PHILOUSOPHE
Que pouvons-nous espérer ?
Espérer, c’est considérer que ce qu'on désire, devrait réellement se réaliser. Nous pouvons donc TOUT espérer, et la liste de ce que nous pouvons espérer est infinie, multiple et diverse.
Ce qui rejoint la phrase de Camus, citée à plusieurs reprises dans ce café philo : « l'absurde naît de la confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Cet énoncé souligne l’espoir que ce qui nous arrive dans la réalité corresponde au sens que l’on attend de la vie et de la sienne en particulier, alors que le monde, le réel, ne prend pas en considération tout ce que chacun désire voir se produire. Il en résulte soit le sentiment que le monde est absurde ou pire, hostile, que l’humain ne peut y trouver le bonheur ou de la joie, voire une raison de vivre, avec le cortège de déprime, de tristesse, de pessimisme, d’anxiété, de dégoût de la vie et dépréciation de soi qui l’accompagne, soit l’espoir que ce que nous voulons finira quand même par se produire ! Dans ce cas, la situation est celle que décrivait Bergson (Le possible et le réel, 1930) : lorsque le monde est considéré à travers le verre réducteur de nos propres croyances, de nos savoirs, et de nos souhaits, il en résulte un sentiment séduisant de familiarité avec le monde.
C’est pourquoi, « nous dit Clément Rosset, nous, humains, passons notre temps à échafauder des stratégies pour échapper à ce terrible constat : la vie, c’est cela et rien que cela. Alors nous nous imaginons des vies qui n’existent pas – c’est ce que Rosset appelle la « duplication du réel » (dans « le Réel et son double »).
Que ce soit en édifiant de grandes morales (le Bien, le Mal), en inventant des religions auxquelles nous tenons, des systèmes idéologiques, philosophiques, pour lesquels nous nous déchirons… Nous imaginons des organisations cachées des choses, nous décrivons des sens de l’Histoire, des grandes métaphysiques pompeuses. Bref, nous prenons nos vessies pour des lanternes, parce que l’idée qu’elles ne sont pas des lanternes est intenable. Pourtant, il faut s’y faire : les vessies ne sont que des vessies. Le réel n’est ni moral, ni immoral : il est ». [ ] Or, malgré ce constat, Rosset écrira, (dans « La joie est plus profonde que la tristesse ») : « Le meilleur des mondes n’est pas celui où l’on obtient ce que l’on désire, mais un monde où l’on désire quelque chose ». (D’après Arnaud Gonzague, Rédacteur en chef adjoint à L'Obs)
Alors peut-on mieux vivre seulement en espérant ou faut-il renoncer à l’espoir ? Pouvons-nous nous contenter de constater que rien ici-bas n’a de sens, et nous plier à aimer, tout ce qui arrive, plutôt que d’espérer que le réel se plie à nos désirs ? Pour les stoïciens il n’y avait : “ni espoir ni crainte”.
À condition d’accepter de n’agir que sur quoi on peut intervenir et qui dépend de nous, et de renoncer à ce qui n'en dépend pas.
Un espoir qui n’ donc n’a pas très bonne presse, en philosophie
L’espoir, la capacité à se projeter positivement dans un futur pourtant incertain et potentiellement dangereux, apporterait davantage de troubles que de bienfaits. “On ne s’arrange pas du présent” quand on espère, prévient Sénèque dans sa Lettre à Lucilius. Pour bien agir, c’est-à-dire avec discernement, droiture et efficacité, il faut que notre jugement se mette au diapason du réel, sans interférence. Chose par définition impossible si l’on s’accroche à l’espoir, cette fragile bulle de possibilité qui peut éclater à la moindre occasion et créer par-là même de terribles déconvenues.
Situation confirmée par Comte-Sponville, évoquant le cas de sa mère dépressive, morte suicidée : “Ma pauvre mère était malheureuse en raison des espoirs qu’elle faisait sur la vie, et que la vie refusait obstinément de satisfaire. Ce que j’ai appris chez les philosophes, c’est que l’illusion rend malheureux. C’est face à la vérité que l’on peut se rapprocher d’une forme de joie : cela permet de prendre sa vie à pleines mains, de se battre.”
[Ainsi, ce serait plutôt lorsque l’on cesse d’espérer que l’on commence à vivre. Les espérances qui amènent illusions et croyances, des chimères qui ne sont fondées sur rien de stable et d'assuré, représentent tout ce à quoi on s'accroche tant que l'on s'imagine que la vie est comme un billet de loterie. Elle nous ferait miroiter la possibilité d'un gain, sans que cela ne nécessite un effort répété pour l'acquérir et en bénéficier. (1)
Ensuite, le désenchantement sera la coupe amère qu'il faudra boire jusqu'à la lie, si, malgré la constance dans le jeu, la valeur du billet, tirage après tirage, reste désespérément nulle. D’autant que l’on risque de rester engoncé dans le labyrinthe de la dépendance à des leurres, ou de cultiver la certitude de trouver sur son chemin, le gourou (ou le coach de vie) qui donnera les bonnes recettes pour réussir ce que l’on souhaite, pour s'imposer, afin de ne plus être dans la déplaisante condition de l'être espérant.
L'espérance est l'optimisme de ceux qui traînent comme un boulet, leur échec ou leur sentiment d'échec. Elle rend cela supportable mais ils ont perdu leur joie de vivre car évidemment celui qui se contente d'espérer est incapable de prendre la moindre décision puisqu'il reste dans une position d'attente. Elle permet de mettre provisoirement le réel entre parenthèse, alors qu’il faut le mettre sur un piédestal.
Marx, que d'espérances soulevées ! Pour l'univers radieux des prolétaires promis, on passera son tour. Illusions, espérances et fantasmes ont balayé avec vigueur toute notion de raison, toute idée de clairvoyance, toute recherche de logique.
Espérances et illusions sont des faussaires qui nous mènent à l'enlisement. Savoir cultiver l'art de vivre revient à chercher à agrémenter le réel afin de le transformer en beauté et en harmonie.
Vivre, et non plus espérer et rêver, c'est embellir la réalité et non la fuir, car est réel ce qui est incontournable, ce qui résiste à des projections mentales souvent ineptes, à des injonctions morales souvent stupides. Le mythe et l'espérance qu'il fait parfois naître n'ont pas de réalité, mais ce qui fait notre cadre de vie est bien réel]. (Jean Luc – Extraits de « c’est lorsque l’on cesse d’espérer que l’on commence à vivre »)
Ce qui implique d’accepter que le réel soit régi par l’incertitude et non par ce que nous pouvons espérer.
Accepter, c’est accepter que tout ne soit pas possible. Le réel existe, il est autre chose qu’une pâte que ma volonté pourrait modeler à loisir. Or, n’est-ce pas si facile ! Pourquoi ?
Comme la rose, le réel est « sans pourquoi » - « La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit, elle ne se soucie pas d'elle-même, elle ne se demande pas si on la voit. »- (Angelus Silesius, pseudo de Johannes Scheffler (1624 –1677), poète allemand, né à Breslau, Silésie (de nos jours Wroclaw en Pologne).
La rose ne pense pas à elle-même, mais l’humain diffère de la rose en ce qu’il suit les résultats de son action dans son monde, en souhaite certains, et observe ce que la réalité pense de lui et attend de lui. Nous ne pouvons pas, être ce que nous sommes, sans prêter attention au monde qui nous forme et nous informe et sans par là nous observer aussi nous-mêmes et sans chercher à tout expliquer, à rendre raison de tout.
Mais, lorsqu’on se demande dans quel état j’erre ? Qui suis-je ? - Où cours-je ? Et y-a-t-il des bus pour en revenir ? nous tentons forcément de nous échapper de ce « soi » que l’on pense être, parce qu’un sujet ne peut se voir en permanence, sans douter, comme un objet ! Un objet, de plus différent au gré des situations et des perspectives adoptées par une conscience troublée, toujours en construction. Parce que nous ne sommes pas, nous devenons !
Ainsi aucune certitude de savoir où nous allons, et comment y parvenir. Nous sommes une histoire, le résultat d’évolutions formidablement complexes : j’ai des milliards d’années et je ne les fais pas. Alors, je suis vite dépassé par la réalité des faits, et je stresse, je panique, je déprime ou j’imagine, je crée un rêve, une utopie, un espoir, au lieu d’agir !
Cependant, tout ce qui véhicule un espoir n’est pas forcement négatif !
Parce que, selon Oscar Wilde, l'apparence crée l'essence. Nous finissons par devenir ce que nous avons d'abord joué à être sur la scène du monde. « Personne » vient du latin persona, signifiant masque de théâtre !
Et d’autant plus qu’à force de penser ce qu’il espère, l’individu agit parfois comme si cet espoir s’était déjà réalisé ! Si le désir est constitutif de l’humain, fait partie de son essence, et désigne, (Spinoza entre autres), l'unique force motrice qui nous traverse, qui nous constitue, qui nous anime, cette machine désirante, sans objet précis, qui fonctionne en nous, produit des constructions qui s'insèrent dans le champ social et sont ainsi capables de faire sauter ou de faire se déplacer le tissu social. Ce sont alors DES désirs qui s'attachent à la santé, à l’amour sous toutes ses formes, à la prospérité, à la réussite, à la reconnaissance sociale, au bien être, etc…et dont la seule acceptation enclenche une quête spécifique.
Espérer, alors, n’est pas que croire en la possibilité de la réalisation de quelque chose de favorable, de positif, que l'on souhaite et que l'on désire, mais se transforme en une confiance en l'avenir, qui permet d’entrevoir que cette condition humaine que l’on peut juger injuste, absurde, difficile à supporter et à vivre, pourrait être différente. Ainsi c’est l’espoir de faire se rejoindre un rêve, un souhait, un idéal, avec la réalité, qui ouvre à l’action sur un monde où l'on retrouve le goût de vivre la vie que l’on vit, et la tentation de l’améliorer.
Ce qui est conforme à la pensée d’Annah Arendt qui est porteuse d’espoir, par opposition au climat, déjà ressenti à son époque, (1906-1975) de morosité et d’impuissance collective. Chacun, pense-t-elle, a le pouvoir « de commencer quelque chose de neuf à partir de ses propres ressources, quelque chose qui ne peut s’expliquer à partir de réactions à l’environnement et aux événements. [Parce que] avec chaque naissance nouvelle, c’est un nouveau venu qui est advenu dans le monde, c’est un nouveau monde qui est virtuellement venu à être ».
La liberté réside dans la capacité qu’à chaque personne d’être un nouveau commencement, de commencer « un monde à nouveau [ ] d’être la possibilité qu’advienne quelque chose d’entièrement nouveau et d’imprévisible », de changer le monde, de transformer ce monde commun. La pensée d’Arendt est donc porteuse d’un espoir raisonné ; parce que, selon elle, la pensée, comme l’action, peut déclencher des processus imprévisibles et infinis, qui échappent au contrôle de leurs auteurs. Pour qu’apparaisse la nouveauté. Par l’action, l’humain possède la capacité d’initier quelque chose dont le surgissement était imprévu. Ce pouvoir d’agir correspond à la relative liberté dont il dispose par rapport à ce qui est. Et c’est même de sa responsabilité de le faire. On ne saisit le sens d’une action qu’une fois celle-ci achevée. Chaque action, une fois posée, ne peut être défaite, et ses résultats sont irréversibles. Ainsi cela ne correspondra pas, sauf par hasard, à ce qui était espéré.
Il est possible également de défendre l’idée de Clément Rosset : Tout ce qui ressemble à de l’espoir, à de l’attente, constitue soit un vice, soit un défaut de force, une défaillance, une faiblesse… [parce qu’alors] la vie doit s’appuyer sur une force substitutive : non plus sur le goût de vivre la vie que l’on vit, mais sur l’attrait d’une vie autre et améliorée que nul ne vivra jamais. L’homme de l'espoir est un homme à bout de ressources et d’arguments, un homme vidé, littéralement « épuisé ». « L’espérance est le seul bien de ceux qui n’en ont pas » (Roger Bussy-Rabutin)
D’ailleurs, selon le dictionnaire, l’espérance est l’attente confiante de quelque chose, qui consiste à attendre qu’un souhait auquel on tient particulièrement se réalise. Et Kant déjà : à trop s’écarter de ce que vivons, de ce qui est, nous pouvons oublier de vivre le jour « ici et maintenant » ; nous pouvons donner crédit à des projets, des idéologies dont on ne connait pas les aboutissements. On risque d’être « intoxiqué d’avenir par abus de l’espoir … il faut nous libérer de la dépendance de l’espoir ».
Mais on peut défendre aussi que nos choix de vie doivent comporter une part d’idéal, d’utopie même : c’est l’objectif à partir duquel on va mettre en œuvre les moyens pour y parvenir, en dépassant le réel pour créer son projet de vie. Donc, dépasser l’espérance par le travail à faire, user de la volonté, pour arriver à sa réalisation, et ne pas se contenter de :« Sœur Anne, ma sœur, Anne ! Ne vois-tu rien venir ».
Tout ce qui s’est fait de grand, tout ce qui a fait progresser notre humanité, n’était au départ que dans le champ des possibles, des possibles que les individus n’imaginaient même pas. Il aura fallu des porteurs d’espoirs ; c’était en d’autres lieux, par exemple, Gandhi, ou encore Angela Davis…, pour qu’avec eux, d’autres se disent : oui, nous pouvons le faire. Et en d’autres temps, Giordano Bruno ou Copernic.
Espérer ce n’est donc pas que décourager le changement, et éteindre les révoltes, que rendre tolérable la servitude et faciliter la résignation. Ce n’est pas que l’antalgique qui permet de trouver la force de vivre, de « bricoler dans l’éphémère » (Cioran). C’est aussi : « Jusqu'à présent nous vivions dans l'angoisse, désormais, nous allons vivre dans l'espoir. » (Tristan Bernard)
Espérer n’est pas qu’un digestif qui, faute de rendre l’existence comestible, contribue efficacement à nous faire avaler la pilule, que la potion magique qui supprime la douleur par la seule perspective de sa suppression. Ce n’est pas : qu’importe le froid, qu’importe l’injustice, quand il reste l’espoir ! (Contrairement à ce qu’écrit Enthoven)
Parce que l’espoir ne supprime pas la connaissance, au contraire. De quoi témoigne celui qui dit « vivre de l’espoir », sinon que sa situation est précisément désespérée puisque, hors de l’espoir, il ne vivrait pas ?
Celui qui espère ne prend pas davantage son désir pour une réalité, que la petite fille ne prend la poupée qu’elle berce pour son enfant véritable.
Espérer, c’est aussi ce qui nous fait avancer, rêver, vivre et croire encore, de déployer en soi des ressources insoupçonnées, en nous faisant porter le regard vers un lendemain sinon meilleur, au moins différent.
N.Hanar
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NOTE
1- D’après une lecture du Phédon par Martin Legros – Philomag en Septembre 2024.
Socrate s’adresse à ses amis : « Je n’ai cessé, dit-il en substance, de vous inciter à vous détacher des affairements en tout genre dans lesquels vous entretiennent les sens et le corps. J’ai donné pour tâche au philosophe de s’arracher à la caverne du monde sensible. J’ai proposé à vos âmes de se détacher de leur enveloppe corporelle pour rejoindre le monde des idées. Je ne serais pas conséquent si au moment où cette séparation de l’âme avec son enveloppe matérielle va se réaliser définitivement, je la redoutais. Ce serait verser au “ridicule” dit-il : “Comment voilà un homme qui, sa vie durant, s’entraîne à une manière de vivre aussi proche possible de la mort et qui, lorsqu’elle survient, se révolte contre elle !” D’où cette définition, devenue presque canonique de la philosophie : “Ceux qui philosophent droitement s’exercent à mourir, et il n’y a pas homme au monde qui ait moins qu’eux peur d’être mort.”
Impressionnés par cette résolution, les compagnons de Socrate qui ont opiné à ses affirmations ne cachent pas leur scepticisme quant à l’idée que la mort est une libération permettant à l’âme de se délivrer du corps afin de vivre “sa meilleure vie”… Pour vaincre leur incrédulité, Socrate leur propose alors un surprenant “pari”, que l’on retrouvera, sous une autre forme, chez Pascal:
“Car voici mon pari (tu vas voir, mon cher ami, à quel point je suis avide de m’enrichir !) : supposons que ce que je dis se trouve être vrai, on ne pourra que se trouver bien de le croire. Supposons au contraire que, une fois qu’on est mort, il n’y ait rien. Eh bien, au moins, pendant tout ce temps qui précède la mort, je n’importunerai pas de mes lamentations ceux qui m’entourent” (Phédon, 91b, trad. Monique Dixsaut).
P.S. Même si j’avoue ma méconnaissance du grec, même si la traduction du terme grec utilisé dans le Phédon, par « pari » pourrait être « calcul », la lecture de Martin Legros de ce texte ancien, ne perd pas sa pertinence. Mais, de là, à écrire : « À l’occasion d’une lecture publique du Phédon ce week-end, je suis tombé sur un cas manifeste de plagiat intellectuel qui, à ma connaissance, n’a jamais été référencé. Il est pourtant de taille : si cela se confirme, Pascal, le grand Blaise Pascal, aurait “piqué” sa grande idée du pari à Platon ! »
Bernard.
Aimons-nous vraiment partager?
Partager est un terme polysémique et paradoxal.
Partager un bien immobilier dont on hérite, partager un continent comme cela s’est fait à Yalta, ou simplement partager un gâteau, c’est découper, fragmenter, morceler, faire des parts, créer de la diversité, à partir de ce qui était une unité, donc séparer et créer des parties distinctes qui sont alors incomplètes,.
Cependant, partager ensemble un appartement pour éprouver l’existence dans un espace commun, partager des sentiments ou des opinions, un pouvoir, des responsabilités, du temps, c’est « faire de l’unité », dans un sens diamétralement contraire au précédent, en supprimant de la diversité pour créer une unité, dans un espace commun. Qu’il s’agisse aussi du partage d’un bien matériel, ou de rendre accessible à autrui un savoir, une expérience, un sentiment, un avis, un repas, une amitié un amour ou des ennuis (bien que ce soit parfois la même chose), ce terme paradoxal de partage renvoie aussi bien à ce qui sépare qu’à ce qui réunit.
Par exemple, au sens de partage comme division, on peut citer Coluche : « Dieu a dit : “Je partage en deux, les riches auront de la nourriture, les pauvres de l’appétit.”» Et Prévert au sens de partage comme mise en commun: « Saint Martin a donné la moitié de son manteau à un pauvre: comme ça, ils ont eu froid tous les deux. » Ou: « Entre ma femme et moi le partage des tâches ménagères est équitable, je salis, elle nettoie».
J’ai utilisé l’humour, qui divise et réunit, pour illustrer que dans les deux cas « partager », signifie toujours : une action conjointe avec d’autres, le fait de prendre part à quelque chose ou pour quelque chose collectivement. Ainsi « partager » met l’accent sur les conditions de l’être-ensemble: la participation, la communication font partager. Seule la connerie, ne se partage pas, mais s’additionne (disait Audiard)!
Je comprends bien que notre sujet a été choisi pour nous demander si nous éprouvons vraiment une forte attirance envers ce partage qui réunit, qui crée du commun, et que la valeur que nous lui accordons, résulte d’une attirance qui surmonte l’attraction de notre ego, l’intensité de nos croyances ou l’attirance envers la conservation de nos biens. Mais il n’est pas possible d’écarter naïvement le contexte contemporain, contraire au dessein humaniste, qui montre une formidable percée, dans le domaine des idées, politiques ou communautaristes, (comme celles du wokisme), la préférence de beaucoup, à «garder pour soi », leurs possessions, leurs territoires et leurs «supposés savoirs », qui divisent l’humanité. (1) Une claire opposition à un quelconque amour du partage, à la bienveillance, à l’empathie et à la compréhension.
Simplement partager un repas, est une promesse de convivialité qui nous permet de développer notre goût (selon David Hume), de stimuler le plaisir de la conversation, de la discussion, afin de ne pas rester prisonnier de ses propres pensées et de faire société (selon Kant), en désamorçant toute forme d’animosité entre les convives et en partageant nos différentes valeurs.
Cependant, en même temps, nous ne mangeons pas tous la même chose du fait de différents interdits religieux ou traditionnels, et, comme le souligne Bourdieu, ce qu’il y a dans l’assiette trahit notre appartenance à différentes classes. Au-delà de sa fonction nutritive, le repas est aussi un marqueur social. Selon lui, les membres de la classe populaire auraient ainsi tendance à se retrouver autour de repas placés sous le signe de l’abondance et dans une atmosphère de familiarité, tandis que les bourgeois privilégieraient la qualité des mets et feraient du repas une « cérémonie sociale ». Ainsi, un simple repas montre les deux faces du partage que nous aimons tous, mais pas pour les mêmes raisons, et pas pour les mêmes résultats!
L’idéal d’une vie citoyenne devrait être une « vie partagée », une « vie ensemble » soucieuse d’une unité globale à produire malgré les différences entre les individus.
Des philosophes, comme Hobbes, avaient décrit un « contrat social » qui met en lumière la coopération en exigeant au moins une fois et à titre exceptionnel, pour sa réalisation, celle de tous. Or, ce partage sécuritaire, qui a débouché sur la démocratie telle que nous l’entendons de nos jours, mêlant un partage consenti des mêmes lois, et une limitation de l’exercice des libertés qui porteraient préjudice à autrui, ce n’est pas forcément quelque chose «que l’on aime», mais qui leur semblait nécessaire, dans le cadre du meilleur développement de l’humanité.
Pour la réalisation du contrat, il a fallu formaliser les interactions qui se font au sein de la société, des stratégies de coopération et de partage, qui l'emportent sur les stratégies agressives, par des codes de communication et des comportements, partagés par tous.
Partager, dans ce cas, ce n’est pas échanger, se céder mutuellement des biens que l’on possède, qu'il s'agisse de richesses, de valeurs, de signes etc., ce qui met fin à la relation, mais d’établir une relation à autrui fondée sur l’ouverture, la réciprocité, sur un « retour» équilibré, qui permet au partage de « faire sens ». Partager, signifie alors mettre à distance ce dont on peut se détacher, ne pas confisquer des idées et des croyances et opinions à son profit, et ne pas les rendre publiquement indiscutables, par le partage de ceux qui constituent une société, en plusieurs groupes différents. Les deux significations essentielles de « partager ».
Si le partage peut être une des formes idéale du rapport à l'autre en ce qu'elle constitue une relation à autrui fondée sur la réciprocité, comme une des manifestations de l'altruisme, de l'échange et du lien, il apparait pourtant que tout ne peut être mis en commun ou communiqué.
Il y a des souffrances, des joies, des expériences, des pensées, parfois jugées intimes, voire honteuses, impossibles à partager, du singulier impossible à mettre en commun. Et c’est probablement tant mieux. Alors nous aurions en commun, « en partage », ce fait même de ne pouvoir tout partager, cette vérité propre à nos vies : même si nous voulons partager beaucoup, nous ne pouvons tout partager.
Nietzsche écrivait que nous partageons le fait d’être vivants, de participer du mouvement de la Vie, mais qu’être à la hauteur de cette vie exige de nous que nous nous singularisions au point de ne pouvoir tout partager. (Cité par Charles Pépin).
Lorsque Descartes écrit : « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », il ne se trompe pas pour ce qui est de la présence du bon sens en chacun, mais il se trompe en pensant qu’il est le même pour tous. Il y a du singulier impossible à mettre en commun.
Même si nous aimerions partager, par empathie et engagement, même si les états nous obligent à le faire involontairement par la redistribution et que d’admirables associations nous y poussent à le faire volontairement, peut-on vraiment considérer cela comme une inclination, une pulsion, comparable à de l’amour ? Le partage est bien une ouverture, par la distance qu'il établit avec soi et avec autrui, qui devrait permettre la réappropriation par chacun, du discours ambiant, égoïste et consumériste, qu'il se situe dans le domaine physique, matériel, ou dans celui des idées et des pensées, par la coopération avec autrui. C’est pourquoi il faudrait vraiment l’aimer !
Or, dans les faits, le partage a été déqualifié, par le court terme: l’inégalité sociale s’étant creusée, les compétences de la coopération se sont perdues ou ont été dévoyées. D’où de multiples tribalismes, faisant de la coopération comme du nous-contre eux, qui triomphent quand la différence devient insupportable, dangereuse ou angoissante. Il est alors loin de l’esprit de compromis, ou de sympathie universelle, du partage, dans des sociétés partagées.
L’idéal du partage n’est plus un absolu, et ceux qui, par charité, se dépouillent de ce qu’ils donnent aux démunis, éprouvent du commun lorsqu’ils ressentent la souffrance d’autrui, ne le font plus que dans le cadre de la communauté à laquelle ils ont le sentiment d’appartenir. S’il s’agit bien d’un amour sincère du partage, il s’inscrit cependant dans des limites !
John Rawls (professeur de philosophie à l’université de Harvard dans les années 1960 aux États-Unis), s’interroge sur la crise d’identité américaine, la lutte pour les droits civiques, la pertinence de la désobéissance civile. Il se demande comment tenir compte de la pluralité des revendications communautaires: comment réduire les inégalités criantes dans l’accès aux meilleures fonctions sans saboter le projet libéral américain ? Pour l’auteur de Théorie de la justice en 1971, la solution passe par une remise à plat de ce qui fonde une société équitable. Puisqu’on peut s’attendre à ce que chaque acteur de la future société soit tenté de faire prévaloir les intérêts de sa communauté d’origine, il faut dégager des règles de justice qui ne dépendent pas des opinions de chacun.
De telles règles ne sont possibles que si elles sont indépendantes des convictions communautaires de ceux qui les choisissent, que si, grâce à ce qu’il nomme un idéal et fictionnel « voile d’ignorance », les contingences (comme les dons naturels) et les inégalités (comme la position de classe) sont annulées. La négociation sur les règles de justice, permettant le partage, devient alors équitable, puisque personne ne peut favoriser sa condition particulière. Mais cela suppose que l’on puisse imaginer que les futurs membres de cette société ignorent au moment où ils choisissent les règles de justice la place qu’ils occuperont en son sein. Cette place pouvant être celle du plus défavorisé, on peut présumer qu’ils s’interdiront d’adopter des règles qui nuisent au plus faible. Mais l’histoire récente de l’Amérique a montré que cet idéal de justice est loin d’être partagé. Encore un amour du partage resté utopique.
Peut-être parce que le partage doit être un juste rapport aux autres dans lequel chacun a le droit de prendre sa part, même si les parts ne sont pas identiques, mais idéalement adaptées aux besoins de chacun.
Les êtres humains sont fragiles, incapables de se suffire à eux-mêmes et dépendant des autres pour leur survie. Ils sont donc conduits à accepter de collaborer avec les autres et de se défaire d’une part de ce qu’ils possèdent pour partager, d’autant que la plupart des ressources disponibles ont un caractère limité.
Alors, ce transfert de ce qu’une personne possède à une autre, qu’il s’agisse de savoirs, de biens, d’assistances, ce « partage avec », ce don à quelqu’un d’autre de ce qu’un individu possède ou maitrise, est-ce fait par un intérêt altruiste (l’amour de l’autre), par un intérêt économique (l’amour égoïste de la possession), du fait d’une conception morale de l’existence (l’amour du bien), ou par intérêt personnel de ne pas enfreindre les règles en vigueur dans la société, d’éviter de se mettre en opposition aux autres et, au contraire, de s’associer à eux pour être plus fort (un amour civique) ? Ce qui fait beaucoup de choses que l’individu aime et qui induisent le partage, mais pas pour les mêmes raisons. Certaines ressemblent à l’amour qui peut résulter des obligations d’un mariage arrangé !
Dans une famille, s’il y a parfois du chacun pour soi, l’essentiel est l’intérêt pour l’autre: l’amour et la solidarité au sein du couple, entre parents et enfants, etc… Or les liens familiaux s’imposent à ses membres : on ne choisit pas sa famille, on dépend d’elle comme elle dépend de chacun de ses membres. La famille est donc bien un lieu de partage spécifique, et même souvent celui qui compte le plus dans la vie des gens, et il est possible de la situer entre obligation et amour pour l’autre.
Dans nos sociétés ou l’on constate le primat calculateur de l’économique, les liens familiaux et affectifs, nécessaires au départ pour l’épanouissement de l’enfant, l’amour mutuel des différents membres, se fait de plus en plus de manière négociée, pour ce qui est des moyens d’existence, d’éducation, d’instruction et même de sexualité, sous le mode d’un consentement réciproque. Il ne reste plus grand-chose de l’amour du partage spontané.
Au mieux, ce sont des « partages » qui désignent le fait d’avoir ou de faire en commun quelque chose avec quelqu’un. On ne transmet pas vraiment quelque chose à d’autres, mais on participe (on prend part) à une réalité commune. On peut ainsi partager le même logement, des sentiments, des centres d’intérêt, des valeurs, des opinions, des responsabilités ou des engagements divers… Il n’y a plus ici celui qui apporte et celui qui reçoit mais toutes les personnes concernées se retrouvent au sein d’une même réalité partagée.
Nous disposons tous d’une capacité de bienveillance: « C’est vouloir du bien à quelqu’un, donc lui en faire » écrit Comte Sponville. C’est porter sur autrui un regard aimant, compréhensif, sans jugement, en souhaitant qu'il se sente bien, et en y veillant.
Elle ne relève pas de l’obligation de respecter les règles en vigueur dans un milieu donné sous peine de se voir sanctionné, mais de la liberté d’en faire ou non le choix. Nos cultures interviennent dans cette décision. Les religions monothéistes ont érigé les principes moraux en interdits religieux : « Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne prendras pas la femme de ton voisin, ni rien de ce qui est à lui… », etc…C’était partager la vie en société depuis l’amour du prochain fondé sur l’amour de Dieu: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit et ton prochain comme toi-même. ».
La laïcité a fait que les religions qui faisaient partie de l’espace public, se trouvent aujourd’hui renvoyées dans l’espace privé. Dans les États respectant la laïcité il n’est plus nécessaire de les mêmes convictions religieuses pour vivre ensemble : le fondement du partage et de sa réciprocité a été trouvé dans la reconnaissance de l’égale dignité de tous les êtres humains et de leur spécificité, proclamée par les diverses déclarations des droits de l’homme. Cette idée du partage ne repose pas sur l’intérêt privé ou l’intérêt collectif, mais sur l’intérêt pour autrui en tant que personne, déterminant l’ensemble des relations sociales.
Ce n’est pas seulement l’obligation de donner, de recevoir ou de rendre, propre au don, mais l’appoint de la nécessité, pour vivre, d’un partage réciproque : recevoir des autres à la mesure de nos besoins, leur apporter dans la mesure de nos capacités.
Mais il résulte de la laïcité surtout un partage de la pensée : chacun peut s'exprimer et avoir ses opinions propres sans interdit et sans opposition, qu’il s’agisse de croyances religieuses, d'athéisme ou de politique.
Aimons-nous vraiment ce partage de positions diverses lorsqu’elles sont contraires aux nôtres ?
Il s’agit, en fait, d’un pari «pascalien»: d’abord parce qu’on ne peut pas se regarder en chien de faïence en attendant que ce soit l’autre qui fasse le premier pas, vers une union, une coopération, un partage. Il faut bien que quelqu’un commence ! Ensuite, c’est un pari qui n’interdit pas d’avoir à supporter le désaccord, les tensions, la colère, les pressions et les intimidations, les comportements agressifs, et les ironies cinglantes.
Comme notre identité ne se construit que dans un processus complexe de reconnaissance mutuelle: je n’existe que par rapport au regard de l’autre, qui dépend du mien, je ne suis rien sans le lien du partage, qui passe par des phases d’échec et de lutte.
C’est donc un pari sur la raison, qui tente de ne pas rester figée par des cultures, des normes rigides ou des usages, plus ou moins tyranniques. Le partage est un pari que l’on aime risquer, même si nous pouvons y perdre pouvoir, repères, et stabilité, mais qui correspond à la fondamentale curiosité au désir d’explorer le monde, à tout ce qui attire la volonté humaine. (2)
C’est peut-être ainsi que le monde du partage remplacera le partage du monde.
N.Hanar
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NOTES
1-Posséder, c’est avoir la jouissance ou l'usage de quelque chose, et pouvoir en tirer profit, bénéfice et jouissance, pour soi, s’en emparer pour son usage propre.
Partager correspond à se séparer de ce qu’on possède, par sa mise à disposition à tous. C’est pourquoi, de Socrate à Bouddha en passant par Confucius, les grands sages du vivre ensemble ont toujours manifesté une certaine méfiance vis-à-vis de la possession et ont donné l’exemple, dans leur vie même, d’un détachement envers les biens de ce monde.
Pour donner ou partager, il faut bien posséder. La possession est ce qui permet le partage.
2-Ainsi, même les idées utopiques peuvent se réaliser. La fin de l’esclavage, la démocratie, l’égalité hommes-femmes, avant de devenir réalité, n’étaient que des rêves utopiques, conçus souvent, par des personnes d’abord discréditées, perçues comme irréalistes, déraisonnables et pas toujours aimables… Des individus prêts à aller à contre-courant, à mettre les pieds dans le plat pour en mélanger les ingrédients.
La vérité se réduit-elle à ce que l’on croit savoir ?
Ce sujet réunit trois concept importants de la philosophie: vérité, croyance et savoir, auxquels sont attachés de multiples sens, selon les époques, les connaissances et les références culturelles de leur utilisation. Ce qui nécessite de ne pas trop se perdre dans leurs définitions, afin de permettre une réflexion et un débat.
Nous sommes séparés du réel par les moyens qui nous servent à le connaître: nous ne connaissons le monde que par l’intermédiaire de nos outils de perception et d’expérimentation. Les phénomènes, les faits, nous apparaissent à travers nos sens, sont interprétés par notre culture, notre éducation, nos capacités et nos facultés intellectuelles, qui peuvent déformer ce qui constituera le contenu de nos savoirs.
Or, malgré ces obstacles, certains défendent que ces savoirs restent indépendants de la manière dont ils sont perçus, sont conformes à la réalité, adéquats aux faits tels qu'ils se sont réellement déroulés et constituent alors, pour eux, LA Vérité, conçue comme une adéquation certaine, entre leur perception du monde et la réalité : la vérité se réduit-elle alors à leurs savoirs, une supposée connaissance vraie du monde ?
C’est ce que notre sujet, nous demande de questionner.
Lorsque ceux-là expriment LEUR vérité, ils le font avec sincérité et honnêteté. Ils pensent dire vrai, sans se tromper, sans mentir, mais ils ne se portent garants que de l’exactitude avec laquelle ils racontent ce qu’ils ont perçu, ce qui correspond à la véracité des faits. Or, l’expérience montre que la véracité d’un témoignage, ne correspond pas souvent à la vérité des faits! (1)
Kant écrivait: “Il peut se faire que tout ce qu’un homme tient pour vrai ne le soit pas (car il peut se tromper), mais en tout ce qu’il dit, il faut qu’il soit véridique.” Pour Kant, nous avons tous le droit de dire ce que l’on croit savoir, d’un droit subjectif à la véracité, qu’il distinguera, en réponse à Benjamin Constant, d’un droit à la vérité dont personne ne saurait prétendre qu’il la possède, parce que la vérité, elle, désigne un jugement objectif sur l’état réel des choses. La vérité est dotée d’un caractère universel, plus vaste, qui ne se réduit pas à ce que l’on croit savoir, de l’opinion toujours particulière, du ressenti, des croyances installées, et des dogmatismes qui pensent posséder la vérité, à priori.
Si la vérité est « universelle », « absolue », qu’elle rejoint ce que la philosophie a appelé la « chose en soi », l’objet de la connaissance, tel qu'il existe en lui-même, indépendamment de la connaissance que nous pouvons en avoir, elle révèlerait une adéquation parfaite entre ce que nous en percevons et ce qu’elle est réellement. Ce serait une vérité définie comme excluant tout jugement individuel, mais que nous ne saurions pouvoir atteindre du fait des limites de notre sensibilité et de notre condition humaine.
Ne faut-il pas, néanmoins, ne pas mettre en doute qu’elle existe néanmoins, ne se réduisant pas à ce que l’on croit en savoir ?
Cette impossibilité de l’atteindre, fait même écrire à Comte Sponville, que la vérité « universelle et absolue », avec un grand « V », indépendante de tout rapport avec des faits, n’existe pas. Mais qu’elle est nécessaire à la raison parce qu’autrement «il n'y aurait aucune différence entre un délire et une démonstration, entre une hallucination et une perception, entre une connaissance et une ignorance, entre un faux témoignage et un témoignage véridique, entre un savant et un ignorant, entre un historien et un mythomane », et qu’ainsi «tous les discours se vaudraient et ne vaudraient rien (puisqu'on pourrait dire aussi bien, ou aussi mal, le contraire de ce qu'on dit). Ce serait la fin de la raison, et de la déraison. Si rien n'est vrai, comme le voulait Nietzsche, que reste-t-il à vivre et à penser ? S'il n'y a pas de faits, s'il n'y a que des interprétations, selon la formule de La volonté de puissance-, le monde même se dérobe : il n'y a plus que des discours sur le monde ».
Ainsi, même si la vérité nous est inaccessible, il nous faut considérer que c’est néanmoins possible afin d’éviter les rapports de forces conflictuels des interprétations. « C'est le monde de la guerre, du marché et des médias et du simulacre. C'est notre monde. Plutôt c'est ce que certains voudraient qu'il soit, un monde sans être, sans réalité, sans vérité, un monde sans consistance, un monde virtuel, où il n'y aurait plus que des [ ] simulacres et des marchands, un monde pour rire, comme un jeu de l'esprit». (2)
Pour en sortir, continue Comte Sponville, il faut « un retour décidé à l'idée de vérité » pour « échapper au relativisme intégral », ou au scepticisme permanent [ ].
La vérité se réduit-elle à ce que l’on croit savoir ?
Blaise Pascal, (1623-1662) mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, reconnaissait les limites de la déduction rationnelle: il est des vérités qu’on ne peut prouver (pour lui l’existence de Dieu). C’est pourquoi il ne faut, selon lui, ni exclure la raison, ni n’admettre que la raison, parce qu’il y a des limites à notre logique. Mais il ne convient pas, pour autant, de se contenter de: « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà [ ], le contraire d’une vérité n’est pas nécessairement une erreur, mais l’oubli d’une vérité contraire. »
Sinon, si la vérité se réduit à ce que l’on croit savoir, ce sera « A chacun sa vérité », une vérité uniquement subjective et relative, chacun pouvant disposer d'une vérité qui ne serait que la sienne. Mais une vérité qui n'est vraie que pour moi et qui ne l'est pas nécessairement pour les autres, est-ce encore une vérité ?
Il nous faut la penser universelle et accessible, non réductible à ce que l’on croit savoir: il serait absolument absurde, par exemple, de soutenir que chacun a sa propre définition du triangle, ce qui conduirait à renoncer à toute science possible, comme admettre que chacun est libre de penser ce qu'il veut quant à la réalité de tel événement historique singulier, conduirait à renoncer à toute connaissance de l’histoire ou de l’humanité.
Considérer qu’elle soit accessible est le nécessaire point de départ de toute recherche: la réflexion et la raison ont d'abord pour rôle d'examiner, de critiquer « ce que l’on croit savoir », qui sera, alors, soit éliminé si l'on met au jour sa fausseté, soit conservé, si on peut le démontrer.
C’est par la confrontation des « vérités de chacun », leur remise en cause en commun, que pourront être mises au jour les insuffisances éventuelles de chacune. Ce qui implique que chaque interlocuteur ait en vue, non la seule défense de son opinion propre, mais l'horizon d'une vérité universelle que peut être nul d'entre eux ne détient encore ou ne détiendra peut-être jamais– et qui nécessite le dépassement et l'abandon de toute subjectivité. « On ne peut rien fonder sur l'opinion », disait Bachelard, « il faut d'abord la détruire ».
Admettre que la vérité ne se réduit pas à ce que l’on croit savoir est essentiel, parce que nos savoirs, qui sont la somme ou la synthèse de toutes nos connaissances, sont tout de même, ce qui permet nos actions, nos pensées et nos comportements.
Nous avons donc besoin de « croire savoir », pour mener notre vie, en essayant néanmoins de distinguer ce qui relève de l’opinion, qui sacralise l’avis et met l’expérience sensible et intellectuelle personnelle, en étalon de ce qui est vrai. De distinguer aussi ce qui relève de certaines croyances, qui rendent nos savoirs indiscutables, en les pensant comme vrais, hors de toute démarche critique.
Même si nous ne sommes pas aptes à penser absolument en toute objectivité, et ainsi à accéder à une vérité dépassant « ce que l’on croit savoir », nous pouvons, au moins, décrire les faits et les événements, le plus précisément possible, afin de nous approcher d’une vérité qui n’appartiendrait pas qu’à nous.
Philosopher d’ailleurs, consiste d’abord à s’ouvrir au dialogue pour sortir de la caverne, à penser autrement, voire contre soi, à changer de point de vue, plutôt que s’accrocher à ce qu’on sait ou croit savoir. Les « supposés savoirs » ne doivent être considérés que comme des Vérité Intermédiaires Provisoires.
Ce qui ne remet pas en cause nos savoirs, mais permet, en plus, de penser tous les possibles.
Ainsi, la question n’est plus celle du décalage qui existe entre le monde et la vision que l'on en a, d’une vérité qui se réduit à ce que l’on croit savoir, face à une vérité universelle inaccessible, mais celle de l’ouverture de l’esprit à une représentation du monde qui n’est plus prisonnière de son propre point de vue.
Comme l’explique Sartre, nous disposons de l'Imaginaire, le produit de cette faculté qu'est l'imagination, qui permet de penser en changeant de champ de pensée, d'échapper aux contraintes du donné: la conscience peut à tout moment se décrocher, prendre de la distance, pour s'arracher aux contraintes de la perception et des savoirs: « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n'en rêve votre philosophie » «écrivait déjà Shakespeare, qui ne faisait pas d’Hamlet sans casser des œufs.
Il y a quand même une différence entre croire qu’il va pleuvoir alors que l’on voit des nuages arriver, et croire que des individus ont été faire un tour dans des soucoupes volantes extraterrestres, entre un récit conforme à ce qui s’est passé, qui dit la vérité: il a plu cet après-midi, la terre tourne autour du soleil, la gravité attire les objets que l’on lâche vers le sol et un récit qui dit ce que l’on pense et ressent: la démocratie est foutue, le président est un con, (même si la concordance est une possibilité), ce qui ne correspond qu’à la vérité de celui qui parle, tout en le confortant dans ses croyances.
La vérité se réduit-elle à ce que l’on croit savoir ?
Mais, comme le savoir, est le résultat d’une initiation : la transmission des parents, puis des enseignants, des lectures, d’expériences particulières (les nôtres et celles de nos proches), il ne peut s’installer en nous sans que nous y croyons, sans que nous ne le considérions comme vrai : je ne peux pas autrement, " savoir " que la terre tourne autour du soleil, ou que l’Histoire du monde que l’on m’enseigne correspond bien à ce qui s’est passé.
En ce sens, le savoir n’exclut pas la croyance, n’exclut pas « ce que je crois savoir », et repose même en un certain sens sur elle. Parce que nous devons tenir certaines choses pour vraies, pour pouvoir produire des actions et des comportements.
Le savoir vrai ne se réduit pas aux sciences dites dures. Dans les sciences physiques, aucune théorie n’est jamais définitivement ni absolument considérée comme vraie. Elle l’est tant qu’aucun fait nouveau, aucune découverte ne sont venus la contredire. Pour autant, le savant qui adopte cette théorie et l’utilise fait comme si était vraie.
Si la vérité nous dit bel et bien quelque chose du réel et nous permet d’y agir, ceci n’exclut pas sa dimension d’idéal asymptotique, une valeur vers laquelle on tend, sans jamais l'atteindre.
C’est ce qu’Einstein et Infeld, pensent de la vérité objective. En physique, les concepts sont des « créations libres » de l’esprit dont nous ne pouvons vérifier la conformité au réel. Les vérités font consensus de façon temporaire au sein de la communauté scientifique, mais une nouvelle expérience ou une nouvelle théorie pourraient les démentir. Même s’il ne s’agit que d’une convention temporaire, produite par une discussion, une méthode et un accord, même si ce n’est pas une vérité qui se prétend définitive, elle constitue néanmoins un authentique pouvoir sur le réel.
Par contre, les sciences humaines et sociales, l’histoire n’apportent pas le même genre de preuves en définissant des « vérités ». L’historien ne peut prouver par A+B ou par la présence de traces génétiques que César a bien franchi le Rubicon, mais il s’appuie sur des témoignages de l’époque, des documents historiques, des traces archéologiques qui rendent son travail objectif. Néanmoins, celui-ci comportera toujours une part de croyance car on ne peut pas prouver définitivement la valeur d’un témoignage. Un faisceau d’indices concernant sa validité atteste de sa valeur de vérité mais il subsistera toujours un doute.
Tout l’édifice du savoir humain repose sur un ensemble de croyances partagées. Aucun savoir ne pourrait jamais s’élaborer sans une base de vérités considérées par tous comme absolues, c’est-à-dire évidentes en elles-mêmes (par exemple, l’idée que le monde existe indépendamment de moi, et qu’il s’y déploie certains phénomènes observables que je peux analyser, puisqu’ils ne sont ni fictifs, ni des frasques de mon esprit). Mais qu’il subsiste toujours une doute est l’une des principales garanties de l’objectivité que recherchent tous ceux qui ne se contentent pas de ce qu’ils « croient savoir ».
Croire, croire savoir, ce n’est pas QUE donner son assentiment à ce qui ne se démontre pas par un raisonnement objectif, juste et vérifié. C’est aussi donner un moteur à des actions (il faut croire que c’est possible pour se lancer, croire que des hypothèses sont possibles pour chercher), ce qui résout aussi temporairement les problèmes provoqués par les brèches de la connaissance, comble la nécessité déstabilisante d’expliquer l’inexplicable, la peur du vide, l’incapacité à accepter son ignorance, lorsque la raison est mise en échec.
Sauf lorsque la croyance se pétrifie en une autorité dogmatique et interventionniste, utilisée pour construire une conception du monde qui implique obéissance et soumission en imposant à tous, ce qu’il faut croire, dire ou penser, réduisant la vérité à ce que l’on croit savoir!
Nous devons admettre que la vérité ne se réduit pas à ce que l’on croit savoir, comme, par exemple, que l’esclavagisme, le sexisme, le racisme, le totalitarisme sont moralement des choses mauvaises sans que cela soit démontrable scientifiquement car dans le domaine moral, nous ne sommes plus entièrement dans le domaine du savoir. Des principes reposant sur des croyances ce qui n’enlève rien à leur pertinence et à leur bien-fondé.
Sans un socle de croyances communes, aucune société ne peut vivre et s’épanouir, même si elles ne sont jamais partagées par la totalité des membres qui la composent.
La vérité se réduit-elle à ce que l’on croit savoir ?
Le discours qui oppose le vrai au faux, une vérité universelle et une vérité relative, le savoir à la croyance, est dépassé parce que le monde est complexe et que la compréhension du réel n’est pas binaire. Jamais, dans les faits, les croyances et les savoirs n’ont entièrement correspondus à ces clivages de manière cohérente.
En conclusion : Julian Assange, est poursuivi par les Etats Unis, qui demandent en ce moment, son extradition depuis le Royaume Uni, pour avoir dévoilé des documents confidentiels concernant l'activité des Américains en Afghanistan et en Irak (WikiLeaks). Assange, qui risque une peine de 175 ans de prison dans un pays qui se veut à la fois victime, procureur et juge, a diffusé des informations qui ne faisaient que révéler des informations vraies", mais qui tombent sous le coup d’une infraction d'espionnage, anachronique et politique, datant de 1917.
Assange avait la conviction que nous avons tous le droit de connaitre les faits qui se sont véritablement déroulés.
Une conviction, c’est l’état d'esprit de celui qui croit fermement à l'importance, à l'utilité, au bien-fondé de ce qu'il pense, et qui a la certitude d’avoir conscience d’une vérité qui dépasse celle qui résulterait de sa propre vision du monde, susceptible de rassembler le plus grand nombre.
Robert Badinter incarnait une conviction: la défense d’une seule vraie valeur, la vie humaine, plus forte que tout, indépassable en toutes circonstances. Alors, imperméable aux sondages, indifférent à son image, il a défendu Patrick Henry, odieux tueur d’enfant, ou milité pour la libération de Maurice Papon, préfet complice des nazis, et participé à la suppression de la condamnation de l’homosexualité, parce que « il y a toujours un moment où l’humanité doit prévaloir», quitte à se confronter aux colères de l’opinion publique, plutôt que de changer d’avis.
Comme Robert Badinter qui incarnait l’antithèse de la démagogie et du populisme, ces deux cancers qui rongent les démocraties, en osant défendre ses convictions, au lieu de naviguer au gré des courants, des opinions, des influenceurs séducteurs, et des algorithmes utilisés par un dirigeant totalitaire, Alexeï Navalny, par sa lutte anti-corruption incarnait les actions de ceux qui croient que leurs actions peuvent élargir la vision d’une vraie liberté, érigée en valeur absolue, qui dépasse celle dont les limites sont imposées du dehors, par le refus de discussions et de débats, bornée par les croyances et les convictions de ceux qui réduisent la vérité à ce qu’ils croient savoir.
La vérité, pour chacun de nous, se limite à ce que l’on croit savoir, mais ne s’y réduit pas !
Il n’y a pas de réponse simple à notre portée pour un problème aussi complexe, mais la science, l’échange avec les idées différentes d’autrui, l’approche des pensées autres, politiques, philosophiques, artistiques ou littéraires, nous permettent de penser que la vérité, celle qui ne se réduit pas à ce que l’on croit savoir, existe bien, mais que l’on ne peut, au mieux, que tenter de l’approcher.
N.Hanar
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NOTES
1-Le courage de la vérité. Foucault - Le concept central de parrêsia – « dire la vérité » – est ici précisé dans sa dimension d’acte. S’il doit y avoir dans ce dire « un lien fondamental entre la vérité dite et la pensée de celui qui l’a dite », si elle implique deux interlocuteurs, celui qui dit la vérité et celui à qui elle est adressée, il y faut pour cela une certaine forme de courage. C’est celui de Platon lorsqu’il va voir Denys l’Ancien, lorsqu’il assume le risque de proférer à l’intention du tyran des vérités qui peuvent lui coûter la vie. La parrêsia s’oppose à la rhétorique, laquelle ne se soucie ni de la vérité ni ne suppose le courage.
2- L’opinion, contre laquelle luttait Platon, infeste à nouveau la raison. Il s’est même trouvé des philosophes bien décidés à « renoncer à l’idée de vérité », d’après la fameuse phrase de Nietzsche, « il n’y a pas de faits, juste des interprétations », qui ne cesse de projeter son ombre sur notre rapport à la vérité. Or la vérité n’est pas soumise aux aléas de l’opinion. Nous devons réaffirmer la nécessité du vrai face au relativisme généralisé. Et aussi au "bullshit", du philosophe américain Harry Frankfurt, auteur de l'essai De l'art de dire des conneries, en 2005: c'est mentir délibérément pour cacher la vérité, la déformer à son avantage ou convaincre en la détournant. Donc maintenir un rapport avec la vérité, sans se soucier de la vérité.
Selon Gérald Bronner, Donald Trump peut enchaîner les mensonges sans que ses fans ne s’en rendent compte, « parce qu’ils ne les vérifient pas !
Ce n’est pas qu’ils ne tiennent pas à la vérité, mais ils ne se confrontent pas à la contradiction. » Il est tellement plus facile de se laisser aller à ses croyances, ce « bonbon »… Les algorithmes ciblent nos goûts, les réseaux sociaux nous confortent au sein d’une communauté d'« amis » pensant comme nous. Et nous voilà réduits à « l’insularité cognitive », en « nous enfermant dans un univers mental qui nous ressemble. »
Les faits erronés et les théories du complot, amplifiées par les nouvelles technologies, comptent parmi les fléaux de nos sociétés numériques. Ils peuvent remettre en question des vérités scientifiques ou des événements historiques.
On est même allé jusqu'à demander aux "Français" ce qu'ils pensaient de l'efficacité de l'hydroxychloroquine pour soigner le Covid-19 en avril 2020, alors même que la science n'avait pas encore tranché cette question ! Il s'en est trouvé 79 % pour avoir un avis.
De plus, « Nous savons qu'il y a un réchauffement climatique qui nous menace ; pourtant nous nous comportons collectivement comme si nous ne le croyions pas réellement. C'est là un fait enraciné dans la pensée humaine qui avait été repéré par Pascal. Il rappelait que les humains se savent mortels mais qu'ils font tout pour ne pas le croire et se distraire de cette certitude. On peut déplorer cet aveuglement volontaire ; cependant, si l'on y réfléchit un instant, on peut le voir aussi comme l'une des clefs qui ont assuré jusque-là notre survie ». (Gerald Bronner).
L'être humain a toujours été réceptif aux fausses informations mensongères qui ont toujours existé. La faute en incombe à son cerveau, comme le montrent les neurosciences. Nos méninges, explique Albert Moukheiber, cherchent à construire une vision globale du monde, quitte à nous faire prendre la fiction pour la réalité. "Le cerveau opère sans cesse des réductions de l'ambiguïté [...] afin de nous présenter un réel stable et cohérent." Les mécanismes cérébraux qui se déclenchent au contact de fausses informations sont les mêmes que ceux impliqués lorsqu'on assiste à un tour de magie ou lors de la mise en route de la mémoire.
A cela s'ajoute un biais cognitif particulier appelé l'effet Dunning-Kruger : lorsqu'il est confronté à un domaine qu'il ne connaît pas, le sujet a tendance à surestimer ses connaissances. Trop confiant, il est enclin "à prendre pour vérité définitive des idées simplistes et fausses", précise le scientifique. Un autre chercheur, Matthew Motta, a voulu mettre en lumière cet écueil en travaillant avec des militants anti-vaccins. Il a demandé à certains d'entre eux de regarder un film qui affirme, sans aucune preuve scientifique, que la vaccination contre la rougeole, la rubéole et les oreillons accroît le risque de souffrir d'autisme. A la fin du visionnage, la majorité des témoins étaient convaincus de mieux maîtriser le sujet que les spécialistes.
Tout le monde peut basculer dans le conspirationnisme ou être victime de fake news. Albert Moukheiber en appelle donc à la modestie de chacun : "Alors que nous sommes soumis à un flot continu d'informations, le défi est moins de lutter contre l'ignorance que de combattre l'illusion de connaissance."
Le psychologue clinicien rappelle que notre cerveau préfère justifier et conserver les opinions personnelles plutôt que de les remettre en question ; donc prendre des distances avec les énoncés relevant du pathos ou de l'émotion ; prêter attention aux arguments étayés. Une bonne manière de préserver la santé de la démocratie.
(Le mouvement Woke n'est que le dernier avatar d'un processus de déconstruction qui, depuis plusieurs décennies, mine nos démocraties. Quelques idées le résument. Tout pouvoir, toute autorité est une oppression qu'il faut débusquer. Tout savoir doit être déconstruit, car il est le produit d'un pouvoir. Toute distinction cache une hiérarchisation. Tout langage reflète une domination qui masque la vraie réalité.
C'est là que s'invite une autre victime de taille, la planète elle-même, opprimée par la même civilisation. Le mouvement de libération de cette oppression, c'est l'écologisme radical, l'écologie dite "profonde", qui est à l'écologie ce qu'est l'islamisme à l'Islam. On utilise explicitement la peur ("Je veux que vous paniquiez", comme le dit Greta Thunberg). Car, si l'on pense que l'humanité est menacée de disparition à brève échéance, que notre planète est trop petite pour trop d'hommes, et que l'on tourne le dos au progrès pour résoudre nos problèmes, il n'y a pas d'autres solutions que de proclamer l'état de guerre, la suspension des libertés et de la démocratie pour engager à marche forcée la décroissance. Le véritable ennemi de la planète, c'est donc l'homme lui-même et, dans une approche malthusienne, il faut en réduire le nombre. La planète a des droits supérieurs à nos pauvres droits humains). Wokisme, (par Alain Madelin) –
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Qu’est-ce que le progrès ?
A l’origine, le progrès, du latin «progressus», était synonyme d’une marche en avant, littéralement l'action d'avancer, une progression sur un chemin. Il semble que ce soit chez Cicéron, (106-43 av. J.-C.), puis chez Francis Bacon (1561-1626), au XVIe siècle, que le terme bascule vers le sens plus métaphorique, d’une amélioration, d’un accroissement de la connaissance, des savoirs humains, et de l'épanouissement de la morale et de la liberté de l’humain. Comme nous en saurons toujours de plus en plus, nous accroitrons la capacité de nos actions à aller du moins bien vers le mieux, et tout ira de mieux en mieux. La dernière des étapes sera toujours considérée préférable et meilleure que la précédente.
Une première bascule du sens se produit à partir de la Renaissance, et surtout des Lumières au XVII siècle, l’idée d’associer le progrès à un développement des techniques et de la science, prend le pas sur celle d’une croissance spirituelle, parce que le progrès est difficile à évaluer, sauf dans les domaines techniques, où il est susceptible d’être quantifié.
Ensuite une fracture se produit peut être au 20e siècle ou le rapport à la technique devient foncièrement ambigu et paradoxal. Ce que montre son étymologie : « progresser : marcher en avant »… Mais vers où ?
Nous connaissons du progrès le meilleur et le pire, l’antibiotique et la catastrophe nucléaire, l’efficacité de la médecine et le clonage. Chacun peut être à la fois enthousiaste et sceptique face au progrès. Bien que l’humanité sache depuis toujours que le même couteau peut être une arme comme un outil, nous pensons nous trouver dans la même configuration problématique que Prométhée ou subir le châtiment des constructeurs de Babel. Le progrès dit alors quelque chose du tragique de la condition humaine.
“Le progrès et la catastrophe sont l'avers et le revers d'une même médaille”, écrit Hannah Arendt.
Or, se focaliser sur les deux faces d’une même médaille, fait oublier la médaille, et nous devons être attentifs à ne pas privilégier le point de vue, l’opinion que l’on en a, et alors faire n’importe quoi ou ne rien faire
Ce point de vue est souligné par Comte Sponville: « Le progrès (social, politique, économique, technique...) n'est progrès, que relativement à certains désirs qui sont les nôtres (de bien-être, de justice, de liberté...). C’est un point de vue sur l’Histoire ». Un changement vers le mieux, est une notion subjective et « progrès » est alors un terme essentiellement relatif, puisqu’il dépend de l’opinion et de l’échelle de valeur de celui qui le pense.
L’évolution, par exemple, désigne le passage progressif d'un état à un autre, alors qu’e la notion de progrès suppose, de plus, une amélioration. Selon les astrophysiciens, l’univers serait né il y a 14 milliards d’années dans une déflagration nommée " big-bang " où se formèrent le soleil et les planètes qui l’entourent. Sur la Terre, la vie s’éveilla et le 1er hominidé, capable de pensée réflexive, y fabriqua le 1er outil. L’univers est ainsi considéré comme un processus évolutif, réglé par une succession de phénomènes : il a un âge et une histoire. L’évolution peut être considérée comme un progrès, comme ce qui aboutit à un état irréversiblement différent de l’état initial si l’on pense qu’elle produit un aboutissement préférable à tous les états antérieurs. Or aujourd’hui, cette évolution n’est plus considérée comme un progrès par ceux qui considèrent que l’humain n’est qu’un virus qui détruit la planète et perturbe son évolution.
En perdant la « médaille évolution » de vue, au profit de l’une ou l’autre de ses faces, l’image de l’évolution perd l’instable, l’éphémère, le fluctuant qui la caractérise au profit d’une évolution linéaire de la face privilégiée. Avec tous les dangers que cela comporte.
Ce qui est dû, probablement, au fait que parler de progrès oblige à reconstruire intellectuellement les périodes passées afin de pouvoir faire des comparaisons. Or nous avons changé, le temps a fait que nos sociétés, l’environnement technique, social, moral et culturel qui est désormais le nôtre, rend ces comparaisons, ces reconstructions intellectuelles des périodes passées, très éloignées de leur objectivité supposée, et même d’une exactitude impossible. Nous ne faisons des événements du passé, à notre insu, que des objets de notre monde contemporain. Nous les pensons avec notre grille de lecture.
Ainsi nos guerres dites « mondiales » ont fait découvrir à l'Occident le caractère ambivalent du progrès technique, qui augmente à la fois les moyens de sauver des vies humaines et les capacités de destruction des bombes atomiques. La « médaille progrès », a chaque fois montré, que lorsque nous avons affaire à un processus de développement ou d’apprentissage, il est possible de parler de progrès….ou de régression.
Lorsqu’il ne s’agit pas seulement d’apprécier un changement, mais de juger d’une supériorité, il faut disposer d’une norme de référence à laquelle chaque progrès sera rapporté afin de déterminer son degré de conformité à la norme. Or, il n’y a pas de norme objective ou absolue de référence.
Par exemple, Hans Jonas (Le Principe responsabilité, en 1979), pense que la critique du progrès ne se résume pas à une dénonciation de ses dangers (comme ceux écologiques). Il estime qu’il conviendrait de cesser de lui assigner un but, qui ferait qu’il n'aurait alors plus pour horizon que son propre déploiement.
Ne serait pas à compter comme progrès ce qui est bénéfique aux dépens de l'avenir"
Alors, que nous ne voyons plus le progrès que comme une croissance, donc un développement, une extension, l’augmentation de quelque chose, sensée amener, par étapes, à un degré supérieur, qui, toujours, perfectionne et améliore nos conditions d’existence, par un progrès matériel et un progrès moral. Idée qui a abouti à la radicalisation de l’idée de progrès.
Ce qui fait, selon Comte Sponville, que « nos cultures ont tendance à penser que « le progrès, social, politique, économique, [technique], est la tendance normale de l'histoire [et] que le présent est globalement supérieur au passé; comme l'avenir, sauf catastrophe, sera supérieur au présent ».
Cette foi dans un progrès qui améliore l'évolution de l'humanité, est devenue la vraie foi de note époque, la vraie “religion de la civilisation occidentale ». Malgré Lévi-Strauss, pour qui le progrès n’est ni nécessaire ni continu, parce que, qualifiées par leurs diversités culturelles les différentes sociétés ne convergent pas vers le même but. La réalité est autrement variée, bien plus complexes.
Peut-être qu’aujourd’hui nous pourrions essayer de redéfinir l’idée de progrès dans le sens d’une évolution du simple au complexe, de l’homogène à l’hétérogène, de la concordance à la diversité. Les conditions de la vision du progrès de transformeraient alors sensiblement.
Au XX siècle les totalitarismes et les différentes guerres ont évincé l’optimisme des siècles précédents pour laisser la place à une grande désillusion : l’avenir, qui paraît désormais imprévisible, inspire davantage de craintes et d’inquiétudes que d’espoir. Nous sommes loin des « lendemains qui chantent ».
Les progrès enregistrés dans un domaine précis ne se répercutent pas automatiquement dans les autres domaines. Très souvent on constate l’inverse. L’urbanisation excessive a multiplié les problèmes sociaux et l’industrialisation incontrôlée s’est traduite par une dégradation sans précédent du milieu naturel et de notre environnement. On commence à comprendre que PLUS n’est pas synonyme de MIEUX. On distingue de plus en plus entre AVOIR et ETRE, entre le bonheur matériel et le bonheur tout court.
Mais « On n'arrête pas le progrès, disait Pierre Dac, même la police n’est pas fichue de l’arrêter ».
Le progrès est pourtant devenu un impératif. « On n’arrête pas le progrès », révèle aussi la contradiction d’un progrès à la fois destin inévitable et exigence impérative, qui conduit à ne jamais se satisfaire du moment présent.
Le progrès a créé une puissance qui s'autonomise et nous gouverne, au moins autant que nous la gouvernons, en créant les besoins qu’elle vient satisfaire, qui nous font vivre, mais qu'on ne peut plus arrêter, sans mettre en cause l'existence même de nos sociétés. Nos voitures font plus que menacer l'environnement, mais on ne reviendra pas à la traction hippomobile. Nos télévisions, nos réseaux sociaux, menacent l'intelligence, mais on ne reviendra pas en arrière. L’idée de progrès a engendré une sorte d’idolâtrie de tout ce qui est neuf: toute nouveauté est a priori meilleure par le seul fait qu’elle est neuve. (J’ai trouvé cette phrase sur mon IPhone!). C’est ce « bougisme » dénoncé par Jean Baudrillard. Coluche disait: « Demain, quand on offrira un livre à un gamin, il le tournera dans tous les sens pour savoir où il faut mettre les piles.»
Alors, est-ce que chaque découverte scientifique, chaque développement des techniques, tout ce qui fait que nous en savons de plus en plus, est-ce que cela amène vraiment un mieux, un progrès qui réalise une réelle amélioration de la condition humaine ?
Contrairement à la notion de nature humaine, qui limite l’humain dans ses caractéristiques innées et le fige dans une essence, la condition humaine se défini comme les événements, les situations, les expériences, donc tout le vécu qui compose l'existence humaine, par l’éducation, la culture, l’environnement social, les conflits, et les aspirations de chacun. Cette condition humaine, est l’image des limites de l'homme qu'il comprend avoir le pouvoir de dépasser afin de l’améliorer.
Or même la vision de la condition humaine est devenue curieusement pessimiste. Aujourd’hui nous voyons bien qu’un pays dans lequel l’éducation ne coute rien, les soins médicaux pour les cas graves, sont ouverts à tous, la liberté de parole et de mouvement évidente, n’est perçu que par tout ce que l’on peut y percevoir de négatif (qui ne doit pas être négligé, mais n’en constitue néanmoins pas l’essentiel)
Cette condition humaine que l’on peut juger injuste, absurde, difficile à supporter et à vivre, on voudrait qu’elle soit différente. C’est l’espoir subjectif, de faire se rejoindre un rêve, un souhait, un idéal, qui ouvrirait sur un monde où l'on atteindrait, hors de toute solitude, de tout désespoir, de toute injustice, ces conditions humaines d’existence différentes que l’on imagine.
Parce que le progrès présente également une détérioration de la condition humaine. Il a provoqué la mise en coupe réglée de la nature, son pillage, son saccage, le travail à la chaîne, la bombe atomique, l’efficacité destructrice des guerres et la dégradation irréversible de l'environnement, le culte de l'utile et du rendement.
Pourtant, la technique est ce qui désigne «un ensemble d'instruments (outils, machines, logiciels...) et de savoir-faire», qui a profondément modifié l’environnement humain, permis la domestication de la nature (son arraisonnement, dit Heidegger), et transformé les conditions de travail.
Selon Hannah Arendt, l’outil est le prolongement de la main et le fait rester maître dans la relation qu’il entretient avec les moyens techniques qu’il utilise. Mais la machine n’est pas seulement un outil plus performant : c’est un objet d’une autre nature, ayant des implications anthropologiques très différentes. L’homme est obligé de se mettre à son service, il est tout entier mobilisé par et pour le fonctionnement de la machine. Il en épouse le rythme. Le remplacement progressif de l’outil par la machine constitue donc une étape, voire une rupture très importante dans l’histoire du progrès technique, par ce que son utilisation nécessite de s'y adapter. (Et elle ne connaissait pas Chat GPT). (D’après un texte de Mathias Roux dans Philomag). “Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe. ” Einstein
N’empêche que la conscience du progrès est ce qui nous permet de ne pas oublier d'où nous venons. Un ordinateur vaut mieux qu'un boulier. Les premiers outils ont permis la maitrise du feu, des gravures ou peintures rupestres, la culture et l’agriculture, jusqu’à l’ère industrielle et avec elle le développement des sciences et des techniques. Rien ne devrait nous empêcher d’aller vers de nouveaux progrès.
Ceux qui le voudraient, comme les réactionnaires, ne sont pas contre le progrès, mais jugent «que c'en serait un, voire le seul possible, que de revenir à telle ou telle situation antérieure: guérir, c'est le plus souvent revenir à la situation antérieure, ou s'en rapprocher ». (C.S.)
A ceux-là s’opposent les progressistes, des optimistes qui pensent que le progrès (social, politique, économique), est la tendance normale de l'histoire, et que le présent est globalement supérieur au passé.
Parce que le progrès peut être conçu comme une force, une marche irrésistible vers la transformation positive de la société, ou ce qui a souvent justifié des formes de domination (sur la nature ou les peuples colonisés, par exemple). Ainsi (pour le sociologue allemand Peter Wagner), «l’aspiration au progrès n’est légitime que si celui-ci vise essentiellement la lutte contre les aliénations et la construction d’une « capacité d’agir collective démocratique ».
Alors, de quel « progrès » parle-t-on ? De la croissance économique, de l’innovation scientifique et technologique, des avancées sociales ou de l’extension des droits, de la morale ou de la liberté individuels ?
Faut-il privilégier un profond ressentiment pour avoir cru en ses promesses et tout arrêter ? Et préférer repli sur soi vers le conformisme et la tradition. ( Selon C.Fleuty). Ou s’inquiéter de la « logique addictive » qui est inscrite au sein de ce besoin d’innovation permanente ? (Selon Pierre-Henri Tavoillot).
Cette religion du progrès qui pourrait se définir comme la supériorité intrinsèque du futur sur le passé, s’est répandue dans tous les pays d’Occident, s’emparant également de tous les esprits, se répétant en échos amplifiés dans la littérature, la poésie, la science, la politique et les journaux. Elle perd ainsi tout contour défini, tout sens précis. Tout doit lui être sacrifié, parce qu’elle justifie le présent, par un éclairage subjectif du passé.
Marx, par exemple, projette sur tout le passé humain un schéma explicatif de type économique, alors que le rôle de l’économique dans l’histoire des anciennes civilisations est très faible, l’économique n’étant alors jamais pensé comme tel.
Ainsi, nous ne sommes plus certains de maîtriser les conséquences lointaines de nos actions. Cette montée du réel vers le possible ouvre des mondes nouveaux, que nous cherchons de plus en plus à créer, sans avoir à tenir compte de l’obstacle ou de l’épreuve du réel.
Ce que rejoint Etienne Klein, «nous ne sommes plus certains de maîtriser toutes les conséquences lointaines de nos actions. La nature apparaissait comme la dépositaire d’une sagesse implicite, sur laquelle l’homme devait modeler ses actions et aussi, dans une certaine mesure, sa façon de penser. Or la technologie a fini par mettre à l’épreuve ce pouvoir réparateur de la nature, considérée désormais, comme un réceptacle, régulé mais fragile, du fait des empreintes que font sur elle les actions et les idées, de sorte que nous ne pouvons plus dire que nous façonnons seulement « l’ici et le maintenant ».
D’autant « qu’aujourd’hui, l’utilisation généralisée de simulations, de modélisations et de scénarios dans toutes les disciplines scientifiques changent le statut de l’expérience et du réel. Il s’entoure de virtuel, car la science, désormais, traite des possibles, et non seulement de ce qui est. En ce sens, elle devient prolifique et l’amène à intervenir sur le possible autant que sur l’existant, sans que personne ne puisse dire a priori s’il cela mène au bon ou au mauvais. Cette diversité des possibles empêche qu’on puisse se former une image de l’avenir. Notre méfiance vis-à-vis de ces progrès est également augmentée par le fait que nous avons compris qu’il ne faut pas voir de dangers, uniquement là où séviraient des intentions perverses ».
Comme ces problèmes qu'engendrent les nouvelles luttes regroupées sous le terme américain de woke - du verbe to wake, "éveiller". Cette idéologie est hégémonique, jusqu'à menacer, dans certains bastions universitaires, la liberté d'expression et la liberté académique. La pensée woke survalorise l'individu souffrant et étend le domaine de l'offense jusqu'à rendre impossible toute critique. C'est le règne des offusqués sur la raison et l'argumentation. Une part de plus en plus grande de la jeunesse appréhende le corps social comme une galerie d'identités interagissant dans des rapports entre dominants et dominés, sur la base exclusive de critères de race et de genre. Si cette "nouvelle vague" rencontre tant de succès, c'est que le féminisme et l'antiracisme doivent être améliorés. Mais avec la pensée woke, le résultat est contreproductif : même "pour la bonne cause", cette façon de découper la société sécrète du conflit. Et empêche le dépassement de l'altérité par la fraternité et la citoyenneté.
Ainsi se dessine une nouvelle Internationale "progressiste" sans pensée sociale.
(Les kidnappeurs du progressisme - Par Anne Rosencher *L’express)
Le progrès n’est ni un mythe, ni une abstraction, mais une nécessité résultant de la nature même des choses, de la nature même de la vie. Mais en se focalisant sur l’une des faces de la médaille, on finit par se demander si le progrès a encore un avenir?
Parce que l'idée d'une amélioration de la condition humaine par le progrès, qui peut représenter une menace autant que son amélioration, est présente dans tous les esprits. Mais elle permet de comprendre que PLUS n’est pas synonyme de MIEUX, ,et que nos sociétés de confiance ne devraient pas devenir des sociétés de confrontations.
“Le progrès a encore des progrès à faire.”
N.Hanar
La résilience est-elle possible ?
Lorsque tout le monde, ou presque, s’accorde sur la valeur d’une idée, le rôle de la philosophie n’est pas de la juger bonne ou mauvaise, mais de comprendre pourquoi et comment elle s’est imposée, que ce soit de bonne foi ou par calcul !
La « résilience » est d’abord un concept emprunté à la mécanique, qui désigne la capacité, pour un matériau, de reprendre sa forme initiale à la suite d'un choc, d’une pression. C’est donc une capacité de résistance à une modification, lui permettant de revenir à son état initial après avoir été perturbé.
Par analogie, les sciences humaines en ont fait une notion qui s’applique à la faculté de résister à des drames, la capacité de surmonter les pires tragédies, de pouvoir se remettre d'un état de stress post-traumatique qui en résulte, une qualité rendue populaire, notamment par Boris Cyrulnik. (1) Posséder cette capacité a été étendue à des organismes, des espèces, des systèmes, des structures leur permettant de surmonter une altération de leur environnement. Actuellement, l’existence de ce processus, ce pouvoir d’adaptation aux drames, par l’acceptation puis le dépassement d’un traumatisme, d’une rupture avec ce qui est attendu, espéré, voire d’en sortir plus fort, ne parait pas faire de doute.
La question qui nous est posée, pourtant, en demandant si la résilience est possible, met cette évidence, ce quasi-consensus psychomédiatique, en question !
Ce qui est possible peut se réaliser, mais sans que ce soit systématique.
Nous connaissons tous pléthore d’exemples d’individus, de sociétés, de systèmes, de communautés, ayant été exposées à des risques, en ayant été blessées, traumatisées, qui ont su les absorber, les accueillir en restaurant leurs structures fondamentales et essentielles, mentales ou morales, ainsi que leurs fonctions de base. Mais elles n’y ont pas résisté : elles ne sont plus les mêmes après ce qu’elles ont subi. La résilience n’est pas une digue qui résiste aux chocs, qui élimine tous les risques de l’existence, ni ce qui en limite les effets. Une capacité d'adaptation, qui n’est pas un retour à un état initial, mais une capacité de récupération ou de régénération d'un organisme, d’un individu ou d'une population, comme l'aptitude d'un écosystème à se reconstituer à la suite d'une perturbation (la reconstitution d'une forêt après un incendie, par exemple).
La définition proposée par des psychologues dont Cyrulnik: « Capacité d'une personne ou d'un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l'avenir en dépit d'« événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes sévères ».
Or, cette capacité est-elle possiblement ouverte à tous, humains, sociétés, communautés etc…
Même si on suppose que tous en ont la capacité, nous observons pourtant que certains ne parviennent pas, avec ou sans aide extérieure, à prendre acte de l'événement traumatique de manière à ne pas, ou ne plus, vivre dans le malheur et à se reconstruire, se dépasser, s'accrocher, sans jamais baisser les bras, d'une façon acceptable, en vue de retrouver un équilibre et de poursuivre leur chemin. Ils s'enfoncent dans la tristesse et la dépression, ne parviennent pas à faire face, et encore moins a en ressortir plus fort et confiants en la vie. Ils restent dans une confrontation permanente au traumatisme et souffrent d’une désorganisation psychique.
La capacité de résilience est bien la manifestation de la remarquable plasticité de l'esprit humain, qui lui permet de surmonter des traumatismes, mais le consensus dont elle fait l’objet, qui en fait la possibilité majeure, pour tous, de surmonter les obstacles, est discutable.
Nous vivons, dans notre environnement, dans des sociétés de plus en plus « épurées » de tous les excès, qui tentent d’éliminer toutes les émotions négatives : « Dans un débat, par exemple, il faut être calme pour être efficace, il ne faut jamais s’énerver, sinon on va commenter le fait que je m’énerve et pas ce qui m’énerve parfois de façon légitime. Résultat : on ne perçoit plus les raisons légitimes de s’énerver, on valorise l’hyper adaptation, la résilience. Or être résilient sur une situation pourrie mène surtout à l’impuissance. Une femme battue, si elle ne se met pas en colère contre son mec, n’arrivera jamais à partir. Pour changer une situation oppressante, il faut savoir s’énerver ! » (Albert Moukheiber, neuroscientifique et psychologue) (2)
La résilience ne parait pas possible à ce qui ne nous semble pas acceptable.
L’acceptation désigne le fait d’adhérer à des valeurs, des qualités que l'on ressent pouvoir adopter et reconnaitre comme bonnes, en concordance avec notre vision du monde.
L’acceptation stoïcienne ne concerne pas plus la résilience. Selon Épictète, « Il y a des choses qui dépendent de nous, d’autres qui n’en dépendent pas.
Le stoïcisme nous invite, à se préoccuper de ce qui dépend de nous, à savoir nos actions et nos jugements, et à se détacher de ce sur quoi nous ne pouvons avoir de contrôle, en acquiesçant à leur présence. Nous devons avoir conscience de notre champ d’action, le reste ne doit pas nous toucher ! Nietzsche, tout en rejetant leur ascétisme, reprend aux stoïciens leur « amour du destin » (amor fati). Alors, nous n’acceptons plus l’idée selon laquelle nous ne sommes pas responsables des malheurs qui se produisent loin de nous ? (3)
Comme la « résilience réactive » décrite jusqu’à présent, n’est pas possible ou même pas souhaitable pour tous, s’y est ajoutée une « résilience proactive », une stratégie fondée sur le concept de résilience. Elle vise, non pas à combattre la rupture qui s’est produite, mais à en réduire au maximum les impacts de façon prévisionnelle. Nos sociétés savent qu’un tsunami, des inondations ou une attaque terroriste laissent des traces chez les survivants. Alors, pour les rendre le plus résilient possible, sont mis en place des programmes de résilience préventifs, des tests pour mesurer les capacités à résister à une catastrophe naturelle ou à une attaque terroriste. Des kits pratiques pour ouvrir la voie à la résilience !
Le philosophe allemand Axel Honneth, écrit : « Comme ce qui doit former le cœur même de la normalité d’une société, ce sont les conditions qui garantissent aux membres de cette société une forme inaltérée de réalisation de soi, nous sommes passés à une société du soin, prélude à la société de résilience et la permettant plus aisément. Or, ce soin en question, le care, ne s'apparente-t-il pas à de la rééducation pure et simple. Ainsi, dans un de ses discours, Mme Aubry précisait, « les services publics doivent éduquer, accompagner, émanciper chacun, pour le porter au plus haut de lui-même ».
Ce qui ajoute à la complexité de cette notion polysémique, finalement assez vague de résilience, qui fait que certains chercheurs, peuvent même y voir des tentatives de manipulation idéologique, de soumission donc à un ordre du monde, d’inspiration néolibérale, comme il y eut un ordre universel, un ordre hiérarchisé, ou même un ordre démocratique, contre lesquels, il n’y aurait pas une capacité, une volonté humaine, susceptibles de venir le contrarier. Résilience rendue possible par la soumission!
La résilience serait alors un postulat, pour lequel un individu est toujours capable de faire face et de se réaliser, quelles que soient les difficultés rencontrées. Comme une exigence de résilience, pour la cohésion sociale: une simple notion aisément mobilisable, rendant possible l’auto-organisation et l’adaptabilité.
Et cela nous séduit, parce que nous voulons que ce soit notre décision propre qui nous gouverne, que nous soyons celui qui pèse les enjeux de l’existence, que la décision nous appartienne.
Mais peut-on vraiment tout surmonter par un soi-même libre, sans subir l’influence de ceux qui croient savoir qui nous sommes, de ces mouvements Woke qui éveillent le sentiment en l’orientant, des idées « forces » de la société dans laquelle nous vivons?
On pèse, on délibère, on choisit. Mais quand on décide, ce qui nous a influencés a peut-être déjà décidé.
Peut-on réellement sortir de ce qui a influencé notre constitution du « moi », pour l’accepter comme étant singulier, s’il n’y a que la possibilité de cette résilience à accepter?
S’ajoute, de plus, à ce problème, la déferlante de « coach de vie », de consultants en coaching et en psychothérapie, en développement personnel au sein des entreprises, plus ou moins farfelus, qui se sont emparés de l’idée de l’acceptation de soi, en contournant le questionnement sur ce que signifie être.
Un chemin souvent pernicieux, parce qu’il mène soit à ne trouver qu’une place utilitaire, ou simplement confortable, dans une société, mais, une condition impensée.
Pour devenir et vivre autre chose que ce qui a été expérimenté ou appris, il vaut peut-être mieux prendre du recul pour comprendre les fondements et les aboutissants de tout événement. Et ainsi se décentrer de soi-même, de ne justement ne plus se contenter d’être seulement « Soi », de ne pas rester le « même », plus ou moins modifié à la marge. Ce serait même pouvoir penser contre soi-même, ne pas rester dans l’immédiateté de ce qui se produit, mais prendre du recul, prendre son temps et s’opposer à toutes les pratiques rigoristes, dénonciatrices, prophétiques ou messianiques, qui veulent nous mettre au pas dans les cases immobiles d’une vérité qui n’est qu’illusion. Parce que le monde n’est pas « neutre » et que nous ne le percevons pas tous de la même manière.
Dès lors que l’on considère la résilience comme un processus, on est conduit à privilégier une analyse des trajectoires. Cela revient à accorder une importance à l’histoire, à notre histoire et à la complexité de la vie social et de la vie psychique. Alors qu’avec la résilience, il devient inutile de perdre du temps à essayer de comprendre les sinuosités des affects et des pensées. Mieux vaut renoncer à continuer une existence difficile et dangereuse qui exclut la révolte. Le monde d'aujourd'hui a besoin de révolte, de rebelles spirituels.
L’humanité a subi jusque dans les dernières décennies du XXe siècle la négativité des risques de l’existence : on naissait, on survivait plus ou moins longtemps et plus ou moins bien – et on mourait. Or tout appartient désormais à une sorte de monde de pièces mécaniques, gérables comme les éléments d’un stock, usinables et remplaçables. N’entendons-nous pas délinquants ou addicts (à tout et n’importe quoi) avouer leur impuissance et nier leur responsabilité parce que « ce n’était pas eux, mais un« fantôme dans la machine ».
Petit à petit, chacun finit par se considérer comme une entreprise, qui doit gérer sa réputation et faire sa publicité sur les réseaux sociaux. Chacun, comme une start-up doit utiliser au mieux ses ressources ; et être « résiliente » face à tous les changements et bouleversements du monde. Individuellement, vous pouvez être frappé par un licenciement, une rupture, voire un tremblement de terre, un ouragan, une attaque terroriste. Mais comme vous êtes une start-up, vous allez utiliser la technologie pour optimiser votre réaction à ces accidents et vous projeter vers de nouvelles opportunités. Parce que s’épanouir est devenu une obligation.
A force de confisquer les affects, on risque d'étouffer les symptômes. C'est comme si on tentait de boucher une source qui veut jaillir.[ ] Il faut laisser le temps aux gens de souffrir, de pleurer, de s'effondrer, plaide le psychanalyste Philippe Grimbert ». Et ne pas se contenter d’une médecine de catastrophe qui traite les victimes en malades.
Les épreuves ne sont pas forcément négatives et insurmontables, et penser que l’on peut rebondir de tout et de n’importe quoi, est une idée qui nous fait plaisir et qui suscite de l’espoir. Or l’espoir n’est qu’une « disposition de l’âme à se persuader que ce qu’elle désire adviendra » (Descartes), une anticipation égoiste de ce que l’on souhaite des transformations du monde.
Bien que cela soit possible, le psychanalyste Serge Tisseron , auteur du “Que sais-je ?” sur la résilience, met en garde sur la seule consolation qui peut en résulter : « heureusement je suis résilient. Ça les console. Le risque, c’est qu’ils croient qu’ils ont cette force en eux et aucun travail à faire sur ce drame. »
Alors qu’ils sont, en fait, minoritaires, « le risque avec la notion de résilience, insiste-t-il, « c’est de finir par croire qu’il y a toujours une possibilité de se dégager d’un traumatisme, que tout est possible ». Alors que « lorsque quelqu’un a souffert très tôt dans son enfance, personne ne peut lui enlever cette épine, ajoute-t-il. La créativité peut puiser sa source dans cette souffrance mais elle ne permet pas de s’en dégager ». Le danger, « c’est de penser à tort être assez élastique pour tout supporter ».
La résilience existe. Elle permet à ceux qui ont vécu les choses les plus affreuses de continuer leur vie, mais l’idée qui soutient qu’avec la résilience ils peuvent les dépasser m’agace. Tous les événements traumatiques laissent une trace et une souffrance. » Que l’action ou la création n’effaceront jamais.
Dans une société qui érige le bien-être en dogme et où « aller mal » semble interdit, y aurait-il alors des winners et des losers ? Ceux capables de résilience et les incapables ? Des forts et des faibles ? Ceux qui en profitent et ceux qui sombrent dans la dépression après un traumatisme ?
Il existe aussi des effets de hasards et de rencontres, une capacité individuelle de résilience possible, une force qui peut être renforcée ou diminuée en fonction de l’environnement et de son inscription dans une histoire, qui sont des facteurs protecteurs ou es facteurs aggravants.
La capacité de résilience d’un individu serait en réalité dépendante des autres. « Ceux qui mettent longtemps à se remettre du trauma ou ne s’en remettent jamais sont ceux qui ont été abandonnés par le groupe », écrit Boris Cyrulnik dans « Autobiographie d’un épouvantail ». « On ne se sort pas tout seul, spontanément, d’un traumatisme, prévient Patrice Louville. L’intermédiaire de quelqu’un d’autre vous permet de regarder en face votre souffrance, de la mesurer, et ensuite d’en faire quelque chose. »
La solitude (objective ou ressentie) engage dans une spirale dont il est difficile de se dégager: se sentant seule, insatisfaite, et souffrant d'une plus mauvaise estime de soi, la personne se montre plus irritée et désagréable envers les autres, voire défensive et agressive envers autrui.
Tous les textes sur la résilience ne nous disent pas grand-chose sur un autre de ses danger : celui de penser qu’elle serait toujours « bonne », « soutenable », positive, et que la résilience des uns ne se ferait jamais contre celle des autres.
La résilience est possible, il est même tout fait afin qu’elle le devienne, mais est-ce vraiment toujours souhaitable ?
L'expérience traumatisante ne se vit plus alors dans sa réalité, mais par rapport une fin qui ne nous appartient pas, un « meilleur » hypothétique. On ne vit plus la suite de l'événement tel qu'il est, mais par rapport au sens hypothétique qu'on lui assigne, au lieu de penser ce qui arrive, et de changer sa vision du monde en conséquence.
N.Hanar
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NOTES
1- Concept et notion désignent tous deux une idée générale, mais le concept est lié à une théorie construite et acquiert ainsi un sens précis, alors que la notion est, elle, considérée comme ayant un sens plus lâche et plus empirique.
2-Albert Moukheiber, né en 1982 , est un docteur en neurosciences psychologue clinicien et professeur d’univertsité. En 2019, il publie le livre Votre cerveau vous joue des tours dans lequel il aborde le fonctionnement du cerveau et les biais cognitifs en affirmant que « moins on connaît un sujet, moins on est capable de mesurer à quel point on ne maîtrise pas le sujet en question ». Selon lui, la connaissance de ces mécanismes permettrait de refaire société en se basant « sur un socle commun de réalité »,
3-Selon Épictète, « Il y a des choses qui dépendent de nous, d’autres qui n’en dépendent pas. Ce qui dépend de nous, ce sont nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions : en un mot, toutes les œuvres qui nous appartiennent. Ce qui ne dépend pas de nous, c’est notre corps, c’est la richesse, la célébrité, le pouvoir en un mot toutes les œuvres qui ne nous appartiennent pas. ».
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De quoi le tutoiement est-il le nom ?
Il semble que ce questionnement « De quoi est-il le nom? », ait démarré avec Alain Badiou et la parution en 2007 d'un livre polémique et provocateur: De quoi Sarkozy est-il le nom ? Cette expression a ensuite été reprise dans le champ de la réflexion, plutôt que dans celui de la, critique, lorsqu’on a vu apparaitre : De quoi la psychanalyse est-elle le nom ? De quoi l'argent est-il le nom ? "De quoi la philosophie est-elle le nom ?, qui ont traité ou maltraité le sujet du livre, en analysant ce qu’il désignait et la place qu’il prenait dans la société.
D’abord, qu’est-ce qu’un nom ? Le nom est l’aspect extérieur, par lequel un individu, une chose, une idée ou un mot se présentent au regard, le nôtre ou celui des autres. Ce qui porte un nom le distingue en désignant sa spécificité, et, par-là, lui donne un sens.
Or tout sens donné à un nom, renvoie à des réseaux de notions ou de concepts, différents selon les cultures, un sens qui peut être plus ou moins rationnel ou imaginatif, et qui ouvre à l’interprétation.
Il n’y aurait rien d’autre à dire d’un nom qui se suffirait à sa définition, s’il restait enfermé dans le sens unique que lui donne un dictionnaire, s’il ne pouvait s’enrichir de tout ce qui d’autre peut « sortir de lui », comme le montre l’histoire des mots susceptibles de se dé-limiter, de s’ouvrir à d’autres sens.
Alors, de quoi le tutoiement est-il le nom ? (Et pourquoi se poser la question ?)
Tutoyer, peut ainsi être considéré comme le nom d’un signe d’amitié, parce que, par l’usage du tutoiement, autrui est reconnu comme une tierce personne particulière. L’amitié fonde une communauté qui admet les différences et un attachement sans allégeance. Elle réalise la liberté sans jamais l’aliéner. On est alors, à tu et à toi, ce qui indique une relation très proche et très forte entre deux individus.
Mais, tutoyer ou son contraire vouvoyer, peuvent aussi être le nom d’une conception profondément hiérarchique de la société, même s'il n’y a plus autant de prise en compte de l'origine sociale, comme ce fut longtemps le cas.
Jusqu’au XVIIIe siècle, des codes très nets étaient établis dans la société française: le vouvoiement s’inscrivait dans une «hiérarchie, une verticalité ». Il n’était pas adéquat de tutoyer un aristocrate si l’on était bourgeois, qui lui-même était tutoyé par la noblesse, et vouvoyé par un mendiant. On ne pouvait se tutoyer qu’entre semblables, entre pairs. La hiérarchisation des relations humaines, organisée autour du statut social des individus, ne permettait alors aucune ambiguïté. Les repères étaient parfaitement définis.
Les choses ne sont pas aussi limpides désormais, et les frontières, comme les repères, se sont brouillées. Par exemple, Jean-Jacques Rousseau, dans Emile, ou de l'éducation (1762), juste avant la Révolution, recommande le tutoiement systématique dans la famille. S’il est toujours d’usage d’employer le vouvoiement face à un inconnu, une personne âgée ou un supérieur hiérarchique, la frontière établie entre le tu et le vous tend à s’estomper. Le tutoiement ne renvoie plus systématiquement à une logique d’infériorité, mais davantage à une volonté de marquer que «l’on partage quelque chose (une même profession, les liens du sang, l’amitié)». Le vouvoiement «exprime [alors] a priori la distance ou tout au moins la non-solidarité», et peut entraîner une incompréhension, pire, une vexation de la part de l’interlocuteur, parce que l’image que nous renvoyons à notre interlocuteur repose partiellement sur la formule que nous décidons d’employer.
Si Gilbert Montagné a tendance à tutoyer tout le monde, c’est parce qu’il ne vouvoie pas…
-Dire tu ? Dire vous ?, serait même, (selon Étienne Kern) un « enjeu sociologique»: «le tu et le vous conditionnent notre manière de concevoir la vie sociale. Tutoyer ou vouvoyer, qu’on le veuille ou non, peut donner corps, à une conception profondément hiérarchique de la société.
(D’après le livre « Le Tu et le Vous, », ou « l’art français de compliquer les choses », d’Étienne Kern,)
Or, hiérarchie ne signifie pas obligatoirment domination – On peut très bien accepter que certains soient plus efficaces,, plus sachants, plus méritants que soi !
Que la solution s'impose comme une évidence ou nous plonge dans les affres du doute, il nous faut faire un choix. Et ce choix, d'emblée, nous place au cœur d'enjeux considérables, car ces tu et ces vous que nous employons sans y prêter attention sont plus que des pronoms. Ils engagent notre relation à l'autre, et dessinent notre manière de concevoir le monde, trahissent nos états d'âme.
En somme, ils disent tout de nous, «saisissent quelque chose de l’évolution de notre société, de sa complexité, des grands débats qui la traversent.» L’usage a certes évolué au fil des siècles. Le vouvoiement n’est plus aussi usité, et les règles qui établissent ce qu’il convient de faire ne sont plus aussi limpides. Ne vais-je pas paraître trop pompeux, ou au contraire trop familier? Quel est l’usage dans cette situation particulière?
J’ai, par exemple, du mal à dire vouvoyer, alors qu’il m’apparait évident d’utiliser voussoyer ! Mais est-ce que, ainsi, je ne me désignerai pas comme étant comme snob, ou pointilleux, mais de toute façon différent ?
Hésiter entre dire tu ou dire vous, nous met dans l’état éphémère d’une décision qui nous suspend dans une transition entre ce qui peut nous qualifier, nos positions, nos attitudes prévisibles, donc ce qui nous limite.
À l’intérieur de notre cadre social, allons-nous adhérer spontanément aux codes, aux idées de la société à laquelle nous appartenons, et ainsi établir une distance avec certains. Allons-nous risquer de nous désynchroniser du storytelling dans lequel nous nageons, ce qui nous écarterait d’une unité du vivre ensemble ? Ce qui aurait pour effet de “mettre entre parenthèses” notre rapport habituel aux choses, de quitter cette “attitude naturelle” dans laquelle plus rien ne nous étonne vraiment, en nous obligeant à porter un regard neuf sur ce qui nous entoure. Alors, tout peut apparaitre nouveau, même ce que l’on croit déjà connaître.
Ce qui ne va pas de soi car on croise toujours la question du désir d’action immédiate et de notre incapacité à connaître l’avenir. Quelle va être la réaction de l’autre et dans quelle situation vais me trouver, comment vais-je lui apparaitre ?
Je peux m’exposer au rejet, dans ma vie amoureuse, familiale, amicale ou professionnelle », en ne jouant pas le jeu des normes imposées par le théâtre social, en ne jouant pas correctement le rôle que les autres et la société dans son ensemble attendent que je joue.
Tutoyer ou vouvoyer peut me distinguer de l’autre, que je sais identique en tant qu’humain, mais heureusement bien différent à un autre égard.
Or, la vertu de l’indifférence, au sens de ne pas faire de différences, se trouve dans l’obligation éthique de ne pas faire une classification sur une échelle de valeurs, entre les humains. C'est ce que prône le droit à la différence, à la diversité, qui est un droit à l’indifférence aux référentiels de culture, d’environnement social, d’origine, d’orientation sexuelle etc… que je sais pouvoir conduire à de l'ostracisme, à des discriminations ou à la remise en cause des principes fondamentaux des droits de l'homme.
Mais d’autre part, je ne souhaite pas me montrer indifférent à ce qui m’entoure, en m’ouvrant à toutes les formes de relations humaines et de vie en commun.
C’est l’histoire d’un long processus de raffinement des comportements et de discipline des conduites conduisant, dans le monde occidental, à une autodiscipline. Mais plus la discipline des comportements s’intensifie, plus elle suscite de frustrations, de ressentiments. Et si elle s’écroule, par un effondrement des institutions normatives et régulatrices, avec l’ébranlement des routines et des repères habituels, la déflagration est potentiellement dévastatrice. Une perte de repères, qui permettait à un groupe humain de faire société. L’effacement des modes de vie locaux, régionaux, qui organisaient et régulaient, les relations dans des communautés humaines, peut ébranler son mode de vie ?
Or, le tu employé à tout bout de champ aurait encore «un parfum d’interdit» en France, bien que «le vouvoiement recule, mais plus lentement qu’ailleurs, parce que nous pensons, à tort ou à raison, que dire vous, valorise d'une certaine manière l’autre. La disparition de l’un retirerait la saveur d’employer l’autre.
Le tutoiement gagne du terrain, et pas seulement parmi les jeunes générations, parce qu’il crée un lien", un cadre un peu plus amical, plus convivial", tout en pouvant encore être ressenti de façon plus ou moins dérangeante. Peut-être cette évolution est-elle due à l'influence de la langue anglaise, dans laquelle le pronom "you" est perçu comme l'équivalent du "tu" français.
Tu ou vous désigne en fait un usage culturel, historique et géographique.
Dans les faits, on constate que les types de personnes et situations appelant le choix entre tutoiement ou vouvoiement varient énormément entre les langues, les locuteurs, les situations, etc. C'est un jeu subtil et très subjectif qu'il n'est pas aisé de décrire, d'autant plus qu'il s'agit souvent d'automatismes peu pensés.
Des locuteurs d'une même langue auront une approche différente du vouvoiement selon la zone géographique. Ainsi, de nombreuses situations nécessitant le vouvoiement en Europe francophone donneront lieu à du tutoiement au Québec. De même, le tutoiement entre inconnus arrive plus vite en espagnol qu'en français. Etc….
Certaines pratiques sociales instituent le tutoiement dans la communication, comme les radioamateurs, les enseignants, les militants politiques et syndicaux, les échanges sur forums Internet. La motivation informelle commandant le tutoiement dans ces contextes est que tous les membres de la communauté concernée sont des pairs, et dans ces cas l'usage du vouvoiement établirait une distance ou une hiérarchie.
Ainsi, le passage du "vous" au "tu", est un rituel fréquent, qui marque l'évolution d'une relation.
Du vous, qui marque respect, hiérarchie, distance, politesse, premier contact, on passe au tu, et donc à la proximité, intimité, familiarité, spontanéité, niveau égal, sentiment d’unité et d'appartenance à un groupe donné. Pourtant, on peut profondément respecter quelqu’un que l’on tutoie, et mépriser un supérieur que l’on vouvoie.
Choisir le tutoiement est une décision qui peut nous faire tutoyer les sommets, ou nous enfouir dans le doute, et même nous confronter à l’absurde..
VOUS souvenez-vous de cette recommandation, en plein confinement, d’universitaires au sujet de la lutte contre la propagation du Covid 19, appuyée, par l’Académie française ?
Considérant que certains mots conduisent à expirer plus d’air que d’autres, et risquent d’occasionner davantage de postillons, source essentielle de propagation du virus SARS-CoV-2, ils recommandaient d’en « suspendre l’usage jusqu’à nouvel ordre » dans les lieux publics.
La réflexion philosophique ne cherche pas à proposer une hiérarchie, qui limiterait la liberté de s’adresser à l’autre.
Finalement, quelle importance ? L’existence est un processus, et il ne s’agit là que d’une modalité de la vie en commun, sans être un droit, fondée sur une « valeur subjective », sur des relations qui ne tiennent pas compte du point de vue de l’autre.
Lorsque nous prenons conscience qu’il arrive que l’autre réagit mal au tutoiement nous pouvons avoir un sentiment de culpabilité sans culpabilité réelle. Comme nous pouvons ne pas accepter de nous montrer sous un jour qui ne nous correspond pas vraiment. En réalité, ces ressentis s’effacent devant l’action, parce que cela ouvre un nouveau rapport à l’autre.
Nous faisons la différence entre ce qui se dit et ce qui pourrait se dire et ainsi nous pouvons agir sur les usages et les obligations sociétales. Ce qui s’oppose à l’indifférence par la conscience des conséquences.
Y a-t-il vraiment une intention individuelle ou une culture dans l’utilisation du tutoiement ?
Tout outil, même linguistique, n’est pas forcément une arme de division. Nous vous naviguons sans cesse du tutoiement au vouvoiement. Il n’y a donc pas de réel enfermement de leur usage dans une désignation de hiérarchie, mais plutôt un apprentissage continu à faire face aux diktats de ce qui serait la manière « correcte », respectueuse ou non, de s’adresser à l’autre ou au diktat de l’image imaginaire de soi que l’on veut mettre en avant. .
Ainsi le tutoiement devient le nom d’une acceptation du changement et de l’évolution, une remise en question permanente des usages d’une société et des habitudes de chacun,.
N.Hanar
Laisser le mal se produire, est-ce pire que le mal?
Le sujet de ce café philo, ne consiste pas à cerner absolument la notion de mal sous toutes ses formes, mais à se demander si l’attitude de passivité, face à au mal que l’on laisse se produire, est encore pire que la volonté de ce ou de celui qui est à l’origine du mal.
Sommes-nous certains qu’il y a pire que le mal et que « Qui ne dit rien, consent » ?
Le mal décrit un certain type d'événements, de comportements ou d'états de fait, jugés nuisibles, destructeurs ou immoraux, et ainsi sources de souffrances morales ou physiques. Donc, le plus souvent, ce qui désigne la conséquence d’une action qui ne respecte pas soit la vie humaine, soit ce qui la permet, ou qui s’oppose aux libertés fondamentales de chacun, à sa dignité……en le soumettant à la position de victime.
Nous avons besoin de la notion de mal pour qualifier les actes de barbarie sur un enfant, ou les tortures dans les prisons des tyrans et des autocrates, tous ces abus qui nient l’humanité d’êtres humains, donc « tout ce que nous désapprouvons ou blâmons, à quoi nous jugeons avoir le droit de nous opposer légitimement ».
Que se passe-t-il lorsque nous ne le faisons pas ? Quelle est la valeur de notre attitude lorsque l’idée du bien et du mal que se fait chacun de nous est dérangée, par des évènements, des actes, contraires aux jugements de valeur auxquels se réfère notre pensée, et que nous laissons faire ?
D’abord, ces jugements (c’est bien, c’est mal), ne nous appartiennent pas tout à fait. Ils dépendent de l’époque et de la culture dans laquelle nous naissons, et sont très loin d’être communs à toute l’humanité. Beaucoup de vertueux ont été mis à mort, désignés comme dévots du mal, par la force instrumentalisée d’idéologies et de désinformations, qui, en désignant une notion de bien dévoyée, structuraient une pensée qui se croyait libre. Ce qui ouvre à la possibilité, non seulement de ne pas vouloir empêcher le mal de se produire, mais de plus rend enclins à y participer.
Qui est coupable, responsable du pire que son inaction pourrait produire, par la banalisation de certaines cruautés, lorsqu’il est limité, dans son jugement des faits, par sa condition humaine, par le contexte dans lequel s'exerce sa liberté?
Nous sommes préparés à l’existence irrévocable du mal, à des comportements inhumains, qui font partie intégrante de la vie et de l’histoire. Le mal participe aux critères permettant de vivre en commun.
Tout le monde a rencontré le mythe du diable, le démon qui fait le mal pour le mal. Mais il est inhumain. On peut dire du diable ce que Stendhal disait de Dieu : sa seule excuse, c'est qu'il n'existe pas.
Ce mal, d’origine inhumaine, nous prépare à une définition de l’humain qui ne serait donc pas génétiquement « programmé » pour faire le mal:
- l'homme ne fait jamais le mal pour le mal, explique Kant, mais seulement par égoïsme (pour son bien à lui, par négligence du bien d’autrui).
- pour Platon, « nul n’est méchant volontairement », le seul objet de la pensée comme de la volonté étant le bien : le mal ne saurait être commis que par erreur, par celui qui prend de mauvaises choses pour des bonnes.
Même pour ceux qui pensent que l’homme est un loup pour l’homme, estiment qu’il fait tout, contractuellement, pour sortir de cette situation.
Parce que comme le pense Comte-Sponville : « Le mal n’est pas en dehors de nous, comme un ange déchu et tentateur, mais en nous (…) dès que nous cessons de lui résister ». « Le mal, c'est ce qui nous empêche d'être pleinement humains,[mais] accessibles à la raison, quand nous en sommes capables [ ] ou à la compassion, quand la raison ne suffit pas. Ou Spinoza : « Quant à celui qui n'est poussé ni par la raison ni par la compassion à être secourable aux autres, on l'appelle justement inhumain, car il ne paraît pas ressembler à un homme ».
Cette position manichéenne, c’est bien ou c’est mal, c’est humain ou c’est inhumain, indifférence ou compassion, nous pousse à la conclusion, que, puisque nous sommes humains, que l’inhumain est possible « en nous », mais que nous pouvons le dominer, alors, ne pas le faire et laisser faire, pourrait être encore pire que faire le mal.
N’oublions pas que les textes sacrés ne sont pas vus comme texte mais comme réalité et ainsi nous faisons entrer le mal comme pièce de jeu dans le discours du vécu. Et il en est de même, avec les textes auxquels nous faisons référence en philosophie : il ne s’agit que de raisonnements destinés à mettre en avant une vision particulière du monde, des choses et des humains, mais il ne s’agit pas de la réalité.
C’est aussi le cas des contes de fées, qui incorporent le mal dans la réalité, ou des fictions qui l’excluent, tel Casimir, l'île aux enfants ou les Bisounours, dont le point commun est l'absence du mal. Ce n’est pas la réalité, tout comme la propagande : tout le monde sourit sur les affiches de propagande stalinienne, tout le monde est heureux: le citoyen soviétique est heureux, à croire que le régime avait mis fin aux rages de dents et aux maux de têtes.
Parce que, selon C. Lévi-Strauss : La distinction première entre le bien et le mal est liée à la nécessité pour toute société de discriminer le permis et le défendu, et notamment de prohiber l'inceste, tuer, voler, mutiler.
Bien ou Mal sont donc des jugements de valeur, des jugements d’appréciation, appliqués à ce qui est utile à une fin souhaitée par une société donnée. Cette distinction peut être d’ordre religieux, et Dieu merci je suis athée, ou morale, sociale, politique, mais dépend essentiellement du moment historique, du contexte social, du conditionnement collectif, culturel et individuel dans lequel elle est voulue, promulguée où reconnue.
Pire que le mal, pour cette société ne serait pas que les prohibitions ne soient pas respectées, que le mal triomphe, mais que la cohésion de la société soit rompue, jusqu’à entrainer sa dislocation.
En fait, qu’est ce qui pourrait être pire que le mal?
La cruauté, par exemple, c’est faire du mal inutilement, un mal qui excède toutes les raisons que l’on aurait de faire du mal (avortement, peine de mort, légitime défense). Elle témoigne d’une passion pour le sang qu’aucun motif ne vient étayer, elle est aussi étrangère au remords que la Juliette du marquis de Sade. Elle tue sans limite et sans hésitation. Or fait-on soi-même, acte de cruauté en n’agissant pas contre le mal?
Et puis, est-ce pire que le mal, que de pardonner à ceux qui nous ont fait du mal, même de pardonner au moins partiellement, en tenant compte des circonstances qui les ont fait agir ?
L’indulgence, la mansuétude, la bienveillance, les « circonstances atténuantes », cette aptitude à pardonner à ceux qui font le mal, à ne pas les sanctionner sévèrement, est-ce pire que ce qu’ils ont fait ?
Cette forme de bienveillance, permettant la compréhension des raisons de l’acte commis, n’est-elle, comme l’écrit Jean Luc, que le masque cachant la faiblesse, la résignation, la trahison de ses idéaux, la passivité, car "on ne veut pas d'histoires" et "il faut être bien avec tout le monde" et ainsi on en arrive à pactiser avec ses ennemis ? Montrer de l’humanité, face à l’inhumanité, est-ce faire un mal pire que le mal ?
Parce que ce n’est pas consentir, acquiescer, et juger ce qui s’est produit comme acceptables et l’approuver.
Bien qu’il existe la notion de « consentement meurtrier », c’est-à-dire l’acceptation, active ou résignée, de toute forme de violence infligée à autrui (du mal, donc). Elle a pour origine ce qui en chacun de nous, culturellement ou par la puissance des certitudes, pervertit le lien nécessaire entre la morale et les intérêts personnels ou politiques qui commandent toute action. C’est un consentement meurtrier parce qu’il ne provoque pas de révolte, de critique et même de honte.
Ce qui correspond pratiquement à la sagesse du consentement stoïcien, qui est « un acte d’acceptation dirigé à l’endroit de quelque chose qui nous dépasse, contre quoi on ne peut rien, mais que l’on fait paradoxalement sien en acquiesçant à sa présence » - « Le sage apprend à accepter avec un amour égal, sans faire de différence, ce qui ne dépend pas de sa volonté ».
Cette attitude s’inscrit dans la perspective d’une existence dominée par le destin, qui ne dépend pas de la volonté humaine. S’il existe un destin, les événements extérieurs à la volonté sont replacés dans la perspective d’un ordre universel, une hiérarchie naturelle des êtres , contre lequel, les philosophes Grecs, Platon ou Aristote, n’envisageaient pas une capacité, une volonté humaine, susceptibles de le contrarier. (1)
On ne peut qu’y consentir ! « C’est d’ailleurs ce qui était inscrit dans mon horoscope ce matin », comme le disent ceux qui ne croient plus au destin !
C’est là l’image, de la non culpabilité de ceux qui n’agissent pas contre le mal : c’était écrit !
Mais est-ce pire que le mal, qui ne s’aggrave pas pour autant. Le mot pire, c'est-à-dire pis, remonte au Xe siècle. C'est l'adverbe superlatif de mal.
Hannah Arendt, lors du procès d’Adolf Eichmann, dans son « Rapport sur la banalité du mal », montre comment cet ancien colonel SS, condamné à mort fin 1961 à Jérusalem pour crimes contre le peuple juif, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, représente pour elle une incarnation de l’absence de pensée qui conduit à la « banalité du mal », plutôt qu’un monstre. Dans une lettre signée d’Adolf Eichmann, deux jours avant son exécution par pendaison, il écrivait:
« [ ] Je n’ai jamais donné d’ordre en mon nom propre, mais plutôt j’agissais toujours sur ordres. Je n’étais pas un leader responsable et ne me sens pas coupable comme tel. ». Il s’y présente donc comme un simple exécutant, un fonctionnaire besogneux qui a obéi lâchement aux ordres.
Or Eichmann n’a pas « laissé faire » le mal, il y a participé!
Ce n’est pas pire que le mal, c’est le mal en pire, le mal accentué !
Arendt écrit : « Qu’on puisse être à ce point éloigné de la réalité, à ce point dénué de pensée, que cela puisse faire plus de mal que tous les mauvais instincts réunis qui sont peut-être inhérents à l’homme – telle était effectivement la leçon qu’on pouvait apprendre à Jérusalem. »
Est-ce pire que le mal, de tolérer le mal ?
Tolérer, c’est ne pas interdire, ne pas exiger, laisser faire ce qu’on pourrait empêcher ou punir. En principe, nous supportons un certain poids, un certain effort, une certaine dose d’alcool ou de pollution, mais il y a un seuil après lequel c’est la rupture, l’empoisonnement. Dans le cas du mal, c’est accepter qu’existe, à côté de soi, quelque chose d’autre que sa vision du monde, qu’en matière de morale (avortement, clonage, euthanasie), toutes les opinions se valent.", "Chacun a sa perception des choses, ses valeurs; personne n'a tort.", "On ne doit pas juger les autres, car on ne vit pas ce qu'ils vivent", etc. . Donc que tout est permis.
En philosophie, cette prétendue sagesse populaire prend le nom de relativisme.
Ainsi il n'y aurait pas de modèle culturel universel en ce qui concerne les normes et, par exemple, les règles sexuelles. Les codes moraux ne seraient que les mœurs et les coutumes d'une société érigées en système.
Ce qui est bien ou correct pour un individu ou une société n'est pas bien ou correct pour un autre individu ou une autre société. Le relativisme énonce donc une thèse morale ou normative quant à ce qui est bien ou mal.
De cette manière, le bien et le mal se font et se connaissent (se reconnaissent) au travers d'actes, de faits, relatifs aux circonstances qui les ont fait naître et au travers du ressenti qu'ils provoquent,
Leur sens, ce qui les fait connaitre et définir, sera donc relatif, ce qui ferait que l’on définirait UN bien ou UN mal, mais non LE bien et LE mal, un jugement en rapport à ses propres critères subjectifs.
Ainsi il serait bien, par exemple, de dénoncer des opposants même si les personnes dénoncées peuvent être emprisonnées, torturées et probablement tuées ou de s’accorder à des lois qui qui prescrivent quelque chose de mauvais, comme celles qui exigent la ségrégation raciale dans les hôtels et les restaurants.
Socrate, Jésus, Luther, Rousseau, Marx, Martin Luther King, Gandhi, sont sortis de la masse afin de lutter contre l'esclavage et l'oppression des démunis, et faire progresser la reconnaissance des droits de l'homme, des Noirs, des femmes et des animaux. Ils ont fait appel à des idées définissant le bien et le mal, par opposition à ce que pensaient la plupart des gens à leur époque.
S’ils ne l’avaient pas fait, nos sociétés seraient pires que ce qu’elles sont, avec un « mal » plus présent, mais le mal, en lui-même ne serait pas pire que les malheurs et les perversions, qu’il provoquait déjà.
Mais, surtout, sommes-nous certains que, par une action destinée à empêcher le mal de se produire, notre remède ne pourrait pas être pire que le mal ?
Les amis de mes ennemis ne sont pas forcément mes ennemis. De même, les ennemis de mes amis ne sont pas toujours mes ennemis. Enfin, les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis.
Ainsi, il n’y aurait pas à choisir entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire. Tout le problème est de savoir détecter ce qui est mal et ce qui est pire. Un mal plus grand, plus fort, plus grave, mais pas pire que le mal.
Dans les années 1980, on considérait que le régime révolutionnaire islamiste iranien était pire que les dictatures nationalistes arabes: nous avons participé à des actions pour déloger ces dictateurs. Puis la menace de l’État islamique terroriste a été considérée par l’Occident comme pire que celle représentée par l’Iran.
Parce que, élu président en 2013, le modéré Hassan Rohani s'est efforcé de promouvoir la détente avec la communauté internationale, afin de mettre un terme aux sanctions qui pèsent sur l'économie de l'Iran. L'accord de Vienne sur le nucléaire devait ramener l'Iran dans le concert des nations. Mais, remplacé par Ebrahim Raïssi (2021), cet accord n’est pas prêt d’être signé. La société dynamique, ouverte, avide de liberté, qui avait voté pour le président Rohani, est aujourd’hui martyrisée par des dignitaires religieux non élus
« Il arrive très souvent qu’on choisisse le pire, lorsqu’on pense choisir le moins mauvais ». Alors on s’appuie sur la dictature syrienne de Bachar El Assad ; ennemi de l’État islamique, pour combattre cet autre totalitarisme, en prenant le risque de se retrouver, le jour d’après, face à une dictature renforcée par le soutien occidental – et donc encore plus brutale.
Nous sommes dans la situation inconfortable où nous avons deux ennemis qui sont ennemis entre eux : un dictateur qui continue de massacrer son peuple d’un côté, des terroristes fanatiques de l’autre. Donc les ennemis de mes ennemis ne sont pas toujours mes amis.
Selon de nombreuses sources, l’argent qatari, ami du camp occidental, a servi à financer l’État islamique, notre pire ennemi du moment. L’ami de mes ennemis peut être mon ami !
« Tout le problème est de savoir choisir entre deux maux, le moindre, mais ce choix, même erroné n’accentue pas le mal et il est faux de dire que notre intervention provoque « pire » que le mal. Il s’agit déjà de deux maux !
Il n’y a pas pire que le mal, c’est le mal qui est le pire de ce qui peut survenir.
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NOTES
1) Par nature, les humains sont au-dessus des animaux, les animaux au-dessus des plantes. Au sein même de la cité, certains sont naturellement des esclaves, d’autres des dirigeants et les femmes sont naturellement inférieures aux hommes.
Cet ordre naturel est juste par ce qu’il imite l'ordre cosmique, l'ordre naturellement hiérarchisé du monde. C’est génétiques, inné, il y a des aristocrates par nature et des esclaves par nature. Et il est juste être libre ou esclave puisque c'est par nature.
Ainsi la cité est juste, non comme nous le concevons quand elle répond à la volonté générale, voire à la volonté d'une majorité, mais parce qu'elle répond à un ordre naturel.
Notre notion de la démocratie est qu'elle doit combattre les inégalités naturelles, pour Aristote, elle doit au contraire imiter la hiérarchie naturelle.
N.Hanar
Qu’est-ce que le bien commun ?
Lorsque l’on parle de « bien commun », nous pouvons avoir à faire à une chose matérielle, un « bien » susceptible de faire partie d'un patrimoine, d’une possession (un champ, une maison, un troupeau, une plage, etc.), qui, plutôt que d’appartenir à un seul individu, est partagé à plusieurs, en commun.
Mais ce « bien » peut également être ce que prescrit une règle morale, par opposition à ce qu'elle condamne, le mal. Ce bien, qui est l’objectif suprême vers lequel se dirige le sage et à l'égard duquel les autres objectifs sont subordonnés, selon Platon, et qui, pour Kant, est le but final théorique imposé par la loi morale, vers lequel nous devrions tous tendre, en commun: un bien commun théorique. (La théorie précède et dirige l’expérimentation.)
Ainsi, il y aurait, le bien commun, désignant des valeurs morales et politiques, et les biens communs, à savoir un ensemble de ressources dont l'usage, la jouissance ou l'exploitation devrait être collective, possédé par l’ensemble de l’humanité. Ces biens communs peuvent être matériels, comme l’eau, l’air ou même la nature en général, ou immatériels, comme la culture ou l’art, mais toujours communs à l’ensemble de l’humanité, partageables avec d'autres. Toutes les pensées, qu’il s’agisse de théologie, de philosophie, de droit, de politique, d’économie, ou de morale, ont toujours recherché un bien qui puisse être commun, qui devrait être partagé par tous les membres de la communauté humaine, qu’il faut absolument rechercher, et qu’il est même nécessaire de mettre en place afin de bien vivre ensemble!
Parce qu’il représenterait le seul fondement valable de toute organisation sociale et politique, de toute morale, et qu’il ferait vivre au mieux les sociétés, car nécessaire à la vie, au bonheur et à un épanouissement individuel et collectif. Un bien commun, « hors du commun » !
Parce qu’il serait conforme à un idéal moral, vers lequel notre action «doit tendre en toutes circonstances », selon Aristote, ou parce que : « par bien, j’entends, tout genre de joie, tout ce qui remplit l’attente”, écrivait Spinoza.
Depuis que les humains se sont réunis en groupes d’individus afin de mener une vie commune en vue d’une existence paisible et heureuse, s’est posée la question de la manière dont ce bien commun pourrait s’imposer, et le plus souvent il a été conclu que cela était du ressort du pouvoir politique, même si l’idée du bien commun provenait de la philosophie ou de toute autre pensée. Le pouvoir politique est censé agir afin que la multitude puisse aller, d’un même mouvement cohérent, dans la direction du « bien commun », et ne vive pas de façon chaotique. Ce pouvoir peut être soit contractuel, soit démocratique, soit une tyrannie acceptée, soit divin, mais toujours un berger pour son troupeau à qui il assure ordre et protection.
Or, en Philosophie, le bien commun correspond souvent à un absolu, comme la justice chez Platon. Or il s’agit là, d’un absolu relatif au champ de la pensée d’une société donnée, à une époque donnée. Ainsi la justice platonicienne est un « bien commun » limité à une vision unilatérale du monde.
-Platon/Socrate, estimait qu’un régime politique, s’il est gouverné selon la justice, est le plus grand bien qui soit. Or pour lui, ce qui est juste, c’est ce que le pouvoir décide. Et la justice, ce «bien en soi», correspond à une organisation de la société hiérarchique, dans laquelle « chacun reste à sa place », citoyen ou esclave, de telle sorte que la cité, considérée comme une totalité organique, fonctionne de façon harmonieuse.
Ce qui correspond à la vision du Cosmos Grec, non à notre vision du monde. Notre justice, ce bien commun puisqu’elle nous concerne tous, n’a plus du tout, les mêmes contours et le même sens.
-Dans nos sociétés démocratiques qui s’inscrivent dans la lignée de la pensée des Lumières, de Hobbes à Rousseau, les citoyens cèdent tous leurs droits naturels au profit d’une instance supérieure, par un contrat social, lorsqu’ils prennent conscience qu’ils dépendent les uns des autres, et que c'est le bien commun à tous, et non la somme des intérêts particuliers, qui importe.
Donc, idéalement, le « bien commun » devrait provenir de la mise en place d’institutions, qui devraient définir le bien commun, qui correspond en fait à l’intérêt général, mais aussi l’incarner, en fixant des règles, notamment de propriété, en endiguant l’intérêt privé, et en faisant exister la justice sociale par une juste répartition des biens communs. Quelque chose comme un état providence !!!
Et ce serait pareil pour les biens communs. Faut-il vraiment un état fort qui s’empresserait de réguler l’exploitation des champs, par exemple en contrôlant la natalité,(moins de quantités de nourriture nécessaires), ou en légiférant sur les moyens de production de la nourriture (la planification soviétique), ou en stigmatisant certaines habitudes alimentaires ? Ou comme le souhaite Ostrom, (lauréate du « Nobel d’économie » en 2009), confier la propriété et la gestion de ces biens communs aux populations locales, à ses usagers, en remettant les clés de la maison à ses habitants, et la propriété de la forêt aux communautés autochtones qui l’habitent ? Mais peut-on vraiment compter sur la sagesse des peuples et oublier les limites de la gestion populaire, qui peut être manipulée par des opportunistes, ou par l’émotion et transformer le ressenti d’un instant T, en une décision irréversible. (Brexit).
De plus, toujours selon, Elinor Ostrom, si tous les biens matériels deviennent communs, ne risque-t-on pas « la tragédie des biens communs » parce que l’accès libre à l’utilisation collective d’un bien commun, comme un champ partagé par une communauté villageoise ou des toilettes publiques en ville, conduit presque toujours à sa dégradation. Le même résultat s’est produit avec la déréglementation de l’économie mondiale et le recul de l’intervention publique et du contrôle des États.
Nos problèmes actuels, sociaux, environnementaux et climatiques, proviennent de l’absence de frontières, de séparations nettes, entre pouvoir politique, pouvoirs économique et financier, et toute morale.
Michel Serres, (Dans le « contrat naturel », dès 1990), se demande : comment faire en sorte que cette Nature que nous exploitons, soit restaurée, pilotée et gouvernée demain comme un bien commun ?
Il y a bien des ressources gérées collectivement : des jardins partagés, des logiciels libres, des modes de production et de distribution d’énergie organisés en commun aux habitats conçus de façon coopérative. De plus, partout dans le monde, des mouvements contestent l’appropriation par des oligarchies, étatiques ou privées, de ressources naturelles, d’espaces publics, de connaissances ou de réseaux de communication.
Mais comment réinventer l’État et la propriété au XXIe siècle ? C’est le principe dominant de la propriété privée qui s’est imposée à partir des Temps modernes comme un principe fondateur de nos sociétés, même si des mécanismes de limitation de la propriété privée se sont développés. Même si Marx, après Rousseau, avait démontré comment l’économie capitaliste avait transformé ce droit en un instrument de dépossession, séparant le sujet de ses conditions organiques d’existence.
Parce que ces biens communs ne sont collectifs qu’en tant qu’ils sont propriété d’un acteur public », (État, collectivités, établissements publics), consacrant ainsi le transfert de la notion de propriété privée au pouvoir administratif sur les biens publics. « En cela l’État a participé à l’affaiblissement des communs ».
Le renouveau du commun se fondera sur un double refus : celui de la privatisation continuelle des biens et des ressources, mais aussi de la prédominance de l’État, impuissant à les préserver et à bien les gérer.
Trop souvent, un État qui prétend agir au nom du bien ne fait en réalité qu’imposer abusivement son pouvoir, n’en fait qu’un rouage de sa machine de pouvoir, détruisant ainsi non seulement bien des libertés individuelles, mais aussi ces biens communs fondamentaux que sont la confiance et la qualité de la vie..
Les États de droit, remplissent des fonctions administratives, législatives, politiques et sociales. Mais ont-ils à prescrire une conception de la « vie bonne » sans que les individus restent en mesure de juger de ce qui est bon pour eux, de ce qu’ils souhaitent ?
Pour penser la notion de bien commun, il faudrait donc, la concevoir de telle manière qu’elle se démarque nettement de toute forme de totalitarisme, que la main invisible de l’Etat, ne décide pas unilatéralement de ses contours et permette la constitution libre de l’existence humaine au sein d’une vie en société.
Montesquieu avait bien observé que les hommes sont portés à étendre leur pouvoir de manière illimitée, donc à en abuser. D’où sa judicieuse théorie de la séparation entre les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif, afin que leur indépendance leur permette de se limiter les uns les autres. C’est un mode permettant d’atteindre un bien commun, qui ne saurait être défini d’avance !
Le problème, c'est que la notion de bien commun est souvent utilisée comme justification des actions d’un pouvoir (nous savons ce qui est bon pour vous), voire comme alibi de validation sinon d'une idéologie, au moins d’un assemblage opportuniste des opinions les plus courues et les plus séduisantes du moment.
Comment pourrait-il en être autrement puisque nous souhaitons une société composée d'une juxtaposition d'identités, une société démocratique (liberté d’opinions), laïque (liberté de culte), multiculturelle, qui aurait toutefois pour idéal, je ne sais quel « bien commun », qui pourrait rassembler, en un seul « bien », l'intégralité des désirs, des opinions, des croyances et des comportements humains ?
Ce « bien commun » risque de se couper de la vie réelle, de s’ériger en absolu, si ses contours et son contenu sont nommément désignés et de provoquer ainsi l’effet inverse à celui souhaité!
Ce « bien commun », serait un très anciens concept (Ulpien, un juriste romain du IIIe siècle), alors caractérisé par la paix, la justice, l’abondance, réduites aux lois existantes et à leur jurisprudence. Et cette idée d’un bien commun, est, de nos jours, accaparé par les nouvelles formes du conservatisme et du fondamentalisme. Il trouve à son tour sa source et son autojustification dans la tradition, ou dans des lois édictées à un moment précis. Pour ces mouvements, ce qui est crucial, c’est que le bien commun n’a pas à se justifier au prisme de la démocratie, mais que c’est la démocratie qui ne vaut que dans la mesure où elle contribue au bien commun désigné, et pas l’inverse.
On risque alors de basculer dans le cauchemar du totalitarisme avec des individus noyés dans le collectif. Alors que chaque citoyen, devrait se poser pas la question de la définition du « bien commun », mais sans se déposséder de sa capacité de décider, sans systématiquement la remettre à quelqu’un, en qui on a à priori confiance, et sans s’obstiner dans une définition qui convient à sa propre opinion. Le danger de ne plus penser par soi-même guette toujours.
L’information, d’ailleurs, pourrait aider à cerner l’idée d’un bien commun, (et même en être un elle-même), si les journalistes qui ont pour tâche d’assembler et de présenter aussi objectivement que possible les événements, dispensaient une information vérifiée ou recoupée. Or les nouveaux médias proposent des parcours à la carte et privatisent les informations. Par exemple, le journal L'Action française, interdit en 1944, fondé par Charles Maurras, nationaliste intégral, est à nouveau édité sous l'étiquette "le bien commun".
Sur Internet, à la télévision, chacun peut ne fréquenter que ses semblables et éviter tous ceux, sites ou messages qui contredisent ses opinions. Ou utiliser les « fake news », comme des biais de confirmation !
Pourtant, il y a bien, de nos jours, une volonté de créer ou de recréer du « commun », ce qui pose les conditions de possibilité de l’émergence d’une nouvelle façon de contester les destructeurs des biens matériels communs, et du bien commun moral, ignorants tout humanisme.
Ce serait un « commun »idéal, dans un type de société composée non plus de consommateurs ou d’usagers passifs, mais de « coproducteurs « indignés », qui œuvrent ensemble en se donnant eux-mêmes des règles collectives », des règles créant une « nouvelle raison politique » « une morale commune », à substituer à toutes raisons politiques ou économiques, triomphantes de nos jours.
Ce qui invite à penser le commun non comme objet figé, mais comme une dynamique perpétuelle.
Mais pourquoi vouloir que ce soit un bien commun à tous, sans tenir compte de la condition humaine, des circonstances de l’existence de chacun ?
Si un bien commun est, par essence, politique, il devient dangereux s'il évolue vers une idéologie, vers un dogmatisme. Vouloir figer une fois pour toute la situation de l'humanité dans ce qui serait un bien pour elle, est absurde; l'humanité, étant ce qui évolue sans cesse.
Cette idée provient peut-être de ce que, depuis la Bible et Platon, la dispersion a surtout été considérée comme une malédiction à combattre.
La Bible (env. 8e siècle avant J.C.) relate l’épisode de la tour de Babel. Les « fils d’Adam » entreprennent d’édifier, « une tour dont le sommet touche le ciel » (Genèse, 11). Dieu, les en empêche et les punis en leur faisant parler des langues différentes pour « qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres » et « les [disperse] sur toute la surface de la Terre » en groupes irrémédiablement séparés. En interdisant aux gens de se comprendre les uns les autres après qu’ils ont prétendu se mesurer à lui, Dieu dissipe le rêve d’une humanité soudée.
Ce qui empêche l’humanité, de vivre dans un empire unique, avec une culture commune, dispersion qui a une connotation négative, pour ceux qui rêvent d’une humanité unie.
Or, pour Saint Augustin dans un passage de La Cité de Dieu (livre XVI, chap. 4), cette punition est surtout une délivrance. Cette dispersion, permet à l’humanité, peut-être désunie, de ne pas devoir allégeance et obéir à un souverain tout-puissant, dans un empire unique, avec un mode d’existence uniforme, des formes d’expression identiques, une culture commune.
« Chaque communauté possède désormais sa langue, sa culture, sa manière propre de vivre. La séparation vaut peut-être mieux que l’unanimité forcée » (Georges Steiner).
De toutes façons, lorsque Notre Dame de Paris brûle, cela devient notre drame à tous car ce bâtiment du Moyen-Age n'a évidemment pas qu'une fonction religieuse, il est aussi le symbole d’une histoire.
L'humain a des intérêts qu'il veut servir mais il est aussi un être sujet à des émotions face à des aspects spirituels, historiques ou mystiques, qui servent de lien entre les personnes et forment ainsi un bien commun.
Le bien, n'est donc pas qu'un bien patrimonial. Ce qui est bien est également ce qui revêt une connotation morale; c'est ce qui apparaît comme étant juste (juste dans le sens d'équitable). Une collectivité, une communauté, voire une minorité agissante est-elle légitime pour établir ce qui serait moralement bon? N’est-il pas impératif de garantir au « bien commun » une parfaite neutralité ?
La notion de bien commun n’est pas l'idée de l'intérêt général.
La notion de « culture commune », qui serait « l’ensemble des savoirs, des croyances, l'art, le droit, la morale, les usages, les idées, les valeurs, les techniques, donc cette part de notre environnement qui est la création de l'homme, et qui pourrait constituer « un bien commun », se retrouve séparé de ce qui relève de la « nature, qui devrait être partagé et maîtrisé par tous les individus », qui pourraient constituer « les biens communs », participants de l’intérêt général. Et ceci, dans le but de résoudre les problèmes de divisions, les difficultés du vivre ensemble, en rassemblant tous les individus autour de deux pôles « communs » à toute l’humanité.
Le bien commun et les biens communs, nettement distingués, pourraient constituer un idéal à construire, qui admet le jeu des différences, plutôt que de constituer, lorsqu’ils sont confondus, un donné initial imposé, qui risquerait d’être un facteur diviseur, discriminant.
Pour Jacques Derrida, toute idée, par l’écriture, dans une œuvre, prend sa liberté par rapport au privilège millénaire de la voix autoritaire, s’éparpille en caractères, en morceaux épars, en fragments de sens. Grâce à la dissémination, c’est l’abandon des principes directeurs, des origines mythifiées et des fins grandioses. Plus de sens imposé, de livre sacré, d’auteur tout-puissant, de polarités obligatoires : rien que du texte disséminé en un jeu infini…la dispersion perdant son sens négatif..
Ce qui est à l’opposé du manifeste de Mark Zuckerberg (le patron-fondateur de Facebook), qui affirme la nécessité de «rassembler l'humanité» et explique comment le réseau social américain entend y contribuer en « connectant le monde» pour «construire une communauté mondiale». Ce serait l’opportunité de « répandre la prospérité et la liberté, promouvoir le pays et la compréhension (des autres), sortir les gens de la pauvreté, et accélérer la science, mettre fin au terrorisme, lutter contre le changement climatique et prévenir les pandémies». Une communauté mondiale, avec des outils permettant de s'informer, de s'entraider en cas de crise, de s'engager civiquement... pour rassembler l'humanité», écrit-il encore.
Dans les faits, cette « mondialisation », provoque aussi la crainte de l’autre, des communautarismes diviseurs, et la défense de « valeurs » souvent isolationnistes.
Mélanger le bien commun et les biens communs n’empêchera pas la méconnaissance ou l’hostilité réciproque, alimentés sans cesse par les contestations des particularismes, régionalismes, communautarismes, toutes ces réactions identitaires contre ce qui est vécu comme une uniformisation
Il ne doit pas y avoir pour idéal, une impossible universalité culturelle de l’humain, censée dépasser les égoïsmes, les antagonismes ou les enfermements nationaux, permettant aux hommes de s’unifier, autour de valeurs communes homogènes, d’un bien commun, d’un bout à l’autre de la planète.
Mais il doit bien y avoir un idéal concernant la sauvegarde des biens communs, naturels comme l’eau, l’air ou la terre en général.
N.Hanar
La bienveillance
Le mot « bienveillance » viendrait du latin « benevolentia » qui signifie « disposition favorable à l’égard d’autrui » et a donné par ailleurs le mot « bénévole ».
« C’est vouloir du bien à quelqu’un, donc lui en faire » écrit Comte Sponville. C’est porter sur autrui un regard aimant, compréhensif, sans jugement, en souhaitant qu'il se sente bien, et en y veillant.
Le problème, c’est que nos sociétés modernes démocratiques, ne semblent pas éclairer cette attitude, ce chemin-là, mais plutôt privilégier un regard porté sur l’autre qui s’appuie sur une critique permanente, un jugement destructeur ou polémique, une méfiance, au travers de laquelle chacun entend s’affirmer.
Comment ne pas tenir compte en parlant de bienveillance, des théories identitaires qui essaiment à travers le monde, comme cette orthodoxie woke", imprégnée par les théories sur le genre, la race ou le colonialisme, qui considèrent autrui, à priori, comme malveillant, mal intentionné, envers une myriades de communautés?
Si chacun de nous appartient et s’enferme dans un groupe défini par son genre, sa race ou son ethnicité, que nos opinions ne peuvent être que celles du groupe auquel on est rattaché, tant pis, à terme, pour la démocratie, la liberté d'expression, les libertés individuelles, et pour la bienveillance envers ceux qui n’en font pas partie.
Plus personne ne portera sur vous « un regard aimant, compréhensif, sans jugement, en souhaitant que vous vous sentiez bien, et en y veillant », parce que l’universalisme des Lumières et la bienveillance qui devrait en découler, n’est plus l’étoile qui nous guide, mais est définitivement jugé rétrograde et réactionnaire et même, suscite la méfiance. Alors des conférences, des débats, des livres, des écrits et leurs auteurs sont « cancellés », annulés, virés sauf à s’auto censurer pour ne plus exprimer que des idées conformes à une norme obligatoire ou édulcorées et sans consistance.
Du fait des critiques le dessinateur Xavier Gorce a renoncé à dessiner pour « le Monde ». Dans son dessin, un pingouin disait : « j’ai été abusée par le demi-frère adoptif de la compagne de mon père transgenre devenu ma mère, est-ce un inceste ?
En fait, tant le dessin que la réaction qu’il a entrainée n’ont rien à voir avec la bienveillance, cette action empathique qui fait poser sur l’autre un regard de bonté, capable de se traduire en une action visant son bonheur, quel que soit son comportement. Elle devient un rêve inaccessible, cantonné au « yaka » et « faut qu’on»..
Et alors, se contenter de l’apologie de ce que pourrait être un monde sans conflits, sans exclusions, sans tensions, un monde idéal dans lequel l’agneau pourrait dormir à côté du loup, même s’il ne dort que d’un œil, n’aurait plus aucun sens.
Quand le réel prend le visage des fractures sociales et identitaires, de la violence et de la mort, la pensée « Bisounours » n’est plus de mise. Peut-on revoir ce logiciel éthique et politique qui veut nous fait croire que l’on pourrait renoncer à l’énoncé précis des droits et des devoirs objectifs de chacun, une attitude évolutive dans le cadre de chaque communauté d’intérêts, pour parvenir à tabler sur une bienveillance universelle entre tous les êtres.
Les philosophes des Lumières, avaient fait de la sympathie et du « calme désir du bonheur des autres » une donnée morale universelle. (Kant, voulait que chaque action puisse être érigée en loi universelle).
Alors que, contre ces nouveaux modèles de communautés qui surgissent – communauté des affects, communauté des croyances, communautés des identités, qui fait de tous ceux qui se ressentent comme des blessés de la vie, des assurés qui ont vocation à se plaindre au guichet de l’État démocratique pour qu’il prenne soin d’eux. Et ce, au moment où ce même État est menacé du dehors par la violence fanatique et du dedans par le populisme démagogique.
Faut-il en revenir au modèle contractualiste, inspiré par Hobbes, et Locke, avec le risque que la bienveillance se limite à ce que la loi nomme les circonstances atténuantes ?
Ou faut-il en appeler aux conceptions de l’humain qui en font un être à l’origine bon et bienveillant, mais transformé par la société ? Une société aujourd’hui très individualiste, qui nous pousse spontanément à rechercher en priorité la satisfaction égoïste de nos besoins et désirs, au dépend souvent de ceux des autres.
La conséquence « boomerang » des Lumières est que le vivre-ensemble, « le désir clairement exprimé de continuer la vie commune »,avec bienveillance, ne puisse se faire que par l’intermédiaire d’un contrat social, d’un ensemble de lois, fondées sur la morale et la mise en place de limites à la liberté individuelle pour préserver une liberté générale. Ce qui « ne semble plus vraiment évident. De sorte que c’est la nature même du contrat social qui interroge.
Pour les uns, ce sont les riches qui précipitent et profitent des crises, pour les autres, ce sont les classes moyennes qui ont été abandonnées ; pour d’autres encore, ce sont les étrangers qui menacent le vivre-ensemble…
Hobbes partait d’un « état de nature » théorique, modèle imaginaire d’un monde où la domination ancestrale par la force avait été remplacée par un libéralisme sauvage, dans lequel chacun, individu ou nation, cherche à tirer son épingle du jeu dans un climat de concurrence généralisée – ce que Hobbes, appelait « la guerre de tous contre tous ». Seul un « contrat social », fondant un libéralisme politique, encadré, pouvait y mettre fin.
Ainsi, il suffirait d’ériger des « autorités fortes » qui limiteront l’insécurité et la peur et permettront que la lutte de chacun pour réussir s’opère en l’absence de position dominante. Il n’est pas question de bienveillance, mais de la supposition que l’autre, que chacun, individuellement, acceptera et se comportera comme moi, sans qu’il n’y ait véritablement d’échange.
Et puis, il y a ceux qui, dans les pas de Rousseau, considèrent que la dynamique compétitive n’est pas une donnée naturelle, première, mais le produit d’une histoire, notamment l’invention de la propriété. En s’inspirant de la bonté naturelle de l’homme et de son aspiration à la paix, il serait possible et légitime de s’opposer à la compétition pour retrouver la concorde naturelle perdue, chacun « s’unissant véritablement à tous ». La bienveillance permettrait la recherche du Bien commun et ainsi, le bonheur.
Ce qui correspond aux idées d’Edgar Morin : l'empathie, la bienveillance, la gentillesse, l'altruisme, le souci de l'autre, existent chez tous les êtres humains comme dispositions fondamentales: on le voit notamment lors des grandes catastrophes où se réactivent spontanément des élans de générosité, même pour des populations lointaines. Oui, mais d’autres perçoivent ces grands élans comme des alibis de bonne conscience ou pire, des manœuvres politiques dissimulées d’ingérence.
La bienveillance peut alors apparaître comme une recette pour « sublimer », au sens psychanalytique, la compassion, l’apitoiement, la commisération ou la pitié, et devient l'expression passive de la perception que l'on a de la souffrance d’autrui, l’enfermant dans un statut de victime.
Alors que la bienveillance, elle, n’enferme pas l’autre dans l’image unique de ce qu’il n’est pas.
En fait, dans le monde réel il n’y a pas toujours respect du droit, de la solidarité et de la bienveillance :
-ce sont les vengeances, ces revendications d'un « droit », qui sont, à chaque fois le fondement d’activités souvent monstrueuses et tyranniques…Comme le font les certitudes et les idéologies.
-ou, au contraire, un droit mis de côté du fait de l’une des occurrences du mot bienveillance, celle qui la définit comme « une disposition d'esprit inclinant à la compréhension, à l'indulgence envers autrui et même à désirer le bonheur de notre prochain ».
Dans ces deux cas, qui ne correspondent pas au droit légal, il y a toujours l’action d’ignorer la règle, en la transgressant, en se référant à un autre système légal, un autre droit, ou en faisant appel aux sentiments, à une « nature humaine » empathique, limitée à son ressenti propre.
Sur quoi , alors, reposeraient les deux visions contradictoires de l’homme, opposant une « nature humaine » empreinte de misanthropie, cupide et égoïste et une autre « nature humaine » faite de bonté naturelle ?
Je considère la bienveillance dont il est question dans ce sujet, comme la disposition d'esprit réflexive, à juger des actions, les nôtres et celles des autres, sans ne reproduire que le caractère mécanique et inexorable d’une quelconque loi ou tradition, tout en tenant compte de leur contenu, mais en tenant compte également des conditions d’existence de l’humain. Un jugement en dehors d’une échelle de valeurs !!!
Tenter de comprendre l’action d’autrui, est alors un enjeu de justice qui nécessite de savoir écouter, de se montrer sensible à la situation d’autrui, afin de permettre ce qu’on appelle aujourd’hui le « vivre ensemble ». La bienveillance se ferait posture accueillante, non-jugeante, ouverte à la différence, sans condescendance, ni indulgence, mais sans jugement qui placerait l’action de l’autre sur une échelle de valeur.
Ce serait un pari sur la raison, non figée par des cultures, des normes rigides ou des usages, qui peuvent présenter un caractère tyrannique. Cette idée de la bienveillance ne se référe pas à un pouvoir, à une autorité oppressive et violente, comme celle des passions, des désirs, des usages, des cultures ou d’une loi contractuelle oppressive.
C’est un pari qui nous fait courir le risque d’y perdre pouvoir, repères, en renonçant aux jugements précuits, et à la distinction entre les siens et les « différents »… Ce pari sur la raison, sur la possibilité de son jugement équilibré entre les faits, les lois et les motifs des actions humaines a souvent été contourné par les penseurs qui ont fait appel à des « extérieurs » incontournables : (selon Patrice – voir le texte sur le site)
-La bienveillance, pas plus que la malveillance, réellement n’existe ; et seule existe la volonté du vrai, selon Platon.
-« Dans le Christianisme, une bienveillance morale absolue, charité universelle, est imposée par Dieu, contre la concupiscence malveillante due à un principe du Mal.
-Du côté du Kantisme, le respect universel d’autrui est absolument imposé par la Raison.
-La bienveillance bouddhiste est une empathie, un souci du bien-être d’autrui qui s’efforce d’éviter tout attachement affectif, afin de préserver la suprême sérénité ». etc…
L’idée de la bienveillance libre que je défends n’a rien à voir avec la compassion, l’apitoiement, la commisération ou la pitié, qui ne sont que les expressions de la perception que l'on a de la souffrance d’autrui.
La bienveillance sous-entend une évolution de soi vers l'approche des autres, sans jugement.
Or comment ce qui est culturel, comme le « soi » qui nous constitue, pourrait s’affranchir de la culture de chacun ?
La semaine dernière, j’avais parlé de la thèse de Sartre (dans « l’Etre et le Néant ») selon laquelle nous n’existons que par le regard d’autrui
Sartre y prend l’exemple d’un homme seul qui monte l’escalier pour rejoindre son appartement et entend du bruit dans un autre logement. Intrigué et curieux, il met l’œil à la serrure pour voir ce qui se passe. C’est alors qu’il se rend compte qu’une deuxième personne le regarde en train de regarder…Alors se produit la « honte de soi », la prise de conscience qu’il est alors, cet objet qu’autrui regarde et juge. Il comprend qu’il s’agit de la structure permanente de son être-pour-autrui. Et même lorsqu’autrui n’est pas physiquement présent, son influence est présente. L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.
Mais il ne faut pas en conclure que cet être pour autrui soit toujours ressenti fautif, connoté négativement !
Dans ses Cahiers pour une morale, Jean-Paul Sartre évoque cette scène : « Je suis sur la plate-forme de l’autobus et je tends la main pour aider à monter celui qui court après l’autobus. » La main tendue est le moyen par lequel l’homme qui se trouve dans l’autobus contribue à la réalisation de ce que veut celui qui court. Elle produit un changement, permet la réussite conjointe d’une action en montrant une forme positive réciproque de l’« être-pour-autrui ». Pris dans le jeu relationnel l’« être-pour-autrui » n’est plus honteux, mais brille de bienveillance, à l’écoute et au service de l’autre.
La bienveillance, dans cette optique consisterait à être à l’écoute de l’autre, tout en maintenant une distance non-intrusive (on ne se demande pas et on ne lui demande pas pourquoi il voulait-il monter dans le bus). Ainsi c’est veiller sur l’autre dans le cadre d’une sociabilité soucieuse de la conservation de sa liberté.
La demande permanente de justification des actes réalisés, la tyrannie de la transparence, doit se plier à une bienveillance qui maintient une distance, qui autorise la pleine autonomie de chacun, leur capacité à nous cacher ce qu’ils veulent garder pour eux seuls. La bienveillance n’a de sens que si elle ménage des espaces, des réserves, grâce auxquels la vie commune se défend et se consolide.
Ce petit conte pourrait nous éclaire :
Un homme perdu en pleine forêt, aperçu, au loin, une habitation. Il tapa à la porte et demanda au propriétaire de la maison s’il pouvait le recevoir pour la nuit. A son grand étonnement, l’homme lui demanda une importante somme d’argent en échange de la chambre et du repas qu’il lui ‘‘offrit’’ pour quelques heures !!
Inutile de préciser qu’après avoir dépensé autant d’argent, l’invité ne se gêna pas pour manger à son aise !! Il se resservit à plusieurs reprises de la nourriture, parmi les nombreux plats qui lui furent proposés.
Lorsqu’il s’apprêta à quitter son ‘‘hôte’’, celui-ci lui tendit une enveloppe.
Après l’avoir ouverte- s’aperçut qu’elle contenait… la somme d’argent qu’il avait donné au propriétaire de la maison pour qu’il accepte de l’héberger !
L’hôte lui avait réclamé de l’argent dans le seul but de pouvoir lui faire du bien. Car si l’invité n’avait rien payé, aurait-il osé manger à sa faim comme il l’avait fait ? Ne se serait-il pas plutôt senti terriblement gêné de recevoir autant de bontés sans ne rien donner en retour ? Le fait d’avoir payé donnait à l’invité l’impression qu’il n’était pas redevable à son hôte ; et il pouvait ainsi vraiment profiter de tout ce que celui-ci désirait lui offrir.
Ainsi la bienveillance serait une relation sans jugement, qui a bien un sujet dont la liberté est préservée, mais qui n’a pas d’objet. Une bienveillance aux limites individuelles dont l’extension à une société entière, du fait de la condition humaine, ces événements majeurs et ces situations qui composent l'essentiel de l'existence humaine dans la réalité, me parait bien difficile à universaliser.
N.Hanar
Qu'est-ce qu'un progrès ?
Selon les astro-physiciens, l'univers serait né il y a 14 milliards d'années dans une déflagration nommée " big-bang ". Apparurent suite à cela, les particules élémentaires, les noyaux atomiques, l'hydrogène et l'hélium qui formèrent les étoiles. Parmi les quelques 100 milliards de galaxies qui se formèrent alors, de l'une d'entre elle nommée " Voie lactée ", une nuage interstellaire s'effondra sous l'effet de sa gravité et donna naissance, il y a 4,55 milliards d'années au soleil et aux planètes qui l'entourent. Sur l'une d'entre elle, la Terre, la vie s'éveilla il y a 3,8 milliards d'années, il y 3,5 millions d'années apparut le 1er hominidé qui fabriqua le 1er outil vraisemblablement il y a 2,5 millions d'années, il fut capable de pensée reflexive il y a quelque 200 000 ans et il donna naissance aux premières civilisations, il y a quelques milliers d'années.
Cette évolution, de l'extrêmement simple jusqu'à la complexité du cerveau de l'homo sapiens peut être considérée comme l'archétype de ce qu'est un progrès. Plus qu'une simple évolution ou une simple progression, un progrès est ce qui aboutit à un résultat, à un état actuel irréversiblement différent de l'état initial, et qui détermine un aboutissement, un achèvement, voire une finalité, il est en cela donc un état nécessairement préférable à tous les états antérieurs.
Qu'en est-il alors de l'activité humaine ? Celle-ci, bien que sujette à des changements permanents, est-elle toujours orientée vers un progrès, ou est-elle l'illustration de l'idée même de progrès ?
Si l'on s'en réfère à ce texte fondateur qu'est la Bible, on constate que le 1er homme vivait dans la félicité à l'image de son créateur, mais préférant accorder crédit à ce que Shakespeare nomma la " perfidie du Serpent maléfique ", il fut de ce fait obligé d'entrer dans une histoire, son histoire, de créer son destin par son action. Par la suite, le christianisme assigna à l'homme la mission de reconquérir la félicité initiale par une vie vertueuse, l'existence étant un cheminement vers un état de purification permettant le rachat dans l'au-delà. La finalité est alors transcendante, en ce sens qu'elle se situe au-delà de la vie de chacun, et en fin de compte le progrès éventuel par rapport à la condition terrestre,- l'assurance de la félicité céleste- ne conduit à aucune amélioration des conditions de vie car il se situe par delà la finitude de l'existence humaine
L'idée de progrès, dans son acception actuelle, cad associée à un saut dans le qualitatif, mais dans un temps prévisible et en tous cas dans celui de la vie humaine, est apparue à la Renaissance. Il a, en ce sens, été employé pour la 1ere fois par le philosophe anglais, F. Bacon au 16e siecle. Le but de la vie n'est alors plus de conquérir l'au-delà, mais de connaître la nature- l'environnement, dirait-on aujourd'hui- afin d'en pouvoir par son exploitation améliorer son existence. Galilée établira que la nature étant écrite dans un langage mathématique, ses secrets peuvent être découverts et utilisés. Les penseurs de ce temps font toute confiance au savoir, à la raison et donc à la capacité de raisonnement permettant d'instrumentaliser la nature tout en se sachant néanmoins dépendants d'elle. " Savoir, c'est pouvoir ", " on ne soumet la nature qu'en lui obéïssant ". Bacon.
La raison sera de même considérée comme nécessaire pour éclairer la conduite et l'action des hommes, là aussi dans un but d'améliorer les conditions d'existence. L'émergence du capitalisme sera vu comme une gestion rationnelle de l'activité humaine car l'appropriation des biens d'autrui ne se fera plus par la guerre mais par l'échange marchand qui creera une 1ere version du " gagnant-gagnant ". Dès la fin du 16. siecle apparaîtra en Europe une bourgeoisie qui considérera l'enrichissement constant grâce au négoce comme étant la principale finalité de l'existence. L'économiste anglais A. Smith, parlera de la main invisible qui dans un marché libre enrichit d'abord les plus entreprenants avant de dispenser ses bienfaits sur la société toute entière. Montesquieu parlera du " doux commerce qui finira par éliminer les causes irrationnelles des conflits ". Citons encore Condorcet " la masse totale du genre humain marche à une perfection plus grande ". N'oublions pas Kant et son projet de paix perpétuelle rendue possible par le triomphe de la raison. Les penseurs de cette époque partageaient la croyance qu'un progrès matériel lié au progrès de la raison engendrait nécessairement un progrès moral. L'histoire de l'humanité est alors de plus en plus perçue comme unitaire dont la finalité ne réside plus dans le providentialisme chrétien, mais tout simplement dans le réalisme : l'acception des choses telles qu'elles sont, la recherche de leur compréhension, leur exploitation économique ; le tout devant aboutir à une transformation des sociétés en un vaste marché.
Pour J.J. Rousseau, l'homme se distingue de l'animal par sa perfectibilité. Et s'il en est capable, c'est qu'il peut progresser, ou à défaut on peut le faire progresser, vers un état meilleur. Idée dangereuse qui aboutira à la radicalisation de l'idée de progrès par la Révolution, laquelle débouchera sur la Terreur et un nouvel absolutisme : celui de Napoléon. Certes, la reconnaissance des droits de l'homme et du citoyen issue de la Révolution est un indéniable progrès moral, mais notons que la même évolution s'est faite en Angleterre sans violence.
Au 19. siecle, le scientisme et le positivisme qui le caractérisent sont à nouveau vécus comme autant de progrès, d'avancées vers un monde meilleur. Confiance aveugle dans la science, le machinisme et l'industrialisation. V.Hugo : " L'eclosion future, l'eclosion prochaine du bien-être universel est un phénomène divinement fatal ". Ce qui relève de la tradition, du provincialisme, bref tout ce qui considéré comme une permanence de l'état de nature est déprécié car considéré comme un facteur de sclérose. Il était ainsi bien vu d'être pâle au cour de l'été, les instituteurs de la 3. République avaient pour mission d'éradiquer les particularismes locaux, signes d'arriération ; les colons qui allaient peupler les contrées lointaines avaient quant à eux la noble tâche d'apporter la civilisation à ceux qui jusqu'alors en avaient été privés. La diversité humaine n'etait pas perçue comme une richesse, mais tout au plus vue comme une contingence. L'humanité était considérée comme un ensemble unique que l'on pouvait éduquer pour la faire accéder aux lumières de la raison et donc de la civilisation occidentale perçue comme meilleure car techniquement plus avancée que les autres.
Politiquement cette idée de progrès nécessaire au bien-être de l'humanité, mêlant progrès technique et hypothétique progrès moral, était véhiculée par les forces de gauche, qui, se définissant elles-mêmes comme progressistes, faisaient ainsi du progrès sa propre justification. Mais en légitimant ce faisant la colonisation, elle rendait acceptable l'idée d'un ethnocentrisme européen en totale contradiction avec l'universalisme proclamé.
Les marxistes allaient quant à eux complètement dévoyer cette idée de progrès en affirmant le cours d'un nécessaire " sens de l'Histoire ", dont il fallait accélérer le cours à tout prix pour hâter la venue d'une société nouvelle, la société sans classes. Mais ce volontarisme, " du passé, faisons table rase " Lénine, n'a pas généré " les lendemains qui chantent " attendus par ceux qui avaient placé leurs espérances dans ce nouveau millénarisme.
On constate que l'histoire de l'humanité est un chantier jamais terminé, qu'elle est jalonnée de violences qu'aucun progrès moral ou spirituel n'a su à ce jour endiguer. " Tout semble voué à la disparition, rien ne demeure ", avait déjà constaté Hegel dans la " Raison dans l'Histoire ", ajoutant cependant qu'après chaque destruction, " l'esprit réapparaît rajeuni, mais aussi plus fort et plus clair ". L'Histoire doit être compréhensible et doit avoir une signification, affirme-t-il, car fruit des passions humaines, celles-ci bien qu'étant le moteur de l'Histoire, elles doivent néanmoins être mises sous le boisseau de la raison afin que l'Histoire aille dans le sens d'un progrès, le progrès étant selon Hegel, la connaissance et la réalisation de l'Esprit du monde. Ainsi écrira-il : " L'Histoire universelle est la marche par laquelle l'Esprit parvient à sa vérité et prend conscience de soi. Les peuples historiques, les caractéristiques de leur éthique collective constituent les configurations de cette marche graduelle. Franchir ces degrés, c'est le désir infini et la poussée de l'Esprit du monde, car leur articulation aussi bien que leur réalisation est son concept même ".
Cette parousie de l'Esprit du monde, rencontre des esprits singuliers de chaque culture, ou des singularités de chaque culture si l'on s'en tient à une conception matérialiste, synthèse également de la passion et de la raison, est une belle définition de l'universalité et peut servir de paradigme à l'idée de progrès. Celui-ci n'est ni un mythe, ni une abstraction, mais une nécessité résultant de la nature même des choses, de la nature même de la vie. Nous avons vu au début que ce qui est résultait d'une complexification croissante de l'existant ; si l'aboutissement en est la raison humaine, il n'est pas absurde de prétendre que la raison de l'existence pourrait être l'existence de la raison. Et qu'il s'en suit que ce n'est que par l'usage de la raison que son détenteur, l'homo sapiens, peut définir et créer des progrès dans les civilisations qu'il engendre.(par Jean Luc)
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Aucun plaisir n’est un mal en soi ( par Pascale)
Mon propos sera en deux parties, elles-mêmes divisées en 4 sous parties.
1 – Le plaisir
- définition
- le plaisir vu par les pythagoriciens
- le plaisir vu par les épicuriens
- le plaisir vu par le christianisme
2 – Le « mal en soi »
- définition
- le plaisir, un mal en soi
- le plaisir, un mal pour autrui
- le plaisir, un mal pour soi
1 - Le plaisir
Le plaisir (du latin placere, plaire) est le nom générique de la satisfaction d’un besoin physique, affectif ou intellectuel ou encore de l’exercice harmonieux d’une fonction vitale. Le plaisir procure à l'être vivant une sensation agréable et recherchée.
Le concept de plaisir est souvent associé à un mot qui le qualifie : plaisir sexuel, plaisir alimentaire, plaisir de se retrouver au café philo, etc.
Le désir, lui, se situe en amont et si le plaisir est libérateur, le désir est une tension issue d’un sentiment de manque.
Le plaisir est physiologiquement en nous. Il est la base de notre système de récompense. Il est nécessaire à la survie car il nous fournit la motivation indispensable à la réalisation d’actions ou de comportements bénéfiques visant à préserver l’espèce ou l’individu (recherche de nourriture, reproduction, évitement des dangers…).
Le plaisir est donc un objectif, un principe universel. Dans l’histoire de la philosophie il a été alternativement valorisé ou vilipendé. Si l’Hédonisme en fait son principe de vie, il a été fortement dénigré par de nombreux courants philosophiques ou religieux. Les pythagoriciens sont les premiers à avoir condamné le plaisir, ceci dès la constitution des premières cités grecques.
• Le pythagorisme
L’école pythagoricienne qui date de 570 – 500 av. JC, prône la vertu. À cette époque les grecs ont organisé leurs cités pour s’isoler du monde des barbares et de ses dangers. Pour les philosophes de ce VI° siècle les conséquences du plaisir représentent un risque. L’homme qui s’abandonne aux délices est une menace pour la société car l’état d’allégresse conduit à une perte du contrôle de soi.
De sources historiques, on sait que dans la seconde moitié du IV° siècle avant JC, le pythagorisme touche la classe dirigeante romaine dont il devient en quelque sorte l’idéologie officielle. Voici un extrait de cette doctrine pythagoricienne à propos du plaisir.
« Les hommes […] n’ont reçu de la nature aucun fléau plus funeste que les plaisirs corporels : ceux-ci inspirent des passions ardentes, qui cherchent à se satisfaire sans réflexion, ni retenue. De là, viennent les trahisons de la patrie, de là les bouleversements des États, de là les entretiens secrets avec l’ennemi ; il n’est pas de crime, enfin pas de noir forfait que ne pousse à commettre la passion du plaisir ; le stupre, l’adultère et toute infamie de ce genre ne sont pas provoqués par d’autres attraits que ceux du plaisir ; et, alors que la nature ou quelque divinité n’a rien donné de plus beau que la pensée, ce présent, ce cadeau vraiment divin n’a pas de pire ennemi que le plaisir. En effet quand la passion commande, il n’y a pas de place pour la tempérance et, d’une manière générale, dans le royaume du plaisir, la vertu ne peut séjourner ». Cicéron place ces propos dans la bouche de Caton l’ancien qui lui-même les reçu de Néarque, compagnon d’Alexandre.
• L'épicurisme est le parangon des philosophies hédonistes.
Pour Épicure (341 – 270 av. JC), la réflexion sur le bonheur est incontournable car l'existence de l'humain est tout entière dominée par la recherche des causes qui le produisent. Épicure enseigne de distinguer les désirs (naturels ou non, nécessaire ou pas) : voici ce qu’il dit du plaisir : « disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas de l’homme déréglé, ni de ceux qui consistent dans les jouissances matérielles, ainsi que l'écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l'âme à être libérée de tout soucis. Il n'est pas possible de vivre de façon bonne et juste, sans vivre avec plaisir».
Il faut viser la suffisance à soi ainsi la douleur provenant du manque est supprimée.
Mais Épicure est attaqué par ses contemporains et son ataraxie est déconsidérée.
Plus tard, Cicéron exhorte à une détestation de la doctrine épicurienne, il traite les adeptes de cette philosophie de « pourceaux d’Épicure ». À cette époque la république romaine est dans une logique de conquête et le plaisir n’a pas sa place.
• Le christianisme
L’arrivée du christianisme enterre ce qui reste de l’hédonisme. Les pères de l’Église valorisent eux aussi la vertu et développent un nihilisme de la chair qui conduit selon Michel Onfray à une « vie sexuelle mutilée ».
Évagre le Pontique, un moine gnostique du IVème siècle, qui a médité sur le souci de ses passions, inspire la réflexion de Saint Thomas d’Aquin qui dresse une liste de quelques plaisirs qu’il nomme, « Pêchés Capitaux » :
1 – l’avarice - 2 – la colère - 3 – l’envie - 4 – la gourmandise _ 5 – la luxure - 6 – l’orgueil - 7 – la paresse.
Sont dits capitaux car ce sont des péchés de "tête" (capita), cela ne signifie pas qu'ils sont plus graves que d'autres, mais plutôt qu'ils sont à même d'en entraîner bien d'autres.
Dans un souci de compensation, il existe sept vertus mais elles ne correspondent pas à l'inverse des sept péchés capitaux. Il y a les vertus théologales (d'origine divine), que sont la foi, l'espérance et l'amour, qui sont complétées par les vertus cardinales (d'origine humaine), que sont la justice, la prudence, la tempérance et la force morale, c'est-à-dire le courage.
2 - Le mal en soi
Le « mal en soi » renvoi au concept kantien de « la chose en soi », proche du Noumène. La chose en soi désigne une réalité indépendamment de toute expérience possible. C’est ce que Kant appelle un concept problématique. La chose en soi est une limitation de notre connaissance sensible et pour la comprendre nous devons utiliser le raisonnement par analogie qui ne peut servir que de modèle (Esthétique transcendantale de Kant).
Le mal ne se définit que par comparaison à son opposé, le bien. C’est ce qui est contraire à la vertu ; ce qui est condamné par la morale. Le mal c’est aussi ce qui est susceptible de nuire, de faire souffrir.
Il a fallu inventer « dieu » et les risques de sanctions qui en découlent en cas de transgression des règles, pour déterminer le mal et poser des interdits.
• Plaisir, un mal en soi
Comment le plaisir peut-il être un mal ? Le plaisir est indissociable du besoin car il est sa satisfaction. Les besoins sont indispensables au processus de vie et tous les être humains les éprouvent. Tous, nous ressentons les besoins physiologiques de respirer, boire, manger, éliminer, se reposer ou copuler. Tous, nous ressentons les besoins de sécurité par l’absence de danger et de souffrance. Tous, nous ressentons des besoins d’appartenance qui nous conduisent à rechercher les relations, la communication et l’affection. Tous, nous ressentons les besoins d’estime et de réalisation. Si la satisfaction, si le plaisir n’est pas au bout de ces besoins alors c’est la privation ou la frustration qui se font ressentir.
Alors le plaisir, plus que le désir, serait-il l’antonyme de la frustration et de la privation ?
• Le plaisir, un mal pour autrui ?
Effectivement, le plaisir de l’un peut entraîner un mal pour l’autre. Sans entrer dans des considérations aussi dramatiques que le viol qui entraîne, pour sa jouissance, la destruction de l’autre, le fait simple de rechercher le plaisir sexuel sans tenir compte de celui du partenaire est un mal car il réifie autrui.
Il existe aussi des personnes qui éprouvent du plaisir à faire souffrir physiquement ou moralement les autres, Ce genre de satisfaction est à classer dans les perversions plus que dans les plaisirs.
Le plaisir de spéculer, de posséder plus de richesses que nécessaire est nuisible à autrui car il l’appauvrit.
• Le plaisir, un mal pour soi ?
Tout le monde a déjà fait la fâcheuse expérience d’avoir trop bu ou trop manger, le plaisir immédiat a fait oublier les conséquences de ces extravagances.
Épicure modère lui-même son hédonisme et invite à soupeser les avantages et les inconvénients, à « calculer les plaisirs » de telle façon qu’ils ne soient pas source de déplaisirs secondaires.
e conclue par une maxime de Chamfort, chère à Michel Onfray : « Jouis et fait jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne, voilà toute morale.
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Sources :
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Atlas de la philosophie - Pochothèque
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Appius Claudius Caecus – par Michel Humm - École Française de Rome
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Encyclopédie Larousse
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Psychologie et santé mentale – par Serge Mendel - Sciences de l’homme
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Le pur plaisir d’exister- par Michel Onfray – La librairie sonore Frémeaux
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Choisir, c’est perdre
Ce n’est pas dans le choix que l’on perd, c’est dans l’irrésolution, cette « espèce de crainte qui, retenant l’âme comme en balance entre deux actions….est cause qu’elle n’en exécute aucune »(Descartes). Dans le champ du choix, je vais me décider et sacrifier l’une des alternatives, y renoncer, ; dans celui de l’irrésolution, je vais ne rien faire, immobile, sans projet : je vais perdre.
Décider, est l’ acte de volonté de se porter sur objet précis, choisir est l’acte de volonté de se porter sur tel objet plutôt qu’un autre, c’est une décision par laquelle on donne la préférence à une possibilité en écartant les autres, la préférence étant le jugement ou sentiment par lequel on place une personne, une chose au-dessus des autres.
Le choix suppose la décision, jamais une impulsion ou une spontanéité. Il renvoie donc à l’acte volontaire, acte par lequel je me détermine à agir. Choisir, c’est se déterminer après avoir considéré plusieurs possibles.Comme le rappelle Aristote dans son Ethique à Nicomaque, le choix porte toujours " sur les choses qui dépendent de nous " dans la mesure où je ne peux pas choisir ce que je ne pourrais pas réaliser - à l’inverse du souhait qui peut porter sur des choses impossibles.
Mais reste à savoir si choisir, c’est disposer d’une entière liberté, en dehors de toute préférence. Soit, en effet, j’ai à choisir entre deux possibles sans que jamais l’un ait plus de valeur que l’autre, et alors mon choix est arbitraire, sans raison (mais ai-je vraiment choisi ?) ; soit j’ai à choisir entre deux possibles dont l’un est préféré à l’autre, et dans ce cas, il y a une raison de choisir. Cette raison relève-t-elle d’un sentiment, d’une détermination affective impliquant la sensibilité (exemple : le plaisir) ou d’un jugement ne considérant que la vérité ou la moralité. Bref, pour choisir, il faut préférer, mais préférer, est-ce sentir ou juger ? Dans le premier cas, la préférence équivaut à la tendance ou encore au désir ; dans le second cas elle suppose la délibération et la réflexion.
Si choisir est un acte de liberté en tant qu’il dépend de moi, ce n’en est pas un puisque l’objet du choix ne dépend pas de moi. La notion de sacrifice ( un don qui doit être rendu), apparaît comme identique : je choisi ce que je sacrifie et j’attends un résultat en retour.
La liberté n’est pas n’être soumis à rien, mais se donner ses propres lois.
Le Libre arbitre désigne l'indétermination de la volonté placée face à un choix. Elle est synonyme de liberté d'indifférence quand, dans la décision, ne prévaut aucun motif. Opposée au déterminisme, elle signifie aussi le pouvoir créateur de la volonté capable d'agir comme cause première, càd la liberté propre à l'être conscient d'agir à sa guise et de choisir en toute indépendance.
Où est le libre arbitre de celui qui agit sous le coup de la nécessité.
Ai-je le choix de ce qui est nécessaire ( âne de Buridan) ou passionnément désiré ( amour) : ce n’est pas un choix, c’est un dilempne. Là, le choix est temporel : boire puis manger fait qu’il n’y a ni perte, ni sacrifice..
Il n’est pas certain que lorsque je fais un choix j’exerce réellement mon libre-arbitre. Suis-je réellement autonome au sens où je me donne mes propres lois ?
C’est même souvent avec la sensation douloureuse d’aller contre soi-même qu’on se décide. Choisir, c’est prendre le risque de se tromper, assumer quelque chose d’incertain : et il y a les autres, leur respect borne la liberté de chacun. Même avec soi-même on n’est jamais tout à fait d’accord : lorsque je choisis il y a quelque chose en moi qui commande et quelque chose qui obéit.
Choisir, c’est abandonner tous les possibles : le choix se fait contre ce qui est rejeté. Nous ne “choisirons” qu’une possibilité, et dès lors il faudra nous y tenir. Choisir c’est créer un futur. Le choix est le passage d’un passé fixé une fois pour toutes vers un avenir indéfini. Chaque choix nous crée. D’où l’angoisse : oser exister est dangereux !
»Sartre
L'existentialisme est une réflexion sur l'existence humaine qui pour Sartre est avant tout liberté: en effet, l'existence humaine diffère radicalement de celle des objets fabriqués : avant d'exister, cette carafe a été pensée, dessinée: elle a été conçue pour contenir de l'eau, elle a été construite selon un modèle et pour un usage, elle a d'abord été une idée, autrement dit elle a été une essence avant d'être une existence. Mais ajoute Sartre, pour moi, homme j'existe d'abord avant d'être ceci ou cela et c'est moi qui décide d'être ceci ou cela.
Pour l'homme, "l'existence précède l'essence", car une personnalité n'est pas construite sur un modèle dessiné d'avance et pour un but précis car c'est moi qui choisit de m'engager dans telle entreprise. Ce n'est pas que Sartre nie les conditions contraignantes de l'existence humaine, mais il répond à Spinoza qui affirmait que l'homme est déterminé par ce qui l'entoure, par une dialectique:
-il admet comme Spinoza " que tout homme est - en - situation". Il a un corps, un passé, des obstacles devant lui.
-mais, c'est l'homme qui librement confère à la situation son sens. Par exemple une situation paraît intolérable pour des gens qui se sentent opprimés et qui se révoltent: cette situation n'est peut-être pas intolérable en soi, dit-il, mais elle le devient parce que l'homme lui a conféré ce sens par son projet de révolte alors que un autre homme pourrait, avec un autre projet, considérer cette même situation comme "sanctifiante
Ce sont donc mes décisions qui donnent mes sens aux situations.
Lorsque Sartre disait: "le monde est le miroir de ma liberté" il signifiait que le monde m'obligeait à réagir, à me dépasser. C'est ce dépassement d'une situation présente, contraignante par un projet à venir que Sartre nomme transcendance. C'est parce que, comme le disait Pascal, nous sommes embarqués que les choix sont inévitables et l'on comprend que Sartre dise: "nous sommes condamnés à être libres". Choisir de ne pas choisir c'est encore faire un choix. Il faut ajouter que le choix est de tous les instants c'est à dire que nos libres décisions d'hier n'engagent pas celles de demain: à tous moments, je peux si je veux changer ma vie. Tant que j'existe je conserve la ressource d'orienter mon avenir et par là je "transfigure et je sauve mon passé". Ma liberté ne trouve sa limite qu'avec la mort. Dès que j'ai cessé d'exister, ma vie est transformée en destin, "elle n'est qu'une histoire toute faite pour les regards des vivants, être mort c'est être en proie aux vivants".
Les personnages dans "HUIS CLOS" sont morts et en enfer. Ils ne peuvent plus rien changer donc au fait qu'ils aient été lâches ou méchants. Or "comme nous sommes vivants, nous confie Sartre en 1965, j'ai voulu montrer par l'absurde l'importance chez nous de la liberté, c'est à dire l'importance de changer les actes par d'autres actes. Quel que soit le cercle d'enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas c'est encore librement qu'ils y restent. De sorte qu'ils se mettent librement en enfer" Sartre, Théâtre de situation page 238 - 239.
Si je veux éviter cela, si je veux tout simplement devenir homme, il me faut agir mais que dois-je faire? Que puis-je savoir? Mon esprit me pousse à connaître et Sartre dit bien "connaître c'est s'éclater vers", s'élancer vers le monde pour lui donner un sens, pour le comprendre: non seulement l'homme n'est que "projet", mais au gré de ses découvertes et de sa volonté il change son projet, il se dépasse sans cesse lui même et les choses qui lui sont proposées. »
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Freud était-il un charlatan ?
Le sujet a du être inspiré à celui qui l’a proposé par : Le livre noir de la psychanalyse de Catherine Meyer
La France est - avec l’Argentine- le pays le plus freudien du monde.
Cette situation nous aveugle : à l’étranger, la psychanalyse est devenue marginale. Son histoire officielle est mise en cause par des découvertes gênantes. Son efficacité thérapeutique s’avère faible. Sa pertinence en tant que philosophie est contestée. Ses effectifs sont en chute libre.
Freud a-t-il menti ? La psychanalyse guérit-elle ? Est-elle la meilleure façon de comprendre ce que nous sommes ? Comment éduquer nos enfants hors de la peur de « mal faire »? Que penser des autres thérapies? Le livre noir de la psychanalyse dresse le bilan d’un siècle de freudisme. (Date de publication : septembre 2005 )
Serge Tisseron , dans les colonnes du « Monde »
Il s'agit d'une reprise de travaux historiques en partie vrais et en partie discutables sur la psychanalyse, assortie d'une haine féroce à l'égard de celle-ci et d'une campagne promotionnelle pour les thérapies cognitives et comportementales.
D'autres ont aussi souligné que la psychanalyse dont ces auteurs débattent – celle que Freud pratiquait il y a un siècle – a bien changé et qu'il conviendrait d'en tenir compte.Il se trouve en effet que je suis cité dans cet ouvrage.
Je suis censé vouloir démontrer par un argument "psychanalytique" le risque, pour un enfant, d'être soumis à un secret de famille. La phrase en question est la suivante : "Cela provoquera alors chez lui une scission entre sa vitalité biologique et sa vitalité sociale. On ne peut pas mentir à l'inconscient, il connaît toujours la vérité."
Le problème est que cette phrase est totalement inventée. Bien sûr, je ne prétends pas que l'ensemble du Livre noir soit du même acabit, mais il faut reconnaître que cela tombe vraiment mal de trouver une citation aussi mensongère sous la plume d'auteurs qui se targuent, du début à la fin, d'une rigueur et d'une honnêteté au-dessus de tout soupçon.
C'est au nom de ces sacro-saints principes qu'ils s'accordent le droit de critiquer la psychanalyse, accusant notamment Freud et les freudiens de déformer la réalité des propos de leurs patients pour faire croire à des succès qui n'existeraient pas – Freud y est ainsi accusé d'avoir changé certains mots prononcés par ses patients entre ses notes de séances et la rédaction finale de ses livres. Cette citation totalement inventée, prétendument tirée d'un livre où chacun peut constater qu'elle n'existe pas, et qui plus est totalement contraire à l'esprit de son auteur, renvoie ce Livre noir à ce qu'il est malheureusement : Le Livre noir de la mauvaise foi anti-psychanalytique . Non pas que la psychanalyse soit au-dessus de toute critique et de tout soupçon, loin s'en faut, mais ce n'est certainement pas en déformant ainsi ses propos et en ignorant à ce point ses recherches et ses évolutions depuis trente ans qu'on peut prétendre lui donner des leçons. Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste. Article paru dans l'édition du 06.10.05
Réponse de laurent beccaria sur le Blog de Pierre Assouline, le 7octobre 2005 04:50 PM
Sur deux colonnes, Serge Tisseron appuie sa charge sur une citation qui serait «totalement inventée” et “mensongère”, et l’auteur de sous-entendre que les quarante auteurs de dix nationalités qui dénoncent les mensonges et falsifications de Freud dans le Livre Noir de la psychanalyse sont eux-mêmes des menteurs et des falsificateurs.
Il est étonnant que Le Monde ait publié ce texte sans vérifier cette assertion auprès de l’éditeur du livre ou de Didier Pleux, l’auteur du chapitre. Un simple coup de téléphone aurait permis de ramener l'erreur de la page 492 à ses justes proportions. Cette citation n’est en rien inventée : l' "Ibid." de la note 72 ne renvoie pas à l'ouvrage de Tisseron, cité dans la note 71, mais à Françoise Dolto. Une erreur de composition a créé le malentendu. Le passage existe bel et bien. Le voici dans sa totalité: “L'enfant sait pour ses parents. Dès les premières heures, il est capable de les aider. C'est lui qui a voulu naître, c'est lui qui a choisi le couple de parents. Il faut toujours lui dire la vérité. La vérité de ses origines, la vérité de la vie familiale. Il en a besoin. Si on ne la lui dit pas, il risque de ne pas avoir confiance en lui, de penser qu'il a mal choisi les humains qui l'ont initié à la vie, puisque ceux-ci sont incapables de mettre en mots ce qui s'est passé. Cela provoquera alors chez lui une scission entre sa vitalité biologique et sa vitalité sociale. On ne peut pas mentir à l'inconscient, il connaît toujours la vérité.” Vous avez dit “mauvaise foi”?
Catherine Meyer, Editrice du Livre noir de la psychanalyse. - Laurent Beccaria, Directeur des éditions Les Arènes.
Esquisse d’une théorie
Partons d’une notion philosophique : l’Etre.
« Tout ce qui est en nous de réel et de vrai, vient d’un « être » parfait et infini « ( Descartes)
Cet être réel et parfait existe dans la pensée, mais n’a pas d’existence effective hors de celle-ci.. ( Lalande)
Préambule à la théorie :
Le problème du mal être, qui a donné naissance à tout ce qui est » thérapies psy » du fait des réactions pathologiques qu’il induit, ne vient pas de ce que nous avons été, mais de ce que nous ne sommes pas,
par rapport à ce que nous pensons pouvoir être.
Ce n’est pas le passé qui nous construit, mais le futur.
Nous avons en nous cet être « réel et vrai, parfait et infini », mais nous ne le sommes pas, et nous ressentons le manque de cet être à conquérir.
.Le malentendu
Peu importe que Freud ait triché, que Marie soit ou non vierge, que les écrits des apôtres de la psychanalyse ou d’une autre religion soient vrais, scientifiques, ressentis ou démontrés, ou même farfelus.
Je discute la croyance fondamentale de référence : nous sommes ce que l’on a fait de nous ( papa, maman, la société, la culture) par un conditionnement qui nous détermine, par les références culturelles du milieu de notre éducation.
Ceci nous donne seulement CONSCIENCE de nos limites, des limites de l’être existant, dans notre soif/projet de plénitude.
C’est le conscient qui provoque le mal être, qui détruit. L’inconscient, on s’en fout………
Etre ce que l’on veut être.
Loi 1 : renoncer est confortable.
Ne plus vouloir ce que l’on veut être, c’est « guérir » !, en acceptant ce faux déterminisme ( le sage, l’ermite, le religieux, le bouddhiste )
Loi 2 : rechercher à atteindre plus de conscience . Le chemin de la « volonté de puissance » est difficile.
Prendre des drogues parce qu’on pense ne pas pouvoir y arriver est plus facile.
Soigner les toxicomanes par des drogues »sociales » ne change rien. C’est pour cela que ça ne fonctionne pas, sauf si la loi 1 s’applique.
Conclusion
Les sociétés protègent leur modèle, leur existence. C’est leur droit. La survie de l’espèce vue en groupe.
Toutes les thérapies vont dans ce sens.
Parce que plus d’être est incompatible avec la vie sociale.
C’est pour cela que la philosophie a été écrasée par les « sciences humaines », par toutes les psy.
Revenir fondamentalement à « Je pense, donc je suis », et redonner à cette phrase son sens simple de Quête.
Parce que l’homme ne connaît pas que ce qu’il voit ( les phénomènes), et ce qu’il en déduit, mais aussi ce qu’il en construit.
Revenir à la conscience que l’on peut connaître et ne pas se focaliser sur ce mystérieux inconscient fourre tout.
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Charlatan : qui exploite la crédulité….
Science basée sur la narration, sur le conte. Son principe consiste à faire raconter une histoire afin de découvrir comment elle a commencé, par des gens en mal d’écoute, de romans et d’amour.
Détecter l’histoire de l’image.
En quoi croit on en acceptant les théories de Freud ? la norme, la classification, le silence du thérapeute ?
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THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES :Anxiété, phobie, dépression peuvent être le point de départ d'une thérapie longue qui dévoilera peu à peu la partie immergée des émotions contrariées. Passionnant parcours qui peut aussi être éprouvant. Les thérapies cognitives et comportementales, ou TCC, elles, ne s'intéressent qu'à la partie visible et actuelle de l'iceberg, celle qui handicape et fait souffrir... Elles sont fondées sur l'apprentissage de nouveaux comportements, à partir de l'élaboration de nouvelles pensées, après constat que les anciennes ne mènent à rien : il s'agit surtout de réussir demain ce dont on se croit incapable aujourd'hui et que, de ce fait, on a raté hier.
Le jeune ancêtre des TCC, la thérapie comportementale, utilise des techniques de relaxation pour diminuer progressivement les peurs, phobies et obsessions, et rendre le sujet à une vie normale. Plus récentes, les thérapies cognitives travaillent sur les pensées, opinions et croyances (appelées cognitions) souvent erronées et négatives qu'a le sujet sur lui-même et sur son entourage. Elles consistent à remplacer progressivement des pensées comme : "Personne ne m'aime parce que je ne vaux rien", par : "J'ai un certain nombre de capacités et, si deux ou trois personnes m'aiment et qu'une dizaine d'autres m'apprécient, ça ira vraiment bien."
Aujourd'hui, les thérapeutes cognitivistes utilisent souvent un cocktail concentré de deux méthodes, car les pensées négatives génèrent un comportement d'échec qui rend grincheux et timoré, tandis que les réussites, même minimes, renforcent une appréciation plus positive de soi, appréciation qui encourage de nouvelles initiatives.
Contrairement aux thérapies analytiques, les TCC ne recherchent pas les causes du trouble, ne s'intéressent pas à l'histoire du sujet ni à son enfance. Elles se donnent un objectif précis : dans six mois, le patient doit être capable de sortir dans la rue, de téléphoner pour chercher un emploi, de parler normalement à sa mère ou à son patron, etc.
Jean Doremieux
LOGIQUE ET INTERPRETATION
Suivi de la réplique de Patrice : « Finalisme et interprétation »
Au commencement était le verbe, nous dit la Bible. Mais quel est ce commencement ? Si l’on admet l’hypothèse du big bang, peut être dit commencement ce qui a permis la transformation de l’énergie en matière ; l’énergie, un seul étant, sans finalité car certainement statique, est ainsi devenu un ensemble d’étants - la matière-, soumis à des lois, dont les 4 principales sont les forces gravitationnelle, électromagnétique, nucléaire forte et nucléaire faible. Les caractéristiques de ces lois sont comparables à celles du divin ou du moins l’idée que l’on s’en fait, car elles sont absolues, omniprésentes, omniscientes et intemporelles car constantes. Ainsi, si divinité il y a, celle-ci n’est pas extérieure à l’étant, mais est le sous-bassement qui en assure la cohérence. Les étants, soumis aux lois précédemment énoncées, lois auxquelles il faudrait ajouter le principe de causalité et qui en assurent la cohérence, sont donc paradoxalement issus d’un phénomène, le big-bang, qui ne semble dépendre d’aucune cause, ou du moins d’une cause qui ne sera certainement jamais connaissable. Le serait-elle, que l’homme saurait également transformer l’énergie en matière. Or il semble évident qu’après avoir brûlé du bois pour se réchauffer, il ne saura jamais utiliser cette chaleur et les gaz dégagés pour refaire le bois qui a précédemment brûlé.
La loi est ce qui permet de faire, mais elle ne fait rien par elle-même car elle n’est par elle-même la cause de rien. Sa nécessité est dans le fait qu’elle soit, c’est tout. Pour qu’il y ait action, Il faut que soit défini un but, un sens, une finalité. Ceci, la loi ne peut le faire et c’est à la conscience humaine de le faire. Mais avant l’homme? Sous quelles impulsions agissaient le monde et la nature ? De quelle manière analyser le résultat d’évolutions et de transformations qui ne doivent rien à l’humain ? Y a-t-il une cause à la loi ? D’où celle-ci tire-t-elle son origine ? L’étude du monde révèle l’insuffisance de la raison à l’expliquer et suggère non l’imperfection de l’esprit humain mais la nécessité pour lui de reconnaître l’existence d’un domaine où il n’a pas accès.
De ces questionnements, on peut déduire que la dynamique de l’univers, tout comme celle de la vie, nécessiteraient 2 ordres d’activité, l’activité naturelle, tant physique que biologique, et qui est connaissable par la raison, et l’activité transcendantale, certainement non liée à la causalité, et, en ce qu’elle présuppose l’idée d’une finalité, ne peut faire l’objet d’une connaissance car elle reste inaccessible à la raison analytique. Elle ne peut donc qu’être le sujet d’une interprétation.
Nous dirons que le 1er résulte d’une création, alors que le second représente ce qui est incréé.
En quoi est-il légitime de parler d’une fin, d’un but ? L’esprit humain aime à s ‘émanciper du réel et de ses contraintes et trouver refuge dans les idées, idées dont l’illustration la plus immédiate est l ‘abstraction. Qu’est-ce que l’abstraction ? Une formalisation, le plus souvent en langage mathématique, des comportements immuables et permanents de la matière et d’elle seule. L’abstraction est ainsi un outil au service de la connaissance. Bien que ce soit à partir de la raison, et d’elle seule, que peut être découvert ce qui s’énonce de manière abstraite, cela permet de mettre sous une forme intelligible ce qui dans le monde et la nature semble revêtir les caractéristiques du divin (voir plus haut). Ainsi ce qui a les caractéristiques de la divinité est en fait bien inséré dans la matière et définit les conditions dans lesquelles les potentialités de celle-ci peuvent s’exercer. Toutefois, la formulation abstraite, décrivant d’une part un réel dans ce qu’il a de constant, ne permet-elle pas d’autre part d’être également un reflet et une transcription d’un domaine intemporel et immatériel transcendant, hypothèse qu’avait imaginée Platon ? De fait, l’abstraction serait alors également l’instrument permettant à l’homme d’imaginer une finalité qui ne serait plus seulement utilitariste (connaissance du monde physique, création et fabrication de machines) mais aussi éthique car peut-on imaginer une transcendance qui ne soit l’expression d’ une perfection vers laquelle il est légitime de vouloir tendre, alors même qu’on la sait par ailleurs inatteignable? Le but na sera jamais un achèvement, ne sera jamais un aboutissement. On remarquera qu’ aussi bien la raison que l’objet de ses découvertes-entre autres l’abstraction- ne sont très certainement pas issus de liens de causalité. Il sera certainement impossible de connaître la manière dont s’est élaboré le processus ayant permis la définition de manière abstraite les invariants du monde physique ainsi d’ailleurs que l’origine de ceux-ci (leur représentation et leur réalité). Tout comme il sera impossible de déterminer le processus ayant auparavant généré l’émergence de la conscience et au sein de celle-ci, la raison, cad ce qui a permis la création d’outils conceptuels permettant d’une part de décrire le réel de manière abstraite et d’autre part d’édifier des abstractions n’ayant pas leur assise dans la réalité, mais dans une interprétation de celle-ci, dont la plus pertinente est la recherche d’une finalité : il s’agit ici d’abstractions morales, politiques, éthiques, sociales, esthétiques. Qu’est-ce qu’une finalité qui ne soit un achèvement, si ce n’est un vecteur de sens ? Il n’est donc pas absurde de dire que l’étude de ce qui est matériel, de la logique qui y est incluse, se complète de l’interprétation de qui relève de la transcendance. Nous avons ainsi le tryptique Theos-logos-ethos ; l’éthique, tout comme le savoir, trouve sa source non dans des illuminations mystiques, mais dans le simple exercice de la raison, celle-ci étant à l’image du théos. Et l’on postulera donc que, s’il y a quelque chose plutôt que rien, c’est que c’est en vue de quelque chose.
Et puisqu’auparavant nous avons émis l’hypothèse d’une activité transcendantale non liée à la causalité, l’on postulera également qu’ il y a dans le monde et dans la nature, ou disons plus généralement, dans le monde des étants, un principe lui suggérant de choisir ce qui doit évoluer et ce qui doit être maintenu en l’état. Mais, bien que connaissant les lois, nous ne pouvons rien en déduire quant à la manière dont l’évolution se fait, et en vue de quoi elle se fait ; la loi ne décidant de rien, mais rendant simplement possible cette évolution. Ainsi, par exemple les bactéries, dont certaines souches n’ont pas évoluées depuis 3 milliards d’années alors que depuis le vivant a évolué pour donner l’homme.
Autrement dit, le big bang, les lois universelles, la conscience et la raison, la logique, ne relèvent que de l’interprétation quant à leur existence et donc à leur raison d’être. Cela, car ils sont issus de rien qui soit connaissable. De quoi seraient-ils issus alors ? Du néant ? Mais un néant qui engendre l’étant est tout sauf le néant. Du hasard ? Mais comment le hasard pourrait-il produire tant de choses ordonnées, évoluant toujours vers une complexification croissante, évoluant de l’inerte vers le vivant ? Constatant que l’évolution n’est pas concomitante à l’apparition de l’homme, nous réaffirmerons qu’il n’est pas déraisonnable d’admettre que dès l’origine une instance interprétante opérait, dirigeait l’évolution en fonction des lois, des cadres préalablement définis. Par qui ? Eh bien, par cette instance interprétante. Répétons-le encore : le cadre ne produit rien, il permet simplement que quelque chose se produise. C’est donc l’invariant qui rend l’évolutif possible ; c’est l’invariant qui est source première de volonté et qui fixe le cadre, son propre cadre en fait, dans lequel les effets de cette volonté peuvent s’exercer: "Il y a donc aussi quelque chose qui le meut (ce qui est source du mouvement dans l’univers) et, puisque ce qui est mû et meut sont associés, il doit y avoir quelque chose qui meut sans être mû” , écrit Aristote dans “ Métaphysique”. Ce qui veut dire qu’il y a bien quelque chose qui agit en toute souveraineté, et qui est donc transcendant puisque ne pouvant être mis en rapport avec rien de connaissable. Donc, qu’est-ce qui meut, qu’est ce qui agit, si ce n’est la volonté d’un pouvoir créateur définissant le déterminisme au sein duquel s’épanouit l’évolution ? L ’évolution, cad l’émergence de potentialités qui peuvent ou non se concrétiser, en fonction d’événements contingents qui eux, ne dépendent bien évidemment d’aucun déterminisme, mais qui, du fait de leur caractère aléatoire, permet la transformation d’un déterminisme rigide en évolution. Bien sûr, nombreux sont ceux qui rejettent l’hypothèse aristotélicienne, tel par exemple , J. Monod qui écrit , dans le Hasard et la Nécessité "...le plan de la structure étant présent dans ses constituants eux-mêmes, elle (la construction épigénétique) peut donc se réaliser de façon autonome, sans intervention extérieure, sans injection d'information nouvelle. L'information était présente, mais inexprimée, dans les constituants...” Certes, mais si l’information est présente, c’est bien qu’elle a été rendue présente et qu’il y a intentionnalité !
Tout ceci, bien sûr, ne fait pas obstacle à la liberté humaine mais justifie aussi l’immersion de celle-ci dans une conscience morale. Les humains, ou du moins certains d’entre eux, ont toujours eu la préoccupation de donner un contenu éthique à leurs actes, comme s’ils se sentaient redevables envers une entité qui leur est extérieure et qui est la cause de leur existence. Cependant, cette préoccupation est rarement ressentie comme prioritaire ! Toutefois la liberté ne saurait se résumer à un simple caprice, comme on le croit trop aisément de nos jours. Bien au contraire, elle est ce qui implique la responsabilité. Rien n’est bon ni juste en soi, puisque l’existence, en tant qu’elle est, n’est ni bonne ni juste en soi. Elle est, mais en tant qu’elle est, elle est moralement neutre ; l’homme, au-delà de sa soif de connaissance, se devrait de manifester une reconnaissance d’être ce qu’il est par une exigence éthique. Mais reconnaissance envers qui, envers quoi ? Une loi, y compris les lois humaines, ignore ce qu’est un critère de valeur, ce ne sont donc pas les lois qui peuvent diriger notre pensée, mais le moi, constitué par la seule interprétation du monde et de la seule finalité qu’il peut définir et à laquelle il doit se tenir. Et ce, par la raison et uniquement par la raison, puisque que celle-ci est une parcelle de divinité en lui ; par elle l’être humain peut accéder à une vie bonne et vertueuse – au sens antique du terme, bien évidemment-. Rester fidèle à la raison, est donc le seul acte de foi honnête. Souvenons-nous de ce que nous avons dit à propos de l’abstraction : elle est une simple formalisation, en langage mathématique, de comportements en sein de la matière immuables ; elle est donc ce qui relie l’étant et le transcendant, puisque formalisant ce qui est soustrait au réel, elle en décrit toutefois les caractéristiques générales de fonctionnement. Elle a donc une réalité propre, celle que l’esprit humain a été capable de lui donner. Le pari platonicien a été de dire que puisque l’abstraction décrit non seulement une réalité dans ce qu’elle a de plus vraie, elle décrit aussi une vérité dans ce qu’elle a de plus absolue, cad en ce qu’elle se dégage des caprices de l’opinion. Car on comprendra bien que si l’homme ne doit son existence qu’à la matière, il n’a d’obligation envers rien ni personne, il est simplement en errance dans le monde, pour certes le connaître, mais sans aucune base pour l’interpréter car ne ressentant aucune obligation morale envers un quelconque pouvoir créateur, percevant l’inachèvement du monde comme une fatalité contre laquelle il est vain de vouloir agir. Naturellement, cela ne confère aucune légitimité à des croyances relatives aux desseins de ces divinités inatteignables ; desseins qui, s’il existent, ne peuvent faire l’objet que d’une pure spéculation. L’esprit se trompe dès lors qu’il cherche à diviniser ses propres idées, ses propres désirs, il ne fait qu’y projeter des fantasmes humains ; les religions, en particulier les religions monothéistes et tout particulièrement la chrétienne reposent sur un anthropomorphisme et un anthropocentrisme ( un dieu à forme humaine et l’homme, centre de la création). Ne sacralisons pas l’abstraction, car ce ne serait que la recherche d’un déterminisme de substitution, un déterminisme de pacotille donc, pour obtenir des faveurs d’une divinité dont le rôle serait de réguler les passions humaines. S’il y a des choses belles, et des actes que nous jugeons bons, c’est uniquement dû au fait que notre esprit les considère ainsi, et non parce que cela nous aurait été révélé par un être extra-terrestre. Il faut des repères à la conscience humaine, mais c’est à elle de les trouver sans chercher des repaires secrets où se manifesterait la divinité. Si l’on admet que, depuis le début, il ne peut y avoir, dans le monde, de changement sans un regard extérieur effectuant une lecture de ce qui est, l’interprétant et ce faisant, créant les conditions dans lesquelles une évolution peut intervenir, et si l’on admet que c’est dorénavant à l’homme, libre mais responsable, d’opérer ces changements, d’être en quelque sorte co-créateur du monde, l’on considérera que le positivisme occidental excluant la transcendance n’est qu’une forme de suffisance et l’on admettra la pertinence des analyses de la philosophie grecque de l’Antiquité.
Jean Luc
Finalisme et Interprétation
14 novembre 2012
Le finalisme est un élément de la théorie métaphysique d’Aristote, repris par le Thomisme, qui affirme qu’une chose n’est vraiment expliquée et comprise que par sa finalité, c'est-à-dire par la fin qu’elle poursuit, ce pour quoi elle existe, le but vers lequel elle tend, le dessein auquel elle correspond : La compréhension du monde, de son vrai sens, sa bonne interprétation, c’est la connaissance de sa finalité.
Or, justement, interpréter, c’est donner un sens à quelque chose par rapport à un cadre de référence, et ce, toujours en liaison avec l’action, mentale ou physique. Ce référentiel est lui-même une interprétation, un sens général considéré, sous forme d’ensemble de critères, de « repère » ou de système de dimensions. On peut dire que l’interprétation est une évaluation d’information grâce à des critères pertinents, qui permet ainsi d’accéder à la « connaissance ».
Comment se fait-il que le monde soit interprétable ?
Einstein trouvait incompréhensible que le monde soit compréhensible.
Pourtant, il y a une bonne raison pour qu’il en soit ainsi, et c’est que l’être humain fait partie intégrante du monde, dans lequel il est immergé. Il y a coexistence, et cela entraîne l’exigence pour toute théorie globale explicative du monde, de rendre compte en même temps de l’être humain : C’est la contrainte du « principe anthropique faible », qui contrairement à sa version « forte », ne considère pas du tout l’être humain comme la finalité du monde. Et alors, la cohérence de cette coexistence est assurée par le phénomène de coévolution adaptative : L’être humain conscient, avec sa raison, est un « dimensionneur » théorique du monde, à travers un faisceau d’invariances, mais aussi un évaluateur ou calculateur pratique, selon ces invariantes dimensions. Pour sa part, le monde apparaît facilement « dimensionnable », à travers ses nombreuses invariances, telles que la conservation de l’énergie et de la quantité de mouvement, l’espace et le temps, les états de la matière, gazeux, liquide et solide, etc…
Une des conséquences de cette coexistence adaptative est l’efficacité des mathématiques pour rendre compte du monde. La formulation mathématique, en effet, est riche en invariance, et prolonge la perception sensorielle de l’invariance du monde, de façon empiriquement adaptée : Une équation par exemple, représente le « lieu » invariant de la combinaison des variables. De même, la capacité de l’être humain à construire des instruments ou des « indicateurs », qui sont des repères dimensionnels, lui permet de porter des « regards armés » efficaces sur la réalité, par exemple sur le coût de la vie ou la politique marketing, ou encore sur le Boson de Higgs (« regard » du modèle standard des particules, « armé » du LHC).
Référentiel d’interprétation
Pour l’objectivisme, le système dimensionnel de référence est constitutif du réel, appartient à la réalité extérieure au sujet : C’est par exemple le cas des catégories aristotéliciennes de l’Être, qui se reflètent dans la pensée, interprétée par le langage.
En revanche, dans le subjectivisme, le référentiel interprétatif est constitutif de la pensée elle-même : Les catégories transcendantales de Kant sont des « lunettes » universelles du mental, reliant le sujet au monde, et permettant la conceptualisation des sensations.
Enfin, dans la perspective du constructivisme cérébral (Neurosciences Cognitives), les dimensions de référence sont constitutives de la « représentation du monde » en mémoire, sans cesse réajustée par l’expérience : Croyances, schémas, normes et valeurs, souvenirs, connaissances et automatismes. Certaines dimensions sont innées, comme dénombrement, catégorisation, langage, couleurs, émotions de base, perception et imitation, et se développent avec l’expérience. Mais la plupart des dimensions sont acquises par les apprentissages et l’éducation.
Interprétation relative
Pour Nietzsche, « il n’y a pas de faits, mais seulement des interprétations ».
Le logicien américain Willard Quine affirme que toute interprétation est relative au référentiel considéré, dimensionnel et aussi linguistique. Par contre, à l’intérieur du référentiel lui-même, l’interprétation y est absolue : Tout sens, tout savoir est relativement absolu ; le Boson de Higgs par exemple, est une « certitude » relative au modèle standard des particules et au LHC.
Au sein du « sas » de l’intimité, l’interprétation s’effectue selon les mécanismes de la perception/action, qui anticipe et constitue le sens (Berthoz, Petit) : Un enfant va interpréter un arbre comme une chose à grimper, tandis qu’un bûcheron, comme une chose à couper.
La réalité multidimensionnelle autorise des interprétations multiples par rapport à de nombreux référentiels. Ainsi, le grand nombre de démarches d’observation possibles résulte de la diversité des domaines considérés (niveaux d’énergie, vie, psychisme, société), et de la variété des méthodes et des instruments utilisés (lunettes, microscope, télescope, LHC). Par exemple, le même phénomène « se cogner dans le noir » est susceptible d’interprétations variées selon le référentiel considéré : « Qu’est-ce que cette chose a contre moi ? » (pensée magique), « Qu’ai-je fait pour être puni ? » (pensée religieuse), « La prochaine fois, j’allume » (pensée rationnelle). Malgré la diversité humaine des cultures, des psychologies et des histoires, l’intersubjectivité reste possible en raison de la similitude du cadre génétique et du développement épigénétique.
Interprétation logique
L’absolu d’une Cause Première, d’une Origine de tout, ou d’une Raison indépendante, relève-t-il d’une nécessité logique ?
En fait, comme l’a bien montré Kant, postuler de tels absolus n’est pas du tout les prouver, et ils restent indémontrables. Par ailleurs, l’existence surabondante du mal et du désordre dans le monde, ne plaide pas en leur faveur. De son côté, la Physique est muette sur le big bang originel lui-même, et les travaux théoriques en cours tendent tous à le contourner (univers rebondissant, vide quantique, supercordes…). Finalement, on peut penser que de tels absolus inintelligibles ne répondent pas à une exigence rationnelle, mais bien plutôt à un « idéal de l’imagination ».
Toute interprétation est logique dans le cadre de son référentiel, et même l’horoscope à l’intérieur de l’astrologie. Par exemple, il est logique d’interpréter une tempête maritime comme une « colère de Poséidon », dans le cadre de la mythologie grecque. Et il est aussi logique de la considérer comme une « substance météorologique poursuivant sa finalité », par rapport à la métaphysique d’Aristote, encore influencée par son contexte mythologique (les substances remplaçant les dieux), et dans l’enfance de la pensée rationnelle (naïveté infantile du finalisme). L’interprétation scientifique de « gradients atmosphériques de température et de pression » en mécanique des fluides, est tout aussi logique, mais se montre bien supérieure aux autres pour l’efficacité prévisionnelle de la navigation.
L’interprétation finaliste n’explique vraiment jamais rien, elle ne contribue en rien à la compréhension, pas plus du monde que de l’être humain. Le finalisme métaphysique traduit un préjugé anthropomorphique, à savoir que comprendre une chose, ce serait connaître la finalité vers laquelle elle tend, comme par exemple, comprendre la « chute d’une pierre », ce serait connaître sa tendance « naturelle » à se diriger vers le bas… Ce préjugé constitue une pétition de principe : Étant donné que la finalité des choses représente leur compréhension, comme la compréhension, c’est la rationalité, donc la finalité des choses est leur compréhension, autrement dit, « la raison de l’existence est l’existence de la raison » (Jean-Luc Graff). Pourtant, à l’orée de la modernité, philosophes et savants ont radicalement rejeté la finalité, dominant au moyen-âge, dans leur démarche de rendre compte du monde et de l’être humain : Galilée, Bacon et les encyclopédistes adhèrent à ce rejet du finalisme, exprimé par le « postulat d’objectivité » de Descartes (1664), finalité qualifiée « d’asile de l’ignorance » par Spinoza.
Le finalisme en effet, apparaît tout à la fois confus, arbitraire et inutile. La confusion réside dans l’impossibilité de savoir si la finalité est subjective, et se situe dans l’intention et la « visée intérieure », ou bien objective, et se situe dans la réalisation et la « réussite extérieure », incertitude redoublée par l’ignorance de son possible mécanisme d’action (cf. archer et sa cible). L’arbitraire provient du grand nombre de finalités possibles, proches ou lointaines, autorisant toutes les fantaisies, jusqu’à la naïveté anthropomorphique d’un Bernardin de Saint-Pierre (melon côtelé, fait « pour être mangé en famille »). Enfin, la finalité est complètement inutile pour expliquer la cohérence interne ou externe des choses composées (corps, nature), car cette cohérence est inhérente à leur existence même, qui traduit leur réussite sélectionnée, alors que tout simplement les essais incohérents ont été éliminés.
La finalité ne convient pas plus pour expliquer le comportement humain que pour le reste de la nature. Les données des Neurosciences Cognitives font pencher le vieux débat (l’être humain agit-il attiré par des fins, ou poussé par des causes ?) en faveur des causalistes : L’intention, la volonté, se situent dans la préparation et l’exécution des décisions prises, mais pas dans la prise de décision elle-même, qui s’effectue quelques dixièmes de seconde auparavant de façon non-consciente (Libet, Soon). « La volonté consciente n’impulse pas l’action », conclut la philosophe Joëlle Proust, et ce, pas plus lors de la construction d’une voiture que dans le fait d’entreprendre un voyage. L’action humaine est donc plutôt impulsée par des causes, des motifs, enregistrés en mémoire non-consciente. Comme dirait Spinoza, ce n’est pas parce qu’une voiture est rapide et commode que nous la désirons, mais nous la concevons et fabriquons telle, parce que nous avons besoin de nous déplacer rapidement et commodément. Finalement, nous mangeons par faim et plaisir anticipé, et non dans le but de nous rassasier.
Patrice
L’étonnement
10 octobre 2012
Choc provoquant un « ébranlement moral », l’étonnement est ambivalent : La surprise peut être admirative et se traduire par de l’émerveillement, ou bien elle peut être stupéfaite et susciter de la consternation.
Étonnement consterné : Philosophie pessimiste
Dans l’Histoire de la pensée occidentale, l’étonnement consterné de constater l’ignorance et l’échec, le mal et la mort, dans la vie et dans le monde, est à la source d’un grand courant durable de pessimisme. Cette Philosophie pessimiste considère, principalement et à des degrés divers, le monde comme opaque et la vie comme menaçante : Il n’y a pas de vérité ni de bonheur possibles. Une telle attitude fondamentale se traduit par un retrait humain plus ou moins accentué, dans divers domaines :
- Retrait social du Cynisme (Antisthène, Diogène). Son matérialisme anticonformiste considère la société comme corrompue par rapport à la pure nature, et la conteste en se marginalisant librement (« tonneau »).
- Retrait mental du Scepticisme (Pyrrhon, Sextus Empiricus, et Montaigne), et aussi des Sophistes (Protagoras). Aucune certitude n’étant possible, il convient de douter et même de suspendre son jugement ; on peut tout dire, car tout est justifiable ; l’idéal est de parvenir à l’indifférence tranquille.
- Retrait existentiel du Stoïcisme (Épictète, Marc-Aurèle). La vie est souffrance, sans pouvoir tout maîtriser ; il convient de la supporter rationnellement, par l’abstention détachée ; l’idéal est de parvenir à la tranquillité de l’âme (ataraxie). Ce retrait est proche de celui du Bouddhisme (détachement compassionnel, sérénité du nirvana).
- Retrait spirituel du Christianisme (Augustin d’Hippone, Thomas d’Aquin). Le monde est l’empire du mal (Satan) et la vie terrestre une « vallée de larmes » ; il convient de s’en retirer (monastère), d’y renoncer (Simone Weil), voire de désirer mourir (Thérèse d’Avila), tout en gardant l’espérance d’une vie meilleure ailleurs. Job accomplit le type parfait du pessimiste chrétien : Il trouve légitime sa plainte envers le malheur injuste.
- Restriction du « vouloir-vivre » de Schopenhauer, prince des philosophes pessimistes. Le monde, « comme représentation et volonté », est absurde ; l’existence est souffrance, misère et ennui, et l’amour une ruse sexuelle ; le « vouloir-vivre » ne peut que se limiter à l’esthétique et à la vie intellectuelle.
- Restriction de la vie psychique de Freud. L’inconscient psychanalytique, avec sa pulsion de mort et ses désirs refoulés, commande la vie psychique, en rendant inconcevables toute vérité consciente et tout bonheur.
Enfin, le suicide est présent tout au long de l’Histoire du pessimisme, avec aux deux bouts, les figures philosophiques « extrêmement consternées » suivantes :
Pour Hégésias de Cyrène (300 avant JC), la vie n’est que souffrance et frustration, et « la mort volontaire est la forme suprême du détachement ». Devant l’épidémie de suicides qu’il déclenche, il se voit censuré et exilé.
De son côté, Émil Cioran est écrasé par « l’inconvénient d’être né » juif et roumain (nazisme et stalinisme) ; il trouve absurde la condition humaine, et la vie purement négative (« tous rescapés de la naissance catastrophique ») ; il professe un scepticisme total, quoique curieux du lendemain, et recommande le suicide, qu’il n’aura pas lui-même le temps de mettre à exécution.
Ainsi, l’étonnement consterné conduit à vivre moins, partiellement, pas du tout, ou ailleurs. La vie ne vaut pas la peine d’être vécue, et tout est vanité, comme le pensait un autre grand pessimiste, le poète et philosophe italien Giacomo Léopardi. La philosophie pessimiste est un repli sur soi, détaché des autres et du monde, nonobstant l’existence du bien et de la vie, du savoir et de la réussite…
Étonnement émerveillé : Philosophie optimiste
Le courant optimiste de la Philosophie occidentale est issu de l’étonnement émerveillé devant le bien et la vie, le savoir et la réussite, chez l’être humain et dans la nature. Dans cet optimisme, le monde est considéré comme transparent, et la vie comme « chanceuse », principalement et à des degrés divers : Vérité et bonheur sont possibles, que ce soit du point de vue objectif (exactitude, conformité) ou subjectif (efficacité, joie). Une telle attitude fondamentale se traduit par une extension humaine plus ou moins accentuée, dans divers domaines :
- Extension essentialiste de la Métaphysique (Platon, Aristote). Son idéalisme objectif considère le monde comme constitué de Substances universelles, rationnellement définies par leurs Essences (ou Natures), et expliquées par leurs causalités et leurs finalités. Le bonheur objectif de l’être humain, souverain bien, consiste à vivre conformément à son Essence, c'est-à-dire à réaliser la Nature humaine. Cette théorie anthropomorphique du monde, qui correspond bien à l’enfance de la philosophie occidentale, garde encore l’empreinte de la pensée magique de la Mythologie, contexte immédiat d’où elle émerge. De son côté, Épicure estime, lui, que c’est le plaisir qui motive l’être humain et le rend subjectivement heureux, mais un plaisir « prudent », susceptible d’assurer la « tranquillité de l’âme » (ataraxie).
- Extension « transcendantale » du Subjectivisme (Kant). Malgré son retournement subjectif, l’idéalisme kantien parvient à l’universel grâce aux « catégories » propres à l’esprit humain rationnel, c’est à dire « transcendantales » par rapport à l’individu : Connaissance « phénoménale » du monde et morale impérative s’appliquent ainsi à l’humanité toute entière ; en revanche, le bonheur relève de la morale empirique, et n’est qu’un « idéal de l’imagination » propre à chacun.
- Extension de puissance du Vitalisme (Spinoza, Nietzsche). Le Désir spinoziste et son « conatus » tendent, grâce à la raison et à la passion, à la pleine réalisation de soi, effectuée dans la joie de vivre, qui est bonheur. De façon assez semblable, la Volonté de Puissance nietzschéenne cherche à réaliser pleinement son potentiel à travers un « gai savoir », en vue de « faire de sa vie une œuvre d’art ».
- Extension existentialiste de l’Humanisme (Sartre). Dans un complet retournement, l’existence précède l’essence, et l’être humain peut dès lors réaliser son projet de vie en toute liberté, ce qui constitue son bonheur. La conscience libre est capable d’une connaissance phénoménologique « pour soi ».
De nos jours, l’optimisme tend à se traduire par une acceptation satisfaite de la vie, telle qu’elle est mesurée sociologiquement par le « bien-être subjectif ». Ainsi, inspirés par la sérénité bouddhiste, Clément Rosset parle « d’approbation inconditionnelle de l’existence », et André Comte-Sponville de « gai désespoir », tandis que, suivant plutôt Spinoza, Bruno Giuliani (Univ. Sophia-Antipolis) affirme « l’amour joyeux de la vie », avec toutes ses menues bonnes choses, et que Vincent Cespédes, à l’issue de sa « magique étude du bonheur », recommande que chacun déploie envers autrui sa propre « onde de charme ».
Ainsi, l’étonnement émerveillé conduit à vivre plus, complètement, ici et maintenant. La vie vaut la peine d’être vécue, dans la connaissance et le bien-être. La philosophie optimiste est une expansion de soi, attachée aux autres et au monde, nonobstant l’existence du mal et de la mort, de l’ignorance et de l’échec…
Faut-il alors, comme le pense André Comte-Sponville, s’en tenir à un « pessimisme de l’intelligence et à un optimisme de la volonté » (Gramsci) ? Non, un tel écartèlement ne semble pas réaliste, et il convient plutôt d’une part, de joindre la prudence volontaire à la neutralité scientifique, afin d’assurer autant que possible une intelligence bienfaisante, et d’autre part, de joindre la bienveillance intelligente aux relations avec autrui, afin d’assurer autant que possible une volonté heureuse, c'est-à-dire un « relationnel caressant pour soi ».
Patrice
La grâce
1-Aspect religieux :
Phénomène religieux, selon Kant c’est la Providence qui est une céleste consécration qui nous échoit sous certaines conditions ne dépendant pas de nous, aspect surnaturel.
La grâce est d’origine céleste, mais alors qu’est-ce que cela a d’humain ? Comment y accéder et quel est l’enjeu de la grâce ? Ce serait sortir de soi-même pour gagner ce supplément d’âme ou plus simplement sortir de la routine.
En effet c’est surnaturel car la grâce nous échoit sous la forme d’une euphorie, d’un ravissement, c’est-à-dire quelque chose de suprême, ce qui n’est plus de ce monde, il y a la réalité de l’homme d’un côté et Dieu de l’autre.
2- Aspect esthétique :
Avoir de la grâce, c’est un mouvement discret et pacifique, contrairement à cette actualité bruyante et vulgaire qui plait facilement et qui occulte tout le reste et paraît de moindre importance à nos yeux.
Féminité, aisance contraire à la violence, ce qui nous rattache au Monde c’est le féminin qui est en nous.
La grâce ce serait la pensée non limitée, le contraire d’une pensée organisée autour d’une logique rationalisante du Monde, qui fait que le monde serait limité à la sphère de l’intellect ; Si on se représente un Monde selon un principe on le fait reposer sur la volonté, la loi de liberté produite par moi, et je n’accorde pas de liberté aux autres êtres, Schiller avec sa grâce esthétique critiquera Kant au niveau de la grâce.
3-Le concept religieux devient un concept esthétique quand la grâce est par l’homme et pour Dieu ; on touche à la spiritualité de l’homme, à son l’humanité, donc :
. De manifestation divine qui échappe à l’homme, quelque chose d’étranger à sa nature, on pourrait dire une hallucination, une illusion, on passe à une manifestation humaine, la grâce de l’artiste, de la femme, ce qui est conforme à la nature humaine c’est-à-dire à l’état naturel de l’Homme, et cela appartient à notre réalité ce n’est pas transcendant.
Ce peut être une représentation du Monde tel qu’il est, indépendamment de notre Raison, la réalité n’est plus alors un objet de la Raison, mais elle est par elle-même comme une liberté de phénomène non liée à notre subjectivité.
Le plaisir esthétique vient d’un soulagement, c’est-à-dire qu’on ne s’interroge pas sur la raison d’être de l’objet ; je suis émerveillé car c’est quelque chose de nouveau et qui échappe aux règles de mon entendement, la chose belle me dispense de la connaître, elle échappe à la pensée du quotidien. On doit donc ne plus être pris dans une habitude de pensée, mais se dessaisir de soi-même pour aller vers une légèreté, quand dans le même temps le quotidien est lourd avec sa tristesse et son aspect terne, car on ne sait pas se laisser libre d’être réceptif au Monde.
On ne fait pas le monde, c’est le Monde qui nous fait, on doit alors s’écarter du quotidien bruyant pour percevoir les choses discrètes, le suprasensible s’incarne sur terre par la beauté, la divinité est alors sur terre, c’est l’état de grâce.
Différence entre Kant et Schiller : il est clair que Schiller suppose que la grâce est quelque chose d’immédiatement évident à notre nature sensible, esthétique. Mais si pour Kant la grâce visible doit être la manifestation extérieure d’une conversion morale complète, de l’existence de laquelle nous ne saurions jamais être certains, nous ne pourrons pas non plus être certains de percevoir la grâce.
Simone Weil « la pesanteur et la grâce » ; 70 ème anniversaire de sa mort en 2013.
Nous sommes sortis de Dieu, nous en portons l’empreinte mais nous en sommes aussi séparés (exister : être placé en dehors) ; Dieu a renoncé à être tout pour que nous soyions quelque chose. La loi centrale de ce Monde dont Dieu s’est retiré par un acte de création est la loi de la pesanteur, cette force déifuge(comme centrifuge et non comme vermifuge). Nous nous efforçons de conserver et d’accroître cette force.
Comment échapper à ce qui en nous ressemble à de la pesanteur ? Uniquement par la grâce quand Dieu traverse l’épaisseur du temps et de l’espace pour venir jusqu’à nous. Cela ne change rien aux lois de la nécessité et du hasard, la grâce attend que nous consentions à redevenir Dieu. La pesanteur était la création, et la grâce la « décréation », nous acceptons de n’être plus rien pour que Dieu redevienne tout.
La grande question : La cause de la grâce réside hors de l’homme, mais sa condition est dans l’homme ; Le salut est l’œuvre de la grâce et non de la volonté, on serait prédestiné :
. Donc ça ne sert à rien de se tirer par les cheveux comme le baron de Münchhausen pour atteindre la grâce.
. Donc a ne sert à rien de courir vers le martyr, mais une étude récente de l’INSEE montre qu’aujourd’hui les chrétiens galopent modérément vers le martyr.
Gérard
Faire table rase
A) Faire table rase, faut-il faire la guerre au passé au nom de l’avenir ?
Maïakovsky « Sur ce qui a été fait j’écris nihil », le problème est que lorsqu’on jette le monde ancien on jette les hommes avec !!
Mao, « Je peux calligraphier sur une page blanche le poème inouï de la révolution »
C’est une Situation inconfortable et sans issue qui demande une solution radicale.
1- Définition pratique : la table rase c’est une tablette sur laquelle on inscrivait mais sur laquelle pas encre d’inscription. Métaphore de la radicalité, la tablette avant l’inscription, c’est-à-dire en venir ou revenir à cet état de tablette sans écriture,
2- Selon concept de table rase, on peut faire ou non table rase :
. Aristote : l'esprit humain naîtrait vierge et serait marqué, imprimé comme un CD par la seule expérience. La principale caractéristique de l'esprit serait sa passivité face à l'expérience sensible, l'esprit serait dépourvu d'idées innées, toute connaissance dérivant de l'expérience. Pour Aristote la table rase c’est l’esprit, c’est faire en sorte que l’esprit soit en marche, l’esprit serait une nature vierge ? Mais si l’esprit avait un lien indissoluble avec la réalité, puis-je faire table rase ? Un amnésique ou Alzheimer serait purement aristotélicien !
. Concept opposé : l'innéisme des idées, et activité de l'esprit au lieu d’un esprit passif, Kant y soutient la nécessité de l'existence de formes a priori de la sensibilité et de l'entendement (espace et temps, et catégories)
. Descartes dans un autre sens: il s'agit alors du doute méthodique visant à se défaire des préjugés. Il faut abandonner toutes les choses apprises qui sont fausses et qui ne sont pas assez « stables » pour repartir sur d'autres bases plus stables que l'on construirait nous-mêmes. Il conviendrait ainsi de faire table rase, de pousser toutes nos connaissances de côté et de se reconstruire soi-même une connaissance personnelle, on tente de faire ça, au café philo !
. Politique de la terre brûlée comme le philosophe Attila ? Surtout qu’parès lui l’herbe ne repousse pas , vraie table rase !!
- Est-ce revenir à zéro, faire le vide ?
o Revenir à un état qui a déjà existé, était-ce une réalité ? comme le romantisme historique allemand.
o Un état qu’il convient enfin de faire « être » comme le voulurent les religions du Livre ? Dieu a dicté lui-même le nouveau livre que l’homme reçoit en lieu et place de ce qui existait avant.
- 3- Faire table rase du passé, peut-on le faire ? En tout cas il y faut une certaine violence révolutionnaire et radicale, pour se débarrasser de quelque chose de non finalisé ou de mal fait, il faut apporter du neuf. Le nouveau gouvernement doit faire table rase, à l’automne de la fiscalité, mais l’armée rouge aura plus fait pour la redistribution des richesses que ne le fera jamais une loi fiscale de Hollande. La rupture n’est pas pour l’automne.
- 4- Faire table rase est-ce un acte naturel ? Comme la mue du serpent ?
o Cela dépend si c’est inné ou acquis, après l’expérience comment revenir ? Et si c’est inné cela nous appartient-il de faire table rase ?
o Cela ne peut-il se faire que dans la violence ou aussi par un acte réfléchi ?
o Radicalité de la rupture : En se conformant à des valeurs ? Or c’est contre ces valeurs qu’on fait table rase. F Mitterrand au congrès d’Epinay « Ceux qui ne sont pas pour la rupture n’ont rien à faire avec nous ! ».
- 5- Peut-on ou doit-on faire table rase ?
o Et si on restait dans un état stable mais lequel ?
o En psychanalyse il y a beaucoup de répression, sans liberté de faire table rase, nous devons ici tendre vers une philosophie de la liberté mais pas des philosophes institutionnels comme Bergson, Platon….
o Peur du vide légitime ou du vide créé par moi et non légitime, mais pourquoi nous évertuons-nous à combler ce vide ? En France nous ne sommes pas des bouddhistes, on a peur de faire le vide.
- 6- Faire table rase c’est être motivé par une idée, qui m’incline à balayer ce qui existe, ce n’est pas gratuit mais c’est la poursuite d’une idée, un peu différente de l’idéologie, comme la révolution de 1789 avec un idéal recherché, l’égalité ce qui n’est pas la platitude, pas l’uniformité, il ne faut pas que certains soient plus privilégiés que d’autres.
- Tout le monde au même niveau contre l’aberration des privilèges, faire le contraire de ce qui existe car je suis lésé, les choses ne sont pas comme elles devraient être. Au nom de cela on a fait la Terreur afin de revenir à l’égalité antérieure et c’est bien une violence, la capacité en nous de faire table rase c’est-à-dire transformer la réalité à partir d’idées et cela deviendra réalité, mais faut pas se tromper !! La fin justifie les moyens, suprématie du spirituel en l’Homme contre la matière, mais avec des morts à la clé.
- 7- Quand on fait table rase, assume-t-on cela ? Si je peux le faire est-ce légitime ? Aurais-je plus de malheur que de bonheur car ça risque de dégénérer, mais faut pas trop condamner car il y avait une vie qui ne devait pas être, mais avons-nous tout fait pour ne pas en venir à cette extrémité et s’assurer que cet état idéal ne soit pas le rien de la mort (viva la muerta). Il faut s’assurer qu’il n’y a pas un vide qu’on a créé, un divorce entre ma pensée et la réalité, ce serait l’illusion de ma pensée.
- Faut-il ne pas trop s’attacher aux valeurs, aux idées fixes (Cf le discours de la méthode de Descartes), certes il faut garder la fin mais s’il y avait le mythe d’une réalité suprême, un principe distinct du reste ? Mais vouloir conformer la réalité à mon principe de pensée, je créé un vide et puis il faut le remplir !
- 8- Faite table rase est-ce un mythe ? Est-ce rejoindre l’état initial qu’on ne connait pas, quelque chose ne s’est pas fait dans la nature des choses, faut-il changer les gens sans tenir compte de leur sensibilité ? N’est-ce pas une utopie que de tout mettre à bas, un symbole du Devenir maximum dans une autre dimension ?
9- Changer l’ordre des choses ou sa Raison ? Si ce n’est pas possible de changer les choses, alors il faut changer sa Raison, c’est plus facile de connaître l’esprit que le corps, faut voir plus avec l’esprit qu’avec l’imagination, faire la révolution en soi et éradiquer les préjugés.
10- Et si la table rase n’existait pas, s’il n’y avait pas que l’opposition des contraires selon un schéma rigide, le compromis ne serait-il qu’une trahison de nos idéaux ? Selon Robespierre c’est le grand théâtre où la vertu entre en collision avec le crime. Mais si tout était enchevêtré et coexistant, le bien et le mal, dans les situations humaines compliquées, n’y-a-t-il pas des choix libres, le tragique, la nuance, l’ambiguïté……Contredire la révolution française est-ce vouloir la perpétuation des inégalités, du mal, ou rejeter la violence ?
Essayons-nous à un inventaire qui ne serait pas faire table rase, car on ne jette pas tout:
A-1) Garder Alain Badiou le penseur radical
Il y aurait résurgence de la pensée communiste, un retour en grâce de la radicalité politique ? Peut-on en tant que penseur matérialiste mettre l’idée communiste à l’abri ou au-dessus de ses réalisations pratiques. Le temps de la Terreur succède-il toujours au temps de l’idéal ?
Le communisme c’est la table rase, c’est une hypothèse historique qui fait que tout ce qui précède est de l’ordre de la préhistoire. On ne peut pas faire table rase du communisme en raison de ses réalisations, c’est une séquence de l’Humanité, sinon il faudrait faire pareil avec la démocratie et ses guerres !! La violence communiste était dictée par la question, « Est-il réellement possible de prendre le pouvoir ? »
Pouvons-nous être des philosophes satisfaits ? Comme des philosophes institutionnels, des tâcherons de l’histoire de la philosophie, des clercs salariés par la classe dominante, une élite redevable, occupée à rédiger des manuels de catéchisme, des adeptes d’une vie mutilée et interdite de bonheur ?
Ne l’oubliez pas, nous sommes en crise, alors comment pourriez-vous être des philosophes des choses comme elles sont, des philosophes contemplatifs candidats à des colloques de Davos !!
Comment être révolutionnaire, dans notre café philo ? Nous devons développer une technique de la libération, et pourquoi pas une théologie de la libération !!
A-2) Jeter Alain Finkielkraut et certains autres
. Je vous conseille de jeter à la poubelle Parménide le philosophe de la nécessité, Platon, le philosophe satisfait, le philosophe-roi qui accepte l’esclavage ; Me laissant aller je répèterais presque, « Platon sale con !». Jetez aussi Finkielkraut, adepte de la complexité, qui abomine les révolutions de 1789, de 1917, pour qui l’inégalité et la domination des uns sur d’autres ne sont que la richesse d’une société multiple à ne pas changer. Jetez Bergson qui vanta les bienfaits de la guerre de 1914, jetez Hegel parangon d’une logique impuissante et définitive, à laquelle succéda le matérialisme dialectique de Marx. Faudrait peut-être prendre la peine de relire Marx, de garder le matérialisme sans la dialectique ! Le marxisme et le communisme ne doivent pas passer à la trappe de la table rase, pour devenir des spectres philosophiques, mais être revisités pour tenter de tracer un nouvel horizon d’émancipation, face à la normalisation, à l’acculturation libérale.
D’accord avec Michel Onfray, je vous demande de faire table rase pour ne pas mourir désespéré, ne gardez que ce qui rend heureux, ce qui guérit !! Dans la brochure du café philo de 2002, je recommandais déjà la philosophie de la consolation et de l’amour d’Alain de Botton, irrévérencieuse et désinvolte !
Après avoir fait table rase des logiques tyranniques, alors préférez Epicure et son matérialisme qui guérit, une philosophie de la liberté contre les systèmes ! Vous pourrez y rajouter une idée de transformation du Monde, devenez des épicuriens-bolchéviques ou des bolchéviques-épicuriens !!
Et comme disait moi-même, « Pour ne pas mourir désespérés, ne choisissez que les pensées qui guérissent !! »
B) Faire table rase en étant radical ? Une pensée toujours radicale qui remonte à la racine ?
1- C’est quoi être radical ?
. Une prise de position déterminée et sans partage.
. Aller au fond des choses, les racines, l’essence des choses
. Privilège de comprendre en global et en synthèse, bien savoir ce que l’on veut, bien vouloir ce que l’on sait.
. Ne pas être entre deux, qualité et non compromission, intègre et tranché, ne pas se réfugier derrière l’opinion ; on se sacrifie pour cela.
. On rend publique sa décision radicale, honnêteté foncière, intégrité différente de l’irrésolution.
1- Les inconvénients d’être radical.
. Se manifeste par des aberrations, excès, trop marqué, la radicalité poussée à ses limites devient obsession.
. Etre radical ce peut être une étroitesse d’esprit sans tenir compte du regard de l’autre.
. Croire ce qu’on croit et on s’oppose à l’opinion d’autrui et on devient violent.
2- La radicalité en questions
En étant déterminé peut-on faire l’économie d’être violent vis-à-vis d’autrui sans être étroit d’esprit ?
Comment être déterminé, aller au fond des choses, sans asséner le coup de massue, y-a-il un moyen avec mes convictions, qu’elles ne se transforment pas en certitudes, ou tout risque d’erreur est banni, (Cf le pari de Kant).
Danger que la rationalité ne soit réduite à sa logique uniquement ; On doit faire l’effort de se comprendre par autre chose que la pensée systémique ou systématique. J’ai raison au fond mais dans la forme ?
Platon a été au-dessus des idées dans la montagne, mais si les autres ne comprennent pas (Cauecescu sommet de la pensée) ? C’est une mauvaise radicalité qui veut soumettre l’autre.
Piège de la pensée philosophique, ainsi le philosophe –roi de Platon.Kant, Hegel, Heidegger ont systématisé leur pensée, et ont pensé que la philosophie était finie après eux.
Nietzsche et les autres vont interroger la rationalité dans ce qu’elle ne comprend pas, sensibilité…. C’est-à-dire passer du fond à la forme sans tomber dans le piège du radicalisme.
Etre radical, c’est s’accrocher à ses certitudes et si on nous les enlève il n’y a plus rien, on ne peut pas être rationnel contre tous.
Le mot n’est pas que conventionnel mais permet de transformer, comme la transformation de Mallarmé. Pour les sophistes le mot est un moyen de manipulation et de persuasion.
Extrait de « La mort au Donon-Août 1914 » de Gérard Chabane, pour illustrer la table rase sur le plan individuel.
« Son aïeul, Jean, n’avait pas pu disparaître comme un produit de l’Histoire tragique, elle eut l’intuition que le chemin intérieur était bien dans l’Homme et non pas l’Homme dans l’Histoire ! Jean n’avait pas été emporté par le tourbillon de l’Histoire. Il avait mis à profit, très certainement, les bouleversements de l’époque, afin de se ménager un départ à zéro, un changement de peau, une réincarnation dans celle d’un autre. Qui n’avait jamais rêvé, même dans un des coins les plus reculés, cernés par les chênes aux verts lourds, agrégé par une famille totalitaire, de s’évader, de concrétiser l’ambition éprouvée parfois par l’Homme, de se virginiser, de quitter son foyer, de se dépouiller de toute expérience antérieure, pour que sa vie redevienne une page blanche…. »
Gérard
Le conflit – café philo du 30 Mai 2012
En discutant de ce sujet, nous pourrons parler :
-des formes différentes que prennent les conflits : l’émergence de contradictions ou d'incompatibilité entre des systèmes en place, des cultures ou des opinions personnelles, mais dont la coexistence dans un même contexte ou dans une même vision ne semble pas possible, ou acceptable,
-de la manière dont ils s’expriment: l’affrontement de deux ou plusieurs volontés individuelles ou collectives qui se manifestent les unes à l’égard des autres dans un rapport de forces, ou de compétition.
Je précise que pour moi, le conflit désigne seulement une opposition, le constat d’un désaccord. L’affrontement n’en est que l’une des conséquences, aggravée par la période actuelle de crise de la communication.
-de leurs conséquences : un conflit ou situation conflictuelle étant la constatation d'une opposition entre des personnes ou des entités, le conflit se charge d'émotions, telles que la colère, la frustration, la peur, la tristesse, la rancune, la révolte qui peuvent mener à l'agressivité, la violence, ou, au contraire à la fuite, ou à la soumission
Mais il est également possible de jeter un regard différend (différant, dirait Derrida) sur cette notion dont les formes et les effets résultent toujours d’une opposition, normale, en ce sens que le conflit n’est pas l’exception, mais constitue la norme.
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Déjà, lorsque Epictète écrit: « De toutes les choses du monde, les unes dépendent de nous, les autres n’en dépendent pas », il en appelle à changer son regard sur le monde car on ne peut changer le monde: le conflit est normal et fait partie de la réalité. Sinon c’est le refus de tout ce qui est inhabituel, la peur de l’exception.
C’est à nous de l’intégrer à l’existence pour qu’elle soit bonne. Ce n’est pas la réalité qui est en cause, mais l’opinion qu’on s’en fait.
Nietzsche enseigne par la bouche Zarathoustra «l’amour du lointain». Aimer l'autre c'est aimer en lui le rival, celui dont le contact me pousse à une plus vive réalisation de moi-même: «soyons au moins ennemis mes amis.
Barthes se réfère à Deleuze, dans son livre sur Nietzsche, qui met en lumière l’opposition entre la méthode et la culture.
Méthode: décision préméditée pour nous éviter de nous perdre ( comme un fil dans le labyrinthe) . C’est une démarche vers un but, un protocole d’opérations, pour obtenir un résultat (déchiffrer, décrire), par un chemin droit. Mais c’est risquer de fétichiser le but en écartant toute autre possibilité. La méthode est au service de…Le sujet y abdique ce qu’il ne connait pas de lui-même, sa force, cette force conflictuelle qui traverse le réel.
La culture n’est pas paisible, c’est une violence subie par la pensée. Il ne s’agit pas d’une violence excitée, brutale (au sens actuel), c’est une force qui engendre une différence, une force qui n’exclu pas la douceur, la civilité. C’est une dispersion qui fait tituber entre des bribes, des bornes de savoir. Elle s’oppose ainsi à l’idée de pouvoir (plutôt du côté de la méthode), en se situant du côté de la volonté de puissance
Tout conflit comporte des dimensions « métaphysiques »(en dehors de l’objet même du conflit)- symbolique, mémorielle, identitaire, religieuse. Les symboles et le symbolique l’emportent presque toujours sur le reste.
L’approche philosophique, se doit de s'interroger sur ce qui, dans le conflit, excède le conflit.
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A) Le conflit fait faire l’expérience de l’indétermination.
Au niveau social.
La démocratie, selon Claude Lefort, s'institue et se maintient dans la dissolution des repères de la certitude. Elle inaugure une histoire dans laquelle les hommes font l'expérience d'une indétermination dernière quant aux fondements du Pouvoir, de la Loi et du Savoir dans tous les registres de la vie sociale. La libération de la parole propre à l'expérience démocratique va de pair avec un pouvoir d'investigation sur ce qui était autrefois exclu comme indigne d'être pensé ou perçu. Elle est « le seul régime qui assume la division », en étant gage de la liberté, dans l’indétermination et par une situation conflictuelle constructive.
B)
Au niveau humain.
On pense souvent que le conflit entre des personnes est une "mauvaise" relation, or il est aussi normal et banal de se disputer que de bien s'entendre : "les problèmes relationnels sont inhérents à la nature et à la dynamique d'une relation parce que vivre ensemble et communiquer, c'est compliqué et difficile". Pour cela, il est plus important de permettre aux partenaire de comprendre ce qui se passe entre eux et de conduire leur relation (au lieu de se laisser conduire par elle)que de les amener (par la contrainte ou la persuasion) vers une "bonne entente" qui ne tiendrait pas compte delà réalité de leurs divergences.
C) Le conflit est très présent au cœur des débats philosophiques, dans les relations maître / esclaves.
Hegel, dans la Phénoménologie de l’esprit : Deux hommes entretiennent donc des relations tendues, il y a donc conflit et l'un d'eux va accepter de prendre des risques et va devenir le maître : « la vie vaut ce que nous sommes capables de risquer pour elle ». Cependant, une fois maître, l'individu devient passif et se rend étranger à son monde que l’esclave a modifié. C'est son esclave qui travaille, qui s'accomplit, et s'appuyant sur le produit de son travail, peut renverser le rapport de domination.
Ainsi le maître devient dépendant du travail de son esclave, il devient l'esclave de son esclave, car c'est en travaillant, dans une situation de conflit, qu'on atteint la liberté.
D) Le conflit fait faire l’expérience de la non contemporanéité.
C'est « l’être des lointains » dont parlait Heidegger. « Je » suis hors du temps. Ma conscience n'est pas limitée au présent. J'ai connaissance de ce que j'ai fait et de ce que je vais faire. Je ne suis jamais mon propre contemporain. Et le monde réel aussi.
Merleau-Ponty en revient au corps traversé par un écart de soi à soi. Voyant, il est en même temps visible ; touchant, il est en même temps touché ; parlant, il est en même temps audible ; sentant, il est en même temps sensible – sans que jamais les deux pôles ne puissent coïncider.
Pour ces philosophes, la perception est conflictuelle et ce conflit fait des certitudes un lieu vide que l’on ne peut s’approprier et met en échec l'image d'une unité organique ou temporelle..
Finalement le conflit est aussi révolutionnaire que le réel.
Le conflit est fécond s’il assume la division qui devient comme constitutive du réel.
Etre libre, c’est s’ouvrir au conflit, c’est prendre des risques. Quand rien ne peut être dit, quand il n’y a « plus rien », c’est l’affrontement violent. Quand le JE est omis, et que la vision se limite à « l’homme en général », que la personne, la subjectivité est oubliée, le conflit devient affrontement : mon monde est meilleur que le tien.
Mais c’est un monde ou les hommes n’ont pas de nom, pas de visages et sont interchangeables.
Je pense donc je suis. NON. J’ai à être. La vie n’est pas. Elle devient…dans et par le conflit..
« Tenere non potes, non perdere potes diem »
28 mars 2012
Cette devise horaire médiévale, sur cadran solaire, rappelle que, si on ne peut pas arrêter le cours du temps, on peut par contre ne pas perdre son temps.
Le cours du temps est-il inexorable ?
Au Moyen-âge, la succession des jours et des nuits, résultant de la course géo-centrée du soleil, illustre la fuite inexorable du temps.
Mais, si les jours, les durées passent, les choses bougent et les personnes changent, le temps lui-même ne passe pas : Même le baiser de Schrödinger peut bien figer le mouvement, mais pas arrêter le temps.
Dans l’Histoire de la pensée occidentale, le passage du temps physique, objectif, celui de la nature, a toujours été tenu pour inexorable, que le temps lui-même soit conçu comme une substance réelle, indépendante des phénomènes (Newton, Relativité Restreinte, Mécanique quantique de Bohr), ou bien comme une pure relation, liée à leur devenir (Aristote, Bossuet, Relativité Générale).
En revanche, c’est moins net pour le temps mental, subjectif. Chez Kant, le temps est une catégorie substantielle de la sensibilité, tandis que pour Bergson, il se rapporte à la conscience de la durée, et que dans le courant phénoménologique, il est conscience intuitive du présent, avec mémoire du passé et anticipation du futur. De son côté, le temps neuropsychologique consiste en une abstraction imaginative, réalisée à partir de l’expérience perceptive de la durée. Le voyage mental dans le passé et dans le futur, véritable déconnexion du temps, montre bien que le temps subjectif n’est pas toujours inexorable.
Finalement, il se peut bien que le temps n’existe pas, ni physique, ni mental. En effet, d’une part, il serait une pure illusion neuropsychologique, due au fonctionnement temporalisé de la mémoire autobiographique (une lésion du cortex préfrontal médian fait perdre complètement la notion de temps), et d’autre part, il serait une pure apparence physique (Mécanique quantique de Rovelli), due à l’irréversibilité entropique des systèmes thermodynamiques. Implorer le temps de suspendre son vol, serait alors vraiment très romantique !
Que signifie la « possibilité » (de ne pas perdre son temps) ?
La possibilité objective, de ne pas perdre son temps, existe très largement. De nos jours, l’être humain a tous les moyens de temporaliser sa vie : Horloges internes (neuronales et cellulaires), horloges externes (en plus du cadran solaire), calendriers, horaires, emplois du temps…
Puis, la possibilité subjective, la capacité de le faire, existe aussi en général, malgré les risques de souffrance et la mort certaine, grâce au désir (sous-tendu par les systèmes neuronaux à dopamine). Mais en cas d’absence de désir par dépression, où vraiment alors « je est un autre », on n’a plus goût à rien, ni envie de rien (Philippe Fossati).
Enfin, la pression sociale fait plus que nous y autoriser, à ne pas perdre notre temps, elle nous y invite fermement, quand elle ne nous y oblige pas carrément, à travers l’école, l’entreprise, les réseaux sociaux, le marketing…
Ne pas perdre son temps, dans la vie, cela consiste en quoi ?
Toute la pensée occidentale a cherché, en particulier, à répondre à cette question : Qu’est-ce que la « vie bonne », comment « vivre bien » et avoir une « vie valable », de telle sorte qu’au crépuscule de sa vie, on ne l’ait pas perdue ? Ce que les meilleurs esprits de l’Humanité ont trouvé depuis 25 siècles à proposer comme réponse, est immensément divers, en philosophie, en religion et en idéologie politique.
Cependant, il est possible de regrouper les réponses autour de deux grandes perspectives opposées, dans chaque domaine.
En philosophie, les différentes réponses sur la « vie bonne », souvent composites, relèvent toutes de deux attitudes opposées envers la vie. L’une, de repli détaché, illustrée principalement par le tonneau cynique, l’ataraxie stoïcienne et le lâcher prise bouddhiste, privilégie de façon pessimiste l’aspect menaçant de la vie. L’autre, d’expansion attachée, privilégie de façon optimiste l’aspect chanceux de la vie, et se retrouve principalement dans la réalisation de soi (Aristote, Nietzsche, Sartre), plaisante (Épicure) ou joyeuse (Spinoza). Ce qui rend tous ces systèmes insatisfaisants, c’est que la vie réelle comporte tout à la fois les deux aspects, indissociablement.
En religion, les réponses reposent sur la considération de deux vies opposées, la terrestre et la céleste. Au cours de la vie terrestre passagère, « vivre bien » se résume à vivre conformément à la volonté divine, afin de gagner son salut dans la seule vie qui importe, la céleste éternelle. Ce qui rend toutes ces croyances insatisfaisantes, c’est que les réelles aspirations légitimes de la vie, repoussées dans un « ailleurs plus tard », soient ainsi dissociées de leur réalisation « ici et maintenant ».
En politique, les différentes réponses, toujours plus ou moins mélangées, peuvent se regrouper autour de deux visions sociales opposées. L’une, de confiance envers l’individu libre et responsable, privilégie l’épanouissement personnel (individualisme, libéralisme). L’autre, de confiance envers la société solidaire et responsable, privilégie le bien de tous (socialisme, fascisme). Ce qui rend toutes ces idéologies insatisfaisantes, c’est que la réalité de la vie politique et sociale comporte en même temps les deux visions, indissociablement.
De son côté, que dit la science au sujet de la vie valablement vécue ? Les sciences humaines (psychologie, sociologie, économie), montrent que ce qu’elles appellent modestement « bien-être subjectif », dépend à la fois des gènes et de l’histoire personnelle, qu’il est favorisé par la richesse et la bonne santé (déjà Sénèque…), et enfin qu’il peut être accru par un vécu approprié. Finalement, le « bien-être subjectif » est lié aux interactions sociales positives, satisfaisantes dans tous les lieux de vie (J. Siegrist), c'est-à-dire lié au « relationnel caressant pour soi », fait de rencontres, en personne et par la pensée, que justement la temporalisation favorise.
Patrice
Le doute
1er février 2012
Manifestation de l’esprit critique, qui est « intelligence » de la validité des certitudes, le doute est la faculté de mise en question des faits et des opinions, de soi-même et d’autrui. Cette faculté est liée à l’apparition évolutive chez l’être humain de la conscience de soi, et donc à la capacité d’anticipation d’un futur incertain. Le doute constitue ainsi la première phase de la liberté mentale ressentie : C’est le déclenchement de l’exercice de pleine liberté, contrairement à la liberté admise par la théologie chrétienne, restreinte aux choses douteuses (« In dubiis libertas »).
Le doute a été sélectionné au cours de l’Évolution, car il est avantageux pour la survie, et le bien-être, en tant qu’attitude prudente à l’égard des menaces et dangers à venir. Il pousse ainsi à vérifier les faits et les événements possibles, et oblige à justifier les opinions, pour mieux réussir l’anticipation du futur, qui est à la fois besoin de savoir et outil de pouvoir. Il contribue donc décisivement à l’efficacité de l’action en avenir incertain (Bon choix, bon pari). Effectivement, le doute sert à délimiter le champ de validité d’une certitude ; il dessine les contours méfiants, plus ou moins flous, du domaine d’une vérité, dont le critère est la confiance qu’on lui porte : Vrai fiable en deçà du doute, faux au-delà. Par conséquent, loin de s’opposer, doute et vérité se nourrissent l’un l’autre au sein de chaque cadre de référence (théorie, système ou religion), en clarifiant la prise en considération des multiples référentiels du réel complexe, pour la meilleure pratique de la tolérance (Relativisme « compréhensif »).
De quoi est donc fait le doute ? Du point de vue philologique, le doute « naturel » est constitué d’abord de crainte et d’incertitude, puis de méfiance, bien réaliste devant la possibilité de l’erreur, relevant en quelque sorte d’un instinct de conservation. D’un autre côté, sans aller jusqu’à la consistance extrême du scepticisme théorique (« On ne peut rien savoir vraiment »), l’inquiétude lucide de Montaigne (« Que sais-je ? »), exprimant un scepticisme curieux, est une posture inconfortable, incomplète comme l’indignation, qui peut dériver aussi bien vers l’absolutisme que vers le relativisme « compréhensif ». Enfin, le doute méthodique du questionnement philosophique, procédé rhétorique utile, est fait de ruse circonstanciée : Ruse manipulatrice de Platon qui, à l’encontre des sophistes (« On peut tout dire »), instrumentalise Socrate, sincère, lui, dans son ignorance ironique, et à l’époque moderne, ruse auto-manipulatrice de Descartes (« Songe » et « Malin génie »), qui feint un doute provisoire, mais universel à l’égard de l’absolutisme gréco-chrétien (« On ne peut rien dire d’autre »), pour mieux avancer ses propres certitudes possibles.
Par ailleurs, le doute se forme principalement à travers deux mécanismes. D’abord, il surgit du décalage irréductible entre le réel et la connaissance que l’on peut en avoir. En effet, cette connaissance est une correspondance entre deux images mentales, l’image sensorielle qui recompose l’objet saisi (par exemple, un territoire) et l’image conceptuelle qui le reconstruit dans tout son sens (la carte correspondante) ; et aussi, la connaissance d’un objet est toujours relative à la méthode d’observation utilisée, échelle, point de vue et instrument. La réalité des choses apparaît alors toujours « différante » (Derrida), selon le référentiel considéré : Elle dépend de ce que l’on regarde et de comment on regarde.
Ensuite, le doute est produit par la résistance lucide qu’offrent les schémas (« modèles mentaux ») en mémoire à toute « nouveauté » de fait ou de valeur, qui se présente par elle-même, par influence ou par manipulation. Cette résistance mentale assure la cohérence de la représentation que l’on se fait du monde, ainsi que la stabilité identitaire du soi dans le temps. Un tel mécanisme protecteur, dépendant de l’histoire personnelle de chacun, va normalement susciter un doute différencié selon ses objets, comme par exemple à l’égard de « l’ébullition de l’eau à 100° » ou de « l’influence des astres sur la personnalité ».
Toutefois, il est légitime de douter du doute universel. Car, comme le dit Pascal, « il n’est pas certain que tout soit incertain », sous peine d’auto-contradiction ; et pratiquement, il faut bien vivre et tenir au moins sa vie pour hors de doute. À côté des raisons objectives de ne pas douter « ici et maintenant » (Confiance envers les certitudes validées, ou Foi envers les « révélées »), il existe de nombreuses « bonnes » raisons subjectives de croire sans douter, c'est-à-dire sans chercher à vérifier : Le besoin de croire-savoir dans l’action urgente, la simplification des phénomènes complexes, l’absence de savoir validé (par ex. horoscopes), les illusions perceptives, ou encore les biais d’évaluation (par ex. aversion au risque) et d’intuition (par ex. causalité de la normalité fréquente).
Patrice
LE CHAOS, par Jean Luc
Le terme de chaos est apparu pour la 1ere fois dans le poème intitulé la Théogonie, dont l’auteur, Hésiode, vécut au 8e siecle avant JC. Est ainsi dénommé ce qui a été traduit par le mot de béance, béance dont sont issus les dieux et le monde. Khaos, tel que mentionné par Hésiode, n’est pas tant ce qui précède le monde mais est le préalable intemporel dont sont issus Gaïa (la Terre), Ouranos (le Ciel), Eros (ce qui unit). Khaos est ce qui est sans repère, il représente ce qui est absolument inconnaissable, car il est indicible, indescriptible, hors du temps ; nul ne peut en dire d’expérience de quoi il s’agit, puisque même les dieux ne l’ont pas connu. Il est ainsi le négatif du cosmos, autre concept créé par la mythologie antique ; le cosmos, autrement dit l’univers des dieux, repose sur un principe d’ordre et de logique, lesquels principes confèrent l’intelligibilité aux choses et aux phénomènes. Mais puisque l’intelligibilité repose sur des principes, dont celui de causalité, ceux-ci et en particulier ce dernier peuvent-ils tout recouvrir ? N’y a-t-il rien qui puisse être sans cause et qui de ce fait, illustrant son absolue altérité au monde connaissable, ne peut être lui-même la cause de rien, puisqu’il ne tend vers rien, étant hors du monde ? Si c’est cela le chaos, cette béance informe et inerte antérieure à toute chose, il rend simplement compte de la nécessité qu’il y ait,au sein même de ce chaos, une cause agissante, dont l’effet est de rendre les principes, et notamment celui de causalité, possibles, afin le chaos ne reste pas cette chose inerte et vide de sens. Mais la cause des causes reste donc inconnaissable, car elle reste incluse dans le chaos originel, même si intuitivement, nous en saisissons la nécessité. Et de fait, la fonction d’intelligibilité de toute chose, ce qui l’amène à son essence, à être ce qu’elle est et sa consistance en quelque sorte, reste extérieure à la chose elle-même et ne peut donc être cernée par un logos, une connaissance. Ainsi, le point d’inflexion où le chaos est devenu cosmos et logos ne sera jamais du domaine de la connaissance. Que cela résulte d’une pensée inhérente à la matière ou de l’oeuvre d’un démiurge soudainement apparu, le principe de cette pensée, son mode d’être, est inaccessible à la connaissance humaine. Le questionnement est ici impossible, la pensée humaine ne pouvant s’aventurer vers ce qui lui est extérieur, vers ce qui relève non de la causalité mais de la seule nécessité. Si tout ce qui est relève d’une nécessité, dont bien sûr il est impossible de dire en quoi elle consiste, elle trouve cependant sa raison d’être dans le chaos originel et reste de ce fait inaccessible à la pensée humaine. On peut alors logiquement déduire de tout ceci que c’est le chaos, l’inconnaissable absolu, qui donne son assise à la pensée, puisqu’il aurait été absurde que le chaos restât en cet état. On comprendra alors que toute vérité dans le domaine des croyances est impossible et ce qui sera considéré comme vrai ne pourra l’être que pour soi et soi seul. Car aucun raisonnement ne parviendra à cerner l’origine des choses, puisque l’origine est ce qui est inengendré, est ce qui ne résulte d’aucune cause, de ce fait reste imperméable au raisonnement. Khaos, contrairement au dieu des monothéïsmes, ne crée rien, n’engendre rien, ne relie rien, ne soumet rien. Il ne peut même pas faire l’objet d’un culte. Il disparaît lorsqu’adviennent Gaïa et Ouranos. C’est de leur union que naîtra un monde dont il appartiendra à l’homme de chercher la cohérence sans laquelle l’existence ne serait qu’un non-sens. Eros, ayant uni Gaïa et Ouranos, Khaos n’a pu que disparaître, car le fruit de cette union est le logos, le discours rationnel et scientifique, que l’homme a du imaginer possible lorsqu’il s’est aperçu de la régularité des phénomènes du cosmos et de la nature. Si le monde ne dépend d’aucun dieu, mais de sa seule nécessité d’être, c’est à la pensée humaine de l’arraisonner, de lui donner toute sa signification. Il n’y a en effet nulle évocation de transcendance chez Hésiode. Il ne fait appel à aucun au-delà du monde existant ; en franchir les frontières, ce serait soit revenir au chaos, soit à une pensée qui ne serait pas construite pour elle-même, mais dont l’autonomie serait limitée par la recherche quant à savoir quelles sont les intentions du démiurge, créateur de l’univers. Ce qui crée le monde n’est donc pas une vérité première, irrégragable et absolue, c’est le simple acte d’agir, de s’unir, comme le firent Gaïa et Ouranos, pour offrir à l’homme un monde dans lequel est ensemencé un champ de potentialités.
La science et la philosophie sont à la recherche non d’une vérité en soi qu’il serait bien illusoire de vouloir décrire, mais de réalités qu’il leur faut cerner. Quelles sont-elles ? La recherche du comment des choses pour la science, le recherche du sens pour la philosophie. Ces 2 disciplines de l’esprit ont très certainement été rendues possible grâce à cette Antiquité pré-platonicienne où les Dieux n’étaient pas très différents des humains, où n’existait encore aucune notion de transcendance, où la pensée n’avait pour fonction qu’une mise en ordre du chaos qui est originairement également dans l’esprit humain. « Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse » indique Nietzsche dans Zarathoustra. De l’informe ne peut naître que la forme, car l’informe est absence de sens alors que son contraire est ce qui crée du sens, ce qui est une des finalités de l’existence humaine. C’est l’homme, qui par sa pensée de ce qu’est le monde, lui donne un sens. Dans le Gai Savoir, Nietzsche est encore plus radical, niant même que le monde ne soit jamais sorti du chaos : « Le caractère du monde est celui d’un chaos éternel, non du fait de l’absence de nécessité, mais du fait de l’absence d’ordre, d’enchaînement de forme, de beauté, de sagesse, bref, de toute esthétique humaine ». Considérer le monde comme un chaos, c’est refuser de lui attribuer un sens préalable comme le font les doctrines monothéïstes, c’est au contraire le créer grâce à la possibilité de penser. Le sens ainsi, n’est pas un attribut de l’existence, mais il en est partie intégrante en se générant dans une pluralité de perfections (celle que peut atteindre chaque individu en enfantant l’étoile qui danse), perfections qui ne sauraient jamais se transformer en dogmes, ceux-ci ne seraient au mieux qu’un retour vers le chaos, au pire, le chemin vers le néant.
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LE JEU – par Jean Luc
Nous avons vu la semaine dernière que les illusions et les croyances qui en sont à l‘origine forment pour une grand part, la trame de l’existence humaine. Adhérer en ce qui ne peut être démontré pour finalement s’apercevoir qu’il ne pouvait s’agir que d’une absolue irréalité est le lot du plus grand nombre. Pour l’enfant, il est naturel d’agir de la sorte, de n’agir qu’en fonction de ses croyances, puisqu’il ne dispose encore d’aucune connaissance, mais l’adulte, dans son action, se devrait de privilégier la connaissance par rapport à la croyance. Que fait l’enfant lorsqu’il joue? Il se donne un certain nombre de règles au sein desquelles son imaginaire peut évoluer en créant des histoires fictives qui auront une réalité momentanée pendant précisément la durée du jeu. Par exemple, il jouera aux cow-boys et aux Indiens, ou aux billes, ou encore à la marelle. Un jeu, même s’il improvisé, ne consistera jamais à faire n’importe quoi, n’importe comment. Il est donc plus sérieux qu’il n’y paraît et permet certes l’expression libre de l’imaginaire enfantin, mais encadrée par des règles qu’il respecte cependant plus ou moins. Mais n’est-ce pas ainsi que se définit le principe qui est à la source de toute action ? N’importe quel mécanicien ou technicien sait que pour qu’une machine fonctionne, il faut qu’il y ait du jeu entre les différents éléments qui la composent, autrement dit un espace ni trop étroit, ni trop large, qui permette le mouvement au sein des forces que génère la machine. Le jeu illustre donc la notion d’encadrement et de liberté, mais de liberté au sein de cet encadrement, sans quoi il ne peut être. On exclura donc de la notion de jeu, l’activité des très jeunes enfants ou des animaux, tels les chats par exemple, qui semblent jouer, mais qui n’agissent que sous l’impulsion du moment.
Ces caractéristiques se retrouvent dans les activités de jeu des adultes. Ce terme désigne ici non seulement le fait de jouer mais en plus tout objet ou ensemble d’objets permettant une activité réglée, qu’elle soit divertissante, fonctionnelle ou réflexive, par exemple un jeu de cartes, un jeu de clés, un jeu d’échec. Chaque élément du jeu est alors important : qu’il manque un carte et la partie de cartes ne pourra se jouer ; s’il manque une bille à l’enfant, cela ne l’empêche pas de jouer. Bien sûr, les règles seront plus contraignantes que dans les jeux des enfants et pourront même revêtir une grande complexité. D’où la question : à partir de quand un système de règles a-t-il les caractéristiques d’un jeu ? Le système scolaire, le système politique, la comptabilité repose sur des règles, mais ils ne peuvent être qualifiés de jeu, tout simplement parce qu’ordinairement, ils ne se font pas dans un esprit ludique. Le terme jeu vient du latin jocus, amusement, plaisanterie, le terme ludique vient du latin ludus, qui veut dire, amusement comportant des règles. Les « ludi circenses » des Romains ne reposaient pas sur l’improvisation mais suivaient un certain ordonnancement, affichaient une certaine mise en scène . Le jeu est donc un amusement, un divertissement reglé, dont on n’attend rien si ce n’est le plaisir de jouer. Il se distingue d’un chahut, d’une bacchanale, ou d’une fête carnavalesque qui ne sont que festifs et totalement improvisés. Mais comme eux, il est sans finalité, contrairement donc au système scolaire ou système politique ou a fortiori au système financier. Le jeu repose toujours sur la notion de plaisir sans qu’il soit nécessairement un amusement car il n’est jamais purement fantaisiste.
Il nous faut à présent parler du jeu d’un acteur ou de celui d’un instrumentiste virtuose. Il sous-entend naturellement le strict respect du texte ou de la partition mais qui évidemment n’interdit pas mais suppose même une totale liberté d’interprétation sans laquelle tout texte ou toute musique deviennent rapidement ennuyeux; dans ce cas précis, le jeu n’est plus divertissement, mais une pratique menant à l’excellence car visant à conquérir un public. Même dans le cas du jazz, la liberté d’improvisation suppose une parfaite connaissance de l’instrument que l’on joue ainsi qu’une prescience fondée sur l’intuition de ce que sera le jeu des autres instrumentistes. Là encore, nous retrouvons la dualité entre 2 éléments en apparence contradictoires : la règle et la liberté. Mais d’une part, sans règles, la liberté est tout au plus une fantaisie ne menant à rien, et d’autre part, s’il n’y a pas un espace de liberté au sein des règles, celles-ci stérilisent l’esprit qui, sans liberté, ne peut créer.
Cet espace qui permet la vie de l’esprit, qui permet le développement d’une culture, est, comme pour les machines, le jeu cad l’intervalle entre la règle et l’imagination. Remarquons que dans la Grèce antique, lieu où est apparu le théâtre, les paroles d’un comédien se disaient upo-krinomai, terme à l’origine du terme français d’hypocrite, qui est, comme chacun sait, celui qui feint, qui simule. Est-ce à dire que le comédien, dès lors qu’il n’est plus lui-même, dès lors qu’il joue un rôle, n’est réellement plus lui-même, ou est, tel un enfant, à simuler des attitudes et à inventer des situations. D’où en effet, l’interrogation, comment un homme, le comédien, peut-il être autrui sans feindre de l’être ? Est-ce à dire que seul celui qui ignore la sincérité peut être comédien et lui permet ainsi de n’être aucunement hypocrite lorsqu’il joue à être qqu’un d’autre, lorsqu’il feint d’être un autre que lui ? Ce serait excessif, car le comédien ne recherche que le plaisir de jouer, l’hypocrite cherche à manipuler, à tromper, ce n’est donc plus un jeu, mais une perversion.
Autre question : un jeu, dès lors qu’il comporte un enjeu, est-il encore un jeu ? Le jeu est supposé reposer sur la gratuité (on n’en attend rien), la futilité, le seul plaisir de jouer, ce qui n’exclut pas le sérieux. Dès lors que quelque chose est en jeu, qu’il y a un enjeu, c’est qu’on en attend un résultat une fois que la partie sera terminée. En cas d’échec, on pourra toujours dire qu’il ne s’agissait que d’un jeu ; cela permet la dissimulation des intentions véritables et de garder la tête haute. Ex : le Grand Jeu au 19e siècle entre l’Angleterre et la Russie en Asie Centrale. Le jeu consiste à s’assurer une domination sur des contrées extérieures, mais aussi à assumer l’échec, s’il se produit. « Le contraire du jeu n’est pas le sérieux, mais la réalité », note Freud, dans les « Essais de psychanalyse appliquée » ; il arrive que la réalité résiste à l’imaginaire, à l’ambition que celle-ci sécrète. Le jeu reste donc dans la fiction : tout comme l’enfant, le joueur, dans le domaine de la stratégie, fait semblant de ne pas faire ce qu’il ferait effectivement s’il n’avait pas besoin de simuler, si le rapport de force lui était favorable. Pourquoi comparer cela au jeu de l’enfant ? C’est par méconnaissance et par impuissance que l’enfant joue, qu’il fait semblant. Il sait bien qu’il joue, mais il le fait avec sérieux, car quand il sera « grand », il pourra effectivement créer des situations analogues où son rapport à la réalité sera conditionné par l’empreinte qu’il pensera pouvoir y laisser. Il pourra alors jouer à se prendre au sérieux. Bref, le jeu, dès lors qu’il est plus qu’un simple divertissement comme le jeu de cartes ou les jeux de l’esprit, est ce qui permet d’appréhender, de donner une forme à l’avenir, sans qu’il soit possible néanmoins de dire de quoi sera fait cet avenir ; le jeu, vu sous cet angle, est ce qui prépare à l’anticipation, à la tactique, à la stratégie, à la gestion de l’aléatoire, mais toutefois dans ces cas, ne vaudrait-il pas mieux parler d’un pari ?
On voit par conséquent que ce vocable de jeu recouvre des situations très diverses. En cela il illustre la relativité du relativisme qui voudrait qu’aucune signification commune ne puisse être désigné par un même terme. Relativisme qui est si courant de nos jours, où une notion, telle que l’identité par exemple, est considérée comme sulfureuse car discriminante puisque fondée sur une spécificité. Cela mène à la confusion entre universalité, qui est bien un mythe dès lors qu’il s’agit de croyances que l’on voudrait universaliser, et commune signification, qui permet tout simplement de clarifier les idées sans chercher à relativiser quoi que ce soit. Il y a pourtant bien une universalité du jeu, puisqu’on le retrouve dans toute civilisation, mais celui-ci, nécessaire et pourtant futile, n’est pas ce qui permet de définir une civilisation.
Jean Luc
Le rapport au mal
21 septembre 2011
Le rapport au mal dépend de la conception que l’on s’en fait. Son histoire dans la pensée occidentale suit en parallèle celle du rapport entre l’humain et le divin.
Le mal antique
Les récits mythologiques rendent compte de l’existence du mal : Zeus, pour se venger du vol du feu par Prométhée, envoie la boîte de Pandore sur terre, d’où se répandent tous les maux parmi les hommes. Un récit babylonien fait état de la souffrance des hommes, remplaçant celle des petits dieux, à la suite d’une révolte contre les grands. De même, la Genèse parle de la souffrance humaine comme punition pour avoir désobéi à Dieu.
Ainsi, le mal mythologique provient de la rébellion de l’Humanité contre la Divinité, une ou multiple, qui anime la Nature. Cette rébellion entraîne le mal, comme châtiment collectif et héréditaire, dans un enchaînement circulaire : La souffrance en effet provoque la rébellion, qui entraîne la souffrance du châtiment. Le rapport au mal, dans ce cas, est une fatalité de la condition humaine solidaire, comportant l’injustice de la souffrance innocente. Pour tenter de remédier à cette fatalité, l’être humain doit chercher à honorer les dieux et à se les concilier.
La métaphysique grecque casse l’enchaînement souffrance-rébellion. Car le mal ontologique est une non-conformité à la nature des choses, un manque d’être, une imperfection, un peu à la manière de la dysharmonie confucéenne. Il est erreur, démesure, désordre, injustice et méchanceté. Le rapport au mal est ici une naturalisation rationnelle, avec causalité ontologique dualiste (corps/âme), qui n’élimine pas l’injustice de la souffrance innocente. Si possible, il faut alors supprimer la cause du désordre, et rétablir la conformité à la nature des choses, par la soumission aux lois, la recherche de la sagesse et du bonheur. Sinon, il reste à adopter l’attitude stoïcienne de résignation fataliste.
Le mal chrétien
Le mal est à la base de l’eschatologie chrétienne : Chute, rédemption, jugement, et salut ou damnation.
La conception chrétienne du mal a des antécédents : Pour la Gnose (Zarathoustra, Manès), le monde est le théâtre de la lutte entre deux principes égaux, le Bien et le Mal, Dieu et Satan, l’Esprit et le Corps, ce qui se retrouve dans le platonisme (Sensible/Intelligible). Dans l’hérésie de Pélage, l’être humain face à Dieu, possède une totale liberté responsable, et le mal n’a ni origine ni justification.
- Origine et explication du mal :
Au cours de l’Histoire, l’explication chrétienne du mal s’est élaborée progressivement, en intégrant plusieurs éléments. D’abord, la théorie du péché originel d’Augustin d’Hippone, reprise par Thomas d’Aquin : La puissance de Satan, à travers la concupiscence, entraîne l’être humain doté de libre-arbitre, à désobéir à Dieu et à nier le Bien. Cela consacre sa culpabilité radicale, avec le mal comme châtiment correspondant, collectif et héréditaire. Sans plus aucune trace de manichéisme, ce mal n’est pas une substance, mais une absence de bien.
Ensuite, la théorie du monde imparfait de Leibniz (« Théodicée ») : Dieu n’étant pas l’auteur du mal (contrairement à Allah), comment expliquer son existence malgré un Dieu tout-puissant et infiniment bon (ce que n’est pas Allah) ? La réponse de Leibniz est que le mal a sa raison d’être, comme toute chose, dans un monde qui est le moins mauvais possible. La philosophe Simone Weil estime que c’est le retrait de Dieu, son « éloignement » du monde créé, qui tout en lui permettant d’exister, le rend imparfait.
Enfin, la théorie de la faiblesse de Dieu, du théologien protestant Karl Barth (Nouvelle Théologie) : Un Dieu tout-puissant est absolument incompatible avec le mal. Dieu est donc nécessairement faible. Pour sa part, Alain pense que ce n’est pas Dieu qui est faible, mais bien l’esprit humain.
- Justification du mal (pourquoi moi ?) :
Dans la pensée chrétienne, le mal est justifié par la nature pécheresse du genre humain solidaire (Pascal : « Nous naissons tous coupables »), par l’omniprésence et la banalité du mal (Cf. Hannah Arendt), et surtout par le principe de justice rétributive (comme dans Bouddhisme et Hindouisme) : La souffrance en effet est le prix à payer de la culpabilité ; le mal-châtiment est en réalité une source de rédemption.
Mais demeure l’injustice de la souffrance innocente, celle qui révolte Camus (La Peste), et l’insupportable autant qu’incompréhensible excès de mal dans le monde. La perspective de la consolation céleste, le caractère insondable du dessein divin ou l’incommensurabilité du Créateur et de sa Création, ne sont pas vraiment capables de justifier l’existence d’un tel mal.
- Rapport au mal :
À l’issue de sa vaste synthèse sur « le mal, défi philosophique et théologique » (1994), le philosophe chrétien Paul Ricœur conclut à l’aporie mystérieuse du mal, qui oblige à renoncer à la rationalité à son sujet. Dans une sorte de retour au mal mythologique, qui est divinisation conflictuelle et fatalité solidaire, le rapport chrétien au mal se voit réduit, pour lui, à la juste lamentation envers Dieu (comme Job), mais sans accusation, et en redoublant de Foi et d’Espérance. En effet, le mal incompréhensible n’éliminerait pas les autres raisons de croire, et au contraire, il rendrait Dieu d’autant plus nécessaire (« asile de l’ignorance ! »). En fait, il pourrait bien ne pas empêcher de supporter la souffrance injuste, sans même espérer de rétribution terrestre. C’est plutôt la tentative scientifique de comprendre le mal qui serait vaine, et immorale, car tendant à éliminer toute culpabilité. Par une sorte d’autosuggestion, l’injustice du mal pourrait aussi conforter l’espérance en une compensation céleste consolatrice.
Le mal moderne (postchrétien)
Voltaire a ironisé sur « le meilleur des mondes possibles », en parcourant un monde améliorable, qu’il convient de cultiver. De même, Kant considère le mal radical comme non-intelligible, et le mal pratique comme relevant de l’action morale, tandis que Hegel voit le mal évoluer dans le monde selon la dialectique de l’Esprit et de la Conscience, conciliés par le Pardon.
Puis Nietzsche remet radicalement en cause la conception chrétienne du mal : Il n’y a pas de bien ni de mal, selon la morale judiciaire traditionnelle, mais bien plutôt du bon et du mauvais, selon une morale attractive (recherche de joie, amour et bonheur), par rapport à la volonté de réaliser pleinement sa vie, comme une œuvre d’art. Dans ce cas, le rapport au mauvais s’exprime en termes de faiblesse, de manque de volonté.
Pour les modernes, l’origine du mal se trouve dans la nature, matérielle et humaine, et il est donc possible d’en rendre compte par des facteurs naturels.
Le monde en effet est indifférent au sort de l’être humain, et ses mécanismes (accidents, maladies, mort) n’ont aucune raison de correspondre en tous points aux désirs, besoins ou exigences de celui-ci (André Comte-Sponville). La société de son côté élabore les normes du vivre ensemble, le mal étant tout ce qui nuit à la cohésion pacifique du groupe. Enfin, il existe chez l’être humain la possibilité du mal radical, de « l’inhumain » (sadisme, perversion) : Son cerveau en effet en a les capacités, qui sont la conscience morale et la représentation de soi, d’autrui et du monde (Axel Kahn). L’absolutisme de ces représentations (« vérités » idéologiques ou religieuses), et la recherche diversifiée du plaisir, peuvent conduire à la violence fanatique, par exemple celle de la rivalité mimétique, évacuée par le meurtre du bouc-émissaire (René Girard).
Le rapport moderne au mal est donc la renaturalisation rationnelle d’un fait bien réel et tout à fait compréhensible, même si loin d’être élucidé, puisque c’est seulement la croyance en Dieu qui le rend mystérieux. Ici, il n’y a plus de culpabilité, mais une pleine et entière responsabilité, due à la liberté que ressent l’être humain, par appropriation psychologique de ses pensées et de ses actes : L’être humain répond de ses faiblesses, de ses erreurs, de ses infractions ou de ses crimes. Il convient alors de poursuivre la compréhension du mal, par l’amélioration des connaissances scientifiques, mais aussi de le combattre par l’éducation (conditionnement, imitation), par la pratique d’une morale attractive (expérience personnelle et sociale), et par les lois.
D’après Philippe Breton, le « refusant », qui n’accepte pas l’ordre, même légal, de commettre le mal, est essentiellement une personne imperméable à l’esprit de vengeance, insoumise à l’autorité, même légitime (expérience de Stanley Milgram), et qui possède une forte autonomie de jugement (barrière intérieure).
Patrice
La nature humaine est-elle universelle ?
10 août 2011
L’enjeu de la question est moral et politique : L’Humanité est-elle unique, et doit-on traiter tous les êtres humains de la même façon ?
Concept de « nature humaine »
Le sens du concept de « nature humaine » dépend du référentiel de pensée dans lequel on se place : idéalisme ou matérialisme.
Relevant de l’idéalisme, on trouve principalement l’ontologie dualiste, l’épistémologie « réaliste » et l’humanisme existentialiste. Dans ce cadre, la nature humaine est un absolu transcendant, identifiée à l’idée, l’âme ou l’essence de l’être humain en soi. L’espèce humaine est ainsi radicalement différente des autres espèces animales, avec une différence de nature entre l’humanité et l’animalité. Le concept de « nature humaine » est réel et universel.
Dans le matérialisme, l’ontologie est moniste (l’esprit dépend de la matière), et l’épistémologie, pragmatique, et intersubjective. Là, par contre, la nature humaine est une notion relative et immanente, et on préfère parler de « condition humaine », qui représente l’ensemble des caractéristiques biologiques, psychologiques et sociologiques de l’être humain, avec leurs variations historiques et géographiques. L’espèce humaine est ainsi une espèce animale parmi les autres, avec seulement une différence de degré par rapport à elles. Le concept de « nature humaine » n’est qu’un pur « flatus vocis » nominaliste.
Nature humaine, comme « idée universelle » réelle
Faisant partie du réel, cette « idée universelle » de l’être humain représente sa définition, son essence, son identité, qui est fixe, commune à tous les humains et spécifique à eux. Dans l’histoire de la philosophie, on trouve les principales essences de l’humain suivantes :
« Animal rationnel et politique » (Aristote)
« Âme incarnée et intelligente » (Thomas d’Aquin)
« Conatus désirant » (Spinoza)
« Sujet transcendantal » (Kant)
« Volonté de puissance » (Nietzsche)
« L’inconscient » (Freud)
« Désir libre d’exister » (Sartre)
En Biologie, un rôle essentiel analogue est joué par le génome humain, considéré comme pratiquement unique, et déterminant toute la vie physiologique.
On recense également de nombreux « propres » de l’homme » : rire, langage, morale, écriture, art, sadisme… et aussi, sommet de la Création ou de l’Évolution.
Cependant, on peut faire à la conception idéaliste de la « nature humaine » un certain nombre de critiques. Car elle implique effectivement tout ou partie des éléments suivants :
- Une croyance en un Dieu créateur ou à une Cause Première.
- Un déterminisme fixiste de l’existence, sans réelle liberté ni évolution possible, avec statut « naturel », individuel, voire social (Cf. les « ordres » de l’Ancien Régime, ou les « fonctions » de la Société indo-européenne, de Georges Dumézil).
- Un ethnocentrisme dans son processus d’élaboration, pouvant simplement refléter une culture ou une idéologie particulière.
- Une Évolution biologique de type finaliste (« dessein intelligent »), se traduisant par progrès et complexification des êtres vivants, avec le nécessaire être humain à son sommet.
- Un critère naïf de classification : Incomplète et ambiguë, la définition de type aristotélicien est arbitraire (pourquoi pas une « Raison animale » ou un « Ange mortel » ?), et non-explicative (l’homme est rationnel, parce que c’est sa nature !). Or aucune essence n’est capable de réduire la complexité multidimensionnelle de l’être humain.
La « nature humaine » idéaliste est ainsi un concept flou, une opinion, voire une foi, en aucun cas un fait objectif ou un savoir.
Critique du concept « d’Être »
Pour la métaphysique traditionnelle, l’Être représente la réalité essentielle de l’ensemble de tout ce qui existe : De même que l’être d’une chose est son essence spécifique, l’Être est l’idée ou l’essence même du Réel, en tant que tel. L’Être est le principe explicatif de tout. Ce genre de « joker » universel est néanmoins susceptible d’un certain nombre de critiques :
- L’Essence « précède et forme l’Existence ». Mais pour Sartre, c’est le contraire, car l’être humain, projet libre, devient sa pensée projective : l’existence des étants précède et forme l’essence des êtres, ramenant cette dernière à un statut contingent et secondaire.
- L’Être est « la permanence invisible des choses », au-delà du visible changement de tout. Mais la science montre que la permanence des choses est une illusion, et que constance ou évolution dépendent seulement de l’échelle d’observation, temporelle ou spatiale ; au niveau neurocognitif, l’illusion de permanence est un effet direct de la mémoire.
- L’Essence est « un absolu nécessaire ». Mais la science (Relativité et Mécanique quantique) montre que le réel est contingent (dépend de l’observation), et causalement aléatoire (Systèmes dynamiques). L’Être apparaît ici comme un « asile de l’ignorance ».
- L’Être est « une exigence rationnelle ». Mais la neuropsychologie montre que des concepts irréels peuvent être formés intuitivement par l’imagination, à partir de l’expérience perceptive des choses concrètes, comme par exemple l’infini, l’éternité, les objets mathématiques… ou Harry Potter. L’Être est bien plutôt un « idéal de l’imagination ».
- L’Être « a sa correspondance dans le réel physique », collection d’objets, de particules. Mais la Physique considère de plus en plus le réel comme un ensemble de relations (Cf. l’interprétation relationnelle de la Mécanique quantique). La matière conçue comme « un champ de relations », « flottant en l’air sans appui sur des choses », implique une vacuité totale de la notion d’Être.
Décidément, « l’Être » est un concept plutôt problématique ! D’ailleurs, Michel Bitbol, professeur de philosophie à Polytechnique, plaide pour une « Philosophie relationnelle » (« De l’intérieur du monde : Pour une Philosophie des relations », 2010).
Nature humaine, comme pur nominalisme
Ici, l’expression « nature humaine » n’est qu’un pur son vocal, un phonème, sans aucun contenu, purement pratique ou commode, sans référent réel aucun. Dans la perspective matérialiste en effet, il n’y a pas de nature humaine, mais seulement des êtres humains concrets, possédant des conditions diverses, historiques et locales, qui sont à interpréter.
Quelques exemples de « condition humaine » :
- David Hume (« Traité de la nature humaine ») estime que la condition humaine n’a rien d’inné, qu’elle est entièrement subjective, et évolutive par expérience tout au long de la vie.
- Marx pense que les conditions humaines sont le reflet des classes sociales, qui incarnent les forces matérielles en évolution dialectique.
- Sartre soutient que, sans nature déterminante, l’être humain se crée lui-même en existant, par son libre projet.
La diversité des conditions humaines est radicale, puisqu’elle recouvre l’ensemble des conditions biologiques, psychologiques et sociales (décrites par Hobbes, par exemple), avec leurs variations dans le temps (historiques) et dans l’espace (géographiques). Elle reflète l’immense variabilité des sociétés humaines, résultant de la multiplication croisée des variétés culturelles et des variations naturelles, et décrite par l’anthropologie. Comme le dit Merleau-Ponty, « l’homme est un animal dénaturé », car il échappe, par la culture, au déterminisme biologique, et il précise : « L’homme est une idée historique » ; ce que confirme le paléoanthropologue Pascal Picq : « L’humain est une invention de l’homme, pas un fait ».
La Biologie vient conforter cette perspective en considérant l’être humain comme une forme vivante en évolution, avec des différences de degré par rapport aux autres, par conséquent, et non des différences de nature. Les spécificités biologiques de l’espèce humaine se rapportent principalement au cerveau, à la bipédie, à l’alimentation omnivore et à la néoténie. Chaque être humain est donc le produit, d’une part, d’une nature génomique issue du processus d’hominisation, considérée comme unique au sein de l’espèce, et cadre des variations possibles, et d’autre part, d’une culture liée au processus d’humanisation, sans doute en accélération, l’être humain ne pouvant devenir tel qu’à travers une culture.
Il est bien sûr possible d’identifier dans les conditions humaines des éléments généraux, communs, comme ceux que mentionne Sartre : Vivre dans le monde, avec autrui, travailler et mourir ; ou bien se confronter à l’absurde (vie dénuée de sens) de Mounier ; ou encore chercher, de façon absurde, à maîtriser une nature indifférente, pour Camus.
Unicité de l’Humanité
Déjà affirmée par le Stoïcisme, le Christianisme, la Démocratie des Lumières et le Positivisme, l’unicité de l’Humanité a été à nouveau proclamée à l’issue de la deuxième Guerre mondiale, après avoir été niée par le régime nazi. Par deux fois, en 1950, puis en 1978 à propos des races, l’UNESCO a solennellement déclarée « l’unicité dans la diversité » de l’espèce humaine, comme « idéal vers lequel convergent l’éthique et la science ».
Cependant, la science fournit des faits plus nuancés. Si le génome humain est généralement considéré comme unique, il n’est pas exempt de variations d’un bout à l’autre de la planète. Si la différenciation des races n’est pas définissable en termes génétiques, leurs différences apparentes sautent aux yeux, et tendent même à être revendiquées de façon identitaire (médicaments et cosmétiques ethniques, par exemple). Enfin, le Darwinisme, avec la sélection des plus aptes et l’élimination des inaptes, donne souvent lieu à une interprétation sociale erronée (en réalité, chacun a sa niche écologique).
Les arguments contre l’unicité de l’Humanité sont surtout d’ordre « naturel » : Existence courante du racisme ordinaire, de la xénophobie et des discriminations ; différences individuelles innées (intelligence, beauté, personnalité, force et talent) ; et différences de conditions socio-économiques (hiérarchie, paternalisme et « servitude volontaire »).
Les arguments en faveur de l’unicité sont surtout d’ordre culturel : Origine unique des êtres humains affirmée par les mythologies et les religions ; Déclaration performative de la Démocratie des Lumières (Droits de l’Homme), à visée morale et politique.
Si la « nature humaine » idéaliste avait pu correspondre à une quelconque réalité, l’Humanité unique aurait été un corollaire immédiat. Mais comme l’a rappelé son directeur général, l’UNESCO fonde sa Déclaration sur le principe de la dignité de l’être humain, valeur culturelle de la condition humaine, relative à l’histoire et à la société. Ce fondement culturel n’est donc pas universel, et ne saurait justifier l’unicité de l’Humanité.
En réalité, cette unicité du genre humain s’enracine dans la variabilité intrinsèque des nombreuses composantes de la condition humaine : La variation est constitutive de la même Humanité unique. De plus, la déclaration performative de l’UNESCO n’a pas vraiment besoin de l’aval ou de la caution de la Science, susceptible de varier, car elle est de nature morale et politique. « L’unicité dans la diversité » de l’Humanité est ainsi une conception à caractère relatif, certes, mais qui reste toujours universalisable, au cas où les conditions humaines convergent suffisamment pour cela (André Comte-Sponville).
Patrice
Le talent et le génie
L’encyclopédie Larousse définit le talent comme l’aptitude particulière à faire quelque chose. Posséder une capacité, un don remarquable dans le domaine artistique ou littéraire. À l’origine, il s’agissait d’une unité de compte de la Grèce antique.
Le génie dont l’étymologie vient de genius, le père de famille, la divinité tutélaire honorée sur l’autel familial chez les Romains, est défini quant à lui, comme une aptitude naturelle de l’esprit de quelqu’un qui le rend capable de concevoir, de créer des choses, des concepts d’une qualité exceptionnelle, avec des notions d’originalité, d’inventivité, de rareté : exemple le génie d’Einstein.
Dans l’évangile de Matthieu (de 25.14 à 25.30) se trouve la parabole des talents. Un maître part en voyage et remet respectivement cinq, deux et un talents à ses serviteurs. À son retour il demande des comptes. Les premiers lui rendent son capital doublé par les gains, le dernier ne lui restitue que le talent donné. Le maître félicite chaleureusement les deux premiers et vilipende le dernier, lui reprochant de ne pas avoir su profiter de son talent.
Nous pouvons constater que le talent est plus facile à cerner que le génie. Il correspond à une aptitude ou une capacité inégalement réparties dont il faut prendre conscience pour ensuite les exploiter. Dans toutes sociétés, les talents sont évalués selon des valeurs codifiées mais on peut noter une prépondérance du plan monétaire.
Sur le site de ‟Philosophie et Spiritualité”, nous avons trouvé un texte de Serge Carfantan, daté de 2002, concernant ‟la création artistique” dans lequel l’auteur se réfère à la fois au talent et au génie. Même si le talent et le génie s’appliquent également aux sciences, l’art nous a semblé un domaine privilégié pour comparer ces deux notions.
Dans son texte l’auteur présente le champ artistique à partir des trois niveaux suivants : l’ouvrier, l’artisan et l’artiste.
L’ouvrier est dépossédé de la création. Il n’est qu’un exécutant sans pouvoir de conception, subordonné à la technique et à la production en série.
L’artisan possède un savoir faire transmis par la succession des générations. Il donne une valeur expressive à son ouvrage qui associe l’utilité et l’esthétique.
L’artiste produit une valeur essentiellement esthétique basée sur davantage sur le plaisir que sur l’utilité. L’art produit de la culture, il est plus tourné vers la création que vers l’action.
L’auteur en vient à se poser la question : l’artiste se fait-il par l’hérédité ou par l’éducation ? Pour y répondre il se réfère à différentes théories sur l’origine du génie.
- Le génie est-il génétique comme la proximité linguistique entre les deux termes le laisse suggérer ? Les grandes familles de musiciens ou de peintres accréditent cette hypothèse. Cependant, nous savons bien qu’il y a toujours une interaction entre l’inné et l’acquis.
- L’explication caractérologique permet seulement d’exprimer la tonalité de l’œuvre en rapport avec le caractère de l’artiste mais ne dit rien sur son aptitude à la création.
- Le génie est-il folie ? La contigüité entre la création artistique et la folie expose à la tentation de confondre l’excentricité et le génie. Si c’était le cas nos hôpitaux psychiatriques seraient alors un réservoir de génies.
- Pour Freud, l’artiste est un névrosé qui sublime ses pulsions dans la création esthétique. La névrose serait-elle la cause ou la conséquence du génie ? Le génie étant par définition celui qui est en dehors du modèle consensuel ; cela l’expose à des conduites non-conformes aux normes, comme une vie déséquilibrée plus ou moins associée à la consommation de stupéfiants.
- Pour Nietzsche, la création est subordonnée aux trois ‟M” : milieu, moment et mode. Une œuvre est le miroir de son époque. Celui qui maîtrise les trois ‟M” a du talent, mais cela n’explique pas l’originalité et la touche particulière du génie. Les théoriciens de l’art on vu dans l’art une forme de communication et l’artiste comme un témoin de son temps.
Bergson, lui ne se satisfait pas de cette théorie sociale du génie. Pour ce philosophe, c’est l’artiste insatisfait de son œuvre qui recherche la reconnaissance sociale et la réussite. En opposition, l’artiste conscient d’avoir accompli une œuvre de valeur n’éprouve pas la nécessité de ce type de compensation.
Quant à Schopenhauer, il pose le paradoxe du génie : Celui-ci se produit avec une spontanéité et une facilité toute naturelle et pourtant l’art n’est pas de la nature car il se définit comme ‟l’artificiel”. Le génie a la capacité de produire du naturel par une création intentionnelle en suivant les règles de l’art. De plus le génie ne reproduit pas, c’est lui qui donne des règles à l’art. Par la richesse et l’étrangeté de l’inspiration, le génie dépasse le talent qui requièrt uniquement la maîtrise des techniques.
Pour Platon, l’inspiration est un état de conscience particulier. L’œuvre d’art ne peut être préméditée, elle naît d’un souffle divin qui dépasse l’égo de l’artiste et qui le transporte vers un ailleurs indéfini.
En ce sens, l’activité créatrice exige une puissante énergie psychique et un investissement total, même si paradoxalement elle se rapproche plus d’un jeu que d’un travail. Cet investissement explique le retentissement existentiel du génie.
Notre conclusion
Les notions aristotéliciennes de praxis et poïésis peuvent être étudiées pour différencier le génie du talent :
- La praxis, l’action au sens strict, correspond aux actes politiques et moraux, à tous les actes qui ont pour fin l'accomplissement d'un bien quelconque.
- La poïésis, au sens de création ou de production, correspond aux activités productives, au travail compris comme production de valeur d'usage, de biens et de services utiles à la vie. La production est comprise comme art ou techné, c'est-à-dire le savoir faire.
Le talent opère plutôt dans le domaine de la poïésis ayant pour but la production d’une œuvre. Une fois l’objet achevé, le savoir faire s’abolit dans le produit. Lorsque l’action cesse, elle est dévalorisée par rapport au but et la valeur réside dans l’objet produit.
Le génie appartient au champ de la praxis, qui quant à elle, vise le bien en soi. La valeur réside dans l’action, agir pour agir. L’action doit être exemplaire, doit inciter à l’imitation. Le bonheur, parce qu’il est l’accomplissement de soi, l’actualisation de ses puissances, résulte selon Aristote de l’action.
Le talent correspond à une aptitude, une capacité évaluée suivant les normes en vigueur dans une société donnée alors que le génie se traduit par la possibilité de changer de paradigme, c'est-à-dire de renouveler ces normes pour défricher de nouvelles terres.
Le génie est-il autre chose qu’une convention humaine favorisée par la mimésis, qui est la propension à l’imitation des primates ?
N’est-ce pas par conformisme social que nous nous accordons à louer certains personnages, certaines destinées pour en faire des héros, générateurs de mythes ?
Question finale : Existe-t-il des philosophes de génie ?
Jean Brice et Pascale
La politique peut-elle être morale ?
Café philo du 15 juin 2011
Cette question induit un doute. S’interroger pour savoir si la politique peut être morale sous entend qu’elle n’est pas porteuse de cette vertu. L’art et la pratique du pouvoir doivent-ils être inféodés à la morale ou au contraire l’art et la pratique du pouvoir doivent-ils s’en affranchir.
Nous commencerons par définir la politique. Ce terme est issu du latin ‟politice”, lui-même provenant du grec ‟politikê”, composé de polis = la cité et de tekhnê = l’art. Selon Aristote, la politique désigne l’ensemble des affaires publiques, c'est-à-dire l’ensemble des affaires d’une cité. Par opposition à la famille et au village, la cité est comprise comme l’unité permettant aux hommes d’accéder au bien le plus haut. La politique se réfère à la manière d’exercer l’autorité dans un État ou une société ainsi qu’à l’ensemble des moyens mis en oeuvre dans certains domaines par le gouvernement. Par extension la politique se définit comme une manière prudente et avisée d’agir, quant au machiavélisme, il désigne la politique dans un sens péjoratif.
En ce qui concerne la morale, ce terme est issu du latin moralis et mõres qui signifie moeurs.
Dans l’Encyclopédie Larousse, l’adjectif se réfère aux règles de conduites dans une société et renvoie aux concepts de bien et de mal. Il relève de la conscience que l’on a de ce qui est bien et renvoie aux règles de comportement admises dans une société.
Le substantif désigne l’ensemble de règles de conduite considérées comme bonnes, de façon absolue ou découlant d’une certaine conception de la vie. Il renvoie aussi à la science du bien et du mal, à la théorie des comportements humains, en tant qu’ils sont régit par des principes éthiques.
Pour Boris Cyrulnik, morale et anticipation sont liées dans le monde vivant.
Pour Comte Sponville, la morale vaut pour l’individu et le droit pour le collectif.
En ceci, il reprend Kant pour qui la morale ne s’entend pas comme une doctrine de la vertu qui régit la sphère intérieure de nos intentions mais seulement comme la doctrine du droit qui ne régit que la sphère extérieure de nos actions.
Pour ce grand philosophe de la morale, le rapport entre la politique et la morale est celui de la pratique et de la théorie. La politique est la mise en oeuvre du droit dont la morale est la doctrine théorique. L’action politique doit non seulement se fixer des fins conformes au droit mais aussi employer des moyens respectant cette conformité au droit.
Kant ne nie pas pour autant l’utilité de la prudence, il ne s’agit pas d’abandonner la prudence mais de la subordonner au droit. Ici prudence doit être envisager comme la ‟phronésis”, c'est-à-dire l’art de connaître ce que l’on doit craindre ou ce que l’on ne doit pas craindre. Cette prudence dépend de la contingence, c'est-à-dire des comportements aléatoires des individus, alors que le droit découle de principes rationnels, ce qui justifie la primauté de ce dernier.
Ainsi, il ne faut pas dire que « l’honnêteté est la meilleure des politiques », il faut dire que « l’honnêteté vaut mieux que toute politique et en est même une condition essentielle ».
Cependant, la morale ne peut pas justifier un mépris de la prudence comme dans le cas des révolutions aveugles et précipitées, que Kant qualifie de moralisme despotique.
La pensée de Kant est à la source d’un respect absolu des droits de l’homme auquel aucune politique légitime ne peut attenter.
Pour Kant, le droit doit donc être une priorité absolue en politique.
Les positions kantiennes s’opposent à celles de ce grand penseur de la politique qu’a été Machiavel. Celui-ci cantonne la morale au domaine de la vie privée et l’exclut de la sphère politique. Il invoque deux raisons, d’une part, l’homme honnête périt dans un monde politique malhonnête et d’autre part, la violence est souvent moins cruelle que la bonté débonnaire. Il est rejoint par Hegel, qui dans sa critique de la belle âme, déplore que l’angélisme puisse aboutir à des résultats catastrophiques.
Machiavel ainsi qu’Hegel rejettent le manichéisme car il y a toujours du positif et du négatif dans chaque action, et que le bien absolu est utopique. Parfois la violence est nécessaire pour lutter contre une autre violence encore plus délétère. En exemple, la cruauté de César Borgia qui a permis de rétablir la paix et la tranquillité dans un pays divisé par les exactions liées aux conflits des grandes familles.
Mais il y a un dévoiement de l’oeuvre de Machiavel qui sert à justifier toute forme d’utilisation de la violence, en exemple l’intervention de Bush en Irak.
À partir de la pensée de Machiavel on peut déduire que l’application de principes moraux abstraits peut aboutir à des injustices et qu’il est préférable de faire appel à une casuistique, c'est-à-dire à une étude concrète de la situation au cas par cas.
Pour Hobbes, les individus s’associent afin d’éviter la guerre entre chacun et chacun. Le droit d’usage de la violence est alors délégué à une instance supérieure qui est l’État. Même Rousseau, qui considère que l’homme à l’état de nature est fondamentalement bon, admet l’usage de la force contre quiconque refuserait la volonté générale. Il est à l’origine de ce bel oxymore : « on le forcera d’être libre ». Rousseau considérait Machiavel comme un authentique républicain et non comme un théoricien de la Raison d’État. Selon l’adage romain : ‟Si vis pacem, para bellum” (si tu veux la paix, prépare la guerre), aucun pouvoir politique ne peut renoncer à la violence et Carl Schmitt, juriste, philosophe disciple de Max Weber, défend la thèse selon laquelle la politique a toujours la guerre comme horizon. Elle vise à protéger la cité contre les autres communautés. Il détourne la formule cartésienne ‟cogito ergo sum” en ‟protego ergo obligo ” qui signifie ‟je m’oblige légitiment parce que je protège”.
Un autre auteur s’est également inspiré de Machiavel, il s’agit de Max Weber qui distingue deux formes d’éthiques, l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Ceci d’autant plus que l’on ne peut pas occulter que la politique utilise la force comme moyen, derrière laquelle se profile la violence. D’abord, l’éthique de conviction : elle accorde une priorité au droit sans se soucier des conséquences prévisibles de nos actes. Le respect des principes prime sur l’évaluation aléatoire des effets favorables. Au contraire, l’éthique de responsabilité prend en compte les conséquences prévisibles de nos actes en considérant que pour atteindre des ‟fins bonnes” il est parfois nécessaire de recourir à des moyens dangereux, voire malhonnêtes, et qu’il n’est pas possible d’exclure systématiquement l’éventualité de conséquences fâcheuses à nos actions. L’éthique de responsabilité ne veut pas dire : ‟La fin justifie les moyens”, mais que si l’on recherche vraiment une fin, alors il convient de mettre en oeuvre les moyens qui peuvent permettre de l’obtenir. Selon Max Weber, ces deux éthiques sont indissociables en politique, sans conviction la politique se réduit à une recherche d’intérêts personnels et alors elle devient illégitime et immorale. En opposition, en l’absence de responsabilité le refus de la violence condamne à l’impuissance, ce qui est tout autant illégitime et immoral.
En conclusion, la pensée de Kant permet d’affirmer que la politique ne peut se passer du droit et que son application doit se faire en toute légitimité. Machiavel, quant à lui, nous apprend que l’irénisme (c'est-à-dire l’angélisme) et qu’un humanisme politiquement correct peuvent masquer cruauté et égoïsme. La mise en oeuvre du droit ne se contente pas de belles paroles et de bons sentiments mais passe parfois aussi par de sévères sanctions.
Une autre approche du sujet aurait consisté à s’interroger sur la moralité des hommes politiques. Selon Kant, tout ce qui est moral doit pouvoir être rendu public et être transparent. Ce qui requiert le secret et le mensonge est par conséquent condamnable. Il en découle un principe : ‟Toutes les actions relatives au droit d’autrui, dont la maxime n’est pas susceptible de publicité, sont injustes”. Cela ne signifie pas que tout doit être révélé, mais que seulement que ce qui ne pourrait pas supporter d’être mis sur la place publique est répréhensible. Par exemple : la vie privée d’un homme politique doit être respectée mais sa corruption doit être dévoilée.
Nous pouvons aussi évoquer la ‟moraline” de Nietzsche. Dans sa critique de l’ordre moral et de la ‟bien-pensance”, il serait inapproprié d’attendre des hommes politiques un comportement de saint. Sachant que dans le champ politique l’éthique de responsabilité, telle que Max Weber l’a définie, est nécessaire. Contrairement à l’attitude de la presse poubelle des anglo-saxons, il est donc prioritaire de juger les hommes politiques sur leurs actions et non sur leur comportement.
Conformément à la différence entre l’éthique privée et la morale publique, telle qu’elle a été énoncée au début de cet exposé, en se référant à Kant et à Comte-Sponville, il ne peut être reproché à un homme politique que ce qui est contraire au droit. Par exemple, le harcèlement peut être dénoncé mais pas l’adultère. Par ailleurs, lorsqu’il y a une incohérence entre le discours sur l’éthique affiché par un homme politique et sa conduite personnelle, ce comportement devrait être réprouvé.
Jean Brice & Pascale
Un principe peut-il tout expliquer ?
Un principe énonce ce qui est admis comme vrai, alors qu’il ne découle lui-même d’aucune déduction.
« Les principes se sentent, les propositions se concluent » Pascal.
Mais ce qui est ainsi reconnu comme étant vrai ne peut résulter de la seule intuition, la validité du principe doit être confirmée par la réflexion.
Dès l’Antiquité, Platon et ensuite Aristote ont distingué le ppe de la cause et celui de non- contradiction.
Ppe de non-contradiction, cad si une chose est, son contraire ne peut être. Par ex., l’homme est mortel ; il ne peut donc y avoir d’homme immortel.
Ppe de la cause ou de causalité, cad il n’y a pas d’effet sans cause, sans la cause dont il résulte nécessairement ; cause que l’intellect peut déterminer, soit, comme Platon, en faisant appel à l’idée de transcendance, soit, comme Aristote, en la recherchant dans l’immanence de ce qui est, cad dans les choses elles-même et dans les hommes qui les manient ; l’explication et la connaissance de ce qui est rendant possible l’acte intentionnel de celui qui veut. Ces causes, puisqu’ elles créent entre les choses des liens qui sont logiques, ont été elle-mêmes créés par une cause première qui les a pensées, un « 1er moteur non mû », représentant un « être en acte », achevé, tout le reste n’étant qu « être en puissance », pour lequel l’effet est toujours plus que la cause. L’oeuf donne la poule qui donne ensuite plusieurs œufs. L’être, à savoir l’être en acte, intemporel, étant en quelque sorte ce qui rend possible le devenir, à savoir l’être en puissance, inscrit dans une temporalité qui en fait un étant. Ces causes, sont de 4 ordres : cause matérielle, de quoi cela est fait ; la cause formelle, à quelle idée cela correspond-il ? la cause efficiente, qu’est-ce qui génère l’idée ? la cause finale, en vue de quoi cela est réalisé.
Ces 2 principes, essentiels en philosophie, n’allaient pas tomber dans l’oubli
Alors que la scolastique médiévale préférera faire la distinction entre la ratio cognoscendi (raison qui fonde la connaissance de ce qui est) et la ration essendi (raison d’être de ce qui est), Leibnitz reprendra les 2 principes énoncés précédemment en requalifiant cependant le principe de causalité en principe de raison suffisante (le réel tout entier est le fait de causes, ce qui lui donne un facteur d’intelligibilité, et donc le rend connaissable), ces 2 principes établissant, comme on dit en mathématiques, la condition nécessaire et suffisante pour qu’une chose soit.. De cela découlera la conception rationaliste voire mécaniste et déterministe de la science. Ainsi Laplace, au XVIIIe siècle écrira : « Nous devons envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme cause de celui qui va suivre ». La conception rationaliste ne garde plus que la cause matérielle comme facteur d’explication du monde. Tout se suit dans un ordre parfait mais ne tend vers rien et n’est l’idée de rien.
Le travail scientifique consiste alors, puisqu’il y a des relations constantes entre les choses, de les déterminer et de les retranscrire sous forme de lois, cad une « formule générale, énonçant un rapport constant entre des phénomènes » Petit Robert. On a ainsi la loi d’inertie, de la pesanteur, les lois phonétiques, etc…
On peut cependant très raisonnablement admettre que ce qui est logique ne doit pas avoir pour fonction unique l’infinie répétition du même. Et de fait, on constate une évolution du monde, une transformation, une progression qui infirment la thèse du déterminisme strict.
Qu’entend-on par déterminisme strict ? On cherche des lois par une forme de raisonnement qui est le raisonnement inductif : on part d’observations et de considérations générales pour chercher à isoler les phénomènes qui ont une cause commune. Et comme chaque cause n’est que l’effet d’une autre cause qui l’a produite, il devrait être possible, en toute logique, de déterminer l’origine de toutes les causes, chaque cause particulière devant nous permettre de retourner jusqu’à la cause première. Impossible. La question de l’origine est une question d’ordre métaphysique, qui ne peut qu’échapper au travail d’investigation scientifique, cf Aristote, la science ne peut que rechercher sur quel fondement, sur quel faisceau de causes, un phénomène a pu s’établir mais non une origine commune à tous les phénomènes.
La question de l’idée d’une cause finale, d’un finalisme est tout autant de nature métaphysique car elle est essentiellement spéculative et à ce titre ne peut intéresser les scientifiques. Tout au plus ceux-ci peuvent-ils s’interroger sur les raisons qui ont permis l’évolution.
Car on comprendra que l’origine ne peut se penser sans l’idée d’une finalité vers laquelle elle tendrait, car sinon cela serait absurde, mais cela est en-dehors du travail scientifique.
Parménide, au 6e siècle avant J-C , donne comme piste de reflexion, dans l’un des touts premiers textes philosophiques de l’Antiquité que ce qui est, est nécessairement car ne peut être issu du néant. Car en effet, que serait un néant dont est issu l’être ? Si l’on est théiste, on peut toujours dire que le néant est alors l’autre nom de Dieu, puisque ce qui existe a été créé ex nihilo. Si l’on est athée, on admettra plus aisément que l’être a toujours été et ne peut résulter d’une quelconque création. L’être dans cette conception, est comme le temps ; on ne peut imaginer ou concevoir que quoi que ce soit ait pu précéder le temps. Il est, et manifeste sa présence à la fois en chaque instant et dans l’éternité de son être. Il représente ce qui est sans cause, étant lui-même ce qui rend la causalité possible par la succession en lui-même d’évènements, et nous fait ainsi comprendre que tout principe, y compris le principe de causalité ne peut être une explication générale de ce qui est.
Parménide nous indique encore « qu’être et penser, c’est le même », que donc que ce qui est n’est que ce qui peut et doit s’insérer dans une pensée ou inversement, ne peut être pensé que ce qui est. L’être fonde la raison, et la raison rend nécessaire le devenir. La raison n’est pas que raison raisonnante, la faculté de compréhension rendant possible la connaissance, elle est aussi raison raisonnable, ce qui permet la vie en société et, uniquement au sein de celles-ci, la définition de fins et de finalités.
Donc, reprenons : si le néant, défini comme antécédent de l’existant semble impossible, il est cohérent de considérer qu’un être purement statique, figé pour l’éternité dans une position absolument fixe est absurde, car ce serait une équivalence du néant. La transmutation de l’être en un devenir est nécessaire pour qu’il y ait pensée, puisque penser, c’est connaître pour agir, et à partir de là, ce qui est doit pouvoir se penser. A condition bien sûr, que la pensée puisse s’insérer dans ce qui est, que la pensée, par essence logique, puisse se représenter et reproduire de manière abstraite ce que le réel recèle de lois et de principes. Puisque c’est l’impossibilité du néant qui fonde la nécessité de l’existence, il se peut que l’être- ce qui est, et dont le temps nous donne une idée de ce que c’est- cohabite avec l’existant –ce qui devient, à l’intérieur d’une temporalité, mais sans cependant qu’il n’en soit nécessairement issu.
Ainsi, la phrase extraite de la bible, où Dieu dit à Moïse : « Je suis celui qui est » illustre la notion de l’être parménidien. Celui qui est, est tout simplement ce qui ne peut pas ne pas avoir été !
Dès lors, les principes et notamment celui de causalité dont les étants, les êtres passagers, doivent s’accommoder, n’impliquent pas un déterminisme rigoureux dont la conséquence serait de rendre inutile la pensée. Bien au contraire, celle-ci ne peut qu’être non contrainte, parfaitement libre, extérieure aux principes qui régissent le monde. « La liberté est une idée transcendantale » indique Kant. « L’expliquer, c’est la détruire », « elle s’épanouit, se ressent, mais ne se démontre pas ».
Ainsi l’on saisira que la raison, qui est certes d’abord la raison d’être des choses, se transforme, à la lumière de la conscience humaine, en une raison raisonnable, Vernunft en allemand, qui fonde ce que Kant appelait les impératifs catégoriques.
Les principes et les lois, tels qu’ils s’expriment dans la nature, sont sans finalité. En rester à cela peut donner un sentiment d’inutilité et d’absurdité. Le scientifique sera toujours tel Sisyphe décrit par Camus, car son savoir purement descriptif ne saurait définir une finalité.
Le mystique se sentira tout autant étranger au monde : à la recherche d’une supposée volonté divine qui lui ferait connaître la raison de l’existence de toutes choses, il ne pourra qu’errer dans un désert intellectuel. Si une divinité est, elle est ce qu’Aristote nommait l’acte pur, qui ne peut rien vouloir, puisque vouloir, c’est désirer autre chose que ce que l’on est. Elle ne peut être qu’une présence dans la permanence de son être.
La rose est sans pourquoi, avions-nous constaté dans une précédente séance. En effet, la beauté est, dans l’ignorance de ce qu’elle est. Idem pour la laideur, le mal et la souffrance. L’homme, si souvent désemparé, cherche des significations dans ce qui l’entoure, des interprétations de signes que lui enverrait l’au-delà, mais ne réussit qu’à se créer les illusions qui lui serviront de béquilles mentales.
Mais il n’a pas à se poser la question du pourquoi, car ce qui est, est, comme l’a indiqué Parmenide, ou le Dieu de la bible, et cela est sans pourquoi. Voyant la rose, il peut tout autant s’en extasier comme Ronsard ou rester indifférent. Devant la souffrance, il peut essayer de la soulager ou tourner la tête. A lui, être absolument libre comme l’a indiqué Kant, de faire l’expérience de ce donné transcendantal- la liberté- qui est le fondement de sa vie. Sa question existentielle ne sera plus, pourquoi vivre, mais comment vivre. Sisyphe sera alors enfin heureux, ne voyant dans les principes et les lois de la nature que de simples outils servant à définir et orienter son existence.
Jean Luc
Comment justifier la tradition ? Café philo du 25 mai 2011
PLAN
.Généralités
. Comment justifier la tradition
. Limites à la justification de la tradition
. Tradition et fidélité, Tradition et totalitarisme
. Quelques remises en cause de la tradition
. Tradition et modernité
. Epilogue
1-Généralités, définitions
Le mot, tradition, en latin traditio, « acte de transmettre » vient du verbe tradere, « faire passer à un autre, livrer, remettre ». En latin le mot tradition prend le sens d’enseignement.
Tout ce que l’on sait ou pratique par tradition, c’est-à-dire par une transmission de génération en génération à l’aide de la parole ou de l’exemple.
La tradition, ou les valeurs traditionnelles, c’est ce qui est bon, ce qui s’hérite et se transmet. La tradition se transmet souvent avec la parole, qui perpétue les faits historiques et légendes d’une collectivité, aspects juridiques, religieux, techniques, usages relationnels et affectifs.
Si on remet un objet suite à un contrat, la transmission entre des sujets désigne non seulement des contenus mais aussi une fonction de portée universelle.
La tradition ne se borne pas, à la conservation ni à la transmission des acquis antérieurs : elle intègre, au cours de l’Histoire, des existants nouveaux en les adaptant à des existants anciens. Sa nature n’est pas seulement pédagogique ni purement idéologique, elle apparaît comme dialectique et ontologique.
La tradition fait être de nouveau ce qui a été, elle n’est pas limitée au savoir d’une culture, car elle s’identifie à la vie même d’une communauté, à sa civilisation.
Il importe donc qu’on réfléchisse sur l’expérience traditionnelle à travers trois relations fondamentales :
. En tant qu’intégration, des cultures dans les conditions variables de la nature,
. En tant qu’apparition d’une communauté à elle-même à travers la perpétuelle re-création de ses valeurs
. En tant que visées de l’absolu dans ses rapports avec l’expérience du sacré.
1-Comment se justifie la tradition
a- La durée, ce qui est ancien semble être une valeur fondamentalement juste.
b- L’homme a par nature peur de l’inconnu (1): le réactionnaire et le néo-réactionnaire par peur, va rechercher de manière violente un refus de débattre, et même avec un recours à la force immédiate, sans médiation ni négociation ; C’est là un aspect antidémocratique et injuste (CF les catholiques traditionnalistes avec la récente exposition d’un crucifix dans un bocal d’urine, ).
c- L’homme recherche la sécurité, il a le désir de continuer ce qui se fait depuis longtemps et qui a donc du sens pour lui.
d- Il y va aussi de l’instinct de conservation, même si parfois la tradition apparaît contraire à la réalité.
e- L’homme a le souci de l’évolution lente, sans toucher aux fondamentaux. La tradition est un dépôt sacré que chaque génération transmet à la suivante pour la CONTINUITE DU GROUPE ;
Le mode de transmission est soit :
Voie orale
Voie écrite
Des actes (tour de main technique pour une profession)
La transmission de la tradition est une transmission intellectuelle des Croyances, des Idées et des représentations collectives ; Dans les sociétés primitives existaient des cérémonies, des rites d’initiation où passaient les mythes et les récits.
Dans les sociétés plus évoluées c’est l’enseignement civil ou religieux, (ou l’Histoire quand elle n’est pas devenue un savoir objectif), L’Histoire est une tradition devenue consciente, la transmission aux jeunes générations de la représentation qu’un peuple se fait de son passé.
2- Limites à la justification de la tradition
. a- Limite au progrès et à l’évolution avec perpétuation éventuellement d’un ordre injuste (brûler la veuve sur le bûcher du défunt en Inde)
. b- C’est une limite au sens critique et à la contradiction ; C’est une morale de l’obligation pure, un impératif catégorique, induits par la tradition, la tradition comme la coutume doit être obéie parce que coutume ou tradition, en tant que telle. Il faut s’en défier car toute tradition en tant que telle ne repose-t-elle pas sur le poids du passé et de l’habitude ?
. c- C’est une limite à la liberté, au vouloir individuel, au pouvoir de choisir en éliminant ce qui est dépassé. L’esprit d’invention est souvent démoli, tourné en ridicule, voire même condamné au nom du bon sens de la morale ou de la tradition.
En fait c’est une attitude collective soumettant l’individu à l’imitation et à la reproduction, la tradition c’est la production de représentations d’une société qui se pense, la tradition elle est différente de la coutume ?
. Coutume : usage social préétabli, tradition a une idée de valeur, de convenance (civilisation et culture).
. Coutume est de donner des étrennes au facteur, tradition est de présenter ses vœux à son supérieur.
3- La tradition est justifiée par la fidélité, n’ est-elle pas actuellement poussée de son socle par le libéralisme ?
.a -Aujourd’hui, serait-ce l’apologie exclusive de la liberté, on vante le droit de changer d’avis, de ne plus être fidèle à un choix, de remettre en question les accords passés avec les membres du groupe social dans l’espace et dans le temps. En politique, l’homme est pensé comme sujet avec le pouvoir de cofondation ou d’auto-fondation (de la démocratie moderne par exemple, ce qui est contraire à la société traditionnelle qui fonde l’autorité par le biais de la notion de privilège
.b L’homme veut dorénavant être libre de toute attache, être loyal seulement à lui-même et variable selon les événements ; La liberté détruit-elle la tradition ? Contrairement à l’antihumanisme qui soupçonne la notion de sujet, comme Nietzsche, l’homme aurait son infini pouvoir de liberté, et ne serait pas le simple jouet de la Tradition.
.c . L’éphémère et le caprice s’installent dans toutes les dimensions de la vie sociale.
. d. La fin de la tradition est un élément destructeur et d’insécurité.
. e. Il existe des substituts à risque de perte du socle des traditions :
. Des mouvements politiques font de la durée une valeur suprême (A Peyrrefitte en 1958, l’UNR est au pouvoir pour 1000 ans si nous ne faisons pas de bêtises)
. Des mouvements religieux proposent que leur fidélité théologique transcendent cette liberté en manque de repère ;
4- La tradition, une solution pour éviter que le totalitarisme religieux ou laïc ne s’impose ? Aucune société ne peut vivre sans se penser moralement ; Il n’y a de liberté individuelle durable que si une tradition collective existe et est clairement assumée. La tabula rasa nazie, communiste n’ont pu aboutir, même pour créer l’homme nouveau.(2) et (3)
5- Quelques remises en cause de la tradition
a-. Tradition formalisme et hypocrisie
Dans l’épître de Marc, les pharisiens se conforment à la règle, se laver les mains avant les repas, « Ils sont fidèles à la tradition des anciens ».
Mais question à Jésus : Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? « Ce peuple m’honore des lèvres, hypocrite, mais son cœur est loin de moi. Le culte qu’ils me rendent est inutile ; Les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous laissez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes.
Cet état de fait tient en une attitude d’esprit marquée par l’ignorance, l’idéologie et l’opinion publique et la place que garde la superstition, comme la voyance et gourous.
b-. Pour les protestants, la tradition n’est qu’abus et déviation. La tradition n’est qu’une intruse qu’il faut congédier une fois pour toutes. Aussi le mot d’ordre de la Réforme était : L’Ecriture seule ! Sola scriptura !
c-. Pour les Lumières : Avec Kant, l’essence de la pensée n’est pas la vérité mais la liberté. Qu’est-ce que penser par soi-même, c’est dit-il oser faire un pas sans les roulettes d’enfant qui vous emprisonnaient.
Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. Quels sont les freins à se servir de sa raison : insuffisance de résolution et de courage de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre, « paresse et lâcheté ».
La raison et la tradition : l’invocation au café philo, de tel ou tel auteur faisant autorité auprès de la tradition scolaire, ne saurait prévaloir de l’usage que chacun peut faire de sa raison dans l’examen de toute chose.
6- Tradition et modernité (pour faire le lien avec « l’idée de progrès ».
De manière diffuse, se perçoit une inquiétude concernant l’absence de réponse constructive et cohérente aux questions de notre époque. Ces attitudes sociales et mentales sont les conséquences de la perte progressive de certitudes liée au phénomène propre de la modernité.
La tradition vit de la continuité et de la transcendance du réel. La modernité a inauguré la rupture et le discontinu.
En esthétique la création du phénomène de l’avant -garde et son objectif de destruction toujours plus poussée des formes traditionnelles, veut aussi réduire l’autorité de la légitimité des modèles antérieurs
Epilogue, La mésaventure du directeur du F.M I pourrait mettre fin à une Tradition machiste en politique
Un homme rationnel détenteur d’un pouvoir mondial, se serait retranché de la civilisation par un acte d’instinct de chasseur et de possession de l’autre.
Une tradition va peut-être tomber en France, celle du Don Juanisme électoral, ce lien entre le pouvoir et le sexe, entre le pouvoir machiste et le sexe masculin. Ce lien est flatteur, un bon candidat doit être séducteur et prendre la France comme une femelle.
Faut-il en finir avec le règne du Casanova démocratique et avec la tradition du Don Juanisme électoral ?
(1) L’homme est l’animal le plus facile à dresser car il a peur de l’avenir et des menaces.
(2) Lors de l’élection de 1969, Pompidou et Poher, l’un prônait le changement dans la continuité et l’autre la continuité dans le changement.
(3) Lors de l’élection de 1981, Mitterrand l’homme du passé prônait la rupture, et Giscard un homme de tradition prône la modernisation dans la continuité.
Gérard
Est-il possible de ne pas croire ce que l'on sait ?
Nous allons tenter d'approcher progressivement la signification et les enjeux de cette question ;
d'abord je vous propose d'en décomposer les éléments, avant d'en distinguer les relations.
Ce faisant, je serai amené à répéter l'énoncé de la question afin qu'au fil de l'analyse le sens et la portée du sujet fassent résonance, comme on le ferait d'un haiku ; c'est la méthode que j'adopte généralement pour mettre la pensée au travail.
Commençons : Est-il possible de ne pas croire ce que l'on sait ?
Autrement dit, on s'interroge sur la possibilité de croire que ce que l'on sait n'est pas crédible ; puisque le fait de « ne pas croire » revient à exprimer une croyance même si elle est formulé négativement.
1/ Il n'est pas possible de ne pas croire ce que l'on sait
Dans le corps de la question nous avons deux verbes : croire et savoir qui ne font pas bon ménage dans la tradition philosophique, puisque croire qui renvoi, à la croyance-opinion, à la doxa s'oppose depuis Platon à savoir, à Epistemé.
Les juridictions de la croyance et du savoir ne se recoupent pas telle que notre question le formule :
depuis le Théétète et le Ménon de Platon, la philosophie définit la connaissance comme une croyance vraie justifiée ; Savoir c'est croire quelque chose de vrai, et le croire pour de bonnes raisons. Si l'on sait P, donc nécessairement l'on croit que P est vrai.
A contrario, Savoir P et ne pas le croire heurte violemment la logique classique.
Dans sa Métaphysique Aristote emboîte le pas à son Maître « Un seul et même homme ne peut pas croire qu'une même chose est et n'est pas »
donc l'homme ne peut pas avoir une double croyance contradictoire sur la réalité de son savoir et l'absence de son savoir.
C'est la formulation du fameux principe de non -contradiction, pierre angulaire de la logique classique.
Dans cette perspective , notre questionnement Est-il possible.... commence à chanceler sur ses pattes puisqu'il serait balayé d'un revers de main par un Platon comme étant du domaine de l'irrationnel.
Et par un Aristote comme étant un tiers exclu.
Mais comme nous ne faisons qu'exprimer un questionnement en nous gardant bien d'affirmer quoique ce soit de péremptoire, peut-être allons nous échapper à la camisole de force ?
2/ Il est possible de ne pas croire ce que l'on sait par défaillance
Allons un peu plus loin ,Aristote, encore lui, tout logicien qu'il était n'en était pas moins réaliste et voyait bien qu'il pouvait exister des cas où, dans ses conduites, l'homme était susceptible d'agir au contraire de ses intérêt bien compris.
Disposer d'un savoir et ne pas agir en conséquence, comme si l'on ne croyait pas vraiment ce que l'on savait
Pour socrates dans le Protagoras « personne ne se porte volontairement au mal, ...il n'est pas dans la nature de l'homme d'embrasser de propos délibéré ce qu'il croit être mauvais...»
Aristote expliquera donc que c'est parce que l'homme est mue par le désir et qu'il est oublieux qu'il incline à abandonner son raisonnement pour agir comme un ignorant de fait.
Le modèle de cet homme incohérent, Aristote le nomme Akrates ou incontinent, intempérant.
Thomas d'Aquin emboîtant le pas au Stagirite mais sans insister sur la notion de Désir expliquera cet incohérence humaine qui se traduit par un agir non conforme au savoir, en déclarant que l'homme peut tout à fait connaître les principes généraux en ignorant comment les appliquer dans la vie concrète ; on aurait affaire ici à des individus à demi-instruit ou à demi-habile pour faire un clin d'oeil à Pascal.
A ce stade de notre étude , avons nous enfin déterminer un cas de possibilité au fait de ne pas croire ce que l'on sait ; attesté par une conduite incohérente.
Oui , mais nous ne sommes pas satisfait pour autant, car il ne vous aura pas échapper que les cas de l'Akrates et du demi-instruit renvoient tout deux à des individus défaillants, dont on ne peut pas faire de généralité ; or souvenons-nous dans la question :
Est-il possible de ne pas croire ce que l'on sait ?
Le sujet « on » se réfère à un sujet non spécifié, indéterminé, ce peut-être tout un chacun, la question ne se pose pas de savoir si des individus diminués par leur intempérance ou leur ignorance ou leur irrationalité peuvent se trouver en situation de ne pas croire ce qu'il savent mais bel et bien tout un chacun , n'importe qui.
3/ Il est possible de ne pas croire ce que l'on sait par prudence à l'égard du langage
C'est là que nous allons convoquer la philosophie analytique anglo-saxonne qui, avec B Russel nous a appris à nous défier du langage qui véhicule le savoir : « quand une croyance est exprimée verbalement, il nous faut réaliser que tous les mots hormis ceux des maths et de la logique sont vagues »
Wittgenstein quant à lui ira jusqu'à qualifier la plupart des questions formulés dans le langage de non-sens.
Par ailleurs si l'on considère que le savoir même ou la connaissance reste en tout cas sujets à caution, Russel à nouveau :« toute connaissance est à quelque degré douteuses, et nous ne pouvons évaluer le degré de doute faisant qu'elle cesse d'être une connaissance pas plus que nous ne pouvons dire combien de cheveux il faut perdre pour de venir chauve » on peut très bien envisager qu'un individu reste circonspect sinon réservé par rapport à son savoir tout en restant de plein pied dans une démarche rationnelle.
On sera définitivement convaincu si l'on adhère à ce propos de Russel d'apparence radical : La connaissance humaine est incertaine, inexact et partielle, à cette doctrine, nous n'avons trouvé nulle restriction »
4/ Où l'on constate que dans de nombreuses situations, les hommes agissent comme s'il ne croyait pas ce qu'il savait
Je terminerais en présentant trois illustration de cas où l'on constate que tout se passe comme si l'homme ne croyait pas ce qu'il savait ;
premièrement un exemple emprunté à la vie psychologique : le déni ; mécanisme de défense, primat de l'inconscient
Deuxièmement, un exemple tiré de la vie économique
La th éco classique fondé sur l'idée d'un homo oeconomicus rationnel dans ses choix, dont le comportement peut être modélisé mathématiquement, cette théorie , après avoir été contredite d'abord par le simple bon sens et l'expérience que tout un chacun peut faire de la rationalité limité ou défaillante dont font preuve bon nombre d'agent économique, est remise en cause dans bon nombre de publication.
Notamment celle provenant du champ dit de l'économie comportementale qui empruntent au sciences expérimentale la démarche empirique.
Ces théories ont permis notamment de montrer que l'agent économique dispose en fait de 2 préférences et non pas une pour faire ses choix :
une préférence normative qui part de ce qu'il est admis de faire pour bien gérer ses finances et son budget qui peut s'énoncer par des formules de bon sens « ne pas dépenser plus que ce qu'on gagne » « gérer ses finances en bon père de famille » « être prévoyant » etc.
Mais en réalité, l'agent économique, tout en croyant que ces idées sont fondées, convoque pour motiver ses choix, une autre préférence dite préférence myope, myope car elle surévalue pour guider nos choix le contexte présent où ces choix s'opèrent ; le court-terme au détriment du long terme, les éléments saillants au détriment des éléments moins distincts etc.
ex : je vais pour acheter un pull je ressors avec deux chemises et un pantalon ;
Dans cette perspective, on comprend mieux des phénomènes comme la constitutions de bulles économiques et les nombreux dysfonctionnement des marchés.
Enfin pour terminer cet exposé une illustration empruntée à l'actualité, malheureusement tragique des catastrophes,avec l'appui de l'analyse du philosophe JP Dupuy auteur notamment d'un ouvrage remarqué intitulé « Pour un catastrophisme éclairé ».
D'abord Dupuy englobe sous le terme de catastrophe : un spectre d'événement majeurs, rarissime mais produisant un impact physique et moral d'une ampleur extraordinaire sur un territoire, une population avec des conséquences majeurs sur la planète et/ ou sur l'humanité, lorsqu'il se réalisent.
Ainsi Dupuy peut ranger sous le vocable de catastrophe : des événements
Or l'analyse de Dupuy nous intéresse dans le cadre de notre sujet quand il affirme: « nous tenons la catastrophe pour impossible dans le même temps où les données dont nous disposons nous la font tenir pour vraisemblable et même certaine ou quasi certaine » et d'ajouter « le problème est que nous ne le croyons pas. Nous ne croyons pas ce que nous savons. »
Ici nous aurions affaire à un phénomène non plus individuel comme indiqué plus haut, mais collectif portant sur le fait de ne pas croire ce que l'on sait.
Et Dupuy de finir « Le défi qui est lancé à la prudence n'est pas le manque de connaissance sur l'inscription de la catastrophe dans l'avenir, mais le fait que cette inscription n'est pas crédible... la situation présente nous montre que l'annonce des catastrophes ne produit aucun changement sensible, ni dans nos manières de faire ni dans nos manières de penser et de conclure lapidaire « même lorsqu'ils sont informés les peuples ne croient pas ce qu'ils savent »
Au terme de notre parcours il nous semble que le poids de la croyance est telle que souvent face à lui le savoir ne pèse pas grand chose, en tout cas pour la plupart des gens ;
nul n'est d'ailleurs besoin de tomber dans lfirrationalité ou l'intempérance.
Apparemment, seul le sage accompli peut goûter au plaisir de voir toujours et par tous temps coïncider son savoir avec ses croyances , sauf s'il appartient à cette catégorie qui tend à considérer que le savoir ne mérite de tout façon qu'un assentiment réservé ou circonspect.
Adil ESSOLH
Connaître, est-ce penser ?
« La science se précipite sans choix, sans délicatesse, sur tout ce qui est connaissable , avec le besoin aveugle de tout connaître ; la pensée philosophique au contraire est toujours sur la piste de ce qui mérite d’être su ».
Par cette phrase, extraite de la Naissance de la Philosophie, Nietzsche semble reprendre à son compte tout ce que la philosophie, depuis Parménide dans la haute antiquité grecque, s’était efforcée de faire , cad affirmer l’existence d’un Etre, indépendant des créatures soumises au devenir, identifié à ce qui est parfait mais cependant inconnaissable. Quoique, de par l’identité du penser et de l’être, affirmée par Parménide, la pensée se doive de rechercher comment englober, comment rendre compte de tout ce qui est, aussi bien dans l’ ici-bas que par-delà le réel, dont l’affirmation de l’existence est inlassablement proclamée. Si on suit cela, et beaucoup le feront, Platon et la théorie des Idées, Aristote et la substance, Descartes et la pensée s’opposant au corps, Spinoza repensant la substance et l’essence, Pascal et Dieu, Kant et la chose en soi, Marx et la super-structure conditionnant la pensée, Freud avec l’inconscient conditionnant tout autant la pensée, on accepte de poser le principe d’une réalité métaphysique, transcendante, objet déclaré le plus noble de la pensée et de la réflexion philosophique. Le vrai ne peut être connu puisqu’il existe indépendamment du monde de l’expérience, du monde de l’apparence, du monde dit sensible, cad connaissable par les sens. Lequel monde, en tant qu’il est dépendant de l’idéalité ainsi posée, forme toutefois l’expression d’une rationalité puisqu’il est une transcription de cette idéalité, rationalité dont la raison humaine peut tendre à la compréhension.
En fait, N. prendra une trajectoire inverse. Ramener l’Etre au concept, et ne déclarer que seul celui-ci peut être un objet d’étude non perturbé par des préoccupations « sensibles » , c’est opérer une rupture d’avec le véritable génie grec, celui des auteurs de tragédie : « L’homme était pour eux la vérité des choses, tout le reste n’était que phénomène et forme illusoire ». NP. Le tragédien savait anticiper et reconnaître ce qu’attendait une société et transfigurer cela dans une forme belle, : « Contemplatif comme l’artiste, compatissant comme l’homme religieux, curieux de fins et de causes comme le savant,, il conserve assez de présence d’esprit pour se considérer comme le reflet de l’univers » Naissance de la Philosophie.
La philosophie, et partant, toute la connaissance, à partir de Socrate s’est égarée dans une subordination implacable à la logique, tournant le dos à la condition humaine, mieux, la soumettant elle aussi à des impératifs logiques ; le tout reposant sur le postulat qu’il n’y a de pensée que rationnelle. Plus d’états d’âme, plus de noblesse des sentiments, plus d’imaginaire, il fallait présenter l’ensemble de la vie, aussi bien évènementielle que morale, à la dialectique de la raison, à ce qui pouvait être démontré et non plus seulement montré, condition irrégragable à l’établissement de codes sociaux et ce faisant à l’accès au bonheur.
Ainsi, si tout peut et doit être objet de connaissance, si tout doit en conséquence s’insérer dans la froide et impersonnelle rationalité, si le réel doit s’inclure tout entier dans le rationnel, celui-ci devient par destination ce que les métaphysiciens appellent l’Etre. Cette hypertrophie de la raison est issue du questionnement socratique, lequel a souffert « d’une monstrueuse carence de tout sens mystique » Naissance de la Tragédie.
L’illusion n’est-elle pas de croire que tout peut être formulé de manière abstraite car logique? Abstraire, cad tout soustraire du monde, pour le faire entrer dans un schéma de pensée doté de cohérence. Ce qui traduit un abandon de l’idée personnelle, idée provenant du verbe grec idein, voir, au profit de la théorie impersonnelle, théorie provenant du grec theos idein, je vois le divin, donc voir le parfait. Dans le monde « sensible », l’image du parfait est de ce fait l’universalité, cad ce qui vaut en tous lieux et en tous temps, ou du moins est censé être tel, car nous savons depuis Einstein, que rien n’est universel, pas même le temps. L’’homme, en tant que sujet, face à un destin tragique où il lui faut aborder le chaos de l’existence, est sommé d’insérer sa conduite dans un cadre rationnel, afin d’être vertueux, au sens antique du terme cad capable d’actions nobles, bonnes pour la Cité, sans quoi il sera abandonné à son sort. La connaissance de la vertu fonde l’homme vertueux, apte au bonheur, connaissance naturellement calquée sur le mode de connaissance scientifique, connaissance menant donc à ce qui est vrai, authentique, bien et juste. Voilà ce contre quoi s’insurgera N. La vérité, pour autant qu’elle puisse être connue car bien sûr elle n’existe pas en soi, ne peut être une valeur, ni même ne saurait permettre de désigner ce qu’et une valeur. Car une vérité se dévoile, une valeur s’établit, se promeut : il faut la créer, elle n’est pas contenue dans l’existence des choses. De plus, ce qui demeure en l’état de connaissance ne peut en rien fonder une volonté. La vérité s’adresse à tous, elle est plébeïenne, la valeur n’est l’apanage que des plus valeureux, elle est aristocratique. La vérité se démontre, la valeur se pose, elle ne fait pas l’objet de discussions, d’où le fameux : « Ce qui a besoin d’être démontré ne vaut pas grand chose ».
Le nihilisme proclamé par N., se veut la déconstruction de toutes les idoles, tant métaphysiques que rationnelles. Car les idoles, toutes les idoles, n’ont servi qu’à dénigrer la vie, qu’à dénoncer la réalité au nom d’un idéal (le bien, la vérité).
Bien sûr, il ne s’agit en rien de faire l’apologie d’une position obscurantiste, condamnant la recherche scientifique bien utile au demeurant. Mais il s’agit de savoir de quoi l’on parle. Ce qui fonde la connaissance est la croyance en un monde vrai, accessible à la raison, laquelle nous libère des illusions de l’apparence. L’idolâtrie a été, en Occident du moins, de faire de la seule raison le fondement de toute l’activité humaine. De fait, l’objectivité dont se targue la connaissance est basée sur un idéal métaphysique : l’objectivité en tant que fondement de l’universalité, l’universalité étant le critère retenu par les scientifiques et les moralistes mais curieusement aussi par les philosophes. Car pour les uns comme pour les autres, il s’agissait de combattre la pluralité des points de vue et de fuir l’ambiguïté des apparences. La théorie suppléant l’idée et l’opinion ; n’avait de ce fait de pertinence que ce qui s’inscrivait dans une théorie unitaire et définitive comme si le réel, par nécessité, devait dans sa totalité s’insérer dans le rationnel. Le rationnel étant ce qui est détaché de l’interprétation subjective, du jugement de valeur, du particulier et du contingent, ce dernier n’étant vu que comme un défaut d’explications. Mais en tant que telle, la rationalité affiche son indifférence aux besoins spécifiques d’un individu, d’une société, de toute forme de civilisation déterminée par le mouvement imprévisible de l’Histoire.
Réduire la vie à la théorie, au concept, reprendre l’idéal métaphysique de la philosophie depuis Socrate de l’unité du monde et de la possibilité de sa complète compréhension, c’est tourner le dos à la vie, à son coté « dionysiaque » qui permet précisément la création de civilisations et de cultures, d’individualisations, choses qui restent rebelles à toute analyse purement logique dont au contraire les fondements restent l’abstraction et la généralisation.
Et ainsi, la pensée, et plus particulièrement la pensée philosophique, se doit d’être vue comme une maîtrise, un discernement, une intensité, une intégration des différentes forces de l’individu dans le vouloir-être et non une attitude passive dans un devoir-être, dans les convenances, dans ce qui est correct, conventionnel. « Les philosophes présocratiques sont intéressants en ceci qu’ils ignorent toute convention » rappelle N.
L’homme ne peut être qu’un simple rouage, se servant de ses connaissances, pour créer une société sans aspérité, une société qui aurait enfin imaginée la fin de l’Histoire, vertu suprême de l’homme sans qualité, bien intégré, du « rachitique ». N.
Bien au contraire, l’homme se réalise par sa volonté propre et à celle-ci, « Il faut un but, et l’homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne pas avoir de volonté du tout ». GM
La culture, objet d’avantage d’un vouloir que d’un savoir ou d’un devoir, est selon N, l’affirmation de la vie, de l’instinct vital dont l’homme, s’il est de bon goût n’a pas à se justifier, à se racheter ou à l’expliquer par des théories. Avec Socrate avait commencé le mouvement de décadence qui consistait à faire de ce qui est, un moindre être, dont il faut se méfier, pour privilégier un monde vrai, celui de la logique, des idées pures, des essences, qui seul peut permettre la connaissance. Il ne s’agit pas, bien sur, de faire le procès de la connaissance mais de ce rapport hiérarchique qui consistait à magnifier l’abstraction et à dévaloriser tout le reste comme étant folklorique, secondaire, la marque d’une arriération. Bien sûr, pour N, cela est encore actuel à son époque, la tragique est nié, les valeurs du héros antique font sourire, mais le savoir théorique est magnifié, idolâtré. Socrate a initié le triomphe de la raison théorique sur la sagesse antique, sagesse qui englobait tous les aspects de l’existence. Dans la tragédie, l’homme était l’élément central ; dans la raison universelle, l’individu passe au second plan. Elle est ainsi critiquée comme une « volonté du tout » comme étant un « optimisme théorique » qui provoquera ce que Max Weber appellera « le désenchantement du monde ».
On ne s’étonnera donc pas que N. qualifiera Hegel de philistin pour avoir écrit que « tout le réel est rationnel, et tout le rationnel est réel ».
Le paradoxe est que c’est chez le très rationaliste Kant qu’il trouvera l’argument défiant la culture théorique. Pour cet auteur : « L’entendement ne puise pas ses lois a priori dans la nature, mais les lui prescrit » CRP, ainsi, le raisonnement précède l’expérience, ce qui est particulièrement vrai dans les mathématiques dont les physiciens trouvent des applications des démonstrations, une fois celles-ci faites. Ainsi, commente N. dans NT, Kant « emploie les armes mêmes de la science pour démontrer la relativité de la connaissance et nier catégoriquement les prétentions de la science à la valeur universelle…C’est cette démonstration qui a pour la 1ere fois permis de reconnaître qu’il est illusoire de vouloir connaître, au moyen de la causalité, l’essence même des choses. »
La chose en soi est donc inconnaissable puisque nous n’en connaissons que ce que les catégories de notre entendement peuvent en établir, que ce qui est construit a priori, avant toute expérience, par l’activité synthétique de l’entendement. Un savoir absolu, « dogmatique » dira Kant est donc impossible. De plus, rabaisser l’existence « au rang de composition de calcul est indigne », ajoutera N. Puisque la connaissance dépend des facultés de notre esprit, des conditions qui lui sont données a priori pour leur permettre de s’exercer, ces conditions étant la capacité de raisonner sur la nature, cad la causalité, des seuls phénomènes et d’en établir ensuite des lois, il est parfaitement stupide d’en faire un absolu et donc de vouloir connaître, au moyen de la seule causalité, l’essence des choses. Ce que Kant nommera le noumène- par opposition au phénomène-. Mais il s’agissait de délimiter le champ du savoir, de déterminer ce qui permet la connaissance, pour délimiter ensuite le champ de la morale, étant entendu qu’un critère moral est celui qui satisfait la raison, étant entendu aussi que le critère de l’universalité propre à la raison ne pouvait être mis en cause. D’où il résulte qu’il convient d’astreindre la raison à définir la spécificité d’un jugement dont la perfection puisse le rendre universellement valable. Ce que ne put s’empêcher de faire Kant. « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ». Cette référence à la nature est tout à fait intéressante car elle sous-tend que la perfection est dans la nature et que donc la loi universelle existe comme fin en soi, qu’il suffit en quelque sorte de la découvrir pour à son tour agir moralement de façon naturelle, sans contrainte d’aucune sorte. On en déduit que la loi morale, puisque magnifiée en une loi universelle de la nature existant par nécessité, échappe à l’imperfection des passions humaines, et est par conséquent une image de la rationalité que la nature incarne. Ce « majestueux édifice de la morale » que Kant pensait possible d’ édifier ne rencontrera pas l’assentiment de N. , le déconstructeur de toute métaphysique.
Nous avons vu que pour lui, connaissance et morale s’étaient aventurés dans la dialectique depuis Socrate, puisque la raison était déclaré l’horizon indépassable de toute pensée, humaine ou divine, puisqu’en tant que telle, la raison se devait d’ être capable de dévoiler la vérité, cad le Bien. Il ne put se satisfaire de cela, lui, l’admirateur des tragédies antiques, qui dépeignaient le chaos au sein duquel l’homme devait tracer son chemin. La morale ainsi conçue n’a rien apporté surtout qu’elle s’est par la suite enlisée dans ce qu’il considérait comme l’abomination suprême, le christianisme, religion par excellence de la fuite du réel et de la construction d’idoles, de la dépréciation morbide de la vie au profit d’un au-delà bien mythique. Le tragédien au contraire, prend du recul par rapport au réel mais ne le fuit pas, tout au plus le transforme-t-il en œuvre d’art, en création esthétique.
N. opposa donc la science ET la morale à l’art, véritable instinct vital, dionysiaque où l’homme oublie son être pour vivre en symbiose avec autrui et les éléments, grâce à la recherche du beau. La science traite au mieux d’absence de rigueur, d’illusions ce qui n’est pas pensable par ses concepts. La morale qualifiant de conduite raisonnable ce qui consiste à suivre ses principes, lesquels ne sont que pures pétitions de principe.
Pour autant s’agit-il de dire que toute vérité est une illusion ?
Il parlera de « l’énigmatique instinct de vérité ». Ce n’est donc pas la raison, inhérente à la nature, qui nous fait rechercher ce qui est vrai, mais notre nature, notre mode d’être. Quelle est la nature de l’homme ? s’interrogera-t-il. Qu’est-ce qui en nous veut trouver le vrai ? Cette véracité supposée et affirmée, dont tous les philosophes parlent avec respect, est-elle seulement imaginable ? Ce n’est donc pas la vérité, inatteignable par la raison qui pose problème, répond N. mais l’instinct –Trieb- qui sous-tend cette recherche et la déclare absolue. « La science se fonde sur la croyance que rien n’est aussi nécessaire que la vérité et que par rapport à elle, tout le reste est secondaire » GS.
Puisque la science se fonde elle aussi sur une croyance, la fable d’un monde intégralement intelligible, ce n’est pas l’illusion que l’on fuit, mais les incertitudes . Ainsi « Ce ravissement qui accompagne l’acquisition de la connaissance se serait-il pas la volupté de la sécurité retrouvée » ? GS . Les humains se sont toujours fort bien accommodées de leurs illusions et il serait illusoire de croire qu’ils peuvent s’en passer. Cependant on peut tout au plus penser la vérité mais non point la connaître.
« Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont » LP.
Ainsi, dire que les concepts construisent un monde vrai, qui s’oppose à l’apparence, revient à dire que l’on privilégie l’abstraction par rapport à l’expérience, au vécu. Pourtant le concept n’est qu’une métaphore, en général basé sur des hypothèses, qui reste vrai que tant de contraire n’est pas démontré. Donc à partir de quand est-il vrai ?Est vrai, ce qu’il est convenu d’appeler vrai. Quelle est l’origine des concepts ? La nécessité d’avoir une pensée neutre, non déterminée par le « sensible », mais par le connaissable, comme si le concept, par nature, était neutre. La vie est le mensonge des sens, la connaissance qui est le refus de ce mensonge, est alors l’acceptation d’une vie amoindrie, soutiendra N. La science rejoint la religion. L’ascèse de la raison rejoint l’exigence de pénitence puisque pour la religion l’existence humaine se doit d’expier un crime dont elle ignore lequel il est.
De ces idéaux brumeux, il faut descendre vers le vouloir qui les anime.
« Que serait pour nous le sens de la vie, si ce n’est qu’en nous cette volonté de vérité arrive à prendre conscience d’elle même en tant que problème ? » Non seulement, toute vérité doit être vue au mieux comme une interprétation, au pire comme une illusion, mais de plus il faut se poser la question : pourquoi veut-on la vérité ? Peut-on agir moralement en fonction de cette vérité ? « Ce n’est pas la vérité qui est la contrepartie du monde de la folie, mais l’universalité et l’obligation universelle d’une croyance, en un mot, le non-arbitraire dans le jugement ». GS
Le non-arbitraire, voilà le maître mot. Et c’est pour cela que l’on a décrété l’arbitraire de la raison et la supériorité de la connaissance sur l’intuition, la passion, le sens du tragique. Le logos éclairant l’ethos et dégradant le pathos, voilà, selon N, la grande idolâtrie issue de la dialectique socratique.
La raison ne doute jamais d’elle-même et se perçoit comme potentiellement omnisciente. Si elle s’égare, ce n’est pas de son fait, mais d’interférences extérieures, qui lui sont étrangères, comme les croyances, les illusions, les apparences. Elle s’est longtemps crue d’essence divine, et a décrété l’erreur diabolique. Mais l’objet même de sa recherche, la connaissance pleine et entière de toute chose, censée dévoiler ce qui est vrai, est elle-même le fruit d’une croyance, la croyance en son pouvoir de raisonner, de mettre de la rationalité partout. « Platon a produit la plus dangereuse des erreurs : l’invention de l’esprit pur et du bien en soi ».
Penser la raison, s’interroger sur sa nature, c’est admettre que ses postulats débouchent sur une interprétation du monde et sur rien d’autre. Qu’elle n’a pas plus de légitimité que le tragédien pour décrire ce qui est, et qu’ en tirer des conclusions éthiques, c’est admettre que la démonstration a plus de valeur que la conviction. Décréter la non-validité du monde « sensible », c’est se couper de la vie, c’est laisser entrer en soi le chaos du monde, car pour N, le monde n’est pas un cosmos, une harmonie raisonnée, mais un chaos. De cela il résulte le sentiment de déchirement intérieur, de culpabilité répondant à la honte éprouvée face au dénuement ressenti, face au ressentiment éprouvé vis-à-vis d’un monde créé par un dieu présenté comme bon. Cela a été l’humus sur lequel les religions ont prospéré et ont enfoncé encore plus l’humain dans le désarroi.
Penser, c’est s’interroger sur ce qui fait penser, sur la volonté de penser. Pour N. la puissance de la volonté ne réside que dans le fait qu’elle soit. Elle n’est précédée d’aucun sens et ne doit rien vouloir d’autre qu’elle-même. Se pose alors la question de ce qui la fait être ? Dans VP, il constate que l’existence est, n’a ni sens ni fin, mais n’aboutit jamais au néant. Le savoir accumulé par la volonté de savoir, de vérité, reste obsédé par son impensé, par les zones d’ombre qui paradoxalement ne cessent de s’étendre à mesure que la connaissance s’accroit. Rejetant toutes les spéculations métaphysiques, y compris rationalistes, il ouvre la voie à la volonté de puissance, laquelle en tant que pensée des pensées, est la pensée de l’absence de tout sens. Puisqu’elle est, et demeure sans aboutir au néant, elle ne peut se poser la question de sa provenance et donc de son sens, puisqu’il n’y a sens que s’il y a une origine, ce qui suppose une intentionnalité. Il n’y a donc pas lieu de chercher des raisons mystérieuses dans un au-delà, mais simplement de s’interroger sur les conditions qui déterminent les raisons de penser, compte tenu d’une finalité qui n’est pas non plus à chercher dans un arrière-monde, d’où il faudrait capter les vérités cachées. La science offre une perspective, une tentative d’explication sur le fonctionnement du monde, l’illusion est de croire que le monde est un vaste meccano qui finira par dévoiler toutes ses ficelles. La raison ne peut comprendre que ce qui s’inscrit dans ses cadres de pensée , cf Kant. En quoi peut-elle rendre compte de la nécessité de l’existence ? Qu’est-ce que le courage ? demandait Socrate à qqu’un qui se disait courageux ? Qu’est-ce que l’existence ? pourrait-on demander au philosophe, mais non au scientifique qui serait bien incapable de répondre. Le moraliste y répondrait par la nécessité d’y définir des finalités, mais le philosophe ne peut que constater la vanité de toute tentative de réponse. N. regrettait que la Grèce, avec Socrate avait abandonné le sens du tragique pour savourer l’illusion de la puissance que lui donnait la logique, le savoir rationnel. La philosophie qui s’en est suivie, a tourné le dos à l’arbitraire du tragique, qui n’était ni bon, ni mauvais en soi, pour lui substituer un critère du vrai qui serait contenu dans l’essence des choses, laquelle si elle venait à être connue, serait la clé de la félicité et la fin de l’Histoire. Mais peut-on trouver la félicité si par ailleurs l’on est dans un ressentiment face à la vie ? Si celle-ci est perçue, tant par les scientifiques que par les religieux, comme un masque nous cachant la réalité ultime des choses, leur insondable vérité donc. La connaissance en Occident, est née de la croyance qu’il faut rechercher avec rigueur ce qui est caché, et que de surcroît de cette ascèse naîtra aussi la connaissance de la vertu, dont le respect des règles qu’elle aura su établir, ôtera le caractère tragique de l’existence. Ca a marché pour le savoir, mais pas pour la morale. En effet, Sophocle vaincu, l’humanité aura pu dresser un autel à ce nouvel être suprême qu’est la déesse raison ; elle le fit, mais cela n’arrangea guère son sort. En fait, il n’y a aucun critère objectif qui peut s’appliquer à la vérité, et celle-ci n’est qu’en fonction de nos préjugés, des falsifications qu’on lui impose. Dans VP , N écrira : « L’affirmation que la vérité existe est une des plus grande séduction qui soit. » « N’est nommé vérité que ce qui est prépondérant à une époque ». Or le philosophe se doit non seulement de saisir les perspectives les plus diverses, mais déterminer la destination et la finalité de l’homme. Ce qui obscurcit la pensée, ce n’est pas l’erreur, car il n’y a pas d’erreur puisque penser, nous l’avons vu, c’est interpréter, définir une valeur et un sens. Ce qui obscurcit la pensée, pour l’auteur cité, est la mauvaise foi. Est de mauvaise foi, celui qui privilégie ses convictions, les présente comme des dogmes, des articles de foi incontestables.
Dès lors, qu’est-ce que le dogmatiste, ennemi de la pensée ? C’est celui qui ne peut s’exercer à l’effort et à la patience ; c’est celui qui veut la jouissance immédiate que lui procure ses certitudes qui sont autant de béquilles mentales. Il affirme que ce qui est vrai pour lui est la vérité et n’attend donc plus rien du futur, n’en espère plus rien. Certes, « espérer, c’est désirer sans jouir », mais afficher sa mauvaise foi, c’est ne plus désirer, se contenter de son ego tournant sur lui-même. Au contraire, l’homme débarrassé de ses croyances et de ses illusions se perçoit comme « fugitif et inessentiel », sait que « toute philosophie est une façade, toute opinion une cachette, toute parole un masque », mais perçoit l’éternité comme un assentiment préalable au devenir, peut alors être « comme Dieu même, équitable envers toute chose, miséricordieux, solaire ».
Jean Luc
LP : le Livre du philosophe
NT : Naissance de la Tragédie
GS : le Gai Savoir
VP : la Volonté de puissance
Mercredi, 10 nov. 2010-11-10 par Luca
La Philosophie, consolatrice des vieillards ?
- “Senes non faciunt ea quae juvenes faciunt, at vero multo maiora et meliora faciunt.”
Les vieillards ne font pas ce que font les jeunes, mais ils en font beaucoup plus et beaucoup mieux. (Ciceron)
Celui qui s’adonne au loisir est pour nous celui qui ne travaille pas ! Et Dieu sait qu’à cet égard nous sommes loin des Anciens !
Pour les Grecs et pour les Romains, travailler était toujours le signe d’une sorte de déchéance et, du fait même qu’ils travaillaient, pérégrins, métèques et esclaves étaient exclus de la citoyenneté.
Mais ne nous trompons pas : les citoyens du Monde Antique n’étaient certes pas inactifs, mais leurs activités étaient considérées comme de nature plus haute que le travail productif, au nombre desquelles on trouvait : le soin de la cité, de la famille, des dieux, la pratique des arts, des sciences, de la philosophie, et encore celle de l’amour. Un mot résumait cela dans chacune des deux langues : skhole en grec, et otium en latin. Termes que l’usage a longtemps traduits de façon déviante par loisir, mais dans lesquels il faut voir plutôt la disponibilité à l’essentiel.
Pas de parcs de loisirs chez les Grecs et les Romains ! L’otium était une valeur positive et, de ceux qui n’avaient pas la chance de s’y adonner, les Latins disaient qu’ils étaient des hommes du nec-otium : le négoce (le travail, en général), c'est-à-dire l’activité de ceux qui ne sont pas disponibles à l’essentiel.
Au sein d’un monde stable, d’un monde qui évoluerait à une vitesse harmonisée à l’échelle d’une vie humaine, l’âge pourrait conférer une qualification qui permettrait à l’homme âgé - s’il s’est appliqué à progresser -, de se trouver inévitablement plus avancé que ceux qui ont pris le départ derrière lui. Dans le passé une capitalisation durable de l’expérience, voir de la connaissance était possible et d’ailleurs reconnue.
Nous observons que dans plusieurs cultures l’idée la mieux enracinée dans l’imaginaire collectif est celle de l’ancienneté comme synonyme de sagesse. Nous connaissons tous les images du vieux sage avec la longue barbe blanche : c’est une sorte d’archétype depuis la nuit des temps.
Pour Montaigne la vieillesse est l'âge des loisirs, de la liberté, de la cessation de ce qu'il appelle "l'embesognement", qui est le fait de la jeunesse, laquelle s'y adonne avec d'autant plus d'ardeur qu'elle n'est pas consciente du temps qui passe, puisqu'elle croit en avoir beaucoup en réserve.
Et d’ailleurs lorsqu’il écrit sur cette vie désengagée qu’est la vieillesse, Montaigne sait de quoi il parle. Le jour de ses 38 ans, en 1571, après avoir vendu sa charge de Conseiller au Parlement de Bordeaux, Montaigne se retire volontairement de la vie publique dans son château d’Eyquem, dans sa « librairie », où il veut ne fréquenter que les auteurs de son cœur – les grands auteurs antiques. A l’entrée de la fameuse bibliothèque, que l’on peut toujours visiter aujourd’hui, Montaigne fait graver en latin l’inscription suivante :
« L’an du Christ 1571, à l’âge de 38 ans, la veille des calendes de mars, anniversaire de sa naissance, Michel de Montaigne, dégoûté depuis longtemps de l’esclavage de la cour et des charges publiques, se sentant encore en pleine vigueur, vint se reposer sur le sein des doctes vierges, dans le calme et la sécurité ; il y franchira les jours qui lui restent à vivre. Espérons que le destin lui permettra d’activer la construction de cette habitation, douce retraite paternelle : il l’a consacrée à sa liberté, à sa tranquillité et à ses loisirs. »
Dans l’époque que nous vivons il n’ y a pas beaucoup d’activités que la marche accélérée du temps ne disqualifie pas. Je le vois bien sur mon propre exemple : même en ayant beaucoup appris tout au long de ma vie, d’année en année je deviens plus ignorant parce que les découvertes scientifiques complexes et les innovations technologiques constantes se multiplient et mes efforts pour me tenir au courant deviennent vains.
Le prestige de la vieillesse a beaucoup diminué du fait que la notion d’expérience est discréditée. La société technocratique d’aujourd’hui n’estime pas qu’avec les années le savoir s’accumule, mais qu’il se périme. L’âge entraîne une disqualification. Ce sont les valeurs liées à la jeunesse qui sont appréciées et célébrées
De nos jours la notion d’expérience et de connaissance est valable seulement dans la mesure où elle renvoie à un apprentissage actif. Certains arts, certains métiers sont si difficiles qu’il est besoin d’une vie entière pour les maîtriser. Il en est de même pour certaines activités intellectuelles dont la philosophie en est certainement une. C’est un domaine où l’homme agé est capable de visions synthétiques interdites aux jeunes.
Cela dit, qu’on n’attende pas de la philosophie un remède souverain !
Mais il est en revanche certain, qu'apprendre et pratiquer la philosophie aide à conduire sagement sa vie, à vaincre ses peurs et à se débarrasser des illusions et espoirs infondés.
EPICURE : Lettre à Ménécée (extrait). « Quand on est jeune il ne faut pas hésiter à s'adonner à la philosophie, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser d'en poursuivre l'étude. Car personne ne peut soutenir qu'il est trop jeune ou trop vieux pour acquérir la santé de l'âme. Celui qui prétendrait que l'heure de philosopher n'est pas encore venue ou qu'elle est déjà passée, ressemblerait à celui qui dirait que l'heure n'est pas encore arrivée d'être heureux ou qu'elle est déjà passée. Il faut donc que le jeune homme aussi bien que le vieillard cultivent la philosophie: celui-ci pour qu'il se sente rajeunir au souvenir des biens que la fortune lui a accordés dans le passé, celui-là pour être, malgré sa jeunesse, aussi intrépide en face de l'avenir qu'un homme avancé en âge. »
La raison vigilante du philosophe éclairé, qui recherche attentivement les motifs de ce qu'il faut choisir et de ce qu'il faut éviter et qui rejette les vaines opinions, grâce auxquelles le plus grand trouble peut s’emparer de nous, est essentiellement thérapeutique: on fait de la philosophie pour « acquérir la santé de l'âme ». En effet, de même que l'équilibre du corps peut être rompu par les maladies, de même notre esprit peut être troublé par des agitations et des craintes qui nous assaillent et qui nous minent de l'intérieur, nous empêchant de savourer les instants qu'il nous est donné de vivre. De ce point de vue, la philosophie n'est pas un luxe superflu: c'est au contraire l'essentiel, puisqu'il s'agit fondamentalement de lutter contre ce qui nous rend malheureux, et donc d'être heureux.
Alors pouvons-nous en conclure que la philosophie serait la consolation des (jeunes) vieillards ?
- Je réponds OUI -. Et pourquoi ? Précisément parce qu’elle les protège de toute disqualification. Notre philosophie personnelle est hors de tout âge. A partir de ce que Bergson appelait une « intuition philosophique » nous nous constituons une vision du monde intime, qui n’appartient qu’à chacun de nous.
Confrontés à des philosophies nouvelles, notre philosophie personnelle (même modeste), peut en accepter certains aspects, être amenée à se poser de nouveaux problèmes : mais elle n’abandonnera pas son point de départ. Le « cogito, ergo sum » nous enseigne que c’est l’Homme universel qui pense en lui. Il n’a donc besoin de personne pour parler et il ne doit de comptes à personne. S’il ajoute, s’il retranche, s’il corrige, c’est toujours dans une certaine perspective qui est la sienne, à laquelle toute autre perspective est étrangère, si bien qu’autrui ne peut jamais le disqualifier ou le contredire intimement.
Le plus souvent sa pensée s’enrichit avec l’âge. Pour saisir les implications complexes qui gèrent les relations de l’homme en tant que sujet avec la totalité du monde, il faut du temps. ……….. Et le sujet est inépuisable.
Chanson de garde (extrait) :
5 -Quand l'on prétend tout savoir
Depuis le matin jusqu'au soir,
L'on lit, l'on étudie
Mais par ma foi les plus savants
Sont comme moi des ignorants.
Bonsoir la compagnie.
6-Dieu fait tout sans nous consulter.
Rien ne lui peut résister.
Ma carrière est remplie,
Mais quand l'on n'est plus propre à rien
L'on se retire et l'on fait bien.
Bonsoir la compagnie.
7-Rien ne périt entièrement
Et la mort n'est qu'un changement,
Dit ma philosophie.
Que ce système est consolant,
Je chante en adoptant ce plan
Bonsoir la compagnie.
Le besoin de puissance (18-08-2010)
Cette semaine le terme « Puissance» a été utilisé trois fois dans l’actualité :
. La Chine est passée au 2ème rang des puissances mondiales
. On fait le constat de l’impuissance de la Puissance russe face aux incendies
. Marie la toute puissante et suppliante a fait pour la nième fois son assomption le 15 août.
Le besoin de puissance qui semble une exigence naturelle ou de société s’exerce de diverses façons avec des effets particuliers :
. Sur soi contre sa nature obscure dominatrice et passionnelle, plutôt volonté de puissance, « Je suis maître de moi comme de l’univers »
. Sur l’environnement pour soumettre la nature, la guerre ne sera plus d’homme à homme, mais contre la nature ou l’espace sidéral.
. Sur les autres pour en faire ses sujets
. Solliciter ou déléguer à la puissance des autres, réelle ou magique, afin de subir pour notre profit; consulter un astrologue sur notre avenir pour être plus puissant à agir.
Tout dans le monde vivant est présumé en puissance, en devenir, et chacun sent ce besoin d’accroître quelque chose en lui à partir d’un potentiel, pour devenir plus fort, plus efficace, plus vivant.
La Puissance prend plusieurs formes :
. Sens faible, capacité juridique à exercer un droit qui produira des effets
. Efficacité de l’Esprit en tenant compte de la morale, développer sa capacité intellectuelle ou spirituelle.
. Efficacité d’accumulation matérielle sans morale, recherche de pouvoir sur les choses plus que la puissance, tendre vers la possession qui nous possède et nous enchaîne à la fin.
L’impuissance est négative, elle est faiblesse et impossibilité :
. Soit on est sans effet sur le monde ou sur les autres
. Soit on accepte d’être soumis, subordonné, incapable, non émancipé ou aliéné, ou simplement soi-même mais libre.
A – Le besoin « naturel »de puissance exercé par soi-même
. Puissance unificatrice du Bien de Platon, pour produire du lien et de l’ordre et passer du chaos au Cosmos. Mais le mal aussi ? Au café philo nous devons être sous deux puissances, l’amour de la vérité et la réminiscence d’un savoir authentique qui traduit le mouvement de l’âme elle-même.
. Est-ce répondre selon Aristote à l’autorité voulue de l’ordre naturel dont nous faisons partie, pour mettre en forme le chaos et garantir notre devenir d’être en puissance. A l’image des troupeaux d’animaux sauvages qui produisent des mâles dominants, nous produisons des rois supérieurs à la loi qu’ils ne sont pas tenus d’observer et qu’ils peuvent modifier.
. Est-ce l’effort nécessaire selon Spinoza pour persévérer dans notre être par la joie qui est augmentation de notre puissance d’être, vers la liberté et la perfection.
. Est-ce un effet de notre liberté de mouvement selon Hans Jonas qui nous permet de combiner le destin et la liberté pour notre puissance d’agir, la liberté est puissance potentielle ?
. Nous sommes dotés naturellement d’outils de puissance : Puissance émotionnelle d’incarnation du souvenir dans un objet (une madeleine pour Proust), Puissance du calcul pour se projeter dans l’infini, Puissance d’œuvres de l’esprit qui changent la conscience humaine dans l’Histoire. Puissance de la technique qui nous menace et demande une nouvelle éthique.
B- La puissance comme besoin dangereux ou non assumé et donc délégué
. La recherche indéfinie de l’accumulation de puissance est une impasse qui menace notre persévérance dans l’être selon Hobbes, faut-il passer du désir de puissance à une logique de pouvoir absolu qui conjugue puissance et droit par une convention qui autorise cette délégation de puissance mais sans aliénation. C’est moins la puissance de l’Etat que la liberté garantie de l’individu dans une organisation juridique et politique qui bride le citoyen.
. Face à la diversité des désirs on recherche un compromis qui condamne le politique à l’indécision et à l’impuissance selon Machiavel, il faut une puissance pour trancher et exprimer des choix clairs, même par force et par ruse.
. Pour la paix et l’ordre des familles on avait délégué la puissance au père avant l’autorité parentale des deux conjoints, un pater familias non soumis à une autre puissance privé de quiconque faisant de la femme et des enfants, des mineurs non émancipés, subordonnés et autorisés.
. Recherche d’un titulaire de la puissance magique qui par imposition des mains, sera efficace pourvu qu’il respecte l’exactitude rituelle et qu’il ait la confiance dans son pouvoir d’une part et celle du soumis d’autre part. Ainsi va-t-on jeter un sort sur un concurrent par l’entremise d’un sorcier rémunéré, doué de pouvoirs surnaturels.
. Recherche de soumission à la Toute-puissance de Dieu, infaillible, infinie et absolue, pour compenser notre impuissance, et nous approprier des fruits par la prière.
C- La puissance n’est pas un besoin
. On devient sage quand on en a fini avec les désirs vains de puissance selon les stoïciens, le sage n’est pas un surhomme mais il est libéré, il se laisse être homme avec une heureuse passion.
. La puissance est viciée car elle ne vise qu’à dominer l’autre et les choses, pour accumuler des richesses et des territoires.
. C’est vouloir excéder sa nature humaine et ne pas savoir être soi en s’appropriant plus qu’on ne nécessite.
. Mais l’absence de puissance pose problème, l’Etat russe n’éteint pas l’incendie, et les gouvernements ne peuvent rien contre la main invisible du marché.
. La Puissance est le plus souvent liée à la notion de patriarcat autour duquel l’ordre s’organise, autour du genre masculin, l’autorité et la loi. Le père, le prêtre, en un mot le patriarcat, associent les notions de sexisme, d’homophobie, de racisme, de guerre et toutes autres intolérances. La justice qui se distribue autour de cette puissance mâle et patriarcale s’appuie sur la Raison, le Soi, l’Esprit et la Culture.
Inversement, le féminin n’incarnerait pas la puissance en raison de la maternité, mais le « care » de Martine Aubry, qui se traduit par l’émotion tempérante, la relation, le Corps, la Nature, pour une société plus douce sans recherche de puissance dominante. La philosophe Carol Gilligan voudrait unir au lieu de les opposer, la Raison et l’émotion, le Soi et la Relation, l’esprit et le Corps, la culture et la nature. L’homme serait un esprit plus incorporel que la femme ce qui fonderait sa puissance ? Et l’universalisme alors auquel homme et femmes peuvent puiser, pour réaliser soit « Les trois femmes puissantes » de Fatou Dioume ou l’homme du « care » de Martine Aubry ?.
D-La volonté de puissance culturelle, hors de l’accumulation matérielle
. En réfléchissant avec ordre et méthode selon Descartes on atteint la connaissance parfaite des choses, notre œuvre tire de là sa puissance et change les consciences.
. La Raison et la morale sont négatives selon Nietzsche et elles nous brident, et affirmer notre volonté de puissance c’est retrouver la structure de notre désir en maîtrisant notre chaos conflictuel interne des désirs. Ce n’est pas seulement conserver sa force d’être mais au contraire la dépenser, comme dans le cadre de la jouissance Sadienne. Peut-on préférer la volonté de puissance affirmative créative à la puissance négative destructrice ?
. Pourtant la puissance du négatif selon Hegel interdit à la pensée de s’arrêter à quelque résultat que ce soit, le vrai est une puissance du devenir en soi. Les vérités sont des erreurs rectifiées.
. La libération de la volonté de puissance pour qu’advienne la différence selon Deleuze, pour que l’éternel retour soi non celui du même mais de devenirs différents, actifs et créatifs.
En guise de première conclusion nous nous devons de souligner notre besoin de puissance par le devenir, qu’il soit comme l’éternel retour du même du philosophe aztèque cité ci-après et qui conférait la puissance d’un savoir de l’époque. Ou qu’il soit l’éternel retour de devenirs différents et créatifs selon Nietzsche qui aurait pu s’inspirer des dires de ce philosophe aztèque pré-chrétien dans le codex Florentina :
« Une autre fois il en sera ainsi, une autre fois les choses seront ainsi, en un autre temps, en un autre lieu. Ce qui se faisait il y a longtemps et qui maintenant ne se fait plus, une autre fois se fera, une autre fois sera ainsi, comme cela fût en des temps très lointains. Ceux qui vivent aujourd’hui, une autre fois vivront, une autre fois seront ».
En guise de deuxième conclusion, nous devons reconnaître que le besoin de puissance décline avec l’âge, lorsque le corps se délivre de son désir de vivre. C’en est bien fini alors de la persévérance dans l’être, même dans la joie ! C’en est bien fini aussi de cette recherche de puissance dans l’affranchissement d’avec la morale chrétienne, tout cela apparaît bien vite comme une recherche subjective bien vaine ! Nous sommes atteints également par le phénomène d’usure, de l’entropie des systèmes qui usent leur énergie après avoir dépensé la puissance. Finalement Sade avait raison qui prolongeait le libéralisme par la jouissance jusqu’à l’autodestruction de soi et des autres…car retrouver la puissance maximale, ne pouvons-nous le faire autrement qu’en nous autodétruisant et ainsi nous rendre à notre mère Nature, là où est la vraie puissance, après avoir laissé là notre être bridé par la morale contre-nature ?
Nous affirmions que quelque chose en nous n’était pas de ce Monde et n’appartenait pas à la Nature !! N’est-ce pas une fantaisie de poète ou de religieux qui postulerait une puissance éternelle du verbe et pourquoi pas de la chair ? Ayons la lucidité que nous revenons à la puissance de la Nature après avoir épuisé l’amour de soi.
* *
Discussion :
. Préciser la notion de besoin, de nécessité par rapport au désir, besoin de nourriture de désir d’amour ? Le critère de nécessité vitale peut inclure tout autant la nourriture que l’amour chez le petit enfant. En réalité la frontière est ténue entre ces deux notions.
Pour Nietzsche, l’essence intime de l’être, la valeur suprême, est la volonté de vie, contrairement à la volonté du néant de la morale chrétienne. Adler qui va à l’encontre de Nietzsche souligne l’infériorité des organes (cas du nain), et l’on se doit d’évacuer ce sentiment d’infériorité par compensation, voire par sur-compensation, comme l’orateur romain qui bégayait et s’astreignait à parler avec un caillou dans la bouche ; C’est une volonté de puissance négative contraire à celle de Nietzsche.
Le besoin de puissance peut être vu sous deux angles :
. Exogène : pour réaliser un travail imposé par un autre, on doit montrer de la puissance pour surmonter une difficulté technique de la Nature ou voire d’autrui qui a l’autorité et duquel nous dépendons. On retrouve par extension la notion de potestas dévolue au Roi ou à l’empereur et l’auctoritas dévolue au Pape., une puissance publique exercée par le roi sous l’autorité du Pape.
. Endogène : pour garantir la conservation de soi, ou le désir d’exister de Sartre, il nous faut de la puissance et l’appliquer sur la nature (pouvoir d’agir) et sur les autres (pouvoir de faire faire).
Il nous faut préciser que l’assertion de Spinoza de persévérer dans l’être doit se faire dans la joie, et Nietzsche emmène sa condition d’homme vouée à s’accroître, donc ce besoin existe de supprimer les limites par la culture et la transgression. Chacun doit faire de sa vie une œuvre d’art achevée et originale, et c’est ainsi nous considérer comme une fin.
La notion de puissance stipule des moyens intellectuels, des aptitudes, une force, et le manque de puissance peut être envisagé comme suit :
. Lorsqu’on est en –dessous de l’exigence extérieure.
. Lorsque l’on n’est pas en adéquation par rapport à notre désir ou force vitale, et tenaillé par la frustration, l’étiolement, et l’impossibilité de se conserver ou de se réaliser (développement personnel, pour réellement achever l’œuvre qu’est sa vie).
A contrario, l’excès de puissance amène le totalitarisme, la domination de l’autre, la maltraitance qui peut nous faire considérer l‘autre comme un moyen et non pas une fin.
En terme de philosophie politique et de justice sociale, les moyens d’asseoir sa puissance devraient être équitablement répartis, et 3 écoles de pensée nous donnent des indications avec la parabole de la flûte réalisée par un enfant bricoleur d’une fratrie de trois dont le père doit attribuer l’objet, à celui qui l’a fait, celui qui saurait l’utiliser au mieux ou voire un partage égalitaire :
. Ecole utilitariste : Laisser l’objet à celui qui l’a réalisé
. Ecole individualiste libérale : Donner l’objet à celui qui en tirera le meilleur parti
. Ecole égalitariste : Partager l’objet
Le choix d’affectation de l’objet doit procéder d’une analyse pragmatique de l’état de chacun des enfants et de leur capacité réciproques, pour parvenir à plus de justice et de liberté de pouvoir faire ce qu’on a librement choisi, si on a eu la possibilité réelle de faire des choix. Le choix devra respecter l’égale liberté réelle de chacun de se réaliser et de satisfaire son besoin de puissance.
Gérard
Que signifie agir et penser en « liste » ?
Café philo mercredi 9 juin 2010
Introduction.
La liste est rarement pensée pour elle-même, alors qu’elle est une pratique humaine fondamentale, de la liste de courses à la profération solennelle d’une liste de morts. Quelqu’un parle-t-il dans ou derrière la liste ? Que signifie agir et penser « en liste » ? Les listes prouvent-elles quelque chose ?
Qu’est-ce qu’une liste ?
· Une liste ne contient que des mots (substantifs, verbes, adjectifs, etc.). Il ne faut pas confondre un ensemble (qui réunit des objets réels ou non : l’ensemble des fleuves, l’ensemble des dieux grecs) et la liste ( qui ne peut contenir que les noms de ces objets, ou d’autres types de mots que les noms : adjectifs, verbes, etc.).
· La liste contient des mots et non des choses. ( Par exemple, un livre n’est pas une liste de chapitres ; mais une table de matières est la liste des titres de ces chapitres).
· On appelle couramment liste un ensemble d’items dont la longueur dépasse le mot ou le groupe nominal. La taille acceptable des items contenus dans une liste est conventionnelle : par exemple une liste des méfaits ne contient pas les méfaits eux-mêmes, mais leurs noms et leur description brève.
· Toute liste est le résultat d’une mise en liste qui consiste à regrouper les mots répondant à certains critères librement définis.
· Les listes sont produites par des opérations essentiellement graphiques. La liste apparaît rarement dans les cultures purement orales, sauf dans certains rituels (hommages aux dieux, récitations de généalogie..).
· La liste contient des mots séparés. Dans une liste, les mots listés sont dépourvus d’articulation syntaxique ou grammaticale ; chacun est posé pour lui-même.
· Une liste s’écrit de préférence de haut en bas. La suprématie de la colonne ne tient pas à ce qu’elle est ou serait hiérarchique, mais à ce qu’elle est plus conforme au caractère de séparation entre les mots qui définit la liste. Cette présentation souligne l’a-grammaticalité de la liste, la séparation des items sa discontinuité. Chaque mot est présenté dans son autosuffisance. ( voir Georges Perec quand il écrit sa liste d’Espèces d’espaces : 52 items contenant le mot « espace » sont disposés de haut en bas, ledit mot étant toujours au centre, et bordé à droite ou à gauche des autres mots de l’expression ).
· Une liste n’est ni nécessairement finie ni nécessairement infinie. Bien entendu, il est important pour certaines listes particulières qu’elles soient finies (listes de choses à faire), voire finies et closes (listes électorales le jour du vote). Mais de très nombreuses listes sont infinies ou indéfinies.
· Une liste n’est pas nécessairement ordonnée. L’ordre dans la liste est un effet de réaménagement.
· Il existe des « allures de liste » qui se produisent quand un ensemble (simultané) ou une suite (successive) semblent fonctionner comme listes alors qu’ils ne sont pas une colonne de mots : par exemple les films à sketches ou à gags, les comptines et les refrains, les processions, le strip-tease…L’allure de liste tient autant à la disposition mentale du spectateur « en retrait » qu’à la structure (potentiellement fragmentaire et structurellement additive) de l’objet ou de la pratique considérée.
Qui parle ?
La liste exclut la parole, au sens où elle n’est pas faite pour être dite ou parlée. La liste est énumération et non discours. Elle est étrangère à toute logique d’interlocution même si il y des listes qui sont énoncées et proférées comme l’appel scolaire ou militaire, qui font l’objet d’une lecture publique solennelle ou ritualisée comme les litanies religieuses et les listes des morts. Le rapport de la liste à la parole est donc loin d’être univoque.
La liste est un fait de langage, mais il n’est pas sûr qu’elle soit un acte de langage : la plupart du temps, elle ne s’adresse à personne et n’est portée par aucun « je ». Or l’énonciation est un acte de parole, dans lequel un sujet formule (par écrit ou par oral) un énoncé ou un ensemble d’énoncés qu’il reconnaît et assume comme siens.
Une liste peut être proférée, mais ne fait pas pour autant l’objet d’une énonciation ce qui ne les empêche pas d’avoir une portée cognitive ou normative.
Dans toute profération publique d’une liste, le vrai sujet de l’énonciation n’est pas celui qui déclame ; ce vrai sujet n’est pas une personne physique, mais métaphysique, la communauté. Personne ne peut en son propre nom assumer et déclamer la liste des victimes du 11 septembre 2001. Dans ces proférations les lecteurs sont souvent multiples.
La liste en littérature.
La liste est du côté de la simple graphie, de l’enregistrement et non du style. Elle sert à noter des données administratives ou militaires, les courses à faire et les choses à ne pas oublier - rien de plus. Et pourtant, depuis l’Ancien Testament ou l’Iliade et l’Odyssée, la littérature regorge de listes stricto sensu ( de Chaucer à Rabelais, de Melville à Perec, littérature orientale et arabe comme les Contes des mille et une nuits ). Si on étend le champ à l’ « allure des listes » le phénomène est encore plus étendu.
Umberto Eco nous dit que la liste est dans certains cas une « manière de dire l’indicible » » : elle offre alors un échantillon de l’indénombrable, elle vaut moins par ce qu’elle dit que par ce qu’elle suggère ; elle devient un procédé narratif indirect, elle narre ce qui ne peut pas être narré. Cela relativise l’axiome de départ sans l’annuler. La logique de la liste est anarrative, mais si elle est prise dans le tourbillon d’une épopée ou d’un roman, elle se narrativise et se littérarise (voir La Vie mode d’emploi de Georges Perec).
Les formes poétiques sont propices aux listes : par exemple, la « Ballade des dames du temps jadis » de François Villon :
Dites-moi où, n’en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ni Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine…
La ballade est construite autour d’une liste de « dames » célèbres, absentes quoique présentes par leur nom et la rêverie que ce nom suggère. Ces formes diverses s’inspirent de l’ « allure de liste ». Il existe cependant des textes poétiques constitués d’une liste comme la description de la pieuvre de « Gilliatt le malin » par Hugo. Ce texte est une montée vers l’horreur, vers cette ventouse plus effroyable que toutes les griffes, cornes, pinces ou dards.(voir en annexe).
Le mode de profération dans le théâtre est particulièrement propre à l’emploi des listes.
L’usage des listes.
Ø Comme arme de combat.
Elle peut devenir instrument de compétition sociale pour impressionner le rival ou l’adversaire et se prouver à soi-même sa propre valeur. Au XVIIème siècle éclate une querelle entre Monteverdi, promoteur de la seconda pratica (la monodie, le bel canto naissant) et Artusi, défenseur de la conception traditionnelle de l’ars perfecta ( polyphonie). Chacun d’eux exhibe la liste des compositeurs dont il prétend perpétuer la tradition. On retrouve cette fonction palmarès aussi bien chez le don Juan dénombrant ses maîtresses que chez l’universitaire alignant ses publications au long d’un CV.
Ø La liste joue un rôle de plus en plus important dans l’évaluation des individus. Les listes purement privées comme les listes purement administratives continuent d’exister, mais ce qui est nouveau est l’apparition de l’intersection dont le CV est l’emblème. Ces listes intersectives contribuent à la rationalisation du monde social mais aussi à l’oppression des individus invités à se définir en permanence sur ces listes : listes de collègues (listes de diffusion), d’amis (Facebook), d’opinions (blogs), de préférences (chats, sites dédiés) etc. Dans la vie sociale, le CV est à la fois « devant être complet » (sur le passé) et « devant être complété » (dans la suite de la carrière). Cette double injonction fait la très grande force de la liste moderne.
Cette utilisation compétitive des listes dans les sociétés contemporaines présente un trait archaïque et potentiellement névrotique qui peut devenir nocif.
Ø La liste peut jouer le rôle de préservation d’un monde qui s’émiette alors qu’elle est elle-même émiettement et discontinuité. Elle est alors non plus narcissique, mais nostalgique. Elle satisfait un désir d’encyclopédie devenu difficile à combler (voir le grand succès actuel des dictionnaires, des quiz, des jeux télévisés ou radiophoniques…). La liste mime l’encyclopédie car elle parle de tout. La liste nostalgique est tournée vers le monde et se situe sur le pôle de l’altérité. Elle est discontinuité du différent. Notre rapport aux listes est ambigu : désirs contradictoires, systématicité, zapping, goût de la découverte et du survol, de la profondeur et de la facilité.
Ø On peut toutefois s’emparer de la liste pour la retourner contre elle-même. Perec nous dit : « Il y a dans l’idée que rien au monde n’est assez unique pour ne pas pouvoir entrer dans la liste, quelque chose d’exaltant et de terrifiant à la fois. » in Penser/Classer, Paris, Hachette, 1985, p. 167. La liste attire l’homme parce qu’elle semble pouvoir quadriller le monde, en épuiser la diversité ; mais l’homme souhaite aussi que le monde ne se laisse pas quadriller si aisément. Le groupe Assassin, issu du quartier des Abbesses à Paris a marqué l’époque, en 1991 en chantant un texte de rap dont le titre était : Note mon nom sur ta liste !
« Hit sur hit, je glisse sur la politic shit/Aucun enfoiré ne peut se montrer au niveau où je débite/Et j’habite par la même occasion ta pensée qui s’excite./Tous à ma poursuite !/La puissance du vocalisme fait que tu notes mon nom sur ta liste ! » Il est possible d’ entendre ce texte ainsi : toi qui veux soumettre les hommes à un contrôle statistique, toi qui rêves de ficher chacun pour régner en maître, sache que je suis l’élément inassimilable, l’ennemi à abattre, le nom en trop. Ici, entrer en liste, c’est entrer en dissidence.
Conclusion
La pratique humaine des listes n’est donc pas aussi simple que nous pouvions le penser au prime abord. Chacune des listes exprime une facette de l’esprit humain. C’est en sachant mieux ce qu’est une liste que nous saurons mieux ce que nous faisons quand nous l’utilisons. Suivons, en conclusion, la pensée de Bernard Sève qui replace l’homme au cœur de l’usage des listes.
« Etablir une liste, c’est disposer graphiquement en colonne, de manière a-grammaticale, des mots ou des expressions ; C’est une opération simple et presque mécanique ; Mais cette mécanique engendre une dynamique : là est le mystère de la liste, là est son intérêt. La véritable différenciation entre les listes tient au type de dynamique engendrée. Il peut s’agir d’une dynamique dispersive et répétitive (le donjuanisme, ce concept étant pris dans une acception large), il peut s’agir d’une compulsion névrotique de complétude (la collection), il peut s’agir d’un devoir d’exhaustivité (listes administratives, investigations philosophiques ou scientifiques), il peut s’agir d’une tendance à la compilation sans principe, voire au simple recopiage (Bouvard et Pécuchet). Ces dynamiques sont pauvres quoique souvent utiles ; elles recèlent une forte dimension pathogène. Mais il arrive parfois que la liste engendre une dynamique toute différente, dans laquelle se dit et s’éprouve la complexité du monde, les vibrations des choses, les méandres du moi, l’épaisseur des mots. Brusquement la liste dit quelque chose. La liste, contrairement à son concept, se met brusquement à parler-en tout cas à me parler à moi qui suis son lecteur…. ». De haut en bas, Bernard Sève, Seuil, mars 2010, p. 227.
La richesse de la liste est que la juxtaposition des mots peut déclencher un dynamique qui la transfigure grâce à l’intervention du lecteur. De tous les procédés littéraires, la liste est celui qui dépend le plus de la coopération du lecteur. L’effet de liste est à la disposition du lecteur.
ANNEXE.
Texte de Victor Hugo : Les Travailleurs de la mer, Paris, Gallimard, « Folio », 1980, p. 434-435.
La liste dans le domaine philosophique.
· Aristote : dresser la liste des opinions des prédécesseurs permet de préparer le terrain à la réflexion. La liste n’est pas le langage de la philosophie, mais elle peut en être l’instrument provisoire ; Ses caractères (systématique ou non, ouvert ou non) sont à chaque fois déterminés par l’usage précis que le philosophe compte en faire.
· Descartes : il propose un bon usage de la liste : aider la mémoire, ou plutôt la remémoration, et suppléer au défaut éventuel de l’attention, faciliter donc le travail, mais non en dispenser. La critique cartésienne sera prolongée dans la Logique de Port-Royal (1662).
· Leibniz introduit la possibilité du répertoire qui « peut et doit indiquer les endroits où se trouvent les propositions importantes qui regardent un même sujet ».
· Kant produit des tableaux qui sont des croisements de deux listes ; Le tableau donne à la liste dont il procède la marque de la nécessité. Cela se voit bien avec la doctrine kantienne des Catégories. Kant produira un certain nombre de tableaux dans ses différents livres ; il s’en expliquera, dans une note de la Critique de la faculté de juger, au moment où il déploie son « Tableau de tous les pouvoirs supérieurs de l’esprit suivant leur unité systématique ». La liste a ici une propriété tabulaire, celle de la systématicité.
· Epicure et les Stoïciens : liste des préceptes.
Café philo du 9 juin 2010
Que signifie agir et penser en « liste » ?
Discussion :
- La liste est en opposition avec la pensée dialectique, cependant la liste correspond à une logique, par exemple, une liste d’adresses. La liste est une discontinuité.
- La liste n’est pas illogique car même si elle ne représente qu’une simple énumération cela correspond toujours à quelque chose. Les mots correspondent à des classes de référents sensoriels. La liste peut être le lien lui-même.
- Peut-on penser en liste sans intentionnalité ?
- Penser en liste ne s’oppose pas autre modes de pensée humaine.
- Alain Badiou, dans sa logique, parle de la formation des ensembles et de la multiplicité à partir de l’ensemble vide, c’est un début de liste.
- L’énonciation de la liste ne fait pas appel à un narrateur. L’important c’est le lecteur qui peut mettre une intentionnalité à la liste mais à l’inverse, cela peut être aussi l’auteur. Le discours écrit est fermé alors que le discours de la liste reste ouvert.
- Existe-t-il une différence entre les listes organisées et les listes inorganisées ? Même les listes inorganisées peuvent avoir une intentionnalité à l’exemple de l’inventaire de Prévert.
- L’important est de savoir ce que l’on fait des listes : liste des courses, liste des strasbourgeois, liste des politiques…
- La sociologie se base sur des listes pour étudier les phénomènes liés aux hommes.
- La liste fait partie du langage poétique, c’est un travail du langage sur lui-même. La liste peut donc être une oeuvre d’art.
- L’art abstrait est une liste, il est non figuratif et c’est le spectateur qui y trouve sa logique. La peinture de Kandinsky se conçoit comme une liste mais pas celle de Raphael.
- Dans la langue naturelle, la sémiotique est interprétable à l’infini alors que dans la langue artificielle (programme informatique) la sémantique est égale à zéro.
- Il faut faire le distinguo entre le signifiant et le signifié, tout lecteur voit le signifié.
- C’est le problème du nominalisme.
- En biologie il faut sortir de la liste de la flore pour voir le reste (photosynthèse, géologie,…)
- C’est la taxonomie. Tout ce qui est de l’ordre du vivant peut être ordonné selon des classes.
- Dans la liste la logique peut être implicite.
- Il y a des listes fermées : liste des absents. Mais il existe aussi des listes évolutives.
- La liste est un mode de raisonnement supérieur et efficace.
- La liste est la base du structuralisme, elle n’évoque pas la mutation.
- Structure : relation et interdépendance entre les choses.
- La qualité des éléments de la liste est conservée dans la liste.
- Le sac du randonneur par exemple, la liste est limitée mais est-elle complète s’il manque quelque chose ?
- Ce ne sont pas les mêmes qui agissent et qui pensent. Il y a une relation de dominant et de dominé entre celui qui pense la liste et celui qui l’applique.
- Lorsque l’on a à prendre une décision, pour favoriser la réflexion, on a la possibilité de faire une liste du positif et une du négatif.
- La liste est à l’origine de l’écriture car elle était comptable pour les troupeaux. Était-ce de simples additions ou y avait-il des relations entre les items ?
- La loi n’est pas une procédure, c’est une énumération.
- Mais on trouve des codes de procédure dans la loi. Dans le domaine technique ou dans celui de la justice beaucoup d’actions sont des procédures.
- Un code de procédure est une liste de règlements. La procédure n’est pas hiérarchisée par rapport à l’ensemble des corpus règlementaires, elle comporte des décrets et des lois.
- Les procédures prévoient les agissements des juges pour qu’ils fassent des actions licites car ce sont des acteurs de droit tout comme les autres fonctionnaires d’autorité. Par exemple, dans certaines procédures le silence vaut pour acceptation.
- La procédure ressemble davantage à une liste car elle prévoit des séries d’actions à accomplir selon un ordre déterminé.
- La liste est ambivalente car elle permet la fermeture ou l’ouverture et l’oubli de la complétude peut être facteur plaisant ou angoissant.
- La liste peut avoir valeur d’exclusion ou de communauté. La jurisprudence montre qu’on ne peut pas tout mettre en liste, qu’on ne peut pas tout prévoir. Dans ses tableaux, Magritte fait appel à la raison et dans la liste, nous faisons appel à notre esprit critique.
- Quand l’esprit est embrumé, la liste structure le réel. La liste est utile pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.
- Existe-t-il des, listes inconscientes, des ramassages de données brutes ?
- La liste permet de penser en catégories.
- La généalogie correspond à la liste des ancêtres, elle est créatrice d’identité.
- Dans le dictionnaire des synonymes « Le Robert » pour liste on trouve : bordereau, cadre, canon, catalogue, cédule*, dénombrement, énumération, état, index, inventaire, kyrielle, martyrologue, mémoire, ménologe**, nomenclature, relevé, répertoire, rôle, suite, tableau. (*Cédule : Écrit, billet sous seing privé par lequel on reconnaissait devoir une certaine somme/Catégorie de revenus résultant de la classification opérée par le fisc/Feuillet sur lequel est déclarée chaque catégorie de revenus. **Ménologe : Dans le rite byzantin, recueil de brèves notices sur les fêtes des saints de chaque jour dans l’ordre du calendrier).
- On peut y ajouter : théorie au sens de procession.
‘’Inventaire’’
« Une pierre
deux maisons
trois ruines
quatre fossoyeurs
un jardin
des fleurs
un raton laveur
une douzaine d'huîtres un citron un pain
un rayon de soleil
une lame de fond
six musiciens
une porte avec son paillasson
un monsieur décoré de la légion d'honneur
un autre raton laveur
un sculpteur qui sculpte des Napoléon
la fleur qu'on appelle aussi
deux amoureux sur un grand lit
un receveur des contributions une chaise trois dindons
un ecclésiastique un furoncle
une guêpe
un rein flottant
une écurie de courses
un fils indigne deux frères dominicains trois sauterelles un strapontin
deux filles de joie un oncle Cyprien
une Mater dolorosa trois papas gâteau deux chèvres de Monsieur Seguin
un talon Louis XV
un fauteuil Louis XVI
un buffet Henri II deux buffets Henri III trois buffets Henri IV
un tiroir dépareillé
une pelote de ficelle deux épingles de sûreté un monsieur âgé
une Victoire de Samothrace un comptable deux aides-comptables un homme du monde deux chirurgiens trois végétariens
un cannibale
une expédition coloniale un cheval entier une demie-pinte de bon sang une mouche tsé-tsé
un homard à l'américaine un jardin à la française
deux pommes à l'anglaise
un face-à-main un valet de pied un orphelin un poumon d'acier
un jour de gloire
une semaine de bonté
un mois de Marie
une année terrible
une minute de silence
une seconde d'inattention
et ...
cinq ou six ratons laveurs
un petit garçon qui entre à l’école en pleurant
un petit garçon qui sort de l’école en riant
une fourmi
deux pierres à briquet
dix sept éléphants un juge d’instruction en vacances assis sur un pliant
un paysage avec beaucoup d’herbe verte dedans
une vache
un taureau
deux belles amours trois grandes orgues un veau marengo
un soleil d’Austerlitz
un siphon d’eau de Seltz
un vin blanc citron
un petit poucet un grand pardon un calvaire de pierre une échelle de corde
deux soeurs latines trois dimensions douze apôtres mille et une nuits
trente deux positions six parties du monde cinq points cardinaux dix ans de bons et loyaux services sept péchés capitaux deux doigts de la main dix gouttes avant chaque repas trente jours de prison dont quinze de cellule cinq minutes d’entracte.
et …
plusieurs ratons laveurs »
Jacques Prévert
LA FAIBLESSE PEUT-ELLE ÊTRE UNE RICHESSE ?
En réalité, nous sommes tous faibles, sauf que certains l'avouent et d'autres le cachent.
Est-ce vraiment une force que de faire semblant d'être fort pour cacher sa faiblesse ?
« Je vais vous parler de « vécu » en vrac que vous développerez à votre aise ».
Nous allons voir que les vertus dites « faibles » sont en général méprisées alors que ce sont les meilleures !
Si on oppose la faiblesse à la force brutale, on pourra aboutir sur une constatation non négligeable :
il est prouvé que l'on obtient bien plus par la douceur, une certaine humilité qui se mettent à la portée de quelqu'un (enfant, élève, patient, malades, amis, ...) que par la force trop violente.
Exemple : la pratique de la non violence de Ghandi.
Il y'a la faiblesse en tant que vertu faible, il y'a aussi les vertus fortes ; nous parlerons de la première.
Une certaine faiblesse, si elle est dépourvue de lâcheté, peut se transformer en courage, ténacité, patience,
Ex : un malade ou infirme qui a atteint une sagesse intérieure, réussit bien souvent là où une force brutale sans nuance échoue.
Il y'a dans la faiblesse un lâcher-prise qui permet d'atteindre des compréhensions en profondeur, plus efficaces que la simple force primaire.
Qui n'a pas connu un maître d'école un peu brute et primaire, apparemment sûr de lui, de son succès, écrasant de son autorité des élèves timides, qui auraient pu devenir prometteurs, avec un enseignant doux et attentif ( en réalité le maître d'école à tellement peur de ne pas avoir d'autorité qu'il se protège derrière sont armure).
La faiblesse constitutionnelle , à savoir un état de santé précaire, peut posséder des qualités précieuses comme, la prudence; l'écoute, la patience, l'intelligence de coeur, la persévérance, la clairvoyance et parfois même le don de guérison.
Ex : Certains médecins, eux-mêmes malades et faibles, ont mieux pu guérir des patients, car ils ont atteint à travers l'expérience de leur épreuve, une compréhension supérieure; de même un aveugle acquiert des capacités d'intelligence et de feeling supérieurs .
Il existe des faiblesses de caractère qui sont de l'ordre de la très grande sensibilité mais qui permettent d'intervenir dans des démarches psychologiques là où des sensibilités moindres échouent même si elles sont dotées de courage de prestance, d'ascendant,...
Ce sont ces richesses de finesses et de qualités incommensurables, comme par exemple la qualité d'amour et de douceur d'une mère fragile, frêle, la douceur d'un père effacé, d'une amante, épouse, compagne, collaboratrice, éducatrice, ces personnes un peu en retrait mais très attentives et sensibles, montrant une certaine faiblesse apparente pourront nous montrer, à des moments opportuns lorsqu'on s'y attend le moins, des attitudes surprenantes de capacités d'adaptation dans des situations délicates et difficiles, par leurs qualités de coeurs, de discernement, de patience de clairvoyance, de maîtrise de soi !
Ces personnes douces révéleront des vertus supérieures à la force impérieuse et autoritaire par leurs fermeté tranquille, sûre et équilibrée. Il ressort que la grandeur d'âme représente une grande force! Car la où l'on est avide de résultats rapides, où l'on est sans égards, trop matérialiste, dur de coeur, l'échec finit par apparaître.
On peut être très puissant, énergique, et cacher de la lâcheté en soi, cela révèle une faiblesse négative.
Je rappelle à nouveau, le cas d'une mère malade, épuisée qui révèle un caractère héroïque qui va jusqu'au sacrifice pour ses enfants et sa famille.
Des artistes, écrivains, médecins, humanistes, malades, épuisés ont pu enrichir l'humanité de leurs oeuvres riches de grandeur.
(Relatons les faiblesses négatives comme la lâcheté, cruauté, mensonge, paresse, vol, crime, drogue.)
Avant de poursuivre, je rappelle :j'évoque en passant : Kirkegaard, qui toute sa vie à cherché à se guérir d'une maladie psychique, et a eu une enfance difficile nous dit : « Toutes nos épreuves sont des ouvertures sur l'éternité » N'oublions pas l 'abbé Pierre orphelin incompris, Ghandi, Ray Charles le grand musicien aveugle dés l'enfance qui ont assumé par leur force d'âme une faiblesse jusqu'au bout.
« Heureux les doux, les humbles en esprit, car leurs quête va les amener à encore plus d'ouverture de coeur et d'esprit »
N'oublions pas les handicapés qui peignent avec la bouche.
En réalité ceux qui affichent une certaine force, aisance un peu arrogante, ont peur de leurs faiblesses alors que s'ils osaient les regarder de plus près, ils découvriraient en eux une précieuse richesse.
Oui, une faiblesse apparente représente une richesse car elle incite les autres à plus d'humilité.
Le courage d'un homme qui exprime sa douleur, sa faiblesse, son émotion, qui « pleure », est en réalité plus fort que celui qui reste emprisonné dans sa carapace d'orgueil et de vanité : « que de larmes on dû sécher à l'intérieur de son armure ».
La faiblesse avouée, peut déclencher des miracles de délivrance en soi et chez les autres.
Vivre nos faiblesses nous libère, enlève le verrou.
Donc n'ayons pas toujours peur s'il se présente en nous : de la lenteur à décider, de l'hésitation, du doute, un manque de confiance, de considération pour soi , d'amour de soi,...
Ce sont des ingrédients de passage obligé, vers une transformation intérieure, émulation d'une alchimie nécessaire, qui développe encore davantage notre personnalité et l'enrichit. Tout cela a permis à des personnes retirées dans la modestie, d'aboutir dans des travaux de longue haleine, de découvrir les vertus des plantes, de réaliser des invention et découvertes inestimables.
Ces personnes en se retirant ainsi ont permis à leurs fonctionnement cérébral de travailler hors du stress, de l'arrivisme de la vie publique, se moquant des honneurs de la célébrité, ne cherchant ni gloire ni notoriété.
Donc certaines faiblesses comme la douceur, profondeur, écoute, intelligence de coeur, dévouement, , patience discernement, intuition, grande sensibilité, tolérance apportent des trésors dans une famille.
L'amour découle de toutes ces sensibilités.
Pour conclure :
Il n'y a rien d'étonnant à ce que la faiblesse soit de la force si l'on considère que l'homme est un être essentiellement AFFECTIF.
Oui, ma faiblesse est ma force
Mai 68 à été l'époque de la permissivité, du laxisme, de liberté sexuelle, mais aussi d'une justice plus humaine, d'une conception moins rigide de l'autorité, des valeurs plus douces : on à jeté le bébé avec l'eau du bain. les plus authentiques valeurs de Mais 68 on été les plus sévèrement étouffées.
Faiblesse : manque de force, de vigueur physique,
Richesse : qui contient ( possède) beaucoup de,,,, force physique, morale, savoirs,
Si la faiblesse est une richesse, il n'y aura pas assez de coffres pour la mettre à l'abri,
La « morale du fort » et la « morale du faible » ne se posent pas en termes sociopolitiques ou idéologiques. S’il y a, dans le monde, des dominants et des dominés, et même des luttes de classes au sens classique, le sujet confronte deux philosophies différentes. Le « fort » n’est pas celui qui écrase le « faible » mais celui qui aspire à réaliser l’accomplissement de l’homme, tandis que le « faible » a pour objectif de se refuser à lui-même cet accomplissement. (sujet très nietzschéen)
A la fin, dépassant l’opposition entre les deux morales, s’ouvre la perspective d’un au-delà de la notion de Bien et de la morale. Le fort a-t-il besoin de « vouloir » le Bien ? Nous ne sommes pas dans le relativisme mais au même niveau que le commandement « Tu ne tueras point » à valeur universelle,
Bergson :Il y a une morale statique, qui existe en fait et à un moment donné, dans une société donnée, elle s'est fixée dans les moeurs, et d'autre part une morale dynamique, qui est élan, et qui se rattache à la vie en général, créatrice de la nature qui a créé l'exigence sociale.
Le fort et le faible divergent dans leurs conceptions du bonheur. Les forts « ignorent, en tant qu’hommes faits, pleins de force, donc nécessairement actifs, la séparation entre action et bonheur » tandis que les faibles ont besoin de « méchants ennemis », d’un « mensonge » de bonheur décrit comme « narcose, hébétude, calme, paix, "sabbat", détente de l’esprit et décontraction du corps,
Nietzsche définit la volonté de puissance comme « l’essence de la vie », « l’instinct de liberté ».
Vue à travers le point de vue d’une morale du faible, cette morale du fort apparaît comme une transgression.
L’homme faible, quant à lui, est pétri de « mauvaise conscience » parce qu’il refoule son « instinct de liberté ». Il a appris à « avoir honte de tous ses instincts », se délecte dans la culpabilité, se fait souffrir en espérant y trouver le salut (« la foi dans le châtiment »), méprise et maltraite les autres en position d’infériorité, « sanctifie la vengeance sous le nom de justice », se veut « jusqu’à un certain point nécessaire, uniforme, conforme à ses semblables, régulier, et par suite prévisible », organise avec son « nihilisme administratif » la mise en ordre rationnelle, régulatrice et rentable de la société
La loi est-elle au service du fort ou du faible ? - David et Goliath, - Il n'y a ni fort, ni faible, absolument, en permanence,
(par Michelle)
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Doit-on tout attendre de l’état ?
Tout attendre de l'Etat serait qu'il permettre que se réalise le bien commun et les biens particuliers: n'est-ce pas contradictoire dans la mesure où la réalisation des biens particuliers se ferait au détriment de la réalisation du bien commun.
D'autre part, si l'Etat se mêle de la réalisation des fins particulières de l'individu, on pourra toujours lui reprocher de faire disparaître la liberté. En effet, chacun est libre de concevoir la vie la meilleure possible qui lui convient: peut-on attendre de l'Etat qu'il fixe les fins de chaque personne? N'est-ce pas décharger chaque personne de sa liberté et lui faire perdre l'humanité.
Evidemment, doit-on, renvoie aussi à la condition de possibilité puisque, est possible seulement ce qui n'est pas contradictoire.
Peut-on tout attendre de l'État?
Qu'est-ce que l'état, quel le rôle des citoyens, quel est le souverain dans un état de droit? Conséquence pour le sujet!
Peut-on attendre de l'état:
-qu'il fixe les fins des individus? Ce qu'ils doivent poursuivre pour être heureux?
-Qu'il fasse sa place à l'individu au lieu de lui laisser la liberté de faire sa place?
-Qu'il fixe à chacun une place selon sa nature?
Peut-on attendre de l'état de droit qu'il fasse plus que d'assurer la sécurité pour que chacun puisse exercer sa liberté?
l'État a-t-il pour but de maintenir l'ordre ou d'établir la justice ? Peut-il y avoir un ordre sans la justice? Peut-il y avoir une justice sans un ordre? Or il ne peut y avoir de bien commun sans un ordre: l'ordre est l'application de la loi.
Le rôle de l'état est-il donc de faire régner la justice? ou d'établir l'ordre.