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Faut-il avoir souffert pour avoir de l’empathie ?
(Est-il nécessaire d’avoir souffert pour ressentir de l’empathie ?)

 

Nous ne nous accorderons jamais tous sur une définition précise et universellement reconnue, de concepts comme l’empathie, la sympathie, la compassion, la solidarité etc…. Ces définitions diffèrent selon l’époque et le lieu où se situe la réflexion, et selon que nous utilisons un angle philosophique, psychologique, psychanalytique ou politique. (1) Mais bien qu’elles ne veuillent pas dire la même chose, ces notions ont pour point commun un mode de relation à l’autre, et ainsi de connexion à soi-même, par une forme d’engagement émotionnel. À cet égard, elles sont toutes créatrices de lien et ont une valeur sociale.

 

L’empathie, je la tiens pour cette faculté, cette aptitude en nous, ce mécanisme psychologique, par lequel un individu peut comprendre les sentiments, le ressenti et les émotions d'une autre personne. Cette compréhension favorise la reconnaissance des sentiments et des émotions d'autrui. Ainsi l’empathie nous permet de partager avec elle ce qu’elle ressent, que ce soit de la joie, de la tristesse ou une quelconque souffrance, mais sans forcément les ressentir soi-même, en retour. 

Ce qui fait que l’empathie nous permet d’étendre notre vision des choses au point de vue d'autrui, plutôt que de la limiter à notre point de vue. L’empathie est ainsi ce qui permet de se changer soi-même, de changer son regard sur autrui, de penser avec raison, d'auto élucider de ses propres démons, de débusquer et repérer les schémas de pensée et paradigmes qui gouvernent nos opinions et représentations, en se mettant comme « à la place de l’autre», mais sans jamais y perdre son identité.

L'empathie se serait développée parce que « se mettre à la place de l'autre » pour savoir comment il pense et va peut-être réagir, constitue un important facteur de survie dans le monde, essentiel à la survie de notre espèce. Mais elle agit sans souffrance, comme cela arrive dans le cas de la compassion, ou de la sympathie mais permet d’agir en faisant reculer nos limites.

 

Dans notre existence, toutes nos expériences ne sont pas toujours «vécues». La majorité ne l’est même pas! Je peux avoir vu la souffrance de quelqu’un qui s’est fait mal en se tapant sur les doigts avec un marteau, et comprendre sa douleur sans forcément que cela m’arrive. Si un ami a perdu un être cher, nous pouvons ressentir de la tristesse pour lui, même si nous n’avons pas vécu la même perte. En observant les émotions et les réactions des autres, en écoutant leurs récits, en voyant des événements tragiques, en lisant l’histoire ou des histoires, nous pouvons ressentir des souffrances ou des joies, et, par-là, développer encore plus notre capacité d’empathie. (C’est ce que la psychologie appelle l’empathie cognitive). (2)

Ressentir ce que quelqu’un ressent, éprouver ce qui le touche, se fait sans que nous ayons, ou non, vécu les mêmes expériences que lui. Dans cette optique, il n’est donc pas nécessaire d’avoir toujours souffert personnellement pour ressentir de l’empathie envers les autres

 

Sachant que, comme toute capacité, l’empathie est plus ou moins développée chez chacun, et bien que l’expérience personnelle puisse cependant encore renforcer notre empathie, ce ne semble pas être une condition préalable ou nécessaire.

 

Cette disposition à l’empathie est à la fois une faculté innée, autant le résultat de l’éducation que de nos diverses expériences de vie. Dès les premiers stades de son développement, par l'activation des neurones miroirs, l'enfant observe l'état émotionnel de son entourage et accède à cette possibilité de se « mettre à la place de l'autre ». Nous sommes dans un rapport permanent avec les autres, sans lesquels nous ne pouvons pas nous constituer en tant que tel. Dès l’enfance, le cerveau enregistre les mêmes sensations, les mêmes sentiments que celui en face. Cette construction s'opère grâce aux neurones miroirs, stars des neurosciences, qui ont permis de poser des bases physiologiques à l’empathie, (selon le neuropsychologue Vittorio Gallese). Ils ont la particularité de s’activer aussi bien lorsque nous faisons quelque chose, que lorsque nous voyons quelqu’un d’autre le faire: si une personne en voit une autre pleurer ou rire, ses neurones miroirs s’activent, par exemple, en voyant les distorsions du visage de son vis-à-vis, permettant le ressenti de la joie ou de la tristesse de l’autre, par un processus mimétique. Et, à l’inverse, un geste agressif créera, tout autant, des sentiments négatifs. Alors certains resteront bloqués sur un mode de ressenti qui mène à l'envie, à la colère, à la jalousie parce que dans leur enfance ils ont été habitués à voir leurs parents se disputer, ou parce qu'ils ont eux-mêmes souffert de mauvais traitements

 

Les neurones miroirs seraient donc un mécanisme très ancien et essentiel pour l’adaptation d’une espèce à son environnement, parce qu’ils permettent de moduler son action sur celle des autres, dans une sphère d’interactions complexes entre individus, qui fait autant ce que nous sommes, que notre physiologie et nos cultures, en produisant de l’empathie qui peut être autant positive... que négative. Empathie qui crée un lien fondamental avec autrui, qui permet d’être à la fois le même et l’autre, sans éprouver les mêmes sentiments comme dans la sympathie, mais de rester soi, de garder du recul. C’est une faculté libre qui nous permet de mener à bien une négociation, une conversation, une approche, que l'on soit méchant ou gentil.

 

Or, sa connotation la plus répandue est celle d'un comportement toujours bénéfique, généreux, bienveillant, attentif... Mais l'empathie peut aussi être négative et ne pas être ce qui pourrait avoir toujours un lien avec la souffrance, comme semble le suggérer notre sujet!

C'est elle aussi qui va permettre à un tortionnaire d'atteindre sa victime ou d'obtenir des aveux plus facilement. Le très bon séducteur, négociateur ou pédagogue, tout autant que le sadique ou le pervers va savoir convaincre en rentrant dans le psychisme de l'autre pour mieux le manipuler ou venir à son aide.

Selon les fins recherchées. C’est une capacité variable d'un individu à l'autre, qui ne nous oriente pas forcément tous à avoir le même comportement et à aller vers le bien, et peut servir à faire le mal. L’empathie permet de comprendre l’autre en restant soi-même, et ainsi de lui infliger de la souffrance, ou de l’en guérir, tout en maintenant son propre « soi » à distance.

 

Ce qui peut se faire, selon le philosophe Frédéric Worms, pour qui “nous sommes des animaux empathiques”, parce qu’elle est à la fois innée, mais aussi le fruit d’une construction. (D’après Philomag- Janvier 2016).

«Avant d’être des normes abstraites, le “bien” et le “mal” sont d’abord des catégories que nous découvrons dans le rapport concret, vital, avec autrui : le bien est ce qui est bon pour nous, ce qui satisfait nos attentes ; inversement, le mal est synonyme de souffrance ou de privation. Au début, ces états de plaisir ou de douleur sont rapportés aux intentions d’autrui qui est perçu comme bienveillant ou malveillant (il me donne à manger ou me refuse toute nourriture). Comme le dit Rousseau dans l’Émile, celui qui me veut du bien, je l’aime ; celui qui me veut du mal, je le hais. L’éveil aux notions de bien et de mal se fait dans de telles polarités, inévitables et inséparables : plaisir/douleur, bienveillance/malveillance, amour/haine. Ensuite, cet apprentissage relationnel du bien et du mal va devenir, dans un second temps, plus rationnel et réflexif, suite à l’intervention de l’enseignement de la morale et de ses règles universelles de comportement».

 

L’empathie est donc protéiforme, à la fois positive et négative et n’est pas gage de moralité. C’est une aptitude que l’on doit faire dialoguer avec la morale et la justice.

Ni bonne, ni mauvaise, c’est une capacité qu’il faut apprendre à gérer : elle est ce que l’on décide d’en faire.

La capacité à “se mettre à la place de l’autre”, à comprendre ce qu’il ressent, à s’identifier à lui dans ses joies et ses peines, n’en fait pas une solution miracle dans le développement de nos conduites morales.

«Tout d’abord, l’expérience montre que l’homme est capable aussi d’antipathie, de malveillance – il peut devenir le plus impitoyable des vivants. L’empathie peut être empêchée, bloquée, voire disparaître chez certains êtres humains ». Un enfant peut être soumis dès son plus jeune âge à des traitements d’une violence extrême ou à une idéologie déshumanisante: comment pourrait-il la développer ? Les tueurs en série n’en ont aucune pour leurs victimes…» Ainsi, pour Worms, «l’empathie n’est possible chez un individu que si lui-même a déjà fait l’objet d’attentions bienveillantes. C’est l’empathie à notre égard, résultat d’une expérience de vie concrète et relationnelle, qui permet à notre empathie à l’égard des autres de s’exercer».

Il faudrait donc, dans cette optique, ne pas d’abord avoir souffert pour pouvoir avoir de l’empathie!

 

La souffrance, c'est ce que notre esprit fait de la douleur, mais, dans le sens de notre sujet, selon Boris Cyrulnik, elle proviendrait du déséquilibre ressenti entre ce qui est, et ce que l’on suppose devoir être. «C’est la distance entre [ ] le déséquilibre naturel de l’aventure humaine et, soit la norme culturelle, qui n’est qu’un modèle néanmoins perçu comme une réalité, soit la référence du passé qui, bien qu’aléatoire avant sa survenance, devient une référence, une « figure d’attachement». Cette « distance » aurait un sens, puisque « tout ce qui ne me tue pas, me rend plus fort ». Comme, par exemple, celle du Christ, qui, par sa souffrance, offre le départ d’une nouvelle société.

 

Ainsi, avoir de l’empathie pour quelqu’un ne veut pas dire approuver ou réprouver ce que l’autre ressent, c’est percevoir et comprendre ce qui l’affecte de son point de vue, que ce soit de la joie, de la tristesse, ou de la colère, etc…. Une distance est gardée entre soi et l’état affectif de l’autre, on ne ressent pas soi-même ces émotions : il n’y aurait pas de contagion émotionnelle. En faisant preuve d’empathie, il s’agit d’éviter de confondre sa place avec celle d’autrui : il y a une distinction entre soi et autrui.

Le risque d’une trop forte identification à l’autre est de nier sa singularité en s’appropriant ses affects. La reconnaissance des émotions de l’autre est plus profonde et permet d’établir un lien plus fort, il est alors possible d’entrer en résonance affective avec l’autre. Etre conscient des émotions éprouvées par l’autre tout en gardant ses propres affects, c’est le partage émotionnel empathique. Faire preuve d’empathie c’est donc essayer de comprendre l’expérience subjective de l’autre en nous représentant ce qu’il ressent : la tristesse de l’autre n’est pas ma tristesse, sa souffrance n’est pas ma souffrance, mais je les comprends.

 

Après l’assassinat de professeurs, de prêtres ou de simples passants, les noyades massives en mer de migrants, les massacres de populations à travers le monde, nous pouvons ressentir de la souffrance, partager celle des victimes ou des survivants, sans, pour autant, « souffrir » de la même manière que ceux qui ont vécu, expérimenté, ces événements.

La nôtre n’est pas le fruit d’un « sentir avec », de la rencontre avec autrui, mais d’un raisonnement, d’une opération mentale, cependant sélective ! Un étrange dérèglement empathique, une “faille empathique majeure”, selon Delphine Horvilleur, qui peut nous porter à ressentir de l’empathie envers des êtres lointains et à ignorer nos semblables qui sont devant nous. Voire même à les détester pour les mêmes circonstances, ajoutant la haine à la haine. Une vision de l’empathie «dont les effets risquent d’enfermer les membres de chaque communauté dans un “entre soi» d’empathies sélectives ».

Il y aurait un autre lointain, (un soldat en Ukraine) et un autre proche, (un acteur adulé) dont le décès ne provoque pas le même sentiment. Ils ne font pas partie du même univers mental, de notre culture, de nos propres expériences, alors que toutes les vies devraient être dignes de provoquer la même empathie.

 

Cette vision de l’empathie en fait un affect fermé, qui a tendance à renforcer les liens communautaires et immédiats – de ressemblance, d’affinités idéologiques et sociales, privilégiant avant tout ceux dont l’existence devient sensible, concrète à nos yeux, qui sont reliés à nous d’une manière ou d’une autre, et dont la disparition ou la blessure provoque chez nous une souffrance, ressentie à des niveaux divers. Ce ne serait pas, alors, la souffrance qui provoque l’empathie, mais l’empathie qui amène à la souffrance

Une empathie qui évacue une de ses dispositions essentielle: la distance avec soi!

 Peut-être parce que l’émotion que l’on peut – ou non – ressentir est aujourd’hui médiatisée par un travail journalistique, politique ou associatif de « construction de la proximité ». À la mort de l’Iranienne Mahsa Amini après son arrestation par la police des mœurs locale, par exemple, de nombreuses personnes ont pu se dire : « Elle aurait pu être ma sœur ou ma fille. » Comme si alors elle appartenait à un cercle proche ». Cette femme, dont tout le monde a pu voir le visage, est ainsi sortie de l’abstraction – principale cause de l’indifférence –, car « une abstraction n’a ni chair, ni qualité.

On se rappelle où l’on était et ce que l’on faisait le 11 septembre 2001 ou le 13 novembre 2015. Quelque chose nous relie à jamais à ces drames mais aussi au reste du monde. On sait que l’on est là, bien vivant, mais que l’on aurait pu être à Paris, attablé dehors à la pizzeria Casa Nostra ou en train d’assister au concert des Eagles of Death Metal au Bataclan. On se dit aussi que l’on aurait pu se promener en Seine-et-Marne sur la RD372 et percuter de plein fouet la voiture de Pierre Palmade en 2023.

 

Mais il ne s’agit plus vraiment d’empathie, mais de contagion émotionnelle par laquelle une personne éprouve le même état affectif qu'une autre sans conserver la distance entre soi et autrui. Le fou rire est un exemple de contagion émotionnelle, tout comme les mouvements de panique d’une foule.

Alors que l’empathie est la capacité de ressentir les émotions, les sentiments, les expériences d'une autre personne, son affectivité, sans pour autant qu’il y ait confusion entre soi et l'autre, sans qu’il y ait tout mouvement affectif personnel ainsi que tout jugement moral. Elle n'implique pas de partager les sentiments ou les émotions de l'autre, ni de prendre position par rapport à lui, contrairement à la sympathie ou à l'antipathie.

 « Dans l'empathie le soi est le véhicule pour la compréhension [d'autrui], et il ne perd jamais son identité.

L'objet de la sympathie est de prendre part à l’émotion éprouvée par autrui. L'objet de l'empathie est la compréhension.

D’après Edgar Morin, comprendre autrui, c'est apprendre à repérer les clichés et stéréotypes qui emprisonnent nos jugements, les réduisent et les mutilent. C'est faire un travail d'auto élucidation de ses propres [ ] schémas de pensée et paradigmes qui gouvernent nos opinions et représentations.

Bien qu’elle puisse être émotionnelle lorsqu’elle désigne la capacité à comprendre les états affectifs d'autrui, elle est surtout cognitive, c'est-à-dire capacité à comprendre les états mentaux d'autrui.

 

Il convient de distinguer l’empathie de la compassion, de l’apitoiement, de la commisération ou de la pitié, qui sont autant d'expressions passives de la perception que l'on a de la souffrance d’autrui.
L’empathie permet de ne pas retenir de l’autre que cet être souffrant, ce qui ne ferait que l’enfermer dans ce qu’il n’est pas. Tout être est fait de joie et de souffrance et n’est pas que dépendance et absence de liberté.

L'empathie, sous-entend une pratique relationnelle à la fois innée et qui s'enseigne et s'apprend, donc une pratique culturelle. Elle se construit dans le temps et s'acquière.

Connaître et comprendre, grâce à l’empathie, permet même de lever l’angoisse de souffrir, et une évolution de soi vers quelque chose de meilleur, meilleur dans l'approche des autres, sans jugement, une distance qui n’implique pas d’avoir, soi-même, éprouvé de la souffrance au préalable.
 

N.Hanar

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NOTES

1- La sympathie est un ressenti spontané et chaleureux de quelqu'un vers une autre personne qui lui fait participer à sa joie, ou à sa peine. Elle suppose un partage de sentiments et l'établissement de liens affectifs, tandis que l'empathie est la capacité de comprendre précisément les sentiments d'autrui tout en conservant une distance affective par rapport à l'autre.

« Être en sympathie avec l’autre consiste à se soucier de son bien-être ». Cette préoccupation pour autrui est liée à une plus grande implication émotionnelle que dans l’empathie, l’investissement est plus grand, il y a du soutien et un intérêt qui va au-delà d’une posture empathique. Il y a une forme de communion entre les états émotionnels de l’autre et les siens : on est en accord avec ce qu’il ressent, ses bonheurs comme ses malheurs. Il y a un jugement moral lié à la sympathie: j’approuve le sentiment que ressent l’autre.

 

La compassion serait le fait de souffrir, d’endurer ou d’éprouver avec autrui. Par ce sentiment on est porté à percevoir ou ressentir la souffrance des autres en la partageant. Etymologiquement, compatir, c’est " souffrir avec" un autre sujet, en présence de sa souffrance, une souffrance qui non seulement ne laisse pas indifférent mais qui fait souffrir à son tour.

Comme l'a montré Schopenhauer, la compassion est capable de convertir l'égoïsme en amour, puisque le moi qui contemple la souffrance d'autrui éprouve à son tour une sorte de souffrance et qu'ainsi les individus cessent d'être clos et enfermés sur eux-mêmes.

Mais la compassion a aussi ses limites : pleurer sur le sort de quelqu'un ne l'aide généralement pas, et, de plus, le limite à un être souffrant ? Nietzsche la condamne sévèrement, ("Mitleiden"), comme étant une contagion affective du malheur, la transmission en chaîne de la souffrance, une déperdition de vitalité qui multiplie la souffrance au lieu de la guérir.

Peut-être ne la distinguait-il pas du simple apitoiement, de la commisération ou de la pitié, qui sont autant d'expressions passives de la perception que l'on a de leur souffrance. Parce que, au contraire, celui qui est capable d'éprouver de la compassion, "se laisse toucher", le toucher étant lui-même le paradigme de l'expérience sensorielle de la proximité, de ce qui n’enferme pas l’autre seulement dans ce qu’il n’est pas. Elle nous met face au fait que tout être, comme chacun de nous, est fait de joie et de souffrance et n’est pas que souffrance, dépendance et absence de liberté. La compassion fait comprendre que l’autre est mon égal.

Mais ce n’est souvent qu’une posture et de la communication. Sitôt que le fait divers est remplacé par un autre, la réaction se porte sur un nouvel objet.

 

La solidarité est le rapport existant entre des personnes qui, ayant une communauté d'intérêts, s’estiment liées les unes aux autres par une responsabilité commune, ou des intérêts communs.

 

2-Selon Serge Tisseron, il faut distinguer trois composantes de l’empathie pour autrui, qui se développent depuis l’enfance : l’empathie émotionnelle (identifier les états affectifs de l‘autre), l’empathie cognitive (comprendre, intellectualiser les états mentaux de l‘autre en les distinguant des siens) et l’empathie mature qui est la combinaison des deux (comprendre et se mettre à la place de l’autre sans perdre sa subjectivité).

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empathie
langage

Le langage est-il ce qui nous rapproche ou ce qui nous sépare ?

 

Pourquoi la question se pose-t-telle ?

 

A l’origine de notre culture occidentale, le mythe de la tour de Babel, a fait de la langue, l’instrument de séparation de l’humanité. Selon la Bible, les hommes de Babylone ne parlaient qu'une seule langue et ne formaient qu'un seul peuple, jusqu’au jour où leur vint à l'idée de construire une « tour de Babel », la "porte du ciel", afin de conquérir les cieux, (en s’identifiant au divin) et faire qu’un seul peuple, utilisant une seule langue, puisse dominer le monde, la nature et les éléments. Ce qui n’est pas sans rappeler les caractéristiques de bien des civilisations actuelles, comme également notre culture occidentale, fondée sur un système d’abord religieux et guerrier, puis économique, et parfois guerrier, dans le même but.

La Bible nous dit que Dieu, (ou le Livre qui pourrait être la sage somme des vécus humains antérieurs?), les trouvant trop orgueilleux, les punit en leur faisant parler des langues différentes, si bien que les hommes ne se comprenaient plus, et dans ce lieu régna le brouhaha et la confusion. Ils furent alors contraints de se disperser sur la Terre, formant ainsi des peuples étrangers les uns des autres.

Il n’y a plus de doute que la tour de Babel a véritablement existé dans l’ancienne ville de Babylone en Mésopotamie (début du 6e au 5e siècle avant J.C).Rien n’en reste, mais son empreinte, un carré de 90 mètres de côté, reste visible depuis les photos satellites.

Or, la dispersion, la séparation des humains par le langage, est ce qui les oblige à aller au-dehors, de leurs certitudes, de leur vision d’une seule idée, d’une morale ne pouvant évoluer, et donc de moyens d’existence en commun figées, d’une condition humaine exclusive. De plus, la dispersion géographique évite une descendance consanguine à partir d’une filiation unique. La volonté de concentration symbolisée par la Tour, réduisait l’humanité en une unité qui ne permettait aucune évolution ultérieure.

Ce qui a été désigné comme un "châtiment" divin contraint, peut tout autant être considéré comme une « bénédiction». Comme la liberté de désobéir fut donnée à Adam, afin qu’il puisse quitter le paradis ou rien ne se passe, l’humain accède alors à la diversité, grâce au langage. Le monde, alors cosmopolite, est ainsi composé de gens qui ne se comprennent pas immédiatement, mais qui peuvent se compléter et évoluer dans le but de socialiser et d'humaniser l’existence.

Un langage qui sépare pour mieux rapprocher les individualités humaines reconquises.

 

Le langage, nous en avions débattu à propos des « limites du langage », et nous avions observé que le terme « langage » désigne différents systèmes de signes, vocaux, écrits, gestuels ou graphiques, qui permettent de communiquer aux autres, des savoirs, des pensées, des informations ou des sentiments.

Tout langage a donc pour origine et pour vocation de communiquer, d’entrer en contact avec les autres, d’échanger et d’interagir, ce qui permet d’abord de construire, puis de maintenir et de renforcer des relations sociales: il semble donc bien contribuer au rapprochement entre humains.

 

Cette faculté, qui donne aux humains la capacité d'exprimer des pensées à l'aide de signes, concrets ou abstraits, ne fait pas du langage qu’un outil destiné à la communication, un signe qui n’aurait d’existence que pour autant qu’il s’exprime. Il est tout autant le moyen qui nous permet de penser, de développer des idées, et de produire de la connaissance, des opinions, des certitudes et des savoirs. Parce qu’on ne pense pas en dehors du langage, que penser sans les mots n’a pas de sens et qu’une pensée pure, indépendante du langage, n'existe pas. Et si nos pensées peuvent bien nous rapprocher, elles peuvent tout autant nous séparer. Alors, tout outil, toute capacité, dépendant de l’utilisation que l’on en fait, le langage, comme système se signes destiné à communiquer des informations et à produire des pensées, est-il plus ce qui nous rapproche que ce qui nous sépare?

 

D’abord, ce qui importe, c’est ce que nous avons à transmettre.

Par l’intermédiaire du langage, nous exprimons et partageons notre compréhension du monde et indiquons ce que nous sommes. Nous pouvons alors l’utiliser comme un moyen de persuasion et d’influence, un moyen de pouvoir et de contrôle, ce qui nous rapprochera de certains et nous éloignera d’autres. Ce que nous exprimons indique notre appropriation de la réalité, comment nous l’avons identifiée, pensée, habitée, et c’est ce qui décidera de l’attitude positive ou négative d’autrui. Toute description ou interprétation de la réalité étant soumise à la signification du langage utilisé.

 

Nous sommes à la fois des individus et des êtres sociaux, libres et dépendants.

L'interaction avec les autres nous est indispensable, pour notre survie, dès la naissance et notre condition humaine nous insère dans un contexte social de contact avec d'autres personnes: le lieu et l’époque de notre naissance, la famille, l’instruction et les savoirs qu’on en retient, nos expériences, notre passé, notre vécu, nos peines et nos joies, nos blessures et nos combats, nos amitiés et nos amours, etc….En permanence, nous sommes en mouvement, en transformation, en interaction avec notre environnement, et recherchons à cerner qui nous sommes, en quoi nous sommes différents des autres, et comment vivre au mieux avec eux.

Nous pensons pouvoir dire : "je suis ce que je pense être", mais ce n'est que notre point de vue, d’autant que Sartre a démontré que l’autre nous assigne un personnage que nous ne sommes pas fondamentalement, mais avec lequel nous devons vivre. (« Je est un autre »)

Alors, je peux être tenté de masquer ma différence, par ma gestuelle, l’usage de ma langue, des productions artistiques, en faisant semblant d’être pareil à autrui afin de préserver ma place dans la société, de faciliter les échanges, lorsque je ressens leur peur d’une différence qu’ils ne peuvent pas maîtriser, comme  je peux manifester de la même manière, ostensiblement, ma différence pour les surprendre et provoquer leur questionnement, pour leur transmettre quelque chose, vouloir établir un véritable échange, se rapprocher sans les réduire à leur altérité, en essayant d’établir un espace commun.

En général, il faudrait se ressembler un peu pour se comprendre, se rapprocher et se rassembler, mais il faut aussi être un peu différent pour se distinguer en tant qu’individu.

 

Mais cette démarche peut aussi diviser.

Le langage doit s’inscrire dans des structures de conventions, afin d’être compris, de traduire la pensée avec justesse. Comme tout signe se rapporte toujours à autre chose que lui-même, il doit s’inscrire dans des structures de conventions, afin d’être compris Il n’y a pas de référence objective aux mots ou aux gestes qui constituent le langage. Non seulement un mot peut désigner plusieurs choses: une table peut être de multiplication, des matières, d’orientation, d’harmonie et même un meuble, et le mot qui désigne n’est pas le même d’une langue à l’autre. Les mots sont toujours généraux, tandis que les choses que nous voulons décrire et les sentiments ou les idées que nous voulons exprimer, sont singuliers. Lorsque je dis « je suis en colère », je ne suis pas certain de parvenir à exprimer la singularité de mon sentiment, ni que cela correspond à ce que mon interlocuteur entend par « colère ».

Il y a donc là un décalage qui peut se produire lorsque l’expression du langage est perçue par celui auquel il s’adresse, en fonction de sa situation professionnelle, socioculturelle, ou du contenu de son savoir personnel. Ce que le langage veut traduire peut être très différent de ce qui sera compris, d’autant que même au sein d’une même langue, le nombre de mots à disposition est limité, comme les capacités à s’exprimer.

 

Alors, le malentendu est possible (je t’aime), comme le conflit parce qu’il n’y a pas de corrélation absolue entre le mot et la chose, entre l’expression des uns  et le ressenti des autres.

Comme le dit Noam Chomsky, « Le langage est un processus de libre création ; ses lois et principes sont fixés par des conventions, mais la manière et la raison pour lesquelles il est utilisé est libre et infiniment variée ». Le langage peut donc être utilisé pour créer des illusions, pour déformer la réalité, pour dissimuler la vérité ou ne pas la communiquer.

Comme il s'exprime par une matérialité (le geste, le dessin, la voix humaine ou l'écriture), qui sont différents de l'abstraction de la pensée, le rapport entre ce que le signe exprime (le signifiant) et ce que l’on souhaite exprimer (le signifié) peut être ambigu, ou mal compris, et être considéré comme un signe amical de rapprochement ou une tentative de prise de pouvoir, comme l’expression d’une description fidèle de la réalité ou comme un mensonge (une fake news).

 

D’autant qu’à notre époque, chacun se sent libre de choisir ce qu’il appelle la vérité.  Le wokisme, dont l’intention première était respectable : lutter contre l’inégalitarisme et les discriminations, est devenu ce qui réduit la vie en commun à un conflit de pouvoir entre groupes identitaires oppresseurs et oppressés, qui projettent leur absurde logique séparatiste sur n’importe quel événement qui se produit.

Lisa Keogh, en écosse, ayant osé dire que « les femmes ont un vagin », a été perçue comme agressant les personnes transgenre.

 

Une condamnation qui souligne le pouvoir accordé au langage, à l’interprétation idéologiquement protégée de certains mots. Ceux qui condamnent des termes, se rapprochent encore plus, en se séparant de la manière qu’eux seuls justifient, d’autres définitions conventionnelles des mêmes mots.

 

Le langage n’est qu’un système de signes qui renvoie ce que nous désignons par nos énoncés à autre chose, quelque chose de réel, de possible ou d’imaginable et à des objets abstraits comme des idées ou des théories.

Il est l’outil par lequel nous construisons notre réalité, exprimons et partageons notre compréhension du monde, et ce que nous sommes, un moyen de construire et de maintenir des relations sociales, un moyen de persuasion et d’influence, et un moyen de pouvoir et de contrôle. Un moyen qui peut rapprocher les membres d’une communauté ou toute l’humanité : ce que voulaient les humanistes, dans un temps qui parait aujourd’hui bien lointain, en définissant un certain nombre de valeurs qui se voulaient universelles, comme le respect, la considération, l'ouverture, la solidarité et l'empathie envers d'autres humains.

 

Le mythe de la tour de Babel symbolisait la volonté d’empêcher qu’un pouvoir hégémonique ne s’implante, en reconnaissant le pouvoir rassembleur du langage. Aujourd’hui, malgré la dispersion des humains et la diversité des langues utilisées, nous faisons face à la « Post-vérité », un langage qui ignore les faits et la nécessité de soumettre toute argumentation à ce qui s’est vraiment produit. Tout ce qui est exprimé de cette manière peut être faux, en toute connaissance de cause, pour en tirer bénéfice : rapprocher autour du pouvoir ceux qui veulent bien se rassembler autour de ces énonciations, parfois farfelues.

Comme le fit Donald Trump, prétendant que le président Obama, n’était pas né aux Etats-Unis mais au Kenya, sans que la publication du certificat de naissance de Barack Obama n’entame en rien la crédibilité de cette allégation. Ou Colin Powell le 5 février 2003 à l'ONU, brandissant un flacon censé être « la preuve » que les Irakiens fabriquent des armes de destruction massive.

Pour le philosophe américain Harry Frankfurt, (dans De l’art de dire des conneries - 2005): “le baratineur n’est ni du côté du vrai ni du côté du faux. […] Il se moque de savoir s’il décrit correctement la réalité. Il se contente de choisir certains éléments ou d’en inventer d’autres en fonction de son objectif”.

Ainsi, le langage provoque des rapprochements, qui, en même temps, séparent des communautés d’autres groupes humains.

 

Comme l’avenir n’est pas écrit, ce type de langage est destiné à faire advenir un futur souhaité, en réformant le langage, en interdisant l’usage de mots qui pourraient véhiculer des pensées dangereuses pour la domination de certains pouvoirs. Alors le sens des mots est déformé, des interdits sont installés, les cartes sont brouillées, les rôles sont intervertis, les victimes deviennent bourreaux et les bourreaux, victimes. La liberté d’expression se restreint et le langage devient « langue de bois »afin d’éviter qu’il ne sépare encore plus les individus.

 

La manière dont nous utilisons le langage détermine en grande partie son impact sur notre relation avec les autres et notre compréhension mutuelle. En accordant une attention particulière à notre utilisation du langage, en favorisant l'empathie, le respect et l'ouverture d'esprit, nous pouvons exploiter son potentiel de rapprochement et minimiser ses effets de séparation. Ainsi tant celui qui énonce que celui qui perçoit, se voient ouvrir un champ suggéré de possibilités à exploiter.

 

Encore faut-il être attentif à un certain nombre de chausses trappes.

Parce que tout langage véhicule toujours une certaine conception du monde, quelle que soit la volonté exprimée, il pourrait inciter à la haine ou nuire à la liberté d’autrui. La vie sociale suppose une forme d’hypocrisie pour préserver le lien social. C’est pourquoi les propos diffamatoires, racistes ou incitant à la violence sont interdits et condamnés par le Code pénal. De sorte que si nous avons le droit de penser ce que nous voulons, il ne nous est pas permis de l’exprimer toujours. L’acceptation de la loi, depuis les philosophes du « contrat social », à l’origine de nos démocraties, Hobbes, Locke et Rousseau, même s’ils ne s’accordent pas tout à fait sur les conditions et les modalités de ce contrat, est fondatrice d’une communauté qui rapproche les humains.

 

Mais, en restant dans le cadre ainsi fixé, nous avons le devoir : - d’essayer de maintenir la véracité de notre langage, c’est-à-dire, de ne pas remplacer ce que nous avons compris des événements par ce que nous aurions voulu qu’ils soient selon nos croyances et nos certitudes, ce qui aurait un effet séparatiste.

-d’éviter toute expression ou comportement ambigus ou imprécis, qui autoriseraient la possibilité d’une pluralité de significations, et des interprétations différentes, voire opposées.

-de ne pas exclure toutes les pensées divergentes des nôtres, mais d’établir avec elles une relation permettant de faire évoluer ce qui les distingue vers une acceptation des différences, sans pour autant, vouloir qu’elles s’éliminent.

 

Le langage ne peut abolir ce qui nous sépare : je suis moi et tu es toi. L’admettre, nous rapproche.

Sinon, parce que la parole singulière ne pourrait être universelle, les controverses naitront toujours si «les hommes n'expriment pas correctement leur pensée ou qu'ils interprètent mal la pensée d'autrui ». (Spinoza).

 

Le langage permet de décomposer une situation et de la perpétuer, c'est-à-dire d'échapper à la contrainte de l'actualité pour prendre position dans la sécurité de la distance et de l'absence de l’immédiat.

Alors, comme le voulait Aristote, (la Politique) : le langage fait un lien entre les hommes, et permet la création d'une communauté de valeurs.

 

Le langage est un outil, un instrument de pouvoir et de contrôle, mais aussi un instrument de libération et de révélation, susceptible de nous rapprocher ou de nous séparer, sachant que de toute façon, même s’il nous sépare, la communication et donc une forme de rapprochement, s’est également accomplie.

N.Hanar

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libérer désirs

Faut-il libérer ses désirs ou se libérer de ses désirs ?

 

« Faut-il », dans ce sujet, n’est pas à considérer comme le questionnement d’un devoir, d’une nécessité, mais d’une préférence: vaut-il mieux, pour nous, pour un heureux accomplissement de notre être, libérer ses désirs ou se libérer de ses désirs ?

 

D’abord, je tiens à apporter une précision nécessaire, parce que, la plupart du temps, les définitions des dictionnaires, des écrits philosophiques, des coaches de vie, et même Chat GPT, ne différencient pas le désir et les désirs, parce que leurs raisonnements, justifiant leurs idées, sont ainsi facilités. (Et, de plus, il est probable que le malentendu provienne en grande partie, des traducteurs, des exégètes et de notre connaissance des anciens plus par leurs commentateurs que directement par leurs écrits).

Par exemple, le robot conversationnel de Microsoft, ne fait que répéter cette source de confusion: « Il y a deux grandes conceptions du désir dans la philosophie : celle qui le considère comme une force positive, qui exprime la nature profonde de l’homme, et celle qui le voit comme une faiblesse, qui le détourne de la raison et du bien. »

Or, si LE désir, est ce qui exprime la nature profonde de l’humain, qui le constitue, et désigne « l'unique force motrice qui nous traverse, qui nous constitue, qui nous anime ». (Spinoza reprenant Aristote), ce désir est sans objet précis: il est [notre être même], le support qui anime la démarche de vivre et de créer.

(Pour Aristote (De Anima), le désir est en nous l'unique force « qui peut mouvoir en dehors de tout raisonnement » : c'est parce que nous désirons que nous sommes notre « propre moteur ». Chez Spinoza : « toute chose, autant que [le désir] est en elle, s’efforce de persévérer dans son être ». C'est le conatus, et le principe de « tous les efforts, impulsions, appétits et volitions de l'homme ». Pour Schopenhauer : «Ce n'est pas la faculté de raisonnement et ce qu'on appelle l'intellect qui est principe de mouvement, mais c'est selon le désir que l'on agit.»)

LES désirs, par contre, sont multiples, ont de nombreux objets, et se présentent comme des tensions vers des buts à atteindre, considérés comme des sources nécessaires de satisfaction, de plaisir ou permettant d’accéder au bonheur. Ils sont même ressentis comme des besoins, bien que, contrairement à ces derniers, ils ne correspondent pas forcément à une nécessité vitale, aspirant souvent à un au-delà du nécessaire.

Le désir et les désirs correspondent donc à deux concepts différents : le désir, la force qui nous anime, dont on ne peut se libérer, n’a pas d’objet, alors que les désirs en ont d’innombrables.

 

Nous prenons conscience du désir, en ressentant nos désirs, qui, en nous mettant face à face à nos limites, peuvent nous faire ressentir manque, échec, frustration, souffrance, ou bonheur, jouissance ou satisfaction. Le désir nous fait agir, mais notre propre volonté ne peut avoir d’action que sur les désirs.

Alors, cette action faut-il qu’elle consiste à nous libérer de nos désirs ou à les libérer?

 

« Se libérer » signifie se dégager de ce à quoi on est assujetti, de ce qui nous domine: une condition de prisonnier : le présupposé est donc que les désirs nous enchaînent. Faut-il se libérer, s'affranchir, d’un passé issu de l’histoire de notre environnement, de nos expériences personnelles, qui nous enfermerait et conditionneraient ainsi notre vision, nos actions en faveur de l’avenir, sans nous laisser libres de nos choix ?

Ou, au contraire, les libérer, parce que nos désirs sont également ce qui donne du sens à la vie et renforcent notre identité. Ne se définit-on pas surtout par ce que nous désirons devenir ?

Sinon, ce pourrait être une vie impersonnelle, sans vie, vécue à côté de soi, qui expose à un vide existentiel, à l’ignorance de “qui l’on est”. Ce sont nos désirs qui donnent un sens à notre vie ».

 

L'étymologie du mot « désir » amène à la notion de manque. Le mot latin « desiderium » désigne un besoin, une exigence naturelle et le manque de quelque chose qu'on a eu, connu, ou que l’on souhaite, et qui fait défaut. Tous nos désirs correspondent à un manque, la recherche d’un moment ou le mal être du manque n'existerait plus, d’un état de plénitude et de contentement. Ce qui qualifie la condition humaine !

Peut-on réellement envisager un Homme sans désirs, qui ne pourrait désirer une infinité d'objets à la fois, ayant des « besoins non nécessaires », sans le déshumaniser ?

Nos désirs sont à la base de notre relation à autrui. Pour Aristote, la philia (Agapé, l'amour universel; Éros, l'amour physique; Philia, l'amitié) est indispensable au bonheur. Cette amitié devient le ciment pour créer une Cité heureuse, équilibrée, et harmonieuse : elle permet d'aller vers l'autre, de sortir de sa solitude.

 

Les désirs ne sont pas bons ou mauvais en soi....S’en libérer serait renoncer à notre condition humaine. Ne vaudrait-il pas mieux, alors, chercher à les contrôler plutôt que de chercher à s'en libérer, sans toutefois céder à ceux qui sont débridés, sans leur laisser libre et ainsi condamner notre stabilité et celle de la société?

En conséquence, les désirs ne se caractériseraient plus par « ce que ce que l'on a en moins » mais par ce que nous pouvons faire de « plus », pour ouvrir la voie à la connaissance, à la création, la joie, et à la célébration de la vie. C'est parce que l'homme désire qu'il crée, c'est parce que l'homme crée qu'il vit !

Libérer ses désirs peut nuire à la société, aux autres et à soi, mais s’en libérer ne reviendrait qu'à nier un aspect fondamental de la nature humaine.

 

Une fois que nous prendrons connaissance des causes qui déterminent nos désirs, alors nous parviendrons à les accompagner de conscience, en identifiant ceux qui sont en phase avec nos valeurs, nos aspirations et qui, de fait, par leur réalisation, donneront du sens à notre existence et renforceront notre identité.

Suivre Oscar Wilde : « Le seul moyen de se libérer de la tentation, c'est d'y céder », consisterait donc à assouvir tous ses désirs. Mais céder, ce n’est pas être libre !

 

Comme si la réalisation de l'un des désirs allait nous combler, nous aider à progresser. Comme si tout désir n’était pas immédiatement remplacé par un autre, et ne règlerait pas la question d’une permanente insatisfaction. LES désirs étant la manière dont LE désir s’exprime (et se reconnait), la situation est bien plus complexe. Si les désirs nous enferment, ils sont aussi constitutifs de la nature humaine... Si bien qu'un homme qui ne désire pas ne serait plus entièrement humain.

 

Or, se libérer de ses désirs ou s’en libérer constitue un chemin difficile.

 

D’abord parce que nous avons tendance, selon le « désir mimétique », défini par René Girard, à désirer ce que désire l'autre, ce qui peut aller jusqu’à vouloir l’élimination de l'autre afin que l'objet désiré ne soit qu'à nous. Pour éviter ce conflit, René Girard affirme que la société a besoin d'un tiers, un bouc-émissaire, dont la mort permettra l'établissement d'un équilibre dans la communauté. Impossible donc de s’en libérer, tout autant impossible de libérer ce désir : on ne pourrait que lui céder par l’intermédiaire du bouc émissaire !

Notre actualité montre bien que les conséquences de cette impasse peuvent être mortifères.

 

Ensuite, parce que nos sociétés inventent sans cesse de nouveaux éléments de désirs. Chacun y adhère et les ressent différemment, parce que chacun est seul à être ce qu’il est, à vivre ce qu’il vit.

Quels sont ces objets des désirs ? Ils sont multiples, une multitude de désirs visant chacun un objet différent, une envie, une satisfaction, un plaisir. Un portable, le paradis, jouer, rêver, chanter, aimer, être aimé, travailler, se battre, un pantalon, la beauté, l’intelligence, la jeunesse, et parfois même mourir, une liste hétéroclite sans dénominateur commun : il n’y a pas de réponse unique, du fait de situations différentes et même de conséquences opposées. Slavoj Žižek fait remarquer que les enfants délaissent l’œuf en chocolat Kinder pour se ruer sur la surprise cachée à l’intérieur. La recherche de satisfaction des désirs ressemble à puzzle dont des pièces sont absentes, mais qui reste incomplet lorsqu’on en trouve. Compléter un puzzle n’est pas combler un manque, mais construire une image avec des éléments disponibles qui sont déjà là.

 

Ce qui fait que l’on peut satisfaire des désirs sans pour autant éprouver de plaisir: les fumeurs savent bien que le plaisir n'est pas toujours [ ] présent, à chaque cigarette », que ce n’est pas le bonheur que de satisfaire tous nos multiples désirs, tous nos penchants. Nous pouvons prendre l’exemple de désirs qui n’impliquent pas toujours une évaluation positive de leur objet. Fumer est une mauvaise idée. Pourtant un fumeur désire cette cigarette, sachant qu’elle ne lui fera pas de bien. Peut-être est-ce par une prise de conscience qu’il n’y a là que l’apparence d’une satisfaction qu’il pourra se libérer de ce type de désirs ?

 

Parce qu’il existe, selon la psychanalyse, deux forces psychiques fondamentales : éros, joyeux et créateur, et thanatos, mortifère, à l’œuvre dans nos désirs. L’existence de cette tentation autodestructrice invalide l’idée d’Aristote, qui pensait que la sage raison pouvait toujours l’emporter sur nos impétueux désirs.

A moins de comprendre que libérer ses désirs, ce n’est pas y céder. Se libérer c’est se dégager de ce à quoi on est assujetti, de ce qui vous domine :

 

Toute notre éducation, notre environnement moral, légal, nous demande de les contrôler, voire de les transformer, ou de les orienter, de les sublimer parfois, ou, comme les Stoïciens, de les supprimer si leur objet de dépend pas de nous. 

Devons-nous pleinement les assumer, nous libérer de ces contraintes qui nous limitent ou bien nous en libérer parce qu’ils feraient de nous d’irresponsables et passives victimes ?

Alors, le bonheur résiderait-il dans l'absence de désirs ?

 

Le bonheur est une expérience individuelle. La conception du bonheur de l’un ne sera pas celle de l’autre.

D’autant que même le « contenu » du bonheur est indéterminé, et il n’est jamais certain que ces éléments feront réellement ce bonheur qui pourrait-être « tout ce qui arrive entre deux emmerdements.»

 

Aujourd’hui, une pensée dominante, qui nous envahi, pousse à tout évaluer sous l'angle du plaisir et de la satisfaction de tous nos désirs

Notre société de l’immédiateté nous pousse à jouir et à consommer toujours plus.

Dans son école de philosophie, le Jardin, Épicure enseignait à ses disciples les bienfaits d’une vie simple, expurgée des désirs douteux. Il exhortait ses élèves à se satisfaire de tomates, de raisin, de fromage frais plutôt que de mets abondants servis avec des vins capiteux.

Descartes, dans son Discours de la méthode (1637), nous proposait de «changer nos désirs plutôt que l’ordre du monde ».

Pourtant, en chacun de nous subsistent des désirs prédateurs incompatibles avec la vie en société. Cet autocontrôle permanent et ce refoulement ont un coût – la névrose, l’angoisse, la dépression – et nous incitent à fuir la réalité, à consommer des produits rendant la vie plus tolérable : les drogues, l’alcool. Et ceci qu’on s’en libère ou qu’on les libère…

 

Pour Jung, dans l’enfance et durant les premières années de l’âge adulte, nos désirs vont dans le sens de nous faire aimer de ceux qui peuvent nous apporter la sécurité affective. Encore dépendants des valeurs prônées par la société, nous ne sommes pas vraiment nous-mêmes : nous sommes « au service des biens », des satisfactions matérielles. Ensuite, par le « processus d’individuation », caractéristique de la seconde partie de la vie, notre priorité est de nous distinguer des autres, de ce qui fait de chacun de nous un être unique. Nous ne cédons plus aussi facilement sur nos désirs, sauf à perdre tous les caractères de l’humanité: Lacan en avait fait un principe d’action : « La seule chose dont on puisse être coupable […], c’est de céder sur son désir ». LE désir, s’impose à nous, en dehors de tout rapport avec notre propre volonté. (C’est pourquoi il pourra dire: il n’y a pas de rapport sexuels»).

 

Nos désirs sont indissolublement liés à la vie, et finalement, pour les philosophies moralistes, c'est la vie concrète elle-même qui fait problème, dans sa résistance à la rationalisation normative.

Toutes les morales, sont par définition constitutives de limites. Il s'est donc souvent agi, en philosophie, de restreindre la force désirante de l'homme dans les limites d'une morale.

 

Les désirs sont centraux pour agir et être heureux. Nos projets et actions sont guidés par eux. Leur satisfaction nous rend heureux, leur frustration nous afflige. Certains nous obsèdent. D’autres nous vivifient.

Une vie dénuée de désirs semble peu enviable. Peut-on être heureux lorsque le monde nous laisse indifférents ou lorsque les limites qu’il impose sont trop envahissantes?

Comme Antigone qui désire sauver son frère et être loyale, deux désirs qui ne peuvent être satisfaits simultanément.

Un toxicomane peut désirer de la cocaïne tout en désirant ne pas la désirer.

Les désirs qui nous caractérisent vraiment sont ceux auxquels l’on s’identifie. Ces désirs nous satisfont, nous n’éprouvons pas d’aversion à leur égard, ni ne voulons les changer, ni nous en libérer. Le biais d’optimisme consiste à former des croyances allant dans le sens de nos désirs, sans penser à l’évidence du contraire

Peut-être est-ce conforme aux études neuroscientifiques qui montrent que les désirs sont intimement liés au neurotransmetteur qu’est la dopamine et font partie intégrante du système de la récompense qui est central pour agir. Mais, parfois, la satisfaction d’un désir ne correspond pas à la récompense attendue.

 

Il n’empêche qu’en se libérant de ses désirs, nous ne pourrons vivre l’expérience de la défaite, de l’échec et de nos limites, pourtant nécessaire afin de pouvoir les transgresser.

Le bouddhisme considère le désir-attachement comme un poison de l'esprit, mais il prend soin de le distinguer du désir d'aspiration. Faudrait-il donc se libérer de tous ses désirs, se détourner du monde et se détacher de toute préoccupation matérielle ?

L’attachement, après tout, est une tendance naturelle, et les désirs sont des pulsions primordiales, nécessaires à tous les aspects de la vie. Par exemple, le désir de protéger les siens a été à l’origine des grandes avancées dans l’histoire humaine, a permis de comprendre notre place dans le monde et a poussé au développement de la philosophie, des arts et de la religion. Les désirs font donc partie intégrante de ce que nous sommes et de notre devenir. Les désirs sont indissociables de la vie, bien qu’une vie entièrement dominée par les désirs soit misérable.

Désirer n’est ni de nature négative ou positive. En ce sens, libérer ses désirs ou se libérer de ses désirs, n’est ni possible ni même souhaitable. Les désirs incessants ne s’arrêteront jamais d’eux-mêmes, ils sont comparables à la partie émergée d'un iceberg. Le chemin de les transformer, est lui-même le but, en faisant des aspirations, des rêves et des frustrations, le « combustible » quotidien du processus de l’éveil.

 

En conclusion : Ressentir la possibilité d’un risque lié à ses désirs, peut aussi signifier une opportunité, une aubaine, un intérêt pour soi-même et pour les autres. Libérer ses désirs ou se libérer de ses désirs ne se rapporte pas à des valeurs abstraites, à une culture indéterminable, à des injonctions moralisatrices, mais prend bien plus sûrement sa source dans l’éventualité d’un risque: celui de ne pas céder, et c’est bien là, le sens de « se libérer ». Alors, peut-être vaut-il mieux les assumer librement, en toute conscience !

N.Hanar

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presence esprit

Qu’est-ce que la présence d’esprit?

 

La « présence d’esprit » désigne une réaction rapide, en paroles ou en actes. C’est la qualité de celui qui manifeste de l’à-propos, de la vivacité, qui lui fait faire ou dire sur-le-champ ce qu'il y a de mieux ou au moins de plus pertinent à faire ou à dire. Cette locution n’est jamais négative, par exemple : « il a eu la présence d’esprit de détourner le bras d’un meurtrier, elle n'a pas paniqué et a eu la présence d'esprit d'appeler les secours les plus proches…. et la présence d’esprit de donner les premiers soins, le pire a heureusement pu être évité grâce à l'adresse et à la présence d'esprit du chauffeur. Dans tous les cas, la présence d'esprit sauve la situation.

 

Pourquoi «l’esprit », dans cette locution?

L’esprit, est ce qui, chez l’humain, pense, et ainsi permet la vie intellectuelle, la connaissance, la pensée et les pensées, les idées, le jugement, etc. Sans lui, ni culture (art, littérature, philosophie), ni politique ou économie, ni science, qu’il soit individuel ou collectif.

Or, ce terme, employé dès l’Antiquité grecque, a vu chaque philosophe, chaque époque, en donner sa propre définition. Peut-être peut-on tenter de le définir comme l’instance de pensée qui est en l’Homme.

 

Mais alors que vient faire ce terme « esprit » dans la « présence d’esprit » qui est une réaction rapide et sans temps de réflexion ?

Mon hypothèse est que le fait d’exercer une action sans avoir eu ce temps de la peser, avec comme la certitude immédiate que c’est ce qu’il convient de faire, ne nous convient pas: faire participer le mot « esprit » à ce moment d’une action, fait « comme si » notre « moi », celui qui décide, avait quelque chose à y voir !

 

Bien entendu, nous n’en sommes plus à la séparation, notamment cartésienne selon laquelle, il y a d’un côté la "chose pensante", âme ou esprit, et de l’autre, la "chose étendue", le corps, occupant une position dans l’espace, qui ne pense pas.

Après la mort, l'esprit quitte le corps...sauf chez les cons, chez eux ca se passe de leur vivant - Geluck

La "chose pensante", « qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent", qui n’a besoin d’aucun corps pour exister, est la seule à pouvoir dire "je suis".

Rester à l’idée seule « Je pense, donc je suis » a pour conséquence : si je ne pense pas, je ne suis pas !

Insupportable pour beaucoup! Il faut absolument démontrer que toute action, toute réaction, même ultra rapide peut être maitrisée: ce qui a permis de faire que la société « pensante », mette créateurs, génies, imprévisibles, à la marge de la communauté.

Il devient alors inadmissible que mon action ait pu se produire sans ma décision, sans ma volonté consciente, comme un réflexe, ou comme les neurosciences tentent de le démontrer, que mon cerveau décide de mes choix sans que je ne m’en rende compte...

Le cerveau prendrait ses décisions (environ 11 secondes), avant que nous en ayons conscience. Il fait des choix avant même que nous nous en rendions compte. Comment l’expliquer ?

Joel Perason: « Lorsque nous devons prendre une décision, les aires de décision du cerveau choisissent la trace de pensée la plus forte. En d’autres termes, si une activité pré-existante du cerveau correspond à l’une des possibilités, alors votre cerveau tend à pencher pour ce choix-là, car il est boosté par cette activité déjà inscrite dans le cerveau." Nous serions donc, malgré nous, amenés à faire les mêmes choix en boucle et à renforcer nos pensées. Un peu comme si le cerveau avait une sorte d’activité qui lui est propre.

Ce serait du fait de la manifestation de ces traces de pensées pré-existantes, persistantes, encore présentes dans notre cerveau que nous ferions nos choix. Et que nous réagirions !

 

"Avec le temps, va, tout s’en va", chante Léo Ferré, pour souligner que tout présent, qui s’évanouit dans le passé, est éphémère. Bien entendu, à l’échelle de l’histoire de notre planète, toute trace du passé disparaitra un jour, même les pyramides. A l’échelle humaine, pour chacun d’entre nous et pour chaque groupe humain, des traces du passé, persistent en nos mémoires, en tant que souvenir de ce qui n’existe plus.

 

La présence d’esprit s’expliquerait alors en démontrant une synergie supposée s’établir entre la mémoire, l'imagination et la réflexion, en vue de la détermination de l'action opportune, une réponse appropriée, personnelle, à l’événement qui exige une réaction corporelle sans délai. Un enjeu consistant à déterminer comment les processus mentaux, émanations du cerveau, donc d’une partie du corps, s’articulent avec les processus corporels. De plus, la maîtrise de ces processus devient ce qui permet d’acquérir la présence d'esprit.

 

Spinoza, déjà interpellé par le concept de liberté humaine, alors que la matière même de la science du 17ème siècle consistait en la volonté de démontrer que tous les évènements de la nature sont causés de manière nécessaire par des relations causales, que seules la science et les mathématiques, peuvent comprendre.

Un déterminisme universel qui faisait que la liberté consiste uniquement dans le fait que les hommes sont conscients de leurs appétits et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés: pour lui, tous les hommes sont déterminés dans leurs actions, mais de l’intérieur, par leur propre nature et non pas de l’extérieur. Le « JE », reprenait la main !

 

Alors, toute la difficulté consiste à avoir l’ensemble de ces éléments (la mémoire, l'imagination et la réflexion), présents à l’esprit avec suffisamment de force au moment opportun, et de pouvoir lier, percevoir simultanément, tous ces éléments afin de faire apparaître la présence des choses en leur absence, à l’instant T. Un « pouvoir de former des idées claires et distinctes, écrit Spinoza, et de les déduire les unes des autres », mais ceci « sans déduction rationnelle ».

Un « Je », quasiment à l’insu de mon plein gré, mais toujours un « JE » !

Existerait alors une possibilité « d’enchaînement des affects » par la création d’automatismes mentaux, qui se mettent en place au préalable, permettant d’en former une idée claire et distincte, au contraire de l’idée confuse, « constitutive de l’affect passif ».

Ainsi, pour Spinoza, la nécessité d’établir la concorde entre la mémoire, l'imagination et la réflexion sous la conduite de la raison, pourrait se faire par l’utilité de la présence en conscience (entendement), de « l’amitié mutuelle » et de « la société commune », « que la haine doit être vaincue par l’amour et la générosité, et non compensée par une haine réciproque », qui constitueront la possibilité de modifier la liaison des affects et de réaliser l’action adéquate.

 

Il indiquait que la formation de telles associations imaginatives, suppose un « exercice assidu et une longue étude », que l’on « applique sans cesse de penser souvent ».

Grâce à ces principes d’existence l’imagination devient libre, n’enchaîne plus ses idées selon l’ordre contingent de succession des affections du corps mais suivant un ordre construit par une méditation, qui cherche à affranchir l’imagination de sa passivité. Afin de réagir dans « l’espace de temps le plus court.

C’est par des méditations répétées que l’on peut se forger une présence d’esprit, des préceptes rationnels toujours à disposition, de manière que « ayant vu le meilleur je n’accomplisse pas le pire ».

 

D’ailleurs, la présence d’esprit ne sert pas la seule « utilité de l’agent » mais aussi celle d’autrui, puisqu’il faut savoir l’assister selon que « le temps et la conjoncture le demandent ». La présence d’esprit désigne donc l’effort, l’action, qui naît de ce que « l’âme connaît les choses par la raison, et traduit ainsi l’enchaînement des préceptes rationnels aux idées des affections corporelles ». CQFD !

 

La présence d’esprit, forgée par des méditations continues, contribue à réduire la part d’abstraction inhérente à la connaissance du bien et du mal, la générosité et la fermeté d’âme ont déjà été reliées à toutes les offenses et les dangers que l’on a pu imaginer ou prévoir.

De même « la fuite opportune (fuga in tempore) » est une vertu requise pour réduire l’audace aveugle.

Parce qu’il faut faire appel à « la présence d’esprit dans les dangers » pour, également, lutter contre la crainte des périls. Sitôt que nous sommes dans un état de crainte, les choses futures ou passées apparaissent contingentes, nous ignorons l’enchaînement nécessaire des causes. La décision de fuir ou d’accepter le combat devra être prise sans avoir la connaissance certaine de l’issue de la chose, qui est plus ou moins dangereuse. La présence d’esprit résultera ainsi de l’association à l’image d’une chose effrayante, de la fuite opportune ou du combat.

 

La présence d’esprit, cette capacité de mobiliser ce qui est adapté à un court moment, a donc besoin d’une durée continue au préalable, d’un enchaînement qui relie les affects de l’intérieur.

Descartes également mentionne le recours à un tel procédé afin de graver dans la mémoire la cause de l’erreur et de mieux s’en préserver : « je puis toutefois, par une méditation attentive et souvent réitérée, me l’imprimer si fortement en la mémoire, que je ne manque jamais de m’en ressouvenir, toutes les fois que j’en aurai besoin, et acquérir de cette façon l’habitude de ne point faillir » (Méditation Quatrième).

 

Pour Vladimir Jankélévitch, le savoir pose et suppose une certaine stabilité. Or la vie change dans un temps qui ne se répète jamais. Il fait alors intervenir l’instant, parce que le temps n’est fait que d’instants se succédant et s’anéantissant. L’instant se dérobe au moment même où on le pense ; il est, dit-il, une « phosphorescence » ou une « apparition naissante-mourante », et avec lui, tout bascule, tout chavire.

L’instant est l’intervalle décisif: avant est trop tôt, et après c’est trop tard. Il est le temps propice, un moment opportun pour agir (c’est que ce que les Grecs appelaient le kairos, l’occasion favorable, le bon moment, l'instant T ou d'opportunité à saisir.

L’instant acquiert alors la capacité, immense, de nous transformer, de convertir pour nous un hasard en nécessité. La liberté n’est pas le « pouvoir tout faire ». Être libre pour l’homme, c’est trancher et saisir l’instant. Oser l’irréversible.

Deviens ce que tu es dans l’instant, en allant à son devant, jusqu’à le produire. La présence d’esprit, dans l’instant, c’est « la grâce à la portée des mortels ».

 

En paraphrasant Pierre Dac, on pourrait dire : La présence d'esprit c'est comme les parachutes, ça ne fonctionne que lorsque c'est ouvert - Pierre Dac...

N.Hanar

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NOTE

 

(Le kairos est une notion employée par Carl-Gustav Jung pour élaborer son concept de synchronicité. Il est l'instant où la conscience d'un individu exprime une sensibilité particulière à la survenance concomitante de deux évènements fortuits. Cet individu opère à ce moment une association entre ces deux évènements en raison d'un état de son être. La coïncidence, alors perçue comme une correspondance, devient signifiante pour la personne qui l'éprouve.

vivre pleinemnt

Nos croyances nous aident-elles à vivre pleinement ?

 

Que signifie « vivre pleinement » sa vie ?

En naviguant sur internet, vous trouverez des dizaines de coachs de vie, des conseillers, vous indiquant comment vivre pleinement leur vie ! Ils vous disent, que selon eux, vivre sa vie pleinement, profondément et sans réserves, une vie entièrement réalisée, totalement accomplie, épanouie et pleine de joie, il vous faudra: accepter l’incertitude, savoir pardonner, aimer, oser, trier, pour ne pas s'arrêter aux accidents survenus en cours de route, simplifier les choses complexes et ne pas compliquer les choses simples, etc… Mais qu’en est-il dans tout cela de l’originalité de nos désirs, de nos envies, de nos besoins, qu’il n’est pas forcément possible de faire entrer dans un cadre formaté par des cultures, des conventions, des usages, et ainsi des comportements, que d’autres ont considérés comme étant « ce qui doit être ».

Mais on peut très bien les croire. Croire qu’il existe une solution à tous les problèmes, que la solution se trouve dans la religion, ou dans une idéologie politique, par la science toute puissante ou par la psychologie et les usages ancestraux. Qu'importe le mensonge pourvu qu'on ait l'ivresse.

 N’importe laquelle de ces croyances peut nous aider à vivre pleinement, à condition de s’y soumettre et ainsi à nous sentir en adéquation sans réserve avec un monde qui nous est imposé.

C’est une évidence. Mais c’est aussi un leurre, parce que, dans ce qui est plein, surtout une vie pleine, il n’y a de place pour rien d’autre ! Ce que nous montre bien le destin des artistes, des savants qui ont modifié des savoirs et des visions du monde. Ce sont Copernic, Bruno, Galilée, défendant que la terre tourne autour du soleil, et même Newton ou Darwin, qui n’ont pas hésités à contredire la plénitude factice des savoirs.

Ils se sont libérés du présent de leur époque, s’en sont désynchronisés, en mettant « entre parenthèses” les croyances habituelles, afin de porter un regard neuf sur ce qui les entourait pour pouvoir vivre pleinement leur vie, même si elle fut parfois tragique..

 

Si l’animal s’adapte à son milieu, l’humain pour vivre adapte son milieu à son profit.

L’être humain fait partie de la nature, du point de vue biologique, de ses besoins, des lois de la physique.

Mais, faible et imparfait, « singe nu », seul singe sans poils quand il est à poil, il est soumis à l’obligation, dès ses premières années, de dépendre des autres pour se nourrir, se protéger du froid et des dangers, de s’éduquer, d’apprendre : il n’a de cesse, « roseau le plus faible de la nature, mais roseau pensant », (Pascal), de se protéger de la nature, voire de la combattre.

Il s’agit là d’une nécessité naturelle à se regrouper pour survivre, mais il lui fallait également trouver une justification rationnelle, réfléchie, afin que cette obligation échappe à la seule nécessité naturelle.

Les humains ont donc « inventé » une autre origine aux regroupements, aux différents types de socialisation, qui se sont constitués, pour justifier d’avoir à se détacher de leur dépendance à la nature hostile.

 

Ignorants et impuissants à l’égard des forces invisibles qui animent la nature, ils les auraient « humanisées » à partir de leurs propres réactions de crainte du danger, de peur l’avenir, par la recherche effrénée des signes qui pourraient permettre d’interpréter les événements. Ce serait le premier stade de l’évolution religieuse de l’Humanité, (selon l’historien G. Minois), au cours duquel, les hommes auraient cru en des entités, des forces invisibles qui animent la nature. Les fétiches alors soulagent leur peur: objets chosifiant les forces, ils permettent à l’être humain, de les maîtriser en se les appropriant, et ainsi de maîtriser leur existence.

Puis ces forces auraient été appelées à l’aide au moyen de pratiques chamaniques, en fixant l’image sur la roche, capturant ainsi l’esprit des animaux chassés. Les premiers chamans sont devenus des intermédiaires avec les esprits. Des lieux sacrés sont choisis pour communiquer avec eux. Ce sont les quatre composantes futures du concept de toute religion : une croyance, une liturgie, des clercs, et un temple. A chaque palier de son évolution l’homme s’est enrichi d’éléments de croyances nouveaux.

Ces croyances qui se sont développées  au travers des mythes, des religions, puis des idéologies, sont devenues fondatrices de groupes humains (sociétés, communautés, etc…), pour justifier, à postériori donc, de la nécessité de se regrouper pour survivre, et donc les aider à vivre le plus pleinement possible.

Si les humains se sont coalisés autour de divinités dans un but adaptatif, pour favoriser la coopération entre individus, renforcer le sentiment d’appartenance, et rendre le groupe plus viable, par des valeurs communes, la fraternité, des comportements moraux, ce ne serait donc qu’un mécanisme de survie, une aide à vivre pleinement, pour tous et pour chacun, sans avoir à faire face seuls, à des dangers extérieurs ou intérieurs.

Du point de vue des religions, au début, les gens ne croyaient pas en Jésus : Ils ne s'y fiaient pas.

Après, ceux qui l'ont cru s'y fiaient !

 

Il s’agissait de croyances utiles, performatives.

La croyance, un mot qui dérive du latin credo (« je crois »), désigne le fait d’attacher une valeur de vérité à un fait ou un énoncé. Ce qui peut être constitué de la simple opinion, qui est adoptée sans examen critique, sans justification, qu’on adopte par défaut en l’absence d’une meilleure solution. La croyance mène à la foi, à la confiance, qui permet à certains, qui ne se posent alors plus de question, de vivre pleinement.

« Croire, c'est penser comme vrai, sans pouvoir absolument le prouver », écrit Comte Sponville.

Attitude confortable, parce que « L’esprit humain aime à s’émanciper du réel et de ses contraintes et trouver refuge dans [ ] ce qui dans les événements du monde fait sens pour l’individu » et permet de construire «  un socle de croyances communes, sans lequel aucune société ne peut vivre et s’épanouir (Jean Luc Graff).»

Ces croyances communes, ce socle qui exclura plus tard, le fait religieux dans l’organisation des sociétés, se retrouvent, aux alentours des Lumières, chez des philosophes comme Hobbes, Locke ou Rousseau. Ces derniers partent de la croyance en un homme « loup pour l’homme » ou, au contraire, « naturellement bon ».

Ils proposent des conventions, hypothétiques ; construites à partir d’éléments historiques ou mythiques épars, qui conditionneront a politique et des systèmes de société. Démocratie, république ou différents types de royautés, sont ce qui devra permettre aux humains de vivre pleinement leur vie.

Une convention se traduit par un accord, un contrat, des règles, des normes, suite à des transactions, des compromis qui définissent un contrat social par lequel il est de mon intérêt d’adopter un certain comportement avec autrui, pourvu qu’il agisse de même avec moi. . Mais il s’agit en même temps, de restrictions de libertés : ce serait vivre pleinement sa vie, par le plein ayant des limites, des creux et des vides !

 

Croire signifie que notre esprit adhère à une idée, dont nous sommes convaincus qu’elle est vraie. Nous pouvons présenter des arguments et des motifs, quels qu’ils soient, justifiant de notre croyance.

Dans certaines situations, il est tout à fait logique et justifié de croire. Quand je vais voir un médecin, je crois en ce qu’il me dit puisqu’il est supposé compétent dans son domaine. Je n’ai pas les moyens d’être certain que son diagnostic soit le bon (quelle est ma compétence ?) mais je dois bien le croire. Si j’attendais d’être totalement et absolument certain que ce qu’il dit est vrai pour suivre son avis médical, il faudrait que je voie plusieurs médecins, que je me renseigne moi-même, etc., au risque que ma santé se dégrade encore plus à cause du temps perdu, et au risque de me tromper. Mais cela ne fait pas d’une croyance, un savoir.

 

Et puis toutes ces croyances, religieuses, idéologiques, omettent de prendre en compte qu’elles sont tout autant un facteur de discorde, lorsqu’elles deviennent des certitudes. La croyance, c'est une adhésion à une idée, à une convention, à un savoir qui nous est apporté de l’extérieur, parce que nous sommes ouverts à ce qui peut nous instruire, alors que lorsqu’elle se transforme en une certitude qui se construit en nous, comme un savoir certain, elle se ferme à tout apport, à toute modification possible.

 Parce que, dans ce qui est plein, il n’y a de place pour rien d’autre !

Nos croyances contribuent alors à endormir notre esprit critique beaucoup plus sûrement que les normes religieuses ou les solutions idéologiques et politiques. Sous des oripeaux de rationalité elles promettent de récompenser certains et d’en punir d’autres en niant ce que l’existence humaine a de tragique et d’incompréhensible. Vivre, c’est souffrir, écrivait Malraux. La vie consiste à rencontrer des obstacles, que des croyances permettent de ne pas voir, mais n’éliminent pas.

 

Quelles que soient ses croyances, un croyant est-il que cela ? L’identité de chacun est insaisissable, évolutive et ouverte malgré les limites qu’elle s’impose. Je suis un autre aussi.

Pourquoi penser que le réel peut leur échapper, qu’ils cessent d’interroger leur désir, leurs besoins ou leurs envies, pour se contenter de vernis de surface ou de poudre aux yeux ?. Cessent-ils de se demander : qu’est-ce que je veux vraiment ?

Même si toute entrave à notre puissance d’agir, devient un véritable scandale, une frustration compensée par le fantasme de leur suppression par une force, divine ou humaine, qui donne des réponses au vivre ensemble ou à la vie bonne et pleine, ces solutions sont-elles des obstacles infranchissables ?

Or justement, tout obstacle, par la difficulté qu’il instaure, oblige à réfléchir, à prendre du recul, à ruser avec la situation en toute conscience. C’est un choc où l’on découvre ses limites, ce qui fait de l’obstacle une composante essentielle du mouvement de la vie. La croyance permet seulement de l’éviter, mais elle n’empêche pas de l’interroger.

Toute parole, toute réflexion, doit être critique c’est-à-dire étudier « à la loupe » tout discours positif ou négatif, d’analyse du réel, des événements qui le constituent. Afin de laisser deviner, derrière l’écran des certitudes communes, la profondeur d’une autre expérience du monde.

Toute croyance est faite indissociablement de subjectif et d’objectif. Tant qu’elle reste réfutable, ce qui n’est malheureusement pas le cas de certaines religions, ou de beaucoup d’idéologies, la croyances sera un « pharmakon » positif ou négatif, aussi bien au niveau individuel que social. L’absolutisme rationaliste, idéologique ou religieux, inocule son poison normatif, rigide et intolérant ; tandis que la réflexion rationnelle, qui reconnait un pluralisme de références à toutes les croyances, leur permet d’être souples et tolérantes.

 

Et puis, malgré la prolifération des normes et des habitudes, nos croyances peuvent alors nous aider à vivre.

Nous pouvons, par exemple, les considérer comme une défense de notre existence face à nos désirs, qui peuvent nous perdre, nous exclure de toute société, et cela, qu’il s’agisse des commandements divins ou des lois civiles.

Croire, c'est alors donner son assentiment à ce à quoi on reconnaît une valeur, que l'on considère légitime.

C’est alors le moteur de certaines actions (il faut croire que c’est possible pour se lancer, pour chercher), elle résout aussi temporairement les problèmes provoqués par les brèches de la connaissance, permet de créer des hypothèses, comble la nécessité déstabilisante d’expliquer l’inexplicable, la peur du vide, l’incapacité à accepter son ignorance, lorsque la raison est mise en échec.

Sauf lorsqu’au lieu de titiller la raison, la croyance se pétrifie en une autorité dogmatique et interventionniste, utilisée pour construire une conception du monde qui implique obéissance et soumission en imposant à tous, ce qu’il faut croire, dire ou penser.

 

Nos sociétés, croient que l’intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers, croient en la nécessité d’une organisation,  en un « besoin de société »,  en un système structuré d'associations et d'alliances, qui implique une coordination et donc une subordination d'éléments les uns aux autres » {Bergson-Les deux sources). A force de raboter les identités et de codifier les relations d’altérité, les lois, les conventions, les médias, l’agitation de sous-groupes que le pouvoir intéresse au détriment du vivre ensemble, les sociétés ne représentent plus une structure lisible.

L’homme est réduit à sa fonction, à son origine géographique (xénophobie), à sa religion (antisémitisme, anti islamisme), à son économie (soumission à la loi des marchés).

Or le réel n’est pas épuisable par ces organisations où chaque objet peut être identifié et classifié en termes « clairs et distincts », et où les relations entre les objets ou classes d’objets relèvent de la pure logique, d’un savoir absolu.

 

Toute croyance peut ouvrir à un faux savoir lorsqu’elle donne foi à quelque chose, d’incertain, de seulement probable. Or, la plupart du temps, en effet, il semble que nous n’avons aucune raison ou en tout cas aucune raison valide, d’adhérer à ce à quoi nous croyons. Et nous avons la capacité de ne pas croire en n’importe quoi : Quand je lis un livre d’histoire, je crois que ce que l’on me raconte a réellement existé; mais quand je lis un conte de fées, je ne crois pas ce que l’on me raconte, je " sens " que ce n’est qu’une fiction.

 

Hume définit la croyance comme étant la propension d’un mécanisme de l’esprit à affirmer que ce qu’il conçoit, est tenu pour vrai. (Ce que l’on nomme aujourd’hui les biais de confirmation) Il s »git du  lien essentiel avec nos actions: le rôle des croyances est de produire des actions, des comportements.

On ne peut savoir quelque chose sans croire en sa valeur de vérité ou, au moins, d’exactitude: en ce sens, le savoir n’exclut pas la croyance, et repose même en un certain sens sur elle (je ne peux pas " savoir " que la terre est ronde si je ne crois pas en la valeur de la science, et ainsi certains se retrouvent « platistes », comme je dois croire que l’Histoire que l’on m’enseigne correspond bien à ce qui s’est passé !)

 

La croyance est toujours la croyance de quelque chose qui fait sens pour l’individu.

Les " objets de croyance " regroupent tout ce qu’il est nécessaire d’un point de vue moral d’admettre comme juste, alors même que cela reste indémontrable. On saisira d’emblée par exemple que l’esclavagisme, le sexisme, le racisme, le totalitarisme sont moralement des choses mauvaises sans que cela soit démontrable scientifiquement car dans le domaine moral, nous ne sommes plus dans le domaine du savoir. Et Kant constatera, analysant sa démarche : "  J’ai dû abolir le savoir et lui substituer la croyance ". Que ces principes reposent sur des croyances n’enlèvent rien à leur pertinence et à leur bien-fondé.

 

Sans un socle de croyances communes, aucune société ne peut vivre et s’épanouir. La structure de toute société, pour maintenir son équilibre, est donc forcément répressive et non évolutionniste. Ce qui touche également le savoir scientifique.

Le discours qui oppose le vrai au faux est dépassé parce que le monde est complexe, le réel infini et que sa compréhension n’est pas binaire. La sensation de « perte des repères » qui en résulte est accentuée par le clivage factice gauche/droite, croyances/savoir qui a dominé les structures politiques, morales, sociétales de nos sociétés ces dernières années.

Jamais, dans les faits, les croyances et les savoirs n’ont correspondus à ces clivages de manière cohérente.

 

Que les croyances nous aident à vivre, parce qu’elles structurent des comportements, des sociétés, un certain vivre ensemble, parce qu’elles limitent nos passions individuelles rendant la vie en commun possible est certain. Qu’elles soient également dangereuses lorsqu’elles sont destinées à construire une conception du monde qui implique obéissance et soumission en imposant à tous, ce qu’il faut croire, dire ou penser est tout autant évident.

Que l’on s’y soumette ou qu’elles soient ce qui provoque, au contraire, l’ouverture de la pensée à ce qu’il pourrait bien y avoir d’autre, elles font partie de ce qui nous aide à vivre.

Mais « pleinement », c’est autre chose. Vivre sa vie pleinement, profondément et sans réserves, réaliser entièrement une vie totalement accomplie, épanouie et pleine de joie, est plus ce qui doit être une recherche, un chemin, que quelque chose qu’il faudrait réellement atteindre, au risque de se trouver dans l’état de béatitude d’un imbécile heureux..

N.Hanar

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domination

Une société sans domination, est-elle possible?

 

Je viens de lire dans les DNA du 4.03.2023 un article à propos de Chantal Mouffe, une philosophe connue pour son étude des populismes.

J’en ai compris que nous vivons un « moment populiste », de contestation. Le populisme de droite semble plus efficace que celui de gauche, parce qu’il mobiliserait des affects, alors que la gauche préfère présenter des arguments et un programme. Quel que soit le problème social à traiter, qu’il soit économique, ou qu’il s’agisse de la lutte féministe, de la lutte antiraciste ou écologiste, Chantal Mouffe estime que la gauche doit se rendre compte de l’importance de mobiliser les affects. Mais des affects positifs (l’espoir), et non les aspects négatifs (la peur) mobilisés par l’extrême droite [et d’autres]. « Les idées, comme le dit Spinoza, n’ont de force que lorsqu’elles rencontrent un affect ».

 

Or, il s’agit d’une idée probablement un peu simpliste, mais intellectuellement séduisante, parce que fondée sur une évidente influençabilité, supposée forte, une absence de capacité de réflexion et de prise de distance, de la part de la population, tout en omettant que les conséquences des affects sur les humains sont imprévisibles: il n’est pas certain qu’un ressenti soit comme on voudrait qu’il soit, positifs ou négatifs.

 

La question est alors : la démocratie n’est-elle et ne peut-elle être que le produit de manipulations de la part de dominants, le produit d’une lutte entre dominants, et entre dominants et dominés?

 

Faut-il toujours des dominants et des dominés dans la pensée philosophique des sociétés?

En fait la réflexion philosophique à propos des dominants et des dominés n’a pas toujours été cette simplification qui consiste à définir une société comme uniquement fondée sur la domination de certains sur d’autres, comme l’est souvent la pensée politique. (1)

 

En latin, dominare, c'est exercer la souveraineté du maître, du dominus, celui qui domine en exerçant une contrainte sur la conduite d'autres personnes.

Mais, selon Max Weber, la domination (Herrschaft) correspond aussi au fait d'obtenir, chez des personnes, l’obéissance volontaire à un ordre, doté d'un contenu spécifique, comme des règles, des lois ou des normes, afin d’éviter le désordre. Il distingue cette domination acceptée, du pouvoir (Macht), qui fait triompher, au sein d'une relation sociale, la volonté d’un seul individu ou d’un seul groupe, même si cela se fait contre des résistances.

Ainsi, la domination peut désigner une sorte d'assujettissement qui est reconnu comme légitime par les membres d’une société et pas seulement l'imposition d’une volonté propre sur d'autres individus. C’est le cas du fameux« contrat social », qui permet une domination, une perte partielle de liberté, afin justement de conserver une grande part de liberté, la sécurité et la paix.

 

Néanmoins, ce type de domination exprime un rapport de dissymétrie sociale entre dominants et dominés, même s’il n’existe pas de coercition effective, et si l'obéissance des dominés est consentie, parce que les dominants sont considérés, à juste titre ou non, comme chargés du bien commun. Il n’empêche que toute domination développe quand même des inégalités sociales, s'accompagne d'injustices, et du sentiment d'aliénations, et ceci, même si elle provient de décisions d’assemblées de citoyens.

 Les dominés peuvent supporter des contraintes en calculant leurs avantages, mais être affectés par les inconvénients qui les touchent, malgré le lien affectif ou confiant qu’ils ont établi avec le dominant jugé légitime, qui, pourtant reste le garant de leur liberté et de leurs conditions d’existence..

 

Et puis, la métaphore du maître et de l'esclave, dans l'argumentation de Hegel, ne se résume pas à la domination résultant d’une violente confrontation, mais contient en son sein, un mouvement dialectique permettant aux dominés de dépasser leur situation du fait d’une interdépendance réciproque: les dominants deviennent dépendants des dominés d’abord parce que, déjà, sans servitude, pas de domination, et que, si le maître prend conscience de soi, de ce qu’il est, par sa domination sur le dominé, par contre, ce dernier, par la force de travail qu’il fournit, se forge, à son tour, une conscience de soi » de ce qu’ils est, et trouve une signification propre, un « Eigen-Sinn »,», en comprenant que le dominant a besoin de son existence pour, lui-même, exister. Est-ce que, ainsi, on peut penser que la société n’est définie que par des dominants, qui assujettissent, qu’il n’y a pas de failles ? (2)

De plus, Karl Marx, dans la même métaphore du maître et de l'esclave montre même l’inversion du processus de toute domination. Elle est le point de départ de la dialectique dans laquelle la classe salariale, dans le processus d'appropriation collective des moyens de production, serait supérieure à ses maîtres en leur arrachant non seulement le pouvoir, mais aussi les institutions.

 

Ainsi, il serait bien court de réduire une société faite de relations multidimensionnelles, à la domination et à la servitude. Dans l'analyse d'Hegel on trouve indéniablement l'idée que le maître et l'esclave sont aussi des métaphores de « l'être intérieur » et de sa constitution sociale par le processus à travers lequel la conscience des individus se transforme en conscience de soi. Leur rapport n’est pas que de domination.

Kant, qui appartient à ce mouvement de Lumières qui a fondé nos démocraties d’après quelques variantes du « contrat social, (dans son petit essai intitulé Idées d'une histoire universelle du point de vue cosmopolite, en 1784), indique que « l'homme est un animal qui, quand il vit parmi ceux de son espèce, a besoin d'un maître » [ ] qui « lui brise la volonté et le force d'obéir à une volonté générale, qui permet à chacun d'être libre ».

Or, le dominant appartient lui aussi au genre humain et, à ce titre, il est donc également un « animal » qui « a besoin d'un maître ». Ce « bois tordu » dont l'homme est donc fait ne permet pas de fabriquer quelque chose de « tout à fait droit »,  c’est-à-dire la possibilité d’une nette identité à soi-même.

 

De toute façon, la docilité de « l'être dominé » n’est pas une attitude simple aux limites claires. Il n’y a pas que « l'obéissance-ou-la-résistance ». L’acceptation de la situation peut ne se montrer que de l'extérieur mais, intérieurement, elle peut être sans perte d’espoir et d’exigence d'une vie meilleure : une distance incontournable, un équilibre instable qui permet la contestation.

Le système de domination n'en sera pas perturbé, ou que peu, mais permet au dominé de « faire de l'air », de se créer son temps et son espace « propre, de prendre de la distance afin d’exister « pour soi », d’autant qu’il ne dispose pas toujours de la possibilité d’une « comparaison », lui permettant d’analyser sa situation.

 

Au fond, si l’on pensait que les dominants ne sont pas nécessaires dans toute société, n’y aurait-il pas, néanmoins, un besoin d’autorité ?

L’autorité, ce n’est pas: « il décide; il exécute. » C’est bien plus subtil. L’autorité est peut-être indispensable â toute communauté, si elle incarne la responsabilité et non le pouvoir : si elle oblige tout autant celui qui1’exerce que celui sur qui elle s'exerce.

Le terme autorité vient du latin « auctoritas », dont la source est « augere », augmenter, ce qui désigne un mouvement du bas vers le haut. Même si elle s’incarne en une personne ou une assemblée, elle n’est pas, forcément soumise à 1’abus de pouvoir ou à la démagogie mais susceptible de se remettre en question, pour assurer l'ordre politique et social, la paix civile intérieure et extérieure.

 

Longtemps, l’autorité s’est exposée à travers un extérieur à la société, un contenu non humain.

Ce qui s’exprimait par le classement des anciens grecs par lequel chacun est à sa place, les êtres humains et les choses du monde, étant supérieurs ou inférieurs par nature. Pour Platon, « aux uns il convient par nature de commander, aux autres de se soumettre » (La République). Chaque citoyen doit s’adonner à la tâche qui lui est assignée : les artisans produire, les gardiens défendre, les philosophes régner. Et Aristote de renchérir en affirmant la hiérarchie universelle des êtres, chacun étant finalement à sa juste place fixe dans l’ordre du monde, selon sa nature, y compris les esclaves.

La domination, sera légitimée, ensuite, en Occident, par la domination du religieux, l’ordre des choses provenant du divin, et non plus de la nature des choses, sans qu’il soit besoin, encore, de coercition, l'obéissance des dominés étant consentie, sans questionnement.

Avant de séparer, c’était ce qui permet surtout de vivre ensemble.

Selon une théorie qui remonte à Étienne de La Boétie, ce type de rapport social était caractérisé par la subordination et le consentement des individus sur lesquels s’exerce la domination, légitimée par des croyances, des habitudes, des usages et des traditions.. Ce ne serait pas par leur « nature » que des hommes sont esclaves, mais plutôt par leur volonté, parce qu’ils le veulent bien, et qu’ainsi « les institutions s’imposent à nous, nous y tenons ; elles nous obligent et nous les aimons ; elles nous contraignent et nous trouvons notre compte à leur fonctionnement et à cette contrainte même. »

 

Le défaut, qui est à l’origine de la question de ce soir, vient de ce que le pouvoir de faire, la mise en place des moyens de réaliser ces sociétés, a toujours été délégué à des humains, et surtout à ceux, individus ou groupes, qui faisaient preuve de charisme ou qui incarnaient la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire.

La religion, ce n’est pas « les religieux ».

 

Mais quelle serait une autre vision possible, que cette quasi nécessité de dominants pour permettre le vivre ensemble, qui a toujours été présente, sous des formes diverses?

Les cultures étant aujourd'hui disséminées en demandes hétérogènes – luttes féministes, identitaires, urbanistiques, elles posent les bases d’un nouveau mode de réflexion  qui passe de la verticalité (du haut vers le bas), à une horizontalité de l’intervention politique. Les liens sociaux évoluent par l’intermédiaire de micro-pouvoirs, de réseaux, à volonté égalitaire, qui coexistent difficilement avec les dominations héréditaires (héritage, souverains), la reconnaissance d’une élite, et d’individus richissimes.

 

Ce n’est pas nouveau: ces réseaux existent depuis l’Antiquité et n’ont jamais cessé de concurrencer les organisations hiérarchiques verticales qui préfèrent la centralisation, le commandement du haut vers le bas. Même les « Lumières » du XVIIIe siècle peuvent être compris comme un réseau d’intellectuels entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, critique à l’égard du pouvoir absolu de droit divin.

 

Alors, le pouvoir est-il le fruit d’une domination simple, évidente, surgie d’en haut, ou est-ce bien plus subtil que cela ?

Ce qui correspond à la théorie du Rhizome, développée par Gilles Deleuze et Félix Guattari, le rhizome désignant une structure souterraine, évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, qui s'oppose à la hiérarchie dominatrice en pyramide. Dans ce rhizome, tout élément peut affecter ou influencer tout autre élément, sans qu’importe sa position ou le moment de son action, et ce de manière réciproque.

 

C’est bien ce que l’on retrouve dans les mouvements sociaux planétaires de notre époque, et qui incite bien des dirigeants, aujourd’hui, à chercher à mettre en oeuvre des moyens leur permettant d’en finir (plus ou moins sincèrement) avec l’exercice vertical du pouvoir (par des conventions citoyennes, par exemple)

 

C'est une théorie de la démocratie immédiate, dans laquelle la souveraineté est avant tout celle de la parole du peuple selon un axe de construction du politique qui ne scinderait plus la société en deux - les élites contre ce « reste de la société », qui doute du rôle du droit, et qui refuse un univers froid, technocratique, limitant par trop la démocratie, et la liberté.

 

Est-il évident de mettre en place une démocratie, qui ne devrait pas seulement permettre à chacun de voter pour un programme, mais qui mettrait en place des interactions permanentes entre la société et le pouvoir, au travers de jurys citoyens ou de débats nationaux par exemple. (Express n° 3576)

Les participants à ces moyens ainsi mis en place, ne seraient-ils pas finalement des « dominants à l’insu de leur plein gré ». Et ne se heurteraient-il pas, eux aussi, à des mouvements contestant leur autorité ?

Parce que ce type de démocratie pourrait amener à un autre type de conflit qui opposerait les gens de partout et ceux de quelque part, c’est à dire des élites éduquées de « sachants » et des citoyens enracinés, chez eux, avec leurs habitudes et leurs références au périmètre étroit, avec de plus, l’attitude de ceux qui sont entre les deux et qui penchent, selon les circonstances vers les uns ou vers les autres. (3)

 

Faut-il en revenir au modèle proposé par l'anarchisme, l’idéologie libertaire, antiautoritaire, dont la théorie est basée sur la démocratie directe et la liberté individuelle ? L'anarchisme ne prône pas l'absence de loi, mais milite pour que son élaboration émane directement du peuple (initiative populaire par exemple), qu'elle soit directement votée par lui (référendum ou vote par des assemblées tirées au sort) et que son application soit sous contrôle (mandat impératif, forces de sécurité dont les officiers sont élus, révocabilité des élus).

La démocratie directe serait-elle possible pour des états composés de millions de citoyens (la Chine n’est pas la Suisse) ? (4)

L'Anarchisme n'a rien d’un système et se trouve être d’une actualité criante en prônant l'autogestion, la lutte pour la libération de la femme et pour l'émancipation sexuelle, des écoles et des universités libres, une aspiration écologique à un équilibre entre la ville et la campagne, entre l'homme et la nature,.

Mais est-ce que cela peut se produire sans contraintes légales, au détriment de ceux qui n’adhèrent pas, quelles que soient leurs raisons, à ces modes qui nous paraissent évidents. 

Devront-ils vivre comme une « sous-population » ?

Michel Foucault, (dans Dits et Écrits, tome 4, « Le sujet et le pouvoir »  en 1982), souligne que « le pouvoir apparaît comme un rapport entre « partenaires ». Partenaires, car « le pouvoir ne peut s’exercer que sur des “sujets libres” », et en tant qu’ils sont « libres. Ce qui ne serait plus vraiment le cas.

 

Et puis, au fond, la question de la possibilité d’une société sans dominants, n’est-ce pas un sujet anachronique ? Comme l’est cette réforme des retraites qui agite notre société, à une époque ou le rapport au travail tend à s’individualiser, ou le travail lui-même est une notion en plein changement : que signifie alors un âge de la retraite ? Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne et le salariat à vie, bat de l’aile.

 

Une réflexion prospective des rapports dominants-dominés est impossible, car les valeurs individuelles et les faits qui se produisent, sont liés dans notre perception des dominants et des dominés. A quoi s’ajoutent des dogmatismes qui  leur décrètent un sens, de l’extérieur. Ce qui fait que ce rapport n’a pas un seul sens : nous le lui donnons, selon le ressenti que nous avons de notre présent et de la vision de l’avenir que nous souhaitons. D’où une pluralité de perspectives, dont celle d’un hypothétique monde souhaité sans dominants. Mais ne serait-ce pas alors, le vœu d’une société ou tout le monde pense comme chacun de nous ? Ne jouerions nous pas, alors, le rôle principal, celui de dominants ? (5)

N.Hanar

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NOTES

 

1-N’y aurait-il de possible que d’imaginer des utopies, comme « L'Utopie » de Thomas More, ce « lieu qui n’existe nulle part », une représentation d'une société idéale, qui gouvernerait une communauté d'individus vivant heureux et en harmonie puisque les autres, les sociétés réelles, sont imparfaites ?

 

2-La dialectique est « l’ensemble des moyens mis en œuvre dans la discussion en vue de démontrer, réfuter par une argumentation, un raisonnement), qui  reconnaissent le caractère inséparable des propositions contradictoires (thèse, antithèse), afin de chercher à les dépasser dans une synthèse, qui fera progresser les choses sous la force de la logique.  

 

3-Ne serait-ce pas ce que Hegel appelle la ruse de la raison, une illusion qui met les consciences individuelles, sans qu’elles le veuillent ni le sachent, au service de ce qui les dépasse. Comme son exemple de la dictature napoléonienne qui est d'abord au service des intérêts égoïstes de Napoléon, mais qui va pourtant contribuer au développement de la liberté: grâce à elle, les idées de la révolution française vont s'étendre dans une Europe sans frontières.

 

4-Fondé sur la négation du principe de domination d'un individu ou d'un groupe d'individus dans l'organisation sociale, l'anarchisme a pour but de développer une société sans classe sociale. Ce courant prône ainsi la coopération, fondée sur la solidarité, dans une dynamique d'autogestion. Il s'agit donc d'un mode politique qui cherche non pas à résoudre les différences opposant les membres constituants de la société mais à associer des forces autonomes et contradictoires.

Les courants sont « insurrectionnels », qui veulent détruire le système autoritaire avant de construire, soit « syndicalistes », qui visent à faire du syndicat et de la classe ouvrière, les principaux artisans tant du renversement de la société actuelle, que les créateurs de la société future, ou encore « éducationnistes» par la préparation de tout changement radical par une éducation libertaire, une culture formatrice, des essais de vie communautaires, la pratique de l'autogestion et de l'égalité des sexes, etc. (Wikipédia)

 

5- Ce paragraphe est une paraphrase à propos du travail d’une analyse de Merleau-Ponty à propos de l’histoire : pour Merleau-Ponty, l’objectivité absolue en histoire est impossible, car les valeurs et les faits sont liés dans notre perception de l’histoire, ainsi que les dogmatismes qui décrètent de l’extérieur, un sens à l’histoire. Ainsi »l’histoire n’a pas un sens. Nous le lui donnons. » Et il dépend de « ce qui suivra ».

L’histoire n’est pas une science parce qu’elle est « nous » : la constitution du passé dépend de notre présent et du choix de notre avenir. D’où une pluralité de perspectives.

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Ancre 1

 

LA DICTATURE DU BONHEUR  

9 jan.2008

 

Plus on est heureux et moins on prête attention à son bonheur. Cela pourra paraître etrange mais au cours de ces deux années j’eus même parfois l’impression que je m’ennuyais. Non, je ne me rendais pas compte de mon bonheur. En aimant ma femme et en étant aimé d’elle je croyais faire comme tout le monde ; cet amour me semblait un fait commun, normal sans rien de précieux, comme l’air que l’on respire et qui n’est immense et ne devient inestimable que lorsqu’il vient à manquer. (Moravia : le mépris)

 

La recherche du bonheur nous rend-t-elle vraiment heureux ?

 

Le bût de l’homme est d’être heureux, certes, mais à quel prix ? Même en admettant que grâce à des efforts considérables et à une discipline rigoureuse on arriverait à un état de bonheur constant, est-ce vraiment un bien pour nous et pour les autres ? A force d'avoir fait du bonheur un idéal absolu, nous nous sommes condamnés à être malheureux. L'«obligation d'être heureux» est paradoxalement devenue une source d'angoisse et de misère morale.   

               

Je lisais récemment dans le N.Y.Times Magazine un article qui suggerait que les personnes « heureuses » avaient tendance à être aussi méchantes, intolérantes et sectaires que les personne malheureuses. Le journaliste américain infligait donc un gros coup à l’opinion répandue, selon laquelle le bonheur irait bras dessus-bras dessous avec la bonté, l’ouverture d’esprit et la solidarité.              L’éditorialiste justifie sa théorie après avoir examiné les conclusions d’un test paru dans la revue scientifique « Psychological Science » qui avait étudié les comportements interactifs de différents catégories de personnes.

 

  • Le groupe des « fachés-insatisfaits » a évidemment donné des jugements intrasigeants et peu généreux vis-àvis des autres groupes.  

  • Plus surprenant par contre c’est que le groupe des « sereins-satisfaits » ait démontré dans la majorité des jugements la même méchanceté et intransigeance.

     

    Vous pouvez imaginer que de telles conclusions n’ont pas manqué de declancher un vif débat qui dure encore. Surtout aux USA où au sujet du bonheur on ne plaisante pas : le droit au bonheur est inscrit dans sa Constitution. Et même si quelques lignes plus bas soit stigmatisé le sacro-saint droit aux armes, cela ne signifie pas qu’il y aurait un lien entre les deux choses. Encore que dans un élan fâcheusement anti-américain il serait facile d’imaginer les « bons citoyens » prendre leurs fusils et partir à la chasse de bisons, indiens, noirs, communistes, gay, libertins, fumeurs, tout ça au nom de leur recherche du bonheur.

     

    Cette image caricaturale nous incite à nous poser une question de taille : est-ce que la recherche obstinée du  bonheur ne nous transformerait-t-elle pas en êtres monolithiques, égoistes, voir superficiels ?

    En d’autres mots : si le bonheur devient le seul bût de notre vie, ne risquons nous pas de considérer tout ce qui nous en sépare comme un obstacle à éliminer coûte que coûte ?

     

    La Constitution américaine a modifié définitivement le concept de bonheur : une quête individuelle profonde a été transformée en droit social pour tout le monde, où la société a le devoir de rendre heureux chacun de ses membres.  

     

    Et là est le vrai nœud de la question : peut-on donner au concept abstrait, indéfinissable et absolument personnel de bonheur la valeur de droit avec toutes les conséquences que cela implique et dont les revendications ne sont pas nécessairement toujours positives, loin de là.

     

    Chez nous le bonheur n’est pas encore un droit fondé dans la Constitution. Mais le marché se substitue à cela, en nous bombardant quotidiennement le concept à coups de Pub et de Spot. L’attitude positive et l’exhibition du bonheur sont considerés comme modernes et « tendance ». Les téchniques de lavage du cerveau deviennent de plus en plus sofistiquées. Les exemples sont infinis et certains tout à fait emblématiques.

     

    Prenons l’exemple des produits cosmétiques : ils ne se contentent plus d’hydrater, nourrir, rajeunir, donner de l’eclat à la peau. Aujourd’hui les nouvelles crèmes nous rendent heureux puisqu’elles contiennent des « béta-endorphines », c’est à dire des substances à base de morphine sensées équilibrer les émotions. Et n’essayez pas d’en douter parce que cela serait déjà une attitude « négative » qui vous éloignerait du bonheur.

    Dans notre société contemporaine occidentale le bonheur est entré dans le registre du devoir. Il est devenu un impératif catégorique, « une sorte de Xle Commandement ».

    Soyez bien dans votre peau, dans votre tête et dans votre lit, sinon vous serez coupables de ne pas l'être.

     

    Ce qui est génant c’est la sensation de vivre sous une sorte de dictature du bonheur, ce que Pascal Bruckner appelle « l’éuphorie perpétuelle ».     Aujourd’hui celui qui ne choisit pas le bonheur est déjà considéré un perdant. Et nous savons très bien qu’ entre un perdant magnifique, et un gagnant quelconque …. qui nous irradie avec son bonheur, la société contemporaine a déjà choisi.

    Une conséquence de ce «nouvel ordre moral », c'est que la souffrance est devenue honteuse. Ceux qui n'affichent pas en public tous les signes extérieurs du contentement - les moches, les pâles, les bedonnants, les vieux, les timides, les déprimés - sont frappés de «mort sociale».

    On se scandalise parce qu'il y a encore du malheur, malgré toutes les promesses du progrès.

  • On demande à la société d'indemniser les victimes, comme on demandera bientôt à la génétique de supprimer la mort.  
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  • Alors pour atteindre ce « bonheur indispensable »,  nous voilà  lancés dans un entrainement épuisant, apte à décourager un champion du marathon :      crèmes, gym, alimentation spéciale, pharmacologie douce ou moins douce, lectures, séminaires et stages variés.  Il suffirait de regarder la liste des bestsellers.  Les publications qui nous donnent des modes d’emploi pour atteindre à  coup sûr le bonheur sont légion !

     

    Même une petite-fille de Freud a publié un livre dont le titre  est :        

  • « Comment perdre du poid en restant heureux ». Cela veut bien dire que notre société moderne ne se limite pas à imposer à des adultes intelligents d’être en sous-poid, donc de faire la faim, mais aussi de pratiquer le jeûn avec un grand sourire de bonheur.   

                                              Vivre et se soigner, cela finit par se confondre :

  • On ne mange plus : on pèse les calories qu'on ingère en s'inquiétant de son transit intestinal.

  • On ne fait plus l'amour : on surveille et on entretient son tonus sexuel.

  • On ne croit plus en Dieu : on cherche une spiritualité qui nous garantirait un supplément de bien-être en calmant nos angoisses.                            

    Mais lorsque nous aurons suivi toutes les instructions et aurons tout fait pour atteindre le modèle de bonheur proposé, nous serons doublement frustrés et malheureux si le résultat attendu n’interviendra pas.

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    Voici une phrase fameuse que nous connaissons tous : « il (elle) a tout pour être heureux ».

  • Cette phrase ne veut absolument rien dire. Il n’y a pas un « tout » objectif qui générerait le bonheur.

     

    N’oublions pas que les images et les symboles identificateurs sont aussi disciplinaires : au nom du bonheur nous donnons forme à une société fortement disciplinée. A force de vouloir être heureux à tout prix, et de vouloir reproduire un modèle imposé (par qui ?) nous perdons notre esprit d’ouverture et d’analyse, nous devenons intransigeants et sectaires comme nous l’expliquait le journaliste américain.

    A cause de ce repli sur nous même, nous nous trouvons isolés, dans une attitude qui exclut la complexité et la multiplicité des échanges avec les autres et avec le monde. Le candidat au bonheur essaie de se blinder, inutilement d’ailleurs, contre toute forme de malheur.

     

    Mais quand nous décidons d’éviter et d’ignorer tout ce qu’à nos yeux est un malheur, nous nous réduisons a vivre une vie « petite », une vie « partielle ».

     

    La dictature du bonheur limite la conscience de tout ce qui nous entoure mais duquel nous faisons partie. Et cet isolement est destructeur. L’actuelle recherche de bonheur est liberticide parce qu’elle est vécue à niveau individuel, comme si tout autours plus rien n’existait :

     

    donc seuls et même pas heureux !

     

    Moi, je pencherais d’avantage vers une vie peut-être moins souriante, mais probablement plus riche parce que plus complexe, dans la quelle le bonheur est tout simplement un agréable accident de parcours et non pas le bût unique.

     

    Je termine avec cette affirmation de Rimbaud : «  chercher le bonheur c’est se condamner à l’errance car,  la vraie vie est ailleurs ».

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    Luca

     

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    La Fin de la Géographie

     

    L’idée m’a été suggérée par l’ouvrage d’A. Finkielkraut et P. Sloterdijk  « Les Battements du Monde » et elle a son origine dans celle, beaucoup plus diffusée, de la « Fin de l’Histoire » celle-ci, plus ancienne se retrouve déjà chez Marx, la Fin de l’Histoire étant pour lui l’aboutissement de la  lutte des classes  et l’avènement d’une économie collectiviste, autorisant la disparition des classes sociales et de l’état pour déboucher sur la mise en place d’une société idéale.

     

    Ce rapprochement entre l’histoire et la géographie est favorisé par le fait qu’en France nous avons  une discipline scolaire regroupant ces deux matières, ce qui est rarement le cas dans les autres pays. Ailleurs l’enseignement de l’histoire est plutôt associé à celui de la littérature et celui de la géographie aux sciences sociales. Toutefois, par delà les spécificités françaises, ces deux disciplines apparaissent tout de même liées. En effet, l’enseignement  de l’histoire est circonscrit en général  à une aire géographique plus ou moins vaste, celle-ci pouvant être très réduite, comme dans le cas de la micro histoire.

     

    De même en géographie, on distingue la géographie physique de la géographie humaine, cette distinction apparaissant essentiellement en cartographie et dans les atlas. La géographie physique se réfère, quant à  elle, principalement à des données topologiques comme la découpe des côtes, le trajet des fleuves, le relief appréhendé  par les courbes de niveau … À l’inverse la géographie humaine est avant tout concernée par les frontières. Celles-ci  apparaissent comme une construction de l’esprit,  même si elles s’adossent  aux saillances du substrat topographique. La frontière est l’inscription de l’histoire  sur la page formée par le relief du globe. Elle est le fruit  de conflits, de conquêtes, d’armistices et de contrat de vente.

    C’est l’effacement progressif de ces lignes conventionnelles constitué par les frontières, qui va former le point nodal de la fin de la géographie. On assiste dans le monde contemporain à un recentrage du mode  spatial  vers le temporel. Mais comme les physiciens nous l’ont appris, ces deux composantes sont indissociables, nous sommes en fait confrontés à un continuum spatio-temporel. La tentative d’appréhender isolement l’espace, sans prise en compte de la mobilité inhérente au devenir aboutit aux ainsi nommés paradoxes (en fait plutôt des apories) de Zénon d’Élée. Pour lui la grenouille n’arrive jamais à traverser l’étang et Achille ne peut pas rattraper la tortue. Actuellement, l’oubli  progressif de la limite représentée par la frontière se double d’un développement massif des systèmes informatiques de positionnement  géographique  et de détermination des trajets. Un site  à la surface de la planète est de moins en moins perçu par ses caractéristiques sensibles au profit de la substitution par des coordonnées polaires de longitude et de latitude. Ces données sont  exploitées  par des systèmes informatiques,  qui ont eux-mêmes la caractéristique d’être de plus en plus mobiles  et embarqués. Ces dispositifs technologiques ont, en outre, la capacité d’assurer la transmission rapide des informations et, de ce fait, contribuent encore plus à l’effacement de la notion de distances. Celle-ci avait déjà préalablement  été bien entamée par le développement  massif des moyens de transport rapides.

     

    Ceci suggère une réflexion à propos du préfixe « hyper » de plus en plus utilisé, comme  dans les termes d’hyperempire ou d’hyperconflit, ceci probablement par analogie avec le vocable d’hypertexte s’appliquant aux documents internet. Ce dernier permet d’utiliser un mot d’un texte et de renvoyer vers d’autres documents en s’affranchissant des limites de l’original. Il  en découle un enrichissement aisé des sources mais au détriment des capacités d’analyse et d’approfondissement. En ce sens, Sloderdijk attire notre attention sur la notion d’immunité par rapprochement de celle des organismes biologiques. Pour lui l’immunité implique que l’on  reconnaisse les conditions de possibilité d’une vie définie dans un corps défini ainsi que dans des frontières  plus ou moins circonscrites. Le modernisme absolu fait de nous des émigrants de la dimension temporelle de notre existence. L’homme devient un être qui n’habite plus, qui n’a plus de logement sauf éventuellement des logements volatiles et échangeables. L’effacement  de l’ancrage territorial  est, néanmoins, à l’origine de réactions en retour exagérées et inappropriées comme on peut le constater avec les prises de position du FN ou avec des crispations, parfois violentes, sur des identités régionales. Mais, et toujours selon Sloterdijk  « Sans un élément de territorialisme positif, il n’y a pas de possibilité de développer la culture de la différence en soi même ».

     

    Platon, déjà, établissait le rapprochement  entre la conduite de la cité et celle de la vie personnelle. L’appartenance à une communauté ou à un groupe est  en général géographiquement circonscrite, bien qu’actuellement on constate la formation de groupes sur internet sans que ceci implique une proximité géographique. L’inscription dans l’espace  retentit tout  autant sur l’appartenance à une communauté que sur l’identité individuelle,  ainsi qu’aux rapports que l’individu et le groupe entretiennent entre eux.

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  • Jean-Brice.

     

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La Musique est-elle une philosophie ?   

Existe-t-il une philosophie de la musique ?

 

On peut en douter, car si beaucoup de philosophes ont parlé de l’art et plus précisément de la musique, rares sont ceux qui ont véritablement touché au but. Souvent, dans leurs écrits, la musique est moins analysée pour elle-même que pour la place qu’elle est censée occuper dans le système du philosophe, qui a des préoccupations beaucoup plus larges . De sorte que les questions brûlantes pour tout véritable musicien, à savoir : « Qu’est-ce que la musique ?    Que nous dit-elle ? Quelle expérience spirituelle unique nous procure-t-elle ? » y sont souvent perdues de vue.

 

Platon : pour l’éducation des enfants il conseillait la musique et la gymnastique (= le « mens sana in corpore sano » des Romains)

 

Pour lui il s’agit de discipliner la jeunesse instable en « ancrant » son âme dans le sol fixe des Idées. En habituant les jeunes à la mesure musicale, au rythme et à l’harmonie on leur donne une pré-notion des essences objectives et éternelles. Ainsi, avant même que leur intelligence soit formée, ils sont préparés par la musique à découvrir la philosophie, laquelle est évidemment, avec les mathématiques et la dialectique, la seule nourriture vraiment solide de l’esprit.

 

Aristote : différenciait le  style phrygien du style dorien = musique légère/musique sérieuse

 

Il disait qu’en écoutant la musique classique, l’homme libre découvrirait des essences du monde jusque-là inconnues de lui. À la différence de ce que nous disait Platon, Aristote pense donc que la musique est d’emblée et de plein droit philosophique.

 

Ensuite il faudra attendre Schopenhauer, Nietzsche et heidegger pour retrouver des reflexions profondes sur la musique. (Kant et Hegel étant plutôt « bouchés »…)

 

Beeth. pense que le destin peut être maîtrisé.

 

Voilà  déjà un concept philosophique fort. Nous savons que Beeth. a écrit les deux-tiers de sa musique en étant complètement sourd. Il serait intéressant de refléchir au rapport entre ce concept de maîtrise du destin et la musique qui lui a permi de le maîtriser au delà de toute attente. Nous sommes face à 2 possibilités. (1. philo précède m. / 2. m. précède philo)

  • la M. a été sa philosophie, donc Musique =  Philosophie,  (philo dans sa m.)ou alors

  • la M. a été l’outil de sa conviction philosophique, grace au quel il a pu la développer ;  -  la M. serait donc une source, voir une téchnique de connaissance philosophique.

     

    Pour éviter de tomber dans le piège courant des phrases édifiantes et des raccourcis, j’essayarai d’approfondir le sujet en partant de la musique elle même,  de celle de Beethoven et de sa V Symph. en particulier. Le sujet de ce soir étant trop vaste, il me faut le limiter, sans ça nous serions vite amenés à nous disperser tous azimûts.

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  • La Musique une philosophie ?

     

    Pour nous entendre sur les mots, j’appellerai la musique qui nous intéresse pendant ce débat musique cultivée.  (m. sérieuse)

     

    Je n’entrerai pas dans la dispute stérile quant à la différence et l’év. suprématie de la m. cultivée, car je la considère infondée. Il est rare d’ailleurs qu’on se penche sur la question d’une manière rigoureuse. Très souvent ces catégories ne sont que des slogans sans fondement ou ce sont des préjugés pour alimenter la bonne conscience des abonnés de concerts.

     

    L’origine de cette idée de musique cultivée se situe dans le scénario philosophique, idéologique et social de la bourgeoisie du XIX s. qui a engendré le Romantisme et ses idéalismes. C’étaient des horizons nouveaux qui se substituaient aux codes figés de l’aristocratie et de sa conception classique de la beauté. (art = bauté = vérité)

    Et Beethoven en est le champion indiscuté de ce nouveau scénario. Chez lui nous trouvons superposés pour la première fois trois aspects majeurs soudés par une nécessité intérieure, à savoir :

     

    1)  le musicien veut échapper à une conception strictement commerciale de son travail. (écrire uniquement sur commande)

    2)  le musicien ambitionne y compris de manière explicite, un sens spirituel et philosophique.  ( IX symph., texte de Schiller)

     

    3)  la technique du compositeur atteint une complexité qui défit la capacité réceptive d’un public normal, à savoir d’un public moyennement cultivé.

    Dans le domaine laïque la « m. cultivée » remplace la « m. réservée » du XVIs. : les ambitions de l’esprit (donc aussi celles de la philosophie)  ont remplacé celles du divertissement. Dans cette perspective Beethoven fût hissé au rang de modèle.

     

    Aujourd’hui nous sommes face à d’autres « horizons nouveaux » ouverts par le déclin du scénario idéologique et social de la bourgeoisie. Je vais appeler notre époque « modernité ».

     

    En musique il n’y a pas un contact direct entre le compositeur et son public. Rien que la capacité de lire une partition demande un apprentissage spécial et sa lecture de toute façon, ne donne qu’un reflet réduit de sa réalité. L’interprète est indispensable à la musique pour opérer le passage du signe au son ou, plus poétiquement, pour la faire vivre ou encore,  plus philosophiquement pour lui donner un sens.

     

    Grâce à l’interprète la même musique aura quantité de visages différents. L’interprète devient donc essentiel et par là même responsable : il met son talent, son tempérament, ses possibilités  techniques au service d’une œuvre d’art qu’il peut soit transfigurer, soit défigurer. Et il s’agit bien de remettre constamment en question cette responsabilité et de la repositionner en fonction des différentes époques, des connaissances et des sensibilités qui sont en perpétuel mouvement.

     

    Pour nous lancer dans cette réflexion, penchons nous un moment sur la V symph. de Beethoven.

     

    La cellule célèbre qui ouvre cette symph. et qui est présente dans les 4 mouvements, cette cellule germinale donne son sceau à l’ouvrage entier et en détermine le caractère cyclique, mais aussi son sens unificateur.

     

    On a tenté d’expliquer de bien de façons la fascination et l’attraction exercées par cette symphonie. Elles tiennent fondamentalement à sa qualité particulière. La V symph. fait partie des quelques oeuvres très rares qui ont modifié la perception de la musique et de l’art en général, en s’imposant d’emblée par une puissance de réalisation hors du commun.

    (Soulignons à ce propos la concision du premier mouvement, d’une durée inférieure à 6’30“).

     

    Le travail de Beethoven a généré une idée de la musique qui, avant lui, n’existait pas. Ce qu’offrent ses œuvres c’est le spectacle du moment où une idée surgit du néant et devient. Ceci a d’ailleurs rendu la V symph. inimitable, étant de ces œuvres qui épuisent les pouvoirs qu’elles révèlent. Pourtant si la Cinquième n’a pas eu d’émules, elle a libéré de façon irréversible des capacités créatrices insoupçonnées. Elargissent brusquement le domaine de la conception musicale, elle représente une sorte d’action philosophique qui a amplifié la stature de l’homme et élargi les limites de son esprit de conquête, ce qui fait d’elle un des éléments plus universellement reconnus de son progrès sur lui-même.

     

    Peu d’œuvres autant que la V symph. ont porté l’homme grâce au contact direct et boulversant avec la force de l’esprit à se savoir plus grand.

    La Cinquième de Beeth. dont nous héritons n’est pas la créature vierge du compositeur, mais une constellation d’empreintes historiques, philosophiques, sociales, laissées par le temps et par les styles des différentes époques qu’elle a traversées. Son unité est l’histoire de ces empreintes

     

    INTERPRETATION

     

    Aujourd’hui la Cinquième peut encore nous émouvoir et émerveiller. Mais il est aussi possible de ne plus l’apprécier pleinement, à cause de sa familiarité, à cause des nombreuses interprétations bâclées et de mauvais goût, mais surtout à cause de la manière dont on la consomme. Rien ne peut sauver la m. cultivée si elle n’entre pas dans une sorte de court-circuit avec la modernité. Elle doit redevenir une idée qui devient ! Il faut qu’elle demeure subversive (résistante) et utopique ou elle meurt. Malheureusement trop souvent, de banales interprétations la transforment en icônes pour une mythologie fatiguée.  

     

    La question qui nous intéresse est la suivante : - comment l’idée philosophique de la musique cultivée aux temps de Beethoven et sa pratique ont-elles réagi face à l’évolution de la société -  Comment cette idée philosophique et sa pratique ont-elles réagi face à la modernité.

     

    Actuellement on considère que dans la musique cultivée il y a une notation objective (les notes) et une plus subjective (les nuances et le tempo). Nul n’aurait aujourd’hui l’idée de changer les notes d’une mélodie ou d’un accord. Toute la liberté de l’interprète réside dans sa capacité expressive à mettre en valeur l’œuvre en différenciant les données subjectives.         A partir de maintenant nous sommes face au grand débat : fidélité au texte – expression-objectivité

     

    Aujourd’hui nous retrouvons encore les deux modes d’interprétation, le « romantique » qui exalte le contenu « caché » (év. philosophique)  et le « moderne » qui  en souligne la structure. Dans la période de l’entre-deux-guerres ces deux modèles, on provoqué  de vrais affrontements.

     

    Toute interprétation se frotte au mystère. Mais seules suscitent une interprétation « philosophique » les oeuvres qui, d’une manière ou d’une autre, se transcendent elles-mêmes en renvoyant à quelque chose de plus que ce qu’elles énoncent. Et l’interprétation est le lieu où ce plus  s’articule et se manifeste. Cette capacité à convoquer la transcendance est inhérente à l’interprétation et en aucun cas donnée en avance. L’interprétation devient médiation.  En absence de cette médiation, même les plus grands chefs-d’œuvre deviennent de purs produits de consommation. Ils ne perdent peut-être pas leur dignité, mais certainement les qualités qui les distinguaient du reste de la musique. En réalité un produit musical n’échappe à une identité purement commerciale que dans l’instant où commence son dialogue avec l’interprétation.

     

    Venons-en maintenant au malentendu du « sentiment » dans lequel une grande partie du public musical continue de s’identifier. Nous avons tous déjà entendu le commentaire : -il a bien joué, mais ça manque de sentiment.- Encore faudrait-il savoir qu’est qu’ils entendent par « sentiment ». Ne serait-il pas le cas que lorsque la subjectivité de l’interprète gonfle la réalité du texte musical ? L’exemple célèbre de cette subjectivité omniprésente ce sont les interprétations de W. Furtwängler qui en vrai interprète post-romantique allemand s’approprie littéralement du texte pour le livrer dans sa vision « égotique ».

     

    Toutefois la clef interprétative qui éloigne de la reproduction pure et simple ou de la subjectivité égotique ne vient pas de l’extérieur ; c’est une clef qui est à l’intérieur du texte, et qui incombe à l’interprète de libérer. L’interprétation véritable est la réinvention de la musique par elle-même, et surtout pas l’expression des sentiments de celui qui la joue.                        Le vrai interprète est le medium entre l’œuvre et son époque et non pas entre l’œuvre et son plaisir personnel ou entre l’œuvre et l’attente du public. Et quand cela arrive (G. Gould, Heifetz, Toscanini), cela se donne comme un choc, comme un court-circuit entre la musique cultivée et la modernité.

     

    La musique cultivée comme nous l’avons vu, était l’expression d’un système social et philosophique achevé et intelligible.

    La modernité est un non-système dont la règle est l’indéterminé, le provisoire, le partiel. La peinture contemporaine nous le montre bien.

    La modernité n’a pas moins peur du chaos que le XIX siècle, romantique et idéaliste. Le XIX siècle imaginait des œuvres qui étaient des univers clos et stables. Les œuvres de la modernité sont fragmentées et instables ; elles sont une constellation parmi d’autres, une formule passagère, à l’image des nombreux et disparates courants philosophiques contemporains.

     

    Un geste capable de relier deux mondes aussi éloignés ne peut être qu’un geste excessif et extrême. Et la musique contemporaine est bien là pour nous le montrer !

     

    Comme l’a si bien dit l’écrivain Alessandro Baricco: l’irruption de la modernité fait voler en éclats les self-services bienheureux de l’âme.

     

    Quelques idées supplémentaires :

     

    Le vœux wagnérien d’abandonner la chimère musicale pour l’écriture philosophique (après tout, Wagner a bien renoncé à devenir philosophe... mais il est vrai qu’il a fini en idéologue, ce qui compense un peu).

     

    La musique ne se compose pas que de musique; elle se compose aussi de matériaux de pensée. La musique mobilise les pensées.

     

    Mais la musique a encore un autre avantage - si nous la comparons, cette fois, à la poésie.

    Dans la poésie, la sonorité renvoie à un sens précis - le sens de chaque terme employé, le sens de la phrase: le sens de la vie courante.

    Dans la musique, au contraire, le son ne présente pas une telle précision. Mais cette imprécision de la musique, qui nous empêche de mettre un sens sous un son, en constitue aussi toute la force. La musique se révèle, grâce au son.

     

    C’est une langue plus pure que la langue poétique. Une langue plus pure en ceci que nous sommes, grâce à cette imprécision, renvoyés à la complexité de la réalité elle-même

    - une complexité qui dépasse les possibilités de la langue poétique, qui dépasse les possibilités de la langue rationnelle. La musique se présente, en un sens, comme la langue la plus conforme à la réalité telle que celle-ci existe en réalité.)

     

  • Beeth : la musique est révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie.

     

    Luca

     

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PEUT-ON DEFINIR LE BIEN ET LE MAL ?  

CAFE PHILO - 30 JANVIER 2008

 

La question qui m’a fait proposer ce sujet au café philo est la suivante : la notion du bien et par corrélation celle du mal a-t-elle un caractère absolu ou-bien peut-elle être définie de manière relative dans le temps et dans l’espace ? En effet, aujourd’hui se multiplient des comités d’éthique qui réfléchissent sur des sujets aussi divers que la naissance, le sexe, le genre, l’euthanasie. Ils reposent sur la conviction que la philosophie n’a pas d’objet réservé et doit contribuer,  lorsque c’est possible, à définir une vie bonne. Le bien ne serait pas défini une fois pour toutes.

A travers l’histoire de la philosophie, on peut dire qu’il existe deux grandes conceptions de la morale : d’un côté, celle qui donne une place centrale au bien et, de l’autre, celle qui accorde la priorité au juste sur le bien et qui propose de définir des nouvelles normes en fonction des questions qui se posent. Existe-t-il une troisième voie pour définir le bien ?

1) Dans la philosophie chrétienne médiévale, le bien signifie Dieu.

La Bible enseigne que Dieu est bon et que toutes les choses qu’il a créées sont bonnes (voir Genèse1, 31). Cette conception relationnelle du bien lie bien et être. Dieu, l’Etre suprême et premier, est le Bien, la créature, être créé et second, est un bien. Conçu comme transcendantal, comme attribut s’appliquant à tous les êtres, le bien est coextensif à l’être. Tout être peut aussi être bon en fonction de son degré d’accomplissement. Le bien devient alors désirable et l’objet de désir de tous les êtres.

2) Peu à peu ce dogme du bien est remis en question

Bien que dans l’Europe chrétienne, le bien le plus précieux consiste dans la contemplation de Dieu, émerge progressivement au moment de la Renaissance une réévaluation des biens mondains et principalement du bien commun. Le bien n’est plus considéré sous l’angle du sacrifice, de la mutilation des passions. Le bien ne peut pas être exclusivement l’exercice de la vertu. Le bien véritable n’est pas le bien de l’homme isolé, maître de soi, mais le bien propre à l’homme mortel, union de l’âme et du corps, intégré dans un monde commun. Le bien véritable est donc le bien commun, essentiellement politique  (liberté républicaine). La vertu est l’explicitation d’un acte politique qui a des effets sur la vie collective.

Pour Spinoza, nous ne désirons pas une chose parce qu’elle est bonne, mais la jugeons bonne parce que nous la désirons. Bien et Mal sont relatifs à l’état du corps de chacun, mais aussi l’un par rapport à l’autre ( un moindre mal sera dit bien par rapport à un mal plus grand et un bien empêchant la jouissance d’un bien supérieur sera dit mal). La Raison peut donner un contenu objectif au bien et au mal si l’on considère qu’est bien ce que nous savons avec certitude nous être utile, ce qui sert à la conservation de notre être, augmente ou seconde notre puissance d’agir et nous conduit à la connaissance. Est mauvais ce qui nous empêche d’acquérir un bien et nous rend moins actifs.

Pour Nietzsche, la question n’est pas de définir le bien et le mal, mais : dans quelles conditions l’homme a-t-il inventé les jugements de valeur bon et méchant ? Dans le cas de la morale des puissants-qui identifie bon à noble, mauvais à méprisable-comme dans la morale des esclaves –où bon est synonyme de faible, méchant de puissant- c’est une certaine volonté de puissance qui est à l’œuvre et constitue telle ou telle hiérarchie. Celui qui pense la morale doit se situer à l’extérieur de la morale, par delà le bien et le mal.

3) Actuellement, la philosophie morale accorde une priorité au juste sur le bien. L’éthique qui accorde la priorité au juste est impérative ; la notion de juste renvoie à l’idée d’obligation. La morale de Kant pose que c’est la loi morale qui définit le bien et le mal et non l’inverse. La plupart des philosophes modernes estimant que chacun se fait une conception différente du bonheur et du bien, accordent comme Kant, la priorité au juste pour asseoir leur théorie morale. C’est le cas de John Rawls ou de Jürgen Habermas.

Il paraît difficile de démontrer la supériorité d’un système de valeurs sur un autre. Jürgen Habermas veut dépasser l’opposition entre universalisme (il y a une seule morale valable pour tous) et relativisme(toutes les morales se valent). Il ne faut pas tenter de définir la vie bonne, mais les normes justes. Il propose une éthique de la discussion dans laquelle une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord ou pourraient l’être en tant que participant à une discussion pratique sur la validité de cette norme. Il s’agit d’une éthique procédurale : le respect des règles de la discussion garantit que les normes morales obtenues sont justes.

Michael Walzer propose de distinguer morale minimale et morale maximale. Les morales maximales correspondent aux morales concrètes. La morale minimale est un noyau de principes que peuvent partager tous les humains. Les morales concrètes, parfois divergentes, sont premières et les interactions entre les cultures ont peu à peu permis de dégager un consensus par recoupement.

Il apparaît qu’une théorie morale pluraliste est astreinte à un haut niveau de généralité et à une redéfinition des limites de la morale. C’est ce que défend Ruwen Ogien en proposant une éthique minimale. Il insiste sur le fait que le principe de non nuisance à autrui peut être étendu à l’éthique . Il implique qu’on exclut de cette morale minimaliste les dommages que l’on se cause volontairement à soi-même, ceux qui sont le fait d’adultes consentants, et les atteintes à des choses abstraites ou symboliques comme les dieux ou le drapeau de la nation. Cela contredit le discours moral courant qui est plutôt maximaliste et condamne toutes sortes d’actions qui ne causent aucun tort direct à des personnes concrètes.

Paul Ricoeur formule aussi une norme morale relative à la communauté : « ne fais pas à ton prochain ce que tu détesterais qu’il te soit fait. C’est la loi tout entière. Le reste est commentaire ».

4) On peut défendre l’hypothèse qu’il existe un bien formel, ou ordre des biens.

Il existe un principe, une sorte de bien formel, en fonction duquel il serait justifié de parler d’ordre des biens, de disposition dans le temps, de cohérence, de pluralité et de hiérarchie des biens. C’est par rapport à un principe d’ordre de ce type que peut être circonscrite la place des obligations et devoirs stricts à l’égard d’autrui dans l’ensemble des biens.

Ce serait penser un bien non substantiel qui ne tomberait pas sous le coup des critiques adressées à la vie bonne. Platon, déjà, ne comprend pas le bien comme une substance. Il le conçoit comme un principe impersonnel, prescriptif et incorporel. Au moment de se réincarner, les âmes doivent choisir une vie qui présente un principe formel de bien, un ordre incorporel. Restera ensuite à faire le travail propre à l’existence qui incombe à la personne : faire sienne une telle vie et la rendre intelligible à ses propres yeux.

Postuler un bien formel tient à la nécessité de définir les contraintes d’ordre et de cohérence auxquelles est soumis l’ensemble des biens humains.

Cette démarche s’oppose à la philosophie qui dit que le bien est une substance identifiée comme telle et à une autre philosophie qui pense que le bien ne comporte aucune caractéristique intrinsèque : le bien n’est que l’objet de préférences. Il est indéterminé.

En opposition à ces deux thèses, on peut avancer que le bien représente un principe formel qui nourrit chez l’homme une forte aspiration à la rationalité et à l’objectivité en matière de valeurs.

ANNEXES

Le mal ne peut être pensé que par rapport au bien. Cette relation est à sens unique : le mal n’est jamais tel que par rapport à un bien, mais le bien a une positivité propre. Le mal n’est pensable que par un entrecroisement de négations par référence à la norme. Il n’y a de mal que parce qu’il existe pour l’homme un problème du mal depuis l’origine de la pensée humaine.

L’éthique ancienne grecque accorde une priorité au bien : elle est attractive. Pour Platon et Aristote, tout être humain recherche le bonheur, qui s’obtient par la pratique de la vertu. Il y a d’abord un Bien visé. Il y a coïncidence de la poursuite du bonheur et de l’accès à la vertu.  Ce bonheur doit être partagé pour être un bien ; Il a une dimension politique. Une objection apparaît rapidement : toute vie vertueuse n’est pas nécessairement heureuse et inversement. Les contradicteurs de Socrate dans Le Gorgias de Platon disent que souvent les tyrans sont les plus heureux des hommes. Dans La République Platon nous dit que le Bien n’est pas essence, qu’il est au-delà de l’essence et qu’il surpasse celle-ci en dignité et en pouvoir. Le bonheur se présente comme une réalité divine et accessible à la plupart des hommes.

 

Geneviève

 

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Le désir est-il l’expression d’un besoin ?


Les hommes, tout comme les animaux, éprouvent des sensations, de faim, de soif, de froid, etc… qui traduisent des états incommodes et qui se manifestent par autant de besoins à satisfaire. Mais, alors que chez l’animal, toute l’activité consiste en la recherche de la satisfaction de ses besoins, ce qui relève de l’existence humaine ne se contente pas de ce prosaïsme répété à l’infini. Certes satisfaire un besoin assure la conservation de soi, de l’espèce, mais il ne concerne rien d’autre qu’un perpétuel retour à l’équilibre du corps. L’animal, lorsq’il se nourrit, peut très bien ingurgiter le même aliment sa vie durant ; même si un chien ou un chat, faisant l’expérience d’un met plus raffiné, s’en souviendra, se précipitera néanmoins sur sa gamelle si on ne lui présente que ça. Alors que n’importe quel humain, dès lors qu’il n’est pas dans une situation de famine, cherchera à varier quotidiennement sa nourriture. Car en plus de se nourrir, l’homme éprouve une satisfaction, un plaisir à bien manger. Plaisir qu’il cherchera tout naturellement à renouveler à l’infini. Peut-on alors dire qu’à chaque besoin correspond un désir, le désir trouvant sa source dans le besoin dont la satisfaction s’est trouvée agrémentée de plaisir, ou au moins d’un plaisir non initialement recherché ? Le désir perdurant même après la satisfaction du besoin, étant alors ce que P. Ricoeur nomme « un plaisir imaginé ». De sorte que ce n’est pas le besoin qui exprime quoi que ce soit, mais bien plutôt le désir en tant qu’il est le reflet de notre conscience, de notre individualité, de notre subjectivité, et, transformé par l’apprentissage du plaisir, du goût, de l’esthétique, devient un des moteurs de notre activité, est le sillon dans lequel germent civilisations et cultures; bref, c’est par le désir que l’homme a acquis et conquis son humanité, est sorti de l’état de nature. Le désir serait « ce supplément d’âme, cet indéfinissable charme, cette petite flamme » que nous chantait France Gall. Cependant pourquoi entend-on souvent l’expression de « l’obscur objet du désir », comme si celui-ci, aussi impérieux et impétueux que le besoin, quoique moins fruste, du fait de cette impétuosité pouvait nous mener à des égarements voire nous entraîner vers des passions mauvaises ? Ainsi par exemple le besoin de parler peut entraîner le désir de convaincre qui peut aller jusqu’à la passion de vaincre. Bien ténue souvent est en effet la frontière entre le désir et l’envie, la jalousie, la convoitise, l’avidité, la cupidité, l’avarice, la rapacité, le despotisme, le fanatisme, bref « l’arraisonnement du monde » dont parlait Heidegger qui comparait la civilisation technicienne du 20. siecle à des pirates arraisonnant et pillant leur propre monde.
C’est que le désir repose non sur un quelconque raisonnement mais sur l’imaginaire, la fantaisie, une représentation de soi valorisante, voire l’utopie, bref des choses en apparence secondaires, voire superflues, mais qui acquièrent une signification pour soi, une importance primordiale dès lors qu’elles deviennent objet de désir; il ne se raccroche au réel que pour le fantasmer, lui donner un avenir plus agréable. En fin de compte, il nous fait dériver vers ce qui est une croyance, la croyance en la nécessité pour soi d’avoir ce que l’on désire, de faire ce que l’on désire faire. Alors que le besoin nous ramène au présent, à l’immédiat, à la pure matérialité, il ne tend vers rien même s’il est le porte-greffe du désir. Une récente campagne électorale était basée sur « un désir d’avenir ». Imagine-ton le flop que cela aurait été si l’accorte auteure de ce slogan avait parlé d’un besoin d’avenir ? Evidemment tout le monde a besoin d’un avenir, mais le présenter comme un objet de désir, c’est habilement faire en sorte que se mêle son propre imaginaire avec un programme politique, c’est faire croire que les frustrations s’évanouiront comme par enchantement. Certes, nous ne sommes plus au temps de Lénine dont l’un des slogans était : « A chacun selon ses besoins ». L’action politique était alors considérée comme une simple intendance, ce qui ne pouvait que dériver vers le totalitarisme: tout aspect éthique étant négligé, tout désir étant suspect.
Evidemment, ce n’est pas parce qu’un désir jaillit en nous qu’il sera automatiquement satisfait. Ne l’est-il pas que cela ne saurait nous laisser indifférent. Qu’un besoin ne soit pas assouvi et cela crée un manque, qui se traduit par une souffrance physique. Qu’un désir reste à l’état de désir et voilà le début de bien des contrariétés ; il générera de la frustration, qui se manifeste par une souffrance morale. Et comme nous l’avons dit plus haut, il peut dégénérer en envie, sentiment négatif s’il en est : ne dit-on pas être rongé par l’envie, baver d’envie. De fait, un narcissisme compulsif nous pousse toujours à prendre nos désirs pour des réalités, mais le réel est précisément ce qui résiste au désir. Il faut que le désir se transforme en projet, en volonté, en ambition pour qu’il ait une chance de se concrétiser. Ou au contraire, on peut se résigner, considérer que cela est sans importance, voire au sens psychanalytique du terme, sublimer son désir. Et puis d’ailleurs, voir se réaliser tous ses désirs, serait-ce là la voie du bonheur ? Il nous est certainement déjà arrivé de dire voyant quelqu’un qui a réussi: voilà quelqu’un de comblé, tout lui a souri. Il doit être heureux. Pourtant jamais une telle personne ne vivra dans la contemplation béate d’elle-même, c’est comme s’il semblait que le but ne soit jamais atteint.
Platon, dans « Le Banquet », nous conte la naissance d’Eros, divinité restée jusqu’à nos jours le symbole du désir amoureux. Le jour de la naissance d’Aphrodite, les dieux firent banquet, l’un d’eux, Poros, ayant fait excès de bombance, s’allongea dans un pré où il s’assoupit. Cependant une mendiante, Penia, pensant récupérer quelques miettes du festin, s’aventura jusque là. Voyant Poros allongé, elle se mit à coté de lui et le combla de ses faveurs de sorte qu’Eros fut ainsi conçu. Car pensa-t-elle, un enfant provenant d’un d’aussi auguste géniteur ne pouvait avoir une destinée aussi misérable que la sienne…texte du banquet…
Ce texte illustre toute l’ambivalence du désir amoureux et du désir en général : de manière hasardeuse, il fait se diriger celui qui l’éprouve vers ce qu’il croit pouvoir lui apporter la félicité perpétuelle, car s’il sait ce qu’est la beauté, il se contente de simples apparences sans les amender d’aucune réflexion puisqu’il vit dans l’illusion de posséder le savoir. Comme les images de la beauté sont multiples, il ne sait où poser son regard et il erre sans fin tel Penia. Et en même temps, il symbolise la joie, la force d’une vie rayonnante, la plénitude, ce qu’il tient de Poros. Mais ce qu’il symbolise, il ne peut l’atteindre, n’étant pas lui-même Poros. En claudiquant, il est une aspiration, un élan vers cette plénitude inatteignable car réservée aux dieux. Et tout au contraire, de par sa nature indigente qu’il tient de Penia, il peut jeter l’homme dans le desespoir, l’affliction et l’accablement. Néanmoins, même au plus profond du dénuement, il tendra, comme sa mère, vers le beau, le sublime, le parfait, car c’est à l’initiative de Penia qu’Eros est né : c’est l’indigent qui désire même si ce n’est pas pour lui-même, et non celui qui vit dans le contentement de ses sens et la suffisance de sa condition. Ainsi, suivant le mythe platonicien, le désir est un élan vers la plénitude mais une plénitude inatteignable car elle est au-delà du désir. Par ce mythe, Platon fait référence à sa théorie du monde sensible, le nôtre, marqué à jamais par l’imperfection et sujet au devenir permanent, puisque ce monde sensible ne fait que masquer le monde des Idées, monde de par sa nature, parfait. Le désir est la tension de l’être vers l’idéalité dont il éprouve la nostalgie car il en a une connaissance diffuse; mais immergé dans le monde sensible, dans le monde de la matérialité, et, s’en contentant, il n’a cesse de se tourner vers ce qui excite son imagination, mais qui sont autant de leurres, de tromperies qui ne permettent pas d’accéder à la plénitude de soi. Etre à la recherche d’un absolu, quelque soit la nature de cet absolu, est nécessairement une illusion dans un monde où tout est relatif car tout est toujours en relation avec autre chose, en dépendance avec autre chose alors que l’absolu est précisément ce qui n’est ni en relation ni en dépendance avec rien, étant par lui-même sa perfection, ne devant sa finalité qu’à lui-même.
Est-ce à dire alors que le désir n’est rien, est lui-même une illusion, une duperie, à laquelle il vaut mieux renoncer puisque ce qu’il vise est dehors du champ du savoir humain? Faut-il se réfugier dans l’ascétisme, où le seul désir pertinent serait de ne pas avoir de désirs ou de les considérer comme quantité négligeable? Ainsi Schoppenhauer, dans « le monde comme volonté et comme représentation » écrira : « le désir, par nature est souffrance ; la satisfaction engendre la satiété ; sous une forme nouvelle renaît le désir, et avec lui le besoin, sans quoi, c’est le dégoût, le vide, l’ennui, adversaires plus rudes encore que le besoin ». Perspective peu encourageante ! Plus positif, Nietzsche condamnera le christianisme et sa pseudo-morale fondée sur le ressentiment et le dédain des plaisirs: « Jamais l’Eglise ne s’est demandée comment spiritualiser, embellir, diviniser un désir » constatera-t-il, réhabilitant ce faisant le désir. Bien plus radical a été avant Nietzsche, Spinoza, qui dans l’Ethique affirmera : « Le désir est l’essence même de l’Homme, en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose ». Il répond alors bien à un besoin, ce besoin étant la nécessité de créer, d’agir, de concevoir, c’est par la puissance de son action que l’humanité se crée, que l’Histoire se façonne, avec ses drames mais aussi ses réussites spectaculaires. Quoique l’Homme fasse ou veuille faire, cela ne prend de l’importance, n’est valorisé à ses yeux, est porteur de sens, que si d’abord cela répond à un désir, qui répétons-le, relève d’un impérieux besoin d’action et de création, est la motivation principale pour agir. On agit que si l’on désire agir ; agir par devoir ou par contrainte est au mieux ennuyeux, au pire, humiliant.
Si le désir est l’essence même de l’homme, il n’est alors pas la marque d’un égocentrisme, d’une suffisance voulant masquer l’insuffisance de sa condition « il veut se voir grand et il se voit misérable », nous dit Pascal, moquant lui aussi le désir ; mais il est ce qui donne à l’Homme son humanité, il est cet élan dionysiaque qui le porte à la création, à la civilisation. L’Homme est enraciné dans une culture, dans sa culture, fruit de sa création, et non dans la Nature, car il est partie intégrante de la Nature. Et ainsi, comme tout animal, il a des besoins, cependant son besoin fondamental, qui forme sa conscience, qui détermine son vouloir-être et par là-même sa nature d’homme, est celui de désirer. C’est par le désir qu’une aspiration se transforme en ambition. Ce désir, ce désir irrépressible de créer, de fonder des civilisations, est universel. A chaque époque et en chaque endroit, des hommes aspirent au beau, au bien, au juste, visent à faire de ces concepts une réalité. Malhabilement chaque civilisation essaie de rejoindre la condition des dieux, l’univers de Poros, s’en croyant être le miroir. Le désir n’est pas ce qui corrompt l’homme, comme l’affirment platement les religions monothéïstes, bien au contraire, il est ce qui lui permet d’avoir une étincelle de divinité en lui. Cette étincelle, c’est la part d’universalité que chacun porte en soi et que chaque civilisation porte en elle. Cette part d’universalité, née paradoxalement du désir exprimant avant tout le moi dans toute son intégrité et toute sa permanence, est une traduction de la transcendance. Transcendance non pas verticale comme nous la proposent les mystiques, mais horizontale, créant du lien et de l’échange. Vu ainsi, le désir exprime bien le besoin que ressent chaque homme de croire, mais de croire avant tout en lui-même avant de s’en remettre à Poros.

Jean Luc

 

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La croyance est-elle toujours source d’erreur ?

 

Une croyance est plus qu’un simple avis, une simple opinion, sans avoir cependant le statut de la certitude, qui seule permet d’établir un jugement qui souvent s’autoproclame empreint de lucidité ; elle est néanmoins essentielle à notre pensée, en ce sens qu’elle est la base sur laquelle s’établit l’argumentation, le raisonnement voire aussi le questionnement. Elle se fonde sur notre " Weltanschaung ", notre perception, notre lecture, notre représentation et donc notre interprétation du monde.

La croyance se ramène au sujet, à l’individu : chacun a ses croyances auxquelles il tient, et se ramène à son objet, l’objet de la croyance- car la croyance est toujours la croyance de quelque chose- ce quelque chose étant ce qui dans les évenements du monde fait sens pour l’individu, ce qui assure donc le fondement de la croyance et les raisonnements établis par la suite pour en justifier la pertinence. J’écarterai ici la croyance en des objets métaphysiques, qui reste complètement en-dehors du champ rationnel, et dont le terme approprié est la foi.

Car la foi suppose adhésion pure et simple et écarte ainsi la reflexion, considérée comme superflue, tandis que la croyance, précisément parce qu’elle n’est pas une certitude mais qu’elle cherche cependant à le devenir, admet pour nécessaire la recherche continue d’arguments qui en est la justification d’une part, et qui trouve la faille dans des croyances contraires aux siennes d’autre part.

De même est à écarter la démarche scientifique qui n’est pas fondée sur des croyances, mais sur des hypothèses, des suppositions, des supputations mêmes, dont il s’agit de démontrer le bien-fondé et la véracité par des moyens exclusivement rationnels.

Comme dit précédemment, la croyance se fonde sur notre perception et notre représentation du monde. On part de la réalité pour l’interpréter et la passer par le filtre de nos croyances ce qui revient à en extraire certains faits, ceux à qui nous conférons une importance particulière cad les événements qui font sens pour nous, afin d’essayer d’en transformer certains éléments pour les rendre conformes à nos aspirations, à nos schémas de pensée. Et si rien ne fait sens, on aboutit au pessimisme dfun Camus qui parle de sa " croyance dans l’absurdité de l’existence ". La croyance fonde et structure la pensée, elle n’est donc pas un simple préjugé, car le préjugé ne permet aucune analyse. Lorsque l’image du réel que nous avons ou que nous cherchons à avoir corrobore nos croyances, celles-ci nous rassurent et nous ne doutons plus de leur bien-fondé. De fait, la croyance ne servirait-elle qu’à nous rassurer, qu’à justifier nos actes? Observons par exemple un militant politique ; celui-ci tout naturellement aura tendance à voir dans l’application du système qufil défend que ce qui fonctionne et trouvera toujours une explication logique à ce qui ne fonctionne pas ou pas encore et ne voudra voir dans le système adverse que ce qui ne marche pas et en cela des justifications à ses propres choix. Certes il nous faut bien avoir des certitudes pour ne pas sombrer dans l’incohérence, l’irrationalité, la crédulité, la naïveté, la superstition ou encore le scepticisme, mais ces certitudes nfont cependant comme fondement premier que la croyance, donc des reflets de notre moi, de notre subjectivité. Encore faut-il voir que ces certitudes ne sont rien de plus que des grilles de lecture qui nous permettent de faire une présentation rationnelle, de mettre en une forme logique, cohérente, ce qui est observé, constaté. La croyance est une réecriture du monde à travers sa subjectivité, la certitude en est un essai de codification, un pas vers son objectivation ; une certitude- généralisable- peut se partager plus aisément qu’une croyance- qui reste avant tout personnelle.

Pourquoi les croyances sont-elles avant tout personnelles ? C’est qufelles ne s’établissent ni sur la connaissance ou le savoir, mais en dernière analyse sur le désir. Et qu’y a-t-il de plus personnel que le désir ? Lorsqu’on veut que quelque chose se réalise, on trouvera toujours toutes les justifications possibles et on les considerera comme absolument fondées. Ainsi par exemple l’industriel qui met un produit sur le marché le gratifiera de toutes les qualités possibles et sera d’ailleurs lui-même convaincu de la qualité de son produit. Cependant que son désir est la réalisation dfun juteux bénéfice. De même le candidat qui se présente à une élection trouvera des trésors d’argumentations pour justifier son programme, alors que son seul désir est de se faire élire. Imagine-t-on un message publicitaire indiquant simplement qu’un tel veut ‘fenrichir ou une affiche électorale dfun autre faisant juste état de son désir de se faire élire ? Regardons encore l’astrologue : c’est bien parce qu’il ne croit pas au hasard qu’il s’en remet à un déterminisme, qufil nous présente sous le sceau de la plus rigoureuse rationalité.

La croyance rassure, et lorsque les choses ne se passent pas comme on les avait imaginées, on préfère souvent se payer d’illusions plutôt que de renoncer à ses croyances. L’illusion étant alors une croyance élevée au rang de mythe.

D’où nous aurions le modèle suivant : le désir, c’est ce qui nous pousse à agir, la croyance, qui est une justification non raisonnée du désir et il ne peut en être autrement car on ne voit pas comment le désir pourrait avoir une base rationnelle, le raisonnement proprement dit qui permet de mettre en adéquation le désir et la croyance avec l’environnement politique, social, économique, culturel, historique dans lequel on vit.

Si elle accepte de toujours être irriguée par la raison, la croyance n’est pas une source d’erreur car elle restera ouverte à la critique. Elle l’est si on la laisse à elle-même, elle reste alors au stade de préjugé ou de superstition et alors devient argument d’autorité, manichéisme primaire voire même fanatisme.

Kant, dans la Critique de la raison pure, sépare les objets connaissables en objets d’opinion, en objets de l’ordre des faits et en objets de croyance. L’opinion, c’est la doxa des Grecs anciens, un simple jugement qui s’oppose au logos, la logique et la connaissance qu’elle rend possible, ce qui nous rend compréhensible les " objets de l’ordre des faits ", qui regroupent donc tout ce qui a pu être rendu démontrable, soit par le raisonnement soit par l’expérience. Enfin, les " objets de croyance " regroupent tout ce qu’il est nécessaire d’un point de vue moral d’admettre comme juste, alors même que cela reste indémontrable. On saisira d’emblée par exemple que l’esclavagisme, le sexisme, le racisme, le totalitarisme sont moralement des choses mauvaises sans que cela soit démontrable scientifiquement car dans le domaine moral, nous ne sommes plus dans le domaine du savoir. Et Kant constatera, analysant sa démarche : "  J’ai du abolir le savoir et lui substituer la croyance ".

En cela Kant admet, et pouvons l’admettre avec lui, qu’une société, comme un individu, ne peuvent connaître de vie équilibrée s’il se refuse à reconnaître des absolus, des principes absolument indiscutables qui ne peuvent être soumis à un quelconque relativisme. Que ces principes reposent sur des croyances n’enlèvent rien à leur pertinence et à leur bien-fondé.

En effet, mieux vaut une croyance rendant possible une conduite moralement bonne et par là même juste que le relativisme qui ne mène qu’à l’ indifférence et par suite à l’inconstance et à la servilité. C’est alors la société décrite par Hobbes, où l’ homme est un loup pour l’homme et où la guerre de tous contre tous fait office de loi.

L’indifférence, cela signifie aussi ne plus avoir confiance en rien ni personne, ne plus reconnaître non plus l’autorité de quiconque. Et du moment où de belles âmes avaient souverainement décrété que toute autorité relevait de la dictature, alors qu’elle est avant tout ce qui rend possible la transmission du savoir, on a jeté à terre tous les objets de croyance, y compris les plus essentiels, les reléguant au rang d’aliénations.

Or sans un socle de croyances communes, aucune société ne peut vivre et s’épanouir. Sans croyances, un individu n’aura qu’une pensée stérile et sombrera soit dans le nihilisme, soit dans le dogmatisme. Restons-en ou revenons à l’exigence du vieux maître de Koenigsberg, et nous pourrons nous référer à des croyances qui ne soient pas systématiquement sources d’erreur.

 

 Jean Luc

 

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Retour vers un nouvel humanisme

 

Le terme humanisme, dont le sens général est « culture littéraire », est plus récent que celui d'humanistes qui désignait au XIVème siècle, les professeurs et les étudiants faisant ce qu'on appelle leurs Humanités, c'est-à-dire qui se spécialisaient dans l'étude de la langue et de la littérature de l'antiquité.

Faisant suite à la Scolastique dont faisaient partie le trivium (grammaire, dialectique, rhétorique) et le quadrivium (mathématiques, géométrie, astronomie, musique), l'humanisme est un mouvement qui participa à l'ébranlement du monde médiéval en apportant des changements philosophiques, politiques, économiques, artistiques, sociaux et intellectuels.

Situation de l'Europe avant l'humanisme

Une explosion démographique vient compenser les pertes dues aux épidémies de peste du moyen âge qui ont tué un quart de la population de l'Europe. Le continent est complètement christianisé. L'Islam est boutée hors d'Espagne, mais les Turcs prennent Constantinople en 1453. Savants, intellectuels et artistes de l'ancien empire byzantin se réfugient en Italie, emportant dans leurs bagages des trésors culturels telles leurs bibliothèques de manuscrits antiques.

La route terrestre de l'orient est coupée par les musulmans. Les navigateurs, grâce à des innovations techniques, cherchent de nouvelles voies. La boussole, l'astrolabe et la voile triangulaire les conduiront vers de nouveaux continents (Amérique et Océanie). Les frontières du connu sont repoussées.

Nicolas Copernic renverse le système géocentrique de la terre au profit d'une conception héliocentrique. Les représentations du monde sont bousculées entraînant dans son sillage la pensée et le progrès scientifique. C'est ce que l'on appellera plus tard, la révolution copernicienne.

Les Arts et les Sciences se dégagent de l'emprise de l'Église et font de grands progrès, Léonard de Vinci en est le parfait exemple. La découverte de la perspective modifie l'architecture et la peinture. En médecine l'anatomie est approfondie. En mathématiques après l'adoption du zéro et des chiffres arabes, les chiffres négatifs sont inventés et des calculs complexes peuvent être réalisés. Les chercheurs s'interrogent sur leurs méthodes et posent les bases de nos sciences modernes.

L'imprimerie est perfectionnée par la presse à bras et les caractères métalliques, mobiles de Gutenberg. En quelques années elle se développe partout en Europe. Plus sûre que les copies manuscrites, elle permet une diffusion rapide et massive du savoir. Les lettrés vivent aux côtés des imprimeurs qui sont souvent leurs éditeurs. La redécouverte des textes anciens s'accompagne d'une étude critique de ceux-ci (l'exégèse) et d'un réexamen de la traduction (la philologie). Pour être restitués au plus proche de l'original, les textes sont collationnés, c'est-à-dire que les différentes versions sont comparées entre elles. Les manuscrits étaient écrits en latin, les livres sont alors imprimés en langue vernaculaire.

En économie, la démographie en hausse favorise l'essor économique. Les intellectuels et les artistes se concentrent dans l'Italie du nord, en Flandre, dans les villes de la Hanse, à Paris et à Londres. Ceux-ci suivent l'argent car les marchands sont aussi des mécènes. Le cour de l'économie européenne se déplace dans de grandes villes, qui commerce international oblige, sont aussi des ports tels que Bruges, Venise, Gênes, Anvers et Amsterdam. Un ordre marchand s'impose avec l'apparition des premières banques et l'émergence du capitalisme.

Naissance du mercantilisme protestant : la religion catholique interdisait aux chrétiens de faire travailler l'argent. Après avoir chassé les juifs, le Pape autorise les lombards à jouer le rôle de banquiers. Les protestants se donnent le droit de spéculer et, pour eux, gagner de l'argent participe même au salut.

Le dogme religieux est ébranlé. Les Cathares avaient déjà anticipé la réforme : l'autorité du Pape, le culte de la Vierge et des Saints ainsi que l'Eucharistie sont remis en question. À la lumière des textes antiques, la Bible est traduite. Le clergé perd le monopole des écritures religieuses et Luther défend l'accès direct à la Bible (« Sola scriptura »). Il proteste en outre contre la dépravation des mours cléricales, la sous formation des prêtres et le trafic des indulgences. Il sera l'initiateur d'un nouveau mouvement chrétien et conduira la réforme. L'Église réagira par l'inquisition puis par une contre-réforme pour ramener les fidèles à la messe.

 

En philosophie :

L'Humanisme fait suite à la scolastique.

Création, révélation et rédemption. Le mystère ainsi que ces trois mots sont associés aux trois religions monothéistes. La raison est utilisée pour préparer à la foi et sera récompensée par le salut. L'objectif est de supprimer la concurrence de la philosophie en la rendant compatible avec les préceptes religieux. « La scolastique était cet enseignement philosophique qui fut donné en Europe du X ème au XVI ème siècle et qui consistait à associer la révélation et les dogmes chrétiens à la philosophie traditionnelle dans un formalisme complet sur le plan du discours1 ». Néanmoins la philosophie reste la servante de la théologie.

Mais comme nous venons de le voir la société de la renaissance est en crise, en évolution, en révolution. La science, le pouvoir et la pensée s'affranchissent de la tutelle de l'Église. « L'homme auparavant satellite de Dieu devient l'astre central 2 ». Les humanistes renouent avec les valeurs antiques pour remettre l'homme au centre de leurs préoccupations et lui rendre l'indépendance de sa raison ainsi que son libre arbitre. Prenant modèle sur l'idéal de la philosophie grecque, l'humanité est perçue comme dotée d'une attitude morale capable de se manifester dans les vertus de mesure, d'équité, d'esthétique et d'harmonie avec la nature. Ce ne sont plus les vertus théologales que sont l'espérance, la foi et la charité qui font loi, mais la sagesse, la tempérance, la persévérance et l'éthique, vertus cardinales platoniciennes.

Les auteurs de l'Humanisme brillent par leur éclectisme. On ne trouve aucune unité doctrinale mais une attitude critique commune. Cependant l'idéal de l'humanisme est « uomo universale » un type d'homme se situant au dessus des différences sociales, doté d'une éducation complète, livresque et mondaine, accomplissant son essence d'être perfectible en élargissant ses connaissances. Une citation de Térence pourrait résumer l'humanisme : « Je suis homme et rien de ce qui touche à l'humanité ne m'est étranger. »

 

Vers un nouvel humanisme.

Depuis lors, il y a toujours eu des philosophes dits humanistes. Marx en fût un, Sartre un autre. Celui-ci voulait amender le dogmatisme marxiste, tout comme les humanistes voulaient le faire pour le dogmatisme religieux. Sartre critique la soumission de l'individu au but totalisant d'une construction à priori.

Sartre affirme que l'existentialisme est un humanisme. Pour concilier liberté et société il propose « d'engendrer une connaissance compréhensive qui retrouvera l'homme dans le monde social et le suivra dans sa praxis, ou, si l'on préfère, vers des possibles sociaux à partir d'une situation définie »3. L'humanisme de Sartre n'est pas, comme il le dit celui de « l'homme épatant » de Cocteau, mais celui qui consiste à affronter sa propre liberté et sa propre responsabilité.

Heidegger, septique envers l'humanisme, prône la prudence. Dans sa formule « l'homme est un berger pour l'Être » il exhorte l'individu à veiller sur quelque chose qui le dépasse, c'est ce qu'il appelle l'Être. Heidegger se méfie des pouvoirs de l'homme, attire l'attention sur la domination de l'humain sur la nature.

Le risque de l'humanisme est qu'il oubli toute forme d'hétéronomie qui, avant, était symbolisé par Dieu, l'homme peut se substituer au divin.

Pour Lévi-Strauss, qui prend l'homme dans sa nudité, l'humanisme est une sorte de construction intellectuelle. L'individu n'est que le résultat d'un assemblage de structures, sociales ou symboliques qui le représente.

L'humanisme tend à favoriser une prise de conscience de l'humanité par elle-même en vue de lutter contre « l'oubli de l'Être » induit par le technicisme et le mercantilisme contemporains.

Voici une citation de Jean Rostand dans « Pensées d'un biologiste » 1954

« La science a fait de nous des dieux, avant même que nous méritions d'être des hommes. » connaissance compréhensive qui retrouvera l'homme dans le monde social et le suivra dans sa praxis, ou, si l'on préfère, vers des possibles sociaux à partir d'une situation définie »1. L'humanisme de Sartre n'est pas, comme il le dit celui de « l'homme épatant » de Cocteau, mais celui qui consiste à affronter sa propre liberté et sa propre responsabilité.

Heidegger, septique envers l'humanisme, prône la prudence. Dans sa formule « l'homme est un berger pour l'Être » il exhorte l'individu à veiller sur quelque chose qui le dépasse, c'est ce qu'il appelle l'Être. Heidegger se méfie des pouvoirs de l'homme, attire l'attention sur la domination de l'humain sur la nature.

Le risque de l'humanisme est qu'il oubli toute forme d'hétéronomie qui, avant, était symbolisé par Dieu, l'homme peut se substituer au divin.

Pour Lévi-Strauss, qui prend l'homme dans sa nudité, l'humanisme est une sorte de construction intellectuelle. L'individu n'est que le résultat d'un assemblage de structures, sociales ou symboliques qui le représente.

L'humanisme tend à favoriser une prise de conscience de l'humanité par elle-même en vue de lutter contre « l'oubli de l'Être » induit par le technicisme et le mercantilisme contemporains.

Voici une citation de Jean Rostand dans « Pensées d'un biologiste » 1954

« La science a fait de nous des dieux, avant même que nous méritions d'être des hommes. »

 

Par Pascale

 

 

 

                                                                                   «  On ne peut dire ce qu’est la vie,

                                                                             comment la fortune ou le destin traitent les gens,                                       

                                                                     qu’en leur racontant des histoire. En général on ne peut          

                                                                  rien dire de plus que:  Oui, c’est ainsi que vont les choses. »  

                                                           (Hanna Arendt)

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Pourquoi philosophons-nous?

 

La question mérite qu’on s’y penche. Mais attention! Beaucoup d’autres s’y sont déjà penchés, vingt cinq siècles avant nous, et sont tombés dans un abîme d’incertitude dont un seul est rescapé: un vieux sage nommé Socrate et qui pour toutes nos questions existentielles, nous a légué  cette « rassurante » réponse :   la seule chose que nous pouvons savoir, c’est que nous ne savons rien! Soyons donc modestes,  et « examinons ensemble le problème », comme a proposé un certain Aristote,  qui, a mon avis,  était vraiment sage parce qu’il a tenu compte de l’avertissement lancé par un autre  penseur appelé Xénophane. Xénophane qui, à peu près deux siècles avant Aristote, lorsqu’en mangeant une figue après avoir goûté du miel a constaté, avec étonnement, que son fruit préféré avait changé de goût. A partir de ce jour, il n’a plus jamais arrêté de crier  très fort  quelque chose comme:  faisons attention!  la réalité n’est pas celle que  nous croyons percevoir car nos sens - cette fenêtre par laquelle nous apercevons le monde - est équipée  de vitres déformantes et nous induit en erreur.

De bouche à l’oreille son cri a traversé les âges,  jusqu’à ce qu’il atteigne un certain Kant. Celui-ci décide de crier encore plus fort et nous lègue une assez complexe, mais complète, analyse du doute de Xénophane, dans son ouvrage  critique de la faculté de juger.

           Mais revenons donc à notre problématique: « Pourquoi philosophons-nous? ». Telle n’aurait pas été  la question, si nous avions déjà été  d’accord sur: ce que c’est la Philosophie. C’est plutôt par cette question, que j’ai décidé de commencer mon travail.  Je l’ai débuté , tout sagement, en consultant mille ouvrages déjà consacrés au sujet,  mais très vite, je me suis trouvée noyée dans un  flot de données. Je partais à la dérive, quand tous les gyrophares de  l’évidence ont commencé à tourner dans ma tête, trop remplie d’informations. Mon esprit affolé,  me criait:  « allez Angelita, sortez! Allez trouver des gens  pour examiner ensemble la question! » . J’ai donc quitté ma table de travail pour aller me promener en ville et poser la question aux gens -une sorte de micro-trottoir - mais quel ne fut pas mon étonnement, quand au simple mot Philosophie, les gens me fuyaient comme si je les avais insultés. J’étais sur le point d’abandonner mon projet et de rentrer chez moi, mais comme il faisait très beau, et que les terrasses des cafés étaient très fréquentés j’ai décidé  de  m’arrêter au « Chat Perché ». J’ai pris place à une table où était déjà assis un monsieur qui m’a fait la gentillesse de m’autoriser à occuper la seule chaise qui restait encore libre dans cette terrasse.  Pendant que j’attendais pour passer ma commande,  le monsieur a sorti de son sac, qu’il avait posé par terre, une sorte de cahier blanc où il était écrit, sur la couverture, cette phrase étrange: Les poissons rouges sont des mensonges.  Le garçon du café vint pour prendre nos commandes respectives. A ce moment s’est installée entre le monsieur et moi une sorte de complicité, car ce monsieur, qui avait des gestes élégants, m’a donné la priorité pour commander mon citron pressé, avant qu’il ne commande  « une blonde bien frappée ».  J’ai  profité de ce moment, pour lui demander  ce qui voulait dire ce drôle de titre. Sur quoi il m’a répondu:

-  « Ce n’est pas drôle du tout madame, c’est une bien triste réalité …»  

En voyant ma tête se transformer en un gigantesque point d’interrogation, il s’est senti dans l’obligation de me donner des explications:

-  « Vous savez madame, Ces petites bêtes que vous voyez évoluer dans leur étang de poche, ne sont pas, dans leur état de nature, ces belles  bestioles que vous voyez. Elles sont juste des petits poissons verdâtres sans aucun charme. Le rouge, qu’ils arborent, n’étant que le fruit d’un minutieux artifice . Ce sont les Japonais qui au terme d’un patient travail de sélection ont produit ces spécimens aux formes diverses que nous connaissons maintenant. C’est une bien triste réalité celle de savoir qu’on peut être trompé par ce qu’on voit…»

A la fin de cette phrase, le garçon du café est arrivé avec la « blonde » du monsieur, mais c’est ma tête qui avait été  « bien frappée » , je me suis dit: Ce type m’intéresse! Et, avant même qu’il n’ait le temps de prendre sa première gorgée de bière, et se laisse aller à son plaisir minuscule,  je me précipite pour lui demander:

-  « Monsieur est-ce que cela  vous dérange si je vous pose une autre question? »

Et comme il était, comme j’ai déjà dit, un monsieur d’une élégance rare - il m’a répondu avec une courtoisie qui n’était pas feinte:

- « Absolument pas, madame!».

 Alors j’ai commencé doucement:

-« voilà Monsieur, dis-je,  ne pensez-vous pas que cette réalité que vous venez de me décrire ne comporte en elle même la plus importante question philosophique : celle de savoir si nos sens nous trompent?

- « Assurément madame! d’ailleurs, c’est justement ce sujet philosophique que je suis en train de traiter dans ce qui sera mon  prochain livre »…  

 

Alors là, je me suis dis: C’est trop beau pour être vrai!  Tout mes sens me trompent, cet homme que je vois n’est pas réel, ce que je viens d’entendre n’a jamais été dit et  le plus probable c’est que mon imagination, d’habitude si débordante, est en train de me jouer un tour… Mon vis-à-vis  m’a arraché de mon état de transe, en me touchant le bras et en me demandant:

- « ça va Madame? »

-  Ah! Oui monsieur , ça va même très bien car à partir de maintenant je vais m’attacher à vous et vous allez me sauver d’une  imminente défaite intellectuelle…

Je lui ai tout expliqué  de l’urgence à traiter le sujet que mon amie Gül m’avait imposé pour vous présenter ici dans ce « café philo », et de ma totale incapacité de la satisfaire. Il m’a écouté attentivement, en me regardant avec les yeux  brillants d’intérêt  pour tout ce que je lui racontais. Il m’a paru extrêmement beau, si beau que, par moment, j’ai même cru retrouver en lui les traits de mon prince charmant… Bon, je m’égare… Mais peut-être que c’est ça aussi philosopher. Enfin. A la fin de mes explications il se leva en m’invitant à le suivre laissant sa blonde à moitié bue, et mon citron pressé même pas entamé:

- « Venez madame je vous amène à la S.P.A. »

A ce moment, moi qui dans mon enthousiasme  m’apprêtais à le suivre, j’ai fait un pas en arrière. Car bien qu’enthousiaste et curieuse par nature, je n’abandonne jamais la prudence.  Alors je l’entend éclater de rire:

-  « Mais non! », me dit-il, « je ne vous amène pas à la Société de Protection des Animaux mais à la Société pour Personnes Angoissées. »

La confusion s’installa de nouveau dans ma tête,  il le vit et me rassura encore en souriant.:

- «  Je vous explique » me dit-il: «  S.P.A. vient de SOCRATE PLATON et ARISTOTE -  SPA, c’est en fait une association que j’ai créée avec trois de mes amis. Chacun   d’eux est spécialiste de un de ses trois philosophes. Je pense que cela sera utile pour vous de  les rencontrer . Nous savons bien sûr, que depuis des siècles de nombreux philosophes se sont illustrés, mais enfin pour un début, nous avons contentés du message de ces trois premiers maîtres.

 

- «  Mais, alors, demandais-je qu’est-ce que cette histoire de  Société pour  personnes angoissées?

 

- « Ah! Cela c’est parce que pendant des années nous avons organisé des table-rondes pour faire   venir du monde et discuter de  philosophie, mais  très peu de gens venaient nous joindre. Alors nous avons décidé de changer le nom de la société et elle est devenue : Société pour personnes Angoissés. Maintenant,  nous avons le problème  inverse, trop de monde y vient.  Vous savez madame, la  philosophie est une  expérience indispensable à la vie humaine, certains pensent même qu’elle peut permettre d’affronter les petits tracas quotidiens. C’est bien dommage que  l’étude, de cette discipline n’a pas été rendue obligatoire comme était le service militaire, à une époque (…)   Je me suis dis que ce type était vraiment intéressant et je l’ai ai suivi sans crainte.

              Au bout de quelques minutes de marche, je devrait dire  plutôt de la lévitation pour moi,  nous avons atterris au siége de sa  SPA. Elle se trouvait dans un petit immeuble de la rue Brûlée. A notre arrivée j’ai été présentée à ses trois amis. Ils m’ont reçu avec une grande gentillesse et m’ont installée dans une toute petite salle, dont les murs étaient couvert de livres. Nous avons pris place autour d’une table et je leur ai posé ma question: Qu’est-ce que la philosophie? Le premier à parler a été le spécialiste de Socrate :  il m’a prévenu que bien évidemment, sa réponse ne serait pas complète. Car il nous aurait fallu du temps pour traiter et développer une question si complexe. Mais il allait me donner les grandes lignes qui m’aideraient, peut-être, à avoir une  idée de ce qu’était, pour Socrate, la philosophie. Il commença:

- « Pour Socrate,  la philosophie c’est un cheminement  qu’on doit suivre pour  répondre aux questions MORALES du Comment VIVRE BIEN. Mais, ce cheminement on ne pouvait pas le suivre seul  mais en dialoguant. »

- Et, pour Socrate c’est quoi  Vivre Bien? Demandais-je.

- «  Eh bien, c’est s’éloigner le plus possible des préjugés, des idées toutes faites. Car les certitudes  nous éloignent inexorablement de la vérité. On ne peut  chercher la vérité que si on croit qu’on ne l’avons pas encore atteinte. C’est pourquoi   la  réponse donnée par l’oracle de Delphes  à été :« Socrate est l’homme le plus sage de Grèce » puisqu’il  avait compris qu’il ne savait rien . Pour Socrate la philosophie c’est une quête et pas une réponse. La vérité, selon lui n’est pas inaccessible. Simplement il faut être capable d’écarter les préjugés, les fausses réponses. voilà pour aujourd’hui madame, revenez la semaine prochaine ».

             Le tour est alors venu pour celui qui allait me parler de la philosophie de Platon:

-  « Pour  Platon Madame,  la philosophie est aussi un chemin, une quête certes mais ce chemin, cette quête est  d’abord individuelle. C’est un chemin escarpé , difficile,  symbolisé par cette escalade après la sortie de la caverne où des hommes ordinaires, prisonniers des préjugés, croient voir des vérités, alors qu ‘ils ne voient que des ombres. C’est un chemin solitaire mais qui trouve s a récompense, car au sommet de la montagne on est ébloui par le soleil de la connaissance parfaite. Et puis,  PLATON  ne s’intéresse pas au comment VIVRE BIEN. Mais à comment VIVRE JUSTE.   Et ce chemin vers la JUSTICE c’est un idéal politique. Il  est lié en somme à une éducation, qu’il propose à ses disciple car il s’agit aussi de transmission d‘un savoir qui dépasse toutes les formes de connaissance, qui dépasse bien évidemment les illusions des sens. Un idéal qu’on ont peut atteindre par les sciences certes,mais  qui va bien au-delà. (…) »

                La conversation sur Platon a duré longtemps, car mon interlocuteur était un passionné.  J’ai pris beaucoup de notes  - que je  ferai parvenir à ceux qui cela puissent intéresser-  Je me tourne donc vers  le spécialiste d’ARISTOTE . Avec celui qui allait me parler d’Aristote c’était établie une sorte de connivence du fait que tout au début il m’avait demandé si je voulais boire quelque chose. Et comme j’ai vu qu’il avait un brique de lait frais sur la table je lui ai demandé de me donner« un verre de lait ». Ainsi avant de commencer à me parler d’ARISTOTE il m’a dit :

- « Buvez votre lait madame » .  Mais le ton était comme s‘il m’avait dit: « boit ton lait petit chat… »  tellement il me voyait petite et désarmée face à tout ce que je venais d‘entendre.

    - «  Alors pour Aristote, madame, commença-il,   la philosophie c’est encore autre chose. Car Aristote,  s’il s’occupe  aussi de la MORAL, étroitement liée au  « juste milieu», du rôle de l’éducation pour former le bon citoyen, il se préoccupe essentiellement d’élaborer un savoir sur la NATURE. Car quand nous nous trouvons devant la  NATURE  nous avons l’impression d’être devant un chaos. Alors, pour Aristote, la philosophie doit être une démarche avant tout RATIONELLE. Le  philosophe est celui qui tente de mettre de l’ordre dans le chaos. C’est-à-dire de donner un sens à ce qu’il voit, donner du sens à ce qu’il lui semble absurde et obscure. Et comment? PAR LA RAISON.  En nous efforçant de nous écarter de nos émotions pour pouvoir expliquer rationnellement les phénomènes. (…)»

 

Il continua de me parler et parler  et je notais et notais. A la fin lui aussi est parti. Moi, j’ai pris congé du monsieur qui m’avait amené là bas, avant de nous quitter il m’a dit qu’il partait en vacances et qu’on se reverrait dès son retour  je l’ai infiniment remercié en oubliant de demander ses coordonnées. J’ai quitté le petit immeuble et suis rentrée chez moi pour rédiger mon exposé. J’avais suffisamment de matériel pour essayer de répondre à la question « qu’est-ce la philosophie » et pour tenter une réponse à votre question : Pourquoi philosophons-nous?  Au début je devais vous présenter ce que j’appelle un « bon exposé » - parce que  j’avais fait ce qui j’ai pensé être  un bon résumé  de tout ce que les trois m’avaient dit . Mais lorsque j’avait fini mon travail et que j’ai voulu  retourner chez eux, pour le soumettre à leur critique, je n’ai jamais pu retrouver le petit bâtiment qui me semblait être dans la rue Brûlée . J’ai demandé tout au tour si quelqu’un connaissait la SPA. Société pour personnes angoissées. J’ai récolté tellement de regards alarmés que j’ai laissé tomber. Rentrée chez moi  je n’était plus sûre de rien, même pas de ce que j’avais écrit. Ainsi au lieu de vous présenter un exposé avec des réflexions solides j’ai décidé plutôt de vous raconter  cette histoire qui m’est arrivée, car il me semble qu’elle était en elle-même l’exemple de ce  que c’est philosopher:une quête toujours recommencé.

                Pour la réponse que j’était sensée apporter à votre question Pourquoi philosophons-nous ? Je ne saurai dire rien d’autre que c’est peut-être parce que c’est un des moyen  de répondre aux questions qui se posent à nous, mais qui n’est ni un moyen assuré ni un moyen définitif. Néanmoins, une chose me paraît évidente: c’est un des moyens de faire un bout de chemin ensemble, pour essayer de comprendre, par l’exercice de la pensée, au moins une part de ce qui nous échappe.  Et pour cela je ne peux que donner raison a Hanna Arendt:

 

 «  c’est seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux également parler avec moi-même, c’est-à-dire Penser » (Hannah Arendt in journal de pensées)

 

Bibliographie:

Je n’aurais pas pu écrire ce petit texte sans la contribution volontaire des  beaucoup de gens- particulièrement de mon amie  Gül Urfa - et sans la contribution involontaire du monsieur rencontré au « Chat  Perché » et des auteurs suivants:

 

De Crescenzo, Luciano: Les Grands Philosophes de la Grèce Antique - Éditions de Fallois 1999 - Paris

Morvan, Pierre-Yves: Dieux est-il un gaucher qui joue aux dès? -histoire drôle mais vraie, de la découverte de l’univers, et des environs. Éditions l’Harmattan -2002 Paris

Hanna Arendt : Journal des pensées - Cahier XXV, juillet 1968 (Volume 2)  Édition

Seuil - Paris

Encyclopédie Grand Larousse Universel 1996 - Paris

Conche, Marcel : Vivre et philosopher - Presse Universitaires de France - 1998

Et quelques autres, encore…

 

Angelita Mendes-Martins

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philosophons

Peut-on parler de ce qu’on ne sait pas ?

12 octobre 2011

 

Pouvoir parler de ce qu’on ne sait pas

 

Parler de quelque chose, c’est exprimer un savoir, un « voulu-dire » sur cette chose, sur soi ou sur le monde, en utilisant le langage, qui est toujours incomplet et ambigu, et en décalage irréductible avec ce que l’on veut dire (Bertrand Russell).

Savoir, c’est avoir une opinion, en correspondance plus ou moins exacte, ou efficace, avec son objet, construite mentalement, interprétée dans les divers référentiels pertinents pour cet objet, en fonction du plus ou moins de confiance à leur égard. Alors, ne pas savoir ne représente pas une absence de connaissance, selon le mode de la négation, mais un manque d’opinion, un défaut d’interprétation, sur le mode de la privation. Ne pas savoir est une ignorance partielle et relative, sur la chose elle-même, ses catégories, son contexte, voire sa profusion imaginative : À la limite, même le « lepton » peut faire évoquer le thé ou un pays balte. Ne pas savoir, c’est donc toujours savoir au moins un peu quelque chose.

La question de savoir si on peut parler de ce qu’on ne sait pas, a trois sens. D’abord, est-ce possible ? Oui, car on a toujours au moins une certaine opinion, un savoir minimum. Ensuite, en est-on capable ? Oui, car on en possède normalement l’aptitude, qui peut se développer et même se cultiver professionnellement. Mais, enfin, en a-t-on le droit, est-ce légitime ? C’est bien là toute la question : Non, répond-on traditionnellement depuis Platon ; si, reconnaît et affirme la pensée contemporaine.

 

Parler sans savoir, c’est de la folie

 

Parler de ce qu’on ne sait pas, est carrément contradictoire et absurde, car cela revient à exprimer ce qu’on sait sur « ce qu’on ne sait pas » : Sottise manifeste, pure folie, dit Platon, car, au-delà du questionnement et du dialogue, la sagesse consiste évidemment à parler de ce qu’on sait en vérité.

De plus, à parler de ce qu’on ne sait pas, on prend le risque de parler pour ne rien dire.

Ainsi, la parole tautologique, définition ou raisonnement, ne dit rien, comme dans l’exemple donné par Pascal de la définition de la lumière, « mouvement luminaire des corps lumineux ». Le discours vide n’en dit pas plus, qu’il soit insignifiant (bavardage, paroles futiles ou non-pertinentes), vague et ambigu (langue de bois, jargon) ou incohérent (délire). Enfin, on parle pour ne rien dire, quand on parle sur des sujets dont on ne peut avoir aucune connaissance, comme les « noumènes », Dieu et l’âme (Kant), comme la mort, et en particulier la sienne propre (Foucault, Jankélévitch), ou le sexe des anges…

Traditionnellement, la sagesse est de se taire quand on ne sait pas : Les héraclitéens peuvent aller jusqu’à estimer que, puisque rien n’est et que tout change, on ne peut rigoureusement rien dire, ni affirmer ni nier, et donc qu’il est sage de s’enfermer dans un total mutisme (Cratyle). De même, considérant qu’ils ne peuvent rien savoir vraiment, les sceptiques suspendent leur jugement sur les choses et les comportements. Dans cette perspective, l’éducation traditionnelle considère que ceux qui ne savent pas, les enfants, les élèves, les incultes, doivent se taire, et écouter plutôt les « autorités » compétentes. Cette mentalité élitiste se retrouve en politique, dans la critique de la consultation démocratique du « peuple ignorant ».

 

Parler sans savoir, c’est la sagesse

 

La conciliation de la parole et de l’ignorance s’effectue sur la base du caractère toujours partiel et relatif de l’ignorance (à la limite, même un « mantra » de méditation peut faire signe vers quelque chose). C’est ainsi que Socrate parle sincèrement, car il sait au moins qu’il ignore tout. Et Foucault confirme que la folie ignorante trace les chemins de la raison sage. C’est bien l’inépuisable ignorance d’un réel toujours « différant » qui autorise la parole (Derrida). En même temps, parler, s’exprimer sur une chose, suppose toujours quelque chose à en dire : Même bavarder, ou à la limite se taire, a quelque signification.

Dans le cadre d’une nouvelle théorie de l’action (Jean-Luc Petit, 2003), où c’est l’action elle-même qui donne son sens à l’objet perçu, dans une sorte de constitution/anticipation du réel, on peut considérer que c’est l’action mentale de parler qui donne son sens à la chose dont on parle. Parler alors, c’est vraiment apprendre et connaître ; car parler en interaction sociale, accroît et consolide les connexions du « groupe neuronal » correspondant à ce dont on parle, ce qui développe et améliore la représentation qu’on s’en fait. En quelque sorte, parler sans savoir, fait savoir ! Le vrai miracle grec, à l’aurore de la Philosophie, c’est d’avoir effectivement nommé les choses, d’en avoir parlé, sous forme de concepts avec leurs relations, ce qui représente le cœur de l’activité philosophique (Hegel, Deleuze). De façon générale, parler en Philosophie, en Science et en Littérature (Poésie incluse), c’est comprendre les choses, les prendre avec soi, et enfin s’approprier mentalement le monde qui s’offre. Ainsi, parler de ce qu’on ne sait pas, est non seulement légitime, mais aussi nécessaire pour vivre pleinement, et sagement, dans le monde.

 

Patrice

 

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La liberté est-elle menacée par l’égalité ?

28 septembre 2011

 

Qu’est-ce que la liberté ?

 

- Quatre grandes définitions de la liberté : Aristote, Augustin d’Hippone, Kant et Sartre (Cf. texte sur  « La vie est-elle une succession de hasards ? -  la vie libre »   ).

- La liberté est multidimensionnelle : Liberté « naturelle » (physique et psychologique), et liberté politique (choix, droits-libertés publiques).

- Libéralisme économique : La libre entreprise en propriété privée est un moyen de réussite économique et d’épanouissement personnel, avec droit exclusif du propriétaire sur les fruits de son entreprise. La situation française, paradoxale, est celle d’un néolibéralisme triomphant, dont le piètre résultat est pourtant une durable croissance molle, avec chômage et pauvreté.

- Libéralisme politique : Les citoyens jouissent de droits et libertés publiques, et ne sont pas seulement déterminés par leur naissance ni par leurs attaches locales. Le droit à la propriété privée est reconnu à tous, propriété qui contribue à la protection et au bien-être du titulaire.

- Si une société libre est une société où règne la confiance générale, alors le manque de liberté (étatisme et corporatisme), produit une « société de défiance » (Algan et Cahuc, 2007), nourrie aussi par les inégalités excessives.

 

Qu’est-ce que l’égalité ?

 

- Antiquité (Platon et Aristote) : Égalité devant la loi, mais surtout égalité proportionnelle au mérite (« égalité aux égaux »), base de la justice distributive, car il existe une hiérarchie « naturelle » entre les humains (citoyens plus ou moins « vertueux », esclaves, femmes et métèques). Déjà Platon considère qu’il est bon pour la Cité qu’il y ait un plafond et un plancher de richesse.

- Modernité : L’égalité est un idéal démocratique performatif, avec droit de propriété pour tous.

- L’égalité est multidimensionnelle : Aux niveaux naturel (diversité physique et mentale) et socio-économique (variété des situations), et au niveau politique (égalité des droits-libertés et des droits-créances, égalité des chances dans la vie, ou équité). La Droite préfère traditionnellement parler d’équité et dénonce « l’égalitarisme ».

- La social-démocratie (« Le social public, comme débouché du libéral réussi ») : Mise en place à la Libération, la redistribution publique égalisatrice tend dernièrement à être mise à mal par le néolibéralisme triomphant.

- Effets d’une inégalité excessive :

Au niveau des relations sociales : Autorité et hiérarchie, délitement du lien social, paternalisme et charité indifférente.

Au niveau de la vie politique : Oligarchie élitiste, avec « détestation de l’égalité » (J. Rancière -  Haine de la Démocratie, 2005), et fiscalité injuste.

 

Rapport antagoniste entre liberté et égalité

 

Il y a un antagonisme traditionnellement admis entre la liberté et l’égalité. Déjà Platon (La République), et encore récemment Pierre Rosanvallon (La Démocratie inachevée, 2003), soulignent que l’égalité, autant celle devant la loi que la redistributive, constitue bien une menace contre la liberté et le droit de propriété des plus forts et des plus riches ; tandis qu’en même temps, cette égalité représente une libération pour les nombreux faibles et pauvres (Lacordaire).

Cet antagonisme se traduit dans nos sociétés démocratiques, par un conflit permanent entre deux logiques de pouvoir, radicalement opposées, plutôt portées respectivement par le libéralisme et la social-démocratie (Jean-Paul Fitoussi) : Le libre pouvoir de marché, régi par la loi 1 € = 1 voix, et l’égal pouvoir démocratique, régi par la loi 1 homme = 1 voix.

Le Contrat Social (Rousseau) représente une classique tentative de conciliation entre égalité et liberté : C’est la théorique conciliation démocratique par la loi, expression de la Volonté Générale, qui établit une égalité et une liberté politiques, avec droits et libertés juridiquement égaux pour tous. Mais cette conciliation entre en contradiction avec la réalité. L’égalité devant la loi, comme le remarque justement Marx, maintient toutes les inégalités réelles, qui trouvent leur expression maximum dans la propriété privée de quelques uns seulement. Si cette propriété privée est bien la source de l’inégalité et de la contrainte (Rousseau), elle en est aussi le résultat rétro-alimenté. La social-démocratie représente en France un aménagement palliatif de la situation (Code du Travail, Sécurité Sociale et impôt progressif), toujours menacé par le libéralisme. Cet aménagement, bien sûr, ne change pas la situation de base, d’inégalité et de contrainte, mais au contraire la consolide, en la rendant supportable pour le plus grand nombre.

En principe, la Justice Sociale semblerait pouvoir améliorer la conciliation entre liberté et égalité. Selon ses principaux théoriciens, elle représente en effet, pour tous, une égale liberté d’épanouissement, comme citoyen (John Rawls) ou dans la vie choisie (Amartya Sen). Mais pour la juste répartition des moyens concrets, des richesses, on ne sait pas comment tenir compte des préférences variées, ni comment évaluer les divers épanouissements. La voie de la Justice Sociale continue donc d’apparaître comme impraticable. Reste entier le problème politique posé en vue d’obtenir une société à la fois plus efficace et plus juste : Où placer le curseur entre liberté et égalité, quelle est la juste mesure, le juste dosage ? Nos sociétés démocratiques se débattent dans l’impasse, insatisfaites aussi bien sur la liberté, à Droite, que sur l’égalité, à Gauche.

 

Véritable opposition : Les conceptions « démocrate » et « aristocrate »

 

Cette impasse théâtrale de l’antagonisme entre liberté et égalité, ne représente en réalité qu’une avant-scène, derrière laquelle se cachent les coulisses du véritable enjeu : Celui de la confrontation entre deux philosophies politiques directement inconciliables, la démocratique et l’aristocratique.

- Conception « démocrate » :

Le référentiel démocratique déclare et proclame l’égale dignité libre de tous les êtres humains. Il n’y a pas, il n’y a plus de patriciens ni de plébéiens, de maîtres ni d’esclaves, de seigneurs ni de manants, de nobles ni d’ignobles, mais seulement une seule et même humanité. La liberté et l’égalité sont les deux faces d’une même médaille, l’humain digne, unique dans sa diversité, appartenant à une même famille et donc fraternel aussi.

Logiquement, dans cette mentalité, la règle du pouvoir est celle de 1 homme = 1 voix.

- Conception « aristocrate » :

Dans le référentiel aristocratique, au sein des sociétés traditionnelles, il en va tout autrement : Les êtres humains ne sont pas tous également dignes, ni libres. Les « meilleurs » en effet, par le talent, le mérite, la sagesse ou la vertu (Platon et Aristote, Thomas d’Aquin et Bossuet) possèdent une dignité supérieure et plus libre. Alors, leur pouvoir et leur richesse sont considérés comme légitimes, car d’origine divine (théocratie) ou « naturelle ».

Logiquement, dans cette mentalité, la règle du pouvoir est celle de 1 € = 1 voix, étant admis que la richesse recouvre bien, en gros et à la longue, la valeur « naturelle » de chacun. Ainsi, l’ordre social et politique « naturel » repose-t-il sur l’autorité, pas sur la liberté, et sur la hiérarchie, pas sur l’égalité, et se voit réalisé dans les régimes d’absolutisme idéologique ou religieux, ou d’oligarchie élitiste.

 

Parachever la Démocratie

 

La situation de la République Française est bien celle d’une « démocratie inachevée » (P. Rosanvallon, 2003). Car on y retrouve les aspects juridiques et électoraux de la conception « démocrate », coexistant avec la conception « aristocrate » qui domine partout ailleurs : Le domaine économique et financier, avec une concentration des richesses de type « ancien régime » ; les relations sociales, avec fracture, nouveaux « ordres » séparés et importance de l’hérédité ; également, l’influence politique et administrative, grâce à la propriété des principaux médias, à un lobbying intense et au « pantouflage » des hauts fonctionnaires. L’enrobage démocratique contribue efficacement à « huiler » et à consolider la pratique aristocratique. Comme bien d’autres démocraties occidentales, les rouages de la société française fonctionnent largement sur le mode de l’oligarchie élitiste. Mais cette situation provoque en France un particulier malaise, en raison de la promesse républicaine non tenue, d’une société de citoyens libres, égaux et fraternels. La démocratie française se retrouve dénaturée, sous forme de la « tyrannie douce » prévue par Tocqueville, avec une liberté oligarchique « en haut » et une égalité populaire « en bas ».

Pour parachever enfin la démocratie française, il est incontournable d’installer aussi la conception « démocrate », c'est-à-dire la liberté et l’égalité, dans la vie sociale et économique. Ce qui revient simplement à favoriser la diffusion de la propriété privée dans toute la population, c'est-à-dire à promouvoir le plus largement possible l’accumulation de capital, afin d’obtenir la possession d’un patrimoine familial par le plus grand nombre possible de citoyens. Comme cela a été souligné par Locke et Rousseau, la propriété privée est bienfaisante pour l’individu en société, comme source de protection et d’égalité, de bien-être et de liberté. Or, d’après l’INSEE, de l’ordre de 5% seulement des français jouissent d’un patrimoine familial quelque peu significatif. Il est décisivement souhaitable qu’un élément si bienfaisant de la vie soit beaucoup plus répandu dans toute la population.

Comment faire ? Il suffit de développer pleinement et fermement le projet gaullien de nouvelle société par la « participation » : L’accès aux fruits de l’entreprise ainsi donné aux salariés, en rémunération de leur prise de risque, représente la voie praticable de constitution de patrimoine par le plus grand nombre, sans nuire à la compétitivité de l’économie.

Seule une telle mesure est susceptible d’instaurer en France une véritable société démocratique, efficace et juste, en modifiant progressivement la millénaire structure indo-européenne en maîtres et serviteurs (Georges Dumézil).

 

Patrice

 

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La vie est-elle une succession de hasards ?

17 août 2011

La vie au hasard

 

Qu’est-ce que le hasard ?

Pour Aristote, le hasard est absence de finalité. N’étant cause de rien, il représente le désordre résiduel, inséré dans la nature. Cette conception, renforcée par le christianisme avec sa notion d’un Dieu-Providence, cause première et finale de tout, va dominer la pensée occidentale jusqu’aux XVIIIème et XIXème siècles. À ce moment-là, la philosophie (Descartes, Leibniz, Comte) et la science (Newton, Laplace, Einstein) pensent que le hasard n’existe pas, qu’il est synonyme de chaos : Le hasard en effet n’est que l’ignorance des causes (Spinoza, Voltaire), ou mathématiquement, la « rencontre de deux séries causales indépendantes » (Cournot).

Pourtant, au XXème siècle, les progrès de la science réinstallent le hasard au cœur même de tous les phénomènes, naturels et humains. Le hasard est alors conçu comme manque d’information, comme conséquence de l’entropie, tendance universelle à la déstructuration, à la perte d’information. C’est le hasard qui rend possible la variation, la fluctuation, sans aucune finalité. Par exemple, le résultat de l’observation du réel quantique est indéterminé ; l’évolution d’un système dynamique complexe est imprévisible a priori ; tout système axiomatique cohérent a une part d’indéterminé (Gödel) ; le réel et tout système d’information comportent de l’aléatoire (Kolmogorov, Chaïtin), comme pour l’évolution du génome, de l’économie et de toute l’existence humaine.

Comment expliquer alors, si le hasard est omniprésent et la vie sans cause, la régularité et l’ordre des choses ?

La permanence apparente est le résultat de la loi des grands nombres, aussi bien dans la nature que dans la sphère humaine : C’est l’observation d’un grand échantillon, c'est-à-dire à grande échelle spatiale ou temporelle, qui donne l’impression de stabilité des phénomènes, et ce d’autant plus que ceux-ci ont une plus faible dispersion.

 

La vie déterminée

 

Qu’est-ce que le déterminisme ?

On trouve la notion de déterminisme aussi bien dans l’idéalisme que dans le matérialisme. En effet, pour Aristote (« tout a une cause »), le réel est déterminé par la causalité et la finalité, et les Stoïciens considèrent l’être humain aussi déterminé dans sa vie qu’un acteur de théâtre dans son rôle. De même Leibniz pense que « rien n’est sans raison », et que la finalité gouverne le « meilleur des mondes possibles ». Et Spinoza estime aussi que la « Nature » (« Deus sive Natura ») est une cause déterminante de tout, mais sans aucun finalisme. Aux XVIIIème et XIXème siècles, scientifiques et philosophes, en général, se représentent la nature et l’être humain comme relevant d’un déterminisme universel, d’une nécessité mécaniciste, qui ne laisse aucune place au hasard (chaos) ni à la liberté.

Comment expliquer alors, si le déterminisme strict est omniprésent et la vie nécessaire et fatale, la fluctuation, l’aléa, le désordre ?

La variation apparente est le résultat du « chaos déterministe » des phénomènes dynamiques complexes, naturels et humains, qui évoluent de façon tout à fait déterministe, mais avec des résultats complètement imprévisibles, même s’ils se trouvent regroupés à la longue sur des « régions » appelées « attracteurs étranges » : C’est l’observation d’un petit échantillon, c'est-à-dire à petite échelle, avec l’inévitable imprécision dans la mesure des conditions, qui donne l’impression d’instabilité et de désordre des phénomènes, et ce d’autant plus que ceux-ci ont une plus grande dispersion.

 

La vie libre

 

Dans l’histoire de la pensée occidentale, on peut considérer les quatre principales conceptions de la liberté suivantes :

- La liberté-pouvoir d’Aristote, qui est volonté finaliste, assez semblable à celle de Confucius. Ce pouvoir est relatif aux capacités individuelles (limitées pour « l’ivrogne » !) et aux contraintes naturelles et sociales. Cette liberté relative n’est donc en fait que celle de se soumettre aux lois.

- La liberté-morale d’Augustin d’Hippone et de Thomas d’Aquin, qui est possibilité d’accepter ou de refuser. Ce libre-arbitre est relatif aux commandements de la volonté divine, sanctionné par un châtiment en cas de refus, et qualifié de « morale de bourreau » par Nietzsche. Cette liberté relative n’est donc en fait que celle d’obéir aux lois divines.

- La liberté-raison de Kant, qui est « caractère intelligible » du sujet transcendantal. Cette raison pure est absolue et catégorique (« tu dois, donc tu peux »). Mais cette liberté reste un postulat théorique non prouvé, n’a qu’un rapport incertain avec la liberté pratique (« empirique »), et représente de toute façon une contrainte interne non choisie (André Comte-Sponville).

- La liberté-choix de Sartre, qui est autonomie de projet existentiel. Cette capacité de construction de soi par soi-même, avec son passé et ses préférences, est absolue. Mais son affirmation ne suffit pas à l’empêcher de dépendre de contraintes non-choisies, internes (corps et cerveau) et externes (environnement naturel et social).

On dispose donc, en somme, de deux libertés postiches, d’une liberté angélique irréelle et d’une liberté enfantine naïve.

Toutefois, en faveur de la vie libre, volontaire et intentionnelle, il existe deux arguments principaux : La liberté est une des conditions du comportement efficace, car elle favorise attention et constance, dans l’adhésion à ce que l’on fait ou ce que l’on pense. Par ailleurs, la liberté est nécessaire pour la responsabilité morale envers soi-même et autrui. Quoi qu’il en soit, la persévérance consciencieuse est très variable individuellement, et la jurisprudence module la responsabilité des actes en fonction de leurs circonstances.

Enfin, comme le soutient le philosophe allemand Wilhelm Dilthey, faut-il faire la distinction, pour rendre compte des choses, entre la nature à expliquer, car causalement déterminée, et l’être humain à comprendre, car intentionnellement libre ? Paul Ricoeur considère pour sa part, que seule une combinaison de causes et de raisons, se suscitant les unes les autres, peut rendre compte de la vie humaine.

 

Science et liberté

 

La « condition humaine », physique et mentale, fait partie de la nature ; elle relève donc, comme celle-ci, du déterminisme probabiliste qui rend compte de l’évolution des systèmes dynamiques complexes. Ainsi, la vie humaine est tout à la fois « au hasard », aléatoire, et « causée », nécessaire, et par conséquent ni scientiste, ni spiritualiste. Le hasard et le déterminisme s’entremêlent intimement dans la vie physique et mentale, sous la forme d’une succession de décisions ou choix, faits au hasard, parmi des options déterminées à travers les interactions entre soi et l’environnement (Axel Kahn).

Alors, le ressenti de liberté qui accompagne ces « choix » existentiels est bien réel, mais illusoire. Il correspond à un processus psycho-cognitif d’appropriation des pensées et des actes, à travers des mécanismes comme l’autojustification et l’auto-cohérence, qui contribuent à maintenir, en mémoire, une représentation la plus probablement juste de soi et du monde. Le caractère illusoire de cette liberté est confirmé par les expériences de Libet (1985) et de Soon (2008), qui montrent que la décision est prise de façon non-consciente, une fraction de seconde avant les phases conscientes de planification et d’exécution de l’action décidée. Le fait que « la volonté consciente n’impulse pas l’action » (Joëlle Proust) conduit à réviser la théorie de l’action humaine. La réalité importante est que l’impression de liberté permet de s’attacher au comportement, normalement « efficace », et à s’en sentir responsable.

 

Patrice

 

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Vit-on une époque tragique ?

 

1-Intro : Notre époque serait tragique car elle accumulerait toutes les souffrances et toutes les horreurs du monde :….

Notions abordées : de liberté, responsabilité, sens et finalité de la vie individuelle et collective, intelligibilité du destin, condition de l’Homme déchiré entre l’acte et l’effet de son acte non maîtrisé, l’unité et la perte de l’unité de l’homme, le sort de l’homme qui entraîne le sort de l’humanité, et enfin  catharsis de purification par la tragédie

Le tragique c’est beau, cela emprunte à nos origines, avec une mise en scène de personnages dont l’action, image de l’humanité, doit susciter  la terreur ou la pitié, par le spectacle des passions et des catastrophes. La marche actuelle u Monde connait des problèmes dans le sens tragique, c’est-à-dire des problèmes sans réponse et qui resteront des problèmes (ressources limitées, récession en Europe, climat…). La notion de « tragique »sous-entend   : catastrophe, événement  sérieux, effrayant, quelque chose d’excessif. Prendre une chose au tragique c’est s’alarmer à l’excès, peut-être avec exagération.

2-Tragique ou dramatique ?

Ce qui est dramatique trouve une solution, pas le tragique; Anouilh dans Antigone « C’est propre la tragédie, il n’y a plus rien à tenter, enfin c’est reposant, c’est sûr c’est inéluctable et définitif, alors qu’avec le drame on espère….il y a un degré d’excès entre les deux, avec la tragédie il y a la mort au bout, la mort physique est la finalité de tous les héros qui ne peuvent plus rien faire même quand il savent : Œdipe comprend le sphinx mais pas sa propre énigme et cela émeut, le héros qui souffre, c’est le tragique contre lequel on ne peut rien faire. Fukushima est une tragédie mais la tuerie d’Oslo est un drame.

a- Le tragique en Egypte antique, ou la perte de l’unité

Seth a découpé son frère Osiris en morceaux, et cela illustre pour l’homme une mort symbolique par ce démembrement d’Osiris perdant ainsi son unité. Parce qu’il ne peut plus faire face, avec ses moyens actuels, aux exigences de sa vie, le sujet est désorienté, le sens de la vie est remis en cause, et il en résulte une grande confusion qui rend difficile voire impossible toute prise de décision car la conscience est éclatée. C’est la chute, la dissolution psychique avant la régénération.

Quand on prend conscience de son unité cesse-ton d’être tragique ? On peut avoir une tranquillité mais fragile. Ne se réveille-t-on qu’à partir de l’apocalypse ? On ne maîtrise pas tout, mais on peut tout faire pour que cela n’arrive pas.

Pour les égyptiens les lamentations d’Isis et de sa sœur  Néphtis devinrent une expression classique de la tristesse tragique, Le dieu Thot, se réfère à la connaissance des faits passés et à la mystérieuse nécessité d’oublier quelque chose de terrible et tragique qui eut lieu aux origines de l’humanité.

b- Le tragique en Grèce antique, la manipulation par les dieux

Après l’épopée d’Homère, la tragédie accompagne la démocratie athénienne pour d’une pensée archaïque passer à une cité qui se joue elle-même devant le public.

. Le guerrier Ajax, Ajax, le héros pris au piège de ses actes se suicide car il a commis un geste de folie irréparable, la déesse en lui jetant de la poudre aux yeux, lui a fait croire qu’il massacrait des bêtes quand il massacrait ses frères ennemis…..face à sa décision, à son choix, l’homme va se détruire lui-même, car son petit acte va prendre un sens tout différent  de celui qu’il avait imaginé et lui revenir en boomerang ; Cet homme qui croyait bien faire va apparaître comme un monstre ou un criminel, il a l’illusion qu’il était maître de ses actes. Il croyait bien faire alors que le résultat est presque toujours une catastrophe, est-il coupable ou innocent, est-il dans le juste et le vrai, est-il responsable car il y a la présence des Dieux. C’est l’homme déchiré qui comprend après coup qu’il a fait tout autre chose que ce qu’il croyait faire

. Œdipe n’est qu’énigme tragique, l’homme qui a successivement quatre puis deux et enfin trois pattes, Œdipe a en même temps deux pieds car il est adulte, quatre puisqu’il est le frère de ses enfants, et trois car il est comme son père, et ce qu’il comprend c’est qu’il est incompréhensible ;Selon Freud nous aurions donc à notre insu une tendance mentale naturelle à l’inceste et au parricide, Nous inclinerions à épouser celle qui nous a mis au monde et à tuer l’auteur de nos jours…..Nous serions voués à être le père et le frère de nos enfants, l’époux et le fils de la femme dont sommes nés, et le rival et l’assassin de notre père…..et notre mère était vouée à enfanter un époux de son époux et des enfants de son enfant !!

3-Oui on vit une époque tragique

JP Vernant, « Le tragique est caractérisé dans l’expérience grecque, c’est la confrontation de la conscience-finalité avec la conscience-affairée par les affaires économiques de la cité ; deux questions se posent :

. Celle individuelle face au sens de la vie

. Affaire de la cité Il y a une opposition entre l’individuel et la cité c’est la déchirure, mais on ne voit pas qu’ils sont de la même substance ; C’est tragique quand on maintient cette déchirure.

On utilise aujourd’hui des formules de tragédie apocalyptiques, Armageddon pour la finance des USA, les démocraties connaissent la pente tragique inéluctables minées par la dictature des marchés financiers, on créé les peurs millénaristes….la fin du Monde, selon les mayas le point zéro commencerait à partir du 13 août 3113 avant Jésus Christ avec une fin de l’univers le 24 décembre 2011 (23 décembre 2012 selon d’autres sources).

A notre époque qu’est-ce qui représente le tragique, balayé par le destin ; Destin ou fatalité pesant sur notre condition, sur les aspects essentiels de l’homme, qui remet en jeu la finalité de la condition humaine ; Cela met en jeu l’homme celui qui souffre et dans le sort de l’homme se joue le sort de l’Humanité.

Donc à notre époque cela se maintient-il ? Il y a une différence entre nos aspirations profondes et la subsistance, l’affaire de la cité ; Aujourd’hui on tente bien de fuir le tragique, on se détourne du questionnement métaphysique ; Tragédie en propre de l’homme, c’est la mort physique et spirituelle, il croit savoir et ne croit rien, quand on est tragique on ne se détourne pas de notre condition essentielle.

La violence engendre la violence archaïque, l’enchaînement de la violence c’est la tragédie ; Une époque tragique, c’est-à-dire qui accumulerait toutes les souffrances et toutes les horreurs du monde :

. Nous connaissons la solitude du héros grec pris au piège de ses actes, ….mais de nos jours  Athéna n’est plus là pour nous obliger à faire ou ne pas faire?

. Les petits actes individuels entraînent les grandes catastrophes, même sans le vouloir du fait de la concentration des populations (le dernier prêt transformé en subprime aux USA et la crise financière systémique).

. Nous avons l’Illusion que nous sommes maîtres de nos actes, mais ne sommes-nous pas des fabriquants des Golems ?

Le début du 20ème siècle a été un moment historique d’optimisme, pas tragique : Mais il y eut après l’enchaînement des guerres de 14 et 39, la solution finale, et de la culture on a rechuté dans la barbarie ; l’ahurissant progrès technique et scientifique nous rend maître de notre destin, mais aussi on frôle la catastrophe à tout moment, mondialisation oblige. L’idée de tragique subsiste chez les jeunes qui disent qui ils sont et quel est le sens de leur existence. Il y a accumulation de souffrances et tout est horreur dans le monde.

On perçoit et on souhaite la violence, on le redoute mais on souhaite le tragique comme un dénouement qui révélerait notre vérité.

4-Non l’époque n’est pas tragique, pas parce qu’il n’y a pas de catastrophe mais parce qu’on a perdu le sens de nos finalités.

On fait tout pour qu’elle ne le soit pas, on réduit la culture, les cafés philo sont minoritaires, on est chloroformé et le réveil n’est pas possible.

Avec conscience on minimise les dégâts de la tragédie, il n’existe pas de réponse définitive sauf pour l’esprit scientifique qui croit tout savoir, la nature serait connaissable totalement, un savoir définitif qui est un bienfait universel, l’espoir donné que tout va se résoudre, on va tout dédramatiser et  le sentiment tragique ne restera que pour les immatures, les intellectuels et les coiffeurs.

Le sentiment tragique n’est plus qu’un phénomène artistique de comédie pour la Télé, sur scène on imite un questionnement universel, c’est agréable de penser. Le héros tragique est exemplaire, il se surmonte mais il meurt à la fin….Il s’est surmonté et il a brillé…vivre tragiquement c’est cela être une œuvre d’art, une émulation spirituelle et non plus matérielle….on ne doit jamais perdre de vue là où on va pouvoir bien poser au moins les bonnes questions, car viendront des réponses même si elles sont imparfaites, le supposé savoir est destructeur.

Nous devons découvrir la vérité de notre existence et non pas le savoir scientifique…..c’est à dire l’oeuvre d’art sans finalité a priori…..c’est un émoi, c’est-à-dire que c’est l’âme qui se réveille face à l’habitude.

Notre époque n’est pas tragique car  on a perdu le contact avec cette part de nous-même, cette capacité à nous surmonter nous-mêmes afin de tendre vers notre finalité, soyons les guides et ne craignons pas le sacrifice !!

On croit aujourd’hui que tout est possible et on ne se pose pas le questionnement  de notre finalité, ce n’est pas la tragédie mais c’est tragique par notre passivité ; Dans l’opposition vivante je maintiens la déchirure et je vis activement et positivement le tragique, mais pas en supportant la fatalité car le héros grec lui se battait, il se confrontait même aux dieux avant de succomber…..on prend conscience, on se réveille, on peut faire quelque chose et ne pas s’arrêter à la conscience que cela ne changera rien.

Pourtant le tragique ce n’est pas seulement l’angoisse, c’est aussi avoir une catharsis, une purification en suscitant la pitié et la crainte, et le soulagement vient de ce que l’âme se purge. Il faut se réapproprier le tragique, Si je suis sensible au fait que je suis mortel, inquiet de l’enjeu de ma vie, mon action ne sera pas la même. On doit se savoir mortel et vivre malgré tout décontracté…..dans 10 ans certains d’entre nous ne serons plus là et pourtant on plaisante en occultant notre finalité.

Mais à côté de cela on manque de finalité, de perspective d’avenir, c’est cela l’absence de tragique, pour privilégier l’économique, d’où on parle de refondation politique, pour ne pas dire de régénération de nos mythes, de notre pensée et de notre sensibilité !!Conclusion : Espérons que nous n’aurons pas une discussion tragique, ce qui apparenterait notre café philo à un congrès de névrosés !!

Discussion :

Nous ne maîtriserions pas notre destin dont le meneur du jeu seraient, dieu, les forces sous-jacentes du structuralisme, les forces cosmiques……Nous serions donc dans l’incapacité d’assumer notre destin qui serait inéluctable ; Hormis notre finitude humaine nous supportons également la souffrance et la douleur tragiques.

Non seulement on ne maîtrise pas mais en plus on crée des Golems qui risquent de nous échapper.

Avec la société du spectacle de Guy Debord, il n’existerait plus de tragédie individuelle, car il convient d’être vu.

C’est également tragique d’avoir conscience de notre tragédie.

Toutes les époques sont tragiques et seuls les génies pourraient y échapper.

Mais le tragique est le moteur de la vie, c’est une dialectique nécessaire, sans la mort il n’y aurait pas la vie.

Nous nous croyons libres car nous ne connaissons pas nos raisons d’agir. Dans l’action, la tragédie se déroule, que nous soyons libres ou déterminés le résultat est le même.

Dans son «catastrophisme éclairé », JP Dupuy souligne que si on sait les choses inéluctables, on peut adapter notre condition.

Le tragique n’est pas forcément négatif, il peut être beau et grand ; S’il n’existe pas de dieu tout est à la mesure de l’homme.

Notre époque est-elle pire que les autres, question tragique ? Il nous faut faire le bilan risque-chance, selon les niveaux mondial, national et à l’intérieur d’une nation selon les catégories sociales (les pauvres et immigrés supportent une destinée tragique dont beaucoup de sortiront jamais ; en période de croissance molle et d’accaparement  de la richesse par une élite peu re-distributive, par manque de solidarité).

Tout changement comporte un risque et une chance et nous avons 3 biais quand nous l’évoquons :

. Aversion au risque, nous avons tendance à focaliser davantage sur les risques.

. La nostalgie : c’était mieux avant, les paradis perdus, ou alors avec l’utopie on postule un ailleurs

. Recherche d’un bouc émissaire à accuser de tous les malheurs

La mise en scène est consubstantielle à la tragédie, la vie reste tragique mais ce n’est pas forcément un drame.

Nous ne devons pas limiter notre approche sous l’angle du tragique grec traditionnel, mais examiner encore la détresse au quotidien dans notre société.

 

Gérard

 

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Le sens multiple de la littérature

1er juin 2011

 

Le sens en linguistique

 

Qu’est-ce que le sens d’un mot, d’une phrase ou d’un texte ? Il y a une grande diversité de théories sémantiques, dont les principales sont les suivantes :

- C’est l’idée qu’on s’en fait, sens conceptuel, dans le discours représentationnel de la théorie classique ou « réalisme » (Saussure), faisant référence à un réel objectif.

- Ce sont ses conditions de vérité, sens véritatif, dans le discours performatif du subjectivisme (Austin, Searle), faisant référence à la pensée.

- C’est tout ce qu’on en dit, sens argumentatif, dans le discours purement linguistique de la théorie de « l’Argumentation dans la Langue » (Oswald Ducrot), ne faisant référence à rien d’extérieur au langage.

- C’est comment on le lit, sens interprétatif, dans la théorie du « régime de lecture » (Mircea Marghescou), qui distingue lecture ordinaire et lecture littéraire (symbolique, socio-culturelle). Par exemple, lecture du fait divers « automobile s’écrase contre platane » comme « pur naturel fait obstacle au polluant artificiel ». Le régime littéraire aurait évolué au cours de l’Histoire du mythique, au réaliste-historique, puis à l’esthétique actuel.

 

Comment se forme le sens chez un lecteur ? Contrairement au Structuralisme (Jakobson), on considère maintenant que le sens ne se forme pas à partir de la logique interne et autonome du langage.

La Psycholinguistique conçoit en effet la formation du sens sur le modèle neuropsychologique de la perception visuelle. Le texte est ainsi un stimulus dominant, qui déclenche une reconstruction active et cohérente du sens, par interaction dynamique avec les « schémas mentaux » (ou « modèles de situation »), stockés en mémoire à travers l’expérience et la culture personnelles. Le sens du texte ainsi « construit » s’intègre alors dans les schémas mentaux correspondants. On retrouve ici un phénomène de coévolution adaptative, entre le mental et le texte.

 

La littérarité

 

Quelle est donc l’essence de la littérature, des « belles-lettres », ce langage imaginatif esthétique ? Qu’est-ce qui fait qu’un texte est « littéraire », et le distingue d’un texte ordinaire, utilitaire ou fonctionnel (journalistique, scientifique, commercial) ?

Pour les linguistes, la littérarité d’un texte reste encore bien mystérieuse, voire carrément insoluble pour les sémanticiens. On ne sait pas bien si elle dépend d’un critère ou de plusieurs, et lesquels précisément. Pourtant, deux aspects généraux apparaissent plus fréquemment : Un texte serait littéraire s’il comporte formalisme linguistique et esthétique subjective.

Une analyse des différentes études de littérarité permet d’en regrouper les nombreux facteurs, liés au texte et à la lecture, autour de cinq pôles :

- Figures de style (M. Riffaterre, F. Rastier, M. De Grève).

- Plaisir esthétique (Mme de Staël, F. Rastier).

- Multiplicité de sens (Jakobson, Barthes, M. Marghescou, M. De Grève).

- Découverte de réalité (Proust, F. Rastier).

- Insatisfaction existentielle (Sartre, Camus, École roumaine) : les bons sentiments ne font pas de bonne littérature !

Cette diversité de facteurs reflète directement le regard multiple que l’on peut porter sur la littérature, expression de la complexité humaine. Plus généralement, Gérard Genette distingue « Fiction » et « Diction » : Pour lui, les textes de fiction (roman, poésie) sont toujours littéraires, alors que ceux de diction peuvent l’être ou pas, en fonction du propre jugement du lecteur.

De la même façon, il est difficile de définir le style d’une œuvre littéraire. Le style, est-ce l’homme (Buffon, Barthes), ou bien est-ce le texte lui-même (M. Riffaterre) ? Chaque artiste a sa propre définition qui reflète sa propre pratique. Peut-être le style est-il globalement « un désir qui dure », « une voix qui insiste » (Marie Darrieussecq, écrivain).

 

La littérature comme moyen de connaissance

 

Balzac, Proust, Joyce décrivent et révèlent la réalité humaine et sociale. Et Hölderlin, en profond accord avec Heidegger, affirme qu’au-delà de la philosophie, « la poésie est fondation de l’être par la parole. »

Cette connaissance littéraire est-elle efficace ? Oui, répond globalement F. Rastier, en raison du réalisme sémantique, objectif ou subjectif, de la littérature. Dans la perspective phénoménologique, dit Paul Ricoeur, l’œuvre littéraire projette hors d’elle-même son monde fictionnel, dans un mouvement de transcendance réaliste, tandis que du point de vue de la Philosophie Analytique, elle est considérée comme un pur empirisme logique. Pour M. Marghescou, la littérature est comme un dévoilement « épiphanique » du monde : « La parole littéraire fait venir le monde à nous », alors que la parole ordinaire nous fait aller au monde.

Quelle est la validité logique de la connaissance littéraire ? Certes, dit Rastier, la littérature atteint une vérité, grâce à l’unité et à la cohérence interne du texte, mais cette vérité reste « faible » par rapport à la forte rigueur scientifique. Roland Barthes rappelle que le langage, incomplet et ambigu, n’est pas adéquat pour une description nette et précise de la réalité : « Écrire, c’est ébranler le sens du monde », dit-il. Mais en fait, la valeur de vérité n’est pas pertinente pour évaluer l’œuvre littéraire, l’important c’est sa vraisemblance, qui dépend de son contexte socioculturel. Le monde littéraire est fictionnel, mais possible, et il pointe vers le monde réel, avec accès réciproque de l’un à l’autre. La littérature est révélation de suppléments de monde.

 

À quoi sert la littérature ?

 

On peut trouver un grand nombre de fonctions à la littérature, parmi lesquelles :

- Communication entre auteur et lecteurs : Quelle rencontre peut-il y avoir entre un auteur et ses lecteurs ? Pour bien comprendre une œuvre, Sainte-Beuve estimait indispensable de connaître son auteur, ce que niait Proust. Barthes aussi considère la personnalité de l’auteur comme une grande « absence » de l’œuvre, non nécessaire à l’interprétation de celle-ci. Tandis que Foucault se demande « qui parle ? » chez un écrivain, Barthes pense que l’auteur se perd dans ses différentes écritures possibles, tout en conservant son style propre. Entre auteur et lecteur, la communication est de type inférentiel, selon Dan Sperber (2000) : Chez le lecteur, il existe une multiplicité d’inférences possibles du « voulu-dire » par l’auteur, ce qui entraîne toujours un décalage de sens, d’autant plus grand que le code du langage et le contexte socioculturel sont moins partagés entre auteur et lecteur.

- Fonction sociale et existentielle : Culture et identité communes, engagement (Sartre) et révolte (Camus), exploration subtile de la vie contrairement à la science « grossière » (Barthes), et enfin, comme l’Art en général, résistance à la mort.

- Du point de vue neuropsychologique, la pratique littéraire participe à l’entretien de la fluidité neuronale et de la plasticité cérébrale, et contribue ainsi à la souplesse de représentation mentale de la réalité, et à la créativité.

- Pour la psychanalyse, la littérature, comme toute œuvre de l’esprit, est une production sublimée des pulsions sexuelles (Monique David-Ménard), qui contribue à la libération de leur objet.

 

   Patrice

 

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La nostalgie est-elle l'unique remède ?

 

Pour ne pas faillir à mes bonnes-ou mauvaises-habitudes, j'ai commencé par aller chercher la définition du mot nostalgie dans mes dictionnaires.

Voici par exemple celle qu'en donne le Larousse en neuf volumes de 1909.

Nostalgie :

- du grec nostos : retour et algos : douleur.

Étymologiquement donc : la maladie du retour.

 

-Sorte de marasme produit par le désir de retourner dans le pays natal.

« Le vrai paysan se meurt de nostalgie sous le harnais du soldat. » (G.Sand).

 

On voit qu'en 1909 la notion (l'idée) de patrie-française s’entend-, complètement démonétisé voir condamnée de nos jours, était encore vivace.

 

Définition du Petit Larousse de 1967 :

Nostalgie :

-mélancolie, tristesse, causée par l'éloignement de son pays. Par extension, regret mélancolique du passé, d'un milieu, etc…

On s'aperçoit que déjà pointe ici l'acception « temporelle » qu'à occupé le mot depuis un demi-siècle.

 

Définition du Robert de 1991.

Nostalgie :

1) État de dépaysement et de langueur causé par le regret obsédant du pays natal, du lieu où l'on a toujours vécu.

Mal du pays.

Nostalgie des immigrés, des exilés.

2) Regret mélancolique d'une chose révolue ou que l'on n'a pas connue, désir insatisfait.

« Cette nostalgie produite par une habitude brisée » (Balzac).

« La nostalgie, c'est le désir d'on ne sait quoi ». (Saint-Exupéry).

 

On remarquera que par un certain glissement, une certaine dérive, que connaissent d'ailleurs tous les mots remis au goût du jour, la nostalgie s'applique aujourd'hui davantage au regret du temps passé, d'une époque révolue-vécue ou fantasmée par le sujet amené à s'y complaire-plutôt qu'au mal du pays qui est son acception littérale. Ceci, en raison sans doute du rétrécissement des distances géographiques qui permettent aujourd'hui aux exilés et aux émigrés de renouer plus facilement avec leur terre natale.

Sauf désir express des intervenants, je crois par conséquent qu’il nous faudra parler surtout de la nostalgie du passé plutôt que de la nostalgie du lieu.

 

La nostalgie (du passé, donc) est-elle l'unique remède ?

J'avoue qu'en proposant le sujet je prolongeais, j'accompagnais mentalement son intitulé d'un couple de questions sous-entendues.

 

L'unique remède pour qui ? À l'usage de qui ?

Eh bien, pour tout le monde sans doute-personne n’est « interdit de nostalgie »-, mais surtout, il me semble pour un troisième voire un quatrième âge parvenant mal ou ne parvenant plus du tout à s'adapter à l'évolution d'un monde aujourd'hui plus que jamais en proie à d'incessants changements.

Un troisième, un quatrième âge évidemment plus enclins que la jeunesse-du fait de l'étendue de son champ d'introspection nostalgique-à se pencher avec un regret attendri, tant il est vrai que la nostalgie est moins une machine mentale à remonter le temps qu'une machine à embellir les souvenirs.

 

C'est ici qu'intervient l'immémoriale notion de « vieux con » passéiste, ce brave vieux con caricatural, volontiers adepte d'une phraséologie de bazar nourrie de « c'était le bon temps » ou de « les choses allaient mieux avant ».

Dans son regret mélancolique du temps perdu de sa jeunesse, le vieux con en question se réfère-t-il, comme nombre de ses devanciers, à un âge d'or complètement illusoire ?

Dans ce cas, c'est vrai nous avons affaire là à un indécrottable vieux con certifié authentique.

Mais imaginons un instant que par les temps qui courent-et même qui galopent-notre vieux con, pour une fois, ait mis dans le mille et que, toute comparaison établie entre un passé fantasmé comme idyllique et un présent qui ne porte pas à l'enthousiasme débridé, les choses, effectivement, objectivement, « allaient mieux avant ».

Pour le coup, le vieux con en question resterait vieux, certes, mais peut-être un peu moins con qu'annoncé…

C'est tout le sens de la formule, dont j'ignore l'auteur, que j'ai trouvé sur Google en tapant le mot « nostalgie » :

« La nostalgie revient lorsque le présent n'est plus à la hauteur du passé ».

Ce qui nous amène à l'autre question sous-entendue :

 

La nostalgie est-elle l'unique remède ?

Mais l'unique remède à quoi ? Contre quoi ?

 

Eh bien, justement, contre la dureté des temps que nous vivons, une réaction contre une société anxiogène qui semble craquer de partout, contre l'impression, justifiée ou non, que « tout fout le camp », contre les effets des crises diverses qui nous assaillent et alimentent notre peur de l'avenir.

Le fait est qu'un espoir raisonnable dans le futur n'étant apparemment pas à l'ordre du jour, le repli sur le passé peut effectivement apparaître comme le seul palliatif concevable, si l'on excepte la prise de drogues dures ou d'anxiolytiques, ou le naufrage dans l'alcool.  

(Choisis ton camp, camarade !).

Est-ce à dire que, pour autant, le passé sur lequel on se penche avec nostalgie ait été exempt de drames et de tragédies ? Non, bien sûr, mais il présente au moins le formidable avantage en tant que passé, de nous être parfaitement connu, et à ce titre il a ceci de rassurant qu'il ne peut définitivement plus mordre ni occasionner plus de dégâts qu'il n’en a causés lorsque lui-même s'appelait le présent.

D'ailleurs, ne lui avons-nous pas survécu ?

 

Voilà. Ça, c'était pour la nostalgie individuelle, la nostalgie envisagée comme plaisir solitaire.

Disons un mot pour finir de la nostalgie collective.

 

La médiatisation de la nostalgie (ou mémoire commune).

 

Chose absolument impensable dans les époques passées, il existe depuis maintenant plus d'un siècle une extraordinaire batterie de machines à remonter le temps :

la photographie, les enregistrements sonores et, naturellement, le cinéma.

Le précieux archivage de ces bandes jaunies, la prolifération d’émissions rétrospectives, de célébration, de commémoration, d'anniversaires en tout genre. Les rubriques radio-télé de type « c'était bien » fleurissent.

 

Petit relevé non exhaustif pour les seuls 10 derniers jours :

-Il y a 50 ans : Gagarine et le premier vol spatial humain. Le lancement du paquebot France.

-Il y a 43 ans : Apparition de la publicité à la télé.

-Il y a 30 ans : Inauguration du premier TG V.

-30e anniversaire de la mort de Georges Brassens, de Marcel Pagnol.

- Dans un registre moins souriant, les 25 ans de Tchernobyl.

Sans oublier le rappel quasi obligatoire de la coupe du monde de football de 1998 (à ranger au rayon de nos gloires passées) dont on nous rebat périodiquement les oreilles.

 

Pour ce qui est de la chansonnette, le regretté Pascal Sevran fit en quelque sorte oeuvre de pionnier avec son émission qui passait en revue la chanson populaire française depuis Berthe Sylva jusqu'aux yé-yés inclus, à destination d'un public bien ciblé suivant les tranches d'âge.

Sur les ondes, il y a naturellement Radio Nostalgie, la bien nommée, entièrement consacrée à ce genre d'exercice.

 

Le marché de la nostalgie.

 

On assiste à l'utilisation publicitaire de figures populaires appartenant au passé avec bandes- son détournées de leur contexte original.

-Fernandel et Galabru (jeune) pour vanter les mérites de l’huile Puget.

-Sir Alfred Hitchcock soi-même pour vanter je ne sais plus quoi.

 

La palme du jésuitisme outrancier revenant sans conteste aux deux spots publicitaires qui nous présentent les fantômes bien vivants de Marilyn Monroe et de John Lennon (bande-son non détournée et dûment sous-titrée) qui nous engagent-un comble !-à ne pas vivre dans le passé !

 

Est-ce genre de paradoxe temporel qui dès 1976 inspira à Simone Signoret le titre de son livre de souvenirs : « La nostalgie n'est plus ce qu'elle était ? »

 

Le débat est ouvert.

 

Jean – (Oscar-Léonard !)

 

 

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nostalgie
sens litterature

L’idée* de progrès

Par Luca

 

*Idée   - représentation de la pensée  

   - objet de pensée (et non terme logique)

    - concept, en tant qu’objet de pensée

 

L’idée de progrès apparaît comme l’une des prérogatives incontournables de la modernité. Non sans raison certains la considèrent la vraie “religion de la civilisation occidentale ».

 

I. Etymologie, définitions du mot progrès

 

- le progrès c’est «ce qui marche en avant » (Fort-schritt).

 

- c’est la transformation graduelle du moins bien au mieux.

Il cumule les étapes dont la dernière est toujours considérée préférable et meilleure que la         précédente.

 

- « progrès » est un terme essentiellement relatif, puisqu’il dépend de l’opinion et de l’échelle de valeur de celui qui le pense.

« Le progrès » pris absolument  est une expression très employée ; on en fait souvent une sorte de nécessité historique ou cosmique. Ou alors une finalité collective qui se manifeste par les transformations des sociétés. Encore faudra-t-il déterminer la direction et le sens d’un tel mouvement.

 

II. Notions historiques

 

A. Christianisme: progrès intérieur

 

- L’idée d’un sens de l’histoire, d’une marche ascendante de l’humanité suivant le dessin de Dieu est spécifiquement chrétienne. Le progrès est ici avant tout moral. Le péché est sa face négative.

 

- St. Augustin illustre ce progrès moral en comparant la suite des générations à un seul homme:

jeunesse ------------age adulte--------------maturité

 (absence de loi)     (époque de la loi)     (croissance spirituelle)

 

B. Lumières: progrès extérieur : la quête de bonheur immédiat remplace le salut.

 

- Afin de parvenir à une formulation moderne, l’idée de progrès avait besoin d’éléments supplémentaires et ceux-là apparaîtront dès la Renaissance  pour s’affirmer en force à partir du XVII siècle.

Les découvertes géographiques et astronomiques auront éveillé des réactions aux théories chrétiennes, la sécularisation culminant en les Lumières aura transformée l’idée d’une croissance spirituelle en celle d’un développement des techniques.

L’idée de progrès technique se résume ainsi : nous en saurons toujours de plus en plus, donc tout ira de mieux en mieux.

 

- Mais le progrès est-il linéaire (chrétien) ou présente-t-il des discontinuités ?

   - pour Leibniz le progrès présente une infinité de mouvements  partiels: +, -, =

   L’humanité connaît des arrêts, des détours, des chutes.

 

- Au XIX siècle l’idée que l’humanité devient de jour en  jour meilleure et plus  heureuse est particulièrement répandue. La foi en la loi du progrès est la vraie foi de l’époque.

Cette idée de progrès quantitatif et laïc, complètement émancipé de l’idée de progrès intérieur a rapidement  engendré des idéologies absolutistes: de Robespierre et la Terreur (si l’humanité a comme but nécessaire le progrès, quiconque voudrait l’entraver pourra être légitimement supprimé) en passant par Napoléon, Staline, Hitler, le colonialisme, voire le racisme.

 

- En des temps plus récents, tout au long du XX siècle et jusqu’à nos jours l’idée de progrès a engendré une sorte d’idolâtrie de tout ce qui est neuf : toute nouveauté est a priori meilleure par le seul fait qu’elle est neuve.

Cela deviendra très vite l’une des obsessions de la modernité. Même le domaine artistique ne sera épargné par cette tendance qui débouchera dans la notion “d’Avant-garde”.  

 

III.  Critiques  

 

à partir du début du XX les illusions romantiques du progrès de heurtent de plus en plus à des contre-idéologies.

 

A. Les illusions (romantiques) du progrès se résument à :

 

1.   identification de l’accroissement des connaissances induisant un progrès moral.

2.   identification du progrès des sciences induisant un progrès social.

 

B. Contre-idéologies

 

1.   le progrès est une idéologie bourgeoise (richesses, pouvoir)

2.   elle dénonce les « bardes du progrès » et « l’hallucination du progrès »

3.   l’évolution ne se conçoit pas en étapes successives; la réalité est autrement variée. Les relations des choses ne sont pas sur un plan, mais dans l’espace.

 

IV. Crises

 et aujourd’hui ?   quelles sont les questions décisives ??

 

1. quelles communes mesures établir entre les gains et les pertes lorsque, (par ex.) une société industrielle succède à une société agricole ?

 

2. pour Karl Popper la croyance en un avenir axé sur le progrès (comme au XIXs.) comporte des éléments irrationnels. Derrière l’idée que le changement est régi par des lois immuables se cache la peur de ce changement.

 

3. quand on parle du progrès ne restreint-on pas cette notion à l’histoire du monde occidental ?

 

4. pour Lévi-Strauss le progrès n’est ni nécessaire ni continu. Qualifiées par leurs diversités culturelles les différentes sociétés ne convergent pas vers le même but. (= même « progrès »)

 

5. l’idée de progrès économique libéral très présente dans notre époque est bien à l’origine de la séparation des consciences et de nombreuses difficultés sociales.

 

Conclusion

 

Peut-être qu’aujourd’hui nous pourrions essayer de redéfinir l’idée de progrès dans le sens d’une évolution du simple au complexe, de l’homogène à l’hétérogène, de la concordance à la diversité.  Les conditions du progrès de transforment alors sensiblement.

Au XX siècle les totalitarismes et les deux guerres mondiales ont de toute évidence évincé l’optimisme des siècles précédents pour laisser la place à une grande désillusion : l’avenir, qui paraît désormais imprévisible, inspire davantage de craintes et d’inquiétudes que d’espoir. Nous sommes loin des « lendemains qui chantent ».

 

L’idée d’un progrès unitaire est battue en brèche. On sait que les progrès enregistrés dans un domaine précis ne se répercutent pas automatiquement dans les autres domaines. Très souvent on constate l’inverse. L’urbanisation excessive a multiplié les problèmes sociaux et l’industrialisation incontrôlée s’est traduite par une dégradation sans précédent du milieu naturel et de notre environnement.

Nous voyons bien que dans les biotechnologies même le savoir n’est plus en syntonie avec l’idée de progrès mais que, au contraire, il peut représenter une menace.

De plus en plus dans notre société on commence à comprendre que PLUS n’est pas synonyme de MIEUX. On distingue de plus en plus entre AVOIR et ETRE, entre le bonheur matériel et le bonheur tout court.  

________________________________________

Lucrèce (60 av. JC): le progrès consiste en une régression parce qu’il affaiblit les aptitudes naturelles et multiplie les faux biens.  

Baudelaire voyait en le progrès: « un fanal obscur »

 

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Le matérialisme.

Par Jean-Luc

 

Descartes avait pensé établir la nature duelle de l’homme : la « substance pensante » se trouvant différenciée de la « substance étendue », cad matérielle. Progressivement cependant, s’imposera l'idée d'un paradigme scientiste de la connaissance : tout s’explique, car tout dans l’univers est matière, tout répond à des lois. Un pur esprit immatériel est par conséquent impossible et donc impensable, puisque tout ce qui est, l’est en fonctions de lois qui, en tant que telles, sont connaissables et ces lois naturellement ne peuvent agir que si un être matériel en est le support et les incarne, que si, en quelque sorte, l’existence précède l’essence.

De fait, suite à Descartes, les esprits dits rationnels s'étaient finalement accordés sur un pur monisme : il n’y a plus qu’une sorte de substance, la matière, préalablement définie comme "substance étendue", puisqu’une loi sans support matériel pour la mettre en application  est absurde et qu'une substance matérielle qui serait hors du champ explicatif le serait tout autant; d’Holbach, qui eut son heure de gloire au XVIIIe siecle, ira jusqu’à écrire : « Puisque l’Homme, être matériel, pense réellement, il s’ensuit que la matière a la faculté de penser. » Ainsi, tout est matériel, y compris la pensée, puisque celle-ci n’est en quelque sorte qu’une excroissance de la matière et ne saurait avoir d’autonomie par rapport à celle-ci. Dès lors, si la matière ne peut être pensée qu’à partir d’elle-même, qu’est donc cette pensée qui ne pourrait avoir d’autonomie par rapport à la matière ? Une pure mais exhaustive description, puisque le monde est conçu comme une machine. Dès lors, la matière, pour être connue a certes besoin du secours de la pensée, mais d’une pensée cependant elle-même produite par la matière, et pourtant supposée totalement à même de connaître cette matière dont elle est par ailleurs en totale dépendance. C’est sur cette base pour le moins incertaine que se construiront le scientisme et le positivisme, armes de l’humain pour lui donner, pensait-on alors, la clé de la compréhension complète des choses.

Ce monisme matérialiste a été par le suite repris par les marxistes en l’appliquant également aux sciences humaines: est à nouveau affirmée la thèse du primat de la matière. « L’esprit n’est lui-même que le produit le plus élevé de la matière », Engels. Et Lénine ajoutera, dans Matérialisme et empiriocriticisme : « la question – entre matérialisme et idéalisme – est ainsi tranchée en faveur du matérialisme car le concept de matière ne signifie  que ceci: la réalité objective existe indépendamment de la conscience qui la réfléchit ». Et il ajoutera plus loin, «  c’est la matière qui pense ». Et puisque la matière, réalité objective, ne saurait se tromper elle-même, il suffit d’en connaître ce qui en fait la réalité pour en modifier ses déterminismes réels ou supposés. Ce en quoi réside l’illusion du marxisme : il suffit de modifier les rapports de production pour modifier la pensée.

On part donc à nouveau du présupposé que matérialisme = déterminisme = connaissance complète possible de ces déterminismes et action possible sur ceux-ci…par une pensée cependant elle-même déterminée par la matière. Modifier les conditions dans lesquelles ces déterminismes apparaissent suffirait à pouvoir changer le cours de l'Histoire.

Il semble donc logique de considérer que si tout n’est que matériel, il soit d’une d’une rigoureuse nécessité que la connaissance puisse tout englober. La pensée doit pouvoir comprendre entièrement la matière, en tant que forme unique de la réalité, dont elle résulte et qui l’englobe toute entière. Car sinon, ce serait poser l’existence d’un absolu, inatteignable à la connaissance, chose que le matérialisme, surtout dans sa variante marxiste, récuse.

Où l'on voit que toutes ces théories qui avaient paru si séduisantes à leurs contemporains n’ont fait que déboucher sur un nouveau mysticisme, l’horizon indépassable qu’il s’agissait d’atteindre se révélant être cet absolu dont on niait toute existence possible.

On peut tout au plus vivre avec la croyance que ce qui est de l’ordre du monde physique puisse un jour être connu dans sa totalité, mais que ce qui relève de la production culturelle et éthique de l’humanité reste à jamais marqué du sceau de la subjectivité. Comment rendre compte du beau, du bien, du vrai, de la bonté, de l’humanisme, des droits de l’homme par une définition « valable universellement sans concepts » Kant. ? La seule universalité, c’est que chacun a un ressenti du beau, du vrai, du juste, sans qu’il ne puisse le définir de façon objective. Thomas d’Aquin avait fait une distinction subtile entre ce qui est dit « ad rem », la chose ou le concept défini, et ce qui est dit « ad enuntiabile », ce qui est dit en référence à la définition. Celle-ci est toujours relative, concerne la personne plus que la chose, même si la chose ne l’est pas. La subjectivité ne peut s’inclure dans l’objectivité et la pensée est toujours au-delà de la matière.

Ainsi expliquer l’idée par la matière (rationalisme, version XVIIIe siècle), le corps et ses pulsions (freudisme) ou par l’organisation économique de la société (marxisme) revient à concevoir un nouveau mysticisme, le processus d’une« ascension sans fin de l’inférieur vers le supérieur » comme le reconnaît Engels, fondé sur une nouvelle hiérarchisation mettant la matière inerte au fondement de la pyramide, laquelle hiérarchie n’est qu’un jugement de valeur mettant certes l’idée au sommet de la pyramide, mais une idée non autonome, conditionnée, « décidée » par son environnement matériel. Et en effet, si l’on affirme que la matière est la totalité de l’existence, comment quelque chose pourrait-il s’en échapper et donner un plus aux choses existantes ? Le matérialisme débouche sur une métaphysique sans transcendance ou pourra-t-on dire, un métamatérialisme fondé sur la primauté de la volonté, volonté non pas libre, mais juste capable de modifier les conditions supposées immuables qui immanquablement engendrent tel ou tel déterminisme.

Si cependant la liberté humaine a un sens, on ne peut que refuser ces conceptions mécanistes.

La pensée est conscience, intentionnalité, et après seulement volonté. La matière brute n’est rien de tout cela, elle est cet être sans conscience, sans volonté, indifférent qu’étudient les scientifiques. La matière sans l’homme est telle un cadavre. Si l’on admet que la matière précède la pensée, il est faux de dire que la matière possède la pensée et la dirige. Penser la matière c’est se référer à la pensée. L'étudier dans son fonctionnement ne veut pas dire que ce fonctionnement soit celui de la pensée. La matière agit en nous, mais ne nous conditionne pas.

 

Ainsi Spinoza : « Ce n’est pas nous qui affirmons ou nions quelque chose d’une chose, mais c’est elle-même qui en nous affirme ou nie quelque chose d’elle-même ». Dans cette définition, le monisme se trouve affirmé, mais ne débouche sur aucun dogmatisme rigide, sur aucun paradigme mécaniste. Nous sommes unis aux éléments, mais après nous agissons en fonction de l’interprétation que nous en faisons. Pour reprendre le discours cartésien, il n’y a pas la substance pensante ET la substance étendue, l’une étant absolument indépendante de l’autre, mais les 2 sont en corrélation étroite. C’est la substance étendue qui donne matière à penser, mais ne saurait en aucun cas déterminer la substance pensante, la diriger de façon rigide comme l’instinct guide l’animal. D’ailleurs cette distinction est complètement factice. Si Descartes avait été plus attentif à son environnement, il se serait aperçu que sa fameuse substance étendue ne peut être vue sans lumière. Or qu’est-ce que la lumière, sinon une pure réalité physique, sans « étendue «  cependant ? Et ainsi, on voit ! bien qu’il n’y a pas l’objet, le ça, qui détermine le moi, le sujet, mais que l’objet et le sujet sont un tout, forme une complémentarité. Ce qui s’oppose au matérialisme, le ruine, est la réalité bien plus que l’idéalisme. Car quelle matérialité ont, non seulement la lumière, mais la gravité, les champs magnétiques, les ondes, les rayons laser, etc… ? Pourtant tout cela existe bien. Et enfin, la physique quantique aura jeté définitivement le matérialisme au rayon des brocantes intellectuelles. De quoi s’agit-il ?

 

« La mécanique quantique a repris et développé l’idée de dualité onde-corpuscule introduite par de Broglie en 1924 consistant à considérer les particules de matière (La matière est la substance qui compose tout corps ayant une réalité tangible. Ses trois états les plus communs...) non pas seulement comme des corpuscules ponctuels, mais aussi comme des ondes, possédant une certaine étendue spatiale (voir la mécanique ondulatoire). Bohr a introduit le concept de complémentarité pour résoudre cet apparent paradoxe : tout objet (De manière générale, le mot objet (du latin objectum, 1361) désigne une entité définie dans un espace à trois dimensions, qui a une fonction précise, et qui peut être désigné par...) physique est bien à la fois une onde (Une onde est la propagation d’une perturbation produisant sur son passage une variation réversible de propriétés physiques locales. Elle transporte de l’énergie sans...) et un corpuscule, mais ces deux aspects, mutuellement exclusifs, ne peuvent être observés simultanément[1]. Si l’on observe une propriété ondulatoire, l’aspect corpusculaire disparaît. Réciproquement, si l’on observe une propriété corpusculaire, l’aspect ondulatoire disparaît. »

 

Ainsi, même dans le domaine de la connaissance, réapparaît le primat du sujet sur l’objet, de l’observateur sur l’objet observé, de la conscience sur la supposée réalité objective. Ce qui est cohérent et juste, car c’est à l’homme de définir une finalité, de donner un sens à la nature, qui par elle-même, n’en a pas. Cela est le rôle de la culture, dont il n’a pas à rechercher des déterminismes qui existeraient en soi, qu’ils nous suffiraient de découvrir pour créer un ordre harmonieux. L’homme n’est que volonté ; il est ce promethée qui doit créer la civilisation et la culture, cad ce qui complète la nature mais certainement pas ce qui la supplante. Car l’homme, être de pensée, doit trouver sa place dans le monde dont il n’est ni « maître, ni possesseur », qui n’est pas un monde mécanique, une machine, mais qui doit lui-même s’appréhender comme une pensée. L’homme, qui est raison et finalité car il est une conscience, complète un monde qui n’est que raison. De cela, nous pouvons déduire que l’essence précède l’existence, ce qui implique la complète autonomie et la totale liberté de pensée de chaque individu

 

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materialisme
idee progres

La question de l’Origine

13 avril 2011

 

L’origine a une double dimension

 

L’origine, c’est l’explication de la formation, genèse ou naissance de quelque chose, que ce soit les pensées, les actes, les situations, les choses de la nature ou l’univers. Par exemple, l’origine de l’Inégalité (Rousseau) est l’explication de la genèse du fait inégalitaire dans la société.

Cette explication a une double dimension :

- Spatio-temporelle, qui se réfère à où et quand se forme la chose en question, par exemple où et quand se lève le soleil : à l’orient (même racine qu’origine) et à l’aube. C’est l’origine-commencement.

- Logico-explicative, qui se réfère à pourquoi et comment se forme la chose en question, par exemple le lever du soleil : char d’Apollon ou rotation de la terre. C’est l’origine-causalité.

 

L’origine est arbitraire

 

« Ex nihilo, nihil fit », disait Parménide. En effet, tout se transforme, l’énergie, la matière et le mental. Toute apparition de quelque chose représente la disparition d’autre chose, avant, ailleurs ou autrement. L’origine est ainsi relative et ambiguë dans sa causalité et son commencement, car toujours à la fois résultat ou effet, terme ou fin : elle est essentiellement arbitraire.

 Par exemple, l’origine d’un événement historique est arbitraire. Les causes prochaines (dépêche d’Ems ou attentat de Sarajevo) sont précises mais peu explicatives, et les causes lointaines (rivalité franco-allemande) sont explicatives mais peu précises.

De même, l’origine de la Philosophie est arbitraire. Qu’elle soit née sur les bords propices de la Méditerranée, vers le 6ème siècle avant notre ère, renvoie à une explication historique (institutions politiques) et géographique (climat, communications) plus vaste. Mais également, l’émergence d’un étonnement rationnel devant la Nature autonome, et non plus animée par les dieux, implique une opulente oisiveté, et le jeu complexe de nombreux facteurs neuropsychologiques et socio-économiques.

Ou encore, au sein du cycle de la vie, situer l’origine de l’être humain dans la naissance, l’un des stades embryonnaires, la fécondation, ou la gamétogenèse à partir du germen, est biologiquement arbitraire, même si juridiquement ou affectivement justifié.

Tout comme la définition, qui est délimitation incomplète de quelque chose, l’origine effectue une coupure relative, une séparation ambiguë dans le continuum des phénomènes mentaux et matériels, qui est objectivement arbitraire, même si elle peut être subjectivement ou pratiquement efficace.

 

L’origine pertinente est celle de la différence

 

Tout est à la fois permanent et changeant, stable et instable.

Du Même, éternel et immuable, la métaphysique rend traditionnellement compte à travers ses concepts d’Être (Parménide), d’Idée (Platon) et d’Essence (Aristote : cause formelle et finalité). Pour sa part, la science comporte de nombreux invariants dans sa description des phénomènes, par exemple la conservation de l’Énergie ou de la Quantité de Mouvement en mécanique, et en biologie, la constance du Gène au fil des générations. La Nature qui est engendrement, produit toujours du même : de la même graine ou du même œuf sort toujours la même plante ou le même animal. Pour la métaphysique, l’origine du Même représente l’explication véritable de la formation du réel. Dans cette perspective, l’origine relève d’un « tout finalisme », de même que pour une certaine biologie, l’origine des êtres vivants se rapporte à un « tout génétique ».

Du Différent, la métaphysique rend traditionnellement compte à travers ses concepts de Devenir (Héraclite), de Réel sensible (Platon) et d’Existence (Aristote : matière et mécanisme). De son côté, la thermodynamique privilégie les aspects de changement et d’instabilité, voire de dissipation de l’Énergie, de même qu’une nouvelle biologie (Kupiec, Ameisen) met l’accent, dans le fonctionnement même du génome, sur la variation aléatoire sélectionnée, sur l’innovation adaptée à l’environnement.

Rendre compte de l’apparition du changement est la tâche particulièrement ardue de la démarche scientifique. C’est en effet au niveau des discontinuités, des fluctuations aléatoires, et de l’émergence d’organisations plus complexes, que se situent encore les principales inconnues, délimitant du même coup les différents champs scientifiques : L’origine de l’univers en physique, celle de la vie en biologie, du mental en psychologie et du sociopolitique en sociologie. Pour la science, c’est l’origine du Différent qui représente l’explication véritable, la seule pertinente, du réel en formation, en tant que changement, voire originalité au sein de la permanence. La difficile explication scientifique des mécanismes de formation de ce qui existe, contraste avec la facilité métaphysique d’explication du Même par le Même.

Une des facultés fondamentales du cerveau humain est de se faire en permanence une cohérente représentation « invariante » du réel. C’est même la « stabilité » de la perception de quelque chose qui rend plausible sa réalité. Cette faculté est mise en œuvre aussi dans les activités mathématique et artistique, par exemple. Alors, une telle représentation stable sert de référence pour la détection du changement, ainsi facilitée, et pour sa bonne compréhension, changement qui va s’y intégrer en retour de façon cohérente. Ce qui contribue à l’efficacité du comportement et de l’action.

 

Rapport entre origine scientifique et origine métaphysique

 

L’origine scientifique d’un objet, mental ou matériel, est le Comment de sa trajectoire, spatio-temporelle ou mentale. Ce Comment, traduisant les propriétés matérielles et les mécanismes de fonctionnement, se formalise habituellement par une fonction de facteurs ou de motifs, intérieurs à l’objet ou au phénomène considéré. Dans le cas des systèmes dynamiques complexes, sensibles aux « conditions initiales » de chaque étape, la trajectoire relève d’un déterminisme probabiliste, imprédictible.

L’origine métaphysique de quelque chose est son Pourquoi, son Essence, c'est-à-dire sa cause formelle et sa finalité, éléments extérieurs à l’objet ou au phénomène considéré. Cette question est intimement liée à la théologie monothéiste, car Dieu créateur est la cause première et finale de tout. Mais la métaphysique kantienne remplace Dieu par les Catégories mentales a priori du Sujet, puis Nietzsche remet en cause décisivement la métaphysique et la Raison absolue, même subjective.

Par la suite, la philosophie contemporaine s’est déployée en marge de la métaphysique kantienne, en particulier à l’occasion de la découverte de la Géométrie non-euclidienne, dont les axiomes pouvaient difficilement faire partie des Catégories a priori. Pour les deux grands courants contemporains, la question du Pourquoi finaliste n’a plus aucune pertinence : La philosophie analytique (Frege, Russell, Wittgenstein et Carnap) s’occupe principalement de la logique du langage, à partir de tout système d’axiomes donné, et l’existentialisme phénoménologique (Husserl, Heidegger, Sartre), libère l’être humain du joug de son Essence. Par ailleurs, la philosophie des sciences, dont la jeune neuro-philosophie,  étudie la valeur de chacune d’elles et la validité de ses résultats.

Ainsi, sur le sujet particulier de l’origine, comme de tous les autres d’ailleurs, il y a antagonisme total entre la métaphysique et la science, cette dernière n’accordant aucune valeur à la question même du Pourquoi. Par contre, il existe une féconde complémentarité entre la science et la philosophie des sciences, cette dernière contribuant à renforcer l’efficacité de l’explication scientifique, à travers trois grands rôles : épistémologie, éthique et liaison entre les différents savoirs.

 

L’origine absolue de tout est-elle vraiment nécessaire ?

 

Oui, affirme la métaphysique, par nécessité logique : Pour éviter la régression à l’infini de l’enchaînement causal, il faut bien postuler une cause première de tout.

Cependant, comme le fait encore remarquer Comte-Sponville, postuler une origine absolue pour échapper à une incomplétude logique ou une insatisfaction rationnelle, ne la prouve en rien. Ensuite, l’existence du désordre et du mal dans le monde, est incompatible avec une origine absolue de tout, qui ne pourrait être nécessairement que rationnelle et bonne.

D’autre part, la physique ne dit toujours rien sur l’origine de l’univers elle-même. La théorie du big-bang décrit la trajectoire de l’univers de façon efficace et vérifiée, mais pas jusqu’à l’instant zéro ; juste avant, en effet, elle bute contre le mur de Planck, qui représente en quelque sorte les « atomes » d’espace (10-35 mètre) et de temps (10-43 seconde). Alors, toutes les pistes de recherche théorique en cours abolissent l’instant zéro de notre univers, en envisageant d’autres mondes préexistants, comme un vide quantique, une « brane » flottant dans un espace-temps à 10 dimensions (Supercordes) ou un univers en contraction rebondissant sur lui-même. Actuellement donc, pour la physique, la question de l’origine de l’univers reste ouverte.

Finalement, une origine absolue de tout pourrait-elle vraiment être accessible à la Raison ? D’abord, elle serait elle-même sans origine spatio-temporelle ni causalité, et donc inintelligible. Ensuite, la Raison humaine fait partie intégrante de l’univers, et en vertu du théorème d’incomplétude de Gödel, elle ne pourrait pas comprendre l’origine d’un tout qui la contienne, ni démontrer son existence. Il s’ensuit que la question de l’origine absolue de tout n’est pas une exigence de la Raison, qu’elle n’est pas vraiment rationnelle. L’origine absolue est bien plutôt un autre exemple « d’idéal de l’imagination », ou alors une question de Foi, dans laquelle on doit au moins reconnaître que Dieu, comme créateur ex nihilo de l’univers, serait encore plus incompréhensible qu’une théorie physique.

Dans la pensée chinoise ancienne (Catherine Jami, François Jullien), il n’y a pas de Dieu créateur, ni de Cause première extérieure à l’univers. Concernée surtout par le pragmatisme social, cette pensée s’intéresse peu à la métaphysique. Elle rend compte du Monde en termes de processus, de transformations, et non en termes de causes ni de finalités, ce qui ressemble à la démarche scientifique occidentale. À l’origine de tout, il y a un principe général immanent, le Tao, différencié en deux « énergies » opposées, le Yin et le Yang. Ces « énergies » ont formé par combinaison tout ce qui existe dans le monde, considéré comme un devenir continu « d’énergies » recomposées.

 

L’origine n’est-elle pas un « construct » mental ?

 

On peut se demander finalement si l’origine ne serait pas un pur « construct » mental, c'est-à-dire un genre d’artefact cérébral, dans ses deux dimensions, spatio-temporelle et explicative.

En effet, la réalité de l’espace-temps conserve une certaine ambiguïté, une incertitude, en fonction des différentes théories physiques en vigueur : contenant absolu ou relatif à son contenu, existence substantielle ou relationnelle, réel de nature corpusculaire ou onde sans origine. Cependant, l’existence des limites fondamentales d’espace et de temps de Planck, rend sans doute possibles la vitesse, le mouvement et l’origine.

Le Pourquoi des choses, qui renvoie à leur extérieur, aussi bien dans sa composante causale formelle (plan, conception, dessein), que dans sa composante causale finale (but, finalité, objectif), apparaît bien comme ne faisant pas partie du réel, ni matériel ni mental. S’il est ignoré par la science, ce n’est pas par répartition des thèmes ou des tâches avec la métaphysique, mais bien parce que considéré comme une illusion, voire une « superstition » (Wittgenstein).

Alors, « l’origine » ne serait-elle pas un concept construit par le cerveau, plutôt qu’un concept extrait de la réalité, à la manière de bien d’autres constructions mentales, par exemple les couleurs ou les objets mathématiques, l’infini ou l’éternité, ou encore la liberté ? Tout comme ces divers constructs mentaux, « l’origine » est une composante efficace de la représentation des choses et des phénomènes, fondamentalement avantageuse pour le comportement de survie, comme la « rencontre » avec les aliments et les partenaires sexuels.

Si l’on adopte la nouvelle perspective neuropsychologique (Jean-Luc Petit), c’est par l’action que le cerveau-sujet met de l’origine, c'est-à-dire de la causalité spatio-temporelle et factorielle, dans le Monde, qui en acquiert dès lors son sens relationnel ordonné. Le sens des choses et des phénomènes ne provient pas d’un illusoire Pourquoi, mais bien du sens de l’action elle-même : C’est l’action de vivre qui donne son sens à la vie, de même que c’est l’action déclarative de la Liberté autonome de l’être humain qui est l’origine de la Dignité et de l’Autorité humaines.

Les résultats des expériences neuropsychologiques de Libet (1985) et de Soon (2008) montrent que la décision non-consciente d’une action précède d’un dixième de seconde sa prise de conscience. Que peut donc être l’origine de la décision mentale d’agir, que phénoménologiquement on désigne par l’intention et l’attention ? Le cerveau, jamais au repos complet, possède à travers ses neurones la propriété spécifique de s’auto-activer, et l’activation ainsi « spontanée » des zones cérébrales du soi-mémoire, impliquées dans les motivations rationnelles et affectives, rend compte de l’origine non-consciente de l’intention, qui devient très rapidement consciente à travers le mécanisme « d’amplification attentionnelle » (Lionel Naccache). Ainsi, décision non-consciente et action consciente vont-elles toujours ensemble, de façon solidaire à un dixième de seconde près, un peu à la manière du châssis et de la carrosserie d’une voiture.

 

Patrice.

 

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L’amour est-il une illusion ?

 

30 janvier 2013

 

Comment la Philosophie peut-elle être utile au sujet de l’amour ?

 

Une définition philosophique de l’amour, qui serait son « essence », sa raison suffisante, est particulièrement difficile à trouver dans l’histoire de la Philosophie, car, effet de sa richesse, on en retire d’innombrables conceptions disparates : depuis la manifestation d’un manque jusqu’à l’aliénation altruiste, en passant par la tranquillité émotionnelle !

De plus, « autrui » est un concept relativement récent, puisqu’il apparaît comme tel avec Hegel, et sa dialectique des consciences de soi et d’autrui. Par la suite, dans la pensée contemporaine, il se met à occuper une grande place, et pas toujours positive : Sartre pense que le regard infernal de l’autre, médiateur entre moi et moi-même, me transforme en objet. Par contre, dans le courant de pensée « altériste », autrui tient une place décisive : Pour Lévinas, « je suis un hôte » ontologiquement, qui dois accueillir autrui en responsable, tandis que, de son côté bien chrétien, Ricoeur considère « soi-même comme un autre », en envisageant la « vie bonne » avec et pour autrui.

Cependant, il est possible de regrouper à peu près l’ensemble des réflexions occidentales sur l’amour (Comte-Sponville, « Le sexe ni la mort », 2012), autour de  trois  grands pôles conceptuels situés entre le manque d’âme et sa plénitude : l’amour-désir platonicien, qui est manque-motivation, l’amour-désir spinoziste, qui est puissance-motivation, et l’amour-désir chrétien, qui est motivation-plénitude. Ces conceptions sont liées à des visions différentes du monde et de l’être humain, mais elles considèrent toutes l’amour comme le moteur de la pleine réalisation de soi : Véritable « passeur » de l’âme vers la plénitude, l’amour lui permet de poursuivre son propre bien, directement « ici et maintenant », ou bien indirectement « ailleurs et plus tard ».

L’apport récent des sciences neurocognitives permet un renouvellement du questionnement sur l’amour.

 

L’amour-désir, comme manque-motivation

 

L’amour selon Platon s’inscrit dans sa théorie d’un double monde, celui apparent des choses sensibles et celui réel des idées intelligibles, et donc d’un être humain éclaté entre le corps et l’âme : L’amour-désir (Éros), démon fécond selon la chair et l’esprit, représente ainsi comme sa mère Pénia, un manque qui motive la relation à autrui, et l’élévation de l’âme vers la plénitude de l’être et la contemplation de la beauté. Éros comme son père Poros, fait bien « passer » de l’apparence vers la pleine vérité du réel, amour qui atteint dès lors le beau et l’absolu, à la manière du véritable amour conjugal, selon Jacques de Bourbon-Busset. On retrouve là l’idéal de la fusion unitaire, comme accomplissement de l’amour, directement issu du mythe platonicien des androgynes.

Mais cet amour de possession passionnée comporte les risques de souffrance par manque, et d’ennui par satiété : Pour Schopenhauer, l’amour n’est rien d’autre que l’instinct sexuel, ruse de la nature pour engendrer et se perpétuer. Étant seulement plaisir et volonté de survivre, et sombrant nécessairement dans l’ennui, « l’amour, c’est l’ennemi ! », lance ce philosophe peu optimiste. Cependant, selon sa dimension neuro-hormonale assez bien connue maintenant, l’amour-passion ne peut guère durer qu’un temps, autour de deux à trois ans. Il se transforme habituellement en un lien d’attachement qui, lui, peut être plus durable. Michel Onfray rappelle que pour durer, l’amour, « nominaliste et multiforme », doit réussir son aménagement spécifique dans chaque cas.

 

L’amour-désir, comme motivation-plénitude en Dieu

 

Se rattachant à la vision platonicienne de l’amour sublimé du beau et du vrai, l’amour de charité chrétienne (agapé) s’inscrit dans la représentation d’un monde double, Terre et Ciel, créé par Dieu, et donc d’un être humain déchiré dans son corps et son âme, entre la vie terrestre et la vie céleste. Dans sa forme théologale la plus élevée, la charité se traduit par un désir de fusion mystique avec ce Dieu-amour, et d’altruisme envers son prochain en Dieu, aspirant à la pleine réalisation de soi au Ciel (Jean de la Croix).

Sur terre, cet altruisme bienveillant universel, exempt de toute concupiscence (Thomas d’Aquin), ne se pratique pas pour l’amour du prochain lui-même, ce qui serait de l’idolâtrie, mais bien pour l’amour de Dieu (Augustin d’Hippone), c'est-à-dire pour lui plaire, pour se conformer à sa volonté. Il s’accompagne alors tout naturellement de la prescription du don de soi ou de « l’oubli de soi » (René Barjavel), voire du renoncement à soi, avec l’envie de mourir pour hâter la fusion en Dieu (Simone Weil, Thérèse d’Avila). Mais, en même temps, cet amour de mansuétude angélique comporte les risques de rebuffade de la part d’autrui, et de frustration du corps.

 

L’amour-désir, comme puissance- motivation

 

Pour Aristote, l’être humain fait partie d’un monde réunifié, unique réalité, mais qui reste écartelé dans son dualisme hylémorphique de « puissance et acte ». L’amour (Philia) ressenti par « l’âme incarnée » est alors la joie qui accompagne la réalisation de sa propre nature, à l’occasion de ses relations familiales et sociales. Ce genre d’égoïsme « vertueux » se retrouve dans le narcissisme normal (Freud) et l’hédonisme raisonnable (Épicure), et peut comporter un souci de l’autre, comme dans l’amitié choisie des épicuriens, ou dans le « jouissez et faites jouir » de Michel Onfray.

De leur côté, se détournant de la passion amoureuse qui enchaîne et tourmente, les stoïciens préfèrent le détachement affectueux, genre d’amour digne et raisonnable, semblable au détachement compassionnel bouddhiste.

Dans cette même perspective, Spinoza conçoit l’amour comme un désir constitutif de l’être humain, son essence même, qui cherche à réaliser sa propre puissance et s’efforce d’obtenir pleine satisfaction pour soi-même, dans le respect d’autrui, comme l’exige Kant. L’amour spinoziste est ainsi « une joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure », par exemple le bonheur d’autrui, propose Leibniz ; et aimer, c’est se réjouir d’exister davantage du fait de quelque chose, en particulier de la présence d’autrui. Cette jouissance réjouie de pleine existence, de vie épanouie grâce à autrui, au sexe, à la science, au sport… serait bonne pour la santé, comme le remarque Descartes. Mais en même temps, un tel amour d’épanouissement joyeux comporte les risques d’insatisfaction par obstacle, et de tristesse par échec.

Cet amour spinoziste de joie désirante, qui contrairement au cartésianisme, maintient l’unité réelle de ses composantes corporelle et mentale, est actuellement tout à fait confirmé par les résultats des sciences neurocognitives. Et cependant, il finit par chagriner le neuropsychologue Antonio Damasio, qui le trouve bien esseulé, trop séparé d’autrui.

 

L’amour, comme puissance de satisfaction altériste

 

Pour se consoler pleinement, il suffit de replacer autrui au cœur même de l’amour spinoziste. Alors l’amour, plaisir joyeux, apparaît en réalité comme réflexif et altériste à la fois. À la manière de l’angelot symbolique, il est tout « bouclé ».

En effet, le psychisme en général est considéré comme un ensemble de processus réflexifs, en boucles d’aller-retour de soi à soi-même, passant par le monde intérieur et extérieur. Dans ce cadre, le processus particulier de l’amour peut être réellement décrit comme une boucle d’amour de soi passant par autrui. En quelque sorte, l’amour est un « alter-égoïsme-narcissisme-hédonisme », où la relation à quelqu’un d’autre, réel ou imaginé, normalement respecté pour lui-même, est absolument nécessaire. Sinon, il s’agit d’un plaisir solitaire ou fétichiste.

L’amour est ainsi une boucle agréable de passage par l’autre, sans don ni altruisme, avec retour de la satisfaction pour soi, comme cela est si souvent exprimé : Par exemple, le bon sens affirme avec Camus que « l’homme ne peut jamais aimer sans s’aimer » ; aimer, dit Alain, c’est « trouver sa richesse hors de soi », tandis que pour Breton c’est « rencontrer quelqu’un qui vous donne de vos nouvelles ». Et dans cette perspective, la pénombre d’un Lacan s’éclaire : « Aimer, c’est donner quelque chose qu’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas ».

Cette conception réflexive et altériste de l’amour représente une conciliation des « deux logiciels de l’être humain » (Edgar Morin), que sont l’égoïsme et l’altruisme, en les dépassant. Elle implique des mécanismes neuropsychologiques en boucle, comme par exemple, le processus interactif de projection-perception (Jean-Pierre Changeux), les circuits d’activation neuronale, dont celui de l’empathie (Jean Decéty), et la liaison cérébrale des sens de soi et d’autrui, ce dernier envoyant lui aussi signaux et stimuli.

Loin d’être une illusion, l’amour ainsi entendu est un réel sentiment de satisfaction, de bien-être, éprouvé dans et par une relation avec autrui. Qu’on l’appelle « amour de soi passant par l’autre », ou encore « relationnel caressant pour soi », il n’est guère qu’une autre façon de nommer le bonheur.

 

Patrice

 

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amour illusion
origine

 

La Raison est-elle un absolu ?

23 février 2011

 

Si on considère la Raison, faculté logique de connaître et de juger, depuis les référentiels suivants :

· Ontologie dualiste : Essentialisme aristotélicien (Cause formelle et finalité constituent le pourquoi des choses), avec l’être humain composé de deux substances irréductibles, le corps et l’esprit.

· Épistémologie subjectiviste : Idéalisme allemand (Connaissance catégorielle de Kant, Raison historique d’Hegel), Existentialisme (Raison consciente et libre, créatrice de soi), et Principe Anthropique fort (L’être humain est la raison d’être du Monde).

· Humanisme « transcendantal » (Luc Ferry) : L’Humanité représente des valeurs universelles, comme la Raison, l’Amour, la Liberté, les Droits de l’Homme…

alors, on peut facilement « croire » que la Raison humaine est un absolu.

La Raison est-elle absolue ?

La Raison humaine (Athéna), en lieu et place de la Nature (Spinoza : « Deus sive Natura »),  peut-elle vraiment avoir l’attribut de l’absolu divin : Deus sive Ratio ?

Et si oui, pourquoi pas aussi le Sentiment, la Poésie et l’Art (Deus sive Dionysos), ou l’être humain lui-même, l’Homme-Dieu de l’Humanisme transcendantal : Deus sive Homo ? Mais alors, l’être humain serait-il enfin la mesure de toute chose ?

On retrouve ici l’idéologie du Principe Anthropique fort : L’Univers s’explique par l’existence de l’Homme, être vivant doté de Raison consciente, qui en est la cause formelle et la finalité, l’alpha et l’oméga.

En réalité, les arguments en faveur du caractère absolu de la Raison humaine ne sont pas probants :

· Postuler le caractère absolu de la Raison pour échapper à la contingence causale, ne le prouve en rien. Une Raison absolue serait totalement inexplicable et inintelligible.

· Les désordres irrationnels et les horreurs déraisonnables sont incompatibles avec une Raison absolue, qui serait « horlogère » du Monde.

Par contre, le fait que la raison puisse « se perdre » manifeste bien sa dépendance envers ses conditions d’existence, ce qui est incompatible avec un caractère absolu.

La Raison est-elle intelligible ?

D’après Hegel, « tout ce qui est réel est rationnel » ; mais si toute la réalité est intelligible, pourquoi la Raison humaine, très réelle, ne le serait-elle pas aussi ?

Pour rendre compte de la Raison humaine, considérer qu’elle émerge directement de la matière vivante, c'est-à-dire du cerveau, est plus facilement parcimonieux que supposer qu’elle résulte de la « migration participative » d’une Raison divine, insatisfaite de sa perfection immobile. De plus, cette émergence de la matière vivante s’accorde bien avec le Principe Anthropique faible, qui exige que toute théorie de l’Univers explique aussi l’être humain. Dans cette perspective, la recherche scientifique jette actuellement les bases d’une naturalisation neurobiologique de la Cognition, par exemple les éléments d’une « Neuro-épistémologie » (Gerald Edelman), le rôle de l’inhibition dans l’intelligence mature (Olivier Houdé) et l’intelligence conçue comme une projection mémorielle efficace (Lilianne Manning), ainsi que les nombreux travaux en Neurophilosophie.

Certes, à ce jour, le mécanisme cérébral d’interface entre le neuronal et le mental reste largement non élucidé, mais pourquoi serait-il impossible à découvrir ? La manière dont se fait la traduction du « langage » neuronal en « langage » mental (pensées et sentiments) demeure un mystère scientifique, mais il est certain que le domaine inconnu se rétrécit des deux côtés, grâce aux avancées des Sciences Cognitives. La Raison considérée comme une capacité du cerveau-mémoire est à l’œuvre de la façon la plus pure dans le raisonnement mathématique. Les objets mathématiques sont des concepts complexes « construits » par le cerveau ; certains sont efficaces pour agir, en raison de la coadaptation entre l’invariance mathématique et la représentation invariante du réel (Dominique Lambert, La Recherche n° 37, nov. 2009).

L’existence de la Raison était-elle nécessaire ?

Bien sûr, l’existence actuelle de la Raison humaine est évidente ; sa nécessité s’impose quand on l’observe a posteriori. Mais était-elle nécessaire a priori ? Tout concourt à penser que non. Dans une perspective « ex ante », la Raison apparaît plutôt comme un possible parmi d’autres, qui s’est réalisé : La « facticité » existentialiste de l’être humain conscient signifie qu’il est absolument contingent, « qu’il est là comme ça, sans raison » (Sartre), tout comme la rose (Angelus Silesius). La Raison est un résultat, imprédictible, de l’évolution du système dynamique complexe qu’est la matière vivante, régie par un déterminisme probabiliste (ou « contingence nécessaire »), relevant de la théorie du Chaos déterministe. Les « atomistes » grecs, Leucippe et Démocrite, pensaient déjà que le mouvement des atomes s’effectue au hasard, sous l’action d’une force sans aucune finalité.

Dès lors, le finalisme évolutif anthropocentrique, qui prétend que l’être humain est le but et le couronnement de l’Évolution, se situe hors du champ scientifique, et le « dessein intelligent » apparaît comme une croyance sans fondement objectif, ne relevant pas des mécanismes évolutifs.

En effet, le finalisme biologique interprète l’évolution des organismes vivants comme une complexification progressive et un perfectionnement morphologique, qui convergeraient vers l’espèce humaine. Mais cette interprétation, qui s’appuie sur la remontée « ex post » du chemin évolutif, n’est que l’expression d’un préjugé anthropocentrique naïf. Car les organismes dits « évolués » ne sont pas mieux adaptés que ceux dits « primitifs » (buisson évolutif), et l’être humain n’est pas plus « parfait » que les autres, mais tout aussi « bricolé » (F. Jacob :  « Le cerveau est un ordinateur monté sur une charrette à cheval »).

On peut considérer que la critique du finalisme fait partie du fondement même de la Science moderne. Il a été rejeté radicalement par Galilée et Descartes (« Postulat d’objectivité »), par Bacon et Spinoza, et par tous les encyclopédistes, en tant « qu’asile de l’ignorance » servant à boucher les « trous » du savoir scientifique.

Alors, finalement, l’être humain, doté de Raison consciente, était-il inévitable ? Bien qu’une réponse catégorique demeure malaisée, le plus probable est que non. En effet, malgré son déterminisme précis (constantes physiques, peut-être pas si constantes que ça !), le système complexe de la Nature évolue avec des fluctuations, des bifurcations aléatoires et structurantes. C’est le cas par exemple pour l’immense diversité des formes du vivant, plasticité qui est fonction de la régulation modulaire multiple des gènes du développement, dits « homéotiques ». De toute façon, en cas de besoin, la théorie des univers multiples pourrait permettre d’éviter tout recours à un finalisme global.

Raison efficace : comment se fait-il que le Monde soit compréhensible ?

Einstein ne comprenait pas que le Monde soit compréhensible.

Le cerveau humain est le résultat bien adapté d’une coévolution avec la Nature, contribuant à assurer la survie de l’organisme et de l’espèce. Il est capable d’intelligence, qui est anticipation efficace (Lilianne Manning), à travers le fonctionnement conscient de la Raison et de l’Émotion, basé sur la Mémoire.

De cette façon, le cerveau-sujet se construit en permanence une « représentation » du Monde (concepts, modèles), qui en est son estimation la plus probablement juste (Marcus Raichle). Cette estimation mémorielle est mise à jour et confirmée par les perceptions, attentives et motivées, qui peuvent bien « coller » avec elle.

À partir des résultats des Neurosciences, et en particulier de la Neurobiologie de l’Action (Alain Berthoz, Collège de France), une nouvelle théorie « neuro-épistémologique » a été proposée par le philosophe Jean-Luc Petit en 2003 : Cette construction de l’estimation mémorielle du Monde serait moins une « représentation » (simulation interne) qu’une « constitution-anticipation » de la réalité, dans et par l’action, aussi bien physique que mentale. Cette idée rejoint une intuition tardive d’Edmund Husserl, et s’accorde, de façon saisissante, avec celle du cerveau-machine à décohérence du réel quantique.

Alors, ce serait le cerveau-sujet conscient qui fonderait la Nature en la constituant et en l’anticipant, et ce, grâce à l’imagination logique de la Raison, complétée par la logique imaginative de la Poésie, comme le pensait Heidegger. En effet, « la poésie est la fondation de l’être par la parole » (Hölderlin).

Ce qui expliquerait tout naturellement que le Monde soit compréhensible par l’être humain.

 

Patrice

 

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LA NOUVEAUTE.

 

La nouveauté est définie dans le Larousse comme la qualité de ce qui est nouveau, une chose nouvelle.

Lorsqu'on parle d'une nouveauté il peut également s'agir dans un autre sens d'un livre récemment publié.

Enfin une nouveauté est un produit nouveau de l'industrie, de la mode. Dans un emploi vieilli on parle

d'un magasin de nouveautés pour qualifier un magasin qui vend des articles nouveaux.

 

J'aimerais aborder avec vous ce thème du phénomène que représente la nouveauté.

En premier lieu la nouveauté fait référence à quelque chose de vécu par la perception.

La perception passant par un ou plusieurs des cinq sens, c'est par ce vecteur qu'on peut appréhender la nouveauté. Ainsi un mariage inédit ou même un mariage traditionnel de saveurs peut constituer une nouveauté et faire la réputation d'un chef dans le domaine de la gastronomie.

En musique une nouveauté peut être une nouvelle approche de l'harmonie et de la musicalité d'un agencement de sons et au cinéma la projection en 3D d'un film constitue une nouveauté. De même les nouveaux appareils photos en 3D constituent une nouveauté.

Ce ne sont là que quelques exemples mais ils montrent bien que la nouveauté est liée à la perception qu'on en a.

Ainsi Jésus-Raphaël Soto et certains artistes ont connu le succès dans les années 1950 avec l'émergence de l'art cinétique.

La perception est ce qui permet d'accéder à la nouveauté ou tout au moins à la prétendue nouveauté.

Ainsi par la vision avec toutes les nouvelles technologies dont l'effet 3D.

Par le toucher avec les nouvelles textures de textiles créées ces dernières années,

Par l'odorat et le goût : avec les recherches en laboratoire pour créer de nouvelles fragrances ou imiter certains parfums de fleurs par exemple ou bien encore pour élaborer certains "activateurs" de goût dans

le domaine de l'alimentation pour ne pas dire de l'industrie alimentaire.

Enfin par l'ouïe avec les avancées en matière de musicologie et même en ce qui concerne l 'acoustique elle-même bien que les Grecs excellaient déjà dans ce domaine. Songez à la qualité acoustique époustouflante du théâtre d'Epidaure.

 

Evoquer la perception pour parler de la nouveauté ce n'est pas nouveau, me direz-vous !...

Effectivement évoquer la nouveauté nécessite aussi d'évoquer en parallèle l'habitude qui doit être prise en considération et qui, elle, va plutôt s'opposer à la nouveauté ou jouer le rôle d'un frein à la nouveauté... L'être humain peut s'enfermer dans l'habitude par paresse, par lâcheté, par confort ou toute autre raison... Qu'elles qu'en soient les raisons, l'habitude va ainsi limiter son champ de conscience, l'amener à ne plus vraiment "voir", ou ne plus voir que sous un certain angle ou d'un certain point de vue. Le fait de ne plus faire attention conduit à ne plus analyser, ne plus réfléchir ou à ne plus être dans la conscience et conduit peu à peu à gommer, à occulter toute nouveauté ou toute amorce de nouveauté, dans certaines limites toutefois.

L'homme en retire un certain bénéfice : ainsi il peut penser par habitude par son conditionnement environnemental et sociétal sans chercher à se remettre en question ou à exercer son esprit critique

et il peut aussi ainsi faire quelque chose par habitude de manière procédurière en quelque sorte et

cette façon de penser et de faire s'applique aussi aux groupes humains au plan de la pensée et de l'action.

Et pourtant l'homme ne se complaît pas dans l'habitude et l'histoire de l'humanité le montre.

Si cela était, l'homo sapiens n'aurait pas connu toutes les transformations, tous les changements qui ont conduit l'humanité à être ce qu'elle est aujourd'hui.  A ce titre des "nouveautés" incontestables seraient  par exemple la découverte du feu, l'apparition du premier outil, la fabrication du premier outil, et avec celui-ci, la possibilité de changer son mode d'alimentation en privilégiant désormais les protéines : de nouveauté en nouveauté cela a peu à peu conduit l'homo sapiens à vivre une véritable révolution de sa condition.

D'ailleurs ne dit-on pas que "la nécessité crée l'industrie" ? De par sa condition l'homme a sans cesse été poussé à se montrer audacieux, conquérant, à repousser les limites - que ce soit pour assurer sa subsistance ou en cas de hausse de la démographie par exemple - et donc il a sans cesse été poussé à se dépasser, à faire preuve d'ingéniosité, à créer, à améliorer... C'est clairement établi en ce qui concerne le développement des techniques par exemple avec la création de nouveaux outils, de nouvelles machines. Il suffit de songer à la taille des premiers ordinateurs aux USA en 1945 et à la miniaturisation actuelle.

L'homme oscille donc entre le confort de l'acquis, de l'habitude et d'un autre côté l'inconfort ou l'excitation, ou les deux à la fois, de l'expérience de la nouveauté.

 

Mais d'où vient la nouveauté ?

On pourrait objecter à ce stade que pourtant : rien ne vient de rien.

Nichts kommt von nichts.

Et pour reprendre la formule en latin : ex nihilo nihil.

Faut-il rappeler que l'aphorisme ex nihilo nihil (ou : rien ne vient de rien) résume à merveille la doctrine

du poète philosophe Lucrèce (95 av. J.C. - 53 av. J.C.) et qui est défini comme étant un philosophe matérialiste et atomiste ?

Rien ne vient de rien et dans la même mouvance que ce philosophe matérialiste et atomiste on peut également citer Lavoisier :

"rien ne se crée, rien ne se perd,  tout se transforme".

Rien ne vient de rien... et toute nouveauté concernant la connaissance, le savoir passe par le champ de la perception, de l'expérimentation, de l'observation... De fait toute nouvelle pensée, toute nouvelle action, toute nouvelle façon de produire ou de fabriquer dans l'industrie, toute nouvelle façon d'être... repose en fait sur ce qui est préexistant, sur ce qui préexiste.

D'où une certaine confusion possible en terme de nouveauté puisque la nouveauté n'est par essence pas foncièrement nouvelle.

Par ailleurs il serait bon  de surcroît de distinguer entre la nouveauté qui constitue un épiphénomène historique et la "nouveauté-gadget" ou la nouveauté dont l’effet est aussi volatil qu’une bulle de champagne...

 

Une nouvelle façon de penser, un nouveau système de pensée, une nouvelle façon de faire avec le développement des techniques... Tout cela participe en fait d'une création.

Les grands navigateurs tels que Marco Polo, Bartholomé Dias, Christophe Colomb ou Magellan,

pour ne citer qu'eux, ont permis de créer des cartes du monde, disons de la terre, de plus en plus précises. Avec les sondes et autres navettes qui explorent les espaces intersidéraux, c'est maintenant la carte du cosmos, disons du ciel, que l'on cherche à établir de manière de plus en plus précise.

Toutes ces nouvelles découvertes, ces nouvelles théories constituent des nouveautés mais elles ne sont

en tant que nouveautés nullement synonymes de vérité et peuvent être réfutées ou validées. Qui contesterait aujourd'hui la loi de la gravitation de Newton ou bien encore le fait que la terre est ronde ? Et pourtant...

De façon générale pour être efficace un nouveau système de pensée doit être relayé par l'action et il est également important de considérer le facteur temps car la nouveauté est une façon de  préparer le futur, d'anticiper l'avenir et il serait intéressant de développer ce point.

 

Concernant les rapports entre nouveauté et création, j'aimerais citer Björk pour qui "les gens ont toujours peur de la nouveauté. Pour faire du neuf, il faut se donner le droit à l'erreur".

La vie n'apparaît-elle pas elle-même comme une construction, une création ?

Colette se plaisait ainsi à dire : "Le monde m'est nouveau à mon réveil, chaque matin".

Dans le domaine artistique - pour ne prendre que ce domaine - création - re-création  (- et même récréation... -) sont à l'ordre du jour puisque "la nouveauté c'est la sensibilité de l'artiste". Pour approfondir cette idée de nouveauté dans la création artistique il est à noter que "la nouveauté dans la peinture ne consiste pas dans un sujet encore non vu, mais dans la bonne et nouvelle disposition et expression, et ainsi de commun et de vieux, le sujet devient singulier et neuf."

Ce qui sous-tend la nouveauté dans le domaine de l'expression picturale par exemple ou bien encore de l'expression littéraire c'est la création à partir de la sensibilité de l'artiste. Faut-il encore avoir du talent...

 

Plus généralement ne peut-on pas affirmer que la nouveauté est toujours recherchée, toujours courue,

car "rien ne dure toujours, nous sommes voués à la nouveauté" ?... Et j'aimerais citer ici Machiavel dans Le Prince : "l'une des premières choses de l'homme, c'est sa fureur pour la nouveauté. Deux grands mobiles font agir l'homme : la peur et la nouveauté". Cette idée a d'ailleurs été reprise sous une autre forme dans le journal Le Monde du 14 mai 1968 avec la citation suivante, citation intéressante à bien des égards : "Nous voulons un monde nouveau et original. Nous refusons un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s'échange contre le risque de périr d'ennui". C'est avec cette citation de Daniel Cohn-Bendit à propos de la nouveauté que j'aimerais conclure en ajoutant que selon des chercheurs de Chicago, la "néophobie", c'est-à-dire le refus des choses nouvelles, serait susceptible d'écourter la vie.

Pourquoi dès lors ne pas être ouvert à la nouveauté et même, pourquoi dès lors ne pas être ouvert à la nouveauté puisque "rien ne dure toujours" et que "nous sommes voués à la nouveauté" ?  
 

Rolande

 

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nouveaute
raison absolu

LE MENSONGE

1 déc. 2010

 

La Rochefoucauld : "Nous aurions souvent honte de nos bonnes actions, si le monde voyait tous les motifs qui les produisent".

 

Je vais lancer la réflexion sur le mensonge en proposant un postulat assez simple, à savoir qu’il ne suffit pas de dire la vérité pour être dans le vrai.

 

Si nous acceptons ce postulat qui me semble des plus sensés, nous sommes bien forcés pour le défendre, d’accorder une place à l’omission et au mensonge.

 

C’est une idée qu’ Emmanuel Kant aurait considérée irrecevable, lui qui considérait le mensonge comme « le rejet et pour ainsi dire l’anéantissement de la dignité » ou encore « la véritable flétrissure qui souille la nature humaine ».

 

Pêché d’inconséquence ? Pêché de naïveté de la part de Kant ? Je n’en sais rien mais cela me surprend parce que, paradoxalement, le refus de mentir n’est en aucune façon le porteur ou le garant de la vérité.

Le principe de Kant est de toute évidence guidé par le rationalisme pur, et écarte tout humanisme qui, à juste titre, pourrait y voir de la sécheresse de coeur : il existe, d'évidence, des cas où le mensonge est un droit, peut-être même un devoir.

 

Plus nuancé, Socrate, 2000 ans plus tôt disait: « Nous ferons donc l'éloge de la sincérité et dirons la laideur du mensonge... Mais il nous faudra également dire les dangers de l'excessive sincérité, d'une exhibition impudique de la vérité. Aussi faudra-t-il faire une analyse de la fiction, c'est-à-dire des rapports entre le songe et le mensonge ». 

Il voyait donc le mensonge tel une sorte de rêve de l’esprit, qui nourrit l’illusion d’un monde à sa mesure.

 

Voilà pourquoi  on a pu prétendre que le mot mensonge viendrait du latin "mens", qui veut dire esprit, et de "songe", rêve. Le mensonge comme songe de l'esprit...

Mais ne s'agit-il pas là d'une étymologie... mensongère ?

 

Quelle serait la vertu de la vérité et de son associée, à savoir l’insincérité, si son rétablissement ou son énonciation est apporté par le goût de nuire. Par exemple : est-ce par sincérité ou par jalousie qu’on dévoile à quelqu’un un adultère ou une turpitude ?

N’est-ce pas mentir par omission de prétendre dire toute la vérité ?

A qui et à quoi pense le médecin qui annonce son cancer au patient ? (mensonge pieux ?)

Qui prendrait le risque d’accorder sa confiance à celui qui n’a jamais le courage de mentir ?

L’intention de vérité cache trop souvent l’impureté d’une intention.

 

Ecoutons la perspicacité de Benjamin Constant qui écrit : « dire la vérité n’est un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a le droit à la vérité qui nuit à autrui ». En d’autres termes, tout homme a droit au mensonge qui réconforte.

 

Ces clins d’œil en faveur du mensonge ne doivent pas pour autant encourager, voire justifier le mensonge en général. Le mensonge généralisé rendrait vite notre société infernale, parce qu’il instaurerait une méfiance de tous envers tous.

Mentir, c'est en quelque sorte violer l'essence même de la parole, puisqu’elle devrait être le moyen d'expression de la pensée.

 

Le mensonge est toujours intentionnel, c'est-à-dire qu'il révèle une finalité. Mais peut-on être à la fois celui qui sait la vérité et celui qui la dissimule ? Evidemment oui !

 

- MAIS…  Rares sont les mensonges que, tôt ou tard on ne découvre pas, puisque les mensonges parfaits sont aussi rares que les crimes parfaits.

 

Comme toute ruse et tout artifice le mensonge est soumis aux aléas du temps qui passe, d’un nouveau repère, d’un lapsus, d’une mémoire défaillante ou d’une investigation approfondie.

Le mensonge est un calcul, un mécanisme, un échafaudage fragile qui s’oppose sans succès à l’inégalable spontanéité du vrai, c'est-à-dire des faits qui tôt ou tard surgissent tels qu’ils se sont produits.

 

La vérité est une sorte de miracle objectif qui déjoue les mensonges les plus méticuleux, tandis que le mensonge, même le plus raffiné et intelligent repose tout de même sur la crédulité de son destinataire : la vérité n’a besoin de personne, mais que reste-t-il du mensonge quand personne n’y croît ?  

Une fois trouvés ceux qui y croient, le mensonge devient alors prisonnier de la cohérence qu’il doit à ses dupes, au risque de trébucher à tout petit obstacle qui se présenterait sur son chemin.

 

Quelle serait sa fonction, sinon celle de tenter de reconstruire le monde, ou le cas échéant une situation, de l’extérieur, c'est-à-dire hors de la vie, hors du réel, dans l’espoir déraisonnable que cet échafaudage mensonger finisse par imiter et remplacer    la vérité ?

 

Toutefois, comment ne pas signaler à cet endroit le rôle important (et bienvenu !) du mensonge dans tout jeu de séduction ? La personne, qui cache son corps sous maintes armures, décourage le désir, tandis que l'impudique, qui l'exhibe avec obscénité, coupe l'herbe sous le pied du désir. Il est préférable que le corps soit pour un temps habilement dérobé au regard pour qu'il puisse devenir objet de désir : imaginé, attendu, désiré….

 

Et le mensonge politique ? Vaste débat ! Depuis Platon il jouit d’une grande tolérance : - - « Si donc il appartient à quelqu'un de mentir, c'est aux gouverneurs de la cité, pour tromper les ennemis ou les citoyens, quand l'intérêt de l'État l'exige. Aucun autre n'a le droit de toucher à une chose aussi délicate ».

 

Voici pour conclure ce bref exposé un mot au sujet d’un phénomène très fréquent, à savoir l’habitude de se mentir à soi-même.

 

Dans quel but se mentir à soi-même ?

 

- Peut-être et déjà pour atténuer un peu ses propres misères.

- Ensuite, comme déjà énoncé pour se réconforter et réconforter ses proches lors de  moments difficiles de la vie, ou bien pour se dire :

- « Je me mens pour ne pas être ridicule aux yeux d'autrui, pour être bien vu ou aimé ».

- Mais aussi, et cela est plus amusant, il faut parfois se mentir à soi-même pour que le mensonge ne trahisse pas la vérité ….

En voilà un exemple : essayons d’imaginer une scène de théâtre où une bonne comédienne pleure d’une tristesse véritable, même si pour verser des larmes véritables, elle invoque en secret des souvenirs personnels désolants.

 

Alors peut-être que seul le mensonge qui s’ignore peut prétendre à la vie ?

 

* * *

 

La sincérité c’est bon à l’égard de soi-même. A l’égard d’autrui, c’est sans intérêt, et le plus souvent bête et maladroit. (Paul Léautaud)

 

Luca

 

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Le Kama Sûtra est-il une philosophie ?

 

Il y a quelques années, j’ai lu un « Kama Sûtra » de Vâtsyâyana, traduit du sanskrit et présenté par Jean Papin1. J’ai ressorti l’ouvrage et j’y fais souvent référence dans le résumé qui suit.

 

Présentation du Kama Sûtra


Le Kama Sûtra est sans doute le livre le plus connu de la planète. Rien qu’à entendre ses mots, les esprits s’émoustillent, parfois derrière un masque d’indifférence convenue ou de pudibonderie. Paradoxalement, il est aussi le livre le plus méconnu. Au fil du temps, les images sont restées mais les paroles ont été oubliées, alors que les écrits représentent environs les trois quart du recueil, pour un quart d’iconographies.

En fait, on devrait dire les Kama Sûtra car se sont des textes anciens, peut-être bien antérieurs au premier millénaire de notre ère, collationnés2 par Shri Vâtsyâyana qui aurait vécu, selon les sources, entre le Ier et le VIème siècle. Mais, pour respecter les habitudes, je ferai référence à l’ensemble, et j’utiliserai le terme de Kama Sûtra.

Le Kama Sûtra se définit comme un « traité des règles de l’amour » et l’Encyclopédie Larousse précise que « malgré son caractère érotique, il entre dans la littérature de la vie religieuse de l’Inde ».

À la fin de son ouvrage, Jean Papin propose un lexique avec la traduction des termes sanskrit. Voici les définitions qu’il donne :

- Kama signifie le désir, l’amour, l’objet de l’amour, et Kamadeva est le dieu de l’amour.

- Sûtra désigne la corde, le fil, le cordon sacré, termes dont découlent deux variantes : pour l’une, Sûtra est une règle exprimée en brefs aphorismes, pour l’autre, c’est un terme générique pour les traités de philosophies, de grammaire mais aussi de rituels védiques.

L’encyclopédie Larousse apporte quelques précisions à l’acception sûtra, dans le sens d’aphorismes, de versets mnémoniques : « Les érudits qui voyageaient ne pouvaient transporter que quelques feuilles de palmier sur lesquelles une vaste doctrine était résumée en quelques sûtra… ». Les Sutrâ étaient donc des textes concentrés utilisés comme aide mémoire.

 

Le contenu du Kama Sûtra :


Le prologue rend hommage à la triade : Dharma, Artha, Kama ; les trois valeurs terrestres de l’Inde. Je résume en quelques mots :

- Dharma, comme le devoir moral ou l’ordre du monde. C’est à la fois l’humain et le divin.

- Artha consiste à rechercher la perfection des arts ou la prospérité.

- Kama est la satisfaction des sens, contrôlés par le mental, lui-même dirigé vers la conscience du Soi.

Le livre se divise en sept sections, séparées en chapitres.

Par exemple, dans la première section intitulée « Observations générales », le troisième chapitre est consacré aux soixante-quatre arts. Ne vous méprenez pas, car il s’agit : du chant, de la musique, la danse, la calligraphie, la préparation des parfums, l’élégance des gestes, la composition poétique, la dialectique, l’alchimie, la stratégie militaire… soyez sans craintes, je m’arrête là. Arts, qui pouvaient être pratiqués par les hommes ou, selon les auteurs, également par les femmes, surtout si elles étaient de noble naissance.

En fait, la première section donne une vision de l’ancienne société indienne. Le récit, qui s’adressait essentiellement aux trois castes supérieures, aux brahmanes, aux princes de sang et aux négociants, nous renseigne sur la vie quotidienne d’un homme distingué (sur l’arrangement de son logement, les règles d’hygiène, les repas) mais également sur ses relations sociales et ses obligations religieuses.

La deuxième section est consacrée à l’union sexuelle. Après des avertissements sur les compatibilités morphologiques des partenaires, l’auteur tente de décrire la phénoménologie de l’acte lui-même mais c’est très approximatif compte tenu des connaissances scientifiques de l’époque. Ensuite, Vâtsyâyana détaille les étreintes amoureuses. Contrairement au tantrisme où la femme est initiatrice et mène le jeu érotique3, dans le Kama Sûtra, l’épouse est soumise. Cependant, les sages condamnent la maltraitance ou la tyrannie à l’égard des femmes. Si la partenaire subit trop de morsures ou de griffures, elle peut les rendre à l’homme. Dans cette section, les multiples positions d’accouplement sont énumérées et si le mari est consentant, la femme peut prendre le commandement de l’action. Le plaisir de chacun est respecté et afin de ne pas laisser la femme insatisfaite, des conseils sont prodigués aux hommes trop pressés.

Dans la troisième section, qui concerne la recherche d’une épouse, les considérations sociales et religieuses, ainsi que les coutumes, sont largement détaillées. Le mariage d’amour est même préconisé. Il est dit dans le texte : « on ne trouve le bonheur, qu’avec celle que l’on aime vraiment » et un shloka (verset) précise : « Une jeune fille très sollicitée doit choisir l’homme qui lui plaît et épouser de préférence celui qu’elle croit le plus docile et le plus apte à la faire jouir ».

Lecture de la page 132 :

 

Le jour où une jeune fille se lie à un homme qui l'aime et se comporte comme sa femme, celui-ci doit honorer le feu pris dans la maison d'un brahmane versé dans le Veda, puis l'épouser suivant les préceptes religieux après avoir accompli le sacrifice à Agni avec, l'herbe kusha  et fait les trois circumambulations. Ensuite seulement il en informera son père et sa mère. Les sages disent, en effet, qu'un mariage ayant Agni (le £eu) pour témoin ne peut jamais être annulé.

 

La quatrième section est dédiée aux devoirs de l’épouse qui doit être attentive et respectueuse.

Quant à la cinquième section, elle est plus originale puisqu’elle prévoit l’adultère. Elle propose des stratégies de conquête et un chapitre entier est consacré à l’intervention d’une entremetteuse.
 

Lecture de la page 170 :

 

Uddâlaka pense que si un homme et une femme n'ont encore eu aucune relation et n'ont rien tenté dans ce sens, l'intervention d'une appareilleuse n'aboutira pas.

Les émules de Bâbhravya, moins catégoriques, disent que s'ils ne se connaissent pas personnellement mais ont hasardé un rapprochement, il faut y avoir recours.

Quant à Gonikâputra, il estime que, même s'ils ne se sont mutuellement manifesté aucun signe de tendresse, le simple fait de se connaître justifie l'intervention de l'entremetteuse.

Enfin Vâtsyâyana départage tout le monde en déclarant que, même sans se connaître et sans aucun effort de séduction préalable, ils peuvent utiliser ce personnage.

L'entremetteuse approchera la femme en lui montrant les cadeaux que son galant a donnés pour elle : bétel, onguents, bagues et vêtements où seront imprimées, avec d'autres signes, les marques de ses ongles et de ses dents. Sur l'étoffe du vêtement, il aura déposé ses deux mains enduites de safran en signe d'amour.

 

La sixième section rend hommage aux courtisanes. Bien sûr, il est question de charmes et d’argent. On y énumère aussi les qualités d’une bonne amante dont voici l’extrait : «Beauté, jeunesse, signes favorables sur le corps, charme d’une yogini5, dévouement, prévoyance, goût des richesses, appétences très prononcée pour l’union sexuelle, stabilité, type correspondant à son partenaire, distinction, goût pour les réunions mondaines et les beaux arts, sans oublier les qualités plus généralement souhaitables chez toutes les femmes : intelligence, bon caractère et bonnes manières, rectitude et gratitude, prévoyance à long terme, loyauté, choix des opportunités, urbanité, (jamais d’éclat de rire, c’est lamentable !), absence de persiflage, de médisance et de colère, de vanité et d’étourderie, connaissance des Kama Sûtra, des textes semblables et des arts. Une femme privée de ces aptitudes est une vraie calamité ! »

Pour finir, la septième section dévoile les secrets de la magie et révèle les recettes des onguents, des philtres d’amour et des aphrodisiaques.

 

Commentaire :


Voilà, c’était ma lecture du Kama Sûtra.

Je vais peut-être vous choquer mais pour moi, c’est un livre de savoir vivre. Il annonce au lecteur tout ce qu’il peut faire et même ce qu’il doit faire mais implicitement, l’avertit des conséquences de ses excès. Le Kama Sûtra établit les règles de fonctionnement de la société dans les relations personnelles.

Nous, occidentaux, avons de la peine à comprendre la religion indienne qui ne sépare pas l’humain et le divin. Tous deux sont inclus, dans le dharma. C’est la stratification par castes qui révèle le degré de noblesse et de pureté.

Se demander si le Kama Sûtra est une philosophie, c’est en premier lieu s’interroger sur la définition de cette discipline : Qu’est-ce qu’une philosophie ?

Celle-ci consiste à transformer sa vie à partir d’une réflexion argumentée, étayée et justifiée.

C’est une interrogation sur l’être, le monde et les valeurs. Puisque philosopher, c’est chercher à comprendre la vie et la mort, pourquoi parle-t-on si peu d’amour dans la philosophie ?

J’ai des éléments de réponse :

Ce livre du Kama Sûtra m’a fait penser à un autre ouvrage, très ancien lui aussi, car il date du début du Ier siècle après J. C. et que je trouve pourtant, toujours d’actualité. Il s’agit de l’art d’aimer d’Ovide.

L’auteur se présente en maître qui instruit le novice : « Où choisir l’objet de ton amour, où

tendre tes filets ?» peut-on lire dans le livre I. Ovide y donne des conseils d’élégance, enseigne l’art du compliment et de la promesse, ainsi que des ruses pour attendrir le cœur des femmes. Dans le livre II, le poète ose. Voici un autre extrait : « Si tu veux m’en croire, lecteur, ne hâte pas le plaisir de Vénus. Sache le retarder, le faire venir peu à peu, doucement. Quand tu auras trouvé l’endroit sensible, l’organe féminin de la jouissance, pas de sotte pudeur : caresse-le, tu verras dans ses yeux brillants une tremblante lueur […].

Puis, dans le livre III, « pour que le combat soit égal », c’est Ovide qui le dit, il propose, aux femmes, tout un arsenal pour séduire et se méfier des hommes.

Mais voilà, Ovide est condamné à la relégation. D’après Chantal Labre, professeur de lettres, l’immoralité de ses oeuvres a déplu à Auguste, l’empereur voulait instaurer un ordre moral et venait de faire voter une loi sur les adultères.

L’art d’aimer est un ouvrage qui pourrait être contemporain du Kama Sutra. Pourquoi tant de différences entre les deux ? L’ouvrage oriental est librement diffusé alors que le traité d’Ovide est un des premiers livres à être censuré, il est interdit dans les bibliothèques publiques.

On peut aussi faire une lecture comparative entre le Kama Sûtra et l’Art d’aimer. Le premier est écrit par des sages de l’Inde archaïque, que les grecs anciens nommaient gymnosophistes, pour qui la notion du bon est privilégiée.

Ovide, poète de l’empire romain, est influencé par la culture platonicienne et l’auteur traite son sujet sous l’angle du beau.

Cette différence entre le bon et le beau n’est pas anodine.

Dans une de ses conférences, Michel Onfray l’explique de cette manière. Pour les gymnosophistes, la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et le goût ont la même valeur. Ces sens sont différents, complémentaires mais traités d’une façon égalitaire.

Pour Platon, lui-même influencé par Pythagore, les sens sont hiérarchisés. D’un côté les sens nobles, la vue et l’ouïe, qui permettent des relations à distance, puis, à l’opposé, les sens de la promiscuité, l’odorat, le toucher et le goût qui nécessitent parfois un contact direct pour être éprouvés. Pour les platoniciens, le beau ne peut être perçu que par les sens nobles.

C’est le cas de l’oeuvre du peintre qui s’examine avec du recul, de même la musique peut s’apprécier de loin. Les autres sens sont dévalués.

L’explication du philosophe normand m’a permis de voir une différence importante entre les deux ouvrages qui traitent pourtant du même sujet. L’exemple le plus flagrant que j’ai trouvé à vous rapporter concerne la position de la femme pendant l’accouplement.

Pour les sages indiens, la variété des célèbres postures érotiques se justifie pour éprouver de nouvelles sensations du fait de la stimulation de zones érogènes différentes. La finalité en est un plaisir plus intense. Un petit détail supplémentaire, à chaque position la femme chante une note différente, ce qui permet d’entretenir l’excitation du partenaire. Eh oui ! Dans le Kama Sûtra, on fait l’amour avec les cinq sens, même avec l’ouïe !

Pour Ovide, c’est l’esthétique qui compte. La femme doit rester belle, pour cela elle doit choisir des positions qui cachent ses défauts. Je le cite : « La femme dont la figure est particulièrement jolie, devra s’étendre sur le dos. C’est de dos que devront se montrer celles qui sont satisfaites de leur dos. […] La femme petite prendra la posture du cavalier. […]». Et le plaisir de la femme ? Ovide n’en tient pas compte. Il le sacrifie au bénéfice du beau.

 

Pourquoi avons-nous tant de problèmes avec l’amour ?


Là, j’étais presque aussi perplexe que dans mes tentatives pour définir ce qu’était une philosophie.

J’ai fait alors appel à Michel Onfray. Dans une série de trois conférences enregistrées sur CD et intitulées « Le pur plaisir d’exister », le philosophe développe sa théorie du corps amoureux, « l’érotique solaire ». Il s’interroge sur la façon d’établir une relation hédoniste avec l’être aimé. Pour y arriver, dit-il, il est nécessaire de redéfinir nos modes de relations et de trouver une autre théorie du désir, car le désir n’est pas le manque. La source de cette erreur remonte à Platon. Dans « Le Banquet », Aristophane explique qu’à l’origine nous étions des androgynes, sortes de créatures sphériques à quatre mains, quatre jambes et une tête. En ce temps là, trois genres coexistaient : homme/homme ; femme/femme ou homme/femme. Ces androgynes étaient aussi vigoureux qu’orgueilleux, ce qui déplut aux dieux, et pour les affaiblir, Zeus décida de les couper en deux. Depuis plus de deux millénaires, en occident, les individus recherchent leur moitié pour être enfin heureux. La théorie du désir, considéré comme manque, provient de ce sentiment d’incomplétude.

Michel Onfray propose de penser le désir à la manière des épicuriens, comme un excès. Un trop à offrir plutôt qu’un vide à remplir. Cela modifie les relations puisqu’on donne au lieu de prendre.

Notre culture chrétienne a gardé Platon et rejeté Épicure. De plus, notre sexualité est marquée du pêché originel. Par conséquent, la femme devient l’ennemi de l’homme qui doit s’en écarter pour ne pas succomber au désir.

Dans le Kama Sûtra, le sexe n’est pas vu comme quelque chose d’horrible, ou comme un simple outil de procréation. C’est un échange de plaisir. Le corps doit être appris pour être compris, le sien comme celui de l’autre, afin de permettre un épanouissement commun.

Traités de la même façon, les hommes et les femmes ont des relations harmonieuses. Plus même, en se souciant du plaisir de l’autre, ils atteindront ensemble le bonheur. Et la finalité, serait de réaliser sa sexualité avec la personne que l’on aime.

Aider l’autre dans sa quête du bonheur, n’est ce pas une philosophie ?

 

Par Pascale

 

Mon commentaire suite au café philo du 24/11/2010

Je repense, ce jeudi matin, à notre discussion du café philo. Celle-ci  concernait le Kama Sûtra. À la fin de la séance, beaucoup sont venus me faire part de leur étonnement sur  la tournure qu’avait pris le débat. Nous avions essentiellement parlé de religion, mais le Kama Sûtra est livre de la religion hindouiste.   Je crois que nous sommes encore bridés par nos tabous et que nous avons toujours des difficultés à parler de la sexualité, surtout lorsque le groupe est aussi important et aussi hétérogène.

Nous aurions pu envisager le sujet d’un point de vue économique. En fait, je devrais plutôt dire d’un point de vue patrimonial. Nous sommes si prisonniers de notre culture que nous ne pouvons même pas la reconsidérer totalement.  Le patriarcat nous semble tellement naturel qu’il ne nous vient même pas à l’esprit qu’il pourrait être remplacé par le matriarcat.

Nous sommes des animaux évolués et notre sexualité occupe une place importante dans notre cerveau archaïque, c’est peut-être grâce à ça que les religions n’ont pas réussi à nous châtrer. Lorsque nous étions un peu moins « humains », nos organisations sociales ressemblaient davantage à celles du monde animal.  Les systèmes sociaux dépendent des systèmes d’appariements : polygynie (un mâle avec plusieurs femelles), polyandrie (une femelle avec plusieurs mâles) ou polygamie dans le sens de plusieurs unions, c'est-à-dire plusieurs femelles avec plusieurs mâles. Ces systèmes obéissent aux lois de la nécessité.

Un accouplement aboutit à la transmission du patrimoine génétique, la moitié des gamètes mâles unie avec la moitié des gamètes femelles vont produire un nouvel individu. Mais maintenant que nous vivons dans un monde de propriétaires, nous devons laisser à nos descendants une parie de notre patrimoine économique. Ce fait est important car les femmes portent les enfants des hommes. Ceux-ci veulent être certains de leur descendance et une des solutions, c’est d’empêcher d’autres hommes de l’approcher.  Patrimoine et patriarcal ont la même étymologie, pater, le père.

Essayons de voir les choses différemment. Une transmission des biens qui se ferait par la mère. Il n’y a plus de doute, rien n’est plus certain,  le petit être qui sort du ventre de la femme est son enfant. Une femme pourrait avoir plusieurs partenaires et plusieurs hérités de pères différents. Le gros problème, qui serait surtout celui des hommes, c’est que dans cette organisation sociale, les femmes seraient détentrices des richesses et les hommes perdraient leur pouvoir. La suprématie des hommes sur les femmes est vraisemblablement due à la supériorité  de leur force physique qui en a fait d’eux des protecteurs. Mais avec l’apparition de la propriété, peu à peu, les hommes ont voulu protéger leurs biens au lieu de prendre soin de  leur femme.

C’est pour moi, la protection des richesses des hommes qui a conduit à une sous considération de la femme, à sa domination, à sa castration. Une femme qui n’a pas de plaisir sexuel ne risque pas d’être tentée.  L’homme, en châtrant  la femme, s’est privé de beaucoup de plaisir, mais aussi de la possibilité d’une vie libre et harmonieuse avec l’être aimé. Hélas, rares sont ceux qui le savent.

La liberté sexuelle de la femme dépend de son émancipation économique. C’est ce que l’on peut voir apparaître dans notre société. On pourrait proposer un café philo sur le sexe et l’argent !

 

Pascale

 

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kamasutra

 De la difficulté de parler quand on a quelque chose à dire

 

 

En introduction, nous commencerons par quelques remarques afin de mieux cerner le sujet et de prévenir quelques malentendus. Tout d’abord, ce « quelque chose à dire » ne s’oppose nullement au « rien à dire », il est intiment lié à cette « difficulté de parler », alors qu’à l’inverse la « facilité à parler », admirée peut-être mais souvent triviale et toujours relative, ne trahit en soi ni la pertinence ni l’inanité d’un quelconque « rien à dire ». Ensuite, cette « difficulté de parler » n’est pas de l’essence du seul individu, elle ne relève pas d’une quelconque déréliction, elle ne doit s’interpréter ni psychologiquement ni socialement, elle n’est pas en opposition antithétique avec la faculté d’expression. Au contraire, cette « difficulté de parler » a valeur en soi, elle est en elle-même révélatrice d’un « quelque chose » d’essentiel. Ensuite, ce « quelque chose » n’ayant de valeur absolue que pour l’intéressé lui-même, il peut être de nature quelconque et, à l’extrême, tout en théorie pourrait faire surgir une telle difficulté. Enfin, ce « quelque chose à dire » n’est pas un fait banal ou indifférent dont je pourrais m’affranchir à ma guise, qu’il me serait loisible de taire ou de révéler. Ce « quelque chose », entendu au sens fort, est ressenti à la fois comme un « ne pas pouvoir dire » et comme un « ne pas pouvoir ne pas dire » ; ce « quelque chose » d’ineffable s’impose douloureusement au sujet et au sujet seul, d’où son incommunicabilité. Pour imaginer la nature de ce rapport entre l’irrépressible et l’indicible, nous prendrons l’exemple de quelques sujets ou de quelques états chez lesquels ou dans lesquels ce rapport se manifeste. Commençons par l’aliéné qui, pour préserver son intégrité mentale, a pris le parti de communiquer avec les choses plutôt qu’avec les êtres, de parler à sa brosse à dents plutôt qu’à son épouse, de n’en faire qu’à sa tête. Dans une autre catégorie, nous trouvons l’être littéralement illuminé qui, lui aussi, éprouve une extrême difficulté à communiquer. Tout d’abord ébloui pour avoir violé une sorte de tabou métaphysique, pour avoir oublié que le soleil ne se regarde qu’éclipsé, la beauté que voilée, la vérité que travestie, il est ensuite affligé de cette mutité qui le transfigure. Ensuite, on ne peut pas ne pas mentionner l’individu qui, par le suicide, a fait le choix radical de nier cette « difficulté de parler », de la dissoudre en une impossibilité. Et pourtant, c’est en ne disant plus rien, en se condamnant au silence sans appel que le suicidé parvient enfin à s’articuler. Autre exemple de cette « difficulté de parler », l’amoureux l’incarne idéalement, mais d’une manière paradoxale puisque l’objet dont il a tant de mal à parler est aussi celui auquel il a tant à dire. Mais en se déclarant, en parlant à sa douleur pour l’apaiser, il prend du même coup le risque d’en rompre le charme. Pis, d’en renier l’objet. Ensuite, s’il est quelqu'un qui a du mal à parler, c’est bien l’artiste. De manière originale, il tente de maîtriser cette difficulté, de la contourner, de la retourner à son avantage en faisant d’elle un prétexte à maîtrise technique, et du « quelque chose à dire » un crible interprétatif et une corne d’inspiration. Enfin, le dernier représentant de cette espèce en difficulté de parole ne pouvait être que le philosophe – ce qui n’est pas surprenant outre mesure. Lui qui a vocation à désenchanter le monde, à éclairer les êtres et à disséquer les choses, ne serait-il pas en vérité plus exposé que d’autres ? En toujours regardant ce qui ne le regarde pas, n’inverse-t-il pas les termes de l’équation, ne confond-il pas parfois « difficulté à parler » et « difficulté de parler », et ne fait-il pas passer au second plan ce quelque chose à dire ?  

 

Par Gérard

 

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Pas de plaisir, sans prise de conscience

 

Conscience et plaisir font partie des mots les plus difficiles à définir , peut-être parce que toute définition s'adresse à une conscience et la suppose, et que tout plaisir est relatif.

 

« La conscience n'est autre chose que l'acte par lequel l'esprit se dédouble et s'éloigne à la fois de lui-même et des choses » (Jankelevitch.)

Donc une pensée qui se pense.Tout acte de l'esprit étant une perception de lui-même.
 

Husserl : « toute conscience est conscience de quelque chose ».

L’évanouissement est perte de conscience. C’est la réponse de la conscience à une situation invivable. Le monde n’est plus perçu, n’est plus possible.C’est ma conscience qui formule le réel, le produit, le fait surgir.Nous ne sommes pas conscients de tout ce qui se passe devant nous : je ne vois que……

Elle ne peut être sans objet. Il n’y a rien sans conscience. Ni plaisir, aucune sensation, ni objets…..

La conscience est aussi la faculté de se représenter soi-même. Je suis ce que ma conscience me permet de savoir de moi. La réflexion ‘ retour sur soi », conscience réflexive, me permet de mieux me connaître. Qui suis-je ?La généralisation de ma connaissance de ce que je suis ( Saint Augustin), de ma place dans le monde (Rousseau), de mes souffrances (Nietzsche), de mes problèmes ( Freud), me permet d’extrapoler, de généraliser le fonctionnement de l’humanité en général.

« Cela ne veut pas dire que toute conscience soit réflexive, si l'on entend par là qu'elle se prendrait elle-même, nécessairement, explicitement, pour objet. Mais plutôt qu'aucun objet n'existe pour elle qu'à la condition qu'elle existe elle-même pour soi. C'est comme une fenêtre qui ne s'ouvrirait sur le monde qu'en se faisant d'abord regard. C'est pourquoi il n'y a pas de conscience absolue : parce que toute conscience est médiation. Quand je regarde cet arbre, est-ce l'arbre que je vois, ou la vision que j'en ai ? »(Comte Sponville)

La conscience dépend, non des choses que l’on perçoit, mais de celles qu’on parvient à se représenter.

Je n’éprouve de plaisir que si je me représente ce qu’est le plaisir. Et il diffère selon les individus.

« La Mettrie : l’homme a été fait pour être heureux dans tous les états de la vie ». Il différencie le « débauché » qui recherche une satisfaction égoïste et immédiate de ses besoins et de ses désirs, du « voluptueux » qui dose son plaisir en le faisant dépendre de ce qui l’entoure : êtres, choses,univers.

Des informations traitées par le cerveau nous échappent : il n’y a pas de conscience et pas de plaisir à respirer, digérer, avoir des réflexes.

Si j’ai conscience de quelque chose, je dois aussi avoir conscience de la conscience que j’en ai.

Il n’y a pas de plaisir, sans s’apercevoir que l’on ressent du plaisir

Il n’y a pas de plaisir, sans conscience du sens de ses actes ou de ses sensations. Or le sens se découvre dans l’action, dans l’usage.

Même si le plaisir s'obtient dans la destruction de soi-même : fumer, boire, abandonner son corps.

Il n’ya pas de plaisir, sans conscience de ce dont il dépend.

 

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Le savoir et l’idée.


Kant, dans la « Critique de la raison pure », établit, entre autres, que ce qui relève de la connaissance est dédoublé entre la raison et la sensibilité – sensibilité comprise ici comme ce qui nous ramène à nos 5 sens (vue, ouïe, toucher, goût, odeur). La raison, dont chacun peut et devrait faire usage, est par ce fait facteur d’universalité et par là-même d’unité et trouve là sa légitimité tandis que la connaissance sensible nous fait découvrir l’objet extérieur à travers le prisme de notre esprit, au travers de phénomènes dont la particularité est qu’ils ne nous laissent pas indifférents. Elle est donc, contrairement à la raison, éminemment personnelle.
Par la raison, par l’entendement, l’esprit peut reconstruire de façon abstraite les lois de la nature, ou même construire de toutes pièces des abstractions pures, alors que par la sensibilité, qui est avant tout réceptivité, nous gérons nos « affects », nos préoccupations ; mais de manière plus désordonnée et plus immédiate puisque, écrit Kant, « l’existence ne se laisse pas construire ».
Cette très succincte simplification permet dès à présent d’établir la contradiction suivante :
1- Soit, la connaissance par l’intellection, la compréhension, doit être privilégiée et considérée comme le seul facteur de vérité possible; le moi, le je, s’effacent devant la réalité objective qu’il appartient de connaître et de retraduire dans un langage cohérent, compréhensible. Une simple idée ou une suite d’idées que l’on peut formuler sur un sujet précis ne reflète alors qu’un a-priori et ne saurait être source de connaissance. Le moi en tant que tel n’est rien, n’étant qu’un réceptacle destiné à recevoir et à contenir un savoir.
2- Soit, le moi est la seule réalité accessible. Le monde apparaît tel un théâtre d’ombres, une suite de phénomènes, au sein duquel l’esprit se forme ses représentations qui naturellement diffèrent d’un individu à l’autre, mais qui forment la seule réalité pour soi car la seule à même de pouvoir faire sens. Le moi est tout, car l’idée que j’ai du monde prime.

Comme chacun sait, la pensée philosophique occidentale est née dans la Grèce antique. Les interrogations de ces pionniers portaient simplement de savoir ce qu’était le monde physique, de quoi il s’agissait. Ils étaient à la recherche d’une explication fondée sur le réel, car d’une culture alors essentiellement fondée sur le mythe et sur l’interprétation, ils étaient allés vers une culture basée sur le questionnement et le savoir.
L’innovation apportée par Socrate a été de se servir de cette démarche pour interroger ce que furent les vertus- les valeurs, dirait-on de nos jours- dont se prévalaient ceux qui exerçaient le pouvoir. Les édiles affirmaient incarner la vérité, la justice, le bien, le courage, en somme l’équivalent actuel du sens du service public, mais qu’est-ce que tout cela, leur demanda-t-il lorsqu’il les rencontra? A son grand désappointement, Socrate n’obtiendra de ses interlocuteurs que des réponses vagues et contradictoires. Serait-ce à dire que ce qui relève de la vie de l’esprit, des principes de bonne gouvernance et d’organisation de la Cité, ne peut faire l’objet d’aucune connaissance, d’aucun savoir qui pourrait être un facteur d’unité, ou du moins un créateur de lien social, car répondant à un critère objectif compréhensible par le plus grand nombre, qu’il faut en conséquence s’en tenir à des idées générales qui pourraient créer tout au plus une vague approbation, un consensus mou, lesquelles idées générales sont en réalité très particulières car dépendant de la personne qui les énonce, de ses opinions, des justifications établies à partir de ces opinions ? Désabusé mais lucide, Socrate conclura : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ».
Le disciple et héritier spirituel de Socrate, Platon, refusera de se satisfaire de ce non-savoir. La valeur morale, puisqu’elle apparaît à notre esprit tout comme apparaissent les objets physiques, a nécessairement une valeur en soi, une valeur par soi, une réalité qui doit pouvoir être identifiée, qui doit pouvoir être ramenée au statut d’un objet de connaissance et non rester à l’état de question au bout de laquelle il n’y aurait pas de réponse possible. Il sera donc dit qu’à chaque concept correspond une Idée pure, ce qui veut dire que chaque concept peut être élevé au rang d’une perfection…laquelle perfection, si l’Homme en a l’intuition, ne peut cependant être connue que des dieux.
Mais à quoi tout cela peut-il servir, remarquera par la suite Aristote, si cela reste en-dehors du phénomène, donc de l’expérience, donc de l’interprétation et donc aussi de la connaissance ? Les questions posées par Socrate trouve certes une réponse, mais celle-ci ne semble être qu’une justification de la question…ce qui n’éteint en rien la question. Poser une idéalité et en faire par decret de l’esprit une réalité semble en effet vain et d’aucune utilité pour guider sa conduite.
Il y a pourtant une pertinence dans la démarche. Car sans vertu - pris au sens antique du terme- aucune vie en société n’est possible et perdurerait l’état de nature. La vertu, ressentie comme nécessité, et cela par-delà même le passage des générations, répond à l’idée que par delà les tourbillons de l’existence, il doit y avoir quelque chose de stable, de permanent, d’intemporel, d’immuable. De cela, peut-on pour autant en faire l’objet d’un savoir ? Peut-on objectiver ce qui n’est tout de même que de l’ordre du ressenti, du perçu, de la représentation ? Un savoir se partage, se divulgue, parce qu’il peut être commun à tous car compréhensible, il ne fait pas appel à la conscience individuelle; une idée s’argumente, peut éventuellement se communiquer en faisant appel à la conviction ou au moins à la suggestion mais jamais à la démonstration. Si tout le monde a des idées, et cherche ce faisant à assurer un socle certain à son existence, ces idées ne permettront jamais de connaître quoi que ce soit ; même si elles débouchent sur le champ illimité de la pensée la plus abstraite, la plus spéculative et même la plus rationnelle, elles ne seront jamais plus qu’un reflet de la subjectivité de chacun. Car l’idée naît d’un questionnement, d’une interrogation subjectivement enracinée, enfouie dans le moi le plus profond, le plus incommunicable, qui ne peut donc être objectivé. L’illusion est de croire que par une question posée qui reflète un doute, une interrogation, on peut y répondre par une simple affirmation, cette affirmation valant démonstration aux yeux de celui qui l’énonce, alors qu’elle n’est qu’un simple jugement de valeur. Mais nos représentations ont été façonnées et par le platonisme et par l’esprit scientifique et par le positivisme, qui nous conduisent à considérer que si une question se pose, c’est qu’il y a logiquement, de toute nécessité et de toute évidence une réponse. Réponse par elle-même cohérente, car en parfaite adéquation avec la question posée et de ce fait l’éteignant. Mais ceci est une vue de l’esprit ; car au doute peut très bien répondre le doute. Du subjectif, de ses manières de voir, rien d’objectif ne peut naître, donc ne peut être l’objet d’aucun savoir; et donc rien ne peut en découler qui soit universalisable si ce n’est sous la forme de dogmatismes stériles et stupides. Pire encore, situer l’objectivité et donc la raison dans un absolu qui ne serait réservé qu’à ceux qui ont su s’extraire de la Caverne platonicienne, caverne au sein de laquelle règne le monde des sens et ses tromperies, est une illusion. Car dans ce qui est, tout est en relation avec tout, affirmer un absolu qui ne serait en relation avec rien puisque ne dépendant en rien de quoi que ce soit, est une pensée flasque, une simple paresse de l’esprit, qui n’a pu trouver son aboutissement que dans les dogmatismes, les utopies ou les intégrismes.
S’il est un domaine de la vie de l’esprit qui soit entièrement dans le monde des idées, c’est bien celui de la philosophie. Or le fondement de l’idée, ne pouvant être la raison, ne devrait-il pas en conséquence être le doute ? C’est bien en doutant de la véracité des mythes que, sur les rivages grecs, la philosophie est née. C’est bien en doutant de tous que Socrate a pu établir que ceux qui exerçaient le pouvoir le faisaient sur des bases incertaines et par là inutiles. Savoir est utile, connaître simplifie la vie, mais nous ne sommes entièrement tournés vers le monde extérieur. Le moi a une réalité, c’est par le moi que nous ressentons, que nous éprouvons des sentiments, des désirs et des passions. Ce moi si réel, mais au fondement si flou, ne peut exercer sa lucidité qu’au travers du doute. Sans l’exercice salutaire du doute, le ressenti vire au ressentiment, le désir qui épanouit à l’envie qui ronge, la passion au fanatisme ou à l’obsession. Bien avant Descartes, St-Augustin avait bien décrit l’homme qui doute : « S’il doute, il vit ; s’il doute de l’origine de son doute, il se souvient ; s’il doute, il comprend qu’il doute ; s’il doute, il veut être certain; s’il doute, il pense; s’il doute, il sait qu’il ne sait pas ; s’il doute, il juge qu’il ne doit pas croire au hasard. Quelle que soit donc la matière de son doute, voilà des choses dont il ne doit pas douter ; car sans elles, il ne pourrait douter de rien ».
Pourtant toute la philosophie médiévale et après elle, celle des lumières ont ignoré le doute et par là l’assurance de connaître une vie plus authentique, plus en harmonie avec ses désirs, reprenant la démarche platonicienne de l’affirmation d’une vérité en dehors ou delà du monde sensible, du monde des phénomènes. Autrement dit l’affirmation de la possibilité de savoir ce qu’est le vrai, de le définir avec une précision toute mathématique, définition naturellement supposée être plus réelle que l’idée que l’on peut s’en faire. Autrement dit, a été énoncée l’obligation de retrait du sujet devant l’objet, la subjectivité devant faire place nette devant l’objectivité, supposée plus vraie. Et lorsque l’objectivité n’est pas possible faute d’objet à étudier, on en créera de toute pièce. Ainsi avant Platon, les philosophes s’étaient extasiés devant la notion de l’Etre, l’Etre en tant qu’être : une perfection hors du champ de la pensée et donc indicible car échappant aux turpitudes liées à l’incarnation puisque non sujet à la causalité, au déterminisme et à la temporalité. Cet Etre, objectivation toute théorique d’un ressenti tout subjectif, aura fait l’objet de savoirs spécifiques, l’ontologie et la métaphysique qui auront donné naissance à une foule d’ouvrages, d’opuscules, de brochures voire de grimoires obscurs. Il faudra attendre Nietzsche et sa thèse du renversement des idoles pour que soit affirmée la suprématie de la valeur pour soi sur une supposée vérité suprême s’imposant à tous quoiqu’indicible.
Car s’il doit y avoir une vérité en philosophie, c’est de considérer comme fondé le présupposé qu’il ne doit y avoir aucun présupposé. Et qu’en conséquence, une question peut rester sans réponse et ouvrir le champ à d’autres questionnements, le champ de l’idée à la recherche d’elle-même. La solution d’un problème objectif suppose une démonstration faisant appel à des connaissances pour établir un résultat incontestable; la résolution d’une question personnelle ne suppose pas sa dissolution dans une réponse immédiate, partiale car partielle, le moi ne pouvant se laisser enfermer dans une série causale, ou son absolution dans une mystique de pacotille comme il en existe tant de nos jours, les fameuses et nombreuses écoles de découverte de soi et qui n’est en fin de compte qu’une singerie du positivisme. Certes, nous avons de bonnes raisons de vouloir savoir ce qu’est la vertu, surtout que depuis l’époque de Socrate, une multitude d’individus bien peu vertueux ont laissé leur trace dans l’Histoire, mais ce qui relève de la compréhension de soi par soi, de l’idée que l’on a du monde, la Weltanschauung, de l’idée que l’on se fait de l’image de soi dans le monde, cela est hors du champ de la raison, de la connaissance empirique comme de la connaissance déductive.


Jean Luc

 

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L' Ephémère - Café Philo du 22.10.2008

 

Ephémère : d'Héméra (qui ne vit qu'un jour, qui ne vit que très peu de temps : fugitif)

S'oppose t-il à durable, éternel, perpétuel ?

- L'éphémère des événements laisse place à d'autres événements

- Telle la vie, le ciel, la rivière . la durée des événements ne nous appartient pas « Rien n'est dû »

- Inutile de vouloir s'approprier la situation, le sentiment, la santé, la beauté, la chose, .

- L'attachement : que nous procure t-il ?

« Soeur Emmanuelle, en quête d'absolu, pas d'éphémère ? » au journal télévisé

A. Selon A.Naouri *

Nos sociétés de consommation, nos sociétés de l'éphémère (de l'effet-mère), fournissent à qui veut bien prendre la peine d'y puiser, des alibis à notre conduite, à « notre inconfort » et détermine en partie notre vie.

« Effet-mère » :

On peut affirmer sans exagérer que cette discipline « la médecine » est d'essence on ne peut plus maternelle, soucieuse de contingence et de vérification, pleine de sollicitude, mais imposant de manière tranchante son point de vue, toute à la fois oblative (qui porte à faire don de soi-même) et mortifère (humiliante) en principe pour le désir.

La Psychanalyse s'avère elle d'essence paternelle : indifférente à la contingence et soucieuse du seul discours, elle encourage l'accession à la liberté véritable , développant pour cela des exigences parfois insupportables au point que le modèle que j'ai dit vouloir ébaucher à partir de son enseignement a pu et peut paraître réactionnaire - tant il heurte les défenses que nous nous sommes tous, hommes comme femmes naturellement constitués autour de notre position « d'enfant chéri de maman et de maman, seule ».

On a cru faire le bien de l'enfant en lui prêtant allégeance (adoucissement, consolation) et en l'installant en place de roi et en l'exposant plus qu'on ne l'a jamais fait, en fait à une angoisse obsédante, laquelle fera les choux gras des marchands d'anxiolytiques.

L'enfant happe au passage les messages les plus tenus pour les agglutiner à son expérience et tramer sa vie.

Comment va-t-il réagir face à l'infini plaisir que lui dispense la sollicitude ?

La relation à l'enfant est une source inépuisable de plaisir pris et donné : s'y vautrer comme nous rêvons si fréquemment de le faire ne va pas sans conséquences. N'oublions pas que le plaisir de quelque ordre qu'il soit, que nous recherchons reste enraciné dans les forces de mort ; et il importe de reprendre pied dans la vie .

Le nouveau-né exige d'être accepté par les deux parents dans sa réalité. L'impulsion de l'avenir souhaité, signe l'engagement implicite de son parent dans le projet à long terme, qu'un voyage est en cours et qu'on se porte garant du haut de sa place générationnelle, de le mener à bon port.

En quoi cela concerne t-il la sécurité extérieure ?

En ceci qu'on signifie à l'enfant que l'on est comme parent le promoteur du voyage, qu'on est au gouvernail, qu'on assume la responsabilité de la traversée et qu'il ne doit pas s'inquiéter de certains aspects du ciel, de la voilure . de la manouvre. On s'inscrit avec lui, dans la logique d'un temps qui va uniformément de la vie à la mort et qui entre les deux implique une durée de vie à accomplir et à remplir sans craindre sa fin - sans se laisser paralyser par la perspective de cette fin.

C'est ne mettre que de la vie dans la vie, sans pour autant nier la mort qui en est l'achèvement.

. /.

Lui dire ou signifier au nom d'une liberté illusoire qu'il fera plus tard ce qu'il voudra ou pourra, c'est lui dire qu'on est incapable de savoir si le projet à long terme pourra ou ne pourra pas être mené à bien, si le bateau ne va pas sombrer. On l'engagera à rester sur ses gardes sans jamais se défaire de son gilet de sauvetage.

On lui dira en quelque sorte qu'il est seul responsable de sa survie et qu'on ne peut soi-même rien pour lui. Sous prétexte du souci de sa personne, on lui interdira en définitive d'oser se risquer à explorer et on le condamnera à rester rivé au poste de secours. A ses questions, on répondra qu'on croit avoir bien fait mais qu'on est dans l'incapacité de connaître le résultat. Ce qui équivaut à lui signifier qu'on ne peut rien à la logique du temps qui est envahi par une mort toujours imprévisible et présente. Ce qui revient à mettre sans relâche de la mort dans la vie et à faire de la vie un sursis .

Il est clair que l'on opte pour telle ou telle attitude à la mesure de ses possibilités, mais aussi avec les déterminants de son histoire propre .

B. Selon A.Naouri *

Nous sommes, que nous voulions ou non l'admettre habités et travaillés de toutes sortes de façons à la fois par la vie et par la mort. Les forces de mort aussi étonnant que cela soit, ne sont pas seulement nécessaires aux forces de vie, elles lui sont indispensables. Vouloir l'ignorer ne reviendrait pas à privilégier la vie, mais à la mal-traiter.

Nous sommes vivants, mais aussi descendants d'une longue chaîne d'ancêtres morts. Nous sommes parents et dans le même temps enfant de nos parents.

Les rapports que chacun entretient à la vie et à la mort n'est pas sans conséquence. A.Naouri considère trois cas de figure :

La disparition physique est tellement présente et terrorisante qu'elle envahit tout le champ perceptuel en ne laissant aucune place à tout ce qui participe à la survie. Il peut y avoir plusieurs causes dont l'une réside dans le fait d'un traumatisme violent et destructeur ayant affecté la vie des intéressés ou de proches.

La crainte de la mort physique peut aussi être suffisamment insistante pour que la vie ne soit perçue comme n'étant qu'un passage sur terre, lequel n'aurait aucune consistance s'il n'était intégralement et à ras-bord rempli de plaisir. Ce serait de l'intolérance au moindre souci ou gêne procuré par l'enfant, la maladie . Si l'enfant est malade, il doit être guéri à peine la porte du médecin franchie .

Il existe aussi à l'autre extrémité de l'échelle, une troisième catégorie de personnes pour laquelle la vie est une formidable aventure qui les dépasse, dont elle se considère un relais. Au regard des précédentes catégories, on peut considérer que celle-ci a atteint une forme de félicité par ce qu'elle aurait bénéficié d'une large succession de générations antérieures, indemnes de conflit et de violence ou ayant étroitement adhéré à un système explicatif du monde tel qu'en fournissent les systèmes sociaux particulièrement structurés ou religieux .

Ces trois catégories ont en commun chacune à sa façon, le souci majeur et affiché de la vie.

L'éphémère, simple composante de la vie !...?

* « Le couple et l'enfant » d'Aldo Naouri

 

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TRANSPARENCES ET NUDITE

 

Mercredi passé nous avons discuté du plaisir dans tous ses états. Il a été souvent question de plaisir sexuel sous ses différentes facettes culturelles ou autres.

En écoutant le débat est née l'idée de ce sujet : « transparences et nudité ».

La nudité dans l'absolu, c'est à dire en dehors des interprétations historiques et culturelles étant une, c'est à dire l'absence de vêtements ou de biens, j'ai cru bon de la mentionner au singulier. Les transparences étant infinies, j'ai pensé qu'il fallait mettre le mots au pluriel. Aujourd'hui transparence est devenu un mot à la mode, une sorte de passe-partout moral pour les institutions d'état, les banques et même les supermarchés qui, au nom de la transparence nous annoncent tous les ingrédients des denrées alimentaires.

Le contraire de la transparence c'est l'opacité. Les deux vont souvent ensemble. Parfois la transparence peut cacher une opacité génante. Par ex. sur un emballage sont listés les ingrédients mais pas leur origine qui peut être douteuse, voire dangéreuse (Chine) mais cela n'est pas prévu dans les critères de la transparence qui est donc respectée.

Le sujet de ce soir aurait donc été mieux annoncé sous la forme :

TRANSPARENCES, OPACITES ET NUDITE'. Mais peu importe.

- Le corps nu,

Le corps nu à l'état naturel et sans « mise en scène » c'est la réalité. Il est défini, il absorbe le regard et il manifeste son opacité.

Il bloque ainsi l'imagination et par là même, le désir.

En revanche le corps qui se laisse entrevoir sous les transparences des vêtements n'est pas suffisamment défini pour bloquer l'imagination et n'est pas assez couvert pour ne pas la susciter.

Et c'est justement là, entre le visible et l'invisible qui se déploie le jeu ambigu de la présence et de l'absence qui provoque notre désir à aller plus loin, à passer outre, à rejoindre un au-delà.

Identique est le mécanisme qui invite le croyant à aller au-delà du monde, en quête de Dieu sans toutefois le rencontrer, ou qui encourage une personne à aller au-delà des vêtements pour saisir un corps, qui seulement en fuyant alimente le désir.

Car le désir ne sait pas ce qu'il veut réellement. Il n'est pas ancré dans la réalité, au contraire il ne la supporte pas. Il est toujours à la recherche de ce qui laisserait transparaître une ultériorité de sens, un au-delà de la réalité, donc un sens irréel ou déréel. ( = détaché du réel)

Iréelle est la situation qui, par le biais des transparences nous incite à scruter, à fouiller le corps de l'autre comme si nous voulions découvrir quelque chose qui irait au-delà de son anatomie. Cela ressemble au jeu des enfants qui démontent une montre pour découvrir ce que c'est que le temps.

A ce point, si nous sommes conscients de nos états d'âme, nous comprenons que ce qui nous fascinait n'était pas ce corps réel (nu !). mais que, à travers ses transparences il devenait l'incarnation de notre désir.

La transparence n'est donc pas le parcours qui en partant de notre regard désireux nous amène à toucher le corps de l'autre, mais c'est bien l'inverse : les transparences transforment le corps de l'autre en miroir de notre désir.

On comprend maintenant pourquoi la séduction ne se fie pas à la nature. Un corps nu comme la nature l'a fait n'est pas séduisant sans l'intervention de l'artifice capable de déjouer la simple nudité et d'effacer le naturel d'un corps insignifiant en soi.

Les transparences nous renvoient à la transcendance qui se manifeste grâce à la séduction, quand celle-ci ne devient pas une parodie.

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Plaçons maintenant le sujet de ce soir dans un autre contexte.

Avant d'approfondir quelques aspects du sujet je vais juste énoncer quelques domaines où la nudité et les transparences jouent un rôle de relief :

- La nudité comme acte de rébellion : les hippies, le streaking etc.

- Nudité et pauvreté (dans le passé la blancheur de la peau des riches qui avaient des vêtements, contre le ton halé des pauvres qui étaient eux, découverts)

- Nudité et commerce (des textiles)

- La nudité du visage (E. Levinas : Ethique et infini)

Lévinas nous livre d'abord cette précision sur le visage : cette expression désigne toute partie de chair où autrui apparaît comme vulnérable et exposé à la violence, la nuque appartient au visage.

La rencontre de l'autre en tant qu'autre s'opère quand on saisit le visage dans sa nudité essentielle au- delà de ses attraits éventuels ou particularités. « C'est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c'est de ne même pas regarder la couleur de ses yeux». Quand on observe la couleur des yeux, on n'est pas en relation sociale avec autrui. L'accès au visage en tant que visage est d'emblée éthique il y a un dépassement de l'acte perceptif. Je ne me contente pas de regarder le visage de l'autre homme, je me sens responsable de lui, obligé par son dénuement, la nudité essentielle de son visage exposé à toutes les violences.« La peau du visage est celle qui reste la plus nue, . bien que d'une nudité descente. Il y a dans le visage une exposition sans défense. Une pauvreté essentielle .La preuve en est qu'on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. » NB Ce n'est pas parce qu'un corps est sans sous-vêtements qu'il est nu. On peut être nu tout en étant encore paré. Au sens de Lévinas il y a donc dénuement, il y a mise à nu lorsqu'il y a révélation de vulnérabilité. Le visage est littéralement désarmant .

- La nudité ( J.L. Nancy : « à la nue accablante ». photos)

Que signifie vraiment « mettre à nu » ? N'est-ce pas toujours le geste de la découverte, de la révélation, du savoir, quand justement on ôte le dernier voile ? Qu'y a-t-il d'autre à ôter en plus de la révélation et de l'exposition de la nudité ? "La nudité n'est pas la vérité » nous assure J.L. Nancy même si généralement la vérité est justement représentée nue. La nudité nous dit simplement : « voici mon corps » et en même temps elle se dérobe à la vérité puisqu'elle évoque inlassablement la dénudation.

- Le nu dans l'art.

C'est une forme d'art qui essaie de recréer une image du corps humain, tout en respectant les exigences esthétiques et morales de l'époque. Depuis la préhistoire, la représentation de corps nus est un des thèmes majeurs de l'art. La nudité y est symbolique. La première apparition de la nudité dans les arts est concomitante à celle de l'art lui-même.

Au départ, mais aussi dans ce que nous appellons les « arts primitifs » dans les représentations de femmes, le visage et les détails sont minimisés alors que les seins, le ventre et le sexe sont accentués, exagérés. (symboles de fécondité et d'opulence)

Les grecs porteront une grande attention au corps, surtout masculin, à son entretien et à la beauté, perçue alors comme sacrée. C'est la célebration de la beauté pure.

Le Moyen Age n'aime pas représenter le nu, en raison de l'utilisation de l'art à des fins religieuses. En effet, le nu est pour le Moyen Âge un rappel de la condition mortelle et imparfaite de l'homme, en rapport avec le péché originel. Ou alors en rapport avec le péché mortel. Nous trouvons beaucoup de représentations nues des âmes damnées.

A la Renaissance, le nu devient un sujet à part entière et exprime une esthétique nouvelle, dans laquelle les artistes traduisent l'évolution de la société. Au début, les corps sont particulièrement corpulents (gras) car on souhaitait montrer que l'on entrait dans une nouvelle ère d'opulence et surtout parce que le désir premier des humanistes était de placer l'homme au centre de l'univers. Plus tard, les corps adipeux laissèrent la place à des corps musclés. Les corps, également figés au debout, ont évolué à l'instar de ceux de l'Antiquité. Ces deux caractéristiques (musculature et mouvement) furent améliorées par l'étude des maîtres anciens mais surtout par la recherche anatomique sur des modèles vivants ou des cadavres (comme le fit Léonard de Vinci). Le nu féminin, tout en exprimant un idéal de beauté, est souvent bardé de transparences et commence à traduire un érotisme, qui posera quelques problèmes dans la réception des ouvres en raison des mentalités qui n'étaient pas prêtes à accepter ce type de représentation. Les artistes durent trouver toutes sortes de stratagèmes pour que la nudité ne soit pas choquante et n'entraîne pas le rejet de l'ouvre. Soit la pose elle-même masquait ce qu'on ne voulait pas montrer, soit un cache-sexe plus ou moins opportun fut largement employé, autant sur les sculptures que dans la peinture : c'était soit un morceau d'étoffe, soit une feuille de vigne (comme sur Adam) ou de figuier, et parfois des éléments plus ingénieux comme les cheveux (comme pour la Naissance de Vénus de Botticelli)

A partir de la fin de la Renaissance le nu artistique devint de plus en plus sensuel. Mais pour créer cela les peintre durent de plus en plus faire recours au transparences ambigues et aux mises en scène.

L'impressionnisme et le réalisme furent deux mouvements de la seconde partie du XIXe siècle et firent scandale à leur époque en utilisant le nu dans des situations réalistes et non plus pour des scènes mythologiques. Proches des préoccupations sociales de leur époque, les peintres réalistes privilégièrent les études de nus féminins sur le vif, dans des situations quotidiennes. Loin de l'idéalisation du néoclassicisme, ces ouvres crues furent considérées comme de la pornographie. Le plus grand choc fut « la création du monde » de G. Courbet. Ensuite il y eut l'art abstrait, le Pop-art, le body-art, la photographie, le cinéma etc. Tous se servirent du nu pour interpréter la réalité à leur façon.

- La nudité de l'initié.

La nudité est un élément primordial de beaucoup de rites d'initiation ou de consécration. En se dénudant l'homme revient à l'état de nouveau-né, et indique qu'il s'abandonne aux puissances supérieures. Pour trouver son propre chemin l'initié doit être seul et nu face à tout et avant tout face à soi-même. Il se dénude, il fait ses ablutions purificatrices, il se débarasse des scories qui l'alourdissent.

- La nudité parfaite (Zen).

Atteint un certain age et à chaque jour il peut nous arriver d'entendre une sorte d'invitation subtile à nous libérer de beaucoup de choses cumulées depuis la jeunesse et pendant l'age adulte comme si dans le passé cela représentât une garantie pour notre sécurité. Nous commençons en effet à ressentir que la nudité est sécurité plus sûre, est liberté plus libre, est beauté plus belle. Nous sentons le besoin de revenir à la dimension originelle (mais oh combien difficile à gérer) de la simplicité. Et cela est juste puisque naître, grandir, désirer, atteindre des bûts et après décroître, vieillir, se dépouiller et mourir a un sens, un sens originel, sacré, (un sens divin pour ceux qui croient).

La nudité parfaite est le patrimoine mystique du Bouddhisme mais aussi du Christianisme. Dans ce dernier cela s'appelle le pardon et la charité.

- Nudité moderne et post-moderne.

Dans la modernité (~ 1960-1990) la nudité assumait les caractéristiques de l'exhibition et/ou de l'idéalisation au point de devenir banale.

Le corps, à son entrée dans la post-modernité (~ 1990 à nos jours) change de signification et de fonction. Ce n'est plus le corps anonyme exhibé, le corps-machine, mais quelque chose de plus flexible, de plus identifié.

C'est une nouvelle forme de nudité fortement marquée par le cryptogramme. A travers les tatouages et le piercing (seraient-ils les transparences de ce début du XXI siècle ??) la nudité revient en quelque sorte à une dimension mythique et fascinante d'où émerge peut-être une certaine pudeur morale que nous croyions perdue.

 

Par Luca

 

 

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ephemere
transparence

 

 

La repentance

 

Le terme de repentance, que l’on trouve déjà dans la Bible, est devenu d’un usage plus fréquent depuis que le pape JP ll, en a fait un élément de la doctrine de l’Eglise catholique. Ainsi a-t-il fait publiquement repentance d’évènements passés dans lesquels l’Eglise catholique porte une responsabilité peu glorieuse (Procès Galilée, Inquisition, anti-judaïsme affirmé et assumé durant de nombreux siècles). Son successeur portant la repentance sur le comportement peu digne de certains membres en exercice du clergé.
Un Jésuite, a pu donner de cette attitude la définition suivante, elle est « la reconnaissance d’une responsabilité collective et l’expression d’une solidarité de tous les membres de l’Eglise pour les fautes commises par quelques uns ». La repentance va donc au-delà de la confession, puisqu’elle sort du domaine strictement religieux, celui du rapport avec le divin, pour reconnaître des fautes concernant non la foi mais le regard que cette institution porte sur le monde ou la manière dont elle se gère. Cela se justifie puisque dans le monde actuel qui est un monde ouvert, une religion ou même une simple croyance, ne peut plus prétendre détenir à elle seule la vérité et s’en arroger un monopole
de diffusion. Le souci des religions est d’éviter tout relativisme, toute expression fondée sur l’opinion susceptible de changer constamment, pour conserver intact leur socle, qui est constitué par le dogme qui énonce les articles de foi ; la repentance trouve ainsi sa nécessité et sa justification en ce qu’elle est une manière de précéder toute critique et d’y répondre. Pour le pape, reconnaître les fautes et les erreurs, en demander le pardon et affirmer que de semblables errements ne se reproduiront pas, c’est assurer la prégnance et la prééminence du dogme de l’infaillibilité pontificale, qui est au cœur même du catholicisme. Ce qui est reconnu comme étant faux l’est assurément, mais ce qui a contrario est reconnu comme juste ne peut être discuté…par les adhérents de cette institution du moins.

Dans le domaine politique, celui qui adopte pareille position pour reconnaître des turpitudes passées accroît sa légitimité en demandant l’absolution devant l’Histoire pour la nation qu’il représente. Ainsi le président Chirac lors du
discours en 1995 sur la responsabilité de l’Etat français lors de la rafle du Vel d’Hiv ou le chancelier W. Brandt, s’agenouillant en 1970 devant le monument commémoratif des exactions de la Wehrmacht durant la 2e guerre mondiale en Pologne. Occulter une page du passé sous prétexte qu’il est honteux n’est rien de plus qu’une bassesse morale et un outrage supplémentaire aux victimes.
La repentance a une toute autre allure qu’un simple procès, comme le procès de Nuremberg par exemple, au cours duquel l’ on juge et on condamne. Mais d’un procès, aucune grandeur morale ne se dégage. D’ailleurs on ne juge toujours que des vaincus, si les nazis et les khmers rouges ont eu à faire face à des juges, quid des stipendiaires des tyrannies staliniennes ou maoïstes ?

L’expression d’une repentance ne résulte pas d’un simple état d’âme, elle est le fruit d’une réflexion, elle est volonté de clarification, et pour cela il n’est nul besoin  d’un juge. Montaigne avait déjà pu noter « la raison efface les autres tristesses et douleurs, mais elle engendre celle de la repentance » Et le philosophe Le Senne a pu établir :« Dans la mesure où le remords s’intellectualise et se tourne en entreprise morale avec rôle de la volonté, il devient le repentir. »
Il y a donc la volonté de réparer la faute, non sous la contrainte d’un tribunal, mais en ne faisant appel qu’à son libre-arbitre.

Ce n’est pas faire preuve d’un pessimisme excessif que de reconnaître que toute œuvre humaine est faillible, même celle qui fait état des aspirations les plus nobles; de fait, tout aréopage qui se considère en droit de dire ce qui est
vertueux et ce qui ne l’est pas, n’est vraiment fondé à le faire que s’il soumet à un examen lucide ses prises de position passées. Ainsi que valent par exemple les élucubrations actuelles de la Ligue des droits de l’homme contre des décisions d’un gouvernement légalement constitué alors que cette même ligue n’avait aucunement jugé utile de critiquer les procès de Moscou durant l’ère stalinienne. Elle s’était notamment crue autorisée, en 1937, d’ affirmer :"Il est des heures où une révolution ne peut être sauvée que par des mesures extrêmes et on ne saurait à certaines périodes se dispenser de recourir à des moyens exceptionnels. Le droit de légitime défense existe pour les individus, a fortiori existe-t-il pour les nations…Nul ne saurait refuser à un peuple le droit de sévir contre les fauteurs de guerre civile, contre des conspirateurs en liaison avec l'étranger. Ce respect des principes est un devoir en période normale, mais en période de crise, en cas de péril intérieur ou extérieur, en présence de menées terroristes, il faut non pas blâmer mais louer les peuples et les régimes qui ont le courage d'instituer, s'il le faut, un tribunal révolutionnaire ». Depuis on attend vainement une appréciation plus sereine d’un régime responsable de 20 millions de morts. Lorsque l’on bafoue ainsi les valeurs que l’on voudrait voir gravées sur l’oriflamme brandi au nom de l’universalisme des droits de l’homme et que l’on s’en sert pour proclamer la nécessité et réclamer de fait des repentances à tout va pour tout autre que soi, on sombre dans ce P. Bruckner appelle la « Tyrannie de l’innocence », symptôme et prurit inguérissable de l’homme blanc qui n’aurait que son sanglot comme dérisoire amendement de ses turpitudes passées et présentes. Ce qui en découle alors est « l’hystérie misérabiliste » de tous ceux qui s’arrogent le droit d’être le débiteur ad vitam aeternam de l’Européen, et qui se traduit de leur part par une victimisation obsessionnelle.

Evidemment alors, l’Occidental, du moins le quidam moyen, tombe de haut : lui à qui l’idéologie soi-disant progressiste avait fait croire qu’il était unique, représentant du genre humain à lui tout seul car le progressiste dont il suivait l’avis se rêvait universel, se découvre non seulement quelconque mais accusé de tous les crimes. Ce malheureux  « conformisme du gémissement » perdure chez certains encore de nos jours. Mais il est tellement facile de s’affirmer comme n’étant jamais coupable de rien, cela évite d’endosser le ridicule de l’échec.

Quant à tous ceux qui, toujours sous l’étiquette de progressisme, clament tout haut vouloir accepter et légitimer ces critiques, ils se réfugient dans un infantilisme morbide et font résonner en écho à cette plainte permanente un « nietzscheïsme renversé », ou la victime est divinisée, ou le faible d’hier garde son image de faible et d’exploité, icône misérabiliste d’un monde occidental toujours en recherche d’exotiques idoles à vénérer. Cela permet « d’éclairer sa banalité d’un arrière-fonds tragique », de prendre la posture du résistant, du héros pour qui toute loi est liberticide, attentatoire à la dignité des exclus et des misérables dont il est naturellement le porte-parole. Le parangon de cette figure de résistant de salon étant Sartre, dont le haut fait d’armes fut de combattre non le nazisme duquel il s’accommoda fort bien, mais le gaullisme décolonisateur, vu comme l’ultime avatar d’un fascisme honni. L’illustre maître à penser des germanopratins n’allait bien sûr pas s’abaisser à une quelconque repentance. La haine de soi, accompagnée d’appel au meurtre, avait rang d’absolu chez ces plaisants et maniérés esprits : «  Abattre un Européen c’est faire d’une pierre 2 coups, supprimer un oppresseur et un opprimé: restent un homme mort et un homme libre », écrira-t-il dans la préface des Damnés de la Terre.
Mais ne disait-on pas alors qu’il « valait mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron » ?

Ces postures, qui sont autant d’impostures devant l’Histoire n’ont évidemment rien à voir avec la repentance et sont tout simplement des mises en scène de la médiocrité de ceux qui s’exhibent ainsi. Si les Européens veulent à nouveau se faire reconnaître un droit à penser l’ensemble de ce qui est, ce que la philosophie grecque de l’Antiquité, avait formulé pour la 1ere fois, il leur faut porter un regard à la fois critique et interrogateur sur ce qui les entoure
et sur leur propre être. Ce regard, ne doit pas être un aveuglement, ne doit pas déboucher sur un catalogue de croyances susceptibles de faire sens pour toute l’humanité. Il se doit d’être un exercice de lucidité définissant et analysant les causes de la chute lorsqu’il y a faillite de la raison et de porter cela à la connaissance de tous. « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, ce n’est pas de subir la loi du mensonge triomphant qui passe », a pu écrire Jean Jaurès.

La repentance cependant, est toujours néfaste lorsqu’elle devient une exigence de repentance de la part de certains groupes pour mettre en cause les lois d’un pays. Ainsi Malika Sorel, membre du Haut conseil à l’intégration, a-t-elle pu noter : «  La problématique de l’intégration des flux migratoires se traduit partout par des exigences d’une ampleur telle qu’elles viendraient à changer radicalement le contenu des projets politiques collectifs des peuples hôtes si elles venaient à être satisfaite. Dans tous les pays hôtes, l’accueil de l’Autre se transforme peu à peu en une demande d’abdication des idéaux sur lesquels se sont bâties les sociétés d’accueil…Aux yeux de leurs élites politiques, les
peuples européens seraient-ils le seuls au monde condamnés à ne pas jouir du droit d’avoir une identité ? »

C’était bien pour redonner une identité aux peuples d’ Europe, pour, après Auschwitz, redonner du sens au sens et accepter le repentir de ceux qui s’étaient adonnés avec tant de frénésie à la délirante lutte des races, qu’après 1945, était née l’idée d’une nouvelle transcendance par la création d’une union européenne. Mais en quoi une union peut-elle porteuse de sens, si sa finalité est tout simplement de ne pas avoir de finalité si ce n’est de reculer toujours plus loin les contours d’un ensemble dont l’identité repose sur l’unique fait de ne plus avoir de frontières, partant du postulat que ce qui délimite est ce qui discrimine? Arborant l’étendard du relativisme le plus intégral derrière l’énoncé de droits toujours plus abstraits et de la repentance permanente au motif que toute identité fondée sur une nation est une menace puisque relevant d’un populisme préludant à une résurgence fasciste, les peuples, dépossédés de leur identité, se rendent bien compte que la frontière n’est pas ce qui menace, mais est ce qui protège, que l’expansionnisme de cette Europe-là n’est qu’une nouvelle forme de suffisance, que la repentance ne doit pas être ce qui détruit l’identité mais ce qui la construit, l’identité étant ce qui fonde une civilisation, laquelle est, selon St-Exupéry, « un héritage de croyances, de coutumes et de connaissances lentement acquises au cours des siècles, difficiles parfois à justifier par la logique, mais qui se justifient d’elles-mêmes puisqu’elles ouvrent à l’Homme son étendue intérieure. »
 

Jean Luc

 

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Le Hasard, Compte-rendu du café philo du 7 septembre 2010

 

Préambule

 

Etymologiquement le mot hasard vient de l’Arabe est signifie le dé et extensivement le jeu, toutes activités où le calcul, la réflexion et le jugement n’ont aucune part, car les diverses faces d’un dé ont toujours des probabilités égales d’apparaître lorsqu’on les jette sur le tapis.

Jeter les dés, c’est un phénomène que nous appelons fortuit ou dû au hasard, car il dépend de causes trop complexes pour que nous puissions les connaître toutes et les étudier.

 

Mais cela ne signifie pas que le hasard soit l’absence de causes, mais une série de causes multiples difficiles à prévoir et qui échappent à tout contrôle et toute intention, tel est le cas dans le lancer de dés, et il est vrai que nous n’aimons pas ne pas maîtriser !!

Le hasard recouvre les deux acceptions de hasard malheureux ou heureux, chance ou malchance. Ainsi lorsqu’on prend une décision politique on court un risque ou une chance comme disait Edgar Faure, même si l’événement en lui-même est fortuit et ressortit d’un concours de circonstances heureuses ou malheureuses.

Le président Henri Queille de notre IIIème république appliquait à son goût le principe du libéralisme, « Il n’y a pas de problème qu’une absence de solution ne saurait résoudre » ; Mais en cela il ne suivait pas les préceptes de Machiavel qui au nom de la virtu faisait obligation au Prince d’agir afin d’amortir les effets du hasard « La fortune est maîtresse de la moitié de nos oeuvres et elle nous laisse gouverner à peu près l‘autre moitié, à défaut elle manifestera sa puissance là où il n’y a pas de remparts dressés pour lui résister ».Le hasard n’est donc pas un destin implacable mais au contraire il offre des opportunités, du libre arbitre, et donc la passivité est interdite dans le champ politique. L’événement en lui-même n’a pas de sens a priori, et par la virtu, qui est une habileté à se jouer du hasard, on peut aller plus loin vers des succès plus éclatants, voire des défaites plus cinglantes.

Dès lors le hasard devient destin ou fatalité, surtout si ce qui arrive est sans raison apparente ou explicable, et que l’on croira redevable soit de la Providence, soit du sort ou de la fortune.

On cherche à prévoir, à prier pour obtenir une intercession, consulter des mages et des astrologues, jusqu’au principe de synchronicité ; Dans un ensemble de causes nous tentons de chercher un sens qui soit Dieu, la magie, l’horoscope, et nous les quantifions même à l’aide de calculs de probabilité pour nous rendre à l’évidence que toutes les causes ne sont pas maîtrisables en détail.

Mais existe aussi l’exception du possible d’André  Breton défendant l’idée d’un hasard objectif. « Foi persistante dans l’automatisme comme sonde, espoir persistant dans la « dialectique » pour la résolution des antinomies qui accablent l’homme, reconnaissance du « hasard objectif » comme indice de réconciliation possible des fins de la nature et des fins de l’homme aux yeux de ce dernier, volonté d’incorporation permanente à l’appareil psychique de l’ «humour noir » qui, à une certaine température peut seul jouer le rôle de soupape, préparation d’ordre pratique à une intervention sur la vie mythique, qui prenne d’abord, sur la plus grande échelle, figure de nettoyage. ».

Le hasard n’est donc pas le contraire de la loi et l’écriture automatique obéit à une loi comme le hasard en possède une. On se laisse dicter par le hasard sachant que les mots distribués selon la fortune trouveront un sens par la grâce de « l‘Esprit » dont le rôle est de produire du sens, de la rencontre…..Ce hasard objectif résout le problème du désenchantement du Monde sans Dieu après la guerre de 14-18…..En l’absence de Dieu on se doit de chercher le « surréel » derrière le réel, dont les signes se dévoilent si peu qu’on soit ouverts à toutes les rencontres.

 

De l’a-causalité à la causalité

 

Pour passer du « sans cause » au principe de causalité il nous faut la temporalité où la cause précède l’effet, car l’a-causalité serait l’absence de temps.

Il n’existe pas de hasard absolu sinon aucun Monde structuré n’existerait et tout serait in-identifiable. En statistique on établit des lois sur le hasard et la contingence (CF lois de Pascal et son pari sur l’existence de Dieu), mais il n’existe pas de causalité linéaire, une concatétanisation fatale.

Si nous sommes en présence d’un Monde caractérisé par sa complexité, sa multiplicité de facteurs et ses boucles de rétroaction, c’est le chaos comportant un ensemble d’effets sans cause spécifique où la causalité est limitée à un champ des possibles, de même qu’en physique quantique. Gödel affirme en outre qu’un système formel ne peut pas être totalement fondé pas ses propres moyens mais que des moyens plus puissants sont nécessaires ; Comment alors fonder un absolu et croire en une vérité absolue, et déjouer le hasard ?

Notre esprit tente de trouver des relations causales où on peut rapporter par exemple les résultats réalisés au lancer de dé, aux résultats calculés….que ce soit hasard ou fatalité, on va trouver des causalités, causalité, synchronisme ou hasard.

Le hasard existerait-il en présence d’une finalité absolue dans l’univers ? A priori non. En outre avec le développement des lois nous rencontrons de plus en plus d’incertitudes (Heisenberg), le champ d’application devient infini.

Une petite histoire du hasard

Le hasard et la causalité sont-ils dans la nature ou dans l’Esprit, sur ce point on a beaucoup évolué  au cours du temps :

. Le hasard est extérieur à la Nature pensait Aristote et même Einstein du moins au début de sa carrière. Le hasard n’est pas dans la nature qui est « causée »  de façon exogène, le hasard n’est cause de rien, le Monde ne peut être « causé ».

. Au 18è et 19ème siècle (Ap JC bien sûr ! ), règne le déterminisme (Descartes, Leibnitz, Newton, Laplace et le jeune Einstein), ils ne supportent pas le hasard, et si on ne sait pas c’est qu’on est ignorant, et on raille d’abondance les superstitieux !! Ignorant car ce qui arrive est en dehors  des normes objectives ou subjectives de ce qui est moralement non délibéré : Le hasard n’est et ne peut être que la cause ignorée d’un effet inconnu ; série de causes indépendantes pour la production d’un événement c’est le hasard ; ce qui n’a pas de cause morale proportionnelle à l’effet ; selon Bergson le hasard serait un mécanisme se comportant comme s’il avait une intention….Une roue de Boeing tombe sur quelqu’un à Schiltigheim on pense que c’est le hasard, si la roue du Boeing ne tombe sur personne est-ce encore le hasard ? Ou alors on envisage « s’il y avait eu quelqu’un !! » Comme si la roue du Boeing avait choisi de tomber en ce point. En outre Freud ne laisse aucune place au hasard.

. Avec Courneau, le hasard est hors de la Nature.

. L’absence de contingence est une absence de finalité, la pensée causale linéaire n’admet pas le hasard qui est hors Nature, ainsi que le pensent les créationnistes.

. Au 20ème siècle le hasard est réinstallé au cœur de la Nature, complexité, information, indéterminé, irréductible, imprédictible; La théorie de Goedel prône qu’il existe de l’indécidable pour une partie de la réalité.

Le chaos déterministe affirme que tout peut être mathématiquement déterminé, mais que le résultat est imprédictible, comme le climat ou l’économie par exemple.

Dans la pensée moderne le déterminisme et le hasard existent, mais la Nature est-elle hasard ou déterminisme ? Edgar Morin utilise la métaphore de l’entonnoir : le Monde est à la fois déterminisme et phénomène aléatoire, le chaos-déterminisme, c’est le hasard lié à la théorie des grands nombres.

Finalement déterminisme ou hasard dépendent de l’observateur :

. S’il regarde par le petit bout de l’entonnoir il aura du recul et verra le paysage avec un tracé très net, un Monde en étroite nécessité

. S’il regarde le paysage par le gros bout de l’entonnoir, il verra une géographie du chaos et ne pourra donner un sens que par le hasard ou la loi des grands nombres.

Mallarmé et le hasard

Un coup de dé, jamais n’abolira le hasard disait Mallarmé : Le joueur instaure le hasard au moment  où il lance les dés et l’épuise après, mais pour cette séquence uniquement.

Il existe une nécessité et une causalité nécessaires dans la façon de jeter le dé et dans la façon dont il retombe. Un cerveau absolu pourrait abolir le hasard par la connaissance et produire le chiffre qu’il voudrait. Mais attention s’il existe une causalité cela ne veut pas dire qu’il existe une finalité !!

Le hasard et la nécessité

Le Monde n’est pas là pour faire plaisir à l’homme, et la réalité extérieure à nous comporte une finalité aveugle et non providentielle, un genre de hasard où les effets sont produits sans intention aucune. Il n’y a donc pas de finalité à l’œuvre dans la Nature, pas d’intention, mais une série de nécessités, un hasard selon lequel les espèces évoluent. En dehors de notre fait psychologique le hasard, tout seul, conditionne l’évolution des espèces, dont nous les hommes, pour produire des formes nouvelles. Le hasard n’est  plus ici la limite de la connaissance et le début de notre ignorance, mais une entité théorique, selon Darwin.

La pensée ne se hasarde pas à penser le hasard, mais à connaître les modalités d’évolution des espèces, sans la prédication de ce qui va se passer. Le hasard ici est le contraire de la Providence mais pas le contraire de la nécessité.

Si le hasard n’existait pas

Si le hasard n’existait pas, nous pourrions donner un sens à tout ce qui arrive, ainsi si je croise des gens dans la rue ce ne sont que des rendez-vous !!

Mais il m’est loisible de transformer chaque événement en rencontre par la puissance de l’Esprit qui transforme tout en sens, et des régiments de « Nadja » s’offriront à moi. J’aurais ré-enchanter le Monde qui deviendra pour moi Providence…..Et si la personnalisation par la Providence m’est impossible, si elle disparaît, j’accepterai le hasard qui sera tout à la fois enchantement et désenchantement , et accepter ce hasard sera mon opportunité de créer des formes nouvelles. Je m’accorde le droit de penser le hasard car je me sens capable de m’étonner et d’accepter de faire quelque chose de cet étonnement à partir d’événements insensés !!

Par ailleurs avec Husserl et la phénoménologie, le hasard est écarté il n’existe pas en terme relatif car il y a le libre arbitre pour en atténuer les effets. Mais est-ce intéressant de donner un sens à tout ? Les bouddhistes veulent évacuer le sens pour s’en tenir aux finalités avec détachement et sérénité. En fait c’est l’observateur qui décide de l’existence ou non du hasard, c’est bien ce  qu’on ne peut imputer à l’homme pensant ou à la puissante Nature, que nous offrons au hasard…la coïncidence d’événements ne devient hasard que du fait de mon attente…..dire qu’une chose est remarquable par elle-même ou par ses effets, c’est introduire une personne qui y est sensible et qui fournit tout le remarquable de l’affaire; Si je n’ai pas joué au loto il n’y a pas de hasard pour moi.

Pour paraphraser la théorie sartrienne des amours nécessaires et contingentes, on peut avancer que :

. La personne rencontrée par hasard et qui correspond à mes attentes m’est venue comme si elle me fut promise de toute éternité, elle est « ma nécessaire » irremplaçable.

. La personne rencontrée par hasard mais qui correspond moins à mes attentes sera « ma contingente » facilement substituable.

 

Ce n’est pas par hasard que le joueur qui s’adonne au hasard ne croit pas au hasard !

Le sophisme du joueur : illusion très commune chez ceux qui jouent au jeu de hasard mais ne se résignent pas à admettre que seul le hasard, précisément, joue et que la seule chose que nous puissions connaître en ce domaine nous est donnée par le calcul des probabilités. Selon cette illusion il y aurait comme une mémoire dans la chose, et personne n’oserait rejouer les mêmes chiffres du loto qui viennent juste de sortir…or ces chiffres ont pourtant toujours la même chance qu’avant, mais personne ne le croira !!

 

Le paradoxe de la loterie : contraste entre la probabilité presque nulle qu’a chaque ticket sur un grand nombre, de gagner et la certitude que l’un de ses tickets sera gagnant. Le joueur de jeux de hasard ne croit pas au hasard et ceux qui ne croient pratiquement jamais au hasard, exagèrent considérablement leurs chances de gains et donc annulent implicitement ce paradoxe.

L’ignorance des probabilités dans le grand public est liée à son refus de considérer le hasard comme un fait objectif…en fait les gens ne croient pas au hasard et c’est pourquoi ils ne jouent jamais au hasard au jeu de hasard !! Personne ne jouerait les case1, 2,3,4,5,6 sur la grille de loto et pourtant elle a autant de chances de sortir qu’une autre grille ….La superstition est une réaction magique face aux risques et au hasard !! Et le joueur va tenter d’insuffler quelque chose de lui-même pour que le projet du dé soit en sa faveur….et dans la mesure où il y a un enjeu pour lui, la fortune peut avoir une intention bienveillante envers lui s’il sait la séduire !!

 

Nous avons la manie de chercher à déterminer les lois de causalité

L’homme a toujours cherché les enchaînements logiques aux événements qui se présentaient à lui dans la nature, était-ce nécessité, hasard ou magie ?

D’abord on explique par les mythes (causalité magique), pourquoi il y a du tonnerre, pourquoi la nuit succède au jour, et on trouvait des causes surnaturelles ou divines.

Mais tout ce qui arrive ne peut être expliqué par des relations de cause à effet, il y a des liaisons événementielles qui ne sont pas faciles à expliquer, hasard ou nécessité ?

Nous cherchons donc  à déterminer les lois de causalité, mais il y faut de la méthode surtout si nous rencontrons des coïncidences troublantes.

 

. D’abord prendre un fait réel, observable et contrôlable (un effet concret avant d’en établir la ou les causes). Mais comme disait Jacques Maritain qui est enterré à Kolbsheim, « Il est aussi malaisé de démêler les actions causales éloignées que de discerner, à l’embouchure d’un fleuve, de quels glaciers ou de quels affluents parviennent tels ou tels échantillons d’eau ».

. Puis prendre un événement et si on ne trouve pas le phénomène antérieur qui l’a causé, c’est donc le hasard, c'est-à-dire une situation sans causalité, même si on écarte un fait antérieur qui pourrait être en relation.

Mais nous pouvons nous retrouver face à des coïncidences quasi magiques : si mon Numéro de ticket de tram est identique à celui de mon billet de 10 Euros avec lequel je l’acquitte, et identique de surcroît avec mon Numéro de téléphone !! C‘est une coïncidence qui dépasse les limites de la causalité, ou cela n’obéit à aucun type de causalité connue, mais a cependant une signification intrinsèque.

Il y a quand même une causalité qui produit l’apparition fortuite mais simultanée de deux ou plusieurs facteurs unis par une signification et sans aucun lien de causalité entre eux : c’est la synchronicité de Carl Gustav Jung, la simultanéité sans connexion causale, l’intentionnalité ou finalité apparente de Schopenhauer, une connexion inconstante au travers de la contingence, une énergie qui définit un continuum spatio-temporel :

. En physique nous aurions une explication concrète selon la triade Espace-Temps-Causalité.

. On devrait rajouter la quatrième dimension, la synchronicité. En psychologie il y aurait une équivalence entre causalité et synchronicité selon des facteurs archétypaux (une Conscience plus grande que nous, une probabilité psychique) qui s’unissent à la causalité et en fondent la finalité. A la triade Espace-Temps et Causalité nous devons donc rajouter la synchronicité, mais c’est difficile d’admettre cela nous qui sommes unilatéralement tentés d’imprégner tout concept contenu dans une relation de cause à effet, de notre propre modèle scientifique. Ainsi avec la causalité et la synchronicité nous serions proches d’abolir le hasard et faire mentir Mallarmé.

Et puis si nous ne trouvons pas la  cause, on peut toujours exiger la « raison », et le destin devient providence, une coïncidence significative. Notre besoin de sens nous fait chercher une nécessité à ce qui a un effet radical dans l’existence. De fait une coïncidence devient significative et traduit une finalité, et le Destin devient Providence car on ne peut admettre que les choses qui nous sont les plus importantes soient absurdes et arbitraires. Et pourtant on peut s’accommoder de l’absurde de Camus, voire pencher pour le défaitisme de Cioran qui voulait par coquetterie de pessimiste, faire taire en lui tout espoir car l’homme est ici sans finalité et n’en a plus pour longtemps même si on fait des réformes. Suivons également Philippe Murray qui a une suspicion absolue contre tous les mythes, comme le mythe du politique qui est de créer du sens avec de la propagande contre le hasard et l’absurde, et fait des mythes pour cela….. mais si on voulait ressembler à Murray on aurait plus qu’à se suicider !!. On va vers la fin de l’Histoire paraît-il, tout finira selon une mécanique à ordre dont les lois sont dans le hasard lui-même, alors le politique définit l’empire du Bien qui devrait gagner, comme le veut le mythe judéo-chrétien avec son espoir du mieux.

Comme certains d’entre nous au café philo, je ne suis pas optimiste mais j’ai des enfants, et le doute me travaille au point que je m’invente l’amour pour  surestimer, mes qualités, mes finalités et celles de mes proches dans le rapport d’affection, et ainsi fortifier le sens de cette rencontre familiale, et sans vergogne me forcer à être optimiste !

De plus on utilise la culture comme anti-destin  et le choix qu’on a fait pour la société est la confiscation du rapport à soi, contre la vérité de la vie avec la domestication des masses !!

Nous débattons de plein de choses au café philo, et il ne le faudrait pas, car lorsque nous débattons il y a perte de réel et ce ne peut être que de faux débats….Le débat fait la perte de réel et ne fait pas surgir des idées de génie !! La finalité aveugle de ce réel n’en a pas fini de produire des effets sans intention aucune !!!!!!

 

Hasard et liberté

Le hasard conditionne-t-il la liberté ? Nous sommes certes jugulés par les nécessités premières qui nous déterminent, mais le hasard est aussi indifférent qui nous laisse la liberté de faire au mieux avec ce dont nous disposons : Sans hasard il n’est pas d’action possible, et de même la Grande Santé est d’être ouvert au hasard, contrairement à la maladie qui est enfermement.

La fortune comporterait des règles distributives si peu qu’on soit tenté par la superstition ! Qu’on se souvienne de notre occupation implacable de l’Algérie, au point que les indigènes privés de tous moyens de réaction, n’avaient plus qu’à croire à la fortune qui devenait l’incarnation du hasard subjectif superstitieux, mais ils n’avaient pas la claire conscience que les événements fondamentaux d’une existence étaient distribués sans finalité préalable !! D’où ils demandaient à leur marabout d’intercéder en leur faveur pour ré-orienter le cours de leur Histoire. D’une part le marabout sollicita, à qui de droit, que les pauvres du Maghreb deviennent riches en Paradis, et d’autre part que  des poux soient jetés sur les Français! Mais l’archange Gabriel a mal interprété un ordre divin, il jeta une poignée de poux sur les Arabes et une poignée d’or sur les Français. Ils n’avaient plus eu la force de transformer le destin en Providence !!.

 

Gérard.

 

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La vertu de l’égoïsme

Préambule : Du soi au moi

 

A priori l’égoïsme a cette connotation négative de tout vouloir ramener à soi comme si nous étions le centre du Monde, en subordonnant l’intérêt d’autrui à notre propre intérêt excessif pour en gonfler notre moi jusqu’à fermer notre âme à toute recherche de générosité vis-à-vis de nos semblables ou de l’environnement.

Le soi et le moi seraient haïssables car il conviendrait moralement de n’être plus soi, et cela est apparu critique au marché et au commerce qui ont relancé la mode d’être soi en lançant des slogans, « Personnalisez votre crédit à long terme !! Personnalisez votre salon de jardin !!», et la personnalité s’achète désormais toute faite en tête de gondole.

Paradoxalement cette attitude aurait une vertu et correspondrait soit à une efficacité économique ou soit à une règle morale qui signifieraient qu’en étant égoïste je suis bien « moi », et n’a-t-on pas en naissant le devoir d’être soi sous peine d’être étranger à la réalité et à nous –mêmes (amour de soi naturel dérivant du physis)?

On ne peut pas nous condamner de vouloir être « soi », et ne vouloir être que soi, c'est-à-dire ce que chacun est pour lui-même, car quelque chose en nous est « en soi », en soi désignant ce qui n’a pas conscience de soi, de son enveloppe matérielle, un ensemble de forces inconscientes, instinctives et de besoins inférieurs qui nous gouvernent et nous conservent.

Par contre, quelque chose en nous est « pour soi » lorsque notre conscience se connaît elle-même. Mais nous sommes là  au niveau d’un moi qui se pense lui-même, un cran au-dessus de notre individualité pour tendre vers notre personnalité, comme un « soi » modifié par le contact avec la réalité, l’extérieur, et faisant retour sur soi. Le moi est une conscience de soi qui s’est développée, et l’égoïsme n’est pas une donnée première ni primitive, c’est une mentalité utilitaire doublée d’un esprit positif et d’un raisonnement prenant en compte nos motifs d’intérêt, avec prévision et calcul.

Accepterions nous aujourd’hui de n’être qu’un individu absorbé dans  le groupe comme dans une tribu, pour ne nous percevoir que comme membre de ce groupe, nous identifier à lui au point de dire « je » en pensant le « nous » de ce groupe ? Nous aurions le sentiment de retourner dans une société inférieure du déni de soi, nous devrions retrouver notre mentalité mystique et magique de notre archaïsme primitif. Et qu’en serait-il du long et lent progrès acquis de la subjectivité ?

Au lieu de cela nous avons opté pour l’égoïsme, jusqu’à l’hypertrophie et la déviation tardive du sentiment de notre moi, pour dire comme Pierre Desproges, « François Mitterrand est tellement égoïste que, quand on ne parle pas de lui, il croit qu’il n’est pas là ! ». Mais nous ne pouvons être des « moi » en permanence avec des fonctions conscientes, car le « soi » sous –jacent nous pousse à des réactions inconscientes, des résistances de conservation, comme l’oubli d’un rendez-vous chez le dentiste par exemple.

De la même manière nous pouvons éprouver successivement l’amour de soi qui est la satisfaction de nos vrais besoins, et l’amour-propre qui est l’amour de soi qui se compare aux autres, ce sentiment de nous préférer aux autres qui exige aussi que les autres nous préfèrent à eux, ce qui est impossible !

 

A) L’égoïsme est nécessaire, il sert la valeur de soi

. L’autre est une entrave à notre réalisation, à notre jouissance, un égoïsme préventif est nécessaire pour affirmer notre droit contre l’autre et ne pas être sa victime.

 

. Amour de Dieu au détriment de l’amour de soi ? Comme si nous avions la cité de Dieu sur terre jusqu’à  nier son soi pour un Dieu cruel et moins dangereux qu’un moi égoïste, ou pour une métaphysique, au lieu de vivre le réel. Mais le soi ne peut être entièrement l‘objet du mépris, une parcelle résiduelle d’amour de soi est indispensable.

. Pour Pascal  Le transfert sur Dieu a raté et donc on doit revenir à l’amour de soi, à la charité qui procèdera de la concupiscence qui surgit comme une nécessité. Mais attention ici nous sommes en présence  de l’égoïsme rationnel et calculateur et non plus de la passion pulsionnelle libérée. Et ces milliardaires américains qui se font forts de céder la moitié de leur fortune appliquent-ils une morale altruiste, un impératif catégorique, ou une charité humanitaire égoïste ?

 

. Privé de Vérité durable, on postule comme Vérité que l’égoïsme privé fait la vertu publique dans le domaine économique, une société peut être ainsi paradoxalement altruiste même si elle est constituée de membres égoïstes !! l’égoïste individuel non vertueux crée à son insu un monde vertueux et parfait.

.  L’égoïste contrarié par le Père, s’épanouit avec la mère Nature, à la loi de laquelle il se soumet. Mais attention ce n’est pas l’exaltation du vice mais simplement l’affirmation d’un intérêt abstrait, un principe à partir duquel Dieu-Mère-Nature agit les hommes.

. Dans une société marchande libérale il faut se doter d’un moi fort pour résister ou pour exploiter rationnellement  l’irrationnel, et donc renforcer sa subjectivité dans un égoïsme bien senti.

 

B) Limite de la vertu de l’égoïsme qui peut tourner au vice ; La vertu cesse où commence l’intérêt ?

. Le plaisir égoïste est négatif, quand en tant que retraité je regarde Maigret et ses dialogues, «  Que de voitures, de chauffeurs et de piétons !! En écrasent-ils beaucoup des piétons ? Oh peut-être cent par jour ! Peut-être verrons-nous un accident ? »  Cela pour rompre la monotonie de la vie de retraité qui a l’espoir au ventre de voir un accident, accident délectable vu égoïstement du fond d’un fauteuil confortable….il est doux de voir les autres s’accidenter à la TV, et le plaisir n‘est pas dans le carnage mais dans le confort égoïste du spectateur à l’abri. Adieu compassion, charité ou chagrin d’écran !

 

. L’intériorisation individuelle de la loi du marché, me ferait tout occupé à satisfaire mes besoins sans plus être une menace pour autrui ? En fait il s’agit d’une tyrannie de l‘exercice de cette loi individuellement intériorisée, mais est-elle toujours démocratiquement répartie, sinon elle cessera d’être vertueuse ! 

 

. Si le lien social n’est constitué que d’égoïsme, nous ne sommes qu’un troupeau  égo-grégaire de consommateurs menacés de dépression si nous ne sommes pas satisfaits.

. Si nous exaltons la pulsion et l’intérêt à la place du verbe sous l’égide de la grande mère Nature, nous ne faisons que lui restituer la faculté créatrice qu’elle nous avait déléguée ou que nous lui avons prise, et nous tendons avidement vers notre auto-destruction pour laisser place à cette même Nature, première bien avant nous et qui nous survivra quoiqu’on en dise.

. L’égoïsme érigé en principe constitue une menace, souvenons-nous  de Némésis, Vergogne –scrupule qui châtiera notre orgueil excessif et punira  notre égoïsme démesuré, l’hybris…. Cependant pour survivre dans la société égoïste libérale, il faut adopter l’égoïsme et non l’altruisme, il nous faut l’amour de soi jusqu’à l’assomption subjective, pour être non pas grégaire mais individualiste.

. L’intériorisation individuelle et effrénée de la loi du marché, sans puissance tierce ni grand Autre, menace à la fois l’être soi et l’être ensemble ; Nous sommes là dans l’égoïsme et la jouissance sadienne faite de destruction de soi et de l’autre, nous finirons dans une société tribale de la tyrannie de l’égoïsme  poussé jusqu’à sa négation et à la négation de toute subjectivité.

C) Un égoïsme vicieux  vaut-il moins qu’un altruisme utilitaire ?

. Nécessité d’autrui dans la construction de l’identité individuelle, grâce à autrui on parvient à se réaliser pleinement.

. On a besoin de se faire reconnaître pour être correctement intégré, il existe une lutte de reconnaissance par ceux qui n’ont pas été intégrés dans les groupes sociaux égoïstes et fermés .

. Avec autrui c’est difficile, mais sans lui l’existence même perd de sa saveur, l’autre est indispensable pour vivre, donc autant l’utiliser sous couvert d’altruisme.

. Imaginons que nous choisissions le solipsisme radical, de la vérité du sujet tout entière dans l’être subjectif….la vérité serait toute en nous accessible par l’introspection !! Or en réalité nous ne sommes rien hors des événements, et il nous faut puiser égoïstement chez l’autre, dans le groupe, et dans la transcendance les notions qui nous dépassent comme l’infini, Dieu, le langage…

D) Egoïstes malgré nous….. Où il n’est question ni de respect de valeur ni de courage, ni a fortiori d’opprobre

. Les récit égoïste publicitaire remplacent les grands récits théologiques (rachat chrétien, émancipation marxiste…), qui nous exhortent à l’égoïsme et à l’exhibition de notre jouissance, pour satisfaire et détourner à notre insu nos appétences pulsionnelles ; Nous sommes dépossédés de notre pulsion en agissant sous le masque du consommateur vers l’objet.

. Nous sommes égoïste mais pas responsables, nous réalisons à notre insu le dessein de Dieu ou la main invisible du marché quand il n’a pas perdu la main. Le lien économique ne s’adresse pas  l’humanité de soi ou d’autrui mais à notre égoïsme… « Donnez-moi ce dont j’ai besoin et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-mêmes !! », disait Adam Smith. On se contente donc de ces données de Nature très immanentes et si peu transcendantes, mais ceux qui ont encore un peu de transcendance à étancher peuvent toujours s’adresser à leur chapelle habituelle.

. Parallèlement à l’inéluctabilité marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit, nous voyons à notre insu nos pulsions pompées par le libéralisme, sous l’effet d’une chute tendancielle du taux de subjectivité !! L’égoïsme généra le libéralisme qui lui-même dégénéra l’égoïsme.

. La pulsion à la place du verbe bouleverse notre économie libidinale, et nous croyons être égoïstes et avides d’intérêt alors que nous ne faisons que poursuivre des marchandises fétichisées, du travail abstrait !! Notre absence d’égoïsme vertueux pour ne pas dire notre vice serait de ne pas avoir la lucidité de nous en rendre compte !!

 

E) Egoïsme, solution immanente moderne

 

 .  Pour Kant, le transcendantal veut une régulation morale , un impératif catégorique, mais c’était transposer dans le civil des principes religieux, très formels et un peu désuets (l’artifice remplace la Nature) ? Car Kant use d’un artifice, d’une loi symbolique pour brider les lois naturelles, et nous préserver de nos passions. Quelle autre solution immanente moderne ? Nous aurions la loi de la Mère Nature archaïque et destructrice de Sade (échange sadien des corps), ou l’échange des biens répondant aux besoins égoïstes réciproques de A Smith…ceci au risque d’être esclaves de nos pulsions consuméristes ou de nos semblables.

. La régulation des échanges serait automatique dans une économie des égoïsmes en compétition, la vertu viendrait de la Nature elle-même, ainsi Allan Greenspan de la FED déclarait en 2008 lors de la crise financière, « L’avidité personnelle des banquiers est la meilleure garantie du Monde »

 

F) Morale de kant et Désir

. Afin que l’égoïsme soit vertueux, Kant nous invite à considérer l’autre comme une fin en lui-même et non comme un moyen, sinon il y a une menace sur l’être ensemble, mais il faut que je sois sûr que l‘autre agisse de même à mon égard !! Et pour cela il convient que j’assume véritablement mon désir égoïste, faute de quoi l’autre passe à l’attaque  et je me trouve dans la situation d’objet de l’égoïsme de l’autre….il me faut donc commencer par être altruiste puis égoïste !.

Au contraire, Sade préconise de considérer l’autre comme moyen de réaliser mes fins, c’est la loi du scélérat  de celui obéissant aux pulsions (pas à l’égoïsme !!)….la régulation vient d’elle-même, car il faut compter avec la loi du désir qui nous fait rencontrer les limites que l’autre peut opposer à notre égoïsme élaboré ou à nos pulsions archaïques.

  

Conclusion : Nous ne pouvons être que des égoïstes tempérés et non des « soi » d’un ensemble qui nous dépasse, il nous faut abandonner ces niaiseries des superstructures qui influent sur l’infrastructure, cet anti-humanisme structuraliste où l’homme ne serait pas sujet de son histoire ni du sens à lui donner! Nous ne sommes que des êtres de désir et de manque et non pas des « soi » de tribu interchangeables, et la dimension poétique de l’homme n’est pas réductible à cet égoïsme tronqué de la production-consommation. Il est fini le temps où nous n’avions une âme qu’à partir d’un certain niveau social au dessous duquel ne paissaient que les veaux égoïstes qui parfois suivaient le bœuf !!

Nous pouvons et devons être égoïstes et vertueux simultanément, à condition que l’autre ne soit pas dans notre dos pour nous dépouiller, nous agresser ou nous juger, mais soit dans le face-à- face lévinassien où les deux regards  s’interpellent. Regarder autrui c’est d’abord éprouver qu’il n’est pas de mon Monde, ses yeux ne sont pas les miens, la transcendance de l’autre ricoche et fait retour sur moi et me fait découvrir ma propre transcendance, le « toi » me fait « je »….mais il faut aussi de la grande transcendance, car il convient d’abord d’être en société avec Dieu avant de pouvoir être en société avec ses semblables, dans la coexistence paisible ou le plus souvent dans la confrontation.

Nous de 1968, pensions n‘être pas égoïstes mais travailler pour toute l’Humanité, or en fait en adhérant et militant pour un parti ou un syndicat, nous acceptions de nier notre intériorité et pensions de bonne foi accéder au genre humain !! Alors que nous aurions dû demeurer des aventuriers crispés sur l’irréductibilité de notre moi…..dans un cas nous ne produisions que du contexte alors que dans l’autre nous nous arrachions égoïstement aux déterminismes ! Mais en fait nous étions un peu aliénés et offrions nos seules et nécessaires platitudes et standardisations propres à l’adhérence !

Enfin de collectif nous allions passer au culte de l’individualisme, de l’argent, du spectacle et de la communication ; en fait nous traversions une crise où les schémas d’explication du passé étaient