s’échappe et se met à vivre de son côté, on s’échappe de l’oppression de la tête pour tomber dans celle du corps que la tête peine à reconquérir.

 

c). S’échapper du canon officiel et oppresseur du beau. Avec l’art moderne on ne peut distinguer un objet artistique d’un objet quelconque, c’est démocratique, et c’est notre acte de liberté !!!

L’imposition arbitraire d’un arbitraire culturel, c’est imposer des valeurs arbitraires c’est soupçonnable d’un penchant plus ou moins avoué pour l‘ordre, une forme de totalitarisme politique…spectre du fascisme et stalinisme….Donc on prône la tolérance totale même pour l’intolérable et l’insignifiance artistique, mais on se laisse contraindre à notre insu de la valeur d’une merde à 1 million de dollars par la ruse!! On se croit libéré avec un jugement personnel et libre du beau, hors du canon académique, mais c’est François Pinault qui nous oppresse avec ses faux-beaux-mais-très chers exposés à Venise.

 

d). Sortir de l’oppression par la désobéissance civile, Henri David Thoreau, inspirateur américain de Nietzsche, « La désobéissance civile » reprise par José Bové ; Nécessité d’une résistance individuelle à tous gouvernements en tant que tel, coercitif et oppresseur, voyez le site de JP Berthier http://sophi.over-blog.net/. Libération de l’individu, d’une Nation, Il existe les droits de l’homme et le pouvoir de révolte (prévu dans la constitution de 1793 ou celle de l’ex URSS), recours du citoyen ou son imagination comme recours. Les moyens de libération, la réflexion, la discrétion, la joie.

 

e) La logique oppressive est anti Kant car elle utilise l’homme comme moyen et non comme fin. Il suffit juste d’agir de telle manière que son action puisse être érigée en loi universelle de la nature…c’est tout simple de ne pas oppresser l’autre !.On peut aussi utiliser la technique d’Emmanuel Lévinas visée ci-dessus.

 

f). La domination abusive et violente, c’est une relation forcée à bénéfice insuffisant….dès qu’on entre en relation le plus faible est considéré comme bénéfice insuffisant, abus de force et ruse d’Alembert, il est plus facile d’opprimer que de réaliser la justice.

g). Entre le fort et le faible c’est la liberté qui opprime (Lacordère), donc il faut encadrer la liberté de chacun dans sa conception notariale de propriétaire, « Ma liberté s’arrête où celle de l’autre commence ».

 

h). Une façon de se libérer de l’oppression par la soumission, surtout si c’est à une autorité légitime et non une force. Si l’oppression est harcèlement et contrainte, la loi est tolérable même si elle est contraignante mais acceptée alors que l’oppression arbitraire, non.

 

i). La théorie de la justice sociale, le libéralisme égalitaire personnel, en fonction de développement personnel. Egale liberté réelle de chacun, chacun doit avoir les moyens de se réaliser réellement, ses aspirations, c‘est à dire comme dit Aristote, réellement en choisissant son projet de vie. Malheureusement c’est le contraire pour  von Hayeck, qui prône l’efficacité au lieu de la justice, et nous ne sommes pas sortis de l‘auberge, car les économistes de son école ont trusté 30 prix Nobel d’économie depuis sa création !.Certes pour le bien commun est au plan individuel, faut pas que chacun soit capricieux sur son projet, il faut une dynamique équitable.

j). La dialectique du maître et de l’esclave de Hegel et repris par Marx : Notre conscience doit affronter d’autres consciences ce qui lui permet de prendre conscience d’elle-même…quand l’esclave prend conscience de la dépendance oppressive, il peut s’engager dans la voie de la libération qui pourra faire de lui le maître du maître, le maître devenant l’esclave de son esclave, ça c’est de la dialectique !!  Et l’inversion de la dialectique et la sortie de l’oppression appliquée au domaine historique, ça s’appelle la Révolution et ça passe du spéculatif hégélien à l’opérationnel marxiste.

 

Mais ne l’oublions pas ne l’oublions jamais, tenter de donner des définitions de l’entrée ou de la sortie de l’oppression, c’est fabriquer de l‘oppression !!

 

Gérard

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oppression

Quelle idée nous faisons-nous de la civilisation ?

 

C’est l’autorité morale de la collectivité, une conscience collective dont dépend notre conscience individuelle ; Cette autorité morale est la source de tous les biens intellectuels qui constituent la civilisation.

Nous ne valons individuellement qu’en fonction de la raison collective  et impersonnelle.

La civilisation nous affranchit de la Nature, mais aussi de notre nature et nous demande des sacrifices.

 

Mais l’individu en dehors de la société ne serait–il- pas qu’une abstraction ?

 

-1 La civilisation interdit la satisfaction des instincts (Marcuse, Eros et civilisation)

 

La civilisation c’est la répression de l’homme, de ses instincts et même de sa structure intellectuelle ; L’homme est empêché de poursuivre les objectifs naturels et ses  instincts fondamentaux, on vit Eros mais avec un garde-fou.

 

-2 La civilisation contraint des individus  au malaise quand ils ne se satisfont pas de Travail, Famille, Patrie, leur énergie doit être déplacée ou sublimée.

Il faut jouer au Diogène, onaniste et pétomane, et s’élever contre le dressage social de la honte

 

.Nos désirs ne sont pas honteux et nous appartiennent, et qu’il n’est pas question d’aliéner sa liberté dans l’histoire collective.

 .Suivre son désir, c’est donner à la nature un maximum de pouvoir dans sa vie pour ne concéder à la culture que le strict nécessaire pour une vie sans encombre ni violence avec autrui.

 

-3 La civilisation génère la conscience malheureuse hégélienne

On peut s’enferrer dans le déni (bovarysme primaire) ou le mépris de nous-même, c’est le malaise dans la civilisation ;Tout cela produit violence sur soi ou sur les autres (notamment les adolescents). « No futur » ou « Fuck la société » gravés sur les tables d’école.

 

-4 La civilisation, l’histoire et la société  ne sont que néant et n’ont pas de but, le réel se répète indéfiniment et recycle des réalités connues.

La catastrophe est inévitable car le réel est marqué par l’entropie, dégradation dues à la perte d’énergie dans le mouvement. La civilisation n’est pas une apogée de sens s’acheminant vers un but, avec un sens ascendant et des lois.

 

Les civilisations ont enseigné des vérités souvent devenues des erreurs avec le temps, et malgré tout la Vrai absolu existerait bel et bien !!

 

Gérard

 

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civilisation

Sens et Valeur

20 juillet 2016

 

 

Le sens, c’est la référence

 

            Le sens de quelque chose, c’est sa position par rapport à des dimensions de référence, ce sont ses coordonnées dans un référentiel conceptuel, résultant d’un « repérage » catégoriel par analogie.

            Il y a deux conceptions principales du sens : L’ontologique et la relationnelle.

            Le sens ontologique est la définition essentialiste, écartelée de façon multiséculaire entre la référence objective du réalisme idéel (Platon, Aristote, Thomas d’Aquin), et la référence subjective de l’idéalisme phénoménal, « corrélationiste », qu’il soit transcendantal (Kant), phénoménologique (de Husserl à Marion) ou analytique (de Wittgenstein à Bouveresse). Dernièrement, a surgi une réaction anti-corrélationiste qui tente de retrouver le sens du réel en soi : Réalisme spéculatif (Réel absolument contingent, de Q. Meillassoux), nouveau réalisme (Champs de sens, de M. Gabriel) ou métaphysique (Essentialisme scientifique, de C. Tiercelin).

            Le sens relationnel est la description par référence structurelle, que l’on retrouve dans plusieurs domaines : En science, le sens d’un phénomène est sa corrélation entre variables pertinentes, prédictive de leur coévolution (loi scientifique). En phénoménologie perceptive et neurocognitive, le sens des choses émerge de l’entrelacement homme-monde (Merleau-Ponty), est « énacté » par ce couplage (F. Varela). L’être humain « baigne » dans le monde (nature et culture), et de ce bain émerge le sens comme savoir-faire. Au sein de la réalité en effet, l’humain ne reste pas comme une poule devant une machine à écrire, il la connaît et sait quoi en faire : L’astrophysicien et l’artiste, par exemple, comprennent le sens du monde, et savent respectivement quoi en faire. Par ailleurs, la pensée chinoise classique, dans la même veine relationnelle, considère la « cohérence » des processus et des phénomènes, qui assure leur consistance (F. Jullien).

 

Quelle portée pour la valeur ?

 

            S’il est très probable que le sens moral, tout comme l’esthétique, soit universel, partout fondé sur le rejet du mal qu’est la violence sociale et l’injustice, en revanche il est généralement admis qu’il n’y a pas d’universalisme moral, pas plus qu’esthétique, et qu’on échoue à trouver une valeur morale absolue, partout et toujours respectée. Au contraire, la grande diversité souvent conflictuelle des valeurs morales a fait renoncer au modèle universel (M. Walzer) : Ainsi, la morale du devoir justifie les conséquences immorales du devoir rigoureux, celle de l’utilité justifie les moyens immoraux de la fin utile, et celle des vertus justifie les actes immoraux commis par la « nature » vertueuse (Risque de sida, sans préservatif).

            En fait, on ne peut pas même s’en tenir à « l’éthique minimale » préconisée par R. Ogien dans les relations interpersonnelles (non-nuisance, attention à tous), car comment s’assurer dans tous les cas d’un consentement « libre et éclairé » ?

            Pour tenter alors d’échapper au pur relativisme, certains moralistes se sont engagés dans une démarche inspirée du droit positif (M. Canto-Sperber) : Sont ainsi élaborées et posées des normes concrètes de comportement, dérivées des conditions humaines particulières, et leur application contextualisée s’effectuerait à travers une « morisprudence », grâce à des entités médiatrices. Rien n’empêche qu’avec une éventuelle convergence des pratiques morales, ces normes puissent se généraliser.

 

Sens et valeur vont ensemble

 

            Pour évaluer positivement ou négativement quelque chose, dans sa finalité, son utilité ou sa qualité, il faut bien d’abord en avoir connaissance : Ce qui est totalement ignoré ne peut être valorisé. Même douteux, le sens de quelque chose s’accompagne toujours d’une référence mentale de valeur, que ce soit la beauté d’un paysage, d’une musique, ou la vérité du lepton.

            La valeur de quelque chose ayant du sens, s’attache à une position dans un référentiel de sens, et représente une orientation, répulsive, neutre ou attractive. Cette valeur est liée au désir, que la chose soit désirée, aimée (Spinoza), ou désirable, aimable par elle-même. Une telle valeur sensée est une valeur cohérente, ce qui la rend consistante : Par exemple, la consistance de « liberté, égalité, fraternité » vient de la cohérence fraternelle, tous les êtres humains étant frères ; ou bien, la consistance de « travail, famille, patrie » vient de la cohérence paternelle, les êtres humains étant pères… et enfants.

            Ainsi, non seulement le cognitif surgit du fait même de vivre au sein du monde, mais valeur et affect surgissent corrélativement avec lui : Valeur et désir accompagnent le sens, qui est savoir-faire. L’ensemble, lié à l’action, forme la meilleure chance de réussir la vie.

 

Patrice

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sens et valeur

L’avenir n’est plus ce qu’il était. (Paul Valéry. Œuvres).

 

Quelles sont les définitions de l’avenir que donnent les dictionnaires ?

Avenir: les événements futurs, ce qui doit arriver, ce qui est à venir, dans le futur. Alors, allons voir comment est défini le mot futur: ce qui appartient à l’avenir, et doit advenir, dans un avenir plus ou moins proche! Donc deux mots qui se renvoient l’un à l’autre dans leurs définitions. Mais pourquoi y aurait-il deux mots pour désigner à peu près la même chose et avenir et futur sont-ils vraiment interchangeables?

 

Nous avons conscience d’une évolution, d’un avant et d’un après, nous savons, par expérience qu’une autre heure suivra celle-ci, même sans nous, parce que notre mort est inéluctable. C’est là notre “futur”, dont l’étymologie ramène à une conjugaison du verbe latin “esse” (être). Nous savons donc que le futur est ce qui va «être», parce qu’il résulte du principe de causalité, tout effet a une cause et ainsi à l’infini.

Donc la notion de futur puise ses racines dans ce qui a été et ce qui n’est pas encore accompli. Dans cette perspective, le futur, c’est ce qui viendra, certes, mais qui est déjà contenu dans le passé, qui le permet, et qui est ainsi susceptible de prévisions plus ou moins précises.

 

Dans l’histoire de la philosophie, Husserl, à la suite de saint Augustin, a distingué un passé qui n’est plus, un futur qui n’est pas encore et un présent qui n’est pas un moment figé, mais ce qui ne cesse de passer, une tension. Le passé, est présent dans notre souvenir, le futur, s’il n’est pas encore, est déjà anticipé, au présent, dans notre esprit. Il n’y a donc qu’un présent du passé, qu’un présent du présent et qu’un présent du futur.

 

Et cette présence du futur fait que nous ne pouvons-nous empêcher de nous y projeter, de l’anticiper, de nous y préparer: où allons-nous, quel sera notre prochain président, quel sera notre prochain emploi, que ferons-nous quand nous serons à la retraite, que mangerons-nous ce soir... L’homme est un être de projet et d’anticipation. Ce qui a fait dire à Heidegger que l’être humain ne se contente pas de vivre dans le présent, comme les autres animaux, mais qu’il est hors de lui, sans cesse en décalage vers son futur. L’homme est l’être qui attend et prépare son futur. Il a même inventé une science pour cela : la futurologie ou prospective.

 

Par contre, il n’y a pas d’»avenirologie». L’avenir, c’est aussi ce qui arrive mais à la façon d’un surgissement, d’une nouveauté inattendue. C’est la catastrophe qui vient chambouler tous nos plans: on blinde sa centrale nucléaire contre tous les risques prévisibles (futur) et c’est Fukushima (avenir), ou l’agréable qui survient: on vient discuter de philosophie, ici, et on y rencontre l’amour, l’ami perdu de vue, un sens à ce que l’on fait. L’avenir, c’est le futur avec un « s » à la fin. Il contiendra sans doute un peu de tout ce que nous aurons pu imaginer, mais surtout tous les possibles.

 

Le mot avenir, dans son étymologie est quasiment transparent: l'avenir, c'est ce qui est à venir. (“Avenir” vient de “advenir” (fin du XVe siècle), contraction des mots “à venir”, comme dans “les choses à venir”).

Mais ce n’est pas si évident. Comte Sponville demande: «si c'est à venir, d'où cela viendra-t-il?» Et il renvoie à Saint Augustin. L'avenir ne peut être présent (comme à-venir) que [ ] dans notre capacité à se représenter ce qui n'est pas. «Cela suppose l'imagination. L'avenir n'a d'existence que pour l'esprit, non en soi [ ] c'est au contraire parce qu'on l'attend qu'il existe (dans la conscience).

L'avenir n'existe pas: seule existe la conscience présente que nous pouvons avoir, ici et maintenant, de son absence actuelle et de sa venue attendue. [ ] Rien ne nous attend ; c'est nous qui nous attendons à quelque chose, au point souvent d'être incapables de le vivre quand il advient.»

Parce qu’il n’est jamais ce qu’il devait être, dans notre esprit, nos prévisions, l’avenir n’est plus ce qu’il était.

 

Si le futur, est bien le temps qui est à venir, mais il ne s’agit toutefois que du temps de l'attente des effets produits par des causes passées, que nous connaissons ou étudions encore, mais cette vision du futur se limite à certains possibles qui pourront éventuellement advenir à l'existence. C’est bien un futur que l’on peut tenter de modifier dans le cadre d’une chaine de causalité conforme à notre logique. (3)

Il y a au contraire dans l'avenir une exaltation des possibilités parce que l'avenir est une ouverture à un réel imprévisible, à l’inattendu, à la surprise, au nouveau, car, de toute manière, le registre du connu et de ses conséquences est à tout jamais  limité.

 

Peut-être obtiendrons-nous un meilleur éclairage en réfléchissant à partir de pensées différentes de notre philosophie occidentale nombriliste. Parce que, chez nous, la plupart des grandes spiritualités et des philosophies, posent sur l'humanité un regard téléologique. Elles lui attribuent un devenir, une amélioration, un chemin vers un état de perfection.

 

Marc-Alain Ouaknin (dans Lire aux éclats). « Mektoub », c’est le destin : puisque c’est écrit, ça se passera, et de la façon dont c’est écrit conformément aux écritures. (Futur)  Mais pour le judaïsme, « Ma chékatouv » qui a donné « messie », ce qui est écrit, exige d’être interprété. Et l’interprétation peut modifier le sens. Le destin est écrit pour être interprété, c’est-à-dire changé. Autrement dit: le destin intangible, c’est le futur, et le destin à interpréter, c’est l’avenir. Ce qui fait une énorme différence. L’avenir n’est plus ce qu’il était parce qu’il n’a jamais été que «l'idée de l’avenir [qui] est plus féconde que l'avenir lui-même. (Bergson)

L’avenir n’en serait pas un s’il était prévisible!

 

Toute société veut maintenir sa stabilité en reconduisant au pouvoir ceux qui font partie des groupes politiques dominants et qui assènent les idées forces qui véhiculent les référentiels de la stabilité. Alors ils insistent sur le fait que nous sommes censés « tirer les leçons de l’histoire ». Le souvenir, le devoir de mémoire, les mythes fondateurs sont répétés pour faire fonction de modèles de sociétés, d’hommes et d’actions qu’il conviendrait de suivre. L’avenir doit se confondre avec le futur.

Si l’adjectif futur et la locution adjectivale à venir sont souvent synonymes (les années futures ou les années à venir, le futur gouvernement ou le gouvernement à venir), il n’en est pas exactement de même pour les noms seuls futur et avenir (Académie Française), Mais l’amalgame est nécessaire aux idées force.

Or comme l’histoire ne se répète pas, comme il s’agit d’une « histoire des vainqueurs » sujette à caution, comme les circonstances, les hommes, ont changé, cela perturbe l’action efficace qui aurait pu être entreprise.

 

Michel Foucault avait déconstruit les pratiques et les discours tant historiques que philosophiques, en décortiquant les « non événements » que sont les modes de vie, les mentalités et les rituels sociaux afin de dégager des moments singuliers et uniques, tous les «non-dits» qui sont aussi importants que les discours.

Par « l’archéologie du savoir » ce ne sont plus les discours, mais les conditions de leur émergence qui sont expliqués. Il explique que la folie, au Moyen Age, qui provoque exclusion et enfermement de tous les déraisonnables (mendiants, vagabonds, débauchés, homosexuels….) constitue une mise à distance qui répond à des critères économico-politiques, et on commence à les faire travailler pour les rendre « utiles  et dociles » (ateliers, casernes, prisons, hôpitaux). Les savoirs sont donc « relatifs » à  une histoire non descriptive.

Parce que le pouvoir n’est pas qu’entre les mains des états, mais aussi des institutions, (prison, école, famille, sciences….), de toutes organisations (religions, rituels laïques, syndicats, associations….). Il y  a plus des micro-pouvoirs qu’un pouvoir unique dominant. Les césures ne résultent pas d’une volonté unique mais d’une convergence d’actions et d’intérêts, ne poursuivant pas les mêmes buts et n’utilisant pas les mêmes moyens, ce que Foucault nomme « le hasard de la lutte ».

Ceci pour démontrer que le futur est prévisible, dans le cadre d’une histoire qui n'est pas continuité, mais discontinuité. C'est bien l'homme qui fait l'histoire et non l'histoire qui fait l'homme, une histoire qui n’est qu’une référence et non un modèle dont l'homme, de toute façon, ne tire jamais les leçons.

Alors, quand ce qui importe, ce n’est plus ce qui a été mais ce qui va être, il y a ouverture aux fantasmes, aux visions individuelles, révélant pulsions, anomalies et monstruosités identitaires et le risque de sociétés de contrôle, qui se recroquevillent sur des normes différentes de la tradition : normes sanitaires ciblées, normes écologistes ciblées en supposant que la liberté surveillée rend l’homme plus heureux que la liberté.

Ce sont les chemins que peut prendre la modernité : l’argent, le prestige, le pouvoir, le sexe le jeu (des marchés) qui deviennent des avatars à atteindre dans une atmosphère irrespectueuse et pitoyable qui n’exprime que la fièvre des modes et l’errance de leur vacuité. À défaut d’agir sur les réalités, on se laisse porter par la vague». (2)

L’avenir n’est plus ce qu’il était, parce que la confusion avec le futur retire à l’avenir la dimension de la capacité humaine à agir, à penser, en dehors des limites de la causalité.

 

Castoriadis, propose un moteur de l'Histoire qui ne se situe plus dans les rapports sociaux, mais dans l'imaginaire social. C’est l’imaginaire qui permet de nous projeter dans l’avenir en dessinant la possibilité d’une action d’émancipation, en prenant nos distances avec le marxisme et le structuralisme pour restituer au processus d’émergence du nouveau, un rôle qui a souvent été enseveli sous le poids des structures. Le marxisme est la preuve que, quand l'avenir pénètre dans le présent d'une manière immédiate, concrète, c’est une utopie.

Le concept d’imaginaire devrait selon Castoriadis permettre une compréhension de l’histoire qui ne soit plus opérée d’après les schèmes réducteurs du déterminisme causal, mais fondée sur le principe même de non-causalité.(4) Il serait en fait impossible d’expliquer l’histoire des sociétés à partir d’une relation nécessaire de cause à effet, et cela précisément en raison de la nature même de l’histoire pensée comme autocréation, comme altération, « création incessante et essentiellement indéterminée de figures/formes/images à partir desquelles seulement il peut être question de quelque chose » d’autre.

 

Dire « l’avenir n’est plus ce qu’il était » nous laisse englués dans une vision du futur où les événements qui se produisent ne correspondent pas à notre attente.

Alors, l’avenir, en termes de bien-être, d’organisation de la cité, n’a jamais été aussi prometteur, du moins à en croire les marchands de bonheur dont les promesses n’engagent que ceux qui y croient: promesse de défier le temps (transhumanisme – voir note 1), d’effacer à tout prix les stigmates du vieillissement, promesses d’un monde en paix par l’exclusion et la politique de l’autruche, etc.

Or ce qui était vrai et prévisible l’an dernier ne l’est plus nécessairement aujourd’hui, parce que le monde change et que nous changeons.

Souvenons-nous que, en 1905, le président des États-Unis, Grover Cleveland, disait que les femmes intelligentes et responsables ne souhaiteraient jamais voter, que l’on pensait en 1885 qu’il était impossible que des machines plus lourdes que l’air arrivent à voler.

 

Il y avait les oracles, les prophètes, les devins; il y a désormais les sondages d'opinion et les modélisations sur ordinateur, dont chacun connaît les imperfections: sondages contredits par les urnes, beau temps persistant quand on annonçait la pluie, effondrement des cours boursiers alors qu'était prévue la reprise. "Peut-on prévoir l'avenir?" reste ainsi une éternelle question d'actualité, à laquelle la science a surtout apporté des réponses négatives - en posant de strictes limites à la prévisibilité et en prenant en compte le rôle déterminant de la contingence dans l'évolution des phénomènes naturels.

 

Finalement, Paul Valery participe à cette confusion, étymologiquement cette fusion, indifférenciation, entre futur et avenir, indifférence voulue à l’égard de ce que représente l’avenir qui pourrait, si nous en laissions l’accès à l’imagination, mettre en péril les fondements même de nos sociétés.

L’avenir peut ne plus être ce qu’il était parce qu’il n’est pas le futur mais bien l’imparfait.

Comme l’a dit Pierre Dac :"Monsieur a son avenir devant lui et il l'aura dans le dos à chaque fois qu'il se retournera.".

N.Hanar

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Notes

1-Miguel Benasayag. Le vieux mythe resurgit: on peut se débarrasser de la régulation biologique, de ce qu'elle porte en elle de négatif mais aussi d'organique, et devenir une pure machine, sans défaut.

Ce désir de intoxique la recherche elle-même, et suscite dans l'opinion cet espoir horrible: la vie, les vivants sont périssables, mais cet état pourrait être dépassé. Le transhumanisme dresse ce constat que l'homme disposera un jour d'un pouvoir inouï sur sa nature biologique, son cerveau, son ADN, ses cellules. Si l'hybridation biotechnologique n'est ni bonne ni mauvaise, elle ouvre des possibles.

C'est un fait, qui suscite deux réactions majoritaires.

La première consiste, au nom des religions ou d'un humanisme un peu vieillot, à regarder l'avenir avec un rétroviseur, à vouloir faire machine arrière. La seconde, à imaginer, comme les transhumanistes, qu'après l'avoir disloqué, parce qu'on le décompose, on parvient à maîtriser le processus du vivant.

Cette approche fragmentée, partielle, fait fi des réactions du métabolisme qui surgissent inévitablement quand on cherche à le modifier. Ces réactions sont inhérentes au processus du vivant et n'ont rien à voir avec la morale ou la religion. Notre cerveau n'est pas un ordinateur, l'ADN n'est pas un code informatique. C'est pour cela que l'immortalité n'est pas pour demain. "Les êtres vivants sont vivants parce que mortels"

Le fossé sera immense entre notre génération, qui va mourir vers 100 ans, et celles qui, dans cinquante ou cent ans, vont bénéficier des technologies NBIC et vivront beaucoup plus longtemps. On ne freinera pas. On n'a pas freiné le téléphone mobile, internet, etc.

L'idée qu'il puisse y avoir d'un côté "augmentation" de l'être humain sans "diminution" de l'autre est curieuse d'un point de vue scientifique. Un exemple: le GPS. C'est un progrès, on se trompe moins, on ne se perd plus. Mais, chez un chauffeur de taxi qui n'utilise que son GPS, les noyaux sous-corticaux, qui gèrent le repérage spatio-temporel, s'atrophient en trois ans. C'est un constat biologique qui n'est ni éthique ni politique. Quand un enfant apprend à calculer une racine carrée, son cerveau change de ce seul fait. Si, pour obtenir le même résultat, il se contente d'appuyer sur un bouton, ce changement n'a pas lieu. C'est grave!

Personne ne manifeste contre le cœur électronique, contre les rétines artificielles ou les implants intracrâniens qui traitent la maladie de Parkinson, les greffes de visage, la fécondation in vitro. Les êtres vivants sont vivants parce que mortels.

En médecine, l'éthique qui s'est imposée est utilitariste. Tout ce qui est bon est bien. Tout ce qui est pratique, tout ce qui facilite la vie des gens est bien. Oui à la pilule, oui à l'avortement, oui à la thérapie génique, oui à l'eugénisme à l'encontre des trisomiques. Ce qui va arriver, inéluctablement, c'est une gifle en retour, comme pour toutes ces utopies, l'Union soviétique, Pol Pot, qui tendaient vers un monde paradisiaque. La régulation prendra la forme de désastres. Le corps peut continuer à fonctionner, mais à quoi bon si plus rien n'a de sens parce que tout en moi est vidé?

2- Baudrillard critique les comportements des consommateurs. Ce que nous observons dans les «sociétés développées» n’est finalement pas si différent d’un comportement de peuple «primitif». Comme dans toute société, nous donnons à quelques objets des significations mystiques et secrètes. Dans les sociétés développées par exemple des objets sont collectionnés, amassés, pour la puissance et la signification sociale qu’ils confèrent. L’accumulation de biens va vraiment vous rendre plus puissant(e), ou va vous élever dans la hiérarchie sociale de votre groupe ? N’est-ce pas là du fétichisme pur ?

Les objets que nous pouvons acheter (parfois à crédit) nous aident à construire notre identité et à construire une image vers le monde extérieur. Nous existons grâce à notre consommation et les entreprises nous vendent, à profit, notre dose quotidienne de cette drogue qui nous garantit d’exister.

Nous achetons aux entreprises notre raison d’être. Qui voudrait s’arrêter de consommer et par là cesser d’exister en tant qu’individu ? Contrairement à d’autres cultures, nous avons perdu notre identité de groupe. Nous sommes seuls, dans un océan de capitalisme, à lutter pour exister. Les objets deviennent talismans et les consommateurs « modernes » sont réduits à l’état d’être primitifs.

3-Est-ce "moi" qui construis mon avenir ou est-il déjà écrit à l'avance? Est-ce de nature ? (ce qui est donné à la naissance, par exemple le programme génétique qui déterminerait un avenir: à l'horizon la vieillesse et la mort), ou est-ce le produit  de l’influence d’autrui, qui, par l’éducation, la culture, me donnerait le pouvoir de choisir librement ou, au contraire, conditionnerait mon avenir ? Est-ce l’histoire qui nous a fait ce que nous sommes ou le hasard, défini comme la rencontre de séries causales indépendantes qui peut toujours déterminer en partie mon avenir et parfois le faire disparaître?

4- . Que dit le principe de causalité ? Tout phénomène a une cause

David Hume a émis des doutes sur l’existence réelle de cette causalité et de la prétention d’en faire un principe rationnel. Nous ne percevons que des événements. La causalité est non pas perçue, mais inférée de manière inductive de la reconnaissance habituelle de régularités. Il est dans la nature du mental de travailler à partir du passé. Quand nous avons vu un événement se produire, nous sommes portés à anticiper sa réapparition. Cela ne justifie pas la causalité. Rien n’assure que le futur soit la projection d’un passé.

La causalité ne se vérifie qu’à notre échelle de perception et cela ne prouve pas pour autant qu’à une échelle différente, son principe restera valide

La nature ne suit une logique linéaire que dans les systèmes fermés étudiés en laboratoire, dans un protocole qui simplifie au maximum les processus pour ne retenir à la limite qu’une seule cause !

Ce que la thermodynamique a montré à foison, c’est que les systèmes complexes ne sont pas linéaires: ils se caractérisent par une instabilité dynamique, une très haute sensibilité aux conditions initiales et sont donc, au final, imprévisibles. Raisonner sur un système complexe implique donc une réforme complète de la pensée. Il faut passer d’une pensée linéaire, à une pensée globale, systémique.

Bref, comme le dit Heidegger, « la rose est sans pourquoi ». En laissant tomber le forceps du principe de causalité que nous voulons imposer à la nature, nous laissons au réel l’imprévisible, l’Inattendu, la surprise, le nouveau. Le connu, le savoir est par nature limité, voire conditionné. La problématique de la causalité est ainsi profondément renouvelée dans une richesse de perspective étonnante. (d’après Serge Carfantan)

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avenir était

« Détruire, c’est affirmer qu’on existe » -

Citation de Niki de Saint Phalle: «Il existe dans le cœur humain un désir de tout détruire. Détruire c'est affirmer qu'on existe envers et contre tout. »

 

Le terme exister est ambigu.

L'existence d'un être, dans cette citation, est à considérer comme la simple appartenance de cet être à la réalité, à sa situation au monde. Ainsi cette existence est toujours individuelle, singulière: on la rencontre, et on la vit. C’est l’ensemble des évènements d’une vie humaine, d’une vie qui se trouve là, concrètement dans le monde.

Comme l’homme est capable de prendre de la distance par rapport à son existence, il est à la foi au monde, dans le monde, mais aussi l’observateur, comme « hors de soi » de son existence, et peut alors avoir un point de vue distancié sur le monde.

Cette existence, enracinée dans la chair de l’individu, désigne notamment la vie prise dans sa durée (brève, longue, suffisante) ou sa qualité (misérable, réussie, inachevée). Elle est à la fois objective (les réalités matérielles, les évènements qui surgissent), et subjective (la mémoire, les futurs imaginés), mais toujours l’existence est relative à un sujet.

Ainsi l’existence, se caractérise par une relation consciente à soi-même et par un constant devenir, une perpétuelle remise en cause, une tâche à accomplir.

 

Et cette tâche, celle qui permettrait d’affirmer son existence dans le monde, de l’attester, correspondrait dans cette citation à détruire, abattre, anéantir, faire disparaitre quelque chose, la réduire à néant.

Mais quoi ?

 

Niki de Saint Phalle est membre du groupe des Nouveaux réalistes, comme César, Christo et Yves Klein.

En 1961, elle se rend célèbre en réalisant les Tirs : fixés sur une planche, des tubes remplis de couleurs sont recouverts de plâtre et sont percés à l’aide de tirs à la carabine. Cette technique nouvelle est de l’ordre de la performance artistique. La planche est éclaboussée de peinture comme saignée à vif, pour matérialiser la violence de la destruction, et extérioriser les démons intérieurs de l’artiste qui tire ainsi sur son père, sur la société, pour se libérer. Pour dire : « Détruire c’est affirmer qu’on existe envers et contre tout ».

 

L’art est un langage peut-être plus influent que les autres parce qu’il parle aux sens. Comme la langue, qui est bien plus qu’un système de signes conventionnels parce qu’en parlant, l’homme dit également moins le réel que sa façon de se projeter vers lui, avec ses peurs, ses rêves, ses espérances, son imaginaire. Il y a une fonction créatrice de l’art et de la langue de telle sorte que ce que l’homme communique à son semblable c’est toujours lui-même. Mais on ne peut saisir la richesse de tout langage, œuvre d’art ou langue, si on est privé de la culture permettant de déchiffrer son code, ses effets de style, etc. L’artiste est un homme d’une époque avec la sensibilité, les croyances, les normes qui sont celles du monde auquel il appartient.

 

L’œuvre de Duchamp, un urinoir qui demeure muet, est incompréhensible, ne peut rien signifier pour celui qui le regarde et ne possède pas le code donnant les clés de sa compréhension. A défaut d’en connaître les clés, n’importe quel objet d’art devient un objet quelconque.

Ce que toute œuvre d’art, toute langue donne à voir c’est l’esprit d’une époque, à la fois dans ce qu’elle a de particulier et d’universel. Ce sont aussi des interrogations qui produisent des idées.

 

Et notre époque est celle de la destruction moutonnière. Exister, cette relation à soi et au monde, a longtemps été l’image de la capacité de création, d’invention. Qu’a détruit Léonard de Vinci ?

Exister correspondait à un apport de pensées nouvelles, à l’expression d’un regard nouveau, destinés à marquer son existence propre dans le cadre d’un apport à l’humanité, contribution destinée sinon à améliorer ses conditions de vie propres et celles de chaque humain, mais surtout à mettre en évidence un projet commun.

 

Cette conception »moderne » de l’art, qui se veut en rupture, subversif, destructif, n’ouvre aucune perspective commune et correspond plus (+) à l’acceptation d’une condition qu’à l’adhésion à la volonté d’intensifier ses fonctions organiques et intellectuelles.

Cette contemporanéité, dans laquelle chaque individu peut être artiste en possédant un fusil ou des W.C. semble suffire à lui permettre de s’intensifier égoïstement, à travers des expériences multiples censées lui procurer des sensations fortes – dans les sports extrêmes, les jeux de hasard, les drogues, la sexualité. Le credo est d’augmenter son sentiment d’être vivant par tous les moyens, sans relâche.

Cette nouvelle condition a ses pathologies propres comme la dépression ou le burn-out. Parce qu’elle devient routine, habitude qui nous déshabitue d’habiter l’essentiel, l’instant, l’immédiat. À un moment, le phénomène de la nouveauté s’épuise ; ce qui était excitant devient une habitude. A trop vouloir détruire, on s’y perd.

 

Cette erreur banale est préjudiciable à la réflexion en confondant l’idée « d’existence» et celle d’ « environnement » qui n’est que l’ensemble de ce que l’homme a produit. Et c’est cet environnement qui détermine aujourd’hui la manière d’être d’un être, d’un être vivant, bien qu’il ne soit, en fait ni bon ni mauvais, et ne fait ni bien ni mal les choses. Mais les solutions du mal être contemporain est-il vraiment dans cette destruction de ce qui nous entoure ?

La vision d’un monde commun, de repères communs, s’y perd et cela permet à certains de vouloir détruire la démocratie pour installer la dictature, de détruire la notion de vérité par des « fake news » pour installer des pouvoirs destructeurs. L’art est un miroir de nos sociétés et un vecteur de création/destruction.

 

Philosopher à coups de marteau, c’était, pour Nietzsche, détruire ou « déconstruire » les fausses « idoles » – morale, religion, philosophie, langage ou science, en recherchant l’origine des croyances, des valeurs ou des idées. (Il cherchait l’origine de la volonté de connaissance scientifique dans l’instinct de peur, ou celle de la morale chrétienne altruiste dans une constitution « intestinale » faible.)

Il considérait que pour détruire l'illusion il faut détruire ses racines c'est-à-dire une situation sociale qui crée le besoin d'illusions, des illusions imposées, suggérées, par tout ce qui nous entoure, par l’autre, la culture et les médias. Ce qui nous fait vivre parmi des clichés médiatisés, des imitations existentielles, dans la banalité et grotesque de l'image.

 

Alors, peut-être, peut-on aussi donner raison à ces artistes qui prônent la destruction pour affirmer l’existence individuelle, mais sans omettre de se poser la question de savoir si les effets de cette idée sont bénéfiques ou néfastes.

N.Hanar

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detruire
mensonge et verite j.luc

Le mensonge est-il une variation subjective de la verite ?

 

Ceux qui apprécient la controverse ou la "dispute", au sens que l'on donnait à ce terme au Moyen-Age, aiment parler pour faire adhérer leurs interlocuteurs à leurs croyances, qui peuvent se muer en convictions lorsqu'elles sont solidement argumentées. Il est en effet peu stimulant pour l'esprit d'être animé par la défense de ce dont on est persuadé qu'il s'agit d'une vérité, et de ne rencontrer autour de soi que méfiance, moquerie, voire de l'animosité. Le danger est alors soit de tomber dans le relativisme, ce qui revient à ne plus avoir de certitude sur quoi que ce soit et donc à ne plus faire l'effort de raisonner, soit de rejoindre la position des dogmatistes, dont c'est le propre de refuser la controverse pour ne vouloir établir que le rapport de force.

 

Ceux-ci cherchent à faire en sorte qu'une croyance n'acquiert le statut de vérité que parce qu'ils auront réussi à faire en sorte que la possibilité de choix a été rendue impossible. En réalité, on ne peut avoir que des certitudes momentanées, qui d'ailleurs ne peuvent concerner que les connaissances et le savoir, du fait que celles-ci reposent sur des faits  établis et des hypothèses vérifiées. Pour le reste, c'est-à-dire tout ce à quoi on est obligé d'adhérer pour la seule raison que la démonstration est impossible, comme les idées politiques, éthiques et esthétiques, cela ne représente en fin de compte une vérité qui ne nous concerne que nous-mêmes. Nous y voyons assurément une idée de la vérité, mais en quoi ce que nous affirmons serait-il vrai? On ne peut qu'y croire et pourquoi y croit-on? Parce qu'on y trouve un motif de satisfaction qui résulte rarement de la recherche d'une expression de ce qui pourrait être vrai ou du moins vraisemblable mais découle plutôt du fait qu'on a pu évacuer l'inconfort du doute et le désagrément de l'hésitation. 


Toutefois, le doute appelle le questionnement, et celui-ci, en ce qu'il fait appel à la raison, permet de sortir de la subjectivité qui est le terreau dans lequel s'enracinent les croyances, mais parfois aussi la propension à la naïve crédulité et les dogmes qui en sont l'expression pathologique. Une croyance personnelle est toujours considérée comme l'expression de la vérité, alors qu'il ne s'agit que d'une certitude qui nous affecte et que conforte le désir de croire. C'est la croyance qui nous motive et non la recherche si ce n'est de la vérité, du moins d'une expression sincère et non artificieuse de ce que nous pensons être juste, à défaut d'être vrai. Mais même, le plus grand nombre n'est pas motivé par la recherche de la justice, et ceci dans les 2 significations de ce terme, exactitude et probité, mais ne désire le plus souvent que flatter sa vanité. Il s'agit alors de rechercher dans la réalité de ce qui est, uniquement ce qui peut être avantageux pour l'image de soi que l'on veut donner. De sorte que chacun cherche avant tout à "saisir l'occasion d'adapter sa liberté à une situation nouvelle", Sartre. Mais, pour les esprits faibles, ignorant ce qu'est la liberté, la faculté d'adaptation peut aller jusqu'à cette illusion de la force qu'est le fanatisme, lequel atteint le degré suprême de la perversité lorsqu'il se donne la tolérance pour alibi. 


Dès lors, d'une manière générale, ce qui importe, ce n'est pas ce qu'on dit, mais la personne à qui on le dit. C'était la position défendue par B. Constant, qui refusait l'obligation de dire la vérité en toutes circonstances comme l'exigeait Kant qui avait fait de cette exigence un impératif catégorique. Il convient, pour Constant, de considérer la nature morale de l'interlocuteur. Ainsi, il écrit, dans "la France de l'an 1797", " Dire la vérité n'est un devoir qu'envers ceux qui ont le droit à la vérité. Or nul homme n'a le droit à la vérité qui nuit à autrui". Dès lors, on peut considérer qu'il n'est jamais immoral de mentir à un dogmatiste, qui est avant tout un paresseux. "C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique", a fort justement noté la Fontaine. 


Mais, quelle que soit l'époque, c'est dans le domaine politique que le concept de vérité a eu à subir les plus fortes altérations, voire les plus fortes distorsions. On se souvient du propos d'un candidat à l'élection présidentielle, convoqué par les juges, qui a déclamé: "Je leur dirai ma vérité, qui est la vérité". Cette phrase ne saurait mieux illustrer le sujet d'aujourd'hui, car si la vérité subjective se confond avec la vérité objective, avec la réalité des faits, plus rien ne peut être qualifié de mensonge. En réalité, la vérité importe peu dès lors que l'on considère, tout comme Constant finalement, que dire la vérité n'est un devoir qu'envers ceux qui peuvent prétendre y avoir droit. Visiblement, pour ce candidat, les juges étaient des personnages retors au regard torve car politicien.

Mais avait-il tort? L'affaire s'est subitement évaporée dès l'élection passée. Alors, des juges ou du candidat, qui était le plus madré? Platon déjà, n'avait pas hésité à affirmer, dans la République:" C'est aux gouvernants de l'Etat qu'il appartient, comme à personne au monde, de recourir à la fausseté, en vue de tromper soit les ennemis, soit leurs concitoyens, dans l'intérêt de l'Etat; toucher à pareille matière ne doit appartenir à personne d'autres". Dès lors, prendre quelque latitude avec la vérité ne serait donc pas répréhensible dès qu'il s'agit de l'intérêt de l'Etat. Mais alors, on peut tout aussi bien complètement évacuer le réel, dès lors que celui-ci est dérangeant. C'est ce que n'avait pas hésité à faire un ancien ministre qui, commentant un acte terroriste, prétendit: "Expliquer, c'est vouloir excuser".

 

Eussé-je été député que je me serai levé pour lui lire cet extrait de la Société du Spectacle de Guy Debord: "Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique". Un tel écrit, paru en 1967, serait immédiatement taxé de "conspirationniste" de nos jours et son auteur serait voué aux gémonies.


Lorsqu'on veut ainsi éluder tout débat, c'est qu'on veut rester dans le flou; et s'il y a un flou, c'est qu'il y a un loup. On voit dans ce cas d'école que le vrai ne résulte que de ce qui est affirmé comme tel par ceux qui détiennent le pouvoir en vue de réaliser ce que eux considèrent comme souhaitable. Dans "1984", Orwell annonçait déjà la tactique: "En pleine conscience, émettre des mensonges soigneusement agencés, retenir simultanément 2 opinions qui s'annulent alors qu'on les sait contradictoires et croire à toutes 2, employer la logique contre la logique, répudier la morale alors qu'on se réclame d'elle". Bref, savoir, en même temps, dire et faire une chose et son contraire. Ainsi, comme l'avait également compris Machiavel, on pourra toujours mettre en oeuvre, sans avoir l'air de se dédire, ce qui permet de rebondir quand interviennent des changements: "la fortune sourit à celui qui sait changer de nature quand changent les circonstances".


De nos jours, le monde est une arène où le système décrit par Hobbes (l'homme est un loup pour l'homme) semble plus que jamais d'actualité. Selon la théorie néo-libérale actuellement en vogue, au niveau des individus comme à celui des multinationales lesquelles sont appelées à remplacer les Etats nationaux décriés comme ringards car ils favoriseraient le cloisonnement et le repli sur soi, va s'organiser la guerre de plus en plus féroce de tous contre tous et au final, cela aboutira à un retour à la société féodale si cette évolution maléfique devait arriver à son terme. Le politiquement correct est devenu le prêt-à-penser obligatoire et il s'est arrogé le droit de définir ce qui vrai et ce qui ne l'est pas.

Ces vérités auto-proclamées ne sont rien de plus qu'un ensemble de croyances, présentées comme étant des démonstrations objectives émanant de personnes prétendant posséder la vérité. Mais lorsque des esprits pervers veulent faire coïncider une certitude, expression subjective de sa vérité, avec la vérité, le but recherché n'est rien de plus que la manipulation de l'opinion et la recherche de la domination pure et simple.

 

Le budget de la "communication" (entendre par là: propagande) est estimé à 200 milliards de $ par an aux seuls USA. Il s'agit de mettre en oeuvre ce qui a été théorisé après la 1ere guerre mondiale par Walter Lippmann et Edward Bernays. Ces noms sont maintenant tombés dans l'oubli, mais non leurs conceptions. En 1922, Lipmann publia "Public Opinion", un livre dans lequel il exposa ses idées sur ce qu’il nomma la « fabrique du consentement » et dont Noam Chomsky en démontrera un peu plus tard la malignité. Le peuple étant par nature, selon les vues de Lippmann, « un troupeau irrationnel sans but » et le citoyen lambda un « intrus ignorant qui se mêle de tout », l’opinion publique doit être encadrée par un petit nombre d’administrateurs, d’experts et de politiciens, en d’autres termes une oligarchie.

Edward Bernays, un neveu de Freud dont il voulut reprendre les prétentions scientifiques, publia en 1928 "Propaganda" dont le 1er chapitre s'intitule: "Organiser le chaos" et où l'on peut lire: « La manipulation consciente et intelligente des habitudes organisées et des opinions des masses est un élément important d’une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme invisible constituent un gouvernement invisible qui est le vrai pouvoir régnant de notre pays… dans presque chaque acte de notre vie quotidienne, que ce soit dans la sphère politique, dans notre conduite sociale ou notre pensée éthique, nous sommes dominés par un nombre relativement réduit de personnes… qui comprennent les processus mentaux et les schémas sociaux des masses. Ce sont également eux qui tiennent les fils qui contrôlent l’esprit public ». 


Et, dans une interview, il ajoute: « Quand je suis revenu aux USA, j’ai décidé que, si on pouvait utiliser de la propagande pour la guerre, on pouvait certainement l’utiliser en temps de paix. Et ‘propagande’ était devenu un mot négatif, à cause des Allemands. Alors, ce que j’ai fait a été de tenter de trouver un autre mot. Et j’ai fini par trouver ‘relations publiques’ ».
Où l'on voit que la guerre a surtout pour fonction de favoriser l'émergence de nouveaux pouvoirs. Le cardinal John Murphy Farley, archevêque de New York, déclara lors du Congrès mondial eucharistique à Lourdes (22–26 juillet 1914): «La guerre qui se prépare, sera un combat entre le capital international et les dynasties gouvernantes. Le capital ne supporte pas de pouvoir au-dessus de lui, ne connaît ni dieu ni maître et il voudrait que tous les Etats soient gouvernés comme une grande affaire bancaire". 

 

La vérité naît et se nourrit d'un questionnement jamais achevé, il est lui-même issu du doute alimentant la réflexion. Il n'y a au bout de la démarche aucun résultat certain, mais au moins on se rend compte qu'il est d'une grande prétention que de faire croire qu'une idée peut être universalisable, pire encore pourrait être considéré comme un absolu. Lorsqu'on a compris que rien ne peut être universalisable, on débusque très rapidement tout ce qui relève de la manipulation. Les illusionnistes ne cherchent qu'à figer la réflexion et celle-ci n'a pas pour vocation d'être statique. La vertu du débat démocratique, s'il est bien mené, est de transformer toutes les certitudes en questions et de les organiser en un scepticisme méthodique. Il n'y a d'idées de vérité que dans le débat et encore, à condition que celui-ci soit sincère, sinon il n'aboutit volontairement qu'à une somme de mensonges. Les dogmatistes n'arborent cette attitude que parce qu'ils sont dans l'incapacité de prouver quoi que ce soit, ce qu'ils ne veulent pas reconnaître.

 

Toutefois, comme il faut bien prendre une décision, il faut néanmoins savoir sortir du scepticisme qui à la longue, signifierait renoncement et effacement. Mais décider veut également dire qu'il est possible de se tromper, il faut donc constamment cerner une idée de la vérité qui puisse trouver l'assentiment d'une majorité dont c'est la responsabilité de savoir constamment se remettre en cause, car les situations historiques ne sont jamais figées. Sans quoi, cette majorité glissera vers la facilité, elle sera en marche pour faire prévaloir l'apparence sur la substance, la séduction sur la reflexion, la peopelisation sur le droit des peuples; le but étant d'éviter de penser le changement pour se contenter de changer le pansement, ce qui est bien la raison d'être de la bien-pensance.

 

Jean Luc

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pouvoir vouloir

Est-ce qu’on peut toujours, quand on veut?

 

« Quand on veut, on peut ! ». Tout le problème de ces idées reçues, qui relèvent d’un « bon sens populaire », c’est qu’elles proviennent d’une opinion, d’un cliché, de proverbes immémoriaux gardés en mémoire, la plupart du temps construits à partir d’un cas particulier, mais dont on a fait une généralité, répandue, imprégnée dans la culture, et qui devient ainsi une évidence. Et c’est ce que Descartes interroge philosophiquement. « Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables…. »

Or, à notre époque où l’opinion devient la référence, par les micros-trottoirs, les tweets, une époque dans laquelle les «vérités» résultent de statistiques, de sondages plus ou moins orientés, quand le sensationnel de l’actualité fait des lois aussi instantanées et aussi fades que le café lyophilisé, les idées reçues ont encore de beaux jours devant elles ! Quand on veut, on peut. Mais parfois, quand on ne veut pas on doit quand même.

 

Le désir est la force qui nous anime et nous constitue, la volonté étant la puissance d’agir, l'énergie qui permet de se projeter. Sans volonté, le désir se noie dans le champ de l’absurde et du tragique.
La volonté s'exerce contre le donné, contre l'obstacle, l'impulsion première, alors que la tendance est une poussée à la suite de

La volonté est le pouvoir de produire des objets correspondant à nos représentations ou de nous déterminer nous-mêmes à agir en l'absence, ou contre toute contrainte extérieure. La volonté désigne le désir en acte, l’acte volontaire est celui qui opère une action dans le monde. (Pouvoir s'oppose à subir).

.

Ce qui pose le problème de la liberté de la volonté. Ou bien on conçoit l'acte volontaire comme entièrement déterminé par des mobiles (quelle que soit la nature ou l'origine de ceux-ci), ou bien l'on pose que l'homme est capable de se déterminer lui-même, en dehors de tout mobile.

 

Schopenhauer pensait que le monde n'est qu’ensemble de phénomènes, sans intentions, dont l’homme n’est qu’une partie. Le principe de mouvement du monde, il le nomme Volonté, qui engendre, limitant la liberté, souffrance et douleur. Et c’est contre le pouvoir de cette volonté que l’homme doit «détruire en nous, par tous les moyens, la Volonté de vivre» et s'évader du désir inassouvissable, qui l’asservit,  par l'anéantissement dans le nirvana bouddhique et la contemplation esthétique.

 

Alors que Nietzsche en appelle au surhomme, qui n’est pas un homme d’une race supérieure, mais un homme apte à dominer son vouloir, affronter, refuser s’il le faut les volontés institutionnelles, temporelles comme intemporelles. C’est vouloir par soi-même, c’est  se rendre digne d’assumer sa propre volonté, ce qui peut grandir l’homme, le transcender.

 

Alors, il convient de distinguer :

-Pouvoir de, qui signifie avoir la possibilité de faire, ce qui est limité par la réalité, les lois de la physique et par notre condition humaine.

Comment pouvons-nous mesurer ce qui est dans nos aptitudes, ce qui est du domaine du possible, du réalisable ? Se surestimer peut mener à l’échec,  se sous-estime à passer à côté de possibilités.

-Pouvoir sur : La force d'un individu capable de s'imposer, de se mener au pouvoir, par ruse, par travail ou la capacité de fédérer autour d’une idée légitime ou discutable.

 

Or, le but, d’une idée reçue comme : "Quand on veut, on peut", parce que le »bon sens populaire » n’est jamais innocent, est de confondre pouvoir de et pouvoir sur !

 

Confusion censée nous motiver, une injonction à faire toujours plus d’efforts, selon Stéphanie Torre, quitte à nous perdre dans une société de la performance.

Ségala nous l’a dit: « Si a 50 ans t’as pas une Rolex, t’as raté ta vie ! ». (Café-philo de Chevilly-Larue)

Pris au pied de la lettre, l’expression « quand on veut, on peut » signifierait que la pauvreté est un manque de volonté, qui se traduit par : pas de Rolex, pas de yacht, pas de bras, pas de chocolat…….

 Or, nos projets, sont soumis à des contingences. Icare voulait réellement voler comme les oiseaux.

 « Je voudrais bien, mais j’peux point », disait la chanson

 

Parce que cette formule est vacharde à l’attention d’un autre qui agace :

-un enfant qu’on jugera paresseux alors que, avec le « je veux », l’enfant aura découvert sa puissance, puis très vite, ses limites, éminemment nécessaires à sa construction.

- un dépendant au tabac, alors que comme le disait Mastroianni dans Amarcord : « J'ai mis 40 ans à fumer un paquet par jour, ce n'est pas pour tout foutre en l’air en cinq minutes », pour en faire comme un signe de liberté individuelle.
- au travail. Sur mes bulletins de note, il y avait toujours marqué : « Peut mieux faire ! », ce qui sous-entendait : s’il ne peut pas, c’est qu’il ne veut pas ; c’est vraiment « une grosse feignasse ! ». Pourtant, le tireur à l’arc (de Cicéron) peut manquer la mouche, c’est  qui se passe le plus souvent,  mais il ressort digne, car il a mis les moyens en œuvre. S’il se rencontre (oserais-je dire), il n’aura pas à changer de trottoir.

 

« Secoue-toi ! » comme le veut la morale kantienne ("du kannst denn du sollst", "tu peux car tu dois") n’a jamais été aussi populaire que depuis l’avènement de la pensée positive, du développement personnel.

En mettant l'accent sur la seule volonté (vouloir c'est pouvoir) cela supposerait qu'elle est sans limite et justifierait quelque part un certain "ordre social", si on est pauvre c'est qu'on l'a bien voulu, et les riches et bien-portants peuvent, face aux pauvres et aux handicapés, se donner bonne conscience.

 

Mais, après réflexion, on réalise : cet impératif catégorique, un brin agressif, n’est-il pas surtout celui qui désormais nous gouverne dans notre quotidien ? Sommés d’être heureux, performants, attirants, distrayants, nous avons (presque) tous fini par nous laisser convaincre : à chacun d’inventer son destin. Et, oui, nous le pouvons…Yes w ecan ! Podemos !

Ce qui crée un “moi” qui n’est plus finalement qu’un effet de surface, nous laissant “agis” par des pulsions inconscientes très puissantes, des forces qui nous entravent.

 

Nous ne sommes alors non les choix que nous avons faits » (existentialisme), mais ceux qui nous ont été imposés. (1) Et nous ressemblons ainsi aux personnes victimes d’addictions : alcool, drogues, tabac, etc., soumis à une volonté négative, bien plus forte en eux, qui veut et prend le dessus…

Ce n’est plus l’exercice de notre volonté, mais réaction à des stimuli. Ce n’est pas un manque de volonté, puisqu’on le veut, mais c’est surtout céder « aux désirs qu’on nous infligent » et « qui nous affligent », comme dit la chanson (Foules sentimentales) d’Alain Souchon, et nous avons la liberté de vouloir ce produit, « parce que vous le valez bien ».  C’est : exercez votre volonté, « cédez à vos envies ».

Vous le voulez, alors vous le pouvez !

 

Plier toute chose à notre volonté ferait de nous des dieux et non pas des hommes. Mieux vaut prendre la phrase sans le sens qu’il est difficile de se connaître soi-même, et que souvent on ignore ses propres capacités. « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » disait Marc Twain.

 

Que voulait Diogène, alors qu’Alexandre était prêt à lui donner tout ce qu’il aurait voulu ?

Il voulait qu’Alexandre s’ôte de son soleil. Il nous disait ainsi que nos désirs nous aveuglent, nous asservissent, qu’ils détruisent notre liberté, liberté d’être, liberté de choisir. Pouvoir dire non est un acte positif. (2). Cela reste un point primordial de la philosophie : ne vouloir que ce qu’on l’on veut, par soi, refuser que notre main soit guidée vers des objets de désir. Refuser qu’on nous mette le projecteur, qu’on nous inflige pour une idéologie, ou une croyance.

 

Alors là, quand on veut, on peut !

N.Hanar 

*************

 

NOTES

 

1-L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut.

2-« Apprendre à savoir dire non », c'est d'abord avoir le courage de choisir ce qu'on veut, ne pas se laisser porter par le désir des autres. Quel que soit l'enjeu : un repas, une rencontre, une relation sentimentale, un emploi, un achat, un ordre. De ce point de vue, dire non est toujours un acte d'héroïsme du quotidien ; la première manifestation de la liberté. Savoir dire non, c'est aussi construire l'éthique qui permet de choisir.  C'est commencer à devenir soi. (Jacques Attali - L’express – Décembre 2017)

 

Citations

 

« « Vous ne pouvez pas empêcher les oiseaux de chagrin de voler sur vos têtes, mais vous pouvez les empêcher de faire des nids dans vos cheveux. » (Proverbe chinois)

« Si vous avez l’impression d’être trop petit pour pouvoir changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique, et vous verrez lequel des deux empêchera l’autre de dormir. ». (Dalaï Lama)

« La liberté consiste moins à faire sa volonté, qu’à ne pas être soumis à celle d’autrui. »(Jean-Jacques Rousseau)

« Ce que femme veut, Dieu le veut ! » ; j’aurais bien voulu être, grande, mince, et blonde !…

Paolo Coelho écrit : « La seule chose qui puisse empêcher un rêve d’aboutir, c’est la peur d’échouer. »

« Veni, vidi, vici » (Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu), a formulé Jules César.

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langage et reel

Le langage et le réel

 

Comte Sponville tente une définition consensuelle du Réel- « Tout ce qui existe, indépendamment de la représentation particulière que nous en avons, sans être un produit de la pensée ou de l’imagination, C'est la réalité du monde dégagée de la subjectivité et de la sensibilité du sujet ». (Comte Sponville) (1)

 

Comme je suis assez doué pour tailler les verges qui serviront à me battre, disons que réel et réalité sont les deux faces d’une même chose, du même monde, l’une, le réel désignant tout ce qui existe, effectivement et incontestablement, et la réalité qui désignerait seul le réel qui nous entoure, cette externalité qui nous fait face et que nous pouvons expérimenter…

 

Penser ce réel, et de plus le décrire par le langage, en se «dégageant de la subjectivité et de la sensibilité» face à ce qui nous apparait, c’est la toute la difficulté pour la philosophie, surtout depuis le poids de « l’allégorie de la Caverne »,(2) platonicienne (livre 7 de la République) qui a tant influencé la philosophie faisant passer la distinction entre l’apparence et la réalité à la distinction entre le vrai et le faux, rendant ainsi toute apparence sinon trompeuse, du moins cachant la vérité, la réalité de ce qui nous apparait. (3)

 En effet, selon Socrate/Platon, les objets du monde ne sont que des reflets, des semblants du réel, apparence du réel mais sans l'être, une manifestation extérieure généralement séduisante, mais trompeuse. «Le succès de cette fable, chez les philosophes, en dit long sur leur dégoût ordinaire du réel ». (Comte Sponville).

 

Réel que la philosophie tente alors de fuir, selon Clément Rosset, en créant des « doubles du réel », en s’ingéniant à démontrer qu’il existe quelque chose au-delà de cette réalité que nous expérimentons quotidiennement : les idées, l’esprit, Dieu, qui ne sont que des efforts faits pour échapper au réel par l’intermédiaire de duplicités illusoires du monde. "Il n’y a rien de plus fragile que la faculté humaine d’admettre la réalité, d’accepter indiscutablement l’impérieuse prérogative du réel. Le double du réel, ce n’est pas la perception matérielle, ce n’est pas non plus notre imagination, c’est plutôt l’illusion.

Parce qu’il n’y a aucun moyen de percevoir le réel. Il y a certes des moyens de fuir le réel, mais il n’y a aucune loi permettant d’être dans le réel. Nous pouvons avoir plus ou moins le sentiment du réel, mais jamais nous ne pouvons le percevoir. »

 

Parce que nos représentations surchargent le réel de sens, et si le sens n’est pas dans le réel, il est bien contenu dans nos représentations, dans un monde qui en est, à l’évidence, dénué.

Penser le réel sans cette surcharge de sens était l’objet de la phénoménologie, qui « consiste à décrire les phénomènes, ce qui se montre à la conscience, sans parti pris, en renonçant de façon méthodique à leur origine physiologico-psychologique ou à leur réduction à des principes préconçus, et ceci sans déductions définitives afin de ne considérer que le phénomène, dans ce qui apparait et même, pour Heidegger, dans ce qui n’apparait pas. (Tentative Nanardienne de définir en une phrase tous les courants de la phénoménologie !)

 

Le sujet qui nous est proposé consiste à décrire le rapport entre le réel, notre perception du réel, et le langage, qui est non seulement l’outil qui me permet de le décrire mais aussi la structure qui me permet de le penser! En effet, le langage désigne à la fois la capacité d'exprimer une pensée et le système de signes conventionnels qui permet de la communiquer.

 

Or le langage est aussi ambigu que le réel.

Le langage qu’il soit parole, geste ou manifestation corporelle se manifeste toujours par un signe. Or la signification d’un signe n’est jamais donnée que par un autre signe; quand nous cherchons à appréhender une signification, nous allons toujours de signe en signe. Il s’accompagne toujours de la présence simultanée d’autres signes et ne se définit que par la différence établie entre la relation entre ces signes.

Et c’est évident dans le cas de la langue qui ne signifie que par différence. En ce sens, c’est bien toute la langue qui est métaphorique, selon Saussure.

 

Ainsi, le langage est sujet à interprétation, plus ou moins fidèle à la pensée alors que, de plus, il n’y a pas de pensée sans langage. Penser c’est se parler à soi-même.

S’il est vrai que le langage exprime la pensée, c’est-à-dire la traduit en quelque manière, comment s’assurer de la fidélité de cette expression ou traduction ?

Parfois, les mots m’éloignent-ils des choses. Pour un nombre fini d’éléments nous avons une multiplicité d’énoncés, et, par rapport aux autres, dans la communication, nous ne donnons pas tous le même sens aux mots.

Le langage de l’émetteur peut être reçu par le récepteur, avec distorsion en fonction de l’asymétrie due à la hiérarchie du savoir, de l’état socioculturel ou des interdits.

Toute  communauté se trace un modèle de ce que doit être sa façon de parler et le champ dans lequel la parole peut s’exprimer. Elle est instrumentalisée dans le code social Et ce modèle n’est pas fixe.

 

Un simple mot peut être ambigu : une pomme n’évoque pas la même chose pour tous, selon l’effet Proustien de la madeleine, selon ses gouts ou dégouts, selon sa culture gastronomique, ou sa culture Newtonienne.

Il est aussi polysémique : ne te moques pas de ma pomme, sous ma pomme de douche,  sinon nous aurons une pomme de discorde, espèce de vraie pomme.(4)

 

Les mots ne sont plus soudés aux choses ni à celui qui parle. Ils deviennent un lieu de distance par rapport au monde. L’univers qu’ils traduisent est différent de l’univers ressenti. Ils permettent en outre de vivre dans le passé (par l’actualisation de ses souvenirs) et dans le futur (par l’anticipation de ses actions). Là où il y a parole, il y a progrès pour l’être humain, tant dans ses capacités à prendre en main son destin qu’à changer le monde.(Philippe Breton)

 

Le réel, qui constitue l’environnement matériel et social de l'homme, est ce qui existe d'une manière autonome pour nous, en dehors et indépendamment de nous, indépendamment de la représentation particulière que nous en avons et dégagé de notre subjectivité.

Or l'accès au réel est indirect et passe par la connaissance de la réalité.(5)

 

De plus notre connaissance du réel s’exprime par des langages qui sont convention, artifice permettant d’organiser notre existence avec autrui ; Il n’y a pas de référence objective aux mots qui constituent le langage, nous savons que le malentendu est possible (je t’aime). Il n’y a pas de corrélation absolue entre le mot et la chose : le familier aussi peut être étrange.

 

Communiquer, c’est transmettre, faire savoir, partager et échanger des informations, des messages avec un ou plusieurs autres. La communication est le passage obligé pour entrer en relation avec autrui.

C’est faire en sorte qu'une pensée, qu'une idée, qu'un affect, qu’une vision de la réalité, deviennent communs, avec celui à qui s’adresse la communication.

Les informations transmises sont toujours multiples, et dans ce processus, différents niveaux de sens circulent simultanément (cognitifs, affectifs et même inconscients).

 

Et pour couronner le tout le langage est utilisé pour déformer, utilitairement, le réel.

 « Post-vérité » est un néologisme qui désigne un langage qui ignore (ou en fait mine d'ignorer) les faits et la nécessité de soumettre toute argumentation, à ce qui s’est vraiment produit, en dehors de notre représentation subjective. C’est là un de mes présupposés essentiels : les faits qui se produisent dans le réel se situent dans le champ de la vérité.

 

Or, pour la post vérité, les faits et leur supposée relation avec la vérité n’en sont plus la valeur de base. Tout ce qui est exprimé de cette manière peut être faux, en toute connaissance de cause, sans le moindre égard pour la vérité, pour en tirer bénéfice.

 

Comme Donald Trump, prétendant que le président Obama, n’était pas né aux Etats-Unis mais au Kenya, sans que la publication du certificat de naissance de Barack Obama n’entame en rien la crédibilité de cette allégation. Ou Colin Powell le 5 février 2003 à l'ONU, brandissant un flacon censé être « la preuve » que les Irakiens fabriquent des armes de destruction massive.

 

Ce qui est rendu possible par l’abondance de la masse d’informations qui rend problématique la tâche d'analyser les événements avec discernement.

Instrumentalisation des faits, donc manipulation des esprits, du réel par le langage, communication où la forme prend le pas sur le fond ». (7)

 

Ce qui oblige à considérer, que, par rapport au réel, le contenu d’un énoncé ne peut pas être évaluable en termes de vérité ou de fausseté, indépendamment de la prise en compte des circonstances de son énonciation: comprendre le sens d’un énoncé ne revient donc pas à comprendre comment doit ou devrait être le monde pour que cet énoncé soit vrai, ni quel est le but avoué ou inavoué, prétexte de son expression.(6)

En corollaire, la compréhension du sens d’un énoncé (et des critères qui le fixent) est sujette à libre interprétation, parce que le sens n’existe pas avant d’être articulé ou perçu dans le texte, et ne se réduit pas à l’information qu’il apporte, ni à ses référentiels, ni à ses intentions visibles ou masquées.

 

Le réel, en lui-même, est vide de sens et c’est bien le langage qui donne au réel un sens qui n’échappe pas au contexte social particulier de son énonciation. Notre perception du réel est ainsi investie du sens qu'on veut lui donner, et  révèlerait même un sens que l'on n'aurait peut-être pas voulu lui donner, mais que nous comprenons, qui nous parle, et que nous préférons parfois vider de la description possible de ce qui est, derrière des considérations économiques et sociales par des convulsions et un verbiage incessant…

N.Hanar

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NOTES

 

1-RÉEL          L'ensemble des choses (res) et des événements, connus ou inconnus, durables ou éphémères, en tant qu'ils sont présents : c'est l'ensemble de tout ce qui arrive ou continue. Par exemple qu'il y ait un bouquet de fleurs sur la table, c'est du réel. Quand le bouquet sera fané, quand la Terre et le Soleil auront disparu, ce ne sera plus du réel. Mais il restera vrai que tout cela s'est produit. Éternité du vrai, impermanence du réel. Les deux ne coïncident qu'au présent. Ce petit mot de réel, si commode, si pauvre, n'est qu'une étiquette que nous collons, parce que cela nous est utile, sur l'infini silence de ce qui dure et passe. La définition du mot exclut que quoi que ce soit lui échappe. (Comte Sponville)

 

2-CAVERNE (MYTHE DE LA)  Des prisonniers enchaînés dans une caverne, dos à la lumière, incapables même de tourner la tête : ils ne peuvent voir que la paroi rocheuse devant eux, sur laquelle un feu qu'ils ne voient pas projette leurs propres ombres, ainsi que celles d'objets fabriqués ou factices qu'on fait passer derrière eux... Comme ils n'ont jamais vu autre chose, ils prennent ces ombres pour des êtres réels, dont ils parlent très sérieusement. Mais voilà qu'on force l'un de ces prisonniers à sortir : il est ébloui, au point d'abord de ne rien distinguer ; doit-il retourner dans la caverne, c'est l'obscurité cette fois qui l'aveugle... Ainsi sommes-nous : nous ne connaissons que les ombres du réel, notre soleil est comme ce feu, nous ignorons tout du vrai monde (le monde intelligible) et du vrai soleil qui l'illumine (l'Idée du Bien). Les rares parmi nous qui s'aventurent à contempler le monde intelligible passent d'un éblouissement, quand ils montent vers les Idées, à un obscurcissement, quand ils redescendent dans la caverne... Aussi sont-ils jugés ridicules : il n'est pas exclu, s'ils veulent inciter les autres à sortir, qu'on les mette à mort.(Comte Spnoville)

 

3-(En effet, selon Socrate/Platon, le réel se décompose en deux parties : d’une part le monde sensible accessible aux sens, dans lequel le réel immédiat est source d’erreur et d’illusion; de l’autre, le monde intelligible accessible à la seule raison, lieu des Idées et de la vérité. Ainsi les hommes vivent dans l’illusion et seul le philosophe, libéré de l’opinion et du vraisemblable, accède et contemple les Idées intelligible dans ce monde divisé en deux: les choses sensibles, fausses, et leurs idées, vraies.

La Caverne désigne le monde sensible, dont le sage-philosophe doit se détourner au profit du monde des Idées par l’usage de sa raison. Il faut donc faire un travail sur soi, opérer une révolution dans la manière de voir le monde, s'arracher du monde sensible, dévaluer le corps et la sensation, afin d’atteindre, pensée idéaliste par excellence, le vrai réel.)

 

4- L’amphibologie : ( ce n'est pas la science du jeu de boules dans un amphi) , est le double sens ambigu présenté par une proposition : « elle est sortie en pleurant du café .

Un enfant sur trois naît indien ou chinois. C'est bien embêtant : ma femme en veut un troisième, et je ne parle aucune des deux langues. - J'ai tué un éléphant en pyjama « ("Pierre sent la rose") ambiguïté lexicale homonymique ("cet ours a mangé un avocat") et ambiguïté structurale non lexicale ("j'ai vu un homme avec un télescope").

Si la plupart des ambiguïtés sont involontaires, certaines, dans les jeux de langage par exemple, sont

voulues et présentées comme telles (- Comment avez-volis trouvé votre steak? - - Par hasard, sous une frite).

L’humour joue sur l’ambiguïté du langage (Devos

 Or il y a une véritable richesse de l’ambigüité ( ou ambiguïté, ironie de l'orthographe) :elle permet de mettre à jour les différences, ouvre à l’altérité. Cette pomme qui n’a pas le même sens pour tous, nous ouvre au ressenti de l’autre. Même lorsqu'elle est volontaire, comme dans l'humour ou la parole oraculaire, ces parler différents qui opèrent un transfert de sens.

 

5-Le virtuel n'est pas du tout l'opposé du réel et n'a que peu d'affinité avec le faux, l'illusoire ou l’imaginaire. C'est au contraire un mode d'être fécond et puissant, qui donne du jeu aux processus de création, ouvre des avenirs, creuse des puits de sens sous la platitude de la présence physique immédiate. Il n'est ni bon, ni mauvais, ni neutre, mais se présente comme le mouvement même du "devenir autre" de l'humain. (Pierre Lévy). En effet, virtuel veut dire qui est en puissance, par rapport à ce qui est en acte.

Dans un jeu vidéo, on peut mourir des centaines de fois et recommencer encore et encore le même niveau. Le joueur est tellement connecté sur le virtuel qu’il a perdu pied dans le Monde réel dont il est déconnecté.

Le virtuel, en ce sens, c’est le virtuel de la simulation, pas celui du réel.

 

6- Mais qu’on juge le langage trompeur ou révélateur, infidèle ou au contraire trop fidèle, on présuppose dans tous les cas que la pensée préexiste à son expression. Comme s’il y avait d’abord ce que je pense (peu importe avec quel degré de conscience), et ensuite ce que je dis ou écris. Or cet implicite (l’antériorité de la pensée au langage) pouvait être discuté, en évoquant par exemple les analyses de Hegel expliquant que nous pensons dans les mots, ce qui implique une réciprocité de la pensée et du langage.

Les implications (sens multiples, …) diffèrent d’une langue à l’autre, le sens profond des mots est variable, et donc le message et son contenu diffère entre différentes langues

Au fond, la pensée pure n'existe pas. Elle n'apparaît que dans sa trahison langagière.

Freud a montré que les lapsus, les associations verbales non contrôlées, les récits de rêves ou de notre enfance, trahissent des désirs inconscients refoulés. Ainsi le langage, lorsqu'il échappe à la maîtrise de la pensée consciente, révèle des vérités fondamentales sur nous-mêmes

Le langage, loin de n'être qu'un outil permettant la traduction de la pensée, en est plutôt le lieu d'apparition, ou d'incarnation.

La pensée n'existe en définitive que dans son dialogue « traître » avec le langage. Elle est travaillée ,  incarnée dans le corps , réinventée dans la fonction créatrice de la pensée.

 

7- La « French theory », plus ou moins inspirée par les travaux de Michel Foucault et Jacques Derrida, s’est ingéniée à déconstruire l’idée même de vérité ». « Les universitaires ont commencé à discréditer la « vérité » comme l'un des « grands récits » que les gens intelligents ne pouvaient plus croire.

Il en résulte que la « vérité » est relativisée à l'excès, les positions les plus antagonistes pouvant être considérées par la presse et les intellectuels comme aussi pertinentes les unes que les autres.

 

Si la plupart des historiens estiment que l'histoire vise à raconter « comment les "faits" se sont "vraiment" passés », Max Weber a énoncé l'un des principes fondateurs des sciences sociales, le principe de neutralité axiologique, selon lequel tout intellectuel, savant ou journaliste, doit non pas s'interdire d'émettre des jugements de valeur lorsqu'il étudie un fait social mais en prendre conscience et le spécifier: préciser sous quel angle il oriente son analyse et quels sont ses critères.

Hannah Arendt a considéré que l'historien ne tord pas les faits dès lors qu'il précise comment il les construit.

 

À l’ère du multimédia, des nouveaux relais d'opinion, les médias numériques et internet comme la blogosphère ou les réseaux sociaux, chaque individu peut donc non seulement informer mais pratiquer la désinformation, faire de la propagande.

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obeir responsabilite

Obéir dégage-t-il de toute responsabilité ?

 

La responsabilité, c’est d’abord la capacité de décider librement de ses actes, d’agir volontairement, sans y être contraints, sans en référer préalablement à une autorité supérieure, d’avoir la capacité d’en évaluer les conséquences, ce qui implique ensuite d’avoir à répondre de ses actes dont il faudra assumer toutes les conséquences.

La responsabilité peut être morale, ce qui nécessitera de répondre de ses intentions et de ses actes devant sa conscience, lorsqu’on agit mal, volontairement ou juridique (civile, pénale) en transgression de ce qui est prescrit par la loi.

 

Ensuite, et surtout, on est responsable « de ce qu'on a fait, mais aussi de ce qu'on n'a pas fait, quand on aurait pu le faire, et de ce qu'on a laissé faire, quand on aurait pu l'empêcher. Tout pouvoir est une responsabilité. Toute responsabilité, un risque » (Comte Sponville). (1)

 

Obéir, dit le Larousse, c’est « se soumettre à la volonté d’un autre, à une volonté étrangère, et l’exécuter », se laisser gouverner, c’est cesser d’être entièrement « nous-même » ; nous diminuer dans la proportion où s’augmente la puissance de celui qui commande. C’est n’être plus qu’une force mécanique, un outil, une chose passive au service d’un dominateur.

 

C’est aussi se soumettre au droit, aux règles qui sont faites pour permettre la vie ensemble d’un certain nombre d’individus à un moment donné. La morale est, de même, fonction d’un groupe et d’une époque. (2)

Mais si la loi s’impose de l’extérieur, la morale on se l’impose à soi-même, de l’intérieur, sachant que loi et morale se réfèrent à des notions qui leur sont extérieures comme l’habitude, le conformisme, la peur de la sanction, etc….

 

L'objectif de l'expérience de Milgram, était de mesurer le niveau d'obéissance à un ordre, même contraire à la morale de celui qui l'exécute, sous l'autorité d’un scientifique, qui demande à des volontaires rémunérés d'appliquer des traitements cruels (décharges électriques) à des « élèves », censés mémoriser des listes de mots, qui reçoivent une décharge électrique, de plus en plus forte, en cas d'erreur ;

Or scientifique et élèves sont en réalité des comédiens et les chocs électriques sont fictifs.

 

Les réactions aux chocs sont simulées par l’élève qui gémit à 75V, se plaint de, souffrir à 135 V, puis hurle,  supplie. Lorsque les sujets manifestent des doutes et interrogent l'expérimentateur qui est à leur côté, ce dernier les rassure en leur affirmant qu'ils ne seront pas tenus pour responsables des conséquences.

25 sur 40 des sujets menèrent l'expérience à terme en infligeant à trois reprises des prétendus électrochocs de 450 volts. Dans l'expérience de Milgram, des sujets émettent des ricanements, désapprouvent à haute voix les ordres de l'expérimentateur, évitent de regarder l'élève, l'aident en insistant sur la bonne réponse ou encore lorsque l'expérimentateur n'est pas là ils ne donnent pas la décharge convenable exigée. Lorsque ces subterfuges sont écartés, le sujet obéit purement et simplement.

 

Stanley Milgram en conclut que l'obéissance est un comportement inhérent à la vie en société et que l'intégration d'un individu dans une hiérarchie implique que son propre fonctionnement en soit modifié : l'être humain passe alors du mode autonome à celui d’agent de l'autorité.

 

L'obéissance commence en famille et se poursuit lors de l'intégration de l'individu au sein d'une hiérarchie qui est l'un des fondements de toute société. Cette obéissance à des règles, et par voie de conséquence à une autorité, permet aux individus de vivre ensemble et empêche que leurs besoins et désirs entrent en conflit et mettent à mal la structure de la société. Comme l’écrit A.Bierce : Société : système ingénieux pour obtenir des bénéfices individuels sans responsabilité individuelle.

En fait, toute société est une SARL : Société à responsabilité limitée.

 

 Obéir n’est pas un mal, mais l'obéissance devient dangereuse, lorsqu'elle entre en conflit avec la conscience de l'individu et devient « aveugle ». Parce qu’alors, il y a perte du sens de la responsabilité et l'individu soumis « est enclin à accepter les définitions de l'action fournies par l'autorité légitime », même s’il manifeste émotionnellement qu'il est en désaccord avec l'ordre exécuté.

L’organisation de la société actuelle est toute entière basée sur l’obéissance. Nous obéissons aux codes, civils ou religieux, aux usages, les coutumes du milieu dans lequel nous vivons.

Tout ce à quoi nous obéissons a été créé par nous, comme les codes de l’expérience Milgram.

Nous obéissons lorsqu’il est matériellement, impossible de ne pas le faire, par contrainte donc; ou lorsque l’on croit devoir obéir, parce que l’on a accepté un code moral, qui peut résulter du divin, des vertus laïques, de l’acceptation d’un système législatif qui définissent le bien, le mal, l’honneur, le devoir, la vertu, la patrie, l’État, etc., autant de conceptions divinisées qui imposent leur contrainte, exigeant une obéissance absolue lorsqu’une source d'autorité, le lui demande. Sans pour autant engager notre responsabilité, si l’autorité est considérée comme légitime et ses lois acceptables.

 

Par définition, les lois fixent des limites à nos libertés et encadrent nos actions. Ce sont des principes juridiques de coexistence des hommes en société. La loi s’avère juste dans la mesure où elle est légitime, c’est-à-dire fondée en droit, élaborée et votée conformément aux valeurs et aux principes reconnus d’un État. En ce cas, légalité, légitimité et justice vont ensemble et obéir à la loi, c’est être juste.

 

Seulement, parfois, la loi heurte notre sens de la justice. Une loi ou l’application d’une loi semblent injustes au nom de l’idée que nous nous faisons, nous, de ce qui est juste ou pas en fonction de nos croyances et nos convictions propres, et il peut nous arriver parfois d’y désobéir. (3) Mais en le faisant, nous prenons du même coup le risque de faire perdre à la loi son sens. Que se passerait-il en effet si n’importe qui décidait selon son bon vouloir de la légitimité des lois qui ont pour fin de faciliter et d'organiser la vie en société, en donnant à chacun les mêmes droits et devoirs pour garantir à tous l'ordre et l'équité. Si chacun n'en fait qu'à sa tête la société ne peut fonctionner. Il faut s'arrêter au feu rouge même si personne ne passe.

 

Lorsque Socrate refuse l’évasion organisée par Criton (4), c’est parce qu’il estime de sa responsabilité d’obéir aux lois. Comme lorsqu’Antigone brave les lois établies par la société, au nom d’une instance de supérieure, la loi divine. La désobéissance est tout autant responsable que l’obéissance selon l’échelle de valeurs individuelles appliquée. Mais il faut alors accepter d’être aussi responsable pour subir la sanction.

 

Est-on responsable si l'on peut, et même si l’on devrait désobéir à la loi ? Par exemple face à une loi abjecte qui nous commanderait d'assassiner quelqu'un ou de collaborer à son meurtre.

La démocratie n’est pas exclue de ce problème.

« Les exigences de l'autorité promue par la voie démocratique peuvent elles aussi entrer en conflit avec la conscience. L'immigration et l'esclavage de millions de Noirs, l'extermination des Indiens d'Amérique, l'internement des citoyens américains d'origine japonaise, l'utilisation du napalm contre les populations civiles du Viêt Nam représentent autant de politiques impitoyables qui ont été conçues par les autorités d'un pays démocratique et exécutées par l'ensemble de la nation avec la soumission escomptée. »(Milgram)

 

Comme ce fut le cas d’un fonctionnaire nazi comme Eichmann qui se défendit en disant qu'il s'était contenté d'obéir aux ordres, dégagé de toute responsabilité.

En fait, est-ce que tout système bureaucratique moderne, fondé sur la division du travail, ne nous habitue pas tant à obéir que nous sommes tous devenus des nazis potentiels, comme le prouve l'expérience de Milgram.

Un conducteur de train était ainsi « déresponsabilisé » de son travail, tout comme le gardien du camp, etc. et pouvait ainsi attribuer la responsabilité de ses actes à une autorité supérieure. D’ailleurs Hannah Arendt avait vu en Eichmann plus un bureaucrate qu'un cruel antisémite.(5)

 

Alors celui qui obéit : est-il responsable ou seulement coupable ?

Parce que l’on peut être responsable et non coupable si aucune faute volontaire n’a été commise ! (1)

Et puis les stoïciens ne jugeaient-ils pas que l’on ne doit se sentir responsable que de ce sur quoi nous avons du pouvoir, et que l’on peut alors obéir sans problèmes de conscience ?

 

Pour lancer la discussion, je vous propose, un cas imaginaire pour y réfléchir.

Un militaire reçoit l’ordre de bombarder avec des drones, un entrepôt de munitions hautement explosives afin d’empêcher un tyran, qui massacre ceux de son peuple qui relèvent d’une religion minoritaire, de les utiliser.

Le militaire apprend que tout à côté de cet entrepôt, se trouve une école, volontairement installée là par le tyran, dans laquelle se trouvent une dizaine d’élèves et un enseignant.

 

S’il donne l’ordre de tirer, il peut se dire auteur, mais non décideur, donc non responsable. Ce qui associe ainsi la responsabilité à la décision L’auteur de l’action, alors, n'est qu'un instrument qui réalise ce qu'on lui a commandé. Ainsi, s'il avait eu son mot à dire, peut-être aurait-il voulu faire autrement, et donc aurait-il agit différemment. Il peut le faire toutefois en sachant qu’il sera puni. Mais viser, presser la gâchette sont  des actions qui, étant précises, ne peuvent advenir sans être le résultat d'une volonté de les faire advenir. L'homme ne les a pas décidé, mais les a voulus. Alors non responsable s’il obéit?

N.Hanar

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NOTES

 

1- « L'automobiliste qui brûle un stop qu'il n'a pas vu est évidemment coupable au sens juridique (il a violé le Code de la route), mais point au sens moral (puisqu'il n'a pas vu le panneau: il n'est coupable, moralement, que d'inattention). S'il tue un conducteur qui arrive sur l'autre voie, il est évidemment responsable de sa mort. Aucun d'entre nous pourtant ne le tiendrait pour un assassin: nous aurions pour lui, si nous le savons par ailleurs honnête homme, davantage de compassion que de haine. S'il avait brûlé le stop délibérément, ou s'il s'était enivré avant de prendre le volant, ce serait bien sûr différent: sans être un assassin pour autant, il serait coupable, juridiquement et moralement, de mise en danger de la vie d'autrui ou de conduite en état d'ivresse.

Toute erreur n'est pas une faute. Toute faute n'est pas un délit. Tout délit, pas un crime. L'indignation, si fort en vogue, ne tient pas lieu de lucidité, ni de justice ». André Comte-Sponville

 

2-Un autre moteur de l'obéissance est le conformisme. Lorsque l'individu obéit à une autorité, il est conscient de réaliser les désirs de l'autorité. Avec le conformisme, l'individu est persuadé que ses motivations lui sont propres et qu'il n'imite pas le comportement du groupe. Ce mimétisme est une façon pour l'individu de ne pas se démarquer du groupe.

 

3- Une loi peut, par exemple, ne pas être conforme aux droits de l’homme et, à ce titre, nous ne sommes pas tenus de lui obéir .De même, appliquer et respecter la loi de façon trop rigide ou trop mécanique peut être source d’injustice. Et puis la loi n’encadre pas, heureusement, toutes nos actions. La notion de justice appartient aussi au registre de la morale et pas seulement au droit. Un professeur qui traite différemment deux élèves en raison de préférences personnelles ne viole aucune loi particulière, au sens juridique du terme, mais il est injuste.

Dans certains cas, il faut même désobéir à la loi pour être juste. Dans certaines circonstances historiques, des hommes, au nom de la justice, se sont donné le droit de désobéir à la loi alors que celle-ci avait été prise conformément aux institutions.

Ce qui est illustré par la désobéissance civile, qui remonte à La Boétie (discours de la servitude volontaire) : « c'est le peuple qui s'assujettit et se coupe la gorge ». Il n'a qu'à désobéir. En refusant d'obéir, l'homme brise ses chaînes.

C’est Henry Thoreau, qui refuse d'obéir à un état qui prône l'esclavage et fait la guerre au Mexique. Il est emprisonné car il refuse de payer ses impôts. Il faut distinguer la désobéissance civile (qui vise à modifier la loi) de la simple infraction qui est personnelle et ne cherche pas à modifier le collectif.

 

4- Socrate attend son exécution, lorsque son ami Criton lui rend visite pour l'informer qu'il a organisé son évasion et son exil d'Athènes. Criton dispose d'arguments destinés à persuader Socrate de s’enfuir :

D’abord la douleur de perdre un ami cher, « d’être privé de toi, d’un ami, tel que [nous] n’en [retrouverons] jamais de pareil »1 (44b) ; d’autre part, l’opprobre de l’opinion publique qui les accusera d’avoir été trop avares ou trop lâches pour financer son évasion, « car jamais le vulgaire ne voudra se persuader que c’est toi qui as refusé de sortir d’ici, malgré nos instances. »1 (44c) Ensuite, décider de rester et de mourir équivaudrait à trahir ses enfants, qu'il a l'obligation de nourrir, d’élever, et de ne pas abandonner « aux maux qui sont le partage des orphelins. »1 (45c) Enfin, et surtout, le fait que le procès n'a pas été équitable, et que Socrate ne doit pas se rendre complice d’une injustice.

 

Socrate lui répond que la sollicitude de son ami est fâcheuse si elle ne se conforme pas à la justice: « Il faut donc examiner si le devoir permet de faire ce que tu me proposes, ou non ; car ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai pour principe de n’écouter en moi d’autre voix que celle de la raison. ». Si l'examen de la vérité est nécessairement circonstancié, il ne faut pas pour autant énoncer un jugement dépendant de circonstances particulières.

 « Il ne faut donc pas, mon cher Criton, nous mettre tant en peine de ce que dira de nous la multitude, mais bien de ce qu’en dira celui qui connaît le juste et l’injuste ; et celui-là, Criton, ce juge unique de toutes nos actions, c’est la vérité. »1 (48a) Peu importe que le peuple ait le pouvoir de faire mourir injustement, son opinion ne vaut pas celle du sage. L'argent, la réputation, l'amour pour ses enfants, ne sont que des considérations d'homme irréfléchi. La seule question qui vaille est celle de savoir s’il serait juste ou non de s'enfuir.

 

5-Le « Rapport sur la banalité du mal ». Par Hannah Arendt souleva une violente controverse qui n'a pas cessé parce que’elle soulève avec brutalité, et sans nuances, une question qui n'était pas au centre des débats : celle du rôle des Judenräte (conseils juifs) formés par les nazis pour canaliser les populations promises à l'extermination. Les juifs avaient refusé de s'organiser et de constituer ces Judenräte ce qui aurait peut-être, ou pas, diminué le bilan du génocide (simple spéculation). Ah si……….

De plus Arendt est surtout accusée d'avoir préféré ranger la criminalité d'Eichmann sous la catégorie de "crime contre l'humanité" et non de "crime contre le peuple juif", ce qui se justifie par rapport aux massacres systématiques perpétrés par l'URSS de Staline.

Mais le problème majeur vient de la notion de "banalité du mal" sachant que pour Arendt la "banalité" est  le contrepoint de l'héroïsme. Le héros, celui de l'Antiquité, dont le prototype est Achille, sait sortir de lui-même. Il transporte ses exploits dans le domaine public qu'il accroît du même coup. Il parle autant qu'il se bat. Eichmann, lui, ne parle pas ou balbutie la "grotesque" phraséologie nazie jusqu'au pied de la potence, il complote, il aime le secret.

S'il ne "pense" pas, c'est qu'il a transformé sa pensée en monolithe. Alors que le courage est pour Arendt la vertu politique par excellence, tournée vers le monde et vers les autres, Eichmann se fige dans son égoïsme. Plus qu'un homme ordinaire, Eichmann reste donc un "banal" antihéros. Aux actes monstrueux.

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esprit

Qu’entend-on en parlant de l’esprit 

« L’œil ne voit que ce que l’esprit est prêt à comprendre ». Henri Bergson

 

Pour la philosophie, « l’esprit », possède ses lois et son activité propre, et désigne, ce qui, en l’humain pense tout sujet qui se présente à ses sens.

Parler de l’esprit, alors, c’est considérer ce qui préside à la pensée et à l'activité réfléchie de l'homme, par opposition à l'objet de la connaissance.

Une idée [par exemple] n'existe pas en soi, elle n’existe qu’en tant qu'elle est pensée dans un esprit (Barrès)

 

Il est incontestable que nous pensons. L’esprit est cette puissance de penser, la même, en puissance, en tous, qui ne peut exister seule, sans le corps.

L’intelligence, (la faculté de connaître, de comprendre) est une des qualités de l'esprit, comme l’entendement, (la faculté de comprendre) et la raison, (qui permet à l'esprit humain de fixer des critères de vérité et d'erreur).

 

Chez les Anciens l’esprit était ce souffle vital, ce principe de vie, cette part immatérielle qui anime les corps, qui eux ne sont que matière. (1)

Ce souffle provenait d’une extériorité métaphysique (ce qui est au-delà de la nature - meta ta physica) des corps, qui ont commencé à en comporter leur part, à partir de l’Ancien Testament. Ce souffle vital, alors, provenait de Dieu, souffle créateur du Père. Puis s’est éloigné encore un peu plus de l’extériorité humaine à partir du Nouveau Testament, le Saint Esprit étant ce qui unit le Père et le Fils, la métaphysique et l’humain.

L'esprit a donc été vu comme plus noble que le corps. Et l’idéal était celui qui serait « Pur esprit », non soumis à certaines contingences d'ordre physique ou matériel.

 

 « Descartes, (1596-1650) et d’autres, insistait sur la prééminence de l'esprit sur le corps/outil, mais n'incitait pas pour autant à négliger ou ignorer ce dernier, l’homme étant l’union d’une âme et d’un corps. En revanche, une certaine vision du christianisme a longtemps considéré le corps comme un obstacle à la vie de l'esprit et à l'élévation de l'âme, comme une source de tentations charnelles: il fallait le tenir à distance.

Puis Diderot et Rousseau (18e s.) avaient bien réhabilité le corps, en montrant combien l'humain est un être sensible et à quel point ses ressentis corporels et émotionnels contribuent à son équilibre et son identité.

L'esprit et le corps forment ainsi les deux pôles opposés et absolument contraires, l'esprit étant le divin impersonnel qui est en nous, le corps tout ce qui, dans notre être, est perceptible aux sens.

 

D’un côté donc, les matérialistes, des atomistes grecs jusqu’à Marx, qui refusent de penser à deux substances distinctes : l'esprit et la matière. ; de l’autre, les spiritualistes (ou idéalistes), de Platon à Bergson, qui défendent l’idée que la matière ne peut expliquer la pensée. Débat sans fin dans l’histoire de la philosophie. Pour la position particulière de Blaise Pascal, voir (2)

 

Aujourd'hui, nous savons que le corps et l'esprit sont deux entités différentes mais très étroitement connectées, et comprendre ces interconnexions est le projet de pratiquement toutes les recherches.

A partir du XXe siècle, médecine, psychologie et neurosciences ont exploré de manière scientifique la notion d'intelligence du corps. Nous comprenons désormais le corps non comme un empilement d'organes sur lequel régnerait le cerveau, mais comme une entité complexe et subtile, siège d'une foule d'interactions qui représente une source considérable d'informations et d'outils pour permettre à l'esprit de bien faire son travail : par exemple, l'attention prêtée aux messages corporels est une aide précieuse.

Le professeur de neurologie Antonio Damasio a montré que les personnes ne ressentant plus d'informations corporelles, en raison de lésions ou de maladies, ont des fonctions intellectuelles perturbées, même si le cortex cérébral est intact. Ensuite, parce que l'esprit a besoin du corps pour se réguler : lorsque nous sommes stressés, nous pouvons mieux nous apaiser par le souffle et la détente musculaire que par nos pensées.

Les émotions sont à l'exacte interface du corps et de l'esprit, et s'expriment de manière simultanée dans ces deux dimensions : une émotion se traduit toujours par l'apparition de modifications physiques et de contenus mentaux. On sait, depuis la fin des années 1950, que les émotions négatives, comme stress ou colère, entraînent des effets délétères sur le corps. Depuis quinze ans, on mesure aussi les bienfaits des émotions positives.».

Nos émotions constituent ainsi une forme de pensée intuitive, qui comprend les situations très vite et donne des impulsions corporelles sans besoin que l'esprit n’intervienne.

 (Selon un texte de Christophe André, psychiatre)

 

« Dans L’Homme machine (1748), La Mettrie soutenait déjà que ce que nous pensons dépend du rapport de notre corps avec le monde extérieur, et notamment de ce que nous mangeons. C’est donc parce qu’ils mangent de la viande crue que les Anglais sont plus féroces que les autres peuples !

 

Johnny s’en va-t-en guerre est un film antimilitariste de Dalton Trumbo, sorti en 1971, qui raconte l’histoire d’un jeune soldat américain grièvement blessé par l’éclat d’un obus en 1917. Amputé des jambes et des bras, le visage à moitié arraché, aveugle, il ne lui reste que le sens du toucher. Enfermé dans un corps-tronc devenu sa prison, ne pouvant, ni se défendre, ni se suicider, il devient un cobaye pour la science. Ce film, véritable plaidoyer pour l’euthanasie, veut montrer qu’il n’y a pas de liberté ni de bonheur possible pour un esprit qui ne peut plus s’incarner dans un corps disponible ». (D’après Nicolas Tenaillon, Philomag)

 

N.Hanar

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NOTES

 

1-Ce souffle vital, immatériel, on le retrouve toujours dans différentes acceptions actuelles du terme.

 

Il désigne par exemple une substance liquide volatile obtenue par distillation, en chimie, avec son application alambiquée : l’esprit-de-vin.

Mais l’esprit désigne aussi pour la vie psychique et l’activité physique; l’ensemble des facultés psychologiques tant affectives qu'intellectuelles, qui président à la pensée et à l’action, comme étant les dispositions psychique dominantes d'une personne, qui déterminent le choix d'une attitude et l'orientation de l'action.

En vrac : Esprit d'indépendance, de soumission; esprit conciliateur, chicanier, qui correspondent à un état d’esprit, une disposition, une manière d'être, une tournure d’esprit.

Dans les actions qui en résultent nous avons une présence d'esprit, un esprit d'à-propos, un esprit de suite, lorsque nous avons  l'esprit à ce que nous faisons, et nous mettons dans le bon esprit d’y parvenir.

C'est dans cet esprit que nous avons ou non, l'esprit à ce que l'on fait.  Où as-t-on l'esprit?

La réussite de l’action ou son échec dépendent ensuite d’un esprit brillant ou d’un esprit étroit, si les grands  esprits se rencontrent, ou se heurtent à des simples d'esprit.

On peut avoir affaire à un homme, une femme d'esprit, qui, par des réparties (pleines) d'esprit; par des traits, des mots d'esprit, feront de l’esprit. Ce qui, parfois, échauffe, remue, ou égare les esprits, et rend difficile de calmer les esprits.

 

C’est aussi l’ensemble des dispositions psychiques dominantes qui déterminent et caractérisent les sentiments et les actions d'un groupe social, dans lequel on peut avoir l’esprit de famille, d'équipe, de corps, l’esprit de clocher, l’esprit de sacrifice ou comme l’écrit Michel Onfray : l'esprit Français.

 

On parle beaucoup aujourd’hui de « lieux où souffle l'esprit ». L’esprit des lois, des traités, d'un livre, d'un texte; esprit d'un cours, d'une doctrine; dont il est parfois difficile de saisir l’esprit.

 

Sans pour autant évoquer dans le détail, ces esprits (Geist), êtres imaginaires, légendaires, magiques que l’on retrouve dans les esprits, ces signes des défunts qui se manifestent auprès des vivants, ou qui, comme l'esprit du Mal, l'esprit malin, esprit tentateur, esprit des ténèbres, nous font perdre l’esprit, rendant difficile de reprendre et de recouvrer ses esprits.

On entend tout ça, en parlant de l’esprit 

 

2- Pascal (3) distingue deux catégories de l’esprit humain. L’« esprit de géométrie », qui est l’outil des démonstrations « méthodiques et parfaites » (“De l’esprit de géométrie”) manque cruellement d’« esprit de finesse ». L’esprit de géométrie obéit à des principes clairs et nous permet de formuler des raisonnements logiques imparables compréhensibles par tous. L’esprit de finesse, lui, relève davantage de l’intuition : si ses principes sont « dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde », ils sont en revanche « déliés », parfois difficilement perceptibles, car « on les voit à peine, on les sent plutôt qu’on ne les voit ; on a des peines infinies à les faire sentir à ceux qui ne les sentent pas d’eux-mêmes ». L’alliance des deux produit une forme d’intelligence idéale.

 

Face à l’incommensurabilité de notre univers, seul, l’esprit de géométrie débouche sur de l’inconnaissable : « Quelque grand que soit un nombre, on peut en concevoir un plus grand, et encore un qui surpasse le dernier ; et ainsi à l’infini, sans jamais arriver à un qui ne puisse plus être augmenté. » De même, quant à l’espace ou à la durée, que l’on aille vers l’infiniment grand ou l’infiniment petit. Le calcul et ses opérations, en apparence prosaïques, ouvrent en réalité au vertige.

1. Différence entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse. – En l’un, les principes sont palpables, mais éloignés de l’usage commun ; dans l’esprit de finesse, les principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n’a que faire de tourner la tête, ni de se faire violence ; il n’est question que d’avoir bonne vue pour voir tous les principes, et ensuite l’esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus.

Ce qui fait donc que de certains esprits fins ne sont pas géomètres, c’est qu’ils ne peuvent du tout se tourner vers les principes de géométrie ; mais ce qui fait que des géomètres ne sont pas fins, c’est qu’ils ne voient pas ce qui est devant eux, et qu’étant accoutumés aux principes nets et grossiers de géométrie, et à ne raisonner qu’après avoir bien vu et manié leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse, où les principes ne se laissent pas ainsi manier. Les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres.

L’un est force et droiture d’esprit, l’autre est amplitude d’esprit. Or l’un peut bien être sans l’autre, l’esprit pouvant être fort et étroit, et pouvant être aussi ample et faible.

 

Notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences ; rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis, qui l’enferment et le fuient.

Et ce qui achève notre impuissance à connaître les choses est qu’elles sont simples en elles-mêmes, et que nous sommes composés de deux natures opposées et de divers genres, d’âme et de corps. Car il est impossible que la partie qui résonne [raisonne] en nous soit autre que spirituelle ; et quand on prétendrait que nous serions simplement corporels, cela nous exclurait bien davantage de la connaissance des choses, n’y ayant rien de si inconcevable que de dire que la matière se connaît soi-même ; il ne nous est pas possible de connaître comment elle se connaîtrait.

De là vient que presque tous les philosophes confondent les idées des choses, et parlent des choses corporelles spirituellement et des spirituelles corporellement. Au lieu de recevoir les idées de ces choses pures, nous les teignons de nos qualités, et empreignons de notre être composé toutes les choses simples que nous contemplons.

Car qu’y a-t-il de plus absurde que de prétendre qu’en divisant toujours un espace, on arrive enfin à une division telle qu’en la divisant en deux, chacune des moitiés reste indivisible et sans aucune étendue, et qu’ainsi ces deux néants d’étendue fissent ensemble une étendue ? par VICTORINE DE OLIVEIRA

 

3- En 1642, créée par un jeune homme de 19 ans qui espérait faciliter le travail de son père, receveur des impôts, la machine à calculer de Pascal est considérée comme l’un des premiers ancêtres de l’ordinateur, super machine à calculer capable de résoudre des milliers d’opérations en une seconde.

À 11 ans, il rédige un Traité des sons, aujourd’hui perdu, puis à 17 ans un Traité sur les coniques. Deux ans plus tard, il fait sensation en présentant dans les salons sa machine à calculer, surnommée la « pascaline ». À 24 ans, Pascal a l’audace de contredire les théories d’Aristote et de Descartes, tous deux sceptiques quant à l’existence du vide dans la nature. Défié par un ami amateur de jeux de hasard, il se lance ensuite dans l’étude des calculs de probabilité.

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L’art modifie-t-il notre rapport à la réalité ?

 

-Le réel désigne tout ce qui existe en dehors de nous, indépendamment de la représentation particulière que nous en avons. La réalité désigne cette partie du réel dont nous avons fait, faisons, ou pourrions faire, l’expérience, soit tout ce qui existe sans être dégagé de notre subjectivité et de notre sensibilité.

 

-L’art au sens large, désigne toute production humaine, qui ajoute à la nature, par opposition aux produits de la nature, ce qui suppose imagination, conception, réalisation, pour une œuvre, qui devra renvoyer à autre chose qu’elle-même (une idée, un sentiment, une émotion, etc…).

Quant au sens que l’art est supposée évoquer, il peut y avoir celui souhaité par son créateur, bien que l’œuvre ne délivre pas un sens à la manière des messages que l’on échange en communiquant par le langage, a quoi s’ajoute la perception qu’en a celui qui la perçoit, indépendamment de celle voulue par l’auteur, à partir de sa propre culture, de son environnement.

La perception est une faculté vide de sens. Le sens est à la fois dans ce qui se présente à moi, dans le champ d’apparition du phénomène et à la fois dans les relations que j’établis entre les phénomènes, les sensations et mes connaissances, mon savoir et mon expérience.
 

Ce qui fait que, plutôt qu’un sens, les œuvres d’art sont porteuses de multiples significations, indépendantes de l’œuvre, significations qui sont fonction d’une expérience esthétique double, mêlant le point de vue du créateur et celui du spectateur, et qui peuvent même changer à chaque rencontre avec la même œuvre, par le surgissement d’images nouvelles, d’émotions ou de sentiments inédits.

 

Alors, par l’influence qu’il a sur nous, par les significations qu’il véhicule, l’art modifie-t-il notre rapport à la réalité ?

Pour comprendre le fait que la question se pose, revenons à ce décalage entre réel et réalité, entre ce qui entre, ou ce qui n’entre pas, dans notre champ de perception

Donc à Platon qui concevait l'art uniquement dans une perspective mimétique (l’art se veut « imitation de la réalité », copie de l'objet sensible). L’objet représenté ressemble à l’objet existant, et représente donc les caractères inessentiels des choses, en les réduisant à leur apparence, et nous admirons, à la rigueur,  le talent de l’artiste, mais cela se fait au détriment de la connaissance vraie des objets représentés. Pour Platon la réalité d’une chose n’est pas ce que l’on perçoit  de cette chose.

Ce qui fait que l’art participerait à un processus de déperdition de la réalité, la réalité véritable étant du domaine de l'intelligible, c'est-à-dire du domaine des idées. Ainsi, l'art modifierait le rapport à la réalité en nous détournant du vrai, en nous trompant, en nous empêchant d’accéder à l’idée du beau.

L'art est trompeur, illusoire, mensonger. Il ne faut donc pas seulement s'en désintéresser, mais même s'en méfier. En limitant l’accès de notre esprit aux apparences immédiates, l’art dupe et flatte les sens, et nous éloigne de la réalité vraie, le plaisir esthétique, étant  plus "convaincant" pour le peuple que la philosophie, qui n'a pour elle que la raison,  et qui paraît souvent au peuple trop rêche et trop sérieuse.

Alors Platon prescrit de chasser les poètes de la cité.

On peut penser que c’est dans le même esprit que les religions ont proscrit peintures et icônes, car, « les images détiennent des pouvoirs dont les mots sont dépourvus ». Gérard Chabane

C’est là tout le poids de cette « allégorie de la Caverne », platonicienne (livre 7 de la République) qui a tant influencé la philosophie faisant passer la distinction entre l’apparence et la réalité, à la distinction entre le vrai et le faux, rendant ainsi toute apparence sinon trompeuse, du moins cachant la vérité, la réalité de ce qui nous apparait?

L’art, ainsi, rendrait impossible un rapport à la réalité conforme à la vérité (de ce qui est).

 

C’est une des raisons pour lesquelles Rosset voit dans la philosophie une tentative de fuir le réel en créant des « doubles du réel », en s’ingéniant à démontrer qu’il existe quelque chose au-delà de cette réalité que nous expérimentons quotidiennement : les idées, l’esprit, Dieu, qui ne sont que des efforts faits pour échapper au réel par l’intermédiaire de duplicités illusoires du monde

 

Pour nous, aujourd’hui, l'œuvre d'art n'est ni une réalité de nature purement matérielle (une chose), ni une réalité de nature purement conceptuelle (une idée) Elle est une réalité d'une troisième sorte, qui participe de l'une et de l'autre, en les reliant

Que fait l'artiste quand il crée une oeuvre d'art? Il agence, ordonne, structure, assemble des matériaux (couleurs, sons, mots) dans l'intention de donner à voir ou à entendre le réel-tel-qu'il le ressent.

 

Connaitre la réalité, et s’approcher du réel à travers elle, serait alors accepter tout ce qui survient comme moyen de connaissance. L’être humain alors ne simulerait pas l’existence d’un monde imaginaire situé au-delà, au-dessus, en dehors, mais créerait quelque chose qui lui permet de se rapprocher de ce que pourrait être le réel.

 

Et pour faire cela, l’humain utilise l’art. Le théâtre, par exemple, est le lieu privilégié de l’image du réel. Partant, et se basant sur la réalité, il possède l'entière liberté de la transformer, de la modeler, de se décaler par rapport à elle,  faisant de la réalité théâtrale une métaphore au réel, tout en maintenant, voire en accentuant l'émotion qui l'accompagne.

 

Par les sentiments qu'il éveille en nous, l’art modifie notre rapport à la réalité, en transformant le rapport d'immédiateté, instinctive, que nous avons avec la réalité quotidienne, en la mettant à distance.

Or c’est justement, par la transformation de la perception immédiate de la réalité naturelle que se définit et se détermine l’humain.

" L’homme agit ainsi [...] pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu'il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité " (Hegel, Esthétique). Ainsi, il apprivoise la réalité matérielle, qui cesse dès lors d'être un monde étranger avec lequel l'homme, en tant qu'être spirituel, serait en rapport d'extériorité et d'hostilité.

 

Pourquoi s’arrêter à l’affirmation que la philosophie s’adresserait à la raison, alors que l'art relèverait essentiellement du sensible, du sentiment, de l’imagination pour aboutir à un jugement purement esthétique qui ne renverrait qu'à la surface des choses, alors que la philosophie…...

Kant dans sa Critique de la faculté de juger, indique que lorsque nous jugeons qu’une œuvre est »belle »,

("L'art est la belle représentation d'une chose et non la représentation d'une belle chose" - I, §48), ce jugement esthétique est néanmoins douteux, car médié par la culture et la vie en société.

Or, peu importe que l’on ne puisse dire que l'urinoir de Duchamp, soit "beau". Mais pourtant, nous estimons que nous avons affaire à de l'art.
 

L'œuvre d'art fait appel à notre esprit, à notre réflexion. L'expérience esthétique nous modifie, nous enrichit en nous dévoilant une part du réel jusque-là masquée par notre rapport à la réalité quotidienne, en rompant notre rapport utilitaire à la réalité.

De plus, l’œuvre d’art est appelée création parce que l'artiste ne modifie pas seulement le rapport à la réalité, mais modifie en quelque sorte la réalité elle-même : il invente, imagine, crée des fictions. La réalité n'est pas copiée par l'artiste : elle est transfigurée, réinterprétée, voire réinventée.

 

En même temps, peu importe que ce soit l’art qui modifierait notre rapport à la réalité ou que ce soit la réalité qui modifierait notre rapport à l’art.

Parce que l'évolution de l'histoire de l'art révèle que c'est bien plutôt la réalité qui modifie notre rapports à l'art: l'art a changé ses motifs et ses thèmes en fonction de l'évolution des préoccupations humaines réelles. On est ainsi passé des thèmes religieux (en peinture et en musique) aux motifs plus humains (des scènes d'intérieurs et de la vie quotidienne), jusqu'à l'abstraction en fonction des différentes aspirations philosophiques, sociales, politiques, rendant possible un nouveau rapport au monde, en permettant à l'homme de prendre conscience de l’influence de son esprit, dans la mesure où la matière est investie, travaillée par la spiritualité.

L'art permet d'" intégrer dans le champ de notre expérience, ce qui se passe dans les régions intimes de notre âme "(Hegel, Esthétique, Introduction).

Ce qui jusque-là était présent en nous de manière confuse fait maintenant partie de nos représentations conscientes : désormais tous ces sentiments ou impressions existent véritablement pour nous, ils font partie de notre réalité, en aiguisant en quelque sorte notre attention, notre sensibilité, en changeant le mode de notre approche de la réalité. " L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible " (P. Klee).

 

Peu importe également, comme le veut Freud, que l'artiste crée pour satisfaire en imagination des désirs inconscients, pour échapper au rapport conflictuel avec la réalité qui s'impose à lui parce que, " à l'inverse des productions asociales narcissiques du rêve, les œuvres d'art peuvent compter sur la sympathie des autres hommes, étant capables d'éveiller et de satisfaire chez eux les mêmes inconscientes aspirations du désir ".

Le résultat en est une modification de son rapport avec la réalité, et c’est là l’essentiel.

L’art amène à des perspectives nouvelles de vision de la réalité du monde et permet de mieux « coller » à la réalité, par ce à quoi, sans l’alchimie de l’art, nous serions restés indifférents. (C’est là ma définition de l’art).

 

L’artiste invente, il est vrai, des procédés qui produisent un effet de présence de la réalité, mais, ce travail réussi à produire chez le spectateur un sentiment de compréhension de la réalité. Et contribue à faire naître la réflexion car il a saisi les particularités d’une chose qui nous frappent alors par différence avec les particularités d’une autre et donne ainsi à voir une réalité plus intense.

C’est une transposition de la pensée, une mise en récit, qui démontre et démonte, en racontant une histoire, en exprimant des idées.

Ainsi Warhol, qui a reproduit en plusieurs exemplaires des boîtes de soupes ou le portrait de Marylin, a voulu nous "faire voir" la société de consommation, nous faire réfléchir sur elle pour nous permettre de prendre conscience de nous-même à travers l'expérience artistique que ses tableaux suscitent.
L'art réfléchit donc sur lui-même, et fait passer des idées pour mieux comprendre la réalité, nous force à tourner le regard vers les choses telles qu’elles sont, comme nous ne les voyons pas d’ordinaire, et non selon nos intérêts du moment. L’activité artistique est intellectuelle en même temps qu'esthétique et ne met pas en danger notre rapport au monde.

La caractéristique de l’art ainsi est non de refléter une vision de la réalité, comme celle de tout le monde, mais de transfigurer ce qui est représenté, de l'arracher au monde de la vie pour le métamorphoser.

Il rend l’homme perméable à la liberté de transgresser le contrôle égoïste et exclusif, qu’il entend exercer dans la relation de son esprit à son corps, en rendant réelle, matérielle, la relation de l’esprit au corps.

C'est un signe de liberté sur la vie : « l'art est un anti destin » écrivait Malraux.

N.Hanar

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Notes et Idées

 A-CAVERNE (MYTHE DE LA)  Des prisonniers enchaînés dans une caverne, dos à la lumière, incapables même de tourner la tête, ne peuvent voir que la paroi rocheuse devant eux, sur laquelle un feu qu'ils ne voient pas projette leurs propres ombres, ainsi que celles d'objets fabriqués ou factices qu'on fait passer derrière eux... Comme ils n'ont jamais vu autre chose, ils prennent ces ombres pour des êtres réels, dont ils parlent très sérieusement. Mais voilà qu'on force l'un de ces prisonniers à sortir : il est ébloui, au point d'abord de ne rien distinguer ; doit-il retourner dans la caverne, c'est l'obscurité cette fois qui l'aveugle... Ainsi sommes-nous : nous ne connaissons que les ombres du réel, notre soleil est comme ce feu, nous ignorons tout du vrai monde (le monde intelligible) et du vrai soleil qui l'illumine (l'Idée du Bien). Les rares parmi nous qui s'aventurent à contempler le monde intelligible passent d'un éblouissement, quand ils montent vers les Idées, à un obscurcissement, quand ils redescendent dans la caverne...

En effet, selon Socrate/Platon, le réel se décompose en deux parties : d’une part le monde sensible accessible aux sens, dans lequel le réel immédiat est source d’erreur et d’illusion; de l’autre, le monde intelligible accessible à la seule raison, lieu des Idées et de la vérité. Ainsi les hommes vivent dans l’illusion et seul le philosophe, libéré de l’opinion et du vraisemblable, accède et contemple les Idées intelligible dans ce monde divisé en deux: les choses sensibles, fausses, et leurs idées, vraies.

L’apparence extérieure (définition même du mot « semblant »), que seule nous percevons immédiatement, n’est alors que simulacre, qu’imitation, une manifestation extérieure séduisante, mais trompeuse.

«Le succès de cette fable, chez les philosophes, en dit long sur leur dégoût ordinaire du réel ». nous dit Comte Sponville.

 

B-Le virtuel n'est pas du tout l'opposé du réel et n'a que peu d'affinité avec le faux, l'illusoire ou l’imaginaire. C'est au contraire un mode d'être fécond et puissant, qui donne du jeu aux processus de création, ouvre des avenirs, creuse des puits de sens sous la platitude de la présence physique immédiate. Il n'est ni bon, ni mauvais, ni neutre, mais se présente comme le mouvement même du "devenir autre" de l'humain. (Pierre Lévy). En effet, virtuel veut dire qui est en puissance, par rapport à ce qui est en acte.

Ce qui est virtuel dans la nature est déterminé en partie seulement, mais fera partie du réel.

Ce qui ressemble à nos pensées par lesquelles, nous quittons l’ici et le maintenant. La pensée permet très facilement de se déporter vers un ailleurs et un autrement virtuel et de débrayer en quelque sorte du présent. La mémoire, l’imagination, le savoir, sont déjà des vecteurs de virtualisation, et cela depuis l’aube de l’humanité, bien avant l’apparition des réseaux numériques.

Ainsi, le virtuel, ce n’est pas un monde faux, illusoire, imaginaire, mais ce par quoi nous partageons une réalité, même s’il peut toujours dégénérer. La virtualisation est détachement de l'ici et maintenant, parce que le virtuel, bien souvent, "n'est pas là". Pour Michel Serres le virtuel est "hors-là". L'imagination, la mémoire, la connaissance, la religion sont des vecteurs de virtualisation qui nous ont fait quitter le "là" bien avant l'informatisation et les réseaux numériques. N'être d'aucun "là", cela n'empêche pas d'exister.

 

C-Notre rapport le plus fréquent à la réalité est celui de l'utilité pratique ou de la connaissance théorique. Dans les deux cas, on envisage la réalité de manière intéressée, que ce soit un intérêt économique ou un intérêt théorique (accroître nos connaissances). Or le sentiment du beau, suscité en nous par la contemplation d'une œuvre d'art, produit quant à lui une " satisfaction désintéressée " (Kant, Critique de la faculté de juger), qui se distingue aussi bien de la satisfaction sensuelle (le plaisir des sens), que de la satisfaction intellectuelle (liée à l'acquisition d'une connaissance), qui " gratuitement ", ne répond à aucune attente: il nous " arrive " simplement. En provoquant ce sentiment esthétique, l'art modifie d'une part notre rapport à la réalité sensible, en ce sens qu'il change la modalité de notre rapport au sensible : il ne s'agit plus d'utiliser ni de connaître, mais simplement de contempler. D'autre part, l'art modifie notre rapport à la réalité comprise comme vérité : dans la contemplation esthétique, notre rapport à la réalité n'est pas celui du nécessaire (comme dans la connaissance théorique), mais celui d’un sentiment désintéressé, dégagé de nos intérêts égoïstes, donc libre, qui modifie notre rapport à la réalité.

"Aucun art n'est aussi peu spontané que le mien. Ce que je fais est le résultat de la réflexion et de l'étude des grands maîtres", disait Edgar Degas. L'art a longtemps été codifié. La tragédie était régie par la règle des trois unités: de temps, de lieu et d’action, les arts plastiques (peinture, sculpture, architecture) depuis la Renaissance par le nombre d'or, pareil pour la danse classique (les cinq positions de Beauchamp), la poésie qui codifia la forme des différents poèmes et la succession des rimes.

En musique une symphonie ne répond pas aux mêmes règles qu'un concerto qui comporte obligatoirement trois mouvements. Et bien entendu l'architecture : comment un édifice tiendrait-il debout si on construisait sans règle ?

Certes tout ceci peut sembler une limite à la liberté créatrice de l'artiste mais une telle affirmation serait imaginer que la liberté est sans contrainte et nous savons que ce n'est pas le cas. L'artiste et justement celui qui est capable de s'épanouir à l'intérieur des règles. Être artiste, ce n'est pas faire n'importe quoi n'importe comment sinon il ne serait guère difficile d'être artiste et nous le serions tous.

En fait, ce qui s'apprend c'est de la technique, mais il ne suffit pas de la mettre en œuvre pour être un artiste.

L'art commence là où justement s'achève la technique et il est remarquable que les grands créateurs soient justement souvent ceux qui ont su s'affranchir des règles. "Le jour où il y aura un diplôme de peinture, il y aura des peintres mais plus d'artistes." - Jipe Vieren (peintre-sculpteur .)

Ne pas obéir à des règles, ce n'est pas être sans règle. L'artiste est en fait celui qui crée de nouvelles règles. Il n'est d'aucune école mais il fait école.

La musique contemporaine ne suit pas les canons de l'harmonie classique mais elle suit d'autres règles : utilisation des dissonances, l'art du contretemps etc. L'architecture la plus futuriste doit bien suivre les règles de la physique et le chorégraphe le plus audacieux doit respecter les règles de la pesanteur.

L’artiste crée au-delà des limites de la représentation habituelle ouvrant des champs à l'investigation lui permettant d'aller là où elle n'aurait jamais pu aller autrement. Il pose une vision du monde, de tout en fait, que personne d'autre n'aurais pu avoir.

 

D-Même si, lorsqu’il crée, l’artiste se laisse aller, ne sait pas toujours où il va, et oublie la technique qu’il se doit de posséder, pour évoquer les images ou les sentiments qu’il porte en lui pour laisser surgir en lui de nouvelles images, qui appellent d’autres images, dont il devient presque le spectateur, et qui le possèdent. Il s’est rendu disponible, quitte à abandonner en cours de route son projet initial.

Expliquer une création c'est ramener le nouveau à l'ancien, nier son originalité, lui refuser son caractère créateur. L’œuvre est faite d'intuition, d'inspiration, de génie, de nombreux impondérables, au-delà du discours de la raison, que nous serions incapables d'analyser.

 

L’être humain « baigne » dans le monde, et de ce bain émerge un sens. Au sein de la réalité l’humain ne reste pas comme une poule devant une machine à écrire. Il a conscience de ce sens et dispose de la capacité d’exprimer son désir « d’augmenter sa puissance d’agir », comme le veut Spinoza, en créant de nouvelles connexions avec le monde.

L’artiste ne fait pas que transposer le réel. L’artiste est un homme d’une époque avec la sensibilité, les croyances, les normes qui sont celles du monde auquel il appartient. Ainsi il est bien un reflet de la société dans laquelle il vit, sinon il ne serait pas compréhensible.

Le caractère fictif de l'œuvre ne signifie pas pour autant qu'elle rompe avec le réel. Elle en est au contraire le reflet, car elle est inscrite dans une époque, une culture, est une dimension essentielle de ce qu'Hegel appelle « l'esprit d'un peuple ». L'art n'est donc pas qu'une fiction ou qu'un divertissement futile, il est un élément essentiel de la culture.

Une société sans art n’est pas possible parce qu’une société ne peut se constituer sans un pôle structurant faisant appel à une représentation de ce qu’elle est. Les œuvres d’art ont en quelque sorte la fonction de sédentariser les esprits, les focaliser sur des symboles et du sens. C’est pourquoi, dans nos sociétés, l’art est majoritairement devenu marchandise…...

Et puis, une société qui ne veut plus bouger, évoluer confine l’art dans les musées et le réduit à l’histoire de l’art. Même son avant-garde est enfermée dans le champ artistique dont il proclame la caducité. 

L’œuvre de Duchamp, un urinoir qui demeure muet, est incompréhensible, ne peut rien signifier pour celui qui le regarde et ne possède pas le code donnant les clés de sa compréhension.

Même si on lui passe commande, l’artiste demeure relativement libre de faire comme il l’entend. Ce sera bien: un Matisse, un Picasso, comme si la personne du peintre s’incarnait dans ses toiles par la grâce d’un style, d’un talent, d’une singularité qui lui sont propres. Parce que l'artiste quand il crée une œuvre d'art, agence, ordonne, structure, assemble des matériaux (couleurs, sons) dans l'intention de donner à voir ou à entendre le réel tel qu’il le ressent. Il exprime sa vision des choses. Une sculpture de Giacometti n’est pas qu’un morceau de bronze, une nocturne de Chopin n’est pas qu’une simple matière sonore. Ils n’existeraient pas comme œuvre d’art sans cette étrange présence qui donne une existence extérieure à ce qui vit intérieurement en l’artiste.

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art réalité

Le renoncement

 

Baudelaire, le spleen de Paris: «Tout n'était que lumière, poussière, cris, joie, tumulte; les uns dépensaient, les autres gagnaient, les uns et les autres également joyeux. Les enfants se suspendaient aux jupons de leurs mères pour obtenir quelque bâton de sucre, ou montaient sur les épaules de leurs pères pour mieux voir un escamoteur éblouissant comme un dieu. Et partout circulait, dominant tous les parfums, une odeur de friture qui était comme l'encens de cette fête.
   Au bout, à l'extrême bout de la rangée de baraques, comme si, honteux, il s'était exilé lui-même de toutes ces splendeurs, je vis un pauvre saltimbanque, voûté, caduc, décrépit, une ruine d'homme, adossé contre un des poteaux de sa cahute; une cahute plus misérable que celle du sauvage le plus abruti, et dont deux bouts de chandelles, coulants et fumants, éclairaient trop bien encore la détresse.
   Partout la joie, le gain, la débauche; partout la certitude du pain pour les lendemains; partout l'explosion frénétique de la vitalité. Ici la misère absolue, la misère affublée, pour comble d'horreur, de haillons comiques, où la nécessité, bien plus que l'art, avait introduit le contraste. Il ne riait pas, le misérable! Il ne pleurait pas, il ne dansait pas, il ne gesticulait pas, il ne criait pas ; il ne chantait aucune chanson, ni gaie ni lamentable, il n'implorait pas. Il était muet et immobile. Il avait renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était faite.
   Mais quel regard profond, inoubliable, il promenait sur la foule et les lumières, dont le flot mouvant s'arrêtait à quelques pas de sa répulsive misère ! Je sentis ma gorge serrée par la main terrible de l'hystérie, et il me sembla que mes regards étaient offusqués par ces larmes rebelles qui ne veulent pas tomber.
   Que faire ? A quoi bon demander à l'infortuné quelle curiosité, quelle merveille il avait à montrer dans ces ténèbres puantes, derrière son rideau déchiqueté ? En vérité, je n'osais ; et, dût la raison de ma timidité vous faire rire, j'avouerai que je craignais de l'humilier. Enfin, je venais de me résoudre à déposer en passant quelque argent sur une de ses planches, espérant qu'il devinerait mon intention, quand un grand reflux de peuple, causé par je ne sais quel trouble, m'entraîna loin de lui.
   Et, m'en retournant, obsédé par cette vision, je cherchai à analyser ma soudaine douleur, et je me dis : Je viens de voir l'image du vieil homme de lettres qui a survécu à la génération dont il fut le brillant amuseur ; du vieux poète sans amis, sans famille, sans enfants, dégradé par sa misère et par l'ingratitude publique, et dans la baraque de qui le monde oublieux ne veut plus entrer!"

 

Il en est ainsi de tout amuseur, de tout divertisseur. Il capte un moment l'attention et puis les gens se détournent, le laissant à sa solitude. Celle-ci, s'il s'y résigne, l'obligera à renoncer à ce à quoi il voulait consacrer son existence. C'est déjà ce qu'avait cru comprendre Blaise Pascal, pour qui rien n'était pire que la misère de l'homme sans Dieu, c’est-à-dire de l'homme qui avait fondé son existence sur le divertissement, divertissement qui ne saurait d'ailleurs en aucune manière le soulager de son indicible misère.
Pour cet auteur, vivre dignement signifiait accepter la grâce divine, rechercher le grand Autre qui a la connaissance du tout et de l'infini. Mais devant le silence des cieux, beaucoup, depuis, ont fini par se lasser et ont préféré combattre seul l'impression d'inutilité et le sentiment d'abandon qui parfois envahissent l'existence humaine. 
Une paire de siècles après Pascal, Sigmund Freud a estimé qu'il n'y avait pas de vie en société possible sans renoncement aux pulsions, fussent-elles religieuses. Si on les laisse suivre leur cours, ce sont elles qui dirigent l'existence humaine et en font un enfer, car ce qui tient alors lieu de contrat social est la lutte de tous contre tous.
Où l'on voit déjà que la solitude, la lassitude, mais aussi l'intérêt bien compris induisent une attitude de renoncement. 
Pour autant, le goût pour le divertissement est bel et bien là, de même que les pulsions (mêlant la pulsion d'amour et la pulsion agressive) que les pouvoirs théologico-politiques ont, au cours des siècles, essayé de réfréner mais dans le but de mieux les manipuler et le font encore, sans que bien évidemment, cela n'arrive jamais à assurer de satisfaction pérenne aux individus ni de stabilité aux sociétés.
Dès lors, puisque depuis que la pensée de la personne humaine se déploie, il est rigoureusement impossible de définir une finalité dans laquelle le plus grand nombre pourrait se reconnaître. Serait-ce dans le renoncement que l'on pourrait trouver un contentement? Mais le renoncement à quoi? Et en vue de quoi? Pour le surmonter comment? Acquérir "le regard profond et inoubliable" dont parle Baudelaire n'est pas un sort enviable s'il doit s'accompagner d'une "répulsive misère" dans laquelle bien peu rêveront de s'y complaire.

 

Essayons toutefois d'y voir plus clair, c'est bien la raison d'être des cafés-philo ! 
Faut-il renoncer aux émotions? Certes non, ce serait prendre le risque d'être insensible et de paraître apathique; la multitude des psychologues, qui ont un avis sur tout, y verront d'ailleurs plus du refoulement que de la renonciation et le résultat serait un comportement empreint d'inhibitions.

Est-ce grave, docteur? En un sens oui, car l'inhibé n'est plus maître de ses décisions, il se sent contraint, à son insu, d'agir dans telle ou telle direction sans que, bien évidemment, il n'en retire une quelconque satisfaction. N'étant plus maître de ses décisions, il ne peut pas davantage diriger sa réflexion, ce qui vraisemblablement, va le plonger dans un grand embarras et certainement, lui faire vivre les tourments de la frustration. Toutefois, s'en remettre à ses seules émotions ne peut conduire qu'à un comportement erratique et capricieux. Car en effet, tout finira rapidement par paraître sans fondement et deviendra insensé à celui qui se définit en ne s'en remettant qu'à de dérisoires frissons existentiels.
Il semble donc souhaitable que ceux-ci soient complétés par ce qui assure un juste équilibre (juste dans le sens où un instrument de mesure est juste, qu'il assure une évaluation exacte). Celui-ci ne peut être donné que par la raison. Y renoncer, par facilité, par cynisme, par dogmatisme ou par paresse, serait commettre la pire des erreurs et la plus grave des fautes. C'est par la raison que l'on peut canaliser les émotions, mais aussi les exalter, les métamorphoser en délicats et vaporeux sentiments, en une sensibilité attrayante, en une expression plaisante et parfois flamboyante de tout ce qui est ressenti subjectivement.

Et ainsi, pour les plus doués, s'ouvre la voie escarpée de la création artistique. Renoncer à l'effort qu'exige l'exercice de la raison, revient à accepter de traverser la vie comme si on était condamné à un exil perpétuel. Car en effet, celui qui se contentera d'une opinion née d'une émotion mais dont il n'aura pu justifier de manière raisonnée la pertinence, restera une personne aliénée et donc amoindrie. L'émotion seule mène à l'errance, goûter à l'élixir de la conviction rationnelle donne une assise ferme à l'existence. Mais est-ce suffisant? La promesse du marxisme, par exemple, avait été la désaliénation par la suppression de la révoltante oppression. Le résultat pratique n'en fut qu'une nouvelle forme de domination et d'asservissement.

 

Le libéralisme nous avait fait croire à l'émancipation de l'individu en l'extrayant de la gangue du conservatisme et du conformisme; le résultat en est la fuite en avant dans le consumérisme et la généralisation de la haine de soi au nom de la méfiance envers le concept d'identité, vu comme une appartenance réactionnaire et donc stérile à des visions du passé maintenant dépassées. Cette sirupeuse berceuse, ânonnée ad nauseam par les tenants des mièvreries du politiquement correct, se traduit par une déconstruction du sens. Celle-ci ne mènera qu'à un éprouvant sentiment de déréliction et à une immarcescible dérive vers le féodalisme communautariste, c'est-à-dire, in fine, la guerre de tous contre tous. D'où la question: comment l'exercice se voulant lucide du questionnement rationnel peut-il mener à de pareils aveuglements? A quoi ces pratiques nous ont-elles fait renoncer pour nous faire sombrer dans ces travers?


Plutôt que de chercher ce qu'il faudrait rejeter pour obtenir le regard profond et inoubliable dont parle Baudelaire, demandons-nous plutôt ce qui pourrait nous permettre de l'obtenir. Emotion et raison doivent être l'un, l'assise et l'autre, l'échafaudage, qui permettent l'épanouissement de la foi. La foi en Dieu, si on y croit, la foi en soi-même et en sa civilisation si on n'y croit pas. La foi fondée sur l'émotion et éclairée par la raison ne sombre pas dans le dogmatisme et la débilité; ainsi par exemple, le musicien J.S. Bach, qui de retour d'un voyage et apprenant la mort de la femme qu'il aimait, ne se désola pas et composa "Jésus, que ma joie demeure". Il avait saisi que son épouse avait rejoint le monde atemporel et sans causalité que doit être le royaume des cieux et n'eut de la sorte aucune peine à s'en trouver une autre qui put lui procurer un égal ravissement et une plénitude tout autant empreinte de sérénité.

Pour ceux qui ne croient pas à la réalité de l'univers céleste, il s'agit pareillement, puisque, comme l'avait écrit B. Pascal, on est embarqué dans le monde, de parier sur la transcendance. Que celle-ci soit immanente à notre être (Dieu relève alors d'une fiction), ou qu'elle lui soit extérieure et vers laquelle il faudrait tendre pour bénéficier d'une vie apaisée. Mais si les religions ne servent que de prétextes pour justifier leurs propres a priori, Dieu, dans le meilleur des cas, ne peut être autre chose que l'"asile de l'ignorance" dépeint par Spinoza, l'école qui mène à l'aveuglement, à la résignation face à une existence qui n'est qu'une illustration du néant et par conséquent réduite ainsi à la négation de soi. Or il ne faut jamais renoncer à être soi et mutiler sa conscience au motif qu'elle serait en proie à des passions mauvaises, religieuses ou autres, mais il faut autopsier ces passions pour qu'elles cessent de nous entraîner vers des buts qui ne peuvent en rien nous satisfaire. En somme, il est toujours préférable de s'en remettre à une éthique de responsabilité qu'à une éthique de conviction, laquelle n'est que l'apanage d'êtres bornés.

Cela ne veut pas dire qu'il faille renoncer à ses convictions car il ne faut jamais sombrer dans le relativisme, mais il faut savoir anticiper les conséquences que peuvent avoir nos actes générés par ces convictions.

 

Peut-il y avoir un bon usage du renoncement? La raison trouve son miroir dans la conscience et on peut aisément en partager ses enseignements, elle se complète de l'émotion qui est ce par quoi se manifeste la subjectivité propre à chacun. L'art de bien vivre est de savoir opérer une fusion entre raison et émotion, entre conscience et subjectivité. C'est alors que peut intervenir la croyance, dont la signification est de pouvoir définir une finalité à l'existence. La croyance repose sur l'illusion, objectera-t-on. Certes, mais comment définir ce qui est vrai? Bien des philosophes s'y sont essayés mais n'ont réussi à convaincre que ceux qui admettaient déjà comme vrai ce qu'ils énonçaient.
La question qu'ouvre la notion de renoncement est que précisément, il ne faut jamais renoncer à rien. Tout peut être à la fois source d'émotions et objet de compréhension. Cela devient un objet de réconfort si est alimentée ainsi une croyance. On ne peut accepter qu'il puisse y avoir un bien absolu et un mal absolu, car cela revient à évacuer la réflexion pour se contenter de postures qui sont autant d'impostures et qui font que l'homme devient de la sorte une caricature de lui-même. C'est bien la raison pour laquelle tout individu, aussi ignominieux qu'aient été ses actes, a droit à un procès et qu'il est assisté par un avocat. Donner des droits à un être abject heurte le bon sens, mais c'est le bon sens qui en général donne un catalogue bien peu argumenté de ce qui est bien ou de ce qui est mal. Or la tâche de l'humain est de sans cesse recréer l'humain; ce qui forme l'humanité est un chantier permanent dont le principal effet est de nous enseigner que renoncer à continuer d'avancer au motif que l'on serait parvenu à un but n'est que l'expression d'une extrême vanité dont il faut savoir rire.

 

Jean Luc

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renoncement-J.Luc
fatalité

La fatalité.

 

Il a été question, la semaine dernière, de la conscience. De celle-ci, qui nous met en connexion avec notre subjectivité, émerge des perceptions, des réflexions, des projets. Lorsque la passive perception de soi est en phase avec l'enthousiasmante projection de soi que l'on échafaude avec ardeur, lorsque, autrement dit, l'existence fait sens, on expérimente le plaisir de vivre et on ne se pose pas la question de savoir si un destin hostile s'acharne sur nous. Ni de savoir si une fatalité contre laquelle il serait vain de lutter mais dont il faudrait connaître les desseins, nous prend dans sa nasse. Accorder crédit à la fatalité c'est accepter que l'on a en rien la maîtrise de sa vie; les fatalistes personnifiant même sous la forme d'un mauvais génie la force obscure qui transforme leur existence en un véritable chemin de croix.


A ceux-là, il faut souhaiter qu'ils puissent s'extraire de ce qui n'est le plus souvent qu'un simple état dépressif. Mais il convient naturellement de se poser la question, lorsqu'on est confronté à l'adversité, comment un enchaînement de causes néfastes que l'on n'a pas su ou pas pu prévenir, a commencé à saccager notre existence et chercher, dans la mesure du possible, une solution pour assécher la source des tourments. Lorsqu'on est plongé dans l'incohérence et l'absurde, lorsque plus rien ne fait sens, comment réagir? En toutes circonstances, il importerait de savoir rester lucide et faire preuve de réalisme. Ce qui est certes plus facile à dire qu'à faire, surtout dans les situations d'urgence ou d'extrême détresse. Pour éviter de faire du bavardage en se limitant à des considérations "hors sol" et de rester dans des généralités qui s'affirment comme des universalités uniquement pour masquer leurs platitudes (c'est d'ailleurs également une autocritique), il ne faut pas craindre, pour bâtir un début d'argumentation, de citer des cas réels et concrets. Car ce qui devrait être recherché en philosophie est un énoncé qui soit pertinent, qui énonce une raison d'être mais on ne peut trouver cela dans ce qui est totalement abstrait. Il vaut mieux alors s'orienter vers l'étude de l'algèbre ou de la chimie! 


L'auteur algérien Arezki Mellal (1) retrace l'histoire d'une personne prise dans le gouffre du terrorisme. Engoncé dans un étouffoir, la menace terroriste étant un éteignoir existentiel, ceux qui le manipulent le savent bien, le personnage principal du roman, on n'ose dire le héros, se préparait à l'épreuve finale, ayant la certitude qu'il ne pouvait y échapper. Il avait en effet été catalogué comme mécréant par les thuriféraires de la foi. "Le bonheur qui dure est une comédie, celui qui ne dure pas est une tragédie", lui dira sa femme, mère de ses 2 enfants encore jeunes, avant même que la sentence ne fut prononcée. Les circonstances feront qu'un jour, il sera seul avec sa fille, face aux terroristes. Avant d'être égorgé, il étranglera sa fille, voulant lui éviter un destin d'esclave sexuelle. Les djihadistes, le voyant avec le cadavre de son enfant qu'il venait s'assassiner, ne le tueront pas et préféreront cyniquement se contenter de se moquer de son geste... 
Ce qui devait arriver était arrivé, fatalement arrivé. Pour lui, le bonheur n'avait même pas pris la forme d'une ricanante comédie. Le faible est toujours désarmé face au fort qui veut l'éliminer. Et celui-ci estimera toujours que c'est son bon droit, il n'invoquera certainement pas la fatalité mais au contraire remerciera le sort heureux qui lui aura permis de parvenir à ses fins. La fatalité, c'est uniquement pour les victimes, les perdants, les laissés pour compte, qui peuvent se consoler en espérant que les forces surnaturelles qui ont voulu les perdre sauront se montrer plus magnanimes dans l'éventualité d'un au-delà.


Il n'y a pourtant pas à choisir entre Pascal et Nietzsche, entre Bossuet et Voltaire. Les uns mettent leur foi en Dieu, les autres, avec autant de ferveur, en l'Homme. En cherchant ce qui peut faire lien dans une société, ils incitent chacun à s'atteler à la tâche de sortir de la métaphysique de l'absurdité, laquelle ne s'épanouit que lorsqu'on rend un culte à des illusions. C'est ce qui permet de fonder une société stable, ferment d'un solide sentiment d'appartenance sans lequel l'individu n'est qu'une feuille morte balayée par les vents. 

 
Les puissants spéculent sur ce qui, dans les cas moins tragiques que celui évoqué précédemment, s'apparente à la résignation, une fatalité adoucie en quelque sorte. Selon eux, il s'agirait de réalisme. Ainsi, par exemple, on expliquera aux pauvres que cela coûte un "pognon de dingue" de leur permettre de mettre un peu de beurre dans les épinards. Cette mirifique constatation d'un banquier devenu président a-t-elle été faite alors qu'encore employé de banque, non du Crédit Coopératif il est vrai, il n'avait certainement pas pu ignorer que les Bourses de Chicago et de New-York ont, en 2011, été reliées par un câble en fibre optique d'un coût de 300 millions de $. Cette dépense était assurément justifiée puisqu'un appréciable gain de temps de 3 millièmes de secondes pour les opérations de courtage à haute fréquence a été ainsi généré (3).

Il est vrai qu'à cette époque-là, le thème à la mode chez les belles âmes était la "moralisation du capitalisme", laquelle devait éviter la fatalité des crises à répétition.  


Mais pour les vainqueurs, les gagnants, il n'y a pas de fatalité, il n'y a que du mérite, tout au plus agrémenté d'un peu de chance, voire de prédestination pour les plus crédules. Alors, on estimera que c'est Dieu qui l'a voulu, il faut juste savoir interpréter Ses volontés et le succès est garanti. On mettra sur les billets de banque "In God we trust", ce qui, il est vrai, est plus engageant, plus sympathique, que "Gott mit uns", propres aux anciens Teutons. Et d'ailleurs Dieu a tranché puisque le dollar US, issu de l'ancien thaler allemand, a conquis un rôle dominant dans l'économie mondiale avec, il est vrai, une Allemagne vertueusement docile dans son sillage. Aussi, ce n'est pas sans irritation et fébrilité, que l'Occident constate qu'il va devoir abandonner la position dirigeante qu'il occupait dans les affaires du monde depuis 5 siècles. La roue tourne, même pour ceux qui sont si friands de repentance pour se donner bonne conscience et masquer le fait que la mondialisation n'aura été qu'une vaine, puérile et stérile tentative d'occidentalisation du monde. En attendant ces lendemains qui, pour l'oligarchie occidentale aveuglée par son hubris, ne chanteront certainement plus, des voix rappellent le prix qui dut être payé. Ainsi l'historien péruvien Hernan Horna, rappelle-t-il (2) qu'il est estimé qu'il devait y avoir environ 80 millions d'habitants dans les Amériques pré-colombiennes. Habitants dont il a été fait bien peu de cas, puisqu'il fallait "extirper l'idolâtrie" à laquelle se livrait ces malheureux et accessoirement leur extorquer l'or de leurs temples pour le remettre à la Couronne d'Espagne. On ignore si les langues de ces peuples avaient un équivalent pour dire la fatalité, mais celle-ci n'indique-t-elle pas finalement une catastrophe qui advient inéluctablement quoiqu'elle fût le plus souvent totalement imprévisible?
La fatalité est le nom que l'on donne à l'impuissance du faible qui n'a souvent d'autres recours que celui d'accepter son sort en attendant une hypothétique rédemption. Ce qui est magnifiquement décrit dans cet extrait de "la mort du loup" d'A. de Vigny.

...
Nous avons tous alors préparé nos couteaux
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions, pas à pas, en écartant les branches. 
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au-delà quelques formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit, sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
L'allure était semblable et semblable la danse;
Mais les enfants du Loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi. 
Le Père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa Louve reposait comme celle de marbre
Qu'adoraient les Romains, et dont les flancs velus
Couvaient les Demi-Dieux Rémus et Romulus. 
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. 
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri. 
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois, 
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois, 
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim, 
A ne jamais entrer dans le pacte des villes 
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher, 
Les premiers possesseurs du bois et du rocher. 
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes, 
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes! 
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux!
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur!
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.  

 

Jean Luc

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1- Arezki Mellal: Maintenant, ils peuvent venir.
2- Herman Horna: La conquête des Amériques vue par les Indiens du Nouveau Monde.
3- George Packer: The broken contract.

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Doit-on tolérer l’intolérance?

“S’il fallait tolérer aux autres ce qu’on se tolère à soi-même, la vie ne serait plus tenable. ”Courteline

 

Mon corps peut être inapte à accepter tel ou tel aliment, tel ou tel remède: il y est intolérant. La pensée, également, peut manifester une répugnance ou l’impossibilité à supporter certaines choses, certaines idées, certaines personnes dont les idées intolérables sont intolérantes. C’est comme un réflexe d’auto-immunité qui dit à l’aliment, au remède ou à l’autre «ne me touche pas, ne me contamine pas!». C’est par cet argument que la nécessité de l'intolérance est justifiée : c’est un réflexe de survie. Et c'est, bien entendu, l’utilisation d’un procédé rhétorique qui consiste à mettre deux choses totalement différentes sur le même plan, qui justifie de ne pas tolérer ce qui peut nous nuire, et surtout l’intolérance.

 

Une autre justification du rejet de l’intolérance est explicitée par Karl Popper et son « paradoxe de la tolérance ». « La tolérance illimitée, écrit-il, doit mener à la disparition de la tolérance. Si nous étendons la tolérance illimitée même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas disposés à défendre une société tolérante contre l'impact de l'intolérant, alors le tolérant sera détruit, et la tolérance avec lui. » Et Karl Popper de citer en exemple la République de Weimar, défaite par les nazis auxquels elle a laissé champ libre.

 

Et puis, celui qui tolère l’intolérance, (donc l’intolérable), tolère ce qu’il désapprouve et ce qui le menace. Ce n’est pas être neutre, c’est être complice : c’est accepter que le crime soit commis quand on aurait pu l’empêcher. C’est, paradoxalement, approuver ce qu’on dit désapprouver, accepter dans les faits ce qu’on refusait en théorie, donc se rendre responsable par son consentement.

 

Pourtant : « S’il faut tout tolérer, écrit Charles Pépin, alors il faut aussi tolérer l’intolérance et non se battre contre elle. Si l’intolérance vous heurte et vous donne le désir de la combattre, c’est que vous n’êtes pas tolérant. Être tolérant, c’est supporter sans broncher ce qui nous dérange ; fermer les yeux sur ce que nous n’aimons pas, mais que nous acceptons de ne pas combattre, avec lequel nous nous résignons à cohabiter.

Qu’elle dépende d’un seuil quantitatif prouve que la tolérance n’est pas une valeur en soi.  Si l’intolérance est intolérable, la tolérance n’est que tolérable»..

La tolérance doit rester du domaine du possible, une hypothèse afin que le philosophe ne soit pas intolérant, mais il est intolérable qu’elle se constitue en réel.

 

Alors, quand les théories intolérantes deviennent-elles intolérables ? Dès qu’elles excluent toute forme d’argumentation. Karl Popper :« Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique, on aurait tort de les interdire, précise-t-il. Mais il faut toujours revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. »

 

La question essentielle est la suivante : j'ai mes propres limites, pourquoi les limites de l'autre sont-elles plus juste que les miennes ?

Notre identité individuelle et notre identité sociale, notre pensée, nos « référentiels », se construisent selon l’époque, le lieu et le milieu de notre naissance, par l’instruction, l’éducation, que nous recevons, du fait de notre origine, de notre religion, de nos fréquentations, et de notre expérience personnelle. Alors les convictions qui resteront ancrées en chacun, qu’elles soient vraies ou au moins pertinentes, ou au contraire erronées et mystificatrices, influencées, forgées, changeront la manière de percevoir le sens des événements des situations et des informations.

Cette construction limite le champ de la vision et de la compréhension que chacun peut se faire du monde. Tout au long de sa vie, un individu sera confronté à des opinions, des idées, qui ne sont pas les siennes, et ce, de manière quasi quotidienne, surtout depuis le développement accéléré des moyens de communications et des médias.

Et il les recevra, les comprendra, les classera, en fonction de sa vision du monde.

Mais s'il pense que la nécessité vitale de l'intolérance est justifiée, il se contentera de les rejeter sans les tolérer.

Or c'est justement pour survivre que l'homme doit tolérer l'intolérance.

« Dépourvu de pelage, nu, sans protection innée, il nous faut de plus nous loger et nous vêtir. Or l'homme n'a aucune arme naturelle. Il est faible et inadapté physiquement à tant d'exigences »  (Hume)

C'est la société avec la solidarité qu'elle implique qui va permettre à l'homme de survivre.

 

Or se regrouper en sociétés pour mieux se protéger implique la tolérance.

Dans l’histoire de la pensée il a paru évident que lorsque l’intérêt de tous et de chacun concorde, le lien social se constitue en fonction de cet intérêt, du projet ou des idées communes. Qu’il s’agisse de la volonté de survie constitutive des sociétés (Rousseau, Hume, Locke), de leur développement ou de leur gestion (philosophies morales), tous et chacun sont guidés par la même volonté….

Cette idée, confortée par la notion moderne de tolérance, présuppose que des individus, guidés par des projets et des intérêts différents, pourraient, chacun de leur côté, et en suivant des voies différentes, arriver ensemble au même résultat.

 

Et ce n'est que cela la tolérance : l’acceptation à mes côtés de l’existence de différences d'idées, de visions du monde, que je ne pourrai jamais faire miennes.

Notre conception moderne de l’ouverture à l’autre nous demande d’accepter n’importe quelle conviction dans la mesure où tous les êtres humains sont égaux et dignes d’être écoutés et compris, lorsqu’ils expriment leurs certitudes et leurs croyances.  Etre tolérant, c’est accepter que l’autre ait des certitudes, même et surtout si elles ne correspondent pas aux nôtres, surtout si l'autre est intolérant.

Accepter à côté de soi, ce n'est pas faire soi. John Milton - (1608-1674) – « Tolérer, c’est aussi accepter la libre expression d’opinions sans être contraint de les adopter »

 

La véritable tolérance ne se confond jamais avec l’indifférence. Tolérer c’est accepter la présence de personnes dont on ne partage ni les croyances ni les pratiques. Même si, « les groupes tolérés […] sont en fait, pour la plupart, intolérants ». (Michael Walzer -1935-).

 

Tolérer l'intolérance, y compris quand elle menace volontairement la liberté ou la paix, et laisser les plus faibles sans défense, ce n’est pas abandonner le terrain aux fanatiques et aux assassins, au sectarime, à la superstition, à la bêtise ! C’est ce qui permet d’en tenir compte, sauf à être doi-même intolérant.

Pour intervenir, empêcher ce que l’on désapprouve il faut le tolérer et ne pas être soi-même intolérant. Comme ceux qui, par exemple, voyant leur pays occupé, ne font rien pour en chasser l’envahisseur, ou laissent les lynchages s'accomplir. Seuls les intolérants n’ont pas assez de qualité d’âme pour laisser l’occupant perpétrer des massacres sans résister.

Tolérer l'intolérance est le seul moyen de ne pas laisser les uns comme les autres affirmer leurs «vérités » et agir au nom des valeurs qu’ils défendent ?  Ce n’est pas admettre que l'autre puisse avoir raison, ni pour autant adhérer au bien-fondé supposé de ses dires.

LA sacro-sainte Vérité, absolue et définitive, n’existe pas, surtout en morale : nous ne disposons tous que de nos vérités, avec des v minuscules. Le reconnaître, c’est enfin penser ensemble: la conscience de nos limites nous fait philosophes, nous permet de les dépasser. En reconnaissant que nous pouvons avoir tort quand bien même nous tenons à nos principes, nous nous permettons de réfuter nos propres préjugés. Nos débats le prouvent : nous nous parlons, nous nous entendons les uns les autres, parfois même nous nous comprenons, alors que nous sommes en désaccord.

Se parler, s’écouter, s’accepter, c’est déjà s'accorder… le droit à la parole ! – (François Housset)

 

 « On peut être tolérant mais interdire ce qui menace ce qui doit être protégé (la liberté de conscience et d'expression, le libre affrontement des arguments et des idées...).Le tolérer, ce serait s'en rendre complice » écrit, à tort, Comte Sponville, qui repousse le problème, comme la poussière, sous le tapis.

Ne pas tolérer l’intolérance, utiliser la répression par la force, même si l’on utilise la loi dans ce but, contre ce que l’on ne partage pas, entraine comme un boomerang, le fanatisme. Un puissant générateur de violence est ainsi formé, qui autoalimente le fanatisme et autres fatwa. Toute réfutation intolérante à l'égard d'une conviction sera perçue comme une agression,  une violence qui appelle donc en retour une réaction de "défense". C’est cela qui est intolérable.

Parce que cela induit « un rapport confus à la vérité et mène à considérer ce concept de vérité comme inaccessible, c'est affirmer que rien ne peut faire autorité, rien ne peut offrir un socle stable à la pensée et à l’existence.

 

Baruch Spinoza - (1632-1677) - « Dans une libre république, chacun a toute latitude de penser et de s’exprimer », pose le Traité théologico-politique (1670). Mais dans les faits, les religions tournent souvent à la superstition : cédant à la crainte, les humains se réfugient dans « la volonté de Dieu, cet asile de l’ignorance ». Ils tiennent alors leurs croyances pour des vérités universelles, ne laissant plus de place à la liberté de jugement ni à la raison.

Et au chap. III, § 8 : la “souveraine puissance” elle-même est bornée, car le plus grand des dictateurs ne pourrait empêcher les hommes de penser par eux-mêmes.

 

Nous devons tous vivre ensemble, justifie socialement la tolérance. Le pouvoir a besoin de cette nécessaire et impossible justification. Surtout pour permettre la démocratie et le débat social.

 

La tolérance n’est pas l’ouverture du pouvoir à l’autre, le laissant « de côté », sans remise en cause des valeurs fondatrice du pouvoir. C’est la limitation du savoir par le pouvoir, d’un savoir par un pouvoir. La tolérance permet au pouvoir de survivre, sans se remettre en cause, en tolérant ce qui n’est pas lui, et en le contrôlant. Ainsi le pouvoir limite l’accès au savoir, à sa propre critique, ce qui rend la tolérance intolérable en tant que bonne conscience qui torpille le jugement, qui fait des différences, un droit acquis.

Dans cette optique, seule l’intolérance est gage de liberté.

 

Il existe des liens sociaux, non un lien social, des micros sociétés, dans des sociétés différentes entre elles et démembrées à l’intérieur de chacune. “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.” - Déclaration des droits de l’homme.

 

Le débat, philosophique (de préférence) ou non, oblige a tolérer l’intolérance. Plus que le doute, la philosophie, c’est la critique, qui signifie« juger le jugement », mettre nos valeurs et nos croyances au tribunal de la raison. La critique est une méthode, une enquête, une analyse, une interrogation des présupposés du discours, un questionnement des limites, qui ne laisse jamais les choses en l’état.

 

Je supporte un certain poids, un certain effort, une certaine dose d’alcool ou de pollution, mais il y a un seuil après lequel je romps ou je m’empoisonne. Cette limite incertaine et mouvante, peut me perdre, me tuer. Mais c’est aussi ce qui fait progresser l’humanité. Comme tout ce qui se frotte aux limites.

C’est l’intolérance à la violence du réel qui a permis à l’homme de progresser.Contre la tempête, le froid, froid, il devient maître du feu, du fer et construit ses abris, ces sociétés, qui permettent sa survie et accélèrent son évolution.

N.Hanar   (Si vous êtes arrivés jusqu'ici, je vous conseille de lire le texte ci-dessous, concocté par Patrice)

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Faut-il tolérer l’intolérance ?

7 mai 2019

 

Liberté tolérante

 

            Le libéralisme affirme la totale liberté de pensée, croyance ou conviction, et d’expression, qui va même jusqu’à la tolérance de la pensée intolérante (John Rawls). En effet, une telle Société libérale serait la plus juste pour tous, celle que tous choisiraient « sous voile d’ignorance originelle », c’est-à-dire avant d’avoir opté pour telle ou telle croyance : Ce libéralisme convient parfaitement à une Société multiculturelle qui se veut paisible, comme la Société américaine (Amish, Quakers, Pentecôtistes, Suprématistes, etc…).

            Pourtant, trop de tolérance tue la tolérance, et une limite apparait comme nécessaire. Déjà, Locke ne tolère pas les athées, qui ne croyant pas à l’enfer, ne peuvent être fiables. De son côté, Kant estime que la tolérance est un « attribut hautain », contraire au véritable respect. Et Popper, puis Rawls lui-même conviennent qu’il y a une intolérance qui n’est pas tolérable : Celle qui représente par sa nuisance envers autrui, potentielle ou actuelle, une réelle menace pour la Société libérale. De toute façon, on peut trouver naïve une telle position libérale optimiste. Comme le rappelle Ricœur, toute conviction représente une sorte de « violence » antagoniste. Alors, où situer la limite du tolérable ? S’il est clair que la tolérance doit comporter de l’intolérance, la difficulté est de savoir à quelle dose.

 

Vérité intolérante

 

            Par rapport à la vérité objective, absolue, il n’y a pas de tolérance possible, pas de liberté insensée ou offensante, et pas plus pour soi que pour les autres : Car une telle vérité s’impose à tous, doit être reconnue par tous. En effet, aucun absolutisme ne tolère la tolérance : Pour l’absolutisme religieux, celui d’Augustin d’Hippone, de Thomas d’Aquin et de Bossuet, la tolérance est un péché contre l’esprit, un « poison » contre la « splendide vérité » (Jean-Paul II). Le même absolutisme a conçu et appliqué la théorie de la « persécution légitime », que Bossuet revendique encore dans son 6ème avertissement aux Protestants : « J’ai le droit de vous persécuter, car j’ai raison et vous avez tort ». De son côté, l’absolutisme politique n’est pas en reste, et après l’intolérance démocratique envers les « ennemis de la liberté » (Saint-Just), le stalinisme, le nazisme et les autres fascismes n’ont pas plus toléré leurs opposants.

            Pourtant, trop d’intolérance tue l’intolérance, et une limite apparait comme nécessaire. Invariablement, les totalitarismes provoquent leurs oppositions et nourrissent les séparations ou les indifférences. L’intolérante Révocation de l’Édit de Nantes a été suivie par un XVIIIème siècle libertin et une Révolution antichrétienne ; Hitler, Staline, Mussolini, Pol-Pot ont mal fini, et même le maoïsme a sombré dans le socialisme de marché. Il est donc clair que l’intolérance doit comporter de la tolérance, mais la difficulté est de savoir à quelle dose.

 

Pluralité de « libres vérités »

 

             La connaissance humaine n’est pas une question de dosage entre une liberté tolérante et une intolérante vérité. La réalité en effet est multidimensionnelle et évolutive, et la connaitre ne relève alors ni de l’absolutisme objectif intolérant, ni du relativisme subjectif tolérant, pas plus d’ailleurs que d’une certitude partielle, intermédiaire ou provisoire, qui de fait supposerait une certitude objective, absolue et fixe, mais relève bien d’une relativité objectivo-subjective, grâce au fameux « couplage charnel » entre le monde intériorisé et la pensée extériorisée (Merleau-Ponty, Varela). La connaissance est ainsi une pluralité de vérités absolues relativement aux dimensions référentielles des différents couplages pertinents possibles, c’est-à-dire une pluralité de « libres vérités ».

            Donc à la fois tolérantes et intolérantes, ces « libres vérités » objectivo-subjectives représentent le contenu de la connaissance référentielle, en même temps libre et vraie : Elles forment l’objet même de l’esprit critique, aussi bien en connaissance scientifique et philosophique qu’en morale et en politique. Par exemple, les mesures d’une même longueur dans le système métrique et dans le système anglo-saxon, les descriptions d’un même mouvement par rapport à différents référentiels, et les différentes observations directes d’un même objet sont des « libres vérités ». Il en est de même pour les diverses croyances morales, religieuses et politiques : Ainsi en politique, l’individu et la collectivité sont les deux principaux référentiels, et comme le dit Camus « Antigone a raison (référentiel individuel), mais Créon n’a pas tort (référentiel collectif) » ; on pourrait en dire autant de Zola et du Gouvernement français dans l’affaire Dreyfus. À la limite, à propos de la forme de la terre, on peut même soutenir que, les « rotondistes » ayant bien sûr raison, les quelques « platistes », eux, n’ont cependant pas tort par rapport à leur complotisme naïf…

            Le fondement de cette « libre vérité », de cette « vérité relativement absolue », c’est que la connaissance est tautologique. Dans le processus de connaissance en effet, qu’il soit couplage ordinaire, scientifique ou idéologique, l’expérience pratique, dirigée et interprétée par la pensée théorique, se charge de juger la pensée : Expérience et pensée sont l’une pour l’autre à la fois juges et parties ; à la fois on pense ce dont on fait l’expérience et on fait l’expérience de ce que l’on pense. Ainsi, il ne s’agit pas du tout de tolérer plus ou moins l’intolérance, mais d’enrichir la propre connaissance référentielle en développant l’esprit critique, socle de la « compréhension tolérante ».

           

Patrice

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intolerance Patrice
humains nature

Les humains sont-ils des êtres à part dans la nature ?

 

Le mot « homme » désigne à la fois l’ensemble de l’espèce humaine actuelle (Homo sapiens), donc les humains en général par opposition à l’animal, mais aussi, en particulier, sa partie masculine. Je précise donc que le mot « homme », ici, désignera « les humains ».

L’homme n’est pas un animal comme un autre. Il s’en distingue par un langage élaboré, le rire, le travail, l’histoire, la culture, la technique, la recherche de sens, et le fait qu’il soit «un animal politique » (Aristote), qui vit dans une communauté, qui se veut organisée de manière rationnelle.

Bien entendu l'homme est lié à son milieu, mais entretient avec lui des relations spécifiques.

 

L’homme, comme l’animal, est déterminé par la nature en ce qui concerne l’hérédité biologique, les besoins, les lois physiques. Alors que l'animal obéit à ses instincts et ne peut qu'en réaliser le programme, l'homme instaure, par rapport à la nature immédiate, une distance considérable, qui est celle de l'élaboration culturelle, qui, face aux problèmes, aux instincts, peut donner naissance à des solutions très variables, ce qui le distingue clairement de tous les autres êtres vivants.

Pour répondre à ses besoins et à ses instincts, il élabore des stratégies et transforme la nature.

Le besoin de manger a induit l’agriculture et l’élevage, la vie en société l’a vu se couvrir le corps, l’embellir (vêtements, bijoux, coiffures, cosmétiques, tatouages et même chirurgie), pour bien des raisons.

Les contraintes physiques sont détournées par les techniques.

L'abeille ou le castor obéissent à des programmes physiologiques là où l'humain commence par imaginer un but et les moyens de l'atteindre. Marx : "ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat préexiste idéalement dans la tête du travailleur. "

En bref, si l’animal s’adapte à son milieu, l’homme adapte son milieu. L’humain est celui qui modifie la nature à son profit et qui s'intéresse autant à ce qui est qu'à ce qui peut être. «L’homme est un animal qui a conscience d’être un animal ; du fait qu’il a conscience d’être un animal, il cesse de l’être» (Hegel)

"On ne naît pas homme, on le devient." (Érasme (15e siècle) qui reprit Tertullien (2e siècle) avant que Beauvoir ne la décline au féminin).

 

Mais, pour autant, est-il un « être à part » dans la nature ? En est-il totalement distinct, séparé, à l'écart, ou, peut-être seulement, est-il particulier et différent, par rapport aux autres parties de la nature,. (Différant certainement, pour reprendre le vocable utilisé par Derrida, celui qui diffère ses réactions, ses actes)

 

« Être à part dans la nature » ne désigne pas forcément une supériorité, mais pourrait se rapporter une nécessité de survie parce que, selon Pascal: « l’homme est un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant ».

Avant lui,, le mythe de Prométhée, montre l'homme comme un animal parmi les autres, le plus démuni et le plus vulnérable des animaux ; c'est la culture (le feu volé aux dieux) apportée aux hommes par Prométhée qui distingue l'homme des animaux, mais il n'est pas vraiment "à part" dans la nature.

Pour les croyants et même pour les créationnistes, le premier homme, dans l'Ancien Testament, Adam, est façonné par Dieu" à partir de la terre - le nom "Adam" signifie "tiré de la terre", littéralement "le Glébeux" selon la traduction d'André Chouraqui - (Genèse I, 26). Il n'est pas "à part dans la nature" ; il est "tiré de la terre" et il s'inscrit dans une continuité avec la nature. Même s'il n'est pas tout à fait une créature comme les autres, l'homme est une "créature" - il ne s'est pas créé lui-même -, au même titre que les plantes et les animaux ; il s'inscrit dans un ordre cosmologique et théologique.

 

Serait-ce alors le fruit de l’adaptation Darwinienne, qui ferait que l’homme se distinguerait des autres vivants, par le rapport qu’il entretient avec la nature, rapport qui selon Descartes le rendrait visible « comme maître et possesseur de la nature ? ». Rapport de double transformation (selon l'analyse philosophique du travail, menée de Rousseau à Marx via Hegel), car en transformant la nature, il se transforme lui-même !

En sorte que l'éloignement de l'homme par rapport à la nature n'en finit pas de s'accentuer.

 

Ce thème de la maîtrise provient de la rencontre d’une nature créée par Dieu, mais désordonnée, et de l’homme, ce sujet puissant, qui est seul capable d’organiser et de connaître cette nature. La science qui était à ses débuts, contemplation des vérités, doit devenir utile aux hommes.

Ainsi Descartes affirme que l’homme doit cesser d’être esclave de la nature, que l’homme peut rendre la nature utile aux hommes en améliorant ses connaissances de la nature. Il s’agit plus d’aménager une cohabitation, une coexistence pacifique et non une domination pure et simple. La science peut « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». « Comme » montre bien qu’il ne s’agit pas d’une domination irraisonnée de l’homme sur la nature. Mais, dans cette pensée datée, la nature est séparée de la culture, comme l’âme est séparée du corps !

 

Et puis, de quelle "nature" parle-t-on? Ce qui nous apparaît comme "nature" résulte en fait des cultures humaines. En général, la nature désigne tout ce qui existe dans notre environnement, tout ce qui se modifie et évolue dans le temps et dans l’espace, mais dont la transformation n'est pas essentiellement le fait de l'homme. Ce qui place l’humain carrément comme extérieur à la nature. Et c’est peut-être cette vision, cet extérieur humain, qui constitue le problème majeur, de nos jours, d’une certaine écologie, celle alors qui ne désigne comme « nature », que tout ce qui est indépendant de toute production humaine.

Or la « nature », ne se réduit pas au seul environnement, ce qui limiterait notre propos à une comparaison entre les hommes et les autres vivants, ou la comparaison entre un prédateur et sa victime.

 

Nous savons que les sociétés dites "primitives" avaient une totale conscience d'occuper une place qui n’était pas « à part dans la nature »: elles cherchaient par des moyens, magiques ou religieux, à se concilier les énergies de cette dernière, à faire en sorte que ce qu'elles lui empruntent ne les déséquilibrent pas, ne provoquent pas de sa part une réaction trop brutale.

Précautions que le monde industriel a oublié de prendre. Le développement intense des sciences et des techniques a entraîné une exploitation de la nature, ce qui a provoqué de sérieux déséquilibres qui mettent en cause, la survie des hommes eux-mêmes : l'homme est la seule espèce qui semble capable de se supprimer.

Par rapport aux autres  espèces cela ne le met pas vraiment à part, mais visiblement différent. Différent mais relié.

Les Grecs insistaient sur le danger de l'hubris (la démesure). Les Stoïciens, les Cyniques et les Epicuriens conseillaient de "vivre conformément à la nature". Le conseil donné à Socrate par l'oracle de Delphes "Connais-toi toi-même !" signifie : "Reste à ta place, sache que tu es un homme et non un dieu."

 

Comme les autres animaux, les humains ont un corps et des besoins, ils naissent et ils meurent. Mais ce n'est pas par une hypothétique « nature humaine », extérieure, mais par la mémoire, l'anticipation, la capacité d'échapper à l'immédiateté et à se représenter les choses en leur absence.

Et surtout, par sa faiblesse et, son imperfection. Si l’abeille, produit de façon instinctive et mécanique, et réussit toujours dans son rôle, l’homme est faillible, et sa production peut être imparfaite. Ce qui ne fait pas de lui un être à part, mais un être problématique, une perpétuelle menace pour lui-même.

 

On pourrait, comme cela a été mis en évidence au cours de l'histoire, réduire l’humain, comme tous les êtres vivants, à un ensemble de phénomènes psychiques, biologiques, et sociaux. C'est ainsi que le matérialisme de Karl Marx conçoit l'homme : comme le résultat d'un ensemble de phénomènes sociaux. L'impression d'être l'auteur de nos actions n'est qu'une illusion puisque de même que la matière est en mouvement, ainsi notre conscience suit son mouvement et est influencée par celui-ci. Ce n'est donc plus «la conscience qui détermine l'existence sociale, mais l'existence sociale qui détermine la conscience». Comme, les animaux, nous sommes alors déterminés par les lois de notre environnement et ne sommes pas «à part», mais en plein dans le mouvement.

Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception; défend l’idée qu’il n'y a rien dans les agissements de l'homme que l'on puisse qualifier de «naturel», bien au contraire, tout est conventionnel, car tout chez lui est à inventer. C'est ce par quoi l'homme se détacherait de la Nature. Ainsi il n’aurait pas de nature, parce que tous les actes qu'il y accomplit, sont toujours culturels.

Ce détachement, ou cet échappement, n'a pas d'autre nom selon Sartre, que la liberté : l'homme est irréductible à une somme de déterminismes naturels mais doit se déterminer sans cesse. Il a à devenir quelque chose par ses actions. Il est cet être qui ne trouve sa place nulle part, et a à s'en créer une: «l'existence précède l'essence», il n’a aucune raison d’être. Il ne serait pas « à part », mais nulle part !

 

L'homme est un animal singulier, particulier, mais l’éléphant et le loup également. On pourrait aussi dire que leur conscience du monde, ne se distingue que par une question de degré.

Cette différence de degré plutôt que de nature avec le monde non-humain conduit à remettre en question la dissociation tranchée qui s’est établie à l’âge moderne entre nature et culture. Leur différence par rapport aux lois de la nature, c'est que l’homme est surtout le seul être capable d'agir contre l'injustice de la nature.

Darwin montre bien, l’existence dans la nature d’une lutte pour la vie, qui aboutit à la victoire et à la sélection des espèces et des organismes les mieux adaptés. Or, cette sélection naturelle devrait faire, si rien ne s’y oppose, qu’une seule espèce pourrait couvrir tout territoire disponible. Or nulle part ce phénomène n’est observé dans la nature. Il existe donc un mécanisme régulateur qui met un frein à ce surpeuplement, au profit des organismes les mieux adaptés aux conditions de la lutte, qui survivent. La victoire des plus aptes implique l’élimination des moins aptes, et se traduit par un nombre augmenté de descendants pourvus d’une meilleure adaptation aux conditions de la lutte.

Cette adaptation a favorisé, dans l’évolution humaine le développement des instincts sociaux et des facultés rationnelles, de la sympathie, des sentiments affectifs, de l’altruisme, de la solidarité, de l’éducation, et de la morale. Ainsi des conduites anti-éliminatoires de protection et de sauvegarde à l’endroit des plus faibles, se sont substituées aux fonctionnements éliminatoires. La logique de la sélection naturelle s’est renversée dans le contexte de la civilisation, où les conduites d’altruisme ont pris le dessus.

 

Car en laissant faire la nature, sans les humains, il n’y aurait eu que des organismes vivants qui ne subsistent génération après génération que par des rescapés. Ce qui régit la nature ce ne sont pas des lois, c'est une mécanique insensible et insensée, envoyant des légions d'innocents au casse-pipe, processus indifférent aux êtres vivants, aux existences. L'homme ne peut pas faire de cette mécanique son dieu et sa loi, car lui a le souci de l'existence, comme individu et comme communauté et en empathie avec tous les vivants. Lui a des moyens pour résister et lutter, Ce n'est pas à la nature qu'il s'oppose, il est en résistance contre sa cruauté !(1)

 

La nature, conçue ainsi, est un concept daté. L’opposition entre nature et culture, entre le monde des lois naturelles et celui de la liberté humaine, qui fait de la nature le dehors de l’humanité, est dépassé. Cette opposition conduit à faire de cette nature une entité vivante,  comme le souhaitent des philosophes de l’écologie, possédant un statut juridique identique à celui de l’homme.

Il y a plutôt un tissu extrêmement fragile d’interrelations entre humains et non-humains, qui impliquent la responsabilité et un devoir moral des humains, vis-à-vis d’eux-mêmes et des autres occupants du monde, puisque ils sont les principaux agents du risque de perturbation des équilibres environnementaux.

 

Il est donc excessif de dire que la culture "se substitue" chez l'homme à la nature. La culture essaye de donner un sens aux choses, à la vie, et selon le sens donné d’établir des règles d’existence. L'homme est le seul animal qui s'interroge sur la signification de sa présence sur terre, sur sa place dans la nature et sur des phénomènes "naturels" tels que la naissance et la mort.

Le critère de Rousseau est la liberté, comme arrachement à la tradition et au code de la nature. L’animal n’a pas ou peu d’éducation, tandis que le petit d’homme ne sait pas vivre tout seul, sans éducation. « Le programme de la nature s’impose à l’animal, tandis que l’homme s’arrache à la nature pour entrer dans l’histoire. ». C’est, selon Rousseau, la différence entre la nature et la culture: la nature n’a pas d’histoire et la culture, c’est l’historicité même. Pour porter un jugement de valeur, il faut être en écart par rapport à la nature, alors que l’animal fait un avec la nature. La culture, alors,  est ce qui apporte à la nature, d’autant que le concept même de «Nature », nécessite la présence d'homme pour être construit.

 

Surtout, si l’homme se conduit comme un dévastateur, il est aussi le seul protecteur de la nature. L’homme peut dévaster, mais aussi préserver le monde naturel. On a vu beaucoup d’êtres humains se mobiliser pour sauver des baleines, l’inverse est assez rare, soulignait André Comte-Sponville.

La formule « L’homme est à la fois maître et possesseur de la nature » devrait alors devenir : « L’homme est à la fois maître et protecteur de la nature »…

N.Hanar

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NOTES

 

1-Le combat écologique s'accompagne désormais d’une déification de la nature, qui est considérée comme bienveillante par essence. Quelle folie! C'était horrible quand l'homme lui était soumis !

En réalité, la nature peut être affreusement méchante, et la grandeur de l'humanité est de la combattre, La modernité débute au moment où l’on se libère de la nature.

L’espérance de vie sur terre est passée de 30 ans en 1919 à 71 ans aujourd’hui. Les marchands de peur ont donc convaincu les Français que nous vivons une période infernale bien que l'existence n’ait jamais été aussi douce depuis que nous combattons la nature. Les lunettes, le savon, le chauffage, les vaccins, les médicaments, les toilettes ne sont pas naturels. Le cancer, la tuberculose, le sida, l'hépatite, le tétanos, eux, le sont. La Peste noire causa la mort de 1 Européen sur 3 en cinq ans. Avant l’agriculture moderne, les infections alimentaires tuaient 2000 Français par an vers 1900. La grippe espagnole a décimé 50 millions d’humains en 1918 et 1919. La rougeole en éliminait 6 millions par an. La tuberculose et la polio ont gâché la vie de nos grands-parents. L’écologie remplit le vide laissé par les religions. Ce siècle marque le retour de la culpabilité de l’homme, néfaste par essence à son environnement, et sa nécessaire contrition, liée au mythe d’une apocalypse dont il serait responsable. Et l'écologie politique s’est engouffrée dans cette brèche en brandissant à la fois le spectre de la fin du monde et les délices d’un paradis perdu. » L'écologisme est devenu un antihumanisme, comme Luc Ferry l’expliquait, dès 1992, dans Le Nouvel Ordre écologique. L'écologisme dérive vers le totalitarisme et prône le dénuement et la décroissance : le nouvel ennemi, c’est l’homme, qui est accusé de détruire Gaia — la Terre mère —, qui se venge. Les activistes du Voluntary Human Extinction Movement proposent même que nous nous stérilisions tous de manière à disparaître de la surface terrestre, ce qui laisserait place à une nature immaculée. Les extrémistes verts ont colonisé les médias, qui se remplissent de militants collapsologues, et ils embrigadent désormais des enfants, comme les ambassadeurs de Greta Thunberg.

Stopper le développement économique entraînerait guerres et famines et empêcherait les pays du tiers-monde de dépolluer leur environnement. Oui, nous sommes devenus les seigneurs du monde et nous devons l’assumer! I] faut apprendre à coopérer avec la nature sans pour autant revenir au Moyen Age. La décroissance, au nom d'une vision religieuse de la nature, serait un caprice d'Occidentaux blasés. Nous devons remercier nos ancêtres d'avoir combattu et domestiqué la nature depuis plus d’un million d'années.

Article de l'Express  du 29.05.2019 par Laurent Alexandre-

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TEXTES

 

-« Je pose en principe un fait peu contestable: que l’homme est l’animal qui n’accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L’homme parallèlement se nie lui-même, il s’éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l’animal n’apporte pas de réserve. Georges Bataille, L’érotisme, 10/18

 

-« On pose la question de savoir si l’homme est par nature moralement bon ou mauvais. Il n’est ni l’un ni l’autre, car l’homme par nature n’est pas du tout un être moral ; il ne devient un être moral que lorsque sa raison s’élève jusqu’aux concepts du devoir et de la loi. [ ] Il ne peut donc devenir moralement bon que par la vertu, c’est-à-dire en exerçant une contrainte sur lui-même, … [ ] La plupart des vices naissent de ce que l’état de culture fait violence à la nature et cependant notre destination en tant qu’homme est de sortir du pur état de nature où nous ne sommes que des animaux. » Kant

 

 « Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l’homme et de l’animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c’est la faculté de se perfectionner; faculté qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un animal est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans. JJ Rousseau

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respect

LE  RESPECT

 

Une conversation entre des "honnêtes hommes", comme l'on disait autrefois, supposait de ceux-ci qu'ils se sentissent responsables de leurs propos, lesquels étaient un reflet des convictions qu'ils voulaient faire partager. En effet, une conversation bien menée repose sur l'échange d'arguments, et non sur l'arrogance ou pire encore, sur l'invective. Mais, comme cela a été dit la dernière fois, la conversation a, entre autres finalités, pour fonction d'essayer d'approcher d'une certaine idée de la vérité, la conviction n'exprimant jamais rien de plus qu'une croyance à laquelle pourtant on refuse ce statut, peu valorisant par rapport à celui de vérité. Chacun a bien sûr, de celle-ci,  une idée qui lui est propre, et c'est l'exposition de cette pluralité de micro-vérités qui rend la conversation possible et en fonde l'intérêt. Mais, répétons-le, celle-ci n'a d'agrément que si elle tenue dans les limites de la bienséance et de l'urbanité, sinon elle vire au rapport de force où un dominant cherchera à influencer, voire à intimider celui dont il veut diriger la conduite.

 

Sans aller jusque-là, il faut reconnaître qu'on aime bien parler, dans l'unique but de flatter sa vanité; on prend plaisir à s'écouter pérorer et on ne prête attention à son interlocuteur que pour guetter le moment où on pourra l'interrompre. Evidemment, cela ne forme alors qu'un bavardage insipide, sur lequel aucun raisonnement ne peut être construit. Avant de parler, il faut savoir écouter, ce qui signifie apprendre à se taire, et c'est ainsi que l'on commencera à éprouver du respect envers celui dont, frappé par la pertinence du propos tenu, on veut tirer un enseignement de ce qui est dit. Le respect est ainsi un sentiment qui se manifeste à soi et évolue en reconnaissance et en gratitude; il n'est jamais ce qui résulte d'une décision. Mais naturellement, accorder de la considération aux arguments qui sont émis, signifie qu'en cas de désaccord, il est aisé de les contredire sans manifester d'animosité. L'on se fie dans ce cas à sa seule raison, car se mesurer à quelqu'un qui nous a inspiré du respect est quelqu'un que l'on sait estimer à sa juste valeur. Ceux qui sont de mauvaise foi et ne veulent admettre leur échec, lorsque la position qu'ils ont défendu s'avère fausse, essaient de trouver un refuge dans la condescendance masquée en tolérance, dans la dérobade, dans le mépris ou la fuite dans le déni. 

 

Eprouver du respect pour une autre personne n'est pas la même chose que de respecter des règles, où de toute façon, on n'a guère le choix de refuser de le faire. Il s'agit donc plus d'une contrainte que d'un sentiment de gratitude qui est la marque du véritable respect. Cette contrainte peut également nous concerner personnellement; ainsi ne pas respecter la parole donnée est une attitude vile.

Pendant longtemps, ce qui a fait le charme de l'art de vivre à la française, était la galanterie, expression royale de l'art de la séduction. Cette manifestation un peu surannée, délicieuse expression de l'esprit français, a hélas vécu. Celui-ci, à force de regarder vers l'ouest, vers les rivages anglo-saxons et ses mirages fétides, a fini par perdre le nord. Pour le séducteur, le respect de la personne dont il cherchait à s'attirer les bonnes grâces et les faveurs allait de soi, car cela présupposait le libre consentement de l'être à conquérir, ce qui n'aurait évidemment jamais été accordé à un goujat ou à un malappris. Cette avenante manière d'engager la conversation est à présent considérée comme l'antichambre du harcèlement et donc implicitement du féminicide. Car maintenant, intoxiqué par les modes anglo-saxonnes, on n'a de visibilité sociale que si l'on sait se victimiser et de fait l'acte d'accusation se caractérise le plus souvent par son outrance. Au XXIe siècle, l'homme n'est plus un loup pour l'homme, mais pour la femme (mais parlera-t-on jamais des Irakiennes, Syriennes, Yéménites, Libyennes, Boliviennes et quelques autres, toutes choyées de la manière que l'on sait par l'Occident moralisateur). Ce puritanisme local est d'autant plus hypocrite qu'il n'est en rien gêné par le déferlement de sites pornographiques où l'exhibition du vice et des perversions devient la norme. L'hyper-individualisme promu par les élites actuelles a pour effet d'entraîner l'effacement de toute recherche d'originalité et d'authenticité. Et ce, alors même que celle-ci présuppose le respect que l'on doit à toute personne, car on la considère, du fait même de sa particularité, comme étant égale en dignité à toutes les autres, et cela devrait être un frein à sa chosification. Mais le modèle de civilisation actuel est basé sur le conditionnement de la personne, pour laquelle le seul horizon doit être la consommation. La pauvreté linguistique de messages publicitaires répétitifs sert à dissoudre son esprit dans le marais d'une insatisfaction permanente, la pornographie trouvant son utilité dans la désintégration de la personne dans l'isolement, afin qu'elle compense sa frustration existentielle par la consommation.

 

 

La norme actuelle de notre lugubre époque est aussi la migration, le nomadisme pour tous étant affirmé comme étant la quintessence du progressisme. Mais un beauf attardé voudrait-il s'aventurer à séduire une personne d'une minorité visible, voilà que les censeurs de la bien-pensance le soupçonneront d'adopter un comportement néo-colonisateur envers les "racisé-e-s" ! Lesquels "racisé-e-s" ne demandent certainement pas tant de sollicitude. Le respect commence par le respect de soi-même. Avant de songer à aller s'engouffrer dans cette nef des fous qu'est en train de devenir l'Occident, le futur déraciné devrait méditer ces paroles de l'écrivain franco-libanais Amin Maalouf,  qu'il livre dans le roman ayant pour titre, Origines: " Si tu cherches ce qui ne va pas chez les peuples d'Orient, tu découvriras qu'ils ont des qualités nombreuses et ne souffrent que d'un seul mal: l'ignorance. Ce mal est guérissable, mais c'est par le savoir qu'on le soigne, non par l'émigration".

 

En effet, comment être respecté quand on se présente chez des peuples qui ne savent plus qui ils sont, tant on leur a répété que leur culture et leur civilisation n'étaient que vaine arrogance et sotte suffisance. L'appartenance à une communauté transcendant tous les communautarismes devant s'effacer pour laisser la place à la dilution dans un grand magma opéré par la magie noire du merchandising. Exit l'égalité, voilà qu'est advenu le règne de l'indifférenciation. Mais tant pour le migrant exilé que pour l'autochtone accueillant, avoir la maîtrise d'un savoir est ce qui permet de cultiver l'estime de soi, condition sine qua non pour avoir une attitude non méprisante envers autrui. Car celui qui dispose d'un savoir cultivera le désir de le partager afin de pouvoir l'affiner par l'échange d'arguments et de s'affirmer par l'énoncé d'un discours cohérent. On trouvera ainsi tout-à-fait normal le fait d'accepter l'idée que l'argument opposé est a priori pertinent et la modestie que l'on affichera envers celui qui l'énonce ne pourra jamais être considéré comme un effacement de soi. On est bien loin de l'obsession morbide des censeurs qui nous gouvernent, réduisant le peuple en racisé-e-s et racisant-e-s afin de créer des divisions factices dans le but d'opérer des manipulations bien réelles.

 

Savoir être respecté est louable, cela stimule les relations sociales car cela ne peut jamais dériver vers une attitude cherchant l'humiliation ou la vexation. Celle-ci déclenche en retour le mépris et la haine qui sont des passions tristes. On inspire le respect que si l'on est soi-même respectueux envers sa langue, sa culture et sa civilisation, envers finalement tout ce qui nous a été légué. Cela ne traduit évidemment pas un enfermement identitaire mais la condition même de ce qui rend possible l'évolution de l'Histoire qui, de toutes façons, ne s'arrêtera jamais.

 

Le crime de l'Occident est de s'être engouffré dans le nihilisme néo-libéral, engendré par Mme Thatcher en 1979, lequel supposait le délitement de tout l'héritage historique au profit du tout-marché. Le tour de passe-passe a été rendu possible par la dilution de la question sociale dans la question identitaire et là est la véritable raison de la politique migratoire occidentale. Le génie de l'Orient est d'avoir, en cette même année 1979, redécouvert son héritage et adopté une attitude respectueuse à son égard. Le mouvement, initié par la Chine, a fini par embraser tout l'espace eurasiatique. Mais il est vrai que le confucianisme est basé sur l'idée de respect. L'Histoire va trancher, mais les gesticulations frénétiques d'un Occident bientôt en état de mort clinique s'il ne se ressaisit pas, illustrent le fait que ce qui assure et fonde une civilisation est le respect vis-à-vis de ce qui fut, condition indispensable pour éprouver de la fierté envers ce que l'on veut devenir.

 

Jean Luc

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harmonie corps esprit

L'harmonie entre le corps et l'esprit est-elle nécessairement une illusion?

 

 

Une des phrases les plus étranges énoncée par un philosophe est celle de Platon affirmant que le corps est le tombeau de l'âme (le Cratyle). Comme l'on sait, cet auteur avait fait la distinction entre le monde intelligible, celui qui est, et le monde sensible, celui qui passe. L'âme refléterait le premier, le corps, le second. Mais en quoi faudrait-il les opposer pour finalement déconsidérer le corps, car c'est finalement bien de cela dont il s'agit? S'il peut y avoir des corps sans âmes, les objets, il est impossible de croiser des âmes sans corps, les anges et autres esprits éthérés prenant bien soin de ne pas quitter le supposé univers céleste qui serait le leur.

On oppose aussi quelquefois l'essence à l'existence. L'essence, un principe constitutif d'un existant, sa nature propre (ainsi, il est de la nature de l'humain de penser, il est essentiel pour lui de pouvoir penser), ne peut être sans qu'il y ait la matérialité d'un corps, sans que celui-ci existe. L'existence (par exemple l'existence du corps) est, en fonction d'une cause qui l'a fait être ce qu'il est. Il reste, tout au long de sa vie, lié à des causes ou des séries de causes qui le font évoluer ou régresser (maladies). L'essence est ce qui est par soi, elle est ce qui ne peut être déterminé par une cause, du moins une cause connaissable. Ainsi de quelle cause la pensée peut-elle être l'effet? L'humain semble bien a priori être la réunion de l'un et de l'autre. Il est ce qui dépend d'une cause: le monde "périssable" (Aristote) étant ce qui est régi par le principe de causalité. Et en vertu des lois qui le régissent, le monde périssable n'engendre que du périssable. Cependant, ce périssable est, chez l'humain, le siège de ce qui est en fonction de sa seule nécessité d'être, de ce qui ne dépend lui-même d'aucun principe de causalité connaissable. Cela nous conduit à considérer ce qui aurait rendu possible ce principe, à savoir, toujours selon Aristote, un être qui ne soit lui-même l'effet d'aucune cause, et qui est le divin. D'où la rêverie fréquente chez l'humain d'être, comme le divin, un être "achevé", un être en acte, qui serait par exemple capable de définir une morale universelle. Ce qui est plus plaisant que de se cantonner dans son statut d'être en puissance, toujours en quête d'un absolu mais devant se satisfaire au mieux d'un idéal, au pire d'illusions. L'esprit humain est en quelque sorte "englué" dans un être en puissance et ne peut donc prétendre au magistère d'un être en acte qui n'a pas à devenir quoi que ce soit, n'étant pas dans le monde temporel lié à la causalité.

De sorte que ce qui est sans cause est sans finalité, sans autre nécessité que d'être, puisque la cause agit toujours en vue d'un effet. L'humain, être causé qui cependant dispose de la pensée, peut agir en sorte de donner lui-même une finalité (une cause finale) à cet effet (son existence).

 

 

Par conséquent, le divin (être en acte) ne dépendant que de lui-même, ne peut se concevoir affublé d'un corps qui serait dépendant de causes autres que lui-même. Dès lors, puisqu'il n'apparaît pas, étant sans corps, aucun phénomène ne peut rendre compte de ce qu'il est. Il est un noumène, une réalité purement intelligible qui ne peut faire l'objet d'aucune connaissance empirique. Autrement dit, il est une pure essence, sans existence dans le monde des phénomènes, lequel étant celui où évolue les êtres causés, dont le périssable. L'esprit ou l'âme (l'âme étant "le principe spirituel de l'homme"(petit robert), on peut en déduire que l'esprit est en quelque sorte englobé dans l'âme) est une étincelle du divin, étant le siège de cet objet non matériel qu'est la pensée. L'énonciation de celle-ci, pour qu'elle soit pertinente, doit être le fruit d'une réflexion, afin de lui permettre d'établir des finalités, ce qui est sa raison d'être. Et ainsi, l'existence humaine n'est en rien absurde, puisqu'elle trouve sa finalité dans ce qui est pensé, ou encore pense ce qui peut constituer une finalité.

Il est donc de la nature de l'humain de penser. Cet acte, en ce qu'il lui est consubstantiel, constitue son essence. Si, comme il a été dit, l'essence est ce qui est sans cause connaissable, on peut toutefois en établir, pour elle aussi, une finalité. Elle n'est pas dans ce qui relève du divin, mais elle s'apparente à lui. Le divin, suivant la conception que les Grecs anciens s'en faisaient, s'est trouvé une finalité en régulant le "khaos" originel de l'univers en et par un "logos", qui est la "Raison qui gouverne le monde" (petit Robert). On comprendra aisément que l'humain ne peut pas être l'équivalent du divin et être éternel, car il eut été absurde pour le divin de créer une copie conforme de ce qu'il est lui-même. Il n'a donc qu'un accès partiel au logos.

 

Poser la question de la cause de la pensée revient à poser la question de la cause de l'essence, la cause de la raison d'être de ce qui est. Aucune réponse n'a de pertinence sauf à admettre que la cause première n'a pas de cause extérieure à elle-même. En conséquence, la raison d'être de l'essence est de permettre la définition d'une finalité aux êtres existants et pensants, vivant dans la temporalité et pouvant avoir, au mieux, une connaissance intuitive de ce qui est essentiel. On peut alors poursuivre l'investigation et poser la question: en quoi une cause première aurait-elle été nécessaire? Ce qui est impossible à concevoir est le non-être (Parménide); le non-être est ce qui dans quoi aucun logos et donc aucune existence ne peut s'insérer. On ne peut pas ordonner le néant puisqu'il n'est rien. Donc, ce qui n'est rien ne pouvant être, il y a nécessairement de l'existant, et s'il est ce qu'il est, c'est qu'il a été ordonné pour être ce qu'il est. Cela induit la présence d'un être premier, dont "l'essence englobe l'existence" (Spinoza) et qui est à l'origine du logos mettant fin au chaos. Si on fait une incursion dans les religions monothéistes, on dira que le néant ne pouvant faire l'objet d'aucune création, il engendre nécessairement sa propre négation. Le pari pascalien consiste en somme à dire: puisque le néant ne peut être, rien ne peut effacer une conscience humaine qui a été et, puisqu'elle est à la fois existence et essence, l'arrêt de son existence n'efface pas son essence, celle-ci ne pouvant se trouver sous la forme d'un néant. Ce qui est logique puisque le néant est ce qui ne peut pas être. Et puisque la cause agit toujours en vue d'un effet, il ne peut pas y avoir de cause qui resterait simplement à l'état de cause. La mort, en ce sens, serait une métamorphose de l'existence en essence.

 

 

L'humain, dépositaire de la pensée, ne peut avoir qu'une connaissance intuitive de l'être non causé, de l'être sans cause, ce qui lui permet de se lancer dans des spéculations concernant sa propre nécessité. Les Grecs anciens affirmant que l'état originel de l'univers était le chaos, les dieux l'ont ordonné en un cosmos, un ordre correspondant à une logique, un logos, principe d'ordre lui même accessible à l'esprit humain et qui par là, le relie au monde des divinités, au monde des essences. Pour l'organisation de leurs sociétés, estimèrent alors les philosophes, les humains doivent eux aussi faire appel au logos, à ce principe d'ordre émanant des divinités. Vers quoi est susceptible de nous mener la pensée logique? Vers ce qu'Aristote a nommé le bien suprême, qui, à l'image du divin, "doit être quelque chose de parfait et de définitif" (Ethique à Nicomaque). Mais ceci, évidemment, à l'échelle de ce qu'est l'humain, c'est à dire un être sujet à des passions et donc à des emportements. Il faudrait donc, affirme Aristote, qu'en toutes choses, soit trouvé le "juste milieu", autrement dit, en langage aristotélicien, la vertu. La vertu étant ce qui dans les comportements, fait montre de tempérance, soit aussi éloigné de l'excès que du manque. Ainsi par exemple, le courage est une vertu se situant entre la couardise et la témérité, la générosité, entre l'avarice et la prodigalité, la sincérité, entre le mensonge et la vantardise, etc...En étant vertueux, l'âme est heureuse, et le corps est satisfait, on est donc dans une forme de bonheur. Le bonheur étant de savoir contourner le pathos, les passions que l'on subit et qui nous dirigent vers des jugements irraisonnés et des comportements irrationnels.

 

Cette notion de vertu est par conséquent très intéressante à analyser, car elle insère l'existence dans l'essence; elle ne fait pas de l'âme un étranger au corps. On ne peut pas dire que la vertu, toujours pris au sens aristotélicien, soit une chose qui existe, qui soit dans l'ordre du phénoménal. Elle est avant tout ce qui est pensé, afin qu'à partir d'elle, puisse être déterminé une conduite bien réelle. Elle a une raison d'être, elle est une essence si l'on considère que l'essence est non seulement ce qui est immortel, mais est aussi, répétons-le, ce qui définit la raison d'être de l'existence en ce qu'elle lui donne un but, une finalité. Cette approche me permet de traiter mon autre proposition de sujet: peut-on concevoir l'absence de finalité? Evidemment non, ce serait absurde car nous serions dans un monde purement matériel, dans un monde où les existants erreraient sans savoir pourquoi ils errent. Mais dès lors que l'on peut concevoir des abstractions comme les vertus, on dirait de nos jours des vertus morales, lesquelles ne sont pas des matérialités, on est en quelque sorte dans le monde des essences. Ce "quelque chose de parfait et de définitif" (ce qui est parfait étant nécessairement définitif), on le sait maintenant, ne peut être atteint, mais de manière asymptotique, on peut y tendre et s'en rapprocher. Il s'agit en tout état de cause de ce qui s'élabore dans le monde de l'esprit, de ce qui reflète les forces de l'esprit. Cette pensée logique (le logos étant lui aussi non soumis au temps) ne peut être sans finalité, sans la définition d' une "cause finale". Cette finalité est de rendre non chaotique les existences individuelles qui sans cela resteraient soumises de façon permanante aux passions et à ses effets délétères. Il appartient donc à l'esprit, non de diaboliser les passions comme l'ont fait les religions monothéistes, mais de les apprivoiser afin qu'elles fournissent le carburant nécessaire pour faire fonctionner ce qui a été élaboré lors de la définition du juste milieu. L'humain n'est pas un puzzle dont on pourrait séparer les différents morceaux. Il faut faire avec le tout. Platon parlait de la recherche du bien, mais ce bien ne peut pas exclure le corps au nom de la pureté de l'âme. Celle-ci ne retrouve son véritable être qu'au moment de la mort du corps, c'est-à-dire la cessation de son siège dans un existant transitoire.

 

Cette théorie des vertus aristotélicienne, illustre le fait que l'existence n'est pas nécessairement liée à la matérialité. Elle peut par périodes se contenter d'être ce qui est pensé et dans ce cas, son statut se rapproche de celui d'une essence. Mais cela n'implique pas qu'il faille opposer le corps, temporairement existant, à l'âme, intemporelle car dépositaire de l'essence. En tout état de cause, il ne s'agit pas de se poser la question, pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, qui est une question vide de sens mais plutôt, quelle finalité donner à ce qui est, sachant que ce qui est peut être englobé dans une pensée. Quant à savoir si, après la mort, l'âme aura accès à la source du savoir, à la cause de l'essence, c'est à chacun de savoir ce en quoi il veut croire.

Jean Luc

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Sommes-nous maîtres de nos décisions ?

 

Il nous est demandé si nous sommes capables, lorsque nous prenons une décision, d’avoir pleine conscience des raisons pour lesquelles notre réflexion nous amène à agir, et d’en maîtriser ainsi l’action et ses conséquences.

Prendre une décision désignant la réflexion, la délibération, par laquelle l’individu, face à  quelque chose, (un événement, un doute, un dilemme…), opte pour une solution, parmi d’autres possibles, et agit en fonction de ce qu’il a décidé.

 

Heureusement, ceux qui pensent, analysent, réfléchissent, aujourd’hui, ne sont plus assez naïfs pour considérer que leur conscience, leur esprit, ce qui leur permet de décider, n’est soumis à aucune contrainte, ne subit pas l’emprise de multiples facteurs, comme le contexte, l'environnement matériel ou culturel, l'éducation, etc….

Ou même, que leurs décisions n’aient pas pu être influencées, voire guidées, par un ensemble de forces qui échappent à leur volonté et à leur raisonnement, les poussant à agir malgré eux (actes manqués, lapsus, soumission incontrôlables à des passions et des addictions). . Freud écrivait que « l'homme n'est pas maître en sa propre demeure».

 

Néanmoins, l’Homme est un être conscient de ce qui est, de son entourage, de la réalité sensible: il est présent à ses actes, bons ou mauvais, justes ou injustes, et même à ceux voulus ou non voulus. Il a conscience de ce qu’il fait, et peut juger de la valeur de ses actes. Dans la plupart des cas, il dispose ainsi d’une part de sa liberté, ayant le choix de faire, ou de ne pas faire.

 

Comme l’écrivait Spinoza (en 1674): « La liberté consiste uniquement dans le fait que les hommes sont conscients de leurs appétits et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés ». Ils s’imaginent capables de commencer librement des actions ou des pensées, mais sont ignorants de ce qui les détermine. Ne pouvant échapper au déterminisme des causes qui leur sont extérieures, ils ont néanmoins, et c’est là leur liberté, la capacité de se libérer des illusions et de se déterminer par des causes intérieures.

 

Nous avons des limites physiques et vivons dans un milieu social avec nos semblables. Et avec le temps, nous intégrons les mœurs et les valeurs de notre société, le mode de vie de notre groupe. Se crée ce que Bergson appelle un « moi social », un moi majoritairement conformiste, qui agit selon le poids de la tradition, de la religion, de la culture environnante. Mais nous avons la capacité d’analyser cette situation.

Toute décision maîtrisée ne devrait donc pas intervenir sans une analyse logique et rationnelle des données.

 

En s’intéressant aux cellules du cerveau, les neurosciences apportent un éclairage sur son fonctionnement. Leur étude concerne les décisions basique, le choix d’un vêtement ou d’une nourriture, et celles qui engagent notre avenir, des actions qui intègrent à la fois les paramètres de l’environnement, l’histoire du sujet et ses émotions. (1). Plusieurs structures cérébrales peuvent être mobilisées.

Ils ont, par exemple, mis en évidence l’influence émotionnelle qui joue un grand rôle: l’étude du cerveau pendant le choix d’un placement financier, montre que les régions impliquées dans les émotions sont au moins aussi actives que celles liées à l’analyse rationnelle!

Or, si nos décisions sont perméables aux émotions, elles sont souvent sujettes aux erreurs de perception ou de mémorisation. Ce sont les « biais cognitifs », non maîtrisés, et il en existe plus de 180 référencés.

Il y a, par exemple, le « biais de disponibilité » : les événements les plus disponibles dans notre mémoire vont fausser nos choix. Nous sommes plus effrayés par un accident d’avion ou un attentat, que par les risques d’un accident domestique ou de la circulation, statistiquement bien plus élevés mais banalisés dans notre mémoire émotionnelle.

Ou le « biais de confirmation » : les informations allant dans le sens de nos croyances sont mieux repérées et mieux mémorisées que les autres, car plus favorables à nos sentiments. Alors, nous négligeons les informations et opinions contraires.

 

Comment faire le tri entre l’influence de ce qui agit sur nous, entre nos émotions, nous réactions culturelles, voire inconscientes, et ce qui dépendrait de la maîtrise d’une raison qui nous serait personnelle, pour décider?

 

Selon Leibniz, (1646-1716), « la liaison des causes avec les effets, bien loin de causer une fatalité insupportable, fournit plutôt un moyen de la lever ». Ainsi, en prenant conscience des déterminismes qui nous gouvernent et en agissant en fonction de cette connaissance, sans fatalisme », nous pourrions maîtriser le processus qui précède la décision.

 

Seulement, n’y aurait-il pas trop de paramètres à considérer, à appréhender (certains sont cachés), à analyser, souvent dans un laps de temps ne permettant pas de « prendre son temps » ?

Edgar Morin nous dit : « Toute décision est un pari ! Aujourd’hui, la pensée binaire dominante, nous pousse à voir le monde selon la loi du “tout ou rien”, à être “bon ou mauvais”, “beau ou laid”, “facile ou difficile”, “heureux ou triste”, libre ou déterminés, en nous privant des différentes alternatives qui s’offrent à nous pour voir le monde.

Nous vivons, en effet, selon Morin, dans un système bien plus complexe, qui se définit comme étant un système ouvert, soumis aux contraintes de son environnement et composé d’éléments possédant chacun des propriétés spécifiques. Lorsque ces éléments sont en interactions, ils constituent un ensemble dont les propriétés sont différentes de celles de chaque élément isolé. L’exemple en serait celui de la corde tressée dont la résistance à la rupture est bien supérieur à la somme des résistances de chacune de ses fibres prises séparément. Ce qui s’applique tout autant à un ensemble d’individus, dont la force est démultipliée par le nombre, mais dont chaque élément se modifie en même temps, et n’est donc plus le même qu’avant l’intégration. Pareil pour une forêt, etc…

 Le monde réel dans lequel nous vivons est réduit, par la pensée binaire, à des vues de l’esprit inhérentes à chaque individu et devient pour chacun de nous, notre propre réalité, celle de l’apparence et de l’illusion.

 

Edgar Morin, (en 1990, dans son ouvrage "Introduction à la pensée complexe" » appelle cette « pathologie contemporaine du savoir», "le paradigme de simplification », qui isole tout ce qu’elle sépare et occulte tout ce qui est relié. La connaissance ainsi fragmentée rend invisibles les interactions entre un tout et ses parties et occulte les problèmes essentiels.

Déjà Blaise Pascal (1623-1662) : «Donc, toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans "connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties. […] »

 

Pour penser de façon complexe, (afin de maîtriser ce qui  permet une décision), il est primordial de prendre conscience du caractère incomplet, incertain et illusoire de la connaissance, et donc d’intégrer l'inattendu (ce que l’on ne maîtrise pas), qui peut survenir aussi souvent que l'attendu, ce qui deviendrait pour nous une aide à bâtir des stratégies (donc à décider) afin de pouvoir résoudre les problèmes dont nous avons à décider.

 

Il faut alors se demander d’où provient cette simplification de la pensée et de la vision du monde ?

 

Max Planck écrivait : « Est réel, ce qu'on peut mesurer ».

Au tournant du 17e siècle, on assiste à une révolution dans le savoir qui naît avec les penseurs de la « Révolution copernicienne », Descartes, Galilée, Newton et Kant. Elle s'exprime dans la recherche de la certitude par l'objectivité, la mesure, et la méthode. La connaissance compartimente le réel, dans un espace neutre, mathématique et géométrique, uniforme et universel. Cette représentation entretient l'illusion d'un homme dominateur qui aurait l'entière maîtrise du monde, ce qui est selon Heidegger l'« illusion nietzschéenne ». Le champ de cette représentation s’étend jusqu'à « la culture, les beaux-arts, la politique, tous nos discours, savants ou triviaux, tous nos rapports aux choses, toutes les interactions humaines ».

 

Heidegger, dit qu’ainsi l'homme n'a plus affaire à des choses, ni même à des objets, mais à tout ce qui entre dans une perspective utilitaire, à tout ce qui tient, finalement, tient l'homme en son pouvoir. Il n’est plus maître de rien, et ne décide plus, soumis à un mouvement qui le dépasse et qui explique toute vie, y compris la vie psychique, en partant d'éléments isolés et non pas de la cohésion du sens du vécu ».

L'homme, se retrouve contraint, dans le champ de la disponibilité, de la comparaison et de l'évaluation.

Il y a là une menace sur l'essence pensante de l'homme. Ce qui fait écrire à Wittgenstein qu’il « faut renoncer à expliquer l’action par la référence à la volonté « intérieure » du sujet. » (2)

 

Bien entendu, la science a amorcé un changement, plus ou moins conforme à l’analyse d’Edgar Morin, intégrant la complexité.

La philosophie également qui recherche les structures sous-jacentes à toutes les actions humaines, qu’elles soient plutôt continues, historiques, comme chez Foucault ou « rhisomiques », comme chez Deleuze et Guattari.

Foucault étudie les relations complexes entre pouvoir et connaissance, surtout dans l'expression du discours de la psychiatrie, de la médecine, du dispositif carcéral, de la sexualité, en relation avec l'histoire de la pensée occidentale. Il problématise ainsi les identités collectives, plus qu'une «identité» statique et objectivée, en s'intéressant aux «modes de vie» ainsi qu'aux processus de subjectivation, en résistant à l'expérience biographique, qui tend à figer une vie en un destin, en inscrivant en creux dans le passé de l'individu tout son avenir. Insistant sur le fait que sa personnalité ne pouvait que se transformer, devenir autre et sur l'importance de se «déprendre de soi-même».

 

Le rhizome est une structure, intrinsèquement souterraine, évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, et dénuée de niveaux, d’hiérarchie ou « d’arborescence ».

L'organisation de ses éléments ne suit pas une ligne de subordination mais tout élément peut affecter ou influencer tout autre. Dans une hiérarchie, un élément, qui serait de niveau supérieur est, nécessairement subordonné à un autre élément ; mais non l’inverse. Comme dans un système pyramidal (celui des organisations socio-politiques ou industrielles).

À l'opposé, dans un modèle rhizomique, tout élément peut influencer un élément de sa structure, peu importe sa position ou le moment, et ce de manière réciproque. Le rhizome, par conséquent, montre une direction inopinée et une progression chaotique : il n'a ni début ni fin prédéterminés : il se développe de façon aléatoire. Chaque élément de la structure peut donc potentiellement amener à une évolution de l'ensemble.

 

Ce sont là, les éléments préalables à une prise de décision qui devraient être appréhendés pour une prise de décisions maîtrisées. Est-ce seulement possible et réaliste ?

Malheureusement, la mode des techniques de « l’être-soi », continuent d’ignorer la pensée complexe, malgré Foucault, Deleuze et Morin, berçant l’illusion d’une « identité personnelle », maître de soi et des décisions que l’on est susceptible de prendre à partir d’un simple jugement individuel !

« Nous avons besoin de croire en notre identité. Mais cela ne signifie pas qu’elle existe », écrit Charles Pépin. » Qu’est-ce qui, en moi, demeure avec le temps « identique à lui-même » ? Mon visage ? Mes organes ? Ma place dans la société ? Mes croyances ou valeurs ? Difficile d’identifier un tel noyau… Et même si nous le trouvions, ne serait-il pas friable, ou divisible en éléments hétéroclites ? Mais allons plus loin : n’est-ce pas justement parce qu’il est introuvable que nous sommes capables de changer, de nous ouvrir à l’autre, voire, comme l’affirmait Sartre, de nous inventer ? C’est ce que Sartre appelle précisément le néant, et qu’il oppose à l’être : nous n’avons pas d’« être », pas de « moi-même », pas d’« essence ». Mais c’est pourquoi nous pouvons tout devenir : le néant n’est donc pas rien.

[ ] Pour Sartre comme pour Nietzsche ou Freud, l’identité est un leurre ayant pour fonction de nous brider dans notre liberté ou de venir masquer notre irréductible complexité intérieure », qu’il nous est essentiel de développer afin d’approcher une « maîtrise » de nos décisions.

 

N.Hanar

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NOTES

1- D'après des neuroscientifiques qui ont étudié des images cérébrales, votre cerveau aurait choisi pour vous avant même que vous n'en soyez conscient,.

Des chercheurs sont parvenus à prédire les décisions d'individus onze secondes avant que ces derniers ne les déclarent consciemment. (Une étude publiée dans la revue Scientific Reports).  14 participants (étude relativement limitée !), ont été placés dans une machine à IRM permettant d'observer l'activité de leur cerveau. Ils devaient choisir entre deux motifs, l'un avec des bandes verticales vertes et l'autre avec des bandes horizontales rouges, avec un maximum de 20 secondes pour prendre leur décision. Une fois leur choix arrêté, ils devaient appuyer sur un bouton et visualiser le schéma retenu. Ils devaient ensuite estimer à quel point leur idée était forte sur une échelle de 1 à 4.

 En observant leur activité cérébrale et en utilisant un modèle de pronostic à partir des images, les chercheurs sont parvenus à prédire jusqu'à onze secondes à l'avance le choix des cobayes. Pour les neuroscientifiques, cela signifie que la prise de décision est un processus bien plus complexe que le simple fait d'appuyer ou non sur un bouton.

« Lorsque nous sommes confrontés au choix entre deux ou plusieurs options, il préexiste des traces inconscientes de pensées. Au fur et à mesure du processus de décision, le cerveau opte pour la "trace" qui est la plus forte. En d'autres termes, si une activité cérébrale préexistante correspond à l'un de vos choix, votre cerveau sera plus susceptible de choisir cette option ». Ainsi, nos pensées s'auto-renforcent dans une sorte de « boucle de rétroaction positive ».

 

Le libre arbitre, par exemple, est censé être le pouvoir humain de choisir entre deux actions, sans qu’il n’y ait aucune nécessité, ni contrainte extérieure de choisir l’une plutôt que l’autre.

Est-ce vraiment possible puisque le contenu de notre raison est le fruit de notre culture, celle environnante, celle, peut-être différente qui nous séduit, de notre époque, de notre lieu de vie. Peut-on réellement en sortir puisqu’il s’agit bien évidemment d’un libre arbitre relatif à ce qui a influencé notre pensée.

On pèse, on délibère, on choisit. Mais quand on décide,  ce qui nous a influencés a peut-être déjà décidé. Or ce n’est pas inaccessible.

 

2-La volonté désigne le plus souvent, la faculté d'exercer un libre choix gouverné par la raison, autrement dit la faculté qu'a la raison de déterminer une action d'après des « normes » ou des principes (moraux, notamment). En cela, elle s'oppose à la spontanéité du désir, ou aux instincts naturels, dont la réalisation ne fait appel à aucune délibération. La volonté est ainsi l'expression de la liberté d’arbitrer, chez un sujet, par exemple entre ses désirs actuels et ses souhaits futurs, sans coercition particulière.

 

Alors, le sujet consent, se prononce en faveur de quelque chose, donne son accord à une action, y acquiesce. Consentir, c’est donc distinguer entre des actions qui seront jugées acceptables sur le plan normatif et/ou sur le plan moral, les approuver ou les rejeter.

Or, pour être absolument valide, le consentement devrait être libre, donc doit avoir été obtenu en l’absence de coercition ou de contrainte, être éclairé : celui qui consent doit bien être informé et bien comprendre à quoi il consent, et provenir d’un sujet ayant la capacité psychologique et juridique de consentir à ce qui lui est proposé. Or les trois conditions ne sont pas toujours réunies :

De plus, ce n’est pas parce qu’une chose est bonne que nous la désirons, mais parce que nous la désirons qu’elle est bonne (Spinoza). Souscrire aux idées d’un candidat aux élections présidentielles qui va engager toute une société, ou consentir de se marier qui va engager tout individu sur une voie de partage avec un autre être, est d’un tout autre ordre que se consentir pour une nouvelle voiture lorsque l’ancienne a rendu l’âme, ce qui fait qu’il est impossible d'avoir une grille de discernement universelle. Tout dépend des enjeux.

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la peur

La peur

Les systèmes religieux, du moins dans leur version monothéiste, ont, pour s'imposer, su remarquablement bien instiller auprès de leurs ouailles cette émotion qu'est la peur. Il s'agissait en l'occurrence d'insuffler la peur de l'enfer, peur irrationnelle s'il en est, mais tout système basé sur une émotion n'est en rien sensé. Les religions, étant toutes l'expression d'une irrationalité, ne pouvaient et ne peuvent en conséquence que se fonder que sur l'émotivité naturelle des humains. Et ainsi, la foi, expression de l'espérance, se doit de se compléter d'une croyance qui la nie, et qui admet pour probable le triomphe du mal. Mal face auquel il convient d'être vigilant si l'on ne veut y succomber, c'est donc le rôle de tout clergé que d'agiter la peur de l'enfer pour ceux qui se laisseraient tenter.

Le pouvoir politique, pour se légitimer, a d'abord copié le pouvoir religieux. Le mal, n'étant cette fois-ci plus le diable, perdu on ne sait où dans les entrailles de la Terre, mais un ennemi bien réel qu'il fallait craindre et donc combattre pour se libérer de la peur qu'il engendrait. L'ennemi, c'était d'abord potentiellement n'importe qui dans son entourage, il fallait donc se libérer de la peur de l'autre, de celui qu'on ne connaissait pas, soit en s'armant soi-même, avec les risque que cela comporte, soit en s'en remettant à l'Etat, dont l'archétype est l'Etat hobbesien, protecteur de tous si on accepte ses lois, lois qui en ces temps-là étaient d'ailleurs souvent calquées sur les lois religieuses. La peur s'alimente de la crainte d'autrui mais aussi de la rumeur, et celle-ci est un domaine où l'imagination est reine. Un Etat, contrairement aux religions qui accordent crédit à des révélations (forme mystique d'une rumeur), est ou devrait être ce qui sait rester en dehors des rumeurs. Car sa légitimité, dans l'idéal, devrait se fondre sur une obligation d'impartialité. Ce n'est qu'ainsi, à partir de ce qui n'était qu'une termitière humaine, qu'il a pu en faire un ensemble doté d'une raison d'être, d'une finalité et qui devient un ensemble holistique dans lequel se reconnait la majorité de ses membres.

 

Mais comme la peur est ce qui paralyse et qui tétanise, les pouvoirs politiques, à l'instar des pouvoirs religieux, ont, pour beaucoup d'entre eux, néanmoins eu la tentation de l'utiliser à leur profit, étant dans la conviction qu'une fois une première phase de sidération passée, les masses seront malléables, influençables et donc dociles. L'un des héritiers de S. Freud, Wilhelm Reich, parlait dans "psychologie de masse du fascisme" de la "peste émotionnelle". En effet, lorsque le programme politique devient délirant, il faut savoir exciter l'émotion jusqu'à l'absurde pour terroriser ensuite jusqu'à l'indicible. Les techniques nouvelles du XXe siècle ont pu transformer l'autoritarisme en totalitarisme de sorte que les pouvoirs politiques, aryens tout comme prolétariens, ont régné non seulement par la peur, mais par la terreur.

Fort heureusement, ce genre de régime a disparu, en Occident du moins, et l'on pensait qu'il en serait de même concernant la volonté de domination et de manipulation. L'Occident, son parrain US surtout, s'en sont dans un premier temps remis, pour gouverner les foules, au "soft power", qui consiste à influencer les comportements par la suggestion (cinéma-séries TV-publicités). Mais, avec le nouveau siècle, ont été remis au goût du jour l'intimidation par l'indignation, la culpabilisation par simple accusation, pour finir par la gouvernance par l'infantilisation et par l'instrumentalisation à nouveau de la peur. Nos élites "bobopopulistes", suivant l'expression de Darmanin qui a néanmoins fini par y sombrer, nous somment à intervalle de nous indigner face à des génocides que commettraient d'horribles tyrans, mais seulement certains, pas tous. Ainsi, on nous enjoint de  frissonner d'horreur lorsque les médias évoquent le sort des Ouïgours, oubliant que nous avions (enfin, certains, pas tous) les mêmes réactions lorsqu'on nous parlait des Rohingas, des Kurdes, des Tchétchènes, des Kosovars, des Criméens, ces derniers, bien qu'ayant échappé au génocide, ont eu droit aux larmes occidentales alors que pas un seul d'entre eux n'a quitté ce nouveau Goulag. Mais rien sur les Yéménites, rien sur les multiples conflits dans la partie de l'Afrique dite des Grands Lacs, souvent instrumentalisés par les multinationales occidentales et où les morts se comptent par millions, les interventions turques, saoudiennes et d'autres pétromonarchies en Libye et en Syrie, les centaines de milliers de morts en Irak, pour ne pas parler de la neutralisation silencieuse de la Palestine. Les désordres politiques mondiaux causent, année après année, bien des victimes, mais toutes n'ont pas droit au chant des choeurs des pleureuses dont l'Occident est si friand.

 

Mais tout ceci n'est que broutille face à la Grande Peur de l'année 2020, le coronavirus, autrement dit le virus décrit comme étant chinois. Le péril jaune, le vrai, pas celui des gilets français du même nom, fait frémir dans les rédactions et les états-majors politiques, car il est sournois et il s'introduit partout. La nature a voulu que je sois personnellement peu crédule et j'ai pris l'habitude, pour savoir ce qui a lieu réellement dans le monde, de voir ce qui se passe dans les Bourses.

Et là, oh surprise, une société US, Inovio Pharmaceutical, voit son cours multiplié par 8 en l'espace de 2 mois. J'en déduirais volontiers que le virus, ou du moins sa diffusion, est moins chinois qu'on ne le dit mais un tel propos serait vite considéré comme conspirationniste. Puisque de nos jours, on ne débat plus: on encense ou on condamne. L'Occident étant redevenu une théocratie, mais une théocratie sans dieu(x) imposant un mysticisme sans transcendance. Le nouveau clergé décrédibilise voire criminalise toute parole d'opposition mais considère que les crimes et homicides réellement commis ne sont que des incivilités.

 

On a eu et on a encore l'impression d'une panique organisée: en effet, pendant des semaines, durant chaque heure de chaque journée les médias ont entretenu et d'ailleurs continuent d'entretenir le suspense concernant le vaccin, laissant sous-entendre que ceux qui le refuseraient lorsqu'il sera sur le marché ont un comportement auquel il faudra répondre pénalement. La parole politique s'est effacée devant celle d'experts, pas tous, uniquement de ceux qui peuvent renforcer le sentiment de culpabilité auprès des inconscients qui resteraient sceptiques. Pour le plus grand nombre, la peur d'être malade se transforme en peur de désobéir, cela permettra de transformer la peur de victimes potentielles en colère.

Le fruit savoureux de la peur pour les politiciens est la soumission acceptée, revendiquée même par le plus grand nombre. Les conflits d'intérêt (trop compliqués à comprendre), les recommandations contradictoires, les études bâclées comme celles du Lancet (revue scientifique sensée faire autorité) n'y changent rien. Le peuple apeuré veut être crédule, cela lui évite d'avoir à réfléchir et cette crédulité, pour le pouvoir, est d'autant plus aisée à mettre en place qu'il peut disposer d'un matraquage médiatique consacré presqu'exclusivement à ce sujet. Quand les médias annoncent qu'il y a un consensus d'experts devant lequel les politiciens font mine de s'incliner, le bon peuple, comme s'il allait au culte, se signe et semble presque reconnaissant de l'attention qu'on lui porte et du soutien qu'on lui apporte. Fort heureusement, il y a eu des ilots de résistance (Suède, Serbie, Biélorussie, certains Etats des USA, mais pas le Brésil qui n'a cherché qu'à masquer son absence de système de santé), ainsi que des médecins qui réfléchissent et ne se contentent pas de répéter les slogans de spécialistes de la désinformation, des Diafoirus qui ne sont en outre d'accord entre eux sur rien, que ce soit la question des masques, du confinement, de l'immunité, des tests, des médicaments et des traitements, ou encore de la vaccination.

 

Le citoyen ne se manifeste plus guère, puisque la politique de destruction nationale menée ces dernières années ne cherche qu'à l'éliminer pour le remplacer par des agrégats communautaristes d'autant plus malléables et plus manipulables que ce qui reste d'Etat en a fait des prébendiers et camoufle sa manoeuvre sous le vocable de diversité. Pourtant le citoyen, s'il en reste, saurait d'instinct qu'il devrait se méfier de cette "expertocratie" qui se coopte entre elle et ne défend, par son pouvoir de nuisance, que ses intérêts et non ceux du peuple qu'il est sensé protéger. Le citoyen, certes, ne peut juger de manière scientifique les affirmations de l'expertocratie, au moins pourrait-il vérifier l'absence de conflits d'intérêts. Car il conviendrait de se méfier de quiconque s'exprimant publiquement mais ayant des intérêts dans l'industrie pharmaceutique. 

L'information a été rendue la plus anxiogène possible. Mais a-t-on jamais indiqué sur quels critères étaient établis les décomptes des personnes décédées. Il est à peu près certain que l'on meurt très rarement du fait du seul coronavirus. C'est toujours le virus plus une autre pathologie ou alors le grand âge qui ont entraîné le décès. Mais les gens ne se posent pas de questions. On leur a servi jusqu'à l'abrutissement une information tronquée et ils ont réagi émotionnellement. Ils ont eu peur et les dirigeants étaient ravis. Le mensonge ou du moins la vérité tronquée était accepté comme étant une vérité irréfragable.

 

A quoi doit servir la peur? Dans le cas d'espèce, à mettre en place les conditions permettant l'élaboration d'une "stratégie de choc". Pour ce faire, il a fallu répandre l'idée que la contagiosité était très forte et donc la mortalité potentiellement élevée, alors que les capacités hospitalières étaient limitées mais que les tests étaient fiables. Il y avait bien déjà eu d'autres coronas comme les SRAS ou le MERS et l'immunité naturelle en était venue à bout. Qu'importe, il fallait faire peur; faire oublier aux populations que les stratégies de choc ne sont jamais utilisées pour leur bien mais pour les ploutocraties qui sont à la tête du monde occidental, les dirigeants élus, de quelque bord qu'ils soient, ne servant qu'à mettre des rideaux de fumée pour masquer la réalité. 

Tout se passe comme si, face à des populations décérébrées par des décennies d'une infantilisante propagande "politiquement correcte", les élites avaient décidé d'en finir une fois pour toutes avec le vieux monde.

Non pas le vieux monde judéo-chrétien, en état de mort cérébrale depuis bien longtemps, mais le monde post 1968, fait de matérialisme hédoniste, consumériste, mâtiné de droit-de-l'hommisme pour faire bonne figure, et qui en avait pris la relève. Le virus a été un évènement providentiel; bien sûr, il ne fallait pas ensuite laisser retomber le soufflet et pour cela rendre pérenne cette peur fabriquée. Pour l'entretenir, la propagande officielle nous bassine actuellement avec une 2e vague, des résultats de tests presque tous déclarés positifs, sans que soit précisé à quoi ils ont été déclarés positifs, d'autant que les porteurs seraient maintenant asymptomatiques. Ah, la belle affaire, le virus peut tuer mais seulement potentiellement comme autrefois, en pays marxistes, il y avait des classes potentiellement dangereuses qu'il fallait éliminer. Le piège psychologique tendu par le pouvoir est redoutable car, dans le doute, les gens, dans leur grande majorité, n'osent pas remettre en cause la version officielle des faits. S'ils restaient des citoyens désireux de s'informer, ils s'interrogeraient sur les divagations médiatiques au sujet de la chloroquine (coût du traitement: 12.-€) et l'encensement par les mêmes médias du remdésivir de Gilead (coût du traitement 1750.- €).

 

Après 20 ans de conditionnement de l'opinion par une prétendue lutte contre le terrorisme, il fallait trouver autre chose pour poursuivre le travail de sape minant les équilibres sociaux, culturels et politiques des sociétés occidentales. Car, et c'est nouveau, la ploutocratie qui exerce la réalité du pouvoir commence elle aussi à avoir peur. Peur des pays émergents qui l'empêcheront de diriger les affaires du monde et de fomenter des conflits pour piller les ressources naturelles mondiales à son seul profit. Il s'agit donc pour elle de dégager une force de frappe financière suffisante pour entraver le développement des pays émergents, au premier rang desquels la Chine. Bien sûr, charité bien ordonnée commençant par soi-même, cela devra se faire au détriment du monde salarié occidental qui "coûte un pognon de dingue". Ce qui explique la mise à l'arrêt de l'économie, afin de déstabiliser par un chaos social organisé le tissu économique des pays ciblés. Autrement dit, il s'agit, grâce à ce virus providentiel, de poursuivre le travail de sape, permettant à l'élite de maintenir et si possible, de consolider son rang. Celle-ci n'en a que faire d'un capitalisme bien tempéré reposant sur la croissance économique mais préfère s'en remettre à la guerre impérialiste pour garder ses privilèges.

 

Evidemment, pendant la crise du Covid, on n'a fait que renforcer les tendances infantilisantes qui existaient déjà auparavant, pour contrôler et déstabiliser la société: lutte contre le terrorisme, ce qui n'empêche pas de faire des affaires avec les parrains de ce même terrorisme, paranoïa écologique qui rejoint, au nom de la "convergence des luttes", le processus de racialisation en cours, permettant la communautarisation et donc la déconstruction de la notion de citoyenneté. Leur Jeanne d'Arc viking ne vient-elle pas de déclarer que la "crise du climat a été créée et alimentée par des systèmes d'oppression coloniaux, racistes et patriarcaux" (project syndicate novembre 2019)?  En réalité, la propagande écologiste surfe sur la peur rendue omniprésente par la propagande d'Etat. Non par amour de la nature, mais, à la suite de leur gourou Al Gore, pour assurer la persistance du système fondé sur l'unilatéralisme et l'impérialisme, au détriment d'un monde multipolaire, ne pouvant quant-à-lui, selon la logorrhée de ces pantins, ne satisfaire que les identitaires, souverainistes et autres complotistes. L'affaire du Nord-Stream II devrait pourtant réveiller l'opinion publique européenne et lui faire comprendre que les peurs fabriquées ne sont faites que pour rendre les intimidations plus percutantes.

 

La déstabilisation des sociétés par la peur insufflée par les mafias écologistes, racialistes, médicales, toutes étant les idiots utiles de l'ordre nouveau néolibéral et de son concept de "full-spectrum dominance", lequel doit assurer la domination du monde au profit des seuls USA, ne serait pas complète sans la peur distillée par les féministes. Mazarine Pingeot, avec lucidité, parle d'elles dans une récente tribune publiée dans "le Monde", en mettant en avant «la victoire d’extrémistes de la médiocrité au nom de l’éthique, discréditant les combats féministes». Et considère que leur discours reflète "le règne de la bêtise, du mimétisme, de la libération des pulsions de haine et, pire que tout, de l’exaltation narcissique de croire appartenir à la morale ». Ah, si papa avait été aussi lucide !

 

La peur est une réaction salutaire car elle ressentie spontanément devant un danger. Elle nous met en état d'attention maximum et en fonction de cet état de tension maximum, elle nous impose de prendre rapidement une décision: et cela peut être la fuite, la lutte, l'esquive, la tentative de négociation. Lorsqu'on a peur, il faut décider; tout de suite, sans attendre, puisque la passivité est ce qui nous ferait courir le plus grand danger.

Mais lorsque la peur est organisée, entretenue par le pouvoir tant par l'intermédiaire de l'exécutif, du législatif, du judiciaire, de l'économique, du médiatique, médical, policier, militaire, sans que rien ne fuite des méthodes criminelles employées pour insuffler la peur, alors les populations doivent se considérer comme en état de légitime défense. Certes, ce qui n'est encore qu'un adversaire et pas encore un ennemi, est sournois et retors. Mais il ne faut pas craindre le combat et se préparer à le mener, car lorsque le pouvoir cherche plus à influer sur l'opinion plutôt qu'à assurer la direction d'un peuple libre, nous ne sommes plus dans un cadre démocratique. Le choix est clair: soit ce sera l'acceptation de l'ordre néolibéral et ce qui fut des nations redeviendra des termitières humaines où règnera la guerre de tous contre tous, soit nous saurons reconquérir l'héritage du passé qui nous avait permis de sortir de l'état de nature. Décider, c'est être responsable. Ne pas décider, c'est s'en remettre à la peste émotionnelle si bien décrite par W. Reich et laquelle peut être le prélude aux pires égarements.

Pour conclure, je mettrai en exergue cette citation de l'écrivain kenyan Ngugi wa Thiong'o: "C'est étrange comme on a peur de quelque chose parce qu'on nous a préparé à avoir peur".

 

Jean Luc

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incertitude B

L’incertitude

 

Selon Bertrand Russell, (1872 – 1970), la valeur de la philosophie réside essentiellement dans son incertitude à comprendre et à définir le réel, qu’elle se doit d’interroger, de questionner sans cesse.

Bien entendu tous les grands philosophes ont, par leurs écrits, proposé des réponses aux questions qu’ils se posaient, mais sans jamais rester prisonnier des préjugés du sens commun, des croyances dominant les sociétés de leur temps, des convictions qui ont grandi en eux, de tout ce qui pouvait limiter leur horizon, sans les avoirs soumis à la raison. Même si certains se sont enfermés dans des systèmes, des affirmations, des jugements (mais étaient-ils vraiment persuadés d’avoir atteint la vérité?), des démonstrations que nous ne considérons plus comme des solutions définitives aux doutes qui nous font philosopher, ils ont  élargi le champ de la pensée, en la libérant de la tyrannie de l’habitude, des certitudes de leur temps, et du dogmatisme arrogant, et ont maintenu vivant notre faculté d’émerveillement, en nous montrant les choses familières sous un jour inattendu. (Inspiré par un texte de Bertrand Russell, dans Problèmes de philosophie)

Accepter l’incertitude, c’est nous ouvrir à d’autres possibilités de penser.

 

Philosopher, pensait Descartes, c’est apprendre à douter, afin d’éviter de construire des « certitudes subjectives ».  Mais attention, affirmer la nécessité de l’incertitude est bien, paradoxalement, une certitude !

Le doute cartésien, à propos duquel il ne faut pas se tromper, porte sur l’incapacité de nos sens, de nos savoirs, à parvenir à connaitre seuls, avec certitude, le réel. Mais avec un danger : la permanence de l’incertitude. Descartes préconise de douter des préjugés, des savoirs appris et donc de ne jamais se précipiter pour admettre que ce nos sens et nos jugements nous disent, soit considéré comme certain, mais sans laisser la pensée dans l’incertitude. D’être dans l'erreur et dans l'illusion fait partie de ce que nous sommes (il appelle cela le doute hyperbolique), mais nous ne devons pas arriver à ne plus pouvoir rien juger, à ne plus pouvoir rien tenir ni pour vrai ni pour faux, à ne plus tenir aucun être comme réel, à ne rien pouvoir tenir pour certain. Parce qu’il n’est pas possible de raisonner sans certitudes. Alors, il faut bien admettre que ce ne sont pas nos sens qui nous trompent, mais la manière dont nous interprétons ce qu’ils nous montrent, lorsque nous jugeons avec précipitation. Le morceau de cire, même fondu, est ce qu’il est, au-delà des formes, des couleurs, des odeurs, etc. que nous pouvons lui prêter. (1) Ce que nous recevons par le moyen de la perception doit être considéré sans précipitation, avec raison, faute d’être dans l’erreur. (2)

 

Alors, ici et maintenant, dans ce café philo, il ne faut pas en rester à la première idée qui vient à l’esprit en définissant l'incertitude comme le contraire de la certitude, et en faire, banalement, l’état de quelqu'un qui ne sait quel parti prendre, qui est incapable de se décider, qui pense que ce qui peut se produire est incertain, que le résultat de toute action ou de toute évolution est aléatoire, et qui hésite en permanence. L’incertitude est le chemin qui mène, sinon à la certitude, du moins à la recherche de ce qui peut être certain. Car comment vivre en hésitant à croire à la réalité d'un fait, à la vérité d'un jugement ou en étant indécis à adopter ou à maintenir une ligne de conduite.

Je croyais être indécis mais je n'en suis plus certain. (Robert Bourassa)

 

En fait,  nous n’aimons pas vivre dans  l’incertitude.

Cette vision  de l’incertitude provoque une sorte d’aversion à l'incertitude, la crainte qu'en cas d'incertitude (une situation pourtant générale dans la vie et dans la société comme dans tout système dynamique) qu’il y aurait plus à perdre qu'à gagner, en cessant de se soumettre aux explications toutes faites, aux pensées dominantes, etc….

L’incertitude nous fragilise, et peut aussi nous rendre prêts à enfourcher bien des chimères, parfois incroyables, et nous mettre alors à la portée des doctrinaires et dogmatistes, qui ouvrent des portes à ceux qui ont besoin de certitudes dans leur recherche du sens de l’existence. C’est un climat favorable à nombre d’escrocs : « L’astrologie est née quand le premier charlatan a rencontré le premier imbécile » a écrit Voltaire.  C’est la porte ouverte à la croyance au déterminisme, au destin qui affirme que tout est prévu à l’avance, que pour l’avenir tout est écrit, surtout lorsque les certitudes proviennent d’en haut.

Et puis, aimerions-nous vraiment vivre dans un monde où toute chose aurait une explication précise, ce qui serait alors la mort de notre imaginaire. N’aurions-nous alors que la certitude d’aller vers notre finitude, ce qui rendrait notre vie insipide, alors que l’incertitude permet l’espoir de tous les possibles.

 

Bergson disait : « J’ai beau me représenter le détail de ce qui va m’arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l’événement qui se produit ! Sa réalisation apporte avec elle un imprévisible rien qui change tout. [ ] Si je délibère avant d'agir, les moments de la délibération s'offrent à ma conscience comme les esquisses successives, chacune seule de son espèce, qu’un peintre ferait de son tableau [(note) ..ce qui ne correspond pas à ce que montre le tableau]. L'être vivant dure [ ] justement parce qu'il élabore sans cesse du nouveau et parce qu'il n'y a pas [ ] de recherche sans tâtonnement.

 

Rester dans l’incertitude, penser que, faute de réponses déjà toute faites, rien n’est juste, rien n’est faux, peut se dépasser par l’approfondissement de ce qu’est véritablement l’incertitude, par l‘interrogation, le questionnement, afin de nous permettre de nous situer dans notre confrontation au monde. Pour nous, ici, cette interrogation prend la forme du doute philosophique.

Considérer le monde à travers le verre réducteur de nos propres croyances, s’accompagne d’un sentiment séduisant de familiarité avec le monde : philosopher, c’est accepter son caractère incertain, et même accepter volontiers notre échec à le connaître, ce qui est fondamentalement déstabilisant. Je sais que je ne sais pas!

 

Alors, on  oppose couramment la science et la philosophie. La science serait définie par un ensemble de connaissances, soit démontrées, soit prouvées, dont nous pouvons être certains. Or ce n’est pas à cela que s’oppose la philosophie, en échouant à répondre de manière définitive aux problèmes dont elle se préoccupe, mais, par l’incertitude qu’elle véhicule, elle montre combien la certitude et l’absence de doute peuvent être néfastes. Se contenter de croire, enfermé dans des certitudes, rend incapable de s’interroger et de considérer des points de vue différents, de s’ouvrir à reconsidérer le monde à partir d’un point de vue nouveau, à le redécouvrir afin de l’apprécier dans toute sa complexité. D’ailleurs, la science évolue sans cesse.

Einstein disait : « Deux choses sont infinies: l'univers et la bêtise humaine, en ce qui concerne l'univers, je n'en ai pas acquis la certitude absolue ».(a)

 

L’incertitude se définit alors comme l’analyse de propositions contradictoires ou opposées, mais inséparables, qui se proposent à la pensée et à l’action, lors de l’examen du dynamisme, du mouvement qui président à l’évolution du monde et à la pensée humaine. “Douter, ce n'est pas s'installer dans l'incertitude; c'est nourrir, l'une après l'autre, deux certitudes contradictoires”, écrivait Robert Merle. (Malevil)

 

Edgar Morin, dans la même optique a dit: “La connaissance est une navigation dans un océan d'incertitudes à travers des archipels de certitudes ». Ce qu’il a développé dans le cadre de ce qu’il appelle la « pensée complexe, en utilisant le « raisonnement dialogique », qui veut dire que deux ou plusieurs logiques, deux principes sont unis sans que la dualité se perde dans cette unité, sans vouloir dépasser la contradiction qui apparait dans ce réel indissociable et complexe.

A propos de la crise que nous traversons, il écrit : "J'espère que cette crise va servir à révéler combien la science est une chose plus complexe qu’on veut le croire. [ ] L’arrivée de ce virus doit nous rappeler que l’incertitude reste un élément inexpugnable de la condition humaine. Toutes les assurances sociales auxquelles vous pouvez souscrire ne seront jamais capables de vous garantir que vous ne tomberez pas malade ou que vous serez heureux en ménage ! Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille. [ ] Attends-toi à l’inattendu. »

 

L’incertitude renvoie au fait que tout n’est pas déterminé. C’est la condition sine qua non de l’action, c’est le fruit de la liberté et des risques à prendre. D’où, à la fois une forme d’anxiété, et inversement la conscience de l’immensité des opportunités offertes aux individus, pour se fixer un cap dans une vie qui peut prendre toutes sortes de directions. «Nous vivions dans l’incertitude, maintenant nous vivrons dans l’espoir» (Tristan Bernard)

« Prenons l’exemple des fake news. Chacun, et donc, tout le monde a la légitimité pour demander : pourquoi croire ce qu’on me raconte ? L’incertitude augmente avec l’impossibilité de trancher entre une pluralité d’interprétations et de solutions. D’où le discrédit des élites qui paraissent confisquer le savoir et l’information à leur profit ». (Pierre-Henri Castel, dans Philomag). Mais les fake news nous mettent dans l’obligation (déjà de ne pas regarder BFM TV !) de les penser comme des événements qui nous disent le sens des sociétés dans lesquelles nous vivons et qui nous sommes, selon la manière dont nous les recevons.

 

Jean-Luc Marion, (Philosophe, élu à l’Académie Française), considère, en ce sens, l’incertitude comme un principe à même de nous orienter dans l’existence.

« Cette idée – selon laquelle le monde peut et donc doit être connu avec certitude – est une construction, forgée d’abord dans le domaine de la métaphysique [ ] qui énonce que tout est gouverné par la relation de causalité,[ ] un principe général d’explication déterministe, qui vaut pour la nature comme pour le temps. [ ] Puisque l’on assigne des causes à tout ce qui se produit : le futur aussi est déterminé [ ] Permanence, des vérités éternelles.

La météo, par exemple, [ ] prétend prévoir le temps qu’il fera demain. De la même manière, en économie, on cherche à prévoir comment la production va se développer, qui va consommer et quoi – aujourd’hui grâce aux algorithmes. En ce sens, la métaphysique et la technique se rejoignent pour imposer une vision du monde qui étend sans limites l’empire de la causalité et le champ du prévisible.

Mais cette vision du monde est illusoire. Le monde ne se réduit pas à une somme d’objets paramétrables, calculables. [ ] Nous voyons bien que [le monde est] régi par l’incertitude. [ ]

À la politique de la prévision devrait se substituer une politique de l’événement [qui est] ce qui advient de manière imprévisible, contre toute attente. Je ne peux ni le déclencher ni le produire, encore moins le reproduire. [ ]. L’événement réfute les deux principes de la métaphysique (la causalité et l’identité) et en détruit le cadre a priori.[ ] Il déborde le cadre habituel de l’expérience, excède mes pouvoirs de compréhension : [ ] l’événement, c’est l’impossible qui se réalise en fait. [Comme toute catastrophe]

[ ] Ce n’est pas moi qui fais l’événement [ ] c’est l’événement qui me fait. [ ] Jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas à moi que revient l’initiative de venir au monde. [ ] L’amour impose une expérience qui ne saurait se calculer d’avance. Les « sites de rencontre », tout comme les « entreprises événementielles », sont des oxymores.

[ ] A un moment de l’histoire de la métaphysique, la vérité et la certitude sont devenues synonymes. N’est plus admis pour vrai que ce qui est certain, et si manque la certitude, toute vérité est floutée. Or cette conception se révèle aujourd’hui erronée : les vérités les plus sérieuses et décisives ne se plient pas à la mesure de cette abstraction qu’est la certitude. [ ] Nos vies sont décidées moins souvent par nos certitudes que par nos incertitudes, par ce qui s’impose et m’en impose, donc par des événements..

 [ ] Il faut accepter l’événement. L’accepter, c’est tout d’abord encaisser le choc de son arrivée. C’est ensuite considérer l’événement comme un appel qui implique une réponse de ma part. La rencontre amoureuse, le phénomène érotique dans son ensemble ne consiste qu’en un appel, où je vais devoir affronter une série de questions urgentes : « Vais-je donner suite ? », « Serai-je fidèle ? », « Vais-je réorganiser ma vie entière pour cet amour ? ». [ ] L’existence est toujours bouleversée, chamboulée quand elle s’expose à l’événement qui la convoque.

[ ] L’incertitude est inévitable. Nous ne pouvons, nous ne pourrons jamais tout prévoir et maîtriser. Nous ne pouvons, nous ne pourrons jamais nous dérober aux événements, et nous dispenser d’avoir à y répondre» (3)

 

Nous devons, chacun, incarner l’audace de l’incertitude, en acceptant le caractère imprévisible du résultat d'une action, d'une évolution, afin de nous ouvrir à d’autres possibilités de penser.(b)

L'incertitude n’est pas que le contraire de la certitude, cet état de quelqu'un qui ne sait quel parti prendre, qui est incapable de se décider, et qui hésite en permanence. C’est surtout ce que veulent nous faire croire ceux qui affirment des réponses toutes faites : ne réfléchissez pas trop !

L’incertitude, élément inexpugnable de la condition humaine, est le chemin qui mène, sinon à la certitude, du moins à la recherche de ce qui peut être certain.

L’incertitude, néanmoins déstabilisante, mais à même de nous orienter dans l’existence, permet la conscience de l’immensité des opportunités qui nous sont offertes, d’autant que nous n’aimerions pas vivre dans un monde où toute chose aurait une explication précise, ce qui serait alors la mort de notre imaginaire.(c)

N.Hanar

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NOTES

 

1- Le  morceau de cire, en se dissolvant, perd l’ensemble des qualités qui semblaient lui être attachées. L’expérience du morceau de cire vise à être étendue à l’ensemble de la réalité perçue: les choses ne nous transmettent pas, de l’extérieur, des qualités qui nous informeraient sur elles. C’est dans les opérations de l’esprit, qu’il faut chercher comment qualifier ce qui apparait.

 

2- Ces temps derniers, je m’intéressais à un point précis de la pensée de Descartes qui me semble très actuel. À un moment, soutient-il, il faut décréter si le doute s’arrête ; il faut se rendre à une évidence, positive ou négative – dans son cas, ce seront le cogito et l’existence de Dieu. [ ]. Descartes suggère qu’il s’agit d’une décision d’estime.[ Dans le sens d’estimation] Un marin navigue à l’estime lorsqu’il mesure approximativement sa position ou sa trajectoire en fonction du soleil, des vents, des courants, etc. [ ] Je crois que l’on pense (et agit) aussi à l’estime, surtout devant l’événement, quand on ne possède pas toutes les données d’une indétermination irréductible, mais que l’on tient pourtant un cap. Pour ce faire, il est indispensable de se munir d’une boussole fiable, ce que j’appelle des principes. Les principes, dans mon vocabulaire, ne constituent pas des valeurs ou des convictions, mais offrent des idées simples sur lesquelles je peux m’appuyer en toutes circonstances. Ce sont des vérités tellement solides qu’elles résistent même à l’événement imprévisible. Ce n’est pas moi qui défends des principes, ce sont les principes qui me défendent : ils m’assurent, comme l’on s’assure en montagne. Chez Descartes, le cogito offre un tel principe, vrai, absolument, quoi qu’il arrive. (Jean Luc Marion)

 

3- (Propos extraits, comme la note n°2, de ceux recueillis par MARTIN DURU dans Philomag)

 

Pour Info :

 

a- L'écologie doit être une science visant à préserver les biens communs de l'humanité, et non une idéologie substituant l'idée de la catastrophe à celle du progrès. Cette idéologie est née en Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en réaction au nazisme, avec le philosophe Hans Jonas, dont la théorie du « principe de précaution » , principe, inscrit dans notre Constitution, et qui n'a rien de scientifique, débouche sur la technophobie, la sortie du nucléaire, par exemple, ou l'hostilité à la 5G… De ce fait, nos élites ont fait le choix de « laisser partir » nos industries et nos savants.
Il serait temps de revenir aux idéaux des Lumières et ne pas céder aux tendances antisciences du courant soi-disant écologiste. Il faut éviter une écologie réglementaire, paperassière, contraignante, punitive, qui rendra la vie très difficile aux agriculteurs, sans parler des chasseurs ou des pêcheurs, qui ont quand même le droit d'exister. Les électeurs des métropoles ne sont pas tout l'électorat. S'il s'agit d'imposer un diktat idéologique à la société, je crains qu'on aille vers des tensions qui nourriront l'extrême droite. (D’après J.P. Chevènement)

b- La "cancel culture" est un terme un peu fourre-tout qui désigne ce climat de boycott numérique. Avant, on annulait un spectacle ou un film, aujourd'hui on essaie d'annuler la personne elle-même. Aujourd'hui, tout le monde peut être un lyncheur ou un lynché.

La "cancel culture", c'est une sorte de magistrature totale, sans respect de la présomption d'innocence ou de bonne foi. Cette absence de contradictoire va à l'encontre des droits fondamentaux de la défense. Les médias pensent inconcevable de prendre une demi-journée pour vérifier les faits.
Peu importe la réalité : ce qui compte c'est l'histoire racontée, celle qui fait cliquer et vendre. Elle a lieu sur une toile hypermnésique, un espace où le droit à l'oubli n'existe plus. Version numérique du goudron et des plumes... Nous sommes drogués à l'indignation... A quoi s’ajoute le tribalisme et le panurgisme, par peur de se retrouver isolé socialement. Même le fait ne pas s'indigner, c'est déjà prendre le risque d'apparaître comme un complice du mal.

 

c- Principe d'incertitude.

Principe selon lequel il est impossible de connaître à la fois la position et la vitesse ou la quantité de mouvement d'une particule (d'apr. Charles 1960). Avec le principe d'incertitude de Heisenberg, il s'agit d'une corrélation objective des erreurs. Pour trouver la place d'un électron, il faut l'éclairer par un photon. La rencontre du photon et de l'électron modifie la place de l'électron (...). En microphysique, il n'y a donc pas de méthode d'observation sans action des procédés de la méthode sur l'objet observé (G. Bachelard, Le Nouvel esprit sc., Paris, Alcan, 1934, p. 122).

De plus, comme l’a indiqué Jean Brice, toute mesure est composée d’un coefficient d’incertitude, comme toute connaissance.

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L’incertitude...

 

Parler de l’incertitude, du doute, c’est poser  le problème essentiel de la philosophie, celui de la vérité.

Pourtant en mathématiques, l’incertitude peut être chiffrée. Les statistiques, en analysant les faits prouvés et éprouvés, déterminent un niveau de certitude pour le jeu, la chance, la réussite d’une entreprise. D’autant que toute certitude ne repose pas sur le fait étalonné. L’exemple de « la terre qu’on a cru plate »   pour admettre finalement « qu’elle est ronde »  et « qu’elle tourne ! »  rappelle assez le rôle de la croyance, de la foi, qui n’est pas forcément fondé sur des évidences logiques.

Nous ne connaissons pas, nous ne saisissons pas, le sens de notre vie : devant ce vide, les hommes sont fragilisés, prêts à enfourcher bien des chimères, parfois incroyables, se trouvant alors à la portée des capteurs de conscience.

L’exemple de l’astrologie qui est un climat favorable à nombre d’escrocs. Cependant, il conviendrait de ne pas confondre « astrologie » et « astronomie ». L’astrologie peut apporter des explications sur le comportement tout aussi exactes que la kinésiologie, la psychologie, la psychanalyse, la psychiatrie qui ne sont pas non plus des sciences exactes.

D’autres voies existent pour combler la vie métaphysique quand l’homme est à la « recherche du sens » : le déterminisme (croire au destin, que tout est prévu d’avance) peut éventuellement rassurer puisque  tout est écrit.

  

- Sur le plan scientifique, il y a quelques certitudes et incertitudes : quand la terre tourne, on peut pressentir ce qui va se passer demain, selon les heures de la journée, le rythme des saisons, les lieux où l’on se trouve, les climats Etc...

- La certitude amène à trier et distinguer ce qui s’offre à nous ; on choisit donc on élimine et on se prive de la part de « vérité », éliminée  peut faire échapper une partie de la réalité d’un fait, d’une assertion, d’une nouvelle, d’une entreprise…Etc

- Quand on aime, on peut douter de soi, de ce qu’on croit aimer. une personne peut dire: « quand on est aimé, on doute de rien. Quand on n’aime plus, on doute de tout.

- Celui qui mène, choisit : « qui m’aime me suive !» donc, on élimine celui qui pourrait gêner la marche. Il paraît nécessaire d’intégrer dans la démarche la notion de temps, l’inéluctable, la maladie, la mort… 

 

- Différents exemples de certitudes-incertitudes sont approchés : le jeu (chance ou destin), Tchernobyl (l’incertitude quand la sécurité), un …, les médicaments lancés sur le marché…crach d’un avion, les trains privilégiés au détriment de la sécurité,  la justice à Outreau quand les rapports de classes passent avant la justesse et la vérité…les OVNIS...le Covid 19...les sectes ou religions....Etc...

 

Doctrine, rituel et dogme sont des portes pour ceux qui ont besoin de certitude. 

le philosophe n’a pas le savoir, mais en revanche il a en charge de traquer les illusions...

 

Douter de tout, croire, ou tout croire sont des solutions commodes qui nous dispensent de réfléchir.

 

La leçon est simple, rien n’est juste, rien n’est faux, tout réside dans l‘interrogation, le vacillement de la conscience confrontée à ce monde. 

Les convictions et les doutes sont les deux faces d’une même monnaie..!

Mais en fait aimerions-nous vivre dans un monde où toute chose aurait une explication précise, ce serait alors la mort de notre imaginaire ; et sur la part d’imaginaire, nous n’aurions que la certitude d’aller vers notre finitude, ce qui rendrait notre vie insipide... cette  non-certitude peut elle être l’espoir de tous les possibles..?

  

En vérité, l’incertitude n’est-elle pas notre seule certitude ?

 

Jean Jung

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inceritude J.Jung

L’humilité

« L'ennui avec l'humilité, c'est qu'on ne peut pas s'en vanter »

 

L’humilité est souvent considérée, surtout dans les dictionnaires, depuis son côté négatif de « sentiment de sa propre insuffisance », de « sentiment de ses faiblesses », qui porte à la modestie, la réserve, la retenue.

Ce sentiment, cette réaction de reconnaissance de son imperfection, en faisant montre d’humilité, reviendrait à abaisser ses propres mérites, montrer de la soumission, réprimer tout mouvement d'orgueil, dans l’ensemble de ses comportements..

Pourquoi cette prise de conscience, par un individu, de ses insuffisances et de ses faiblesses de ses limites, physiques, morales, intellectuelles, de celles de sa connaissance, de ses savoirs, ferait-elle de lui quelqu’un qui s’humilie, se rabaisse, se soumet ? C’est bien là l’opinion de Nietzsche: « Le ver se recroqueville quand on marche dessus. C'est plein de sagesse. Par là il amoindrit la chance de se faire de nouveau marcher dessus. Dans le langage de la morale, c’est l'humilité ».  Une réaction de faible qui ne veut pas souffrir.

 

Alors, la valeur positive d’un individu ne peut-elle se définir que par ses forces, l’arrogance, la fierté, la morgue, l’orgueil, la suffisance ou la vanité ? (tous des contraires de l’humilité)

Pourtant, « le mot humilité (est également considéré comme un trait de caractère d'un individu qui se voit de façon réaliste, et [ ] s’oppose à toutes les visions déformées qui peuvent être perçues de soi-même (orgueil, égocentrisme, narcissisme, dégoût de soi), visions qui peuvent relever de la pathologie à partir d'une certaine intensité, l'humilité [ ] s'apparente à une prise de conscience de sa condition et de sa place au milieu des autres et de l'univers ». (Wikipédia)

Spinoza considérait l'humilité comme « une tristesse née de ce que l'homme considère son impuissance ou sa faiblesse. ». Or, cette prise de conscience s’avèrera positive, du fait du « conatus », l’effort de tout être pour persévérer dans son être, et même augmenter sa puissance d'être.

Dans cette continuité, pour Comte-Sponville, l'humilité « n'est pas ignorance de ce qu'on est, mais plutôt connaissance ou reconnaissance de ce qu'on n'est pas. [...] L'humilité est vertu lucide [...] de l'homme qui sait n'être pas Dieu. [...] Être humble, c'est aimer la vérité plus que soi. »

 

En fait, le mot humilité souffre de sa parenté étymologique et phonétique avec le mot « humiliation ». Humilier une personne signifiait « vouloir la rendre plus humble », or son sens est devenu, dans l'acception populaire, « vouloir la déconsidérer publiquement ». Un changement de sens radical !

 

Surtout, il y a une nuance qui a été « oubliée » dans toutes les définitions : les caractères d’arrogance, d’orgueil, de vanité, sont, presque toujours, des qualités permanentes de certains individus (« qualités au sens d’attribut, qui désignent par quoi ils sont ce qu’ils sont en propre, ce qui, chez Aristote fait partie des catégories qui les distinguent, en indiquant leur manière d'être qui peut être affirmée ou niée (chaud, froid; bien portant, malade, etc…

L’humilité, par contre est, presque toujours, circonstanciée: il m’est tout à fait possible de reconnaitre que untel est plus « sachant » que moi dans tel ou tel domaine, meilleur et plus moral que moi dans d’autres domaines, sans, pour autant, avoir le sentiment de m’abaisser, « de ne pas être grand-chose, d'être petit par rapport au monde qui m’entoure ». (Wikipédia et le « Robert »)!

Par exemple, pour Kant, (en morale), l'humilité est « la conscience et le sentiment de son peu de valeur morale en comparaison avec la loi.»

 

Peut-être que cette confusion entre une « qualité » de l’individu, une permanence, donc de sa manière d’être, de ce qu’il est, et une attitude motivée par les circonstances temporaires, auxquelles il doit faire face, provient de l’influence sur la pensée de la culture religieuse qui domine encore notre vision du monde.

Les grandes religions monothéistes considèrent l'humilité des personnes comme une valeur essentielle à la recherche de la sainteté et de la cohésion sociale. Par exemple, elle était définie au  17e siècle, comme la:

« Vertu contraire à l'orgueil et à la superbe, qui nous porte à la soûmission, à l'abbaissement devant nos superieurs, devant ceux à qui nous voulons faire honneur, et tesmoigner du respect. Parmy les Chrestiens, se dit d'une vertu interieure qui leur donne un aneantissement d'eux-mêmes devant les grandeurs de Dieu, qui les fait aimer et souffrir les injures, les affronts, les persecutions pour l'amour de Dieu. On ne peut gagner le Ciel que par l'humilité. il faut bien prendre garde qu'il y a une vraye, & une fausse humilité. » (1)

Mais même cette « fausse modestie n’implique pas un sentiment d'infériorité ou de servilité.

Cultiver l'humilité revient à cultiver l'hypocrisie. L'humble n'a pas conscience de son humilité. Gandhi

Pourtant la fausse modestie, auto-survalorisation vaniteuse erronée, est d'une portée éminemment pratique. Elle est jugement de chaque désir et de l'ensemble des désirs par rapport à un ressenti individuel et non en référence à je ne sais quelles valeurs extérieures sanctuarisées, afin de trouver sa place dans le monde.

 

Les Pères de l'Église voyaient dans l'orgueil l'origine de tout péché, la racine de tout mal, "la mère nourricière et la reine de tous les vices" d’où en découlent une multitude d'autres. Parmi les péchés capitaux, l'orgueil est le plus capital. Cette estime exagérée de soi-même, (Thomas d'Aquin) s'accompagne de mépris pour les autres, que l’on abaisse dans l'opinion qu'on en a. L’estime exagérée, un amour excessif de soi-même, fait que l'on est persuadé de sa propre excellence, que l'on se juge supérieur aux autres, ce qui fait de nous un être bouffi, ivre, perdu d'orgueil; qui se gonfle de suffisance, de morgue, de superbe. C’est, selon Comte Sponville, « se prêter plus de mérites qu'on n'en a [ ]. Quoi de plus ridicule que d'être fier de sa taille, de sa beauté, de sa santé ? Et pourquoi le serait-on davantage de son intelligence ou de sa force ? ».

« L'orgueil, écrivait Spinoza, consiste à avoir de soi, par amour, une meilleure opinion qu'il n'est juste » (Éthique). Tout orgueil, par définition, est donc injuste : sans justice vis-à-vis des autres, sans justesse vis-à-vis de soi. Ce n'est qu'un piège de l'amour-propre. [ ] C’est une vertu, [d’] avoir conscience de son insuffisance et non de sa suffisance. Ni servilité, ni bassesse, ni complaisance, mais [aussi] refus de se contenter de ce que l’on sait valoir. L’humilité, c’est la conscience de tous les possibles, sans avoir la preuve de leur existence. C’est le questionnement en opposition aux certitudes.

 

Matthieu Ricard : « la plupart des gens associent l'humilité au manque d'estime de soi et de confiance dans ses propres capacités, quand ils ne l'assimilent pas à un complexe d'infériorité. Ils méconnaissent les bienfaits de l'humilité, car si la suffisance est l'apanage du sot, l'humilité est la vertu de celui qui mesure tout ce qui lui reste à apprendre et le chemin qu'il doit encore parcourir. Les humbles ne sont pas des gens beaux et intelligents qui s'évertuent à se persuader qu'ils sont laids et stupides, mais des êtres qui font peu de cas de leur ego. Ne se considérant pas comme le nombril du monde, ils s'ouvrent plus facilement aux autres et sont particulièrement conscients de l'interconnexion entre tous les êtres »

 

Dans L’Ecclésiaste qui fait partie d’un ouvrage (La Bible), dont l’auteur ne touche que des droits de hauteur, il est écrit : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Par conséquent, même l’humilité est vanité! Ce livre s’interroge sur le sens de la vie, laquelle ne nous mène qu’à la mort, à l’oubli et au supermarché: « Il n’y a pas de souvenir d’autrefois, et même pour ceux des temps futurs: il n’y aura d’eux aucun souvenir auprès de ceux qui les suivront.» Citation de l’Ecclésiaste, parfois attribuée à Alzheimer.

C’est la question qui touche tout homme, celle de la finalité de la vie, du sens de notre existence et celle plus généralement de ce que cherchait à faire l’homme, la première fois qu’il a trait une vache.

Quel est le dessein de l’homme, pourquoi il vit, trime, dans une course effrénée ? Même s’il parvient à amasser des biens en abondance, quel avantage pourrait-il en tirer, a part des cravates de chez Hermès ou des chaussures Louboutin?

 

En fin de compte, l’homme retournera à la poussière d’où il est venu, comme dit Dyson, et le souffle retournera à l’Eternel qui le lui a donné ; il ne retirera rien de tout son labeur. Tout est vain. Ce qui justifie l’humilité, le plus sûr levier pour nous ouvrir à l'infini, qui est éternel, au-dessus et au-delà de toutes choses, même après 18 heures. Puisque nous ne sommes rien, que tout est vain, que la vie est subie, que l’homme est « hors-jeu » dans sa destinée, ne nous devons pas de rester humbles ?

Dans la tradition juive, le livre de l'Ecclésiaste est lu lors de la fête de Souccoth, la fête des cabanes, des huttes, des abris provisoires et fragiles. Chacun doit édifier sous le soleil puis sous les étoiles sa dérisoire hutte. Une fois par an, il faut abandonner toutes les possessions, tous les biens, toutes les sciences, toutes les sagesses, bref toutes les vanités, les orgueils, les savoirs, et, pour toute une semaine, vivre sous une simple hutte. Et cette fête de la fragilité, de la précarité et de l’humilité est aussi celle de la joie. La vie est alors vécue comme une aventure gratuite, généreuse et festive, alors que, bien que n’ayant pas de prix, elle a un coût. Les Juifs y rendent grâce à Dieu : Abel, deuxième fils d'Adam et Ève qui n’ont donc pas fait que manger des pommes, est tué par son frère aîné Caïn, parce que Dieu a préféré son offrande, des fruits, à celle de son frère ; un agneau. Ainsi la connaissance de Dieu progresse : il serait donc végétarien !

 

A partir de ce sentiment d’humilité, on se sent obligé de combattre ses certitudes, et cela se traduit par l’investissement une énergie considérable à étudier les possibles qui sont ouverts à l’humain. Ne plus prendre ses préjugés pour des vérités indiscutables, ses actions pour infailliblement justes, et ses vessies pour des lanternes, évite de se bruler!

N.Hanar

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NOTES

1-Selon Gandhi : « Bien que l’humilité ne soit pas à proprement parler une de nos règles, elle est certainement aussi essentielle, sinon plus, que n’importe laquelle de ces règles. [ ] On peut cultiver la Vérité, de même que l’Amour, mais cultiver l’humilité revient à cultiver l’hypocrisie. Il ne faut pas ici confondre humilité avec étiquette ou bonnes manières... L’humble n’a pas conscience de son humilité. On peut essayer de mesurer la Vérité et d’autres choses semblables, mais non l’humilité. L’humilité devrait faire comprendre à celui qui la possède qu’il n’est rien. Dès qu’on s’imagine être quelque chose, il y a égoïsme. Si celui qui observe des règles en éprouve de la fierté, les règles perdront beaucoup de leur valeur, sinon toute... Sentir que nous sommes quelque chose, c’est élever une barrière entre Dieu et nous. Cesser de sentir que nous sommes quelque chose, c’est devenir Un avec Dieu. Une goutte d’eau dans l’océan a sa part de l’immensité de l’ensemble, bien qu’elle n’en ait pas conscience. Mais elle s’évapore dès qu’elle entre dans une vie indépendante de celle de l’océan.»

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humilité
espor et vie J.Luc

C’est lorsque l’on cesse d’espérer que l’on commence à vivre

 

C'est sur un pareil constat que se termine le film "Illusions perdues", qui a porté à l'écran l'oeuvre éponyme de Balzac. Elle illustre le thème que les illusions, les espérances, les croyances, autant dire des chimères fondées sur rien de stable et d'assuré, représentent tout ce à quoi on s'accroche tant que l'on s'imagine que la vie est telle un billet de loterie. Elle nous ferait miroiter la possibilité d'un gain, sans que cela ne nécessite un effort répété pour l'acquérir et en bénéficier. 

"Je pense à ceux qui doivent en eux trouver quelque chose après le désenchantement", a également affirmé avec bon sens cet auteur. Car le désenchantement est la coupe amère qu'il faut boire jusqu'à la lie si, malgré la constance dans le jeu, la valeur du billet, tirage après tirage, reste désespérément nulle. Mais se pose alors la question: pourquoi avons-nous besoin d'enchantement et, s'il est inutile, peut-on le fuir et comment s'y prendre afin de commencer à vivre? Car en effet, presque toujours, enchantement et espérances n'apportent rien, si ce n'est une éphémère griserie avant l'attente du très hypothétique gain. Nul n'a mieux décrit cela que Dostoïevski, dans "le joueur". Et l'on sait bien, même si l'on a pu en faire naître 50 nuances, que la griserie est ce qui prélude à l'ivresse. Mais que celle-ci soit une ivresse des sens ou provoquée de manière plus prosaïque, elle est toujours passagère. Elle est par ailleurs suivie d'effets moins accommodants pour notre bien-être, ceux-ci arborant alors la parure de déceptions, de consternations, de désillusions, voire de triviales "gueules de bois". Espérer, c'est croire "en sa bonne étoile", c'est attendre d'abord béatement, puis avec une irritation croissante, une satisfaction qui en fin de compte ne saura combler que notre vanité, notre désir de plaire ou de briller. Or, il faut savoir séduire, convaincre et conquérir si l'on veut passer une vie plaisante. Sinon, on en reste au stade des aspirations: ah, si cela pouvait arriver que le destin me soit enfin favorable, soupire le postulant au bonheur, je pourrai enfin échapper à l'humaine condition si désolante pour le plus grand nombre, enfin éviter les chausse-trappes et les souricières que le perfide animal humain se plait tant à mettre sur le chemin de ses semblables. Le semblable étant toujours hypocritement désigné comme étant celui dont on affirme qu'il nous ressemble le moins. Et c'est ainsi qu'en toute bonne conscience, tout un chacun cherchera à piéger son semblable. Non par fourberie, mais parce que cela est dans sa nature. N'est-ce pas en effet sur ce terreau fétide que se construit le débat politique en démocratie dite représentative? C'est un jeu amusant pour qui l'observe de loin car souvent, qu'il soit qu'un impétrant ou un personnage plus madré, le postulant est si impatient qu'il mord le plus souvent à l'hameçon qu'il a lui-même lancé. Son infatuation est alors flétrie, mais non point l'espérance de ceux qui croient en leurs discours. Car chacun persiste à cultiver la certitude qu'il trouvera sur son chemin le gourou qui lui donnera les bonnes recettes pour réussir dans la vie, pour s'imposer, afin de ne plus être dans la déplaisante condition de l'être envieux mais pour être soi-même en mesure de susciter de l'envie. Mais comme l'avait dit un politicien, finalement le seul à être digne d'estime: les promesses n'engagent que ceux qui y croient (une autre manière de dire : élections, piège à cons !).

L'espérance est l'optimisme de ceux qui traînent comme un boulet, leur échec ou leur sentiment d'échec. Elle rend cela supportable mais ils ont perdu leur joie de vivre car évidemment celui qui se contente d'espérer est incapable de prendre la moindre décision puisqu'il reste dans une position d'attente. Elle permet de mettre provisoirement le réel entre parenthèse, alors que si l'on veut connaître le succès dans la vie, il faut mettre le réel sur un piédestal. Il est ce vers quoi doit converger nos regards. Le réel est ce qui est vrai. Nos pensées, dès lors qu'elles ne sont plus perturbées par ce qui engendre de l'hésitation dans le jugement et l'indécision dans l'action (l'espérance, l'illusion, la rêverie) doivent le prendre comme boussole et considérer les représentations et les interprétations que nous nous en faisons comme le gouvernail. Les espérances et illusions sont des faussaires qui nous mènent à l'enlisement. Savoir cultiver l'art de vivre revient à chercher à agrémenter le réel afin de le transformer en beauté et en harmonie. Alors, l'art de vivre devient joie de vivre.

 

Tout ceci paraît si simple, alors que l'âme humaine est si complexe. Par goût de l'amoralité, elle accordera toujours la préséance à ce qui est chafouin et artificieux, au lieu d'aller vers l'azur de la clarté et de la rigueur. L'esprit humain aime barboter dans ce qui crée de la tension, de la polémique, du conflit, car l'équilibre et l'harmonie l'ennuient alors que la malveillance le réjouit. Cette fâcheuse disposition de l'esprit lui donne le sentiment d'exister alors que la bienséance, sans même parler de la bienveillance, ennuient le plus grand nombre. Certes, ces derniers prétendront toujours le contraire, cherchant volontairement à créer de la confusion entre le penchant à l'amabilité dont ils se disent être les dépositaires et le devoir d'expiation exigé envers ceux qui les auraient faits dévier de cette noble attitude.

Marx, en son temps, avait considéré que l'exploité, le prolétaire, n'avait pas vocation à le demeurer perpétuellement et il avait imaginé un système socio-politique où l'égalité réelle et non plus simplement formelle régnerait entre les individus. Mais l'humanité étant ce qu'elle est, les nouveaux promus, là où ils ont réussi à le devenir, ont vite transformé ce qui se voulait être l'expression d'une émancipation en un nouveau système oppressif. Ainsi l'Union Soviétique, dès ses premiers vagissements d'Etat post-capitaliste, a inventé ce que l'on nomme de nos jours une "cancel-culture", une culture de l'effacement en bon français (mais actuellement, en Occident, on fait passer pour un être décérébré celui qui n'utilise pas de manière constante des anglicismes). "Du passé, faisons table rase", disait-on alors, ce qui permit à de nouveaux condotierres d'émerger et d'imposer leur implacable domination. Il fallait bien lutter contre les "ennemis du peuple" ou du moins, ceux qui étaient désignés comme tels. Mais en ce temps-là, que d'espérances soulevées! Un nouveau messianisme était né, qui allait évoluer vers une véritable religiosité, un mysticisme sans transcendance cependant, puisqu'on le baptisa "matérialisme dialectique". Quant à l'univers radieux des prolétaires promis, on passera son tour. Le communisme, dans sa version chinoise, aura quand même enfanté, lorsqu'il sortit de son sommeil dogmatique et fit en effort de réflexion, un capitalisme "new-look" dont les résultats ne sont pas négligeables. Mais s'il n'y avait que cette mésaventure dans l'Histoire récente pour illustrer ce thème de l'espérance perdue, tragiquement perdue. Un peu plus tard, un agitateur de brasserie bien connu, à la moustache en forme de brosse à dent, promit le réveil à ceux qui venaient l'écouter. Deutschland erwache, tel était l'un des mots d'ordre. Là encore, et peut-être plus que jamais, illusions, espérances et fantasmes ont balayé avec vigueur toute notion de raison, toute idée de clairvoyance, toute recherche de logique. Il y eut un réveil, mais il aboutit à un réel cauchemar.

 

L'Histoire se répète toujours 2 fois, avait établi Marx, une fois sous forme de tragédie, et ensuite une 2e fois, sous forme de comédie. Une nouvelle grande illusion apparut donc à l'aune des années 1980, le néolibéralisme. Après les tragiques errements de la première moitié du siècle, on décréta que l'Etat n'était pas la solution, mais le problème. On entreprit sa déconstruction méthodique là où cette idéologie parvint à s'installer. On en maintint uniquement la structure militaro-industrielle car l'on avait pas renoncé à enseigner aux peuples primitifs ce qu'était ce jeu si joyeux et si soyeux nommé démocratie occidentale. Une démocratie progressivement transformée en une sorte de vide dynamique d'où fut évincé l'art de la conversation (accusation de volonté d'hystérisation du débat et de complotisme envers ceux qui y restaient attachés). De grands esprits s'émurent et s'enflammèrent lorsqu'on parla de droits de l'homme entre autres (car il y a aussi des conflits cachés) aux Irakiens, Syriens, Libyens, Afghans, Yéménites envers lesquels ils auraient placé tous leurs espoirs. Et puis, devant le manque d'enthousiasme et la mauvaise volonté des populations concernées, on poursuivit l'éducation par des bombardements. Mais le rêve perdurait, sachant que seul celui alimenté par les fantasmagories occidentales était pertinent. Si l'on ne pouvait faire le bien, au moins pouvait-on théoriser sans fin à son sujet, la notion étant si flexible. L'homo occidentalis est comme une toupie qui a peur que le mouvement qui l'enivre s'arrête. Alors, il faut constamment l'alimenter en objets de croyances. Ce sont les fameuses valeurs, le nouveau totem, représentant tout ce qui devait échapper à l'argumentation, celle-ci transformée en nouveau tabou. Ainsi l'homme-toupie continuera de tourner et le réel ne lui apparaîtra que sous une forme de mouvement perpétuel qui se contente de singer ce qu'est le mouvement de l'Histoire et la réflexion qu'il devrait favoriser. La démocratie occidentale ou la tromperie généralisée érigée en bien pensance.

 

C'est ainsi que l'on peut transformer la tragédie en comédie. Dans l'antre du néolibéralisme, dans la patrie de ses concepteurs, la disparition de toute notion de bien public et sa transformation en concept de "nation indispensable ", repris lui-même de la notion calviniste de "destinée manifeste", n'a fait naître que de funestes dérives réactionnaires. Effacement (cancel culture) et éveil (wokisme), c'est-à-dire censure et nouvelle inquisition, se sont retrouvés et synthétisés sous la forme d'une "critical race theory", un gloubi-boulga établissant que ce qui reste d'Etat pratiquerait un racisme systémique. Ah, pourtant Martin Luther King avait un rêve, celui de l'égalité de tous les citoyens vivant dans le pays du rêve américain. Mais, comme avait dit le Général (en France on n'a pas besoin de préciser duquel il s'agit), "l'épée est l'axe du monde et la grandeur ne se partage pas". Pour la grandeur, on repassera, pour ce qui relève de la bataille, ces nouveaux justiciers racialistes sont en réalité de bien piètres zorros qui disparaîtront rapidement dans les poubelles de l'Histoire. 

 

Vivre, et non plus espérer et rêver, c'est embellir la réalité et non la fuir, car est réel ce qui est incontournable, ce qui résiste à des projections mentales souvent ineptes, à des injonctions morales souvent stupides. Le mythe et l'espérance qu'il fait parfois naître n'ont pas de réalité, mais ce qui fait notre cadre de vie est bien réel. Ceux qui parlent de théorie raciale sont ceux-là même qui parlent de l'interchangeabilité des individus et de leur asexualisation. Ce nouveau puritanisme est le dernier avatar d'un système occidental qui entame, une fois de plus et peut-être pour une dernière fois, un processus de décomposition. Une espérance trop longtemps prolongée finit toujours en cauchemar. Penser et donner un contenu concret à la notion d'identité, fondement de toute civilisation et rêve accessible à tous, est pour eux une activité criminelle, nécessairement d'extrême-droite. Un auteur récemment distingué, Mohamed Mbougar Sarr, même s'il ne pensait peut-être pas à cela, en a néanmoins donné une remarquable définition. Il ne s'agit pas d'une "anomalie", titre du Goncourt de l'an dernier, mais de "la plus secrète mémoire des hommes", titre du Goncourt de cette année. Vivons en la cultivant, et nous pourrons jeter aux orties comme de vulgaires breloques les espérances et les chimères qui, dans un Occident en déliquescence, ont pris la forme de la haine de soi pour les tourmenteurs, ou du moins désignés comme tels, et du ressentiment et de la rancœur pour les tourmentés, ou du moins les manipulateurs qui s'affligent de faire partie de ces catégories prétendument discriminées. 

 

Jean Luc

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C’est lorsque l’on cesse d’espérer que l’on commence à vivre

 

Petite apologie de l’espoir, ou « pourquoi vouloir séparer l’espoir de la vie, de notre propre existence? »

 

Si j'ai l'espoir de devenir un grand pianiste, simplement en m'asseyant devant un piano, sans travail et sans talent, en vendant mon âme au diable afin que d’un coup de cane il me transforme en virtuose, si j'ai l'espoir de devenir un grand écrivain en noircissant une page blanche avec ce qui me passe par la tête, sans idées et sans technique, afin de séduire des snobs sans culture, si j'espère pouvoir devenir un personnage important seulement en fréquentant une "élite", voire en séduisant ou en couchant (surtout moi), l'espoir n'est effectivement que le rêve d'une ambition délirante, un phantasme, un mirage et une chimère, qu’il vaut mieux abandonner pour commence à vivre.

Et c'est ce sens qui est le plus souvent développé, notamment dans la citation qui nous occupe!

 

Tout ce qui s’est fait de grand, tout ce qui a fait progresser notre humanité, n’était au départ que dans le champ des possibles, des possibles que la plupart des individus n’imaginaient même pas. Il aura fallu des porteurs d’espoirs; comme Gandhi, ou encore Angela Davis…, pour qu’avec eux, d’autres se disent : oui, nous pouvons le faire.  Mais si l’on pense que l’espoir, c’est la carotte que celui qui est monté sur l’âne tient au bout du bâton pour faire avancer l’âne, qu’elle est seul moteur d’action, ce n’est qu’un leurre, parce que c’est l’âne qui fait avancer la carotte.

C’est le faire qui est important, l’espérance devant rester dans la boite. Il ne suffit pas d’ouvrir celle du mythe de Pandore, la première femme, déesse allégorique, envoyée par les dieux pour se venger des hommes qui avaient volé le feu (volé n’est pas travailler). Pandore, ouvre le couvercle de la jarre où sont enfermés tous les maux qui alors s'échappent et accablent l'humanité, mais Pandore referme la jarre juste à temps pour y conserver l'espérance.

 

Or l’espérance, ce n’est pas l’espoir ! Espoir et espérance sont toujours présentés, quasi synonymes, comme deux manières différentes d'attendre en désirant la réalisation de quelque chose de meilleur, pour soi ou pour les autres.

Or Pandore n’a gardé enfermée que l’espérance ! L’espoir, alors, reste de dimension humaine, parce qu’il révèle une certaine confiance dans les ressources de l’être humain, celles qui lui donnent la force d’agir sans attendre.

Au contraire, de l’espérance qui n’est pas liée à la maîtrise des évènements.  Elle est une sorte de confiance en l’avenir, présente dans diverses traditions religieuses ou spirituelles, comme l’une des trois vertus théologales chrétiennes, (les deux autres étant la foi et la charité), évoquant entre autres l’accès à la vie éternelle. Ce qu’il convient d’attendre.

On retrouve cela dans le bouddhisme, pour lequel il n’y a rien à espérer de nos propres désirs (le concept d’impermanence): seul notre mental qui nous fait croire que nous sommes maîtres des choses. Alors, il n’y a pas à s’inquiéter du cours du monde, en faisant confiance à l’ordre des choses en se libérant de notre ego, qui nous fait penser que nous sommes libres et que nous détenons la vérité. Attendons !

 

Toutes les pensées dominantes se régalent de le la volontaire synonymie entre espoir et espérance, et le bourgeois Honoré de Balzac n’y fait pas opposition !

Il s’est contenté de sa facilité à décrire de manière romancée, le quotidien de son époque en y transposant ses échecs, ne pouvant afficher ce goût du luxe qu'il n'aura jamais les moyens d'assumer.(1)

Clerc de notaire il avait tenté, sans résultat, l'aventure de l'édition, puis de la presse, avant de s'essayer à l'imprimerie. Ces résultats désastreux le cribleront de dettes quasiment pour le reste de sa vie.

Alors, il déteste l’espoir, cette force d’agir autrement sur la maîtrise des événements, par sa propre volonté, et ne la distinguera pas de l’espérance, cette «disposition de l'esprit humain reposant sur l'attente d'une situation meilleure à celle existante ».

 

L’espoir n’est pas l’espérance et il convient de les distinguer, alors qu'il est de coutume de considérer les deux termes comme synonymes.

 

Parce que l’espoir est transgressif de cet « ordre des choses » que tout pouvoir souhaite figé, immobile et seul possible « en Vérité » !

Par exemple, le théologien protestant Jacques Ellul : « L'espoir est la malédiction de l'homme. Car l'homme ne fait rien tant qu'il croit qu'il peut y avoir une issue qui lui sera donnée. Tant que, dans une situation terrible, il s'imagine qu'il y a une porte de sortie, il ne fait rien pour changer la situation. » Alors qu’il s’agit, dans cette situation décrite par Ellul de l’espérance, permettant d’exclure ce que l’espoir pourrait, changer au point de vue religieux.

 

Même la « sagesse populaire » présente l’espoir différemment par le biais de proverbes comme : « Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir » ou « L'espoir fait vivre ». Et le fait que l’avenir soit imprévisible et incertain, que d’autres possibles puissent néanmoins se produire, qui permet des expressions comme « faux espoirs », « espoirs trompeurs » ou « espoirs déçus », ne font pas de l’espoir (en acion), une illusion : toutes les situations ne sont pas maitrisables par l’action humaine, ce qui n’empêche pas de les tenter, au lieu « d’attendre ».

 

Bien entendu, il n’y a aucun danger, pour soi et pour les autres, à tenter d’évoluer. Descartes considère que lorsque quelque chose nous incite à penser que la possibilité d'acquérir un bien ou de fuir un malheur est grande, lorsqu'on pense que l'on a une chance de parvenir à ses fins pour pouvoir s'opposer avec vigueur aux difficultés qu'on rencontre, cela implique de la crainte. Cependant [ ] des guerriers qui se lancent courageusement dans un combat où ils sont certains de mourir et n'ont aucun espoir de survivre, peuvent néanmoins être mus par l'espoir d'encourager les autres soldats ou bien d'acquérir la gloire après leur mort.

 

Honoré de Balzac dans les Illusions perdues, relate l'ascension puis l'échec d'un jeune homme plein d'espoirs. Encore a-t-il agi, essayé, tenté, sans attendre.

Charles Dickens dans Les Grandes Espérances traite des mésaventures du jeune Pip dans la société anglaise où il est plusieurs fois trompé ou arnaqué.

André Malraux dans L'Espoir raconte le début de la Guerre d'Espagne, et y relate les événements du moment où le camp républicain peut encore espérer gagner la guerre.

L’espoir est toujours le mouvement de ceux qui veulent avec réussite ou non, changer les choses.

 

Tous ceux-là, pensent que « la vraie vie est ailleurs », expression paradoxale qui suppose une comparaison préalable entre une vie existante, réelle, mais ressentie comme insatisfaisante, une vie qui n’est pas une vie,  et une autre vie, dans un ailleurs espéré, et indéfini. C’est un pari vers une autre vie qui suppose un autre environnement commun, un changement de lieu, de milieu, ou de pensée dominante.

 

L’espoir, c’est ainsi d’abord un pari, comme le souligne Lacan, » propre à chacun. «Il n'y a pas d'espoir commun». Pour Lacan, « Est un homme celui qui se hâte d’agir à partir du savoir qu’il a déduit de son observation, avec aucun autre espoir que celui que lui apporte sa certitude anticipée ». Changer les choses, même si elles ne correspondent pas à nos attentes.

 Car, ainsi que le dit Borges : « La certitude que tout est écrit nous annule ou fait de nous des fantômes »

C’est la conclusion que reprendra à son compte Max Weber: nos actes sont à décider en fonction des conséquences qu’ils auront. C’est là notre responsabilité. En dehors de toute promesse de Salut, sur terre ou dans le ciel, il n’y a rien d’autre à espérer et à attendre sinon la conséquence logique de nos décisions !

 

Puis Lacan cite paradoxalement le psychanalyste français Jacques-Alain Miller : « Espérez ce qu’il vous plaira . Votre espoir n’a pas d’autre contenu que la réalisation de votre désir. Mais faites-le sans illusion : l’espoir des lendemains qui chantent n’a jamais conduit ailleurs que sous le couperet de la guillotine, les feux d’un peloton d’exécution dans les petits matins blêmes ou, au mieux, au suicide…Cette absence d’espérance […] n’est pas le désespoir. Elle ouvre sur une sagesse ».

 

C’est pourquoi la pensée rationnelle des philosophes, se méfie de l’espoir, en la confondant avec l’espérance, la considérant alors comme ce qui permet de vivre ou plutôt aide à survivre, sans que, pour autant, la situation de l’individu dans la réalité, mise entre parenthèses, ne change car il attend et n’agit pas.

Donc, ne touchez pas au système en place, ne le mettez pas en danger: la sagesse consiste à s’y sentir bien

 

Par exemple :

 

Enthoven: « L’espoir est un digestif qui, faute de rendre l’existence comestible, contribue efficacement à nous faire avaler la pilule. L’espoir est une affaire d’estomac. Si vous avez l’estomac fragile, si la vie vous blesse, vous devez prendre la potion magique de l’espoir qui supprime la douleur par la seule perspective de sa suppression » Dans la grisaille, l’homme d’espoir hallucine des éclaircies et des lendemains qui chantent. Qu’importe le froid, qu’importe l’injustice, quand il reste l’espoir? Bien sûr, comme tout refus de la réalité, l’espoir ne supprime pas plus la souffrance que le Prozac n’agit sur les causes d’une dépression… on se grise, on passe à côté, on s’exile et tout est moins dur le temps que ça dure.

Ainsi, l’espoir est l’alibi de la résignation. On peut tout infliger à celui qui vit dans l’espoir, alors qu’on ne peut rien faire à qui n’espère pas. Sans espoir, pas de servitude, ni de reddition. Sans espoir, cette vertu servile, pas de loi, ni d’autorité. L’espoir n’est pas une flamme, mais un éteignoir, un palliatif à la contestation. Il n’y a aucune différence entre l’espoir et l’espérance: qu’on spécule sur l’avenir ou bien sur l’au-delà, qu’on échappe au présent ou bien à l’ici-bas, c’est du pareil au même: l’arriviste n’est pas plus dupe que le prêtre, l’un et l’autre tuent le temps…... [Je me demande, en relisant Enthoven, s’il ne s’agit pas d’ironie?]

 

Aussi Cioran : On est, et on demeure esclave aussi longtemps que l’on n’est pas guéri de la manie d’espérer.

 

Et même Clément Rosset, dans la confusion entre espoir et espérance: « Tout ce qui ressemble à de l’espoir, à de l’attente, constitue en effet un vice, soit un défaut de force, une défaillance, une faiblesse… [...] la vie doit dorénavant s’appuyer sur une force substitutive : non plus sur le goût de vivre la vie que l’on vit, mais sur l’attrait d’une vie autre et améliorée que nul ne vivra jamais. L’homme de l'espoir est un homme à bout de ressources et d’arguments, un homme vidé, littéralement « épuisé «.

C’est, entre autres, ce qui permet le reproche que fait Rosset  aux philosophes d’être ceux qui remplacent le réel par son double inexistant en ne faisant pas coïncider le désir avec le réel.

 

Allons du côté de Comte Sponville citant Spinoza : « Qu'est-ce que l'espoir ? « Une joie inconstante, répondait Spinoza, née de l'idée d'une chose future ou passée, de l'issue de laquelle nous doutons en quelque mesure. » [ ] « Plus nous nous efforçons de vivre sous la conduite de la raison, écrit Spinoza, plus nous faisons effort pour nous rendre moins dépendants de l'espoir, nous affranchir de la crainte, commander à la fortune autant que nous le pouvons, et diriger nos actions suivant le sûr conseil de la raison »

« L’espérance consiste à attendre qu’un souhait auquel on tient particulièrement se réalise. Les religions ont tout fondé sur l’espoir d’un monde meilleur dans l’au-delà. Accepter, croire, que « les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers » ou, préconiser : « soyez obéissants, ne vous révoltez pas », ce fut longtemps un langage qu’on a tenu aux gens, leur donnant « l’espérance » que plus ils seraient malheureux ici-bas, plus ils seront heureux dans l’au-delà. Ce que l’on retrouve aussi dans les promesses des intégristes islamistes ». [ ) Le mythe de Pandore nous dit comment l’espérance nous fut donnée. « Pandore céda à la curiosité et ouvrit la boîte, libérant ainsi les maux qui y étaient contenus. Elle voulut refermer la boîte pour les retenir… trop tard ! Seule l’Espérance, plus lente à réagir, y resta enfermée » .L’espérance est un des maux parmi les autres. Restée dans la boîte, elle permet aux hommes d’affronter les épreuves. Sénèque : « Lorsque tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir ». D’autant que l’espérance qui dure peut créer la désespérance »

Pour Comte Sponville, l’espérance  « est un désir qui porte sur ce qu'on n'a pas, ou qui n'est pas (espérer c'est désirer sans jouir), dont on ignore s'il est ou s'il sera satisfait (espérer c'est désirer sans savoir), enfin dont la satisfaction ne dépend pas de nous (espérer, c'est désirer sans pouvoir). S'oppose pour cela à la volonté (un désir dont la satisfaction dépend de nous), à la prévision rationnelle (lorsque l'avenir peut faire l'objet d'un savoir ou d'un calcul de probabilités) [ ] L'espérance, marque de notre faiblesse. Comment serait-ce une vertu ? C'est le désir le plus facile et le plus faible ».

 

Comme tout ceci est différent de ce que je pense être l’espoir, si on le différencie de l’espérance!

 

 « Et l’espoir malgré moi s’est glissé dans mon cœur », avoue Phèdre, prise dans le dilemme de son amour interdit par les référentiels de la société de son époque (acte III). Or » L’avenir ce n’est pas ce qui va arriver, c’est ce que nous allons faire » (Gaston Bachelard).

Etre libre, avant tout, c’est refuser de se soumettre, agir. Le pouvoir, c’est » attendez, nous agissons pour vous ». Attendre Godot, c’est ne plus prendre part à la comédie sociale, comme Vladimir et Estragon.

 

Ce qui est exclu par les philosophes et tous ces exemples, c’est de considérer l’espoir comme une injonction qui enferme dans un cadre de pensée sans qu’il y ait une action concomitante. Or la vie refuse le cadre.

Héraclite déjà : « si tu ne cherches pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas. Il faut espérer dans l’inespéré. Sans certitude.

Nos choix de vie doivent comporter une part d’idéal, d’utopie même ; c’est l’objectif à partir duquel on va mettre en œuvre les moyens pour y parvenir. C’est dépasser le réel pour créer son projet de vie.

Dépasser l’espérance par le travail que peut effectuer l’espoir, la volonté, pour arriver à sa réalisation. Et ne pas se contenter de : « Sœur Anne, ma sœur, ah ! Ne vois-tu rien venir ».

L’espérance, c’est l’écran, le voile qu’on met devant pour ne pas voir, pour ne pas affronter la réalité.

 

 « Jusqu'à présent nous vivions dans l'angoisse, désormais, nous vivrons dans l'espoir. » disait Tristan Bernard-

La souffrance de l’esprit, me semble provenir du déséquilibre ressenti entre ce qui est et ce que l’on suppose devoir être. C’est la distance entre le fait et l’image, entre le déséquilibre naturel de l’aventure humaine et, soit la norme culturelle qui n’est qu’un modèle néanmoins perçu comme une réalité, soit la référence du passé qui, bien qu’aléatoire avant sa survenance, devient une référence, une « figure d’attachement ». ( Cyrulnik).En ce sens la souffrance n’est pas antinomique du bonheur, mais de l’espoir.

N.Hanar

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NOTES

1-Ascension et déchéance de Lucien de Rubempré, jeune provincial qui, faute de devenir écrivain, se lance dans le journalisme, ce qui va causer sa perte.

Lucien est un jeune poète inconnu dans la France du XIXème siècle. Il a de grandes espérances et veut se forger un destin. Il quitte l’imprimerie familiale de sa province natale pour tenter sa chance à Paris, au bras de sa protectrice. Bientôt livré à lui-même dans la ville fabuleuse, le jeune homme va découvrir les coulisses d’un monde voué à la loi du profit et des faux-semblants. Une comédie humaine où tout s’achète et se vend, la littérature comme la presse, la politique comme les sentiments, les réputations comme les âmes. Il va aimer, il va souffrir, et survivre à ses illusions.

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apologie de l'espoir
engagement

L’engagement et la liberté sont-ils compatibles ? 

 

La semaine dernière, notre interrogation portait sur la question de savoir si un individu, confronté à une situation offrant plusieurs options, effectue son choix librement ou s’il est déterminé, ou au moins influencé, lorsqu’il passe à l’action, dans sa prise de décision. Parce que tout choix s’effectue au cours d’un processus qui met en jeu, la complexité de ce qui est extérieur à l’individu (son environnement social et politique, son époque), et, en même temps, ce qui lui est intérieur (son éducation, sa culture personnelle, ses habitudes, ses passions ses croyances, ses doutes ou ses certitudes, etc…). Nos choix sont-ils donc libres ?

Ce qui nous a renvoyé à la question de toutes les libertés, limitées par des contraintes, sociales ou légales, et au besoin, pour tout individu, de croire que ses choix, sont fondés sur des critères personnels rationnels, par exemple lors d’un vote politique, lors du choix d’un partenaire amoureux, d’un métier, voire d’un objet (une voiture, un smartphone, etc…). Tout choix se concluant par une action, cette complexité, dont il lui est difficile d’avoir entièrement conscience, et qu’il lui est difficile, voire impossible, de surmonter totalement, engage-t-elle, alors, sa libre responsabilité.

Ce qui nous a amenés à la question d’aujourd’hui : « l’engagement et la liberté sont-ils compatibles? »

 

D’abord, pour différencier le choix de l’engagement, je dirai que tout engagement résulte d’un choix et clôture, met un terme, à ce qui a motivé le choix, les calculs, les hésitations, les comparaisons et les incertitudes. Le choix se fait, au présent, entre plusieurs possibles, alors que l’engagement, réduit, voire annule les autres possibles et investit un devenir. (1)

 

S’engager, s’aventurer sur une voie, concrète ou abstraite, en pensant avoir pris en compte les risques qui peuvent parfois, selon les circonstances, en résulter, au point qu’il peut s’exprimer par une promesse, par un contrat écrit ou au moins  moral, qui oblige à tenir une fonction ou une conduite, dont les contraintes, qui y sont associées, sont librement acceptées. (Un militaire s’engage, le mariage engage etc…).

Cette décision est personnelle, elle aurait pu être différente, on peut donc la considérer comme l’affirmation de la liberté de l’individu, qui apporte la volonté de sa détermination dans l’océan de l’indéterminé, et fait advenir de lui, un quelqu’un qui ne préexistait pas à son engagement. Car celui qui s’est engagé n’est plus le même avant et après s’être engagé. C’est une révélation de soi, pour soi, et devant l’autre.

 

L’engagement, aujourd’hui, n’est plus ce qu’il fut dans le passé : militaire, religieux, missionnaire se disaient « appelés ». Même si ce type d’engagement persiste, à la marge, il se personnalise, s’individualise, s’atomise, pour manifester l’expression d’une vision personnelle libre du monde.

C’est un antidestin radical, qui relève de notre puissance d’agir et notre capacité de rebâtir notre identité, qui, par notre volonté, fait grandir notre liberté, parce qu’il prend l’épaisseur de l’effectivité. On devient soi-même dans la continuation de ses engagements, on y construit une figure de soi dans la persévérance. Ce qui peut donner à l’engagement, des allures peu engageantes.

 

Alors, s’engager est-ce vraiment affirmer ou perdre sa liberté ?

Tout  engagement, qu’il soit politique, amoureux, professionnel ou existentiel, est nécessairement déterminant et contraignant. Il « lie » la personne qui le fait à ceux qui le reçoivent. On peut y voir le caractère liberticide de l’engagement. Or, toute liberté est encadrée par des limites.

Longtemps, la philosophie, avec Rousseau ou Kant, par exemple, nous a dit : être libre, c’est obéir à la règle que l’on s’est donnée. Donc se contraindre soi-même, s’engager dans une norme morale contraignante. Si on considère qu’être libre, c’est faire ce qui nous plaît, alors il parait évident que s’engager, c’est apparemment renoncer à sa liberté. Or, voir la liberté ainsi, c’est aussi rester lié à la pure jouissance de l’instant présent, donc à l’inconstance du caprice, parce que le désir change continuellement d’objet. Dom Juan choisit de ne pas s’engager mais se détermine à l’indétermination, puisqu’il s’engage à ne jamais s’engager: ce qui d’ailleurs, constitue un engagement

 

Et puis, nous savons qu’un engagement n’est pas toujours respecté, et que rien ne force quiconque à s’y tenir, malgré les nombreuses sanctions possibles, parce que les influences complexes l’ayant permis, les obstacles rencontrés, les devoirs et les avantages en résultant, peuvent évoluer, l’histoire individuelle et collective étant en permanence en évolution.

 Un engagement suppose la liberté de se désengager. D’ordre existentiel ou même contractuel, l’engagement est une relation de soi à ses décisions, que nulle loi ne peut forcer ou encadrer. Certes le droit, les habitudes ou les codes sociaux se chargent bien vite de le formaliser ou de le contractualiser,  mais ce qui fait tenir un engagement, ce n’est pas la sanction légale ou la disqualification sociale du « cochon qui s’en dédit ». Tenir son engagement, se rapporte à la justesse de l’idée que l’on a de soi, de ses capacités d’initiative sur le monde. Quel homme, quelle femme je veux être, qu’est-ce que je veux faire advenir dans l’à venir par l’engagement que j’ai pris.

 

Si liberté et engagement étaient incompatibles, pour rester libre, je ne devrais jamais m’engager ? Mais ce serait en perdant  la liberté même de choisir un engagement, alors que l’engagement librement choisi est une manifestation évidente de la liberté.

S’engager, c’est consentir à mettre sincèrement son action, son art, ses capacités, sa personne au service d'un combat, d’une cause ou d’idées que l'on estime soit juste, soit au moins utiles à son existence ou à la vie en société. Décider ou non de s’engager est un consentement,  libre, obtenu en l’absence de coercition ou de contrainte, qui a été éclairé par une information cohérente, qui provient ainsi d’une délibération personnelle, d’un jugement intérieur souverain, qui tranche entre différentes options.

 

Que l’on parle de s’engager dans une discussion, dans un parti politique, dans un mode vie, dans une union amoureuse, il y va d’abord, dans l’engagement, l’idée d’un commencement, d’un point de départ, d’une incitation, de l’initiation de quelque chose, donc de l’acte par lequel le sujet lance, initie quelque chose, sans même que la fin de l’action soit nécessairement prévue, ou même prévisible. S’engager, c’est donc se lancer, sans savoir forcément où l’on va, sans savoir si cette action va atteindre ou non ses fins. C’est pourquoi l’on peut souvent s’engager, comme on dit, « tête baissée », certain de prendre la bonne décision, qui, pourtant repose sur l’incertitude de son résultat.

L’engagement relève donc d’une logique du risque, et non de celle de la précaution, de toute assurance. Il met un terme au calcul dans le choix d’une option, parce qu’il convoque l’intégralité d’une subjectivité.

S’engager envers quelqu’un, ou envers quoi que ce soit, c’est décider de respecter une parole, un contrat, sans pouvoir en avoir prévu toutes les conséquences, ni même savoir si l’on en sera capable. Parce que s’engager est l’acte par lequel un sujet suspend son jugement et prend une résolution qu’il ressent exigée par la situation dans laquelle il se trouve. Tout engagement est performatif.

C’est ce que propose Descartes, qui définit la liberté du sujet par la mise en doute, de ses sens, de toutes les connaissances qui lui semblent assurées, afin qu’il suspende temporairement son jugement, pour refonder librement sa connaissance. Or, afin de bien vivre, il faut s’engager, se décider, même provisoirement, « par provision », écrit-il, à agir en attendant qu’on sache comment bien agir, parce que l’existence humaine ne souffre aucun délai, et qu’on ne peut pas s’offrir le luxe d’attendre de savoir comment bien agir et continuer indéfiniment de spéculer avant de se lancer. Tels ces voyageurs égarés en forêt, que Descartes donne en exemple, qui, au croisement de deux chemins dont ils ignorent l’issue, n’ont rien de mieux à faire que de « s’engager » sur l’un des deux, sans hésiter et sans revenir en arrière, « car au moins ils arriveront à la fin quelque part, où vraisemblablement, ils seront mieux que dans le milieu d’une forêt ».

Les voyageurs cartésiens sont perdus, par rapport à l’endroit d’où ils proviennent, à leur situation physique dans le monde, tout comme la pensée, par le doute,  est « perdue » par rapport aux certitudes, aux sens, aux lois, et aux coutumes.

Ma connaissance, mon savoir, mon existence, résulteront de l’action engagée: Sartre avant l’heure ! (2)

 

Si l’engagement est la liberté radicale de commencer une série d’événements, il est aussi une réponse à ce qui est advenu, à une situation donnée, à une histoire, une société, dont on doit suivre les lois et les coutumes si l’on ne veut pas, en faisant n’importe quoi, se retrouver exclu. Malgré son engagement, le sujet reste libre de choisir de rester, partiellement ou totalement lié à ce dont il hérite et ne choisit pas (histoire, passé biographique, péché originel...), libre de se choisir un chemin différent.

 

L’engagement de Socrate, s’éprouve par ses actes : sa mort, c’est l’engagement de sa philosophie, une manière de « faire savoir », notamment, « qu’il vaut mieux subir l’injustice que de la commettre » ; d’être tout entier, capable de répondre de sa pensée.

 

Il y a dans tout engagement un acquiescement à ce qui est déjà donné, parce qu’on est déjà engagé « dans », un langage, un monde, une condition, une époque, un passé biographique, un passé historique, mais notre propre engagement a pour seul but de mieux s’en servir pour agir. S’engager, c’est agir avec les instruments qui existent en se dégageant de certaines entraves :ce n’est pas se libérer DU monde, mais d’UN monde, de son insertion dans le présent.

 

C’est un pari sur l’avenir, une prise de risque, précisément parce que l’avenir ne peut être prévu. Ce qui, d’une certaine façon, est l’inverse même d’un contrat, c’est un pari nécessaire : s’engager, c’est choisir, sans avoir posé les raisons de son choix, avec le risque de s’y perdre.

L’engagement est même un  pari « Pascalien » : une personne rationnelle a tout intérêt à croire que s’engager dans une voie, parmi toutes celles possibles, le conduira vers ce qu’il espère de l’existence. Que cela se produise ou non, il perd rien, parce qu’il ne restera pas enfermé dans une vie qu’il n’aura pas librement choisie

 

N.Hanar

 

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Notes

 

1-Comme l’écrit Charles Pépin : « Nous pourrions affirmer qu’un choix est rationnel, explicable, tandis qu’une décision se joue toujours quelque part dans l’au-delà de notre raison, dans une sorte de folie de l’instant, qui nous prend au moment exact où nous y allons sans trop savoir pourquoi nous y allons. On choisit de s’endetter pour acheter un appartement, mais on décide de se marier. [ ] Décider, ce n’est pas «arbitrer en raison, choisir de satisfaire un désir plutôt qu’un autre » [ ] parce que « si nous attendions toujours d’être sûrs pour agir, d’avoir les arguments justifiant que nous sommes en train d’effectuer le bon choix, nous n’agirions jamais. [ Pépin applique une pensée cartésienne] Agir dans le doute, c’est alors décider, et non choisir. Voilà pourquoi la décision relève de l’art, non de la science. De l’intuition, non de l’argumentation. Tous les grands décideurs vous le diront : le jour où on le sent, on ne sait pas pourquoi. [ ] Pourquoi les croyants affirment souvent avoir « choisi » de croire en Dieu ? Ils disent « choisir » pour « décider ». Choisir, c’est écouter les arguments de sa raison et en tirer des conséquences logiques. Décider, c’est écouter le mouvement de la vie en soi et lui donner son assentiment, parfois au prix de la raison. [ ] C’est justement parce qu’il n’y a aucune raison de croire en Dieu que je peux décider d’y croire. [ ]

Il y a dans toute décision quelque chose de ce saut dans le vide, quelque chose de cette folie et de cette liberté au cœur desquelles nous nous sentons exister. Bien ternes sont, par contraste, toutes nos raisons de choisir – si bonnes soient-elles…Ch. Pépin (Philomag)

 

2- Je veux ce que je veux : je veux donc librement. Soit. Mais peut-on vouloir aussi autre chose ? Or comment, sans ce pouvoir-là, aurait-on le choix ? Il semble que la volonté ne soit vraiment libre que si elle peut se choisir elle-même, ce qui suppose — puisqu'on ne choisit que le futur — qu'elle n'existe pas encore. Il faut donc, pour que la volonté soit absolument libre, que le sujet préexiste paradoxalement à ce qu'il est (puisqu'il doit le choisir) : de là, l'existence-qui-précède-l'essence chez Sartre, le choix du sujet par lui-même. Sartre : « toute personne est un choix absolu de soi »)

Comment ne croiraient-ils pas être libres de vouloir, puisqu'ils veulent ce qu'ils veulent Or elle n’est pas indépendante de la nature et de l'histoire. (Comte Sponville, extrait)

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P.S. Librement inspiré (en partie) par les « Paradoxes philosophiques de l’engagement », par Alexandra Makowiak.( , agrégée et docteur en philosophie, spécialiste de la philosophie kantienne, elle enseigne la philosophie en lycée dans l'académie de Grenoble et à l'Université de Lyon III),

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rapport au corps

Quel est notre rapport au corps ?

 

Poser cette question établit immédiatement une distinction entre ce « notre », correspondant à une identité immatérielle et le corps qui constitue la matérialité, la dimension physique, de l’être humain,! Ce qui fait du corps, du nôtre,  une altérité que nous mettons à distance, comme extérieur, dans une dualité qui oppose le corps à l’esprit, au psychisme, après l’avoir opposé, autrefois, à l’âme.

 

De tous temps, les humains ont construit cette distance entre ce par quoi ils veulent être définis, leur identité, leur intelligence, leur raison, leur capacité à être libre et responsable par rapport à ce corps, cet autre, ce machin imposé, avec ses  limites, sa généalogie, son sexe, son  milieu social, etc....

Afin de ne pas n’être réduits qu’à ce corps, soumis aux instincts, à son animalité, à ses excrétions et à ses besoins, à ses maladies, ses souffrances, et au fait qu’il vieillit, finit par nous lâcher, et meurt, il a toujours fallu trouver un moyen de le mettre à distance.

 

Il a donc fallu le définir comme la simple « composante matérielle d'un être animé », une « extériorité opposée à l'intériorité de la conscience »; à ce point qu’il n’est plus que « ce qui tombe sous ma perception », même s’il y en a bien un, « avec lequel mon esprit a un rapport particulier: mon propre corps ».

Le corps, alors, c'est l'obstacle, qui brise l'élan libre de l'esprit, en le ramenant aux conditions terrestres, et tout le travail de l’esprit consiste à surmonter cette situation.

 

Bien entendu, c’est apparemment le corps qui est source de bien des plaisirs : la bonne chère, le bon vin, le sexe, le bien-être du soleil sur la peau et la douceur des caresses. Mais, en fait, tous les plaisirs sont toujours une victoire remportée sur les nécessités que nous impose le corps : nécessité de s’alimenter, de se reproduire, de se protéger du froid, de la violence des autres, etc.  Depuis l’aube des temps, l’humanité, ce singe nu que nous sommes, n’a cessé de travailler à vaincre, à transformer ces besoins, ces instincts, ces contraintes, pour, au moins, se donner l’illusion de pouvoir les dominer.

Et, pour ce faire, il fallait bien un dominant et un dominé, une différenciation entre le corps et l’esprit.

 

Ce dualisme séparatiste, continue de s’imposer, alors qu’il n’est peut-être plus vraiment de mise,.

Il se conforte, même, alors qu’il a plusieurs fois été montré (Freud, Jung, etc….au moins), que ce sont nos désirs, nos frustrations et nos plaisirs, conscient ou inconscient, qui « parlent et s’inscrivent dans le corps ».

 

De plus, Giulia Enders, dans son livre « Le Charme discret de l’intestin », montre que cet organe du corps, qui apparait comme l’évacuateur de déchets dégoutants, est composé aux deux tiers de cellules immunitaires, et abrite un système nerveux indépendant, le deuxième le plus important dans le corps humain après le cerveau…En cas d’un intrus trop agressif ou toxique, il peut bloquer la digestion et rejeter le tout rapidement, soit en vomissant, soit par une diarrhée aiguë. Sans que l’on ait  besoin d’y réfléchir.

Si le cerveau reste le patron, le nerf qui relie l’intestin et le cerveau, fait que 90 % des informations, à ce sujet, vont de l’intestin au cerveau et pas l’inverse. Parce que l’intestin est le seul organe dans notre corps qui possède des cellules nerveuses similaires à notre cerveau et en grande quantité, ainsi que des messagers chimiques, et des matériaux d’isolation.

 

Peut-être est-ce parce que nous avons besoin de ce dualisme, entre le somatique et le psychique afin de mettre à distance quelque chose qui constituerait l'aliénation du sujet, de ce moi que nous voulons libre et indépendant de son organisme, bien qu’ils soient pourtant solidaires selon la psychanalyse et la médecine,

 

Parce que, malgré toutes ces études, le réel du corps échappe à notre volonté.

Il est ce à quoi l'on se heurte, ce qui fait obstacle à nos vœux, à nos désirs, notamment à la toute-puissance de la pensée et à notre incapacité à résister à son inévitable destruction. Les rapports vécus par l'individu des différents aspects et parties de son corps, peuvent ou non s’intégrer à l'unité de sa personne ou être traités comme des objets extérieurs à lui, au même titre que des jouets.

 

Nous ressentons notre corps sensible qui vibre de plaisir ou se tord de douleur. Nous le voyons dans le miroir, et le jugeons, comparons, selon les diktats du corps social. Il y a notre corps tel que nous pensons, ou comme nous l’imaginons,  qu’il est vu par les autres.

Et ensuite celui qu’on ne voit jamais, la mécanique vivante que la médecine décompose « en quartiers et en lambeaux ». (Selon Paul Valéry, qui ajoute encore un corps imaginaire).

Et puis, il nous fait peur. Peur de ses besoins, de ses gênes imposés, de ses « sales détails », de ses odeurs qu’il faut dissimuler en public; peur de la dissociation d’avec ce corps qui sait accorder bras et jambes dans la boxe ou le tennis, mais peut se sentir totalement incapable de danser ; et de l’impossible contrôle des moments de grâce ou de jouissance qui l’ont fait vibrer, mais surtout de sa déliquescence et de sa fin programmée.

Ce corps nous rend alors obsédés par la santé, la forme, la beauté, il faut l’éprouver et l’ausculter, du sport à la diététique et à la médecine. Nous ne voulons plus mourir, et en plus nous voulons rester beaux.

On en revient presque à le considérer comme une mécanique.

 

Ainsi nous sommes les victimes consentantes, mais forcément insatisfaites, d’une nouvelle tyrannie du corps. (Esthétique, médicale, sexuelle, sportive), d’une dictature du corps « parfait, éternellement jeune et en bonne santé ». Séparés de notre corps réel, désirant et mortel, nous regardons notre enveloppe charnelle de l’extérieur, comme une mécanique dont on peut remplacer les pièces, requérant tous nos soins ou un instrument de plaisir à piloter.

 

Dualisme mortifère, puisque, en même temps, nous voulons être définis comme un sujet abstrait qui ne vaut que par ses droits, et non par sa corporéité, nous voulons nous extraire d'une relation aux autres et à nous-mêmes soumise au corps. Comme lorsque nous faisons tout pour contrôler la fécondité qui doit devenir un choix maîtrisé, et  comme les modalités de la vie amoureuse et sexuelle.

Ainsi le sujet lui-même comme identité, capable de se gouverner, se dissout.

 

Comment s’est installée cette dualité ?

 

Les athlètes grecs lors des jeux Olympiques, (env. 8 siècles avant J.C.), représentaient l’harmonie entre le corps et l’esprit, (psukhé et sôma), conciliation qui permet d’agir sur le corps et par lui sur le destin. C’est par le corps, son harmonie, sa beauté, son efficacité que les hommes ont pu s’élever, non seulement à l’image des dieux, symboliser leurs pouvoirs et se rendre identiques à leurs modèles.

Le physique prenait le pas sur la métaphysique.

C’est pourquoi, peut-être, plus tard, il a fallu tuer ce Socrate (env. 4 siècles avant J.C.), laid, de plus seulement adonné aux femmes, parce qu’il risquait de contrer le remplacement des pouvoirs des dieux par les pouvoirs des hommes, rendant possible la science, la connaissance de ce qui est,  par le simple savoir humain. Ce qui mettait en danger l’ordre cosmologique dominant.

Le matériel ne devait pas pouvoir surmonter l’immatériel.

 

Ce qui fut encore accru par la chrétienté, qui forgea la notion de chair, le « corps de péché » ; tourné vers les plaisirs humains, trop humains ; les excès, le dérèglement des sens, par un corps relais des passions mauvaises de l’âme (la haine, l’idolâtrie…). Combat encore perdu par le corps physique au profit de la métaphysique, du matériel face à l’immatériel.

 

Et puis apparemment, Descartes (1596 – 1650)-qui oppose d’un côté, une substance immatérielle dont « l’essence ou la nature n’est que de penser », et de l’autre, une portion de matière, une machine. L’ensemble des phénomènes physiologiques (la digestion, la respiration ou la vision) ne sont que relations mécaniques.

Mais il est celui qui amènera un nouveau rapport au corps : l’âme « compose comme un seul tout » avec ce corps qui est mien, d’autant que l’âme a son « siège principal » dans une région du corps, la glande pinéale située « au milieu du cerveau ».

 

La porte est ouverte à Spinoza (1632 – 1677): « ni le corps ne peut déterminer l’esprit à penser, ni l’esprit à déterminer le corps au mouvement, … » (Éthique). Ce sont les deux versants qui expriment une même réalité : l’homme. D’où l’insistance de Spinoza sur la nécessité de se connaître soi-même en tant que corps, pour développer ses aptitudes propres ; il s’agit d’en augmenter « la puissance d’agir », sachant que ce passage à « une plus grande perfection » est synonyme de joie. Spinoza reprend à son compte à la fin de l’Éthique, la citation d’Homère : « un esprit sain dans un corps sain ». Et réciproquement.

 

Puis la morale kantienne impose de considérer autrui comme une fin en soi, et jamais comme un moyen, il en va de même pour soi-même et pour son corps, véritable personne qu’il s’agit de respecter. Donc Kant condamne l’ivrognerie, la gloutonnerie, la mutilation, le suicide et un « vice » tellement honteux qu’il ne fait que le suggérer: la masturbation, cette « souillure de soi-même » qui consiste à faire de son corps un moyen, un objet de jouissance. (Kant a presque atteint les 80 ans,)

Nietzsche y verra le siège de nos pulsions vitales qui dans une perspective dionysiaque, engage tout le devenir humain en recélant  toutes les potentialités.

 

Mais avons-nous vraiment, ainsi, résolu l’opposition entre le matériel et l’immatériel ?

Plus de dualisme désormais, dans notre rapport au corps, entre le matériel et l’immatériel, mais dualisme toujours, au sein même du matériel.

 

Le corps et l'esprit sont très étroitement connectés" et même indissociables. Et notre rapport au corps consiste alors à comprendre ces interconnexions, ce peut énormément nous apporter, malgré la trace qui subsiste de cette méfiance envers le corps.

Nous comprenons désormais le corps non comme un empilement d'organes sur lequel régnerait le cerveau, mais comme une entité complexe et subtile, siège d'une foule d'interactions.

 

Une émotion se traduit toujours par l'apparition de modifications physiques et de contenus mentaux. Dans certains cas, l'émotion commence dans le corps : je me sens physiquement mal à l'aise devant quelqu'un qui me ment ou me manipule, avant même de l'avoir compris intellectuellement. Dans d'autres cas, elle commence dans l'esprit : lorsque j'anticipe des soucis à venir, mon corps réagit comme s'ils étaient vraiment là (c'est l'anxiété). C’est comme les deux faces d'une carte à jouer.

On sait, que les émotions négatives, comme stress ou colère, entraînent des effets délétères sur le corps, mais  on mesure aussi les bienfaits des émotions positives. Elles rééquilibrent notre système nerveux, améliorent notre immunité, semblent freiner le vieillissement cellulaire, etc…

 

Merleau Ponty va montrer que, contrairement à l’objet que je peux décider de ne pas percevoir, dont je peux me détourner, mon corps propre ne me quitte jamais, m’est toujours présent sur le mode du vécu perceptif. Aussi ne peut-il être un objet, car il est « le véhicule de l’être au monde » (Phénoménologie de la perception). « Je ne suis pas devant mon corps » : c’est un corps vécu de l’intérieur. Je suis comme enveloppé en lui, et c’est précisément mon corps qui rend possibles mes mouvements comme mes intentions. La conscience n’intervient pas toujours : mon corps enregistre, prédispose à certaines actions quotidiennes que j’effectue de manière automatique, irréfléchie. Ainsi, le rapport au monde est de secrète connivence.

Le corps ne nous est pas seulement plus proche que le reste du monde et plus familier, il ne commande pas seulement notre vie psychologique, notre humeur et notre activité. Au-delà de ces constatations banales, il permet le sentiment d'identité et prend une dimension relationnelle : à soi, à autrui et à l’environnement.

La communication interpersonnelle, celle qui s’établit entre deux sujets de parole et d’action, ne peut s’affranchir du corps. Privé d’émotion et de sensation, le Golem est dépossédé de la vérité du corps, c’est-à-dire de la relation à l’esprit.

C’est par le corps que nous percevons le monde extérieur. Notre relation aux autres est construite par nos attitudes, nos gestes, nos mouvements. Par sa médiation, nous exprimons nos sentiments et nous communiquons nos affects. Il est également apparu comme condition du souci de soi et de reconnaissance – « être bien dans sa peau

Par l’artifice de l’art, dans l’espace de la scène, du tableau, de l’écran, de la danse, il devient l’instrument à travers lequel la totalité de l’être s’exprime .Par la transmission de la tradition, au travers d’actes magiques, religieux ou symbolique il témoigne de la valeur accordée au corps par la culture.

 

Notre rapport au corps n’est plus constitué par une dualité séparée, mais par une unité à deux faces.

 

N.Hanar

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Bonheur, désir et plaisir

 

Ce sujet est composé de trois notions complexes, aux limites imprécises, développées différemment dans des milliers de pages. Comme il serait vain de vouloir les approfondir, chacune, dans un même débat, je me suis limité à la recherche d’une vue d’ensemble, susceptible de les confronter, voire de les réunir.

 

Bonheur, désir et plaisir, indépendamment de leurs définitions, chacun les ressent différemment, parce que chacun est seul à être ce qu’il est, à vivre ce qu’il vit : c’est ce qui fait que l’on est « soi ». Le tort de la philosophie a souvent été de tenter une définition universelle, ce qui l’isole en partie de l’ensemble des données, notamment celles individuelles et sensibles, qui nous mettent en jeu dans le monde. Ce qui a ouvert la porte à des coach de vie, de développement personnel, auto proclamés susceptibles de permettre à chacun d’atteindre, par des méthodes «éprouvées!», bonheur, désir et plaisir. La démarche philosophique, différente, nous est autrement nécessaire, parce que nous recherchons « un sens commun », « une continuité », les conditions d’une « vie bonne », ensemble, sans contenter de se limiter à ce qui n’est utile qu’à soi..

 

Comprenons d’abord que le désir et les désirs, désignent deux choses différentes.

Les désirs humains s'attachent à la santé, à l’amour sous toutes ses formes, à la prospérité, à la réussite, à la reconnaissance sociale, au bien être, etc…et font l’objet d’une quête.

Le désir, par contre, ne fait pas l’objet d’une recherche ou d’une attente, il est constitutif de l’humain. Il fait partie de son essence, et désigne, (Spinoza entre autres), l'unique force motrice qui nous traverse, qui nous constitue, qui nous anime. Le désir n'est pas un accident, ni une faculté parmi d'autres. C'est notre être même, considéré dans « sa puissance d'agir ou sa force d'exister », ce conatus, ce qui fait que « toute chose, [ ] s’efforce de persévérer dans son être».

 

Le désir est sans objet : il est le support qui anime la démarche de vivre et de créer.

Alors, comment le connaissons-nous ? Je pense que le désir, s’exprime en notre conscience par l’intermédiaire des désirs, et peut ainsi se lire, se révéler, Le désir, ne se limite pas à une seule recherche dans le puzzle de la complexité de l’existence, à un seul ou quelques désirs particuliers. De plus, dans la complexité de ce monde, le foisonnement des sollicitations, des influences, voire des obligations dictatoriales auxquelles la société et notre éducation nous soumettent, (comme la dictature du bonheur), les désirs qui s’expriment sont toujours parasités par les multiples influences que nous subissons Nous les subissons plus que nous ne les souhaitons. Ils ne nous appartiennent pas réellement. Mais, conscients, ils peuvent être raisonnés, même s’ils sont parfois, selon Freud, la forme acceptable et travestie de tendances cachées qui, en raison de leur caractère culpabilisant ou interdit, ne peuvent se présenter en toute transparence à la conscience.

 

« Pourquoi alors ne pas définir le plaisir, purement et simplement, par la satisfaction d'un désir », demande Comte Sponville? Parce qu'on peut satisfaire un désir sans pour autant éprouver de plaisir : les fumeurs savent bien que le plaisir n'est pas toujours [ ] présent, à chaque cigarette ». Parce que, aussi, nous n’en sommes pas vraiment toujours à l’origine. En fait, « le plaisir est relatif aux circonstances qui l’ont fait naître, par le ressenti qu'ils provoquent, « étant l'affect qui nous plaît, qui nous réjouit ou nous fait du bien » Une odeur délicieuse, un beau paysage ou une bonne nouvelle peuvent me faire plaisir quand bien même je ne les désirais en rien, avant de les rencontrer. Ce n'est pas parce qu'une chose est agréable que nous la désirons, c'est parce que nous la désirons, ou parce qu'elle s'accorde à nos désirs, qu'elle nous, est agréable ».

 

Le bonheur, alors, si l’on considère les désirs, ne désigne pas la satisfaction de tous nos multiples désirs, de tous nos penchants, ce qui lui interdirait toute permanence, sauf peut-être dans la mythique et divine béatitude. Ce serait alors un état intermittent et impermanent de l’existence et de ses fluctuations, un état heureux lié à une circonstance, qui nous échappe souvent lorsqu’on veut l’atteindre. Le danger vient du reste, comme l’écrit Comte Sponville, de « l'espérer pour demain, où nous ne sommes pas, et s'interdire de le vivre aujourd'hui. [ ] Le bonheur viendra par surcroît, s'il vient, et te manquera moins, s'il ne vient pas.».

Je ne savais pas ce qu'était le vrai bonheur jusqu'à ce que je me marie... Mais alors il était trop tard!"

 

Pourrait-on considérer le bonheur comme permanent dans le chemin de la vie ? Faudrait-il, pour cela, que les actions entreprises réussissent toutes et  que ce résultat soit la félicité, la béatitude, la satiété ou le bien être, la richesse, la considération, satisfaisant pleinement notre conscience ? Peut-il être tout cela à la fois ?

Parce qu'il nous est donné à percevoir, de cette manière par une pensée dominante qui nous envahi avec un réel culte du bonheur, une assignation à l'euphorie, une idéologie qui pousse à tout évaluer sous l'angle du plaisir et de tous les désirs réalisés.

Or, “les effets pervers de cette étrange dictature du bonheur, c'est le malheur de n'être jamais assez heureux. Aux riches, on dit que l'argent ne fait pas le bonheur et qu'il est des joies simples auxquelles ils n'ont pas droit. Aux pauvres, on vend une vision si inaccessible de la plénitude qu'ils en deviennent imperméables aux joies simples vantées aux riches."  (cf L'Euphorie perpétuelle de Pascal Bruckner)

 

A ce propos, Deleuze pense que, puisqu'une machine désirante fonctionne en nous, nous poussant à nous satisfaire et à transformer le monde, le désir, en lui-même, sans objet, est affirmation et construction, joie et liberté. Il produit des constructions qui s'insèrent dans le champ social et sont ainsi capables de faire sauter ou de faire se déplacer le tissu social. Des constructions qui déconstruisent. [Il s’agit donc] « d’écarter les connotations du désir, qui veulent le faire correspondre à la connaissance d’un objet, d’un savoir [ d’une possession], pour le laisser être une puissance qui tend vers une satisfaction qui ne veut pas combler un manque mais qui est volonté de jouir de la volonté même de désirer. Et ainsi d’éprouver du plaisir !

 

Il convient alors d’écarter la confusion entre le désir et les désirs, surtout lorsque le désir, comme souvent, est assimilé à la conscience d’un manque, ce qui ne caractérise, en fait, que la frustration. Ce rapport avec le manque, on le trouve déjà chez Platon (Banquet): le désir amoureux, provient de  notre incomplétude fondamentale, selon le mythe de la quête inconsciente de notre moitié avec laquelle nous ne faisions auparavant qu’un. (2) Cette division poétique de l’humain n’était sans doute qu’une forme métaphorique pour justifier de la puissance des dieux supérieure à celle des humains, et non la justification d’un manque!

 

La réalisation de nos désirs ne met pas fin au manque, qui renaît chaque fois sous une autre forme, sans mettre fin à l’insatisfaction ou à la frustration, parce que, je le répète, le désir fait partie notre essence: ce que l’on trouve déjà chez Aristote  (De Anima), pour qui le désir « peut mouvoir en dehors de tout raisonnement ». Il est bien notre moteur (à essence), mais éclectique.

 

L’épicurisme a tenté de résoudre l’aporie qui en résulte. Nous devons renoncer aux désirs vains, ceux qui ne peuvent être rassasiés (gloire, pouvoir, richesse...), pour nous consacrer aux désirs naturels et nécessaires (manger, boire, dormir, philosopher...), qui sont bornés et faciles à satisfaire. Jouir au mieux, se procurer du plaisir, serait choisir entre ses désirs. Pourtant, plus loin, et au contraire: (Lettre à Ménécée) « tout plaisir, cependant, ne doit pas être choisi ». “C'est que certains apportent plus de maux, pour soi ou pour autrui, que de biens. Le plaisir est certes, « le principe de tout choix et de tout refus », mais pas tout plaisir, ni toujours les plaisirs les plus forts. Aporie 1 -  Epicurisme 0

Saint Augustin, d’ailleurs, dans Les Confessions, soutient qu’il est impossible de distinguer ce que nous faisons par besoin de ce qui est fait par désir. Ainsi, après un effort intense, on peut boire de l’eau avec délectation tout en le faisant au nom de la santé. L'objet du désir, comme le plaisir, est ambivalent.

 

Comment, alors, relier désir et plaisir au bonheur, état durable de plénitude, de bien-être, de satisfaction, ou seulement constitué de moments privilégiés ?

Pour Kant, le bonheur est un idéal de l'imagination et non de la raison: il est particulier à chacun et vague, c'est-à-dire qu'il repose sur une idée que chacun se fait du bonheur, état durable ou momentané, et d’un contenu selon chacun. Mais celui qui ne désire plus rien ne peut être heureux. Il ne faut donc pas refouler ses désirs, ses envies personnelles comme le laisse entrevoir la pensée ascétique. C’est l'imagination qui est l’ingrédient indispensable au bonheur. Ce que j’imagine, qui est de l’ordre du fantasme, va correspondre à une relation amoureuse, un instrument de musique ou dans l’idée de la révolution. Mais je serai peut être déçu : « concrètement »: ce ne sera pas ça… 

 

Parce que, ce qui nous définit, en tant qu’être sociaux, ce sont nos limites (le temps, la liberté, la connaissance, les traditions, les lois, les morales, etc…). Ainsi nous sommes caractérisés par nos incomplétudes : notre être, c’est particulièrement ce que nous ne sommes pas!

Mais, connaissant nos limites, nous cherchons à les comprendre, à les justifier, ou à les transgresser, et cette recherche participe du désir, non en tant que manque, mais en tant que capacité à s’ouvrir à d’autres perspectives, à d’autres vies, à d’autres possibles.

Cette recherche ressemble à puzzle. Compléter un puzzle n’est pas combler un manque, mais construire une image avec des éléments disponibles qui sont déjà là. Cela fait de l’humain, avant tout, un être désirant, un élément de la nature «dénaturé» qui est ainsi et surtout devenir, recherche, questionnement. Alors, peu importe que nous sachions ce que nous désirons puisque le désir ne correspond pas à un manque. Spinoza : « Que l'homme ait ou n'ait pas conscience de son appétit, cet appétit n'en demeure pas moins le même »

 

Toutes les morales, sont par définition constitutives de limites. Il s'est donc souvent agi, en philosophie, de restreindre la force désirante de l'homme dans les limites d'une morale.

Ainsi Descartes: « Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde.

 

Or, nous aimerions toutes et tous que notre existence nous procure du plaisir.

Alors que la recherche de satisfaction est plus ou moins aisée, le plaisir semble être devenu de l’ordre du luxe, voire une revendication honteuse, restreinte par les morales. Le plaisir constitue toutefois la raison de l’effort que nous faisons pour satisfaire nos désirs, même si nous n’échappons pas à la confusion entre plaisir et satisfaction, vécue alors, comme un moindre mal. John Stuart Mill estimera qu’« il vaut mieux être un être humain insatisfait qu’un pourceau satisfait, Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait ».

 

Mais pourquoi le désir serait-il la seule source du plaisir ? Ne tire-t-on pas plaisir, d’une qualité qui nous est donnée, que nous sommes conscients de posséder, lorsque nous nous livrons aux activités que nous aimons, ou lors de la fréquentation des gens que nous aimons, ou à la simple attention à objet ou à une valeur que nous aimons, un plaisir qui ne vient pas d’une appropriation, d’une consommation, mais d’une pure et simple relation à…qui laisse entrevoir le bonheur.

Aimer la musique, c’est avoir du plaisir consistant dans le fait d’entretenir de fait une relation (plaisante) avec elle. Ce plaisir engage « quelque chose de plus », comme le sentiment de renforcer mon existence, de concourir à la réalisation de l’idée que j’ai de moi-même.

 

Si le bonheur dépend de l’épanouissement personnel, ce n’est que de l’amour de soi, une égolâtrie, qui ne rend heureux que lorsque les relations d’altérité, même dans le couple, ne sont satisfaisantes que pour soi. On peut alors appeler le bonheur un « alter-narcissisme ». Je t’aime signifie : Je m’aime moi-même en passant par toi, et donc, je suis heureux. (selon Patrice)

 

L’injonction au bonheur, la dictature du bonheur, qui règne dans la société concerne en réalité un bonheur contrefait. Les marchands cherchent à augmenter la consommation et le confort, en communiquant sur le plaisir. L’augmentation des revenus n’est demandée que pour améliorer la satisfaction des besoins.

Les religieux chrétiens cherchent à détourner de cette vallée de larmes et de péchés, en imposant une espérance joyeuse en un ailleurs plus tard. Les idéologues, tels que les marxistes, cherchent à provoquer l’avènement des lendemains qui chantent.

 

Devant l’avalanche de ces contrefaçons du bonheur, nous mettons en doute sa réalité même. Et pourtant, au fond de nous, une petite voix têtue répète inlassablement « souviens-toi de ton bonheur lors de ton premier baiser, devant le sourire de ton enfant, face aux applaudissements, ou lors du partage d’une émotion … ». Et on continue d’y croire.

 

En conclusion, une interprétation détournée d’une idée de Patrice.

Chacun a son tempérament, déterminé par son histoire personnelle. Chacun aurait donc un niveau différent de bonheur, [ou de plaisir ?], dont les événements de la vie ne pourraient que faire dévier transitoirement [ ]. Ce serait une détermination du niveau de « bien-être subjectif » par les conditions relationnelles. Cela semble bien confirmer le bonheur conçu comme « relationnel caressant pour soi », ensemble des relations avec autrui, positives, satisfaisantes pour soi, [et ses désirs propres], que chacun expérimente chaque jour dans ses divers réseaux, [avec plaisir].

 

N.Hanar

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